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Full text of "Questions neurologiques d'actualité : vingt conférences faites à la Faculté de médecine de Paris, 1921"

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University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/questionsneuroloOOwils 


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^Ottawa 


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QUESTIONS  NEUROLOGIQUES 
D'ACTUALITÉ 


I  QUESTIONS 

NEUROLOGIQUES 

D'ACTUALITÉ 


VINGT    CONFERENCES 

FAITES     A    LA     FACULTÉ    DE    MÉDECINE    DE     PARIS 

-     1921     - 


MM.   s.  a.    k.   yvilson    (de  londres),    ch.   chatelix, 

H.  CLAUDE,  G.ROUSSY,  GUILLAIN,  LHERMITTE,  SOUQUES, 
BABOXNEIX,  ANDRÉ  LÉRI,  P.  SAIXTOX,  A.  SICARD,  CROUZOX, 
POULARD,  CH.  FOIX,  LAIGNEL— LAVASTINE,  VURPAS, 
BOURGUIGNON,      BÉIIAGUE,      BOUTTIER,      PIERRE      MARIE. 


INTRODUCTION 
PAR    M.    LE    PROFESSEUR   PIERRE   MARIE 


Sav\v$z 


>• 


M  \SS<)\     ET     Cie,     EDITE!  KS 

LIBRAIRES   DE    L'ACADÉMIE   DE   MÉDECINE 

I  2  O  ,     BOULEVARD     SAINT-GERMAIN,      I  2  O  ,     PARIS 


Tous  droits  de  reproduction 
de  traduction  et  d'adaptation 
-  réservés  pour  tous  pays.   - 

COPYRIGHT     IQ2  3,  BT 

=  MASSON  &  O 


: 


INTRODUCTION 


11  ne  sera  pas,  je  pense,  sans  intérêt,  de  taire  connaître  dans 
quelles  conditions  et  par  suite  de  quelles  circonstances  le  présent 
volume  a  vu  le  jour. 

Au  mois  de  mars  ou  d'avril  de  cette  année,  notre  éminent  Doyen, 
le  professeur  Roger,  me  faisait  l'amitié  de  m'entretenir  de  ses  pro- 
jets et  de  ses  efforts  pour  maintenir  h  leur  niveau  élevé  les  divers 
Enseignements  de  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris.  Il  me  disait 
notamment  combien  il  comptait  pour  cela  non  seulement  sur  les 
titulaires  des  chaires  de  Médecine  et  de  Chirurgie  générale,  et  sur 
ceux  des  chaires  spéciales,  mais  aussi  sur  le  concours  de  nos  col- 
lègues des  Hôpitaux.  Il  me  faisait  part  de  son  désir  d'ouvrir  lar- 
gement les  amphithéâtres  de  la  Faculté  à  toutes  les  idées,  à  toutes 
les  opinions,  sous  la  condition  qu'elles  fussent  soutenues  par  des 
hommes  de    talent. 

C'est  ainsi  que  je  fus  amené  à  lui  proposerd'organiser  un  grou- 
pement de  neurologistes  présentant  les  conditions  requises.  Il  fut 
entendu  qu'on  demanderait  à  chacun  d'eux  de  venir  donner,  dans  le 
Grand  Amphithéâtre  de  la  Faculté,  une  Conférence  sur  une  ques- 
tion librement  choisie  par  le  conférencier  parmi  celles  qui  avaient 
fait  l'objet  de  ses  études  et  de  ses  travaux.  On  ne  pouvait  trouver 
un  plus  sûr  gage  de  compétence  et  d'originalité. 

Qu'il  me  soit  permis  de  remercier  ici  personnellement  les  dis- 
tingués collègues  qui  m'ont  fait  l'honneur  et  le  grand  plaisir  de 
répondre  à  cet  appel.  J'ajouterai  que  tous  nous  avons  été  parti- 
culièrement touchés  de  voir  le  D<  S.  A.  K.  Wilson,  de  Londres, 
venir  se  joindre  à  nous  et  prendre   cordialement  sa  part  de  notre 


œuvre. 


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Les  Conférences  eurent  lieu  en  juin  et  juillet,  le  succès  en  fut 
très  grand,  et  1  enthousiasme  des  auditeurs  ne  se  démentit  pas  un 
instant. 

11  eût  été  regrettable  qu'aucun  souvenir  durable  ne  fût  conservé 
de  cette  belle  manifestation  neurologique.  —  Aussi  devons-nous 
nous  féliciter  qu'au  premier  mot  sur  ce  sujet,  M.  Pierre  Masson 
nous  ait  exprimé  le  désir  d'éditer  en  volume  cette  série  de  Confé- 
rences :  — nous  étions  ainsi  assurés  que  rien  ne  serait  négligé  pour 
qu'elles  fussent  présentées  au  Public  médical  dans  les  meilleures 
conditions. 

Mon  ami  et  collègue.  M.  le  DrO.  Crouzon,  a  été  l'«  animateur  » 
incomparable  de  cette  manifestation  neurologique  qui,  sans  lui, 
n'eût  certainement  pas  eu  lieu.  Je  le  remercie  en  outre  de  toute  la 
peine  qu'il  a  prise  pour  assurer,  sans  à-coups,  en  temps  utile,  la 
publication  du  présent  volume.  Recueillir,  la  veille  des  vacances, 
les  manuscrits  de  vingt  auteurs  différents  et  tous  fort  occupés, 
quel  record,  que  de  dévouement  à  notre  Science  ! 


Professeur  Pierre  Marie. 


TABLE     DES    CONFÉRENCES 


Pages 

S.  A.  Kinnier  Wilson.  —  Sur  quelques  questions  de  pathogénie,  de  dia- 
gnostic et  de  physiologie  pathologique  à  propos  de  la  dégéné- 
ration lenticulaire    progressive.    • 

Ch.  Chatelin    —  Les  tumeurs  cérébrales •     •     •     • 

H.  Claude.    —     L'hypertension    intracranienne    et    les    méningites     sé- 

reuses 

G.  Roussy.  —  Les  troubles  sensitifs  d'origine  cérébrale 89 

Georges  Gbiixain.  —  Les  lésions  traumatiques  de  la  moelle  épinière.      .       125 
J.  Lhermitte.  —  L'encéphalite  léthargique 16° 

A.  Souques.  -  Lésions  et  causes  de  la  paralysie  agitante  ;  ses  rapports 

avec    le    syndrome  parkinsonien   post-encéphalo-léthargique.     .       ^Ui) 

L.  Rabonneix.  —  Les  encéphalopathies  infantiles 

André  Léri.  —  Les  atrophies  musculaires  syphilitiques 259 

291 
Paul  Sainton.  —  Le  goitre  exophtalmique •     •     •     • 

Oïl 

J.-A.  Sicaro.   -     Les  algies  et  leur  traitement 

O.  Ciiouzon.    -  Les  maladies   familiales  atypiques  du  système   nerveux.       343 

Poulard.  —    Les    modifications  de  la  pupille 

389 
Ch.  Foix.  —  L'automatisme  médullaire 

Laignel-Lavastine.  —  Les  psychoses  thyroïdiennes 403 

Ch.  Vuri>as.  -  Petits  syndromes  mentaux.  L'état  mental  des  obsédés.     .       419 

439 
Georges  Rourguignon.  —  La  chronaxie 

P.  Réhague.  -  Caractéristiques  et  traitement  de  l'épilepsie  traumatique.       475 

487 
Henri    Routtier.  -  L'état  de  mal  épileptique 

P,EBHB  Marie.  -    Kxiste-t-il,    chez  l'homme,  des  centres  préformés    ou       ^ 
innés  du  langage  ?  .      .      .     .     


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 


S.  A.  KINNIER  WILSON  (de  Londres), 

Médecin  du  Queen  Square  Hospital 


SUR  QUELQUES  QUESTIONS  DE  PATHOGÉNIE,  DE 
DIAGNOSTIC  ET  DE  PHYSIOLOGIE  PATHOLOGIQUE  A 
PROPOS  DE  LA  DÉGÉNÉRATION  LENTICULAIRE  PRO- 
GRESSIVE 


Messieurs, 

Depuis  mes  premiers  travaux  de  1911-1912  sur  la  dégénération  lenti- 
culaire progressive,  une  quantité  toujours  croissante  de  cas  de  cette 
maladie  nerveuse  a  été  rapportée,  parmi  lescpiels  doivent  être  énumérés 
ceux  de^Pollock,  Pfeiffer,  Howard-Royce,  de  Lisi,  Stocker,  Hamilton- 
Jones,  von  Economo,  Cassirer,  Higier,  Henrici,  Soderberg-Sjovall,  et 
beaucoup  d'autres  ;  sous  le  titre  de  pseudo-sclérose,  d'ailleurs,  ont  paru 
depuis  lors  plusieurs  cas  dont  l'intérêt  pour  le  sujet  qui  nous  occupe  est 
considérable.  En  effet,  l'impulsion  donnée  à  l'étude  des  maladies  du 
corps  strié,  du  syndrome  du  corps  strié,  de  la  notion  des  symptômes  mo- 
teurs extra-pyramidaux,  et  de  la  pathogénie  des  mouvements  involon- 
taires, loin  d'être  épuisée,  est  devenue  de  plus  en  plus  stimulante.  Mais, 
malgré  les  belles  contributions  cliniques  et  anatomo-pathologiques  qui 
ont  agrandi  nos  connaissances  jusqu'à  un  certain  point,  il  me  semble 
que  les  problèmes  fondamentaux  de  la  maladie  n'ont  pas  progressé  de 
cette  façon  autant  qu'on  aurait  pu  s'y  attendre.  Ainsi  lapalhogénie  exacte 
de  l'affection,  et  quelques  questions  difficiles  de  son  anatomie  patho- 
logique et  surtout  de  sa  physiologie  pathologique,  restent  à  discuter, 
tandis  que  ses  rapports  avec  la  pseudo-sclérose  et  la  nouvelle  maladie 
dite  torsion-spasmus  ou  dystonie  lenticulaire  ont  été  compliqués  plutôt 
que  simplifiés  par  des  communications  récentes.  On  a  même  remarqué, 
surtout  peut-être  en  Allemagne,  une  tendance  à  identifier  la  dégénéra- 
tion lenticulaire  progressive  et  la  pseudo-sclérose,  et  on  m'a  même  cité, 

CONFÉR.   NEUROL.  1 


S.  .1.  /y.   \YII.S<>\ 


quoique  bien  à  tort,  comme  admettant  que  les  deux  affections  ne  font 
qu'une.  Par  conséquent,  je  suis  heureux  de  profiter  de  cette  occasion 
d'aborder  quelques-uns  des  problèmes  soulevés  par  la  maladie  appelée 
généreusement  «  maladie  de  Wilson». 

I.  —  CONSIDÉRATIONS    CLINIQUES 

En  étudiant  les  cas  publiés  depuis  1912  on  apprend  que  Ton  doit 
étendre  quelque  peu  les  limites  de  la  durée  de  cette  affection  ;  et  je  relate 
ici,  très  brièvement,  deux  nouveaux  cas  personnels  chez  lesquels  la  durée 
de  la  maladie  a  dépassé  dix  ans. 

Cas  1.  — J.  P.  E.,  jeune  homme  âgé  de  24  ans,  toujours  bien  portant, 
en  1904  (alors  âgé  de  14  ans)  commençait  à  articuler  ses  mots  assez  mal 
et  d'une  façon  barbouillante,  et  cette  dysarthrie  a  continué  toujours  en 
s'accentuant.  Deux  ans  plus  tard  on  remarqua  qu'il  marchait  assez  mala- 
droitement; il  se  tenait  un  peu  avec  raideur,  surtout  du  dos  et  des 
jambes,  et  en  même  temps,  on  observait  un  tremblement  fin  des  doigts 
et  des  mains.  La  mère  du  malade  nota  que  la  salive  commençait  à  s'écou- 
ler des  lèvres  et  elle  avait  souvent  l'occasion  de  lui  dire  :  «  P...,  essuie  ta 
bouche.  »  Il  avait  aussi  une  tendance  à  tenir  la  bouche  ouverte,  de 
sorte  qu'elle  lui  disait  :  «  Pourquoi  ne  respires-tu  pas  par  le  nez  ?  ».  Les 
symptômes  s'aggravèrent  ensuite,  et,  lors  de  mon  premier  examen,  son 
articulation  était  à  peu  près  inintelligible  et  le  tremblement  des  bras, 
des  mains  et  des  doigts  était  incessant  et  quelquefois  très  violent,  gar- 
dant toujours  le  caractère  rythmique  du  tremblement  de  la  paralysie 
agitante.  (Fig  1.)  En  outre,  lorsque  le  malade  essayait  de  parler,  ou  d'a- 
valer, les  muscles  intéressés  de  la  face  devenaient  le  siège  de  contractions 
spasmodiques,  le  palais  s'élevait  d'une  façon  anormale,  presque  comme 
si  le  malade  allait  vomir,  et  il  en  résultait  une  phonation  et  une  arti- 
culation explosives  des  plus  laborieuses.  Du  côté  des  nerfs  crâniens, 
rien  d'anormal  :  du  côté  des  yeux,  aucune  trace  de  pigmentation  olive- 
verte  de  la  cornée. 

Au  lit,  les  muscles  du  tronc  et  des  jambes,  aussi  bien  les  Qéchisseurs 
que  les  extenseurs, étaient  assez  rigides,  bien  moins  toutefois  que  ceux 
des  bras;  mais  lorsque  le  malade  essayait  de  se  tenir  debout  et  île  mar- 
cher, ils  devenaient,  comme  ceux  de  la  face,  de  la  gorge,  le  siège  de  mou- 
vements involontaires  spasmodiques  et  irréguliers,  de  sorte  qu'il  s'avan- 
çait d  une  façon  extrêmement  maladroite  et  laide;  il  élevait  awse/.  bien 
les  pieds,  mais  les  jambes  s'ébranlaient  à  cause  du  tremblement  quand 
il  les  avançait  tour  à  tour. 


LA  MALADIE  DE    WILSON 


Il  faut  dire  en  outre  que  le  tremblement  s'augmentait  toujours  avec 
les  mouvements  volontaires  ;  ainsi,  en  essayant  de  se  toucher  le  nez  avec 
le  doigt,  il  lui  arrivait  très  souvent  de  frapper  fortement  son  visage  ; 
l'écriture  était  accompagnée  d'un  tremblement  vraiment    tumultueux. 


&{*■;       •       JtinKef 


Fig.  1.  —  L'écriture  du   malade  .1.  P    E,    qui  montre  d'une  façon   assez  nette  le  tremblement   plus  ou 

moins  régulier  et  constant. 

Du  côté  des  réflexes,  pas  de  signe  de  maladie  pyramidale  ;  réac- 
tion de  Wassermann  (sérum  et  liquide  céphalo-rachidien)  toujours 
négative. 

Après  une  durée  de  15  ans,  l'affection  s'est  terminée  par  la  mort,  mais 
malheureusement  je  n'ai  pu  recevoir  l'autorisation  de  faire  l'autopsie. 
Pendant  la  vie  il  n'y  avait  aucun  des  signes  ordinaires  d'insuffisance 
hépatique. 


A  mon  avis,  il  s'agit  ici  d'un  cas  à  peu  près  typique  de  dégénération 


S.    \    K.  H  il  so\ 


lenticulaire  progressive,  quoique  seulement  à  la  fin  on  ait  vu  apparaître, 
à  un  degré  insignifiant,  de  la  faiblesse  mentale  et  de  la  contracture  mus- 
culaire des  extrémités,  La  longue  durée  de  l'affection  est  digne  de 
remarque,  ainsi  que  l'absence  de  tout  signe  de  lésion  viscérale  OU  intes- 
tinale. Au  point  de  vue  de  la  inutilité,  il  faut  remarquer  le  tremblement 


\ 


Fig.  2.  —   Le  faciès  souriant  île  la    malade   \Y.  M.  \\. 


rythmique  de  ce  cas  comme  le  premier  et  le  plus  important  des  mouve- 
ments involontaires,  tels  qu'on  les  rencontre  dans  la  maladie;  mais  les 
contractions  toniques  variables  cpii  se  manifestaient  pendant  la  marche, 
etc.,  sont  également  importantes,  quoique  bien  moins  fréquentes.  On  les  a 
observées  jusqu'à  présent  surtout  dansles  cas  aigus  (Gowers  Ormerod, 
Howard-Royce),  d'où  l'expression  «  tétanoïde  »  imaginée  par  Gowers 
pour  les  caractériser  ;  elles  n'ont  pas,  autant  qu'il  m'a  semblé,  l'allure 
toutes  pécia  le  de  l'a  thé  tose  vraie,  mais  elles  sont  d'un  ordre  bien  différent 
du  tremblement,  et  la  constatation  des  deux  types  de  mouvements  invo- 
lontaires chez  le  même  malade  est  très  signifiante,  comme  nous  le  ver- 
rons plus  tard. 


LA  MALADIE  DE   WILSOJS 


Cas  2.  — W.  M.  R.,  femme  de  45  ans,  non  mariée,  passa  une  saison 
dans  l'île  de  la  Jamaïque  à  l'âge  de  27  ans,  et  à  cette  époque  fut 
atteinte  d'ictère  très  grave,  qui  dura  un  mois  environ,  mais  se  rétablit 
d'une  façon  satisfaisante.  Quatre  ans  plus  tard,  elle  remarqua  un  trem- 
blement fin  et  régulier  de  la  main  gauche  pendant  les  mouvements 
volontaires,  c'est-à-dire  en  écrivant,  en  brodant,  en  prenant  une  tasse  de 


Fig.  3. 


Les  mains  contracturées  de   \Y.  M.   R. 


thé,  etc.  En  même  temps  sa  sœur  constata  que  la  malade  tenait  le  bras 
gauche  avec  un  peu  de  raideur.  Au  bout  de  deux  ans  le  tremblement 
s'étendit  à  la  jambe  gauche,  et  après  une  période  mal  définie  il  gagna  le 
bras  et  la  jambe  droits.  Depuis  lors,  la  maladie  progressa  lentement 
mais  sans  cesse,  et  les  extrémités  devinrent  contracturées,  surtout  à 
gauche. 

En  examinant  la  malade,  on  a  pu  constater  une  raideur  généralisée  de 
tout  le  corps  analogue  à  celle  de  la  maladie  de  Parkinson,  un  tremble- 
ment rythmique  des  membres  déjà  mentionné  plus  haut,  un  rire  spasmo- 
dique  presque  incessant  (lig.  2),  une  dysarthrie  et  une  dysphagie  peu 
prononcées,  sans  aucun  signe  de  lésion  pyramidale.  Les  réflexes  tendi- 
neux   et    cutanés   n'étaient  pas    modifiés.    L'état   de    contracture    des 


S.    l.  K.  WILSOX 


mains   et  des  pieds  est   indiqué   sur  les  photographies  (fig.  3,  4,  •>)• 
Il  n'y  avait  aucune  paralysie  au  sens  précis  du  mot,  puisque    la   malade 


Fig.  4.  —  La  main  gauche  contracturée  de  la  même  malade. 

pouvait  défaire,  pour  ainsi  dire,  les  contractures,  quoique  lentement,  et 
mobiliser  toutes  les  articulations.  Elle  ne  pouvait  guère  marcher  ;  quand 


Fig.  5.  —  Les  pieds  contractures  de  la  nu'nie  malade. 

elle  essayait,  elle  se  tenait  sur  les  orteils  et  avançait  les  jambes  eoinnie 
une  paraplégique  spasmodique,  et  pas  du  tout  comme  une  Parkinso* 
nienne.  L'examen  du  sang  et  du  liquide  céphalo-rachidien  a  toujours 
été  négatif. 


LA  MALADIE  DE  WILSON 


Dans  ce  cas  la  maladie  a  duré  13  ans  environ,  et  la  malade  se  trouve 
maintenante  l'état  grabataire.  Le  diagnostic  estpeut-être  unpeu  malaisé, 
en  raison  de  la  ressemblance  générale  avec  la  paralysie  agitante  ;  néan- 
moins, les  attitudes  contracturées  des  mains  et  des  pieds,  la  démarche, 
le  rire  spasmodique  et  l'histoire  d'un  ictère  grave  suffisent,  à  mon  avis, 
à  différencier  ce  cas  de  la  maladie  de  Parkinson. 

D'autre  part,  on  doit  ajouter  aux  cas  aigus  ceux  de  Howard-Royce 
(durée  cinq  semaines  seulement)  et  de  de  Lisi(neuf  mois).  Celui-là  est 
d'un  intérêt  tout  particulier,  puisque  c'est  le  plus  court  dans  les  annales 
de  l'affection  et  puisque,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  les  mouvements 
involontaires  étaient  plutôt  toniques  et  variables  que  tremblants  et  régu- 
liers ou  rythmiques. 


Un  des  grands  problèmes  de  la  neurologie  est  de  trouver  une  formule 
précise,  si  cela  est  possible,  pour  décrire  les  différents  types  de  mouve- 
ments involontaires  ;  des  expressions  telles  que  «  mouvements  spasmodi- 
ques»  ou«  spasmes  toniques  »  sontà  vrai  dire  un  peu  vagues.  J'aurai  l'oc- 
casion démontrer  plus  tard  qu'on  peut  établir  deux  catégories  principales 
de  mouvements  involontaires  :  1°  le  tremblement  et  2°  les  mouvements 
choréo-athétoïdes.  Or,  à  propos  de  la  maladie  qui  nous  intéresse,  je 
suis  tout  à  fait  d'avis  que  le  mouvement  involontaire  de  beaucoup  le 
plus  fréquent,  c'est  le  tremblement,  et  que  les  mouvements  choréo-athé- 
toïdes y  sont  exceptionnels.  Il  me  semble  que  ceux-ci  sont  peut-être  plus 
communs  chez  les  malades  dont  les  cas  sont  aigus  (Howard-Royce, 
Gowers,  de  Lisi,  Ormerod).  Ainsi,  Gowers  parle  de  «  slowly  changing 
tonic  or  clonic  spasms  »  d  ;  le  malade  de  Henrici  montra  quelquefois 
«  irregular  purposeless  movements  ofthehands  »-;  à  juger  par  les  pho- 
tographies du  malade  de  Hamilton-Jones,  sa  main  droite  prit  des  atti- 
tudes rappelant  l'athétose,  et  chez  le  malade  de  de  Lisi  on  peut  remar- 
quer aussi  une  attitude"  athétoïde  du  bras  droit.  Même  dans  des  cas 
beaucoup  plus  chroniques,  comme  dans  mon  premier  cas  et  dans  le  cas 
de  Sawyer,  des  attitudes  ou  des  mouvements  athétoïdes  peuvent  se  ren- 
contrer. Mais,  en  général,  un  tremblement  rappelant  celui  delà  para- 
lysie agitante  quant  à  ses  caractères  objectifs,  et  souvent  celui  de  la 
sclérose  en  plaques  quant  à  son  exacerbation  pendant  les  mouvements 


1.  «  De  lents  mouvements  toniques  ou  spasmes   cloniques.  » 

2.  «  Mouvements  des  mains  irréguliers  et  sans  but.  » 


S.  .1.  h.   \\   II   su  \ 


volontaires  caractérise  la  maladie,   et  les   mouvements  choréo-athé- 
toîdes  y  sont  toujours  rares. 


Il  faut  attirer  l'attention,  en  outre,  sur  une  épreuve  de  la  fonction 
hépatique  non  sans  intérêt  pour  notre  sujet.  On  a  remarqué  générale- 
ment que  les  signes  cliniques  de  l'insuffisance  du  foie  font  défaut,  excepté 
un  ictère  initial,  et  j'ai  observé  une  fois  une  hémorrhagie  stomacale  comme 
phénomène  terminal. 

Dans  le  cas  qui  vient  d'être  publié  par  Sjovall  et  Soderbergh  l'ascite 
a  été  observée,  mais  pas  du  tout  pour  la  première  fois,  comme  pensent 
ces  auteurs,  puisque  le  malade  du  cas  5  de  ma  monographie  a  eu  de 
l'ictère,  puis  de  l'ascite.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  si,  en  raison  de  la  sévé- 
rité de  l'affection  hépatique,  lascite  se  rencontre  de  temps  en  temps. 

Dans  tous  les  cas  nouveaux  il  y  aura  lieu  de  faire  l'épreuve  de  la  lévu- 
losurie  alimentaire,  comme  l'ont  employée  Rausch  et  Schilder,  et  d'au- 
tres depuis  lors.  On  donne  de  la  lévulose  par  la  bouche  jusqu'à  cent 
grammes,  et  si  l'on  peut  découvrir  de  la  lévuline  dans  l'urine  de  deux 
à  six  heures  après,  il  est  très  probable,  sinon  absolument  certain,  que 
l'insuffisance  hépatique  existe.  Ainsi,  dans  le  cas  de  Sjovall-Soderbergh, 
où  se  trouva  ultérieurement  une  cirrhose  hépatique  des  plus  typiques, 
on  donna  cent  grammes  de  lévulose  à  huit  heures  du  matin;  à  neuf 
heures  on  a  obtenu  90  ce.  d'urine  sans  sucre;  aune  heure  de  l'après- 
midi  le  cathétérisme  de  la  vessie  retira  230  ce.  d'urine  renfermant 
1,76  0/0  d'une  matière  lévo-rotatoire  fermentant  à  la  levure  ;  à  trois 
heures  de  l'après-midi,  il  n'y  avait  plus  de  sucre. 

II.—  ANATOMIE   PATHOLOGIQUE 

1.  Système  nerveux.— Les  examens  ultérieurs  n'ont  fait  que  con- 
firmer les  premières  descriptions  des  lésions  nerveuses  de  la  maladie. 
Dans  les  cas  typiques,  il  s'agit  d'une  désintégration  plus  ou  moins 
symétrique  et  bilatérale  du  noyau  lenticulaire  qui  intéresse  le  puta- 
men -noyau  caudé  plus  tôt  et  plus  fortement  que  le  globus  pallidus  et 
qui  s'étend  depuis  la  simple  décoloration  ou  l'état  criblé  léger,  avec 
un  peu  de  rétrécissement  en  volume,  avec  perte  du  contour  extérieur 
convexe  normal,  jusqu'à  une  cavitation  complète  du  noyau  avec  nécrose. 
Quelquefois  on  voit  de  petites  cavités  percées  au  milieu  du  no\.ui; 
quelquefois  ces  cavités  ne  sont  pas  limitées  rigoureusement  au  ooyau 


LA  MALADIE  DE  WILSON 


lui-même,  mais  s'étendent  au  delà  de  ses  limites.  Ainsi,  dans  un  cas 
personnel,  il  y  en  avait  une  petite  au  genou  de  la  capsule  interne  et  une 
autre  dans  la  couche  optique,  tandis  que  dans  le  cas  aigu  de  Howard- 
Royce,  elles  étaient  plus  nombreuses  encore,  bien  que  leur  siège  tût 
surtout  sur  le  corps  strié.  D'une  façon  générale  la  désintégration  du  puta- 
men -noyau  caudé  fait  un  contraste  frappant  avec  la  conservation  relative 
de  la  capsule  interne  et  de  la  couche  optique,  etc. 

Au  point  de  vue  microscopique,  il  est  bien  évident  que  le  processus 
pathologique  consiste  en  une  lésion  progressive  du  parenchyme  ner- 
veux du  noyau  et  son  remplacement  par  une  prolifération  névrogli- 
que.  Il  est  très  important  de  se  rappeler  que  cette  prolifération  ne 
remplace  jamais  complètement  le  parenchyme  en  état  de  désinté- 
gration ;  bien  au  contraire,  la  névroglie  fait  défaut  avec  le  temps,  de 
sorte  que  Ton  ne  peut  pas  regarder  cette  prolifération  comme  l'équiva- 
lent d'une  gliomatose  ougliose.  Elle  n'est  qu'une  réaction  provisoire  et 
incomplète  succédant  à  une  dégénération  parenchymateuse  :  cette 
manière  de  voir  a  été  récemment  confirmée  par  les  recherches  histolo- 
giques  de  Bielschowsky  et  Freund.  Quant  à  moi,  je  n'ai  jamais  pu  trou- 
ver les  cellules  névrogliques  géantes  ou  multinucléées,  ou  la  formation 
en  blastomatose  des  cellules  de  névroglie  telles  qu'on  lésa  décrites  quel- 
quefois dans  des  cas  de  la  pseudo-sclérose.  Seulement  Stocker  et  de 
Lisi  les  ont  remarquées  dans  la  dégénération  lenticulaire  progressive 
et,  comme  nous  le  verrons,  ces  altérations  spéciales  ne  sont  palhogno- 
moniques  ni  de  l'un  ni  de  l'autre. 

On  a  décrit,  d'ailleurs,  des  altérations  inconstantes  des  cellules  gan- 
glionnaires de  la  corticalité  et,  plus  généralement,  des  cellules  du  cer- 
velet, de  la  protubérance,  du  bulbe,  etc.,  et  je  les  ai  constatées  moi- 
même,  mais  à  ce  sujet,  il  est  nécessaire  de  faire  quelques  réserves.  En 
interprétant  les  altérations  pathologiques,  on  doit  se  rappeler  que  les 
cellules  nerveuses  réagissent  à  toutes  espèces  de  processus  toxiques,  et 
que  les  modifications  cellulaires  corticales,  par  exemple,  doivent  être 
considérées  à  la  lumière  de  l'histoire  clinique.  Ainsi,  Pollock,  chez  son 
malade,  a  constaté  une  chromatolyse  légère  des  cellules  de  la  corticalité, 
mais  la  mort  a  été  précédée  par  un  état  septicémique  grave  ;  et  le  malade 
de  Pfeiffer  est  mort  d'une  pneumonie  double,  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier 
en  interprétant  les  modifications  cellulaires  corticales  de  son  cas.  En 
outre,  on  sait  bien  que  dans  une  affection  nerveuse  prolongée  quel- 
conque, avec  détérioration  métabolique,  on  peut  rencontrer  de  telles 
altérations  diffuses. 

Je    me    contenterai  de    mentionner   ici    l'absence  de  tout  signe  de 


10  >.  .1.    K.   H  II.S().\ 


lésion  inflammatoire  ou  vasculaire,  de  telle  sorte  qu'on  peut  considérer 
la  dégénération  comme  primaire  au  point  de  vue  de  L'étiologie. 

2.  Lésions  viscérales.  —  Selon  l'opinion  de  la  plupart  des  auteurs, 
la  cirrhose  du  foie,  sans  laquelle  on  ne  peut  admettre  aucun  cas  dans  le 
cadre  de  la  dégénération  lenticulaire  progressive,  résulte  d'un  proces- 
sus inflammatoire,  avec  unv  hyperplasie  subaiguë  ou  chronique  du  tissu 
conjonctifde  l'organe,  accompagné  d'atrophie  et  de  dégénération  paren- 
chymateuse,  de  phénomènes  de  régénération,  et  d'hypertrophie  des 
conduits  biliaires.  Elle  n'est  pas  toujours  accompagnée,  à  ce  qu'il  sem- 
ble, de  nécrose  véritable.  On  ne  peut  donc  pas  confirmer  la  manière 
de  voir  de  Rumpel  qui  admet  un  défaut  de  développement,  ni  celle  de 
Heinrichsdorf  qui  croit  à  une  cirrhose  pigmentaire  consécutive  à  un 
empoisonnement  métallique,  ni  celle  de  Kubitz-Stâmmler,  qui  pensent 
à  une  affection  syphilitique.  Sjôvall-Sôderbergh  nous  ont  donné  une 
belle  étude  et  ont  conclu  que,  malgré  les  différences  des  cas  individuels, 
il  s'agit  toujours  d'un  processus  inflammatoire,  mais  à  un  degré  très- 
variable,  qui  intéresse  le  parenchyme  plus  que  le  tissu  conjonctif  ou 
interstitiel. 

Dans  ma  monographie,  j'ai  insisté  sur  l'hypertrophie  de  la  rate  que 
l'on  avait  observée  quelquefoisau  cours  de  l'affection  (Wilson,  Homen, 
Ormerod)  et  depuis  on  l'a  constatée  plusieurs  fois  (Kubitz-Stâmmler, 
Rausch-Schilder,  Pollock,  von  Economo,  etc.).  Du  reste,  on  doit  dire 
qu'on  ne  l'a  pas  toujours  constatée  même  daqs  des  cas  typiques  (Pfeiffer). 
La  signification  des  altérations  de  la  rate  sera  discutée  dans  le  chapitre 
suivant. 

III.    —     PATHOGÉNIE 

On  a  envisagé  la  pathogénie  de  la  maladie  de  deux  différentes  manières 
jusqu'à  présent  ;  d'après  l'une,  il  s'agit  d'un  défaut  congénital  du  système 
nerveux;  d'après  l'autre,  il  s'agit  d'une  affection  acquise  et  très  proba- 
blement d'origine  toxique. 

Stocker,  Pfeiffer  et  d'autres  auteurs  pensent  que  les  lésions  hépa- 
tique et  cérébrale  sont  indépendantes  l'une  de  l'autre,  et  que  chacune 
est  le  résultat  d'un  «  Anlagefehler  »  '.  Pfeiffer  admet  qu'on  n'a  pu  trouver 
aucun  fait  probant  à  l'appui  de  cette  hypothèse;  Stocker,  de  son  côté, 
ayant  trouvé  chez  son  malade  des  lésions  analogues,  à  son  avis,  à  celles 
qu'ont  décries  récemment  Hôsslin  et  Alzheimerdansla  pseudo-sclérose, 
les  considère  comme  caractéristiques  de  leur  nature  congénitale  sem- 
blable à  celle  de  la  sclérose  tubéreuse. 

1.  «  Vice  du  germe.  » 


LA  MALADIE  DE  WILSON  11 

Par  opposition  à  ces  faits,  j'attache  la  plus  grande  importance  aux  cas 
aigus  de  Gowers,  Ormerod,  von  Economo  et  Howard-Royce.  Dans 
six  cas  au  moins  la  sévérité  et  le  cours  rapide  de  l'affection,  les  pertur- 
bations profondes  du  métabolisme,  la  fièvre  et  l'amaigrissement,  tout 
nous  oblige  à  rejeter  l'hypothèse  d'une  lésion  congénitale  et  à  l'attribuer 
seulement  à  un  processus  toxicpie  ou  toxi-infectieux. 

Laissant  de  côté  l'appui  important  fourni  par  ces  cas  aigus  à  la  théorie 
toxique,  on  peut  signaler  encore  la  variabilité  remarquable  des  symp- 
tômes (Gowers,  Homen,  Ormerod,  Wilson,  von  Economo,  Hamilton- 
Jones),  ce  qui  plaide  encore  en  faveur  d'une  origine  toxique  pour  l'affec- 
tion. Cette  variabilité  a  été  tellement  prononcée  que  l'on  a  même  pensé 
par  erreur  à  une  affection  hystérique  (Ormerod,  von  Economo,  Hamil- 
ton-Jones).  La  vraie  analogie,  c'est  la  variabilité  de  la  sclérose  en  pla- 
ques, qui  est  une  maladie  d'ordre  toxique.  Les  symptômes,  d'ailleurs,  de 
l'empoisonnement  chronique  par  le  manganèse  offrent  des  analogies 
avec  le  syndrome  delà  dégénération  lenticulaire  (Seelert). 

Au  point  de  vue  anatomo-pathologique,  tandis  que  tous  les  auteurs 
sont  d'accord  sur  l'absence  définitive  des  lésions  inflammatoires  (une 
infection  microbienne  fortuite  agonique  exceptée),  le  trait  saillant  estime 
dégénération  parenchymateuse  en  masse,  soit  aiguë  ou  subaiguë,  soit 
chronique,  de  tous  les  éléments  constituants  du  putamen-noyau  caudé. 
Les  fragments  de  la  désintégration  neurale  sont  enlevés  par  des  Korn- 
chenzellen  et  par  des  cellules  névrogliques  amiboïdes,  et  le  remplace- 
ment névroglique  lui-même  est  interrompu  par  une  cavitation.  Ainsi  le 
processus  morbide  est  bien  analogue  à  celui  de  certaines  affections  ner- 
veuses toxiques  telles  que  la  dégénération  subaiguë  combinée  de  la 
moelle  épinière,  la  pellagre,  etc.,  et  il  est  tout  à  fait  différent  de  la  gliose 
ou  gliomatose  primaire  telle  qu'on  l'a  observée  dans  quelques  cas  récents 
de  la  pseudo-sclérose. 

On  peut  maintenant  se  demander  quelles  sont  la  nature  et  l'origine 
de  la  toxine  incriminée  dont  la  présence  comme  agent  morbide  est 
attestée  par  des  faits  cliniques  et  pathologiques. 

La  syphilis  est  définitivement  hors  de  cause  en  raison  des  réactions 
de  Wassermann  négatives  dans  le  sang  et  le  liquide  céphalo-rachidien, 
et  cette  affirmation  ne  peut  pas  être  invalidée  par  une  ou  deux  excep- 
tions (Kubitz-Stâmmler)  ;  on  doit  les  regarder  comme  étiologique- 
ment  accidentelles. 

Or,  en  raison  de  l'hépatite  constante  même  dans  les  cas  aigus  où  les 
noyaux  lenticulaires  sont  à  peine  touchés,  en  raison  des  lésions  fré- 
quentes de  la  rate,  étant  donné  l'absence  d'aucune  altération  semblable 


12  S.  A.  K,  u  il  so\ 


dans  les  autres  viscères,  étant  donné,  enfin,  les  cas  où  l'ictère  a  été  le 
premier  symptôme  (comme  chez  une  de  mes  malades  dont  l'histoire  est 
rapportée  ici),  il  est  permis  de  conclure  que  la  toxine  est  d'origine  ali- 
mentaire ou  intestinale. 

Ainsi  chez  le  malade  de  von  Eeonomo  des  symptômes  gastro- 
intestinaux (un  peu  vagues,  il  est  vrai)  ont  précédé  l'appari- 
tion des  symptômes  nerveux  ;  un  des  malades  de  Bostrôm  était 
atteint  d'un  catarrhe  intestinal  chronique  ;  chez  le  malade  de  Sjôvall- 
Sôderbergh  on  trouva  à  l'autopsie  une  lésion  tuberculeuse  et  fibreuse 
du  côlon  ascendant  très  prononcée,  surtout  delà  sous-muqueuse  etaussi 
les  signes  d'une  inflammation  chronique  intestinale  et  d'une  réaction 
inflammatoire  rétro-péritonéale.  Comme  dans  la  cirrhose  de  Laënnec, 
les  lésions  concomitantes  du  foie  et  de  la  rate  plaident  en  faveur  d'une 
entérotoxine,  dont  la  nature  encore  nous  échappe.  D'autre  part,  vu  les 
cas  nombreux  de  cirrhose  sans  symptômes  nerveux,  et  les  cas  égale- 
ment nombreux  de  toxémie  intestinale  sans  cirrhose,  l'entérotoxine 
hypothétique  doit  être  «  sui  generis  ».  En  partageant  largement  mon 
avis,  Sjôvall-Sôderbergh  ont  bien  résumé  les  débats  ainsi  qu'il  suit  : 
«  It  is  conceivable  that  intestinal  affections  of  différent  ctiology  may pro- 
duce a  quite  definitebut  at  présent  unknown  poison,  whieheither  causes 
cérébral  lésions  by  way  ofthe  liver  and  spleen,  or  else  from  the  begin- 
nirig  bas  an  afïinity  to  ail  thèse  organs...  It  seems  dilïicult  to  get  away 
from  an  endogenous  factor,  consisting  in  a  certain  chemical  disposi- 
tion in  liver  (and  brain)  to  the  hypothetical  intestinal  poison  '.  » 


Reste  à  discuter  une  dernière  question,  celle  de  la  limitation  très 
particulière  de  la  nécrose  ou  du  ramollissement  au  noyau  lenticulaire, 
en  opposition  avec  la  conservation  relative  des  autres  noyaux  gris  cen- 
traux. Comment  expliquer  cette  action  élective  de  la  toxine  ?  Puisque 
le  corps  strié  est  irrigué  par  trois  sources  vasculaires  différentes,  on  ne 
peut  pas  expliquer  la  limitation  particulière  à  ce  noyau  par  la  distribu- 
tion vasculaire,  à  moins  (pie  l'on  ne  puisse  démontrer  une  disposition 
anatomique  spéciale  des  vaisseaux  lenticulo-striés  et  lenticulo-optiqucs. 

1.  "  On  peut  concevoir  que  les  affections  intestinales  de  causes  diverses  peuvent  pro- 
duire un  poison    parfaiteme.nl  défini    mais   encore  inconnu  qui  détermine  des  lésions 

cérébrales  par  l'intermédiaire  du  foie  et  de  la  raie  ou  bien  qui  a,  clés  le  début,  une 
affinité  pour  tous  ces  organes  II  parait  difficile  de  s'écarter  d  un  l'acteur  endogène 
consi  tant  dans  une  certaine  disposition  chimique  dans  le  foie  (et  le  cerveau  pour  le 
poison  intestinal  bypothélique.  » 


LA  MALADIE  DE   WILSON 


13 


Fitf  6.  -  Coupe  du  cerveau  d'un  cas  de  1  empoisonnement  par  l'oxyde  de  «aibone  (CO).  pour  montrer 
le  r.imolli&senicnt  à  peu  prrs  symétrique  des  deu*  globus  'pallidus.  Je  dois  cette  préparation  à  la 
bienveillance  de  mon  regretté  maître  Horsley. 


On  peut,  à  ce  propos,  se  reporter  aux  travaux  de  Ayer  et  de  Aitken, 
d'après  lesquels  une  artère  (l'artère  de  Heubnerj  se  détache  de  l'artère 
cérébrale  antérieure  et  se  dirige  en  arrière  et  en  haut  pour  ga- 
gner le  noyau  caudé  et   la  partie  antérieure  du   putamen.   En    raison 


1  i  S.  A.  K.  WILSON 


de  sa  longueur  et  de  sa  distribution  spéciale  le  sang  court  un  peu  contre 
K- courant  normal,  d'où  une  tendance  à  la  stase  et  à  la  thrombose  dans 
ses  branches  terminales.  Mais  on  peut  affirmer  d'une  façon  définitive 
qu'aucune  hypothèse  vasculaire  ne  peut  expliquer  l'action  élective  sui- 
tes noyaux  gris  centraux,  tout  en  admettant  que  c'est  par  la  voie  vascu- 
laire que  la  toxine  y  est  portée.  La  dégénération  hyaline  des  vaisseaux 
du  noyau  n'est  que  secondaire,  à  mon  avis,  et  je  ne  peux  pas  partager 
l'opinion  de  Bostrom  que  des  altérations  vasculaires  primaires  et  une 
formation    vasculaire   réparatoire  l'ont   partie  du  processus  morbide. 

A  ce  sujet,  je  désire  attirer  l'attention  sur  les  faits  très  particuliers 
de  l'empoisonnement  aigu  par  l'oxyde  de  carbone  (CO)  (Dana, 
Stewart).  On  connaît  depuis  longtemps  déjà  l'affinité  de  ce  gaz  pour  les 
noyaux  lenticulaires,  et  une  belle  étude  pathologique  de  Stewart  en  a 
mis  en  lumière  le  processus  pathogénique.  Cet  auteur  a  trouvé,  dans 
un  cas  typique,  d'abord  une  zone  de  ramollissement  cortical  rigoureu- 
sement limitée  aux  couches  profondes  où  se  trouve  précisément  le  réseau 
capillaireleplusconqilique.il  ne  l'attribue  pas  à  l'anoxhémie,  mais  à 
l'affinité  des  toxines  exogènes  pour  les  parties  les  plus  vasculaires  du 
système  nerveux,  et  à  l'action  de  thrombus  hyalins  dans  les  capil- 
laires. Il  ne  peut  pas  ainsi  expliquer,  d'autre  part,  l'action  très  élec- 
tive de  l'oxyde  de  carbone  sur  les  noyaux  lenticulaires,  puisque  les 
autres  masses  grises  centrales,  qui  ont  à  peu  près  la  même  disposition 
vasculaire,  ne  sont  pas  touchées,  ou  à  peine,  et  il  est  forcé  de  conclure 
que  l'oxyde  de  carbone  montre  une  affinité  pour  la  matière  grise  des 
noyaux  lenticulaires.  Ainsi  il  n'a  pu  trouver  aucun  ramollissement  ni  du 
noyau  caudé  de  ni  la  couche  optique,  tandis  qu'il  y  avait  des  ramollis- 
sements bien  visibles  à  l'œil  nu  dans  le  globus  pallidus  des  deux 
côtés.  (Fig.  6.) 

Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  l'analogie  également  suggestive  cpie 
fournit  l'ictère  grave  familial  des  nouveau-nés,  dont  j'ai  parlé  en  détail 
dans  ma  monographie.  Il  est  bien  évident,  à  mon  avis,  (pie  l'hypothèse 
d'une  action  élective  de  l'entérotoxine  encore  inconnue  delà  maladie  n'a 
rien  d'invraisemblable,  et  qu'il  va  d'autres  états  morbides  où  on  ne 
peut  expliquer  les  phénomènes  pathologiques  que  par  l'hypothèse,  d'un 
rapport  spécial  chimique  ou  biochimique  entre  la  toxine  et  les  tissus  du 
corps  strié. 

IV.     -  DIAGNOSTIC 

Il  n'y  a  que  deux  affections  nerveuses  dont  j'aie  à  parler  au  point  île 
vue  du  diagnostic  ;  ce  sont  la  pseudo-sclérose  et  le  torsion-spozmus. 


LA  MALADIE  DE  WILSON 


Dans  un  travail  sur  les  maladies  des  noyaux  gris  centraux  que  je 
viens  de  publier  dans  le  American  Oxford  System  ofMedicine  j ai  donné 
un  résumé  assez  complet  de  l'histoire  de  la  pseudo-sclérose,  ce  qui  est 
d'autant  plus  nécessaire  qu'on  a  supposé  que  la  pseudo-sclérose,  et  la 
dégénération  lenticulaire  progressive  ne  sont  que  deux  manifestations 
morbides  de  la  même  affection  nerveuse.  Ainsi  il  n'est  pas  nécessaire 
d'insister  encore,  mais  seulement  de  rappeler  que  parmi  les  cas 
décrits  par  Westphal  et  plus  tard  par  Strùmpell  sont  englobés  les  états 
morbides  des  plus  divers,  qui  n'avaient  presque  aucune  .valeur  pour  la 
description  d'un  tableau  clinique  distinct,  et  que  cette  affection  était 
définitivement  orientée  vers  la  sclérose  cérébrale  diffuse,  c'est-à-dire 
vers  un  état  morbide  caractérisé  par  un  durcissement  et  une  fermeté 
des  tissus  nerveux.  Ainsi,  par  exemple,  Potts  et  Spiller  ont  dit 
en  1805  que  «  sharp  distinction  between  the  findings  of  pseudo-sclero- 
sisand  those  of  diffuse  sclerosis  cannot  be  made,  and  that  the  diffé- 
rences are  probably  chiefly  in  the  degree  of  the  altération  and  not  in 
its  character  '  ».  De  plus,  ce  qui  est  de  la  plus  grande  importance,  on 
n'avait  jamais  noté  ni  décrit  la  cirrhose  hépatique  dans  cette  mala- 
die ;  Strùmpell,  par  exemple,  dit  à  propos  d'un  de  ses  cas  de  pseudo- 
sclérose que  les  viscères  ont  montré  «  nichts  bemerkenswerthes  2  ». 
Ainsi  la  cirrhose  comme  une  partie  intégrante  de  la  maladie  n'était 
même  pas  soupçonnée.  En  juillet  1911,  j'ai  soutenu  ma  thèse  à  l'Univer- 
sité d'Edimbourg  et  j'ai  donné  la  première  description  de  la  dégénéra- 
tion lenticulaire  à  la  Société  de  Neurologie,  à  Londres,  un  peu  de  temps 
avant.  En  1911  et  1912,  Vôlsch  et  Fleischer  ont  publié  des  cas  qu'ils  ne 
pouvaient  pas  bien  classer,  mais  qu  ils  supposaient  être  analogues,  mais 
pas  identiques,  à  la  pseudo-sclérose,  et  dans  ces  cas  on  a  remarqué 
pour  la  première  fois  une  cirrhose  hépatique.  Dès  lors,  on  a  observé 
une  tendance  curieuse  à  changer  entièrement  la  première  conception  de 
la  pseudo-sclérose,  à  en  ignorer  les  cas  nombreux  sans  aucune  cirrhose, 
et  à  prétendre  que  cette  altération  viscérale  fait  partie  de  la  pseudo-sclé- 
rose telle  que  l'ont  décrite  Westphal  et  Strùmpell.  Pour  établir  l'exac- 
titude historique,  il  était  nécessaire  de  faire  ce  petit  résumé  d'après 
lequel  on  peut  juger  que  la  pseudo-sclérose  de  ceux  qui  pensent  que 
la  dégénération  lenticulaire  progressive  ne  peut  en  être 'distinguée  est 
bien  différente  de  celle  de  Westphal  et  Strùmpell,  dans  laquelle  la  cir- 

1.  «  Une  distinction  précise  entre  les  constatations  de  la  pseudo-sclérose  et  et  lies  de 
la  sclérose  diffuse  ne  peut  être  faite,  et  que  les  différences  sont  probablement  sur- 
tout dans  le  degré  des  altérations  et  non  dans  leur  caractère.  » 

2.  «  Kien  de  remarquable.  » 


18  S.  A.  A.  \\  ll.s<>.\ 


rhose  hépatique  manqua  (un  des  cas  de  Strùrapell  était  bien  syphilitique 
avec  une  cirrhose  syphilitique)  ;  Fleischer,  même,  a  publié  son  cas 
(1912)  sous  le  titre  tl'  «  einebisher  unbekarnte  Knankheit  '  ». 

Quant  à  moi,  depuis  ma  première  communication  sur  le  sujet,  j'ai 
toujours  soutenu  que  seulement  les  cas  de  la  pseudo-sclérose  avec 
des  altérations  hépatiques  cirrhotiquessont  à  rapprocher  de  la  dégénéra- 
tion lenticulaire,  de  laquelle,  néanmoins,  ils  peuvent  à  mon  avis  être 
différenciés.  Le  tableau  clinique  de  celle-ci  est  bien  net,  mais  les  cas 
mis  par  les  auteurs  dans  la  catégorie  de  la  pseudo-sclérose  sont  assez 
souvent  bien  différents  de  la  conception  «  classique  ». 

Ainsi,  par  exemple,  Oppenheim  a  publié  en  1914,  sous  le  titre  de 
pseudo-sclérose,  l'observation  d'un  jeune  homme  de  29  ans,  qui  était 
atteint  de  tremblement,  dysartbrie,  pigmentation  verte  de  la  cornée, 
sans  aucune  rigidité  des  muscles,  aucune  épilepsie,  aucunes  crises 
apoplectiques  et  aucuns  troubles  mentaux.  Par  contre,  on  peut  citer  le 
cas  de  Rauscb  et  Schilder,  où  les  principaux  symptômes  étaient  du 
tremblement,  de  l'ataxie,  de  la  diadococinésie,  une  démanche  titu- 
bante, des  troubles  des  mouvements  oculaires,  de  l'hyperestbésie  cu- 
tanée, et  un  tonus  musculaire  normal.  Un  tel  cas  diffère  in  loto  non 
seulement  de  la  dégénération  lenticulaire,  mais  même  des  descriptions 
premières,  de  Westphal  et  Strùmpell.  De  même,  les  cas  décrits  par 
Spiller  sous  le  titre  de  pseudo-sclérose  familiale  ne  présentant  ni  épi- 
lepsie ni  crises  apoplectiques,  n'avaient  aucuns  troubles  mentaux  et, 
en  effet,  avaient  la  plus  grande  ressemblance  avec  la  maladie  de  Par- 
kinson.  D'autre  part,  les  cas  dits  typiques,  comme  celui  de  Hôsslin  et 
Alzheimer,  doivent  présenter  uneparésie  spasmodique  des  membres, 
de  la  dysartbrie,  du  tremblement,  des  attaques  épileptiques  fréquentes 
et  fortes,  des  crises  apoplectiformes,  des  troubles  psychiques  défini- 
tifs. 

Ainsi  il  faut  admettre  que  l'on  ne  peut  pas  préciser  avec  exactitude 
le  tableau  clinique  delà  pseudo-sclérose,  à  ce  qu'il  ressort  des  descrip- 
tions des  auteurs  eux-mêmes. 

La  pigmentation  en  vert  du  bord  de  la  cornée  est  d'un  intérêt  consi- 
dérable :  on  l'a  remarquée  dans  plusieurs  cas  de  la  pseudo-sclérose, 
mais  autant  que  je  sache,  dans  deux  cas  seulement  de  la  dégénération 
lenticulaire  progressive  (PollocU,  Sjôvall-Sôderbergh).  Elle  a  manqué 
plus  souvent  dans  toutes  les  deux  affections,  de  sorte  qu'on  ne  peut  pas 
la  considérer  comme  pathognomonique  ni  de  l'une  ni  de  l'autre. 


1.  «  Une  maladie  jusqu'ici  inconnue,  » 


LA  MALADIE  DE  WILSON  17 

Nous  venons  de  voir,  en  outre,  que  les  attaques  épileptiques,  les 
crises  apoplectiformes,  les  perturbations  d'origine  mentale,  l'hyper- 
tonicité  musculaire  même,  peuvent  faire  défaut  dans  des  cas  de 
pseudo-sclérose  ;  seuls  les  mouvements  involontaires  restent  comme 
symptôme  cardinal.  Une  telle  conception  nosologique  est  très  peu  sa- 
tisfaisante, et  a  besoin  d'être  revisée. 

Au  point  de  vue  anatomo-pathologique  on  a  peut-être  raison  de  né- 
gliger les  cas  déjà  anciens,  vu  les  inconvénients  des  recherches  histo- 
logiques  d'autrefois.  En  utilisant  les  méthodes  modernes,  Hosslin  et 
Alzheimer  ont  trouvé,  dans  la  corticalité,  la  couche  optique,  le  corps 
strié,  la  protubérance,  le  cervelet,  le  bulbe,  des  cellules  névrogliques 
géantes  et  multinucléées,  de  grands  corps  plasmoïdessans  fibrilles,  qui 
sont  quelquefois  reliés  l'un  à  l'autre  par  des  «  ponts  »  plasmiques,  et 
des  «  restes  »  de  plasma  au  voisinage  des  cellules  névrogliques,  avec  de 
petits  points  basophiles.  Dans  le  nouveau  cas  de  Westphal  les  altéra- 
tions n'étaient  pas  tellement  marquées,  puisque  les  cellules  géantes 
et  les  corps  plasmiques  faisaient  défaut.  Or,  tout  en  acceptant  une 
telle  anatomie  pathologique  pour  la  pseudo-sclérose  telle  qu'on  veut 
l'imaginer  aujourd'hui,  il  est  bien  évident  qu'il  s'agit  ici  d'un  pro- 
cessus morbide  qui  montre  une  différence  fondamentale  avec  celui  de 
la  dégénération  lenticulaire  progressive,  comme  l'ont  très  bien  démon- 
tré Bielschowsky  et  Freund.  Les  altérations  anatomiques  de  la 
pseudo-sclérose  participent  de  la  nature  d'une  formation  générale 
gliomateuse,  ou  d'une  blastomatose  probablement  d'ordre  congénital, 
et  si  le  parenchyme  nerveux  est  pris,  c'est  d'une  façon  secondaire, 
tandis  que  dans  la  dégénération  lenticulaire,  comme  montrent 
tous  les  examens  histologiques.  il  s'agit  d'une  désintégration  paren- 
chymateuse  primaire,  limitée  d'abord  au  moins  au  putamen,  avec 
une  prolifération  névroglique  simplement  secondaire  et  toujours  in- 
complète. Il  serait  erronné  alors,  de  supposer,  comme  le  font  plu- 
sieurs auteurs,  que  les  deux  affections  diffèrent  l'une  de  l'autre,  seule- 
ment parce  que  dans  la  maladie  lenticulaire  les  altérations  sont  con- 
finées au  corps  strié,  tandis  que  dans  la  pseudo-sclérose  elles  sont 
répandues  dans  le  névraxe.  Les  modifications  névrogliques  de  la 
pseudo-sclérose  ressemblent  à  celles  de  la  sclérose  tubéreuse  et  à 
celles  de  la  sclérose  cérébrale  diffuse,  beaucoup  plus  étroitement  que 
celles  de  la  maladie  dite  de  Wilson. 

D'ailleurs,  les  anomalies  névrogliques  de  la  pseudo-sclérose  n'ont 
rien  de  spécifique,  puisque  Jakob  a  trouvé  des  altérations  semblables 
dans  quelques  cas  d'épiïepsie  idiopathique   et,  comme  je  viens  de  le 

COKFÉH      NKIJIOL.  2 


IS  S.A.K.W  il  SO  \ 


dire,  elles  sont  analogues  à  celles  de  la  sclérose  tubéreuse  et  de  la 
sclérose  diffuse.  Dans  un  des  cas  de  pseudo-sclérose  de  Strûmpell  les 
lobes  occipitaux  étaient  «  durs  comme  cuir  »,  ce  qui  est  tout  à  fait  étran- 
ger à  l'anatomie  pathologique  de  la  dégénération  lenticulaire. 

S'il  est  difficile  de  comprendre  les  rapports  entre  les  lésions  hépa- 
tiques et  la  dégénération  du  corps  strié,  il  est  encore  plus  difficile 
d'exprimer  d'une  façon  satisfaisante  les  relations  de  celles-là  avec  la 
prolifération  névrotique  primaire  de  la  pseudo-sclérose,  du  moins  jus- 
qu'à ce  que  nous  soyons  plus  instruits  sur  les  agents  morbides  qui 
donnent  naissance  à  ce  processus. 

Quant  au  lorsion-spasmus,  maladie  nouvelle  encore  assez  mal  diffé- 
renciée, tout  ce  que  j'ai  à  en  dire,  c'est  qu'on  n'a  fait  l'examen  anato- 
mique  que  d'un  seul  cas  jusqu'à  présent,  celui  de  Thomalla.  Dans  ce 
cas,  on  a  trouvé  une  lésion  bilatérale  du  putamen  bien  comparable  à 
celles  de  la  dégénération  lenticulaire,  et  aussi  une  cirrhose  du  foie.  J'ai 
lu  avec  grand  soin  et  les  descriptions  de  Thomalla  et  celle  de  l'examen 
anatomo-pathologique  du  cas  que  vient  de  publier  M.  Vogt,  de  Berlin,  et 
je  dois  dire  que  je  partage  l'avis  de  Mendel,  selon  lequel  il  s'agit  tout 
simplement  d'un  cas  subaigu  soit  de  la  maladie  que  j'ai  décrite,  soit  de 
pseudo-sclérose.  C'est  l'occasion  pour  moi  de  constater  que  l'allure 
clinique  du  cas  de  Thomalla  est  bien  semblable  à  celle  de  quelques- 
uns  des  cas  déjà  anciens  de  la  dégénération  lenticulaire  et  que  les  sym- 
ptômes cliniques,  la  dysarthrie  allant  jusqu'à  une  anarthrie  presque 
complète,  la  sialorrhée.  la  bouche  demi-ouverte,  etc.,  sont  bien  analo- 
gues à  ceux  des  cas  aigus  de  cette  affection.  Le  type  même  de  mouve- 
ment involontaire,  à  ce  qu'il  parait,  n'est  pas  très  différent  des  «  tonic 
and  clonic  spasms  of  the  cohole  body  *  »  des  cas  de  Gowers. 

V.    -   PHYSIOLOGIE    PATHOLOGIQUE 

Les  questions  difficiles  et  compliquées  de  la  physiologie  patholo- 
gique des  symptômes  moteurs  tels  que  la  rigidité  musculaire  et  les  mou- 
vements involontaires  auraient  besoin  d'une  investigation  beaucoup 
plus  minutieuse  (pie  celle  que  je  peux  esquisser  ici  dans  cette  confé- 
rence, et  qu'il  faut  réserver  pour  une  autre  occasion,  ,1e  me  borne  au- 
jourd'hui à  quelques    considérations  générales    sur    les    mouvements 

1.  «  Spasmes  ioniques  et  classiques  de  tout  le  corps  ". 


LA  MALADIE  DE  WILSON  \9 

involontaires  tels  qu'on  les  constate  dans  le   syndrome  du  corps  strié. 

1.  Comme  je  l'ai  soutenu  il  y  a  longtemps  déjà,  on  peut  diviser  les 
mouvements  involontaires  qui  nous  intéressent  en  deux  principales 
catégories  :  a)  le  tremblement  et  b)  la  choréo-athétose.  Celui-là  est  un 
mouvement  d'un  ordre  différent  de  celui-ci  et  doit  avoir  aussi  une 
pathogénie  différente.  Sans  répéter  ici  les  considérations  que  j'ai  déjà 
avancées  ailleurs,  je  veux  dire  simplement  que  le  tremblement  est  un 
«  release-phenomenon  »  1  et  ne  peut  pas  être  considéré  comme  un  mou- 
vement d'excitation.  On  ne  peut  point  expliquer  le  tremblement  de  la 
maladie  de  Parkinson,  qui  dure  des  années,  par  une  excitation  perpétuelle 
quelconque.  Or,  la  lésion  de  la  dégénération  lenticulaire  est  une  lésion 
destructive  et  par  conséquent  elle  n'est  pas  du  tout  la  cause  directe  du 
tremblement  ;  elle  permet  au  tremblement  de  se  développer,  en  suppri- 
mant, à  ce  qu'on  peut  supposer,  une  influence  inhibitoiresur  des  centres 
situés  plus  bas.  Mais,  tandis  que  le  tremblement  est  le  mouvement  invo- 
lontaire commun  qui  résulte  des  lésionsdela  dégénération  lenticulaire, 
il  faut  insister  sur  ce  fait  qu'il  peut  apparaître  comme  conséquence  des 
lésions  éloignées  des  noyaux  gris  centraux,  des  lésions  mésencépha- 
liques  (Holmes,  Marburg),  cérébelleuses  (Klien,  Pfeifer),  etc.  Evidem- 
ment le  corps  strié  n'est  pas  le  seul  siège  des  lésions  qui  déterminent 
cliniquement   le  tremblement. 

Ainsi  on  est  amené  à  chercher  une  explication  qui  pourra  comprendre 
le  tremblement  d'origine  extra-striée. 

Pour  l'athétose  et  la  chorée,  les  mêmes  considérations  sont  valables, 
puisque,  le  corps  strié  mis  à  part,  on  les  a  trouvées  dans  des  cas  de 
lésion  de  la  couche  optique,  du  cervelet,  du  pédonculecérébelleux  supé- 
rieur (Bindearmchorea)  -  du  noyau  rouge,  etc. 

2.  Il  semble,  alors,  que  le  problème  de  la  pathogénie  des  mouve- 
ments involontaires  est  bien  loin  d'être  simple,  et  il  me  semble  que 
l'attribution  de  l'hyperkinésie  aux  seules  lésions  du  corps  strié  n'en 
fournit  aucune  explication  suffisante.  Dans  le  syndrome  du  corps  strié 
tel  que  je  l'ai  énoncé  moi-même,  les  mouvements  involontaires  prennent 
une  place  prépondérante,  et  M.  et  Mme  Vogt  aussi,  dans  leur  dernière 
et  très  intéressante  communication,  ont  une  fois  de  plus  souligné  le  rôle 
essentiel  de  ces  mouvements   dans  le   syndrome.  Mais  je  ne    peux   pas 


1.  «  Phénomène  de  relâchement.  » 

2.  «  Chorée  de  pédoncule  cérébelleux  supérieur.  » 


2  >  S.    l.  K.  WILSO  \ 


admettre  que  le  tremblement  ou  la  choréo-athétose  soient  la  propriété 
spéciale  du  corps  strié,  et  je  ne  peux  pas  partager  l'avis  de  ces  auteurs 
lorsqu'ils  parlent  d'un  «  syndrome  du  corps  strié  d'origine  thala- 
mique  »,  etc.,  pour  expliquer,  par  exemple,  des  cas  d'à  thétose  associée  à 
une  lésion  de  la  couche  optique.  Cela  me  semble  mettre  un  peu  de  con- 
fusion dans  la  question.  Est-il  vraiment  légitime  de  parler  d'un  syn- 
drome du  corps  strié  d'origine  cérébelleuse,  mésencéphalique,  pédon- 
culaire  ?  J'en  doute  beaucoup.  Il  faut  chercher  une  explication  plus 
compréhensive,  pour  l'athétose,  comme  je  l'ai  déjà  essayé  dans  ma 
monographie. 

3.  Une  des  plus  grandes  dillicultés  de  la  question  est  de  trouver  un 
éclaircissement  de  ce  l'ait  curieux  et  paradoxal,  à  ce  qu'il  me  semble, 
que  des  lésions  de  même  siège  provoquent  quelquefois  un  tremblement 
et  quelquefois  une  choréo-athétose  ;  tout  au  moins  il  semble  en  être  ainsi. 
Ainsi  j  ai  déjà  constaté  qu'un  tremblement  analogue  à  celui  de  la  ma- 
ladie de  Parkinson  est  le  mouvement  involontaire  le  plus  commun 
dans  la  dégénération  lenticulaire  progressive,  mais  en  même  temps, 
chez  les  malades  dont  les  cas  sont  aigus,  on  a  noté  plusieurs  fois  des 
mouvements  rappelant  davantage  ceux  de  l'athétose,  comme  je  l'ai  dit 
plus  haut. 

M.  et  Mme  Vogt  ont  compris  dans  leur  syndrome  du  corps  strié 
«  Spasmus  mobilis,  choreatische  und  athetotische  Bewegungen, 
Zittern...  '  »  sans  aucun  essai  de  les  différencierai!  point  de  vue  patho- 
génique  Ces  auteurs  disent  seulement  que  toutes  les  hvperkinésies 
qui  résultent  des  lésions  du  corps  strié,  «  substriàrer  Natursind  »  2,  et 
qu'ils  ignorent  «  welche  Momente  dabei  den  speziellen  Charakter  der 
Hyperkinese  im  einzelnen  Fallbestimmen...  Nureine  Tatsache  scheint 
aus  den  bisherigen  Beobachtungen  hervorzugehen  ;  dass  angeborene 
oder  in  den  ersten  Lebensjahren  àuftretende  Schâdigungen  des  Slria- 
tum  die  Tendenz  haben,  unter  den  Hyperkinesen  athetotische  Bewe- 
gungen /u  zeitigen  »  3,  une  conclusion  qui  ne  nous  aide  point  à  com- 
prendre les  mouvements  athétoïdesde  quelques  cas  aigus  d'une  maladie 
certainement  toxique  et  acquise  '■  la  dégénération  lenticulaire  progressive. 

1.  «Spasme  mobile,  mouvements  ehoréiqueset  athélosiques    tremblements...  » 

2.  «  Sont  de  nature   sons  striée  ». 

3.  «  Quels  facteurs  déterminent  tes  caractères  spéciaux  de  l'byperkinésie  dans  un  cas 
donné  .  l'n  seul  l'ait  parait  ressortir  des  observations  laites  jusqu'ici,  c'est  que  les 
légions  congénitales  du  striatum  eu  se  produisant  dans  les  première!  années  de  la  vie 
oui  tendance,  parmi  les  hvperkinésies,  à  produire  les  mouvements  athétoldes.  i 


LA  MALADIE  DE  WILSON  21 


A  mon  avis,  il  est  inconcevable  qu'une  lésion  d'un  mécanisme  spéci- 
fique anatomo-physiologique  puisse  produire  parfois  un  tremblement, 
parfois  une  athétose  ou  une  cborée,  et  la  seule  hypothèse  qui  m'attire, 
c'est  qu'il  y  a  deux  mécanismes  différents  pour  le  tremblement  et  pour  la 
ehoréo-athétose  ;  et  si,  comme  on  doit  l'admettre,  une  lésion  du  corps 
strié  se  traduit  parfois  par  un  tremblement  et  parfois  par  une  athétose, 
cela  peut  s'expliquer  par  une  action  dynamique  variable  sur  des  méca- 
nismes différents  associés  physiologiquement  aux  systèmes  neuraux  de 
cet  organe.  J'ai  déjà  exposé  ailleurs  des  arguments  plaidant  en  faveur 
de  cette  hypothèse. 

Dans  une  récente  communication  à  la  Société  de  Neurologie,  j'ai 
essayé  de  jeter  une  lumière  sur  le  problème  de  la  pathogénie  des  mouve- 
ments involontaires  en  étudiant  les  phénomènes  de  la  décérébration 
physiologique  chez  l'homme,  et  j'ai  montré  les  rapports  étroits  entre 
les  attitudes  athétoïdes  et  celles  de  la  rigidité  décérébrée.  Or,  dans  la 
décérébration  par  transsection  mésencéphalique  physiologique,  les 
corps  striés  n'existent  plus,  pour  ainsi  dire,  de  sorte  que  les  attitudes 
athétoïdes  ne  peuvent  être  produites  que  par  d'autres  centres  qui  per- 
sistent. Le  problème  des  rapports  entre  le  corps  strié  et  les  centres  més- 
encéphaliques  et  cérébello-mésencéphalo-protubérantiels  est  encore  à 
résoudre.  Aussi  dois-je  laisser  de  côté  aujourd'hui  beaucoup  de  ce  que 
je  pourrais  dire  sur  ce  sujet  d'un  si  grand  intérêt  neurologique  qui  est 
la  pathogénie  des  mouvements  involontaires  et  leurs  rapports  avec  le 
tonus  musculaire  '. 

1.  Depuis  la  date  de  celle  leçon  (juin  1921)  a  paru  la  belle  monographie  de 
H  -C.  Hu.l  (de  Copenhague)  sur  la  dégénérescence  hépato-lenticulaire,  ou  on  peut 
trouver  tout  ce  qu'il  y  a  de  nouveau  sur  la  question.  Je  me  borne  actuellement  a 
attirer  l'atlention  sur  ce  travail. 


DEUXIEME  CONFÉRENCE 


M.  le  D'  Ch.  CHATELIN, 

Chef  de  clinique  des  maladies  nerveuses  à  la  Faculté  de  médecine. 

LES    TUMEURS    CÉRÉBRALES 


Messieurs, 

Il  ne  saurait  s'agir  en  une  seule  leçon  d'aborder  d'une  manière 
détaillée  l'étude  des  tumeurs  cérébrales  qui  constituent  un  des  plus 
importants  chapitres  de  la  Neurologie. 

Je  me  placerai  donc  surtout  à  un  point  de  vue  pratique,  clinique,  en 
vous  énumérant  les  éléments  séméiologiques  les  plus  certains  qui  per- 
mettent le  diagnostic  d'une  tumeur  cérébrale. 

Vous  verrez,  vous-mêmes,  au  cours  de  l'examen  clinique  des  mala- 
des, l'opposition  malheureusement  fréquente  entre  deux  ordres  de 
symptômes,  également  nécessaires  à  l'exactitude  et  à  la  précision  du 
diagnostic  :  les  signes  généraux,  d'une  part,  les  signes  de  localisation, 
d'autre  part. 

Parmi  les  signes,  dits  généraux,  des  tumeurs  de  l'encéphale,  il  en  est 
deux  qui,  tôt  ou  tard,  apparaissent  au  cours  de  l'évolution  de  l'affection 
et  sans  lesquels  le  diagnostic  reste  toujours  réservé:  ce  sont  la  céphalée 
et  la  stase  papillaire. 

Ces  symptômes  sont  dus  à  l'élévation  de  la  pression  intracranienne 
par  le  développement  de  la  tumeur,  et  peut-être,  dans  une  certaine 
mesure,  au  passage  dans  le  liquide  céphalo-rachidien  de  principes  toxi- 
ques issus  de  la  tumeur.  Nous  signalons  cette  dernière  conception,  de 
date  récente,  et  qui  n'a  pas  encore  subi  de  vérification  assez  précise  pour 
être  admise  avec  certitude. 

L'intensité,  la  précocité  de  ces  manifestations  sont  variables  avec  le 
siège  de  la  tumeur  ;  par  exemple,  dans  les  tumeurs  de  la  fosse  céré- 
brale postérieure  ces  symptômes  sont  souvent  très  précoces,  ou  au 
contraire  n'apparaissent  qu'au  stade  ultime  de  l'affection. 


Cil.   CHATEL1N 


Toutes  les  épithètes  ont  été  épuisées  pour  caractériser  l'intensité    la 
violence  de  la  céphalée  des  tumeurs  cérébrales,  se,  caractère  inexorable. 

(.uni. mie,  ou  survenant  par  crises  ;  souvent  périodique,  aggravée  par 
toutes  les  causes  d'hypertension  cérébrale  :  effort  musculaire,  toux 
éternuement,  changement  déposition  ;  tantôt  généralisée,  tantôt,  et  lé 
plus  souvent,  localisée  à  une  zone  plus  ou  moins  étendue  du  crâne 
région  occipitale,  région  frontale,  région  pariétale!,  elle  s'accompagne 
parfois  d'une  sensibilité  douloureuse  à  la  percussion,  dans  la  région 
où  la  céphalée  est  à  sou  maximum  ;  c'est  là,  lorsqu'on  peut  le 
constater,  un  symptôme  souvent  précieux  de  localisation  de  la  tumeur 
C'est  d'ailleurs  seulement  dans  le  cas  où  ce  symptôme  objectif  existe 
que  le  siège  de  la  céphalée  prend  une  valeur  de  localisation. 

Bien  souvent,  en  effet,  le  siège  maximum  de  la  céphalée  est  à 
l'oppose  du  siège  de  la  tumeur  :  par  exemple,  céphalée  frontale  pour  les 
tumeurs  de  la  losse  cérébelleuse. 

Chose  curieuse,  il  n'est  pas  exceptionnel  de  voir  la  céphalée,  très 
violente  au  début,  de  l'évolution  du  mal,  s'atténuer  progressive- 
ment et  ne  survenir  que  par  crises  espacées,  bien  qu'il  ne  s'agisse  pas 
d  un  arrêt  dans  l'évolution  de  la  tumeur,  comme  le  montre  d'ailleurs 
1  aggravation  des  autres  symptômes. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  sensations  vertigineuses,  les  vomisse- 
ments de  type  cérébral,  le  ralentissement  parfois  impressionnant  du 
pouls  et  de  la  respiration,  tous  symptômes  qui  évoluent  quelquefois 
avec  la  céphalée,  chaque  crise  plus  violente  de  céphalée  s'accompa- 
gnant  presque  toujours  de  ce  cortège  de  symptômes. 

La  stase  papillaire  qui  se  manifeste  d'ordinaire  pende  temps  après 
1  apparition  de  la  céphalée  est  sans  doute  le  signe  le  plus  essentiel  à 
constater. 

C'est  un  fait  objectif  que  tout  médecin  appelé  à  examiner  un  malade 
suspect  de  néoplasme  intraeranien  doit  être  capable  de  rechercher  lui- 
même  et  de  reconnaître  le  plus  précocement  possible.  Il  ne  faut  pas  en 
eflet  attendre  que  le  malade  attire  l'attention surles  troubles  visuels  qu'il 
peut  présenter  Bien  souvent  il  n'existe  aucun  parallélisme  entre  l'état 
objectif  du  fond  de  1  œil  et  la  diminution  de  l'acuité  visuelle.  Il  importe 
d  interroger  le  malade  avec  précision  :  un  symptôme  d'une  très  ,,-ande 
fréquence,  par  exemple,  est  l'existence  de  brouillards  passagers  oui 
durent  à  peine  quelques  minutes  ou  se  prolongent  quelques  heures 
Obscurcissant  plus  ou  moins  la  vision,  e.  auxquels  le  malade  n'attaché 
souvent  pas  grande  importance. 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES 


2& 


Bien  entendu,  lorsque  la  diminution  de  l'acuité  visuelle  est  considé- 
rable le  diagnostic  est  facile,  mais  il  est  alors  trop  tard  pour  sauver  la 
vue  du  malade;  il  ne  faut 
jamais  oublier,  en  présence 
d'un  malade  atteint  de  tu- 
meur cérébrale,  que  l'acuité 
visuelle  restera  définitive- 
ment, ou  presque,  ce  qu'elle 
était  au  moment  de  l'inter- 
vention chirurgicale  pallia- 
tive ou  définitive  ;  c'est-à- 
dire,  que  si  le  malade  était 
aveugle  par  les  progrès  de  la 
stase  à  ce  moment,  il  restera 
malgré  toute  intervention 
un  aveugle.  Il  faut  donc,  de 
toute  nécessité,  se  rendre  un 
compte  exact  de  la  valeur 
fonctionnelle  du  nerf  opti- 
que :  mesure  de  l'acuité 
visuelle  après  correction  de 
la  réfraction  s'il  y  a  lieu,  me- 
sure du  cbamp  visuel  au  pé- 
rimètre pour  la  couleurblan- 
cbe,  et  pour  les  autres  cou- 
leurs, examen  du  fond  d'œil. 

On  peut  voir,  en  effet,  les 

dissociations      les      plus      Va-  Fig.  1.  —  A.    Coupe    normale  du  nerf  optique  suivant  son 

axe,  avec  la  pupille    et    li    portion  de  rétine   a  voisinante, 

nées     :      Stase     très    marquée  On  voit    que  la  gaine  arachnoïdienne  est    à  peine  visible, 

.                          ,  on  aperçoit  dans    l'axe    du    nerf  I  artère  et    la    veine  réti- 

aveC  aCUlte   normale           Stase  nienne.    La  papille,  à  peine  saillante,  présente  une  légère 

,,        1-f'               ,            ■•              '*    A  dépression   en  son  centre.  R,  rétine  ;  C.  choroïde  ;  S.  sclé- 

treS    légère   avec    grOS    retre-  rotique  :   NO.  nerf  optique  ;    A    et    V,    artère    et    veines 

fisspmpnt     plnb.nl     du   rliamn         du  N  °-;  P>  PaPille  J   L.C,  laine  criblée     Ar,  arachnoïde  ; 
tlSSemeni    giooai    Ull  Clldllip         r  S.A,      e>pac-     sus-arachnoïdien  ;      P.M.,      pie  mère. 

visuel  rétrécissement  du         R    La  même  coupe  dans  un  cas  de  stase  papillaire.   Dans 

son  ensemble  le  nert  est  diminue  de  volume,  la  papille  est 
C'bamp   de   la   VISlOIl    des  COU-  fortement  saillante,  les  veines  sont   dilatées  et    les    artères 

rétrécies.  L'espace  sous-arachnoïdien  n'est  plus  viituel, 
leurs     Seulement   —    dlSpai'l-         mais  fortement  agrandi. 

tion  de  la  vision  des  couleurs. 

Tous  ces  symptômes  doivent  être  exactement  recherchés  et  suivis 
dans  leur  évolution. 

Lorsque  la  stase  existe,  ce  symptôme  objectif  ne  permet  plus  le 
doute.  Les  veines  de  la  papille  apparaissent  d'abord  dilatées  et  légère- 


£.5.A. 


RM 


26  <:n.  CHA  i  il  i  \ 


ment  Qexueuses,  puis  le  bord  de  la  papille  s'estompe  légèrement,  sou- 
vent sur  une  partie  seulement  de  son  contour.  Un  degré  de  plus,  la 
papille  devient  saillante  et  s'étale,  ses  bords  s'elïacent  complètement  ; 
les  veines  plus  grosses,  plus  tlexueuses,  disparaissent  dans  l'œdème  au 
moment  où  elles  atteignent  la  papille,  tandis  que  les  artères  s'effacent 
presque  complètement.  La  papille  elle-même  se  distingue  à  peine  de  la 
rétine,  et  c'est  en  suivant  la  convergence  des  vaisseaux  à  l 'ophtalmos- 
cope  qu'on  peut  la  retrouver.  Souvent  de  petites  taches  hémorragiques 
parsèment  la  papille  et  la  région  de  la  rétine  la  plus    voisine. 

L'aspect  ophtalmoscopique  de  chaque  œil  n'est  souvent  pas  identi- 
que, du  moins  au  début,  et  l'on  peut  ainsi  parfois  constater  l'existence 
pendant  plusieurs  semaines  d'une  stase  papillaire  unilatérale.  Cette 
prédominance  unilatérale  de  la  stase  n'est  d'ailleurs  pas,  comme  on 
pourrait  le  croire,  un  élément  important  dans  le  diagnostic  de  la  loca- 
lisation, car  elle  peut  très  bien  se  voir  du  côté  opposé  au  siège  delà 
tumeur.  Avec  les  progrès  de  la  compression  cérébrale  la  stase  atteint 
d'une  façon  symétrique  les  deux  nerfs  optiques,  et  si  le  chirurgien 
n'intervient  pas,  on  voit  peu  à  peu  blanchir  la  région  papillaire,  l'œdème 
jaunâtre  de  la  papille  fait  place  à  une  blancheur  progressive  qui  annonce 
l'atrophie  du  nerf.  Les  veines,  moins  turgescentes,  restent  tlexueuses, 
les  contours  de  la  papille  réapparaissent,  mais  le  disque,  d'un  blanc 
éclatant,  au  lieu  d'être  net,  comme  dans  l'atrophie  optique  tabétique  par 
exemple,  reste  irrégulier  et  comme  etïiloché  sur  ses  bords. 

A  ce  moment  l'acuité  visuelle  est  à  peu  près  nulle  :  c'est  à  peine  si  le 
malade  peut  distinguer  la  lumière  de  l'obscurité.  Cette  stase  papillaire 
est  au  premier  chef  une  manifestation  de  l'augmentation  de  pression 
intracranienne,  et  comme  une  vision  directe  de  l'hypertension.  Cette 
compression  détermine  dans  la  gaine  du  nerf  optique,  une  stase  lym- 
phatique qui  déborde  jusqu'à  la  papille  et  la  recouvre.  Cette  stase 
lymphatique  peut  également  se  produire  au  niveau  du  nerf  acoustique,' 
entraînant  une  surdité  progressive  du  type  central  par  atrophie  de  la 
huitième  paire.  Même  au  niveau  des  culs-de-sac  arachnoïdiens,  des 
nerfs  rachidiens,  par  le  même  mécanisme  se  produira  quelquefois  une 
dégénération  et  une  atrophie  des  racines  rachidiennes  postérieures. 
Cette  dégénération  se  manifeste  par  une  abolition  des  réflexes  tendi- 
neux, rotuliens,  achilléens  ;  ce  fait  n'est  pas  exceptionnel  au  cours  de 
révolution  de  certaines  tumeurs  cérébrales. 

Il  est  enfin  deux  ordres  de  symptômes  qui  témoignent  eux  aussi  île 
l'hypertension     intracranienne,    mais  sont    d'une    observation     moins 


LES  TUMEURS  CÉRÉBRALES  27 

constante  que  la  céphalée  et  la  stase  :  ce  sont  les  troubles  psychiques  et 
les  crises  comitiales.  Il  est  habituel  de  constater,  chez  les  malades  qui 
présentent  une  céphalée  particulièrement  tenace,  une  sorte  de  torpeur, 
de  demi-sommeil,  d'engourdissement  psychique  qui  apporte  avec  lui 
un  soulagement  relatif.  Mais  comme  nous  le  verrons,  ce  ralentissement 
de  tous  les  processus  psychiques  s'observe  avec  une  particulière  fré- 
quence et  assez  précocement  lorsque  la  tumeur  siège  dans  certaines 
régions  du  cerveau.  Dans  quelques  cas,  cet  état  mental  très  particulier 
éclaire  le  diagnostic  en  l'absence  d'autres  symptômes  caractéristiques. 
Beaucoup  plus  rarement  observe- t-on  des  phénomènes  d'excitation 
psychique  et  des  troubles  mentaux  de  caractère  démentiel. 

Les  crises  comitiales  ne  sont  pas  une  manifestation  banale  ;  elles 
peuvent  s'observer  très  précocement  au  cours  de  l'évolution  d'une 
tumeur  cérébrale,  avant  tout  autre  symptôme,  des  mois,  nous  dirions 
presque  des  années  avant  toute  céphalée,  avant  la  moindre  modifica- 
tion du  fond  de  l'œil.  Malheureusement  ces  crises  comitiales,  du  type 
le  plus  classique  d'ordinaire,  ne  constituent  pas  un  élément  séméiolo- 
gique  qui  permette  de  localiser  le  point  de  départ  de  la  crise,  ni  même 
de  présumer  qu'une  tumeur  cérébrale  est  en  cause. 

Nous  en  dirions  autant  des  crises  jacksoniennes  qui,  si  elles  ne  s'ac- 
compagnent pas  d'autres  symptômes  que  nous  étudierons  plus  loin, 
n'ont  pas  de  valeur  localisatrice  davantage,  comme  on  pourrait  le  croire. 

Un  bon  nombre  de  tumeurs  cérébrales  évoluent  ainsi  avec  un  cortège 
de  symptômes  généraux,  qui  témoignent  de  l'hypertension  intracra- 
nienne,  sans  qu'aucun  autre  signe  clinique  permette  de  préciser  le  siège 
de  la  tumeur.  Tout  "au  plus  l'étude  de  la  réflectivité  ostéo-tendineuse,  la 
présence  delégers  troubles  cérébelleux  plus  ou  moins  dimidiés,  permet- 
tent-ils de  localiser  la  compression  cérébrale  dans  la  moitié  droite  ou 
gauche  de  l'encéphale. 

Une  localisation  précise  est  d  autant  plus  difficile  que  les  signes  géné- 
raux d'hypertension  sont  plus  marqués  et  que  «  les  actions  à  distance  » 
se  font  d'autant  mieux  sentir,  ce  qui  complique  singulièrement  la  tâche 
du  clinicien. 

SIGNES  DE  LOCALISATION 

Etudier  en  détail  les  signes  de  localisation  cérébrale  serait  passer  en 
revue  tous  les  syndromes  de  lésion  en  foyer  du  cerveau.  Malheureu- 
sement, ces  signes  de  localisation  ne  sont  jamais,  dans  les  tumeurs 
cérébrales,  aussi  précis,  aussi  constants,  aussi  définitifs  que  dans  les 
lésions  en  foyer  du  cerveau,  par  ramollisemcnt  par  exemple.  Aussi   la 


I  //.  III  \  I  II  I  \ 


séméiologie  des  tumeurs  cérébrales  est-elle  loin  de  fournir,  comme  on 
pourrait  le  noire,  des  données  incontestables  par  l'étude  de  localisation 
cérébrale. 

Nous  passerons  doncen  revue  les  groupes  des  symptômes  qui  per- 
mettent de  considérer  comme  très  probable  la  localisation  d'une  tumeur 
eu  unv  région  déterminée  du  cerveau. 

1°  Tumeurs  du  lobe  frontal.  —  Les  tumeurs  du  lobe  frontal  se 
manifestent  par  des  troubles  psychiques  et  des  troubles  moteurs  d'allure 
particulière. 

Les  troubles  psychiques  réalisent  de  la  façon  la  plus  complète  le 
syndrome  mental  propre  aux  tumeurs  cérébrales,  c'est-à-dire  le 
ralentissement  extrême  de  tous  les  processus  psychiques.  On 
interroge  le  malade,  on  lui  demande  son  nom,  on  lui  donne  un  ordre 
simple  à  exécuter,  on  lui  pose  un  problème  de  calcul  insignifiant  :  le 
malade  répond  ou  agit  correctement,  mais  il  s'écoule  un  temps  fort 
long  :  vingt  secondes,  quarante  secondes,  une  minute,  entre  Tordre 
et  l'exécution  ;  ou  bien  la  réponse  vient  à  une  epuestion  lorsqu'une 
autre  est  déjà  posée,  et  pendant  ce  temps  le  visage  reste  immobile,  sans 
expression,  ou  garde  un  air  de  vague  béatitude.  Souvent  la  parole  est 
lente,  traînante,  quelquefois  scandée.  Quelquefois  on  est  tout  surpris 
d'entendre  le  malade  répondre  par  une  plaisanterie,  faire  un  jeu  de 
mots:  ce  puérilisme,  cette  euphorie  ont  depuis  longtemps  attiré  l'atten- 
tion des  auteurs. 

Les  troubles  moteurs  sont  très  particuliers  ;  il  ne  s'agit  pas  de  phé- 
nomènes parétiques,  bien  qu'on  puisse  voir  dans  certains  cas  apparaître 
une  hémiparésie  lentement  progressive  par  action  à  distance  sur  les 
circonvolutions  rolandiques  ;  on  constate  bien  plus  souvent  une  rigidité 
qui  porte  surtout  sur  les  muscles  du  cou  et  du  tronc,  quelquefois  symé- 
triquement, ce  qui  donne  au  malade  un  aspect  figé,  une  attitude  qui 
rappelle  celle  des  parkinsoniens.  Cette  hypertonie  peut  être  dimidiée  et 
le  malade  se  tient  plus  ou  moins  incliné  d'un  côté,  comme  s'il  présentait 
une  scoliose.  L'apparition  de  cette  rigidité  si  particulière  tient  peut-être 
aux  connexions  anatomiqi  tes  importa  n  tes  qu  i  existeraient, d'après  certains 
auteurs, entre  le  lobe  frontal  et  l'appareil  strié.  lTne  autre  manifestation 
d'ordre  moteur,  et  d'ailleurs  rarement  observée,  est  l'ataxie  :  «  ataxie 
frontale  »  dont  le  mécanisme  nous  est  fort  mal  connu  et  qui, pour  cer- 
tains auteurs,  serait  simplement  une  asynergie  par  action  à  distance  sur 
le  cervelet. 

Enfin  il   est  un  signe  qui  appartient   presque    exclusivement   aux 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES 


29 


tumeurs  de  la  face  inférieure  du  lobe  frontal  ;  c'est  Y  atrophie  progres- 
sive du  nerf  optique,  sans  stase,  par  compression  directe  du  tronc  ; 
il  n'est  pas  rare,  par  l'examen  périmétrique,  de  déceler  dans  ce  cas  un 
déficit  unilatéral  du 
champ  visuel,  un  déficit 
en  secteur  plus  ou  moins 
.irrégulier,  constatation 
qui  pourrait  tromper  un 
observateur  inattentif  et 
faire  croire  à  une  hé- 
mianopsie. 

Par  le  même  proces- 
sus de  compression  di- 
recte le  nerf  olfactif 
peut  être   atteint,  et   le 

llialnde  Orésentei*   de  l'a-     ^'8-  -■    —  Coupe  tran»versale    et    verticale    passant    par    les    deux 

*  lobes   frontaux  à     leur  panie    moyenne  et  montrant  la  lompies- 

nOSmie  '   la  recherche  de  s'on  directe  du    nerf  olfactif  et  du     nerf  optique  par  les  tumeurs 

de  la  partie  inférieure  du  lobe  frontal.  'Seule    la   base   du    crâne 
l'anOSmie     est     tOUJOUrS         a  été  représentée  scbématiquement  sur  ce  dessin). 

assez  délicate  ;  aussi  le 

sens  de  l'odorat  doit  être  soigneusement  interrogé  lorsqu'on  se  trouve 

en  présence  d'une  tumeur  cérébrale  sans  localisation  précise. 

Bien  souvent  d'ailleurs,  malgré  ces  symptômes  très  particuliers,  mais 
souvent  très  peu  accentués,  la  tumeur  frontale  passe  inaperçue  et  se 
découvre  à  l'autopsie. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  tumeurs  de  la  région  rolandique,  qui 
sont  de  celles  que  l'on  peut  localiser  avec  le  plus  de  précision. 

2°  Les  tumeurs  rolandiques.  —  A  1  inverse  des  tumeurs  frontales, 
les  tumeurs  rolandiques,  c'est -à  dire  les  tumeurs  qui  atteignent  la 
circonvolution  ascendante  frontale,  etla  pariétale  ascendante  sont  rare- 
ment latentes  ;  elles  semanifestent  par  des  symptômes  d'irritation,  puis 
de  déficit,  qui  précèdent  souvent  de  longtemps,  des  mois  et  même 
des  années,  —  les  signes  d'hypertension  intracranienne. 

Bien  que  les  travaux  récents  montrent  que  la  circonvolution  frontale 
ascendante  est  exclusivement  motrice,  et  la  pariétale  ascendante 
exclusivement  sensitive,  il  existe  rarement  une  sémiologie  purement 
motrice  ou  purement  sensitive,  pour  les  tumeurs  rolandiques,  mais 
on  peut  dire  que,  suivant  les  cas,  les  symptômes  moteurs  sont  les 
premiers  en  date  ou  restent  au  tout  premier  plan  ou  au  contraire  les 
troubles  sensitifs. 


30 


Cil.  cil  VTEL1  v 


Les  troubles  moteurs,  qui  appartiennent  donc  avant  tout  aux  tumeurs 
(/<•  lu  frontale  ascendante,  consistent  le  plus  souvent  au  début  et  même 
d'une  Façon  exclusive  pendant  fort  longtemps,  en  crises  jacksoniennes. 
Ces  crises  jacksoniennes,  que  nous  ne  décrirons  pas,  débutent  par  un 
segment  de  membre  (pied,  main,  épaule)  ou  par  la  Face  et  toujours  par  ce 
même  segment  chez  un  même  malade  ;  elles  peuvent  pendant  des  mois 
rister  localisées  au  pied  ouà  la  main,  sans  présenter  le  caractère  extensif 
habituel  ;  bien    plus,  la   crise   peut   se   limiter  à  un  ou  deux  doigts,  et 


Rolando 


Sylvius 


Fig  3.  —  Topographie  des  centres  moteurs  dans  l'écorce  cérébrale  d'après 
Horsley.  Les  centres  moteurs  siègent  uniquement  dans  la  frontale 
ascendante.  Les  centres  moteurs  des  muscles  du  tronc  et  de  la  nuque 
sont,  par  contre,  les  plus  antérieurs  i  Pied  de  FI  et  F2  .  ce  qui  explique- 
rait l'atteinte  précoce  de  la  musculature  du  tronc  et  de  la  nuque  dans  les 
tumeurs  du  lobe  frontal.  (PC.  :  pli  courbe  ;  GS.  Cyrus  supramarqualis.) 


même  au  gros  orteil,  comme  nous  l'avons  vu  pendant  des  mois  chez  un 
de  nos  malades.  Le  plus  souvent,  et  surtout  lorsque  la  tumeur  atteint 
un  certain  volume,  les  secousses  cloniques  débutent  toujours  par  le 
même  segment,  gagnent  progressivement  le  membre  entier,  puis  la 
moitié  du  corps  suivant  la  règle  classique,  c'est-à-dire  du  membre  supé 
rieur  à  la  lace,  ou  du  membre  inférieur  au  membre  supérieur,  puis  à  la 
lace,  crise  qui  peut  se  terminer  par  la  perte  de  connaissance  du  malade. 
Mais  si  la  valeur  localisatrice  de  crises  jacksoniennes  très  limitées  et 
de  répétition  régulière,  est  grande,  elle  l'est  infiniment  plus  lorsqu'elle 
s'accompagne  d'un  déficit  moteur  persistant,  même  très  limité  dans  le 
membre  OU  segment  de  membre  par  lequel  débute  la  crise  ;  par  exemple, 
dans  le  cas  auquel  nous  Taisions  allusion  plus  haut,  après  de  nombreuses 
crises  jacksoniennes  limitées  au    gros  orteil  du  pied  droit,  se   manifesta 

une  parésie  de  la  Qexion  dorsale  des  orteils,  puis   du    mouvement   de 


LES  TUMEURS  CÉRÉBRALES  31 

relèvement  du  pied.  L'intervention  chirurgicale  permit  de  découvrir 
une  tumeur  bien  limitée  exactement  localisée  à  la  partie  supérieure  de 
la  frontale  ascendante  gauche.  Dans  ces  cas  de  tumeur  de  la  région 
rolandique,  il  n'est  donc  pas  rare  de  voir  succéder  à  la  crise  jackso- 
nienne  une  monoplégie  brachiale  ou  crurale  plus  ou  moins  complète  et 
finalement  une  hémiplégie  si  l'intervention  chirurgicale  ne  fait  pas 
cesser  la  compression  progressive  de  la  frontale  ascendante  et  de  la 
substance  blanche  sous  jacente.  Hémiplégie  lentement  progressive  qui 
s'accompagne  des  modifications  habituelles  de  la  réflectivité  et  souvent 
de  troubles  dysarthriques  ou  même  d'anarthrie  lorsqu'il  s'agit  d'une 
compression  de  la  région  rolandique  gauche. 

Il  est  deux  symptômes  intéressants  sur  lesquels  nous  voulons  attirer 
l'attention,  et  que  l'on  n'observe  guère  que  dans  les  tumeurs  cérébrales, 
tumeurs  superficielles  corticales  de  la  frontale  ascendante 

Ce  sont  d'abord  des  phénomènes  d'automatisme  constitués  par  l'abo- 
lition de  la  motilité  volontaire  avec  conservation  des  mouvements  auto- 
matiques. Par  exemple  chez  le  malade  cité  plus  haut  le  relèvement 
volontaire  des  orteils  était  impossible,  mais  quand  le  malade  marchait, 
les  orteils  du  côté  paralysé  se  relevaient  aussi  correctement  que  les 
orteils  du  côté  sain  ;-autre  phénomène  :  même  lorsqu'on  faisait  plier  le 
genou  fortement  du  côté  malade,  il  se  produisait  un  mouvement  automa- 
tique de  relèvement  des  orteils.  L'autre  symptôme  qui,  comme  le  précé- 
dent, aune  valeur  de  localisation  corticale,  est  le  réflexe  d'adduction  du 
pied,  l'excitation  du  bord  interne  du  pied  dans  toute  sa  longueur  amène 
un  mouvement  réflexe  d'adduction  du  pied  (Pierre  Marie  et  H.  Meige), 
alors  que  la  recherche  du  réflexe  cutané  plantaire  suivant  la  technique 
de  Babinski  ne  donne  pas  de  réponse  ou  une  flexion  de  l'orteil. 

Ces  deux  symptômes,  que  nous  avons  observés  chez  plusieurs  malades 
atteints  de  tumeur  rolandique,  ont  donc  une  très  grande  valeur  poin- 
ta localisation  corticale  d'une  tumeur  rolandique.  Ils  avaient  été  obser- 
vés, étudiés  et  décrits  par  le  professeur  Pierre  Marie  et  ses  élèves  chez 
les  blessés  de  guerre,  atteints  de  blessures  superficielles  de  la  région 
rolandique. 

Les  tumeurs  qui  atteignent  plus  particulièrement  la  pariétale 
ascendante  peuvent  donner  lieu,  au  début,  à  des  symptômes  décrits  sous 
le  nom  cYépilepsie  sensitiue  (Pitres).  Cette  épilepsie  jacksonienne 
sensitive  a  les  mêmes  caractères  que  l'épilepsie  motrice  :  début  par  un 
segment  de  membre,  même  par  un  ou  deux  doigts,  avec  extension  pro- 
gressiveà  toutle  membre  avec  ou  sans  perte  de  connaissance  terminale  : 
le    malade   accuse    une    sensation     de    fourmillement,    (l'engourdisse- 


cil.  CHATEL1N 


ment  dans  le  pouce  et  l'index  par  exemple,  sensation  qui  gagne  pro- 
gressivement l'avant-bras,  le  bras,  la  Face  et  cesse  au  moment  où  le 
malade  perd  conscience.  Dans  ce-cas  encore  l'étude  des  troubles  objec- 
tifs delà  sensibilité,  persistants  et  lixes  entre  les  crises,  a  la  plus  haute 
importance  pour  le  diagnostic  certain  de  la  localisation.  Les  modalités 
les  plus  variées  de  troubles  sensitifs  peuvent  être  observées  ;  avec  les 
dissociations  les  plus  diverses,  suivant  chaque  cas,  mais  il  est  une  dis- 
position assez  particulière  des  troubles  sensitifs  qu'il  faut  connaître. 
parce  qu'elle  permet  de  reconnaître  précocement    la  localisation   corti- 


Rolando 


Fig.  4  —  Centre  moteur  et  sensitif  en  quadrillé  pour  le  bord  cubital  de  la 
main  Fa  Pa  et  partie  potérieure  de  Fl)  Centre  moteur  et  sensitif  pour 
le  bord  radial  de  la  main  ien  hachures  serrées  obliques!  pied  des  circonvo- 
lutions Fl  et  F2,  tt  partie  inférieure  de     Fa  et  Pa.  (D'après   M"    Benisti.) 


cale  de  la  tumeur,  c'est  la  disposition  pseudo- radiculairc ,  dont  la  réali- 
sation est  particulièrement  nette  au  membre  supérieur  dans  son  segment 
distal  ;  le  déficit  sensitif  peut  ainsi  occuper  les  deux  derniers  doigts 
de  la  main  et  le  bord  cubital  de  l'avant-bras  ou  les  trois  premiers  doigts 
et  le  bord  radial.  La  perte  du  sens  stéréognostique,  comme  nous  avons 
pu  le  constater  dans  plusieurs  cas,  peut  être  également  limitée  aux  pre- 
miers doigts  de  la  main  ou  aux  derniers  ;  cette  topographie  particulière 
du  déficit  sensitif  est  due  à  une  localisation  différente  de  la  lésion  corti- 
cale :  versant  antérieur  delà  pariétale  ascendante  pour  la  topographie 
radiale,  versant  postérieur  pour  la  topographie  cubitale  ;  ces  faits  ont 
été  particulièrement  mis  en  évidence  par  M Benisti  dans  son  tra- 
vail sur  les  blessures  de  la  région  rolandique. 

Avec  l'évolution  de  la  compression,  on  peut  voir  ainsi    s'établir   une 
hémi-anesthésie de  toute  une  moitié  du  corps,  présentant,  comme  nous 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES 


33 


l'avons  dit  plus  haut,  les  dissociations  les  plus  variées,  mais  il  est 
important  cependant  de  noter  que  les  troubles  sensitifs  sont  toujours 
beaucoup  plus  marqués  à  l'extrémité  des  membres  qu'à  leur  racine. 
Sur  le  tronc,  les  troublesde  la  sensibilité  sont  en  général  peu  marqués 
et  la  limite  du  déficit  sensitif  n'atteint  pas  d'ordinaire  la  ligne  médiane, 
mais  s'arrête  à  plusieurs  centimètres  de  cette  ligne. 

On  voit  donc  combien  l'apparition  si  rapide  des  symptômes  moteurs 
ou  sensitifs,  alors  que  la  compression  est  simplement  corticale,  permet 
de  faire  précocement  le  diagnostic  de  tumeur  de  la    région   rolandique 


Rolando 


Fig.  5.  —  Topographie  corticale  de  la  sensibilité-  Hachures  horizontales 
interrompues  :  sensibilité  superficielle  ;  hachures  verticales  continues  : 
sensibilité  profonde.  On  voit  que  l'aire  de  la  sensibilité  profonde  s  étend 
à  la  1"  et  2"  pariétale,  et  assez  loin  en  arrière. 


et  d  intervenir  utilement.  Dans  le  cas  que  nous  citions  plus  haut,  le 
malade  ne  fut  opéré  que  cinq  ans  après  le  début  des  crises  jacksonien- 
nes,  car  c'est  seulement  cinq  ans  après  le  début  des  troubles  moteurs 
qu'apparurent  la  stase  et  la  céphalée. 


3°  Tumeurs  du  lobe  pariétal.  —  Les  tumeurs  du  lobe  pariétal 
(P,  et  P.,)  proprement  dit,  lorsqu'elles  ne  sont  pas  latentes,  se  mani- 
festent elles  aussi  et  avant  tout  par  des  troubles  sensitifs  ;  troubles 
sensitifs  d'un  type  particulier  :  perte  de  la  notion  de  position,  de 
déplacement  des  membres,  en  somme,  perte  de  la  sensibilité  dite 
profonde.  On  sait  en  effet  que  si  la  représentation  corticale  de  la 
'  sensibilité  superficielle  siège  surtout  dans  la  pariétale  ascendante,  la 
représentation  des  sensibilités  profondes  s'étend  à  la  première  et 
deuxième  pariétale  dans  presque  toute  leur  étendue. 

CONHKIi.     NKl'HOI.  .  -      3 


;  I  (   //.    Cil  Mil  I  \ 


C.v  déficit  de  la  sensibilité  profonde  peut  se  manifestera  la  suite  de 
véritables  crises  jacksoniennes  sensitives.  Dans  un  cas  fort  curieux 
que  nous  avons  pu  observer,  la  malade,  au  moment  de  la  crise, 
éprouvait  la  sensation  d'une  gesticulation  extrêmement  violente  de 
s. mi  bras  droit,  alors  que  ce  bras  restail  parfaitement  immobile  sur 
le  lit. 

L'opération  montra  ultérieurement  l'existence  d'une  grosse  tumeur 
pariétale  au  voisinage  de  la  taux  du  cerveau. 

l'n  autre  symptôme  plus  rarement  observé,  mais  qui  n'est  que  la  con- 
séquence de  cette  perle  de  la  notion  de  position  et  du  sens  des  attitudes, 
est  l'ataxie,  qui  peut  être  limitée  à  un  membre  et  rappelle  de  fort  près 
l'ataxie  tabétique,  avec  cette  différence  cependant  que  l'occlusion  des 
yeux  n'accentue  pas  beaucoup  les  phénomènes  ataxiques. 

4°  Tumeurs  du  lobe  temporal. —  La  sémiologie  des  tumeurs  du 
lobe  temporal,  du  moins  du  lobe  temporal  droit,  nous  est  actuellement 
tout  à  fait  inconnue.  Tous  les  symptômes  observés  sont  des  symptômes 
d'action  à  distance  :  compression  de  la  voie  pyramidale,  de  la  voie  sen- 
sitive,  des  voies  optiques,  des  paires  crâniennes  qui  traversent  la 
fosse  cérébrale  moyenne.  A  ce  moment  la  tumeur  a  déjà  atteint  un 
volume  considérable. 

Etud ier  les  tumeurs  du  lobe  temporal  gauche,  ce  serait  reprendre 
l'étude  de  l'aphasie.  Nous  rappelerons  donc  seulement  que  les  tumeurs 
de  la  région  postérieure  des  trois  premières  temporales  se  traduisent  par 
l'apparition  progressive  d'une  aphasie  de  Wernicke,  caractérisée  par 
la  conservation  plus  ou  moins  complète  du  langage  extérieur  avec 
perte  du  langage  intérieur,  c'est-à-dire  perte  de  la  dénomination  des 
objets,  perte  de  la  lecture,  de  l'écriture,  et  surtout  perte  de  la  com- 
préhension du  langage,  ce  déficit  intellectuel  spécialisé  étant  l'élément 
fondamental  de  l'aphasie. 

11  est  assez  rare  d'observer  en  clinique  I  évolution  d'une  aphasie  par 
tumeur  cérébrale  ;  dans  les  quelques  cas  que  nous  avons  pu  suivre,  ce 
qui  permit  de  faire  le  diagnostic  de  compression  cérébrale  lut  la 
variabilité  îles  symptômes  ou  plutôt  leur  aggravation  progressive  — 
car  on  sait  combien  d'un  jour  à  l'autre,  l'état  d'un  aphasique  est 
variable,  même  lorsqu  il  S  agit  d'une  lésion  définitive  comme  le  ramol- 
lissement et   nullement  susceptible  d'extension.   Dans  un  cas  que    nous 

avons  étudié,  le  malade,  qui    était  au  début  nn  aphasique    sensoriel 
typique,  un  aphasique  bavard,  devint    insensiblement    un   aphasique 

île  Braco  avec  une  anarlhrie  presque  complète. 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES 


35 


5°  Tumeur  du  lobe  occipital.  —  Les  tumeurs  du  lobe  occipital 
sont  assez  rares,  et  le  diagnostic  précis  est  rarement  posé.  Ce  fait 
tient  à  ce  que  la  sémiologie  propre  de  ces  tumeurs  est  d'ordre  visuel. 
On  sait  en  effet  combien  l'apparition  brusque  d'une  hémianopsie  par 
ramollissement  cérébral  chez  un  malade  est  fréquemment  méconnue 
et  par  le  malade  et  par  le  médecin  ; 
aussi,  lorsque  cette  hémianopsie 
apparaît  progressivement  par  la  com- 
pression des  voies  optiques,  le  malade 
n'en  a  généralement  pas  conscience. 
Surtout  cette  compression  des  voies 
optiques,  lorsqu'elle  n'est  pas  très 
accentuée,  se  traduit  non  par  une  hé- 
mianopsie, mais  par  une  hémiachro- 
matopsie,  qu'on  néglige  le  plus  sou- 
vent de  rechercher.  Lorsque  la  com- 
pression est  assez  forte  pour  qu'il  y 
ait  réellement  hémianopsie,  les  phé- 
nomènes d'hypertension  sont  eux 
aussi  assez  accusés  pour  qu'une  stase 
plus  ou  moins  rapide  apparaisse.  On 
sait  en  effet  avec  quelle  précocité 
apparaît  la  stase  papillaire  au  cours 
de   l'évolution   des     tumeurs    de    la 

f^„„„      „■     -U       1„      _       x'     •  \  F'£  -u    —    Coupe    horizontale    de    l'hémisphère 

losse    cérébrale     postérieure.    A    ce      gaucne,  pas^nt  immédiatement  au-dessous 

moment,  il    est    trop    tard     pour     faire  d"  bourrelet  et    du   genou   du   corps  calleux 

I  I  L  ne  tumeur    siégeant    dans   le  lobe    occipital 

Une    étude   Valable   du   Champ    visuel.  comprimera    d'abord  les  voies    optiques   (hé- 

1  miachromatopsie,     puis   hémianopsie),   puis  la 

C  est  donc   SOUVent  par    des    actions  zone  de  Wernicke  et  même  la  capsule  interne 

..  (aphasie   de  Wernicke    et  hémiparésie)      CO, 

(l     distance     que     Se       reconnaîtra     Une  couche    optique,  CI.    capsule    interne:    XL. 

•      .,i  >         •         i       itt  noyau  lenticulaire.   VL,   ventricule   latérale   ; 

tumeur  occipitale  :   aphasie  de  \\  er-      xc,  noyau  caudé. 

nicke  souvent  associée  à  des  troubles 

de  l'orientation  pour  les  tumeurs  de  l'hémisphère  gauche,  phénomènes 

de  compression  cérébelleuse 


, ~2>_~  Voies 

optiques 

Ca/carine 


Nous  n'insisterons  pas  sur  les  tumeurs  des  ganglions  centraux  ou  du 
centre  ovale.  Ces  tumeurs  ne  se  traduisent  d'ordinaire  que  par 
les  signes  généraux  d'hypertension  qui  évoluent  presque  isoles, 
sans  qu'un  autre  symptôme  permette  une  localisation  précise  ;  ou 
bien  lorsque  ces  symptômes  pourraient  être  observés,  ils  sont  masqués 
par  l'intensité  des  signes  d'hypertension,  et  les  actions  à  distance.    On 


(II.    Cil    \  I  I   I  I  \ 


piui  alors  commettre  1rs  plus  graves  erreurs  de  localisation  ;  tout  au 
plus,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  peut-OD  reconnaître,  et  bien 
souvent  d'une  façon  hésitante,  dans  quelle  moitié  droite  ou  gauche  de 
la  huile  crânienne  siège  la   tumeur. 

Il  en  est  tout  autrement  des  tumeurs  du  cervelet,  qui  sont  une  des 
variétés  les  plus  Fréquemment  observées  des  tumeurs  de  l'encéphale. 

TUMEURS  DU  CERVELET 

Cliniquement,  on  peut  distinguer  deux  grands  types  de  tumeurs  du 
cervelet:  les  tumeurs  intracérébelleuses  et  les  tumeurs  cxlracérébel- 
leuses,  ce  dernier  type  étant  presque  toujours  avec  quelques  variantes 
la  tumeur  de  l'angle  ponto-cérébellenx. 

Les  tumeurs  proprement  dites  du  cervelet,  tumeurs  intracérébel- 
leuses, se  caractérisent  par  l'intensité,  la  précocité  des  signes  d'hyper- 
tension intracranienne  :  céphalée  très  intense  qui  oblige  quelquefois 
le  malade  à  prendre  des  positions  bizarres  pour  obtenir  un  léger 
soulagement  :  attitude  en  chien  de  fusil,  en  opistothonos,  en  position 
génu-pectorale —  vertiges  et  vomissements  persistants  — stase  d'évolu- 
tion rapide,  puis  très  rapidement  apparaissent  les  troubles  de  la  sta- 
tique :1e  malade  ne  tient  debout  que  lesjambes  écartées  ;  s'il  rapproche 
les  pieds,  il  perd  l'équilibre  tout  d'un  bloc  et  presque  toujours  dans  le 
même  sens,  souvent  en  arrière  avec  entraînement  latéral  associé. 
Cette  chute  en  arrière  si  constante  serait  due  à  la  compression  du  ver- 
mis,  qui  survient  rapidement  dans  les  tumeurs  intracérébelleuses.  La 
marche  du  malade  est  typique  :  c'est  la  démarche  titubante  et  feston- 
nante avec  élargissement  de  la  hase  de  sustentation.  Il  est  important 
de  remarquer  combien,  si  la  tumeur  siège  en  plein  cervelet,  les  troubles 
de  la  statique,  la  perte  de  l'équilibre  au  repos  et  pendant  la  marche, 
l'emportent  sur  les  troubles  de  la  synergie  des  membres.  C'est  à  peine 
si  chez  ces  malades  on  note  du  tremblement  intentionnel,  ou  de  l'hvper- 
métrie  dans  les  mouvements  segmentaires,  alors  que  ces  symptômes 
sont  au  contraire  au  premier  plan,  lorsqu'on  est  en  présence  de  lésions 
des   faisceaux   cérébelleux    médullaires  ou  des  pédoncules  cérébelleux. 

Avec  les  progrès  de  la  compression  apparaissent  bientôt  des  signes 
protubérantiels,  troubles  de  la  déglutition,  troubles  delà  phonation,  qui 
s'ajoutent  à  la  dysarthrie  cérébelleuse,  hyperréflectivité  tendineuse  et 
phénomène  de  l'orteil,  qui  indiquent    la   compression  progressive   des 

voies  pyramidales. 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES  37 

Autant  l'évolution  de  ces  tumeurs  intracérébelleuses  est  rapide  et 
grave,  autant  les  tumeurs  extracérébelleuses,  les  tumeurs  de  V  angle 
ponto- cérébelleux  manifestent  de  bonne  heure  leur  présence  par  une 
atteinte  précoce  des  paires  crâniennes.  Aussi  la  tumeur  de  l'angle 
ponto-cérébelleux  réalise-t-elle  un  tableau  clinique  tout  à  fait  caracté- 
ristique. 

Dans  sa  forme  typique,  la  séméiologie  de  la  tumeur  de  l'angle  ponto- 
cérébelleux  se  caractérise  par  l'atteinte  de  deux  paires  crâniennes  au 
moins  :  le  facial  et  l' auditif,  une  hémiplégie  cérébelleuse  homolatérale, 
une  hémiplégie  ou   hémiparésie  pyramidale  croisée. 

L'atteinte  du  facial  peut  se  révéler  par  une  séméiologie  très  variée  ; 
ce  sera  par  exemple  un  hémispasme  facial  essentiel  absolument  typi- 
que, sans  aucun  phénomène  paralytique,  mais  il  s'agira  d'un  individu 
d'un  certain  âge  qui  accusera  un  léger  trouble  de  l'équilibre,  et  chez  le- 
quel l'examen  révélera  une  diminution  de  l'audition  du  même  côté.  Cet 
hémispasme  pourra  exister,  isolé  pendant  des  mois  ou  des  années. 
Dans  un  autre  cas,  toujours  chez  un  individu  ayant  atteint  la  cinquan- 
taine, on  se  trouvera  en  présence  d'une  paralysie  faciale  massive  flasque 
la  plus  totale  qu'on  puisse  voir,  de  tj'pe  périphérique,  survenue  pro- 
gressivement :  presque  toujours  elle  s'accompagnera  d'une  surdité 
plus  ou  moins  complète  de  l'oreille  du  môme  côté,  et  l'examen  spécial 
de  l'audition  montre  alors  qu'il  s'agit  d'une  surdité  de  type  central  par 
lésion  du  labyrinthe  ou  du  nerf  acoustique.  Enfin  clans  un  troisième 
cas,  la  paralysie  faciale  sera  d'un  type  plus  spécial  :  dans  le  territoire  du 
facial  supérieur  ce  sera  la  paralysie  flasque  avec  effacement  des  rides 
du  front,  impossibilité  de  relever  le  sourcil,  impossibilité  de  fermer 
la  paupière,  signe  de  Charles  Bell;  dans  le  facial  inférieur,  au  con- 
traire, il  y  aura  du  spasme,  le  pli  nasogénien  sera  plus  accusé  que 
du  côté  sain,  la  commissure  des  lèvres  se  relèvera  quand  le  malade 
parlera  ou  essaiera  de  fermer  les  yeux,  les  muscles  de  la  houppe  du 
menton  creuseront  une  fossette  et  l'on  verra  de  petites  secousses  fas- 
ciculaires  dans  les  muscles  du  menton,  des  lèvres,  de  l'aile  du  nez;  cette 
curieuse  forme  de  paralysie  faciale  :  flasque  dans  la  moitié  supérieure 
delà  face,  spasmodique  dans  la  moitié  inférieure,  a  été  décrite  par 
Oppenheim  ;  elle  est  presque  caractéristique  des  tumeurs  de  l'angle 
ponto- cérébelleux. 

La  8e  paire  peut  également  être  atteinte  isolément  pendant  fort  long- 
temps :  surdité  progressive  de  type  central,  c'est-à-dire  par  compres- 
sion de  la  8e  paire,  comme  le  montrent  les  épreuves  acoustiques,  et  dis- 
parition desréllexes  vestibulaires  par  compression  du  nerf  vestibulaire  : 


cil.  CHATELIh 


Entrecroisement  F.  pyramida/ 
pyramidal  dégénéré 


suppression  de  toutes  les  réactions  labyrinthiques  normales  provoquées 

parla  rotation,  le  courant  voltaïque,  l'injection   d'eau  froide  OU  chaude 

Protubérance  dans    le    conduit    auditif 

(Barany),  c'est-à-dire  ab- 
sence de  nystagmus  pro- 
voqué, et  de  chute  du 
corps. 

Avec  ces  deux  paires 
crâniennes,  les  plus  fré- 
quemment, les  plus  cons- 
tamment paralysées,  en 
peut  observer  plus  rare- 
ment une  paralysie  de  la 
sixième  paire  se  tradui- 
sant par  un  strabisme 
interne  de  l'œil,  une  para- 
lysie plus  ou  moins  com- 
plète du  trijumeau  moteur 
ou  sensitif  dont  l'atteinte 
se  manifeste  très  préco- 
cement avant  tout  autre 
signe,  par  l'abolition  du 
réflexe  cornéen. 

Toutes  ces  paralysies 
des     paires      crâniennes 

F  g     7-    —    Tumeur    de    1  angle   ponto-cérébelleux.    —    A.   La  donnent   le  siège  CXOCt  de 

tumeur   est  en  place  ;  elle    comprime    fortement  la  Vil    et    la  ■  1. 

VIII    paire    qu'on    aperçoit    sous    le    rebord    inférieur    de    la  'a    lUmCUl'  Kl  OU  CCS  paU'CS 

tumeur,  refoule  la  V'  et  la  VI'  paire    et  déprime  fortement  la  Q01.»ont      Aa     la        nmhil»/, 

moitié    gauche    de   la   protubérance   et   le   pédoncule    oérébel-  M,llt-Ul      u*      ">       ptUllIDL- 

leux  moyen  et    inférieur   gauche.  Il    se    produit  une  dégénéra-  rflnPP    nrès     (lu    hnlh<>      T   -i 

t.on     pyramidale    croisée,    c'est-à-dire    du     côté    opposé    à    la  ltU1Ce    P,tS     "UDUIDl.     I -.1 

tumeur.  On  voit  cette  dégénération  sur  la  coupe  de   la  moelle  tnillCUr  sièiiC  dll   CÔté    tll's 
siégeant   sur  la   figure    au-dessous    de     l'entrecroisement    des  .  , 

pyramides.  paires    crâniennes    para- 

lysées. 
Avec  l'évolution  de  la  tumeur,  souvent  d'accroissement  très  lent,  au 
bout  de  quelques  mois,  même  quelques  années,  la  compression  du  cer- 
velet se  traduit  par  les  signes  d'une  hémiplégie  cérébelleuse  homola- 
lérale  :  c'est-à-dire  hypermétrie  dans  les  mouvements  commandés  du 
membre  supérieur  et  inférieur  du  même  coté  —  Adiadoeocinésie 
unilatérale  —  réflexe  tendineux  pendulaire  —  latéropulsion  le  plus 
souvent  du  côté  de  la  compression  —  nystagmus  latéral  variable.  No- 
tons, dès  maintenant,  l'inclinaison  permanente    inconsciente   fréquent- 


LES  TUMEURS  CÉRÉBRALES  39 

ment  observée  de  la  tête  vers  l'épaule  du  coté  où  siège  la  tumeur,  c'est 
un  bon  signe  localisateur  également. 

Quant  aux  signes  pyramidaux,  ils  apparaissent  généralement  en  der- 
nier lieu;  il  ne  s'agit  pas  à  proprement  parler  d'hémiplégie,  mais 
d'une  légère  spasmodicité  pyramidale  se  traduisant  par  de  l'exaltation 
du  réflexe  tendineux  des  membres  du  côté  opposé  à  la  tumeur;  le 
réflexe  plantaire  est  souvent  en  extension. 

Si  l'un  n'intervient  pas  et  que  la  compression  s'accentue,  on  voit  pro- 
gressivement des  troubles  pseudobulbaires  apparaître  par  compression 
protubérantielle  :  trouble  de  la  déglutition  et  de  la  phonation  —  exten- 
sion bilatérale  du  gros  orteil  —  hyperréflectivité  ostéo-tendineuse  gé- 
néralisée. Les  troubles  cérébelleux  ne  restent  plus  strictement  dimi- 
diés,  mais  gagnent  les  membres  du  côté  opposé.  A  ce  moment  les  signes 
généraux  d'hypertension  intracranienne  sont  tout  à  fait  caractérisés. 

TUMEURS   DE    L'ISTHME     DE  L'ENCÉPHALE 

Nous  n'étudierons  pas  les  tumeurs  des  pédoncules  de  la  protubérance 
du  bulbe,  —  d'ailleurs  très  rares, —  du  4e  ventricule;  elles  sont  essentiel- 
lement caractérisées  par  l'intensité  et  l'extrême  rapidité  d'apparition 
des  phénomènes  d'hypertension  due  au  blocage  des  ventricules,  —  les 
phénomènes  pseudo-bulbaires  d'évolution  rapide  et  la  quadriplégie. 

LES    TUMEURS     CÉRÉBRALES    AUX      DIFFÉRENTS    AGES 

Comme  dans  la  plupart  des  affections  du  système  nerveux,  il  est  fort 
intéressant  de  constater  qu'aux  différents  âges  se  développent  des 
tumeurs  différentes  quant  à  leurs  particularités  cliniques,  leur  siège, 
leur  rapidité  d'évolution  et  le  pronostic  qu'elles  permettent  après  l'in- 
tervention chirurgicale. 

Dans  les  premiers  mois  de  la  vie,  les  tumeurs  cérébrales  sont  fort 
rares;  il  s'agit  desimpies  curiosités  anatomiques,  de  tératomes,  d'in- 
clusions fœtales,  qui  ne  permettent  d'ordinaire  qu'une  survie  très 
limitée. 

Par  contre,  entre  5  et  12  ans,  on  voit  se  développer  chez  l'enfant  avec 
une  très  grande  fréquence  et  d'une  façon  presque  exclusive,  les  tumeurs 
inlracérébelleuses.  L'évolution  rapide  de  ces  tumeurs  s'accompagne  de 
céphalée  intense  avec  vomissements,  de  perle  rapide  de  la  vision  et  de 
troubles  généraux  delà  statique  et  de  la  marche,  il  n'est  pas  rare  à  cet 
âge  de  voir  apparaître  un  certain  degré  d'hydrocéphalie  et  un  symptôme 
vraiment  particulier  aux  tumeurs  de  l'enfant,  la  déhiscence   1res  légère 


1"  (II.  (Il  \  I  II  I  \ 


des  os  du  crâne  sous  l'influence  de  l'hypertension.  Cette  déhiscence  des 
sutures  se  manifeste  cliniquement  à  la  percussion  du  crâne  par  un 
bruit  de  pot  fêlé  tout  à  fait  caractéristique  lorsqu'on  percute  avec  le 
doigt  la  région  moyenne  de  l'os  pariétal.  On  a  même  signalé-ehez  ren- 
iant, lorsque  l'évolution  de  l'affection  est  assez  lente,  un  amincissement 
considérable  et  même  une  trépanation  spontanée  des  os  du  crâne. 

Chez  la  jeune  femme  et  particulièrement  au  cours  de  la  grossesse  ou 
dans  les  mois  qui  suivent,  s'observent  parfois  des  tumeurs  cérébrales, 
d'évolution  extrêmement  rapide,  avec  forte  hypertension  et  d'un  pro- 
nostic extrêmement  grave,  menant  la  malade  à  la  cécité  et  au  coma  en 
quelques  mois,  sans  cpie  les  signes  de  localisation  puissent  se  préciser. 
11  s'agit  le  plus  souvent  de  gliome  infiltrant  de  la  substance  blanche  d'un 
hémisphère    ou  des  ganglions  centraux. 

Che:  l'adulte  on  rencontre  soit  les  gliômes  infiltrants,  soit,  avec  une 
fréquence  malheureusement  moins  grande,  les  tumeurs  à  point  de  départ 
méningé  dont  le  pronostic  est  si  différent  grâce  à  la  possibilité  d'une 
intervention  chirurgicale  définitive. 

Enfin  après  cinquante  ans,  la  tumeur  cérébrale  la  plus  fréquemment 
constatée  est  la  tumeur  à  point  de  départ  méningé,  en  particulier  la 
tumeur  de  l'angle  ponto-cérébelleux  ou  les  fibromes  de  la  dure-mère  qui 
restent  souvent  complètement  latents,  ou  donnent  les  types  cliniques 
les  plus  purs  de  tumeur  rolandique. 

DIAGNOSTIC  DE  LA  NATURE  DE  LA    TUMEUR 

Il  est  intéressant  de  chercher,  parles  seuls  moyens  cliniques,  à  pré- 
ciser la  nature  de  la  tumeur  cérébrale  cpii  est  en  cause,  ce  qui  est  de  la 
plus  haute  importance  pour  prévoir  la  durée  de  la  maladie,  sa  gravite  et 
les  résultats  qu'il  y  aura  lieu  d'espérer  de  l'intervention  chirurgicale. 

Dans  plus  delà  moitié  des  cas  de  tumeur  cérébrale  il  s'agit  de  gliome, 
c'est-à-dire  d'une  tumeur  qui  se  développe  aux  dépens  de  la  névro- 
glie;  l'évolution  est  assez  lente,  mais  il  s'agit  le  plus  souvent  d'une 
tumeur  infiltrante  qui  à  la  coupe  se  distingue  du  tissu  sain  par  une 
coloration  gris  rosé,  une  consistance  plus  molle  et  qui  peut  même  au 
centre  devenir  kystique.  Qu'il  s'agisse  de  gliome  cellullaire,  c'est-à- 
dire  formé  aux  dépens  des  cellules  rondes  de  la  névroglie,  ou  de 
gliome  fibrillaire  dans  lequel  les  fibrilles  névrogliques  sont  très  abon- 
dantes et  les  cellules  peu  nombreuses,  la  rapidité  d'évolution  est  sen- 
siblementla  même,  car  il  s'agit  dans  presque  tous  les  cas  de  tumeurs 
intracérébrales  diffuses  non  énucléables,  sauf  cependant  certains  bons 
cas  de  gliome  fibrillaire.  Chose    curieuse,  un    nombre   «le   tumeurs  île 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES  41 

l'angle  ponto-cérébelleux,  franchement  extracérébelleuses,  sont  sou- 
vent constituées  par  ungliôme  fibrillaire  formé  aux  dépens  de  la  trame 
névroglique  qui  accompagne  les  nerfs  (acoustique,  facial)  en  dehors  de 
leur  émergence  (Lhermite). 

Les  sarcomes  ou  fibrosarcomes  sont  au  contraire  le  type  de  la  tumeur 
d'évolution  lente,  formée  aux  dépens  du  tissu  conjonctif,  ayant  par  con- 
séquent leur  point  de  départ  dans  les  gaines  vasculaires  et  les  méninges. 
Ce  sont,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  des  tumeurs  bien  limitées, 
énucléables,  essentiellement  opérables;  dans  cette  variété  de  tumeurs,  il 
y  a  lieu  de  signaler  le  sarcome  angiolithique  ou  psammome,  tumeur  con- 
jonctive contenant  des  sphérules  calcaires  et  qui  peut,  à  l'examen  radio- 
graphique,  donner  une  ombre  très  nette  ;  ils  siègent  le  plus  souvent  à  la 
face  interne  de  la  dure-mère,  assez  souvent  près  de  la  faux  du  cerveau. 

Enfin  une  variété  assez  curieuse  de  tumeur  peut  s'observer,  surtout  au 
niveau  du  cervelet  :  le  cholestéatome,  masse  blanchâtre,  nacrée  «  comme 
delà  bougie  »,  contenue  dans  une  membrane  d'enveloppe  épidermique 
malpighienne  et  plus  extérieurement  d'une  membrane  conjonctive  en 
rapport  avec  la  pie-mère.  Ce  sont  donc  des  tumeurs  extracérébrales; 
elles  se  développent,  semble-t-il,  aux  dépens  d'un  produit  d'inclusion 
embryonnaire   épidermique. 

Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  les  tumeurs  parasitaires  :  échinoco- 
ques,  cysticerques,  dont  le  diagnostic  ne  peut  être  fait  que  par  des  notions 
étiologiques  précises  ou  parla  constatation  clinique  de  tumeurs  sous- 
cutanées,  comme  nous  avons  pu  le  faire  chez  une  jeune  malade  qui  pré- 
sentait de  nombreux  cysticerques  sous-cutanés  et  chez  qui  se  manifes- 
tèrent des  crises  répétées  d'épilepsie  jacksonienne  du  membre  supé- 
rieur droit. 

Quant  aux  tumeurs  métastatiques,  néoplasme  intestinal  ou  bronchique, 
tumeurs  du  sein  sont  les  variétés  de  néoplasme  qui  donnent  le  plus 
souvent  des  métastases  cérébrales  ;  elles  se  caractérisent  d'une  part  par 
la  multiplicité  des  signes  de  localisation  et  généralement  par  le  peu 
d'intensité  des  signes  d'hypertension.  Nous  avons  pu,  dans  deux  cas, 
faire  le  diagnostic  exact  par  la  constatation  de  cellules  néoplasiques 
volumineuses  dans  le  liquide  céphalo-rachidien. 

ÉVOLUTION    DES  TUMEURS  CÉRÉBRALES 

L'évolution  clinique  d'une  tumeur  cérébrale  est  fort  variable,  elle  dé- 
pend à  la  fois  du  siège  de  la  tumeur  et  de    sa  nature. 

Les  tumeurs  de  la  fosse  cérébrale  postérieure  (cervelet-protubérance) 
s'accompagnent  très  rapidement  de  phénomènes  graves  d'hypertension 


42  '.'//•   CH  \  l  i  I  l  \ 


cérébrale  et  aboutissent  en  quelques  mois  au  coma.  Par  contre,  les 
tumeurs  qui  siègent  dans  les  zones  «  muettes  »,  en  particulier  les 
tumeurs  pariéto-occipitales,  peuvent  rester  parfaitement  latentes  pen- 
dant toute  la  vie  du  malade  qui  meurt  d'une  affection  quelconque.  La 
tumeur  est  découverte  à  l'autopsie. 

Les  gliômes,  et  surtout  legliôme  infiltrant,  évoluent  beaucoup  plus 
rapidementque  les  fibromes  ou  fibrosarcomes  à  point  de  départ  méningé. 
En  particulier,  connue  nous  l'avons  signalé  plus  haut,  les  gliômes  cpii 
évoluent  chez  des  femmes  jeunes  au  cours  ou  à  la  suite  de  la  grossesse 
sont  d'une  particulière  gravité. 

Lorsque  les  signes  généraux  d'hypertension  apparaissent,  si  l'on 
n'intervient  pas,  chirurgicalement,  le  malade  s'achemine  plus  ou  moins 
rapidement,  comme  nous  venons  de  le  voir,  vers  le  coma. 

Si  la  trépanation  décompressive  est  pratiquée,  —  et  nous  parlons 
de  la  trépanation  décompressive  simple,  —  on  observe  dans  la 
majorité  des  cas  une  amélioration  presque  immédiate  (dans  les 
jours  qui  suivent  l'intervention),  c'est-à-dire  disparition  complète 
ou  presque  complète  de  la  céphalée,  relèvement  quelquefois  sur- 
prenant, mais  passager  de  l'acuité  visuelle.  L'amélioration  est  d'une 
durée  Tort  variable,  toujours  suivant  la  nature  et  le  siège  de  la  tumeur, 
en  moyenne  un  an  à  dix-huit  mois,  mais  nous  avons  observé  des  cas 
dans  lesquels  l'amélioration  persista  4  et  5  ans,  c'est-à-dire  la  dispari- 
tion de  la  céphalée,  l'arrêt  de  l'évolution  vers    la    cécité. 

D'ailleurs,  si  les  phénomènes  d'hypertension  réapparaissent,  une 
nouvelle  décompression  peut  être  faite  du  côté  opposé;  elle  donne  les 
-mêmes résultats  favorables,  mais  d'une  durée  beaucoup  moins  longue, 
en  général  quelques  mois  seulement. 

Il  en  est  tout  autrement  si  l'intervention  n'est  plus  simplement  pallia- 
tive, mais  permet  l'ablation  de  la  tumeur.  Ces  cas,  malheureusement 
trop  rares,  sont  tout  à  fait  remarquables  comme  résultats  définitifs  :  les 
malades  que  nous  avons  observés  six  et  huit  ans  après  l'intervention 
non  seulement  ne  présentaient  aucun  symptôme  tir  récidive,  mais  la 
restitution  des  fonctions  motrices  ou  sensitives,  la  disparition  des  trou- 
bles cérébelleux  étaient  à  peu  près  complète,  surtout  lorsqu'il  s'agissait 
d'un  malade  jeune. 

DIAGNOSTIC  POSITIF 

Etude  du  liquide  céphalo  rachidien.  —  Nous  ne  reviendrons  pas  sur 
les  caractères  cliniques  essentiels  qui  permettent  de  poser  le  diagnostic 
ferme  de  tumeur  cérébrale  ;  ce  sont,  comme  nous  l'avons  dit,  avant  tout 


LES  TUMEURS  CÉRÉBRALES  43 

les  signes  généraux,  et  parmi  ceux-ci  la  stase  papillaire,  signe  objectif 
et  qui  renseigne,  jour  par  jour,  sur  les  progrès  du  mal.  Et  cependant  il 
faut  le  reconnaître,  dans  quelques  cas,  exceptionnels  il  est  vrai,  la  stase 
peut  manquer  jusqu'au  dernier  jour. 

Il  est  à  l'heure  actuelle  des  méthodes  complémentaires  d'examen, 
méthodes  de  laboratoire  qui  dans  les  cas  douteux  viennent  apporter 
leurs  précisions  à  un  diagnostic  hésitant  :  ce  sont  les  données  de  l'ana- 
lyse de  liquide  céphalo-rachidien  et  la  radiographie. 

La  ponction  lombaire  a  été  considérée  pendant  longtemps  et  à  juste 
titre  comme  fort  dangereuse  chez  un  malade  atteint  de  tumeur  céré- 
brale; on  a  signalé  de  nombreux  cas  de  mort  subite  au  cours  de  la  ponc- 
tion ou  dans  les  heures  qui  suivent  la  ponction.  La  gravité  de  la  ponc- 
tion lombaire  clans  bien  des  cas  de  tumeur  cérébrale  ne  saurait  être 
discutée,  mais  nous  devons  ajouter  qu'en  prenant  certaines  précautions 
on  réduit  au  minimum  les  dangers  de  cette  intervention,  et  notre  expé- 
rience est  basée  sur  plusieurs  centaines  de  ponctions  lombaires  faites 
dans    ces  conditions. 

On  aura  soin  de  mettre  le  malade  dans  le  décubitus  horizontal  plu- 
sieur  heures  avant  la  ponction.  La  ponction  sera  faite  dans  le  décubitus 
latéral,  avec  une  aiguille  aussi  fine  que  possible  dans  laquelle  on  lais- 
sera le  mandrin,  ce  qui  évite  l'écoulement  trop  rapide  du  liquide.  On  ne 
retirera  pas  plus  de  6  centimètre  cubes  de  liquide,  quantité  suffisante 
pour  les  examens. 

Les  renseignements  fournis  par  la  ponction  sont  de  premier  ordre  : 
la  pression  du  liquide,  mesurée  à  l'aide  du  manomètre  de  Claude,  est 
dans  l'immense  majorité  des  cas  fortement  augmentée,  sauf  dans  cer- 
tains cas  de  tumeur  du  cervelet  ou  du  4°  ventricule  où  il  se  produit 
vraisemblablement  une  sorte  de  blocage  du  trou  occipital.  C'est  sans 
doute  dans  de  tels  cas  que  la  ponction  faite  sans  les  précautions  que 
nous  avons  indiquées  peut  donner  des  accidents  mortels  par  engagement 
des  amygdales  cérébelleuses  dans  le  trou  occipital  et  véritable  écrase- 
ment du  bulbe  (on  peut  se  rendre  compte  de  la  réalité  de  cette  action 
mécanique  à  l'autopsie  des  tumeurs  de  la  fosse  cérébrale  postérieure). 

L'analyse  chimique  et  cytologique  montre  d'une  façon  à  peu  près 
constante  une  dissociation  albumino-cytologique,  c'est-à-dire  une 
augmentation  considérable  du  taux  de  l'albumine  et  une  lymphocytose 
nulle  ou  très  minime.  Le  taux  de  l'albumine  oscille  entre  0,50  centi- 
grammes et  1  gramme  et  plus  par  litre;  assez  souvent  on  observe  une 
légère  xanthochromie  du  liquide, 

D'une  manière  générale,  on  peut  dire  que  l'hyperalbuminose  évolue 


i;  eu.  en  1 11:  il  \ 


parallèlement  à  la  stase,  mais  que  souvent  elle  la  précède.  C'est  donc, 
dans  les  cas  observés  au  début,  une  recherche  du  plus   haut  intérêt  (1) 

La  radiographie  telle  qu'elle  est  pratiquée  couramment  donne  géné- 
ralement fort  peu  de  renseignements,  saut'  dans  les  cas  fort  rares  de 
tumeurs  calcifiées,  de  psammomes  ;  dans  les  cas  de  tumeurs,  de  la 
base  OU  de  la  convexité  avec  destruction  de  l'os  au  voisinage  de  la 
tumeur,  ce  qui  est  d'ailleurs  exceptionnel,  le  cliché  radiographique 
peut  fournir  des  indications  de  première  valeur  sur  le  siège  du 
néoplasme. 

Par  contre,  grâce  à  un  procédé  personnel  de  radiographie  stéréosco- 
pique,  le  D'  Chabry  a  pu,  dans  un  très  grand  nombre  de  cas  de  tumeurs 
cérébrales  du  service  du  professeur  Pierre  Marie  à  la  Salpêtrière,  rendre 
visible  sur  le  cliché  stéréoscopique  la  tumeur  elle-même,  en  particulier 
dans  les  cas  de  tumeurs  de  l'angle  ponto-cérébelleux,  et  dans  de  nom- 
breux cas  l'intervention  chirurgicale  vérifia  l'exactitude  du  diagnostic 
clinique  et  radiographique.  Cette  méthode  encore  inédite  fera  l'objet 
dune  communication  ultérieure,  elle  est  appelée  à  rendre  les  plus 
grands  services  au  moment  de  l'intervention  chirurgicale. 

DIAGNOSTIC  DIFFÉRENTIEL 

Chose  curieuse,  ce  sont  plutôt  les  états  méningés  que  les  lésions  en 
foyer  du  cerveau  qui  peuvent  donner  lieu  à  une  erreur  de  diagnostic  : 
méningite  chronique  syphilitique,  épendymite  avec  hydrocéphalie 
interne,  méningite  séreuse,  pachyméningite  hémorrhagique  chez  le 
vieillard. 

Les  épendymites,  la  méningite  séreuse  feront  l'objet  d'une  leçon 
spéciale,  nous  n'y  insistons  pas.  La  méningite  chronique  syphilitique, 
lorsqu'elle  évolue  lentement  et  cpie  par  surcroît  les  réactions  du  liquide 
montrent  seulement  de  l'hyperalhuminose  avec  une  légère  lymphocytose, 
peut  être  d'un  diagnostic  différentiel  extrêmement  délicat,  d'autant 
qu'on  peut  observerai!  cours  de  telles  méningites  chroniques  un  certain 
degré  de  névrite  optique.  Cependant,  les  signes  généraux  d'hypertension 
sont  beaucoup  moins  accusés  (pic  dans  les  tumeurs  cérébrales,  les  signes 
locaux,  s'ils  existent,  moins  précis,  sauf  Cependant  dans  quelques  cas 
de  méningite  chronique  de  la  hase    qui  réalise  souvent  de   la  façon    la 

1 1  Nous  ne  parlerons  pas  des  résultais  de  la  réaction  de  Wassermann  classique  <|ui 
dans  hiendes  cas  de  tumeur  cérébrale  vérifiés  donne  un  résultai  positif  dans  la  liquide 
céphalo-rachidien.  On  sait  le  peu  de  valeur  de  celte  réaction  el  l'on  voil  le  danger  de 
ce  faux  résultat  positif  dans  les  cas  que  nous  étudions  ;  on  perd  un  temps  précieux 
par  de  vains  traitements  spécifiques. 


LES  TUMEURS  CÉRÉBRALES  .  45 

plus  précise  des  syndrome  des  tumeurs  de  l'angle ponto-cérébelleux.  En 
un  mot,  l'évolution  des  symptômes  est  d'ordinaire  moins  pressante  que 
dans  les  tumeurs  cérébrales,  et  dans  de  tels  cas  c'est  encore  l'examen  du 
fond  de  l'œil,  l'existence  d'une  stase  vraie  et  son  évolution  qui  per- 
mettent de  trancher  le  diagnostic. 

La  pachyméningite  hémorrhagique  qui  s'observe  presque  exclusi- 
vement chez  le  vieillard,  s'accompagne  assez  souvent  de  signes  de  com- 
pression cérébrale,  mais  très  lentement  progressive,  avec  périodes 
successives  de  subcoma  et  généralement  sans  signes  de  localisation. 
Il  est  juste  de  dire  que  le  diagnostic  exact  est  rarement  fait  et  que  la 
pachyméningite  hémorrhagique  est  le  plus  souvent  une  trouvaille 
d'autopsie.  D'ailleurs  de  tels  cas,  ^'ils  étaient  sûrement  diagnostiqués- 
seraient  justiciables  eux  aussi  de  l'intervention  chirurgicale. 

Les  lésions  cérébrales  proprement  dites  donnent  plus  rarement  lieu 
aune  erreur  de  diagnostic. 

Dans  des  cas  exceptionnels  le  ramollissement  cérébral  progressif 
par  thrombose  vasculaire  extensive.  le  ramollissement  hémorrhagique 
par  thrombose  du  sinus,  qui  ne  se  voit  guère  que  chez  l'enfant,  l'encé- 
phalite aiguë,  très  rare,  également  spéciale  à  l'âge  infantile,  la  méningo- 
encéphalite  diffuse  syphilitique,  offriront  quelquefois  à  un  moment  de 
leur  évolution  une  possibilité  d'erreur. 

Ces  affections  sont  les  unes  trop  exceptionnelles,  la  dernière  trop 
facile  à  reconnaître  parles  procédés  de  laboratoire,  pour  être  pendant 
longtemps  confondues  avec  une  tumeur  cérébrale. 

Seul  Yabcès  du  cerveau  peut  dans  bien  des  cas  être  confondu  jusqu'au 
dernier  moment  avec  une  tumeur  cérébrale  :  cependant  l'abcès  céré- 
bral s'accompagne  rarement  de  phénomènes  généraux  intenses  d'hy- 
pertension. Ce  sont  les  données  étiologiques  qui  dans  la  plupart  des 
cas  fournissent  l'élément  différentiel.  D'ailleurs  au  point  de  vue 
pratique  le  diagnostic  différentiel  n'est  pas  à  poser,  puisque  dans  un 
cas  comme  dans  l'autre  l'intervention  chirurgicale  est  aussi  urgente. 

Restent  enfin  le  tubercule  et  la  gomme  cérébrale,  qui  doivent  être 
maintenant  séparés  du  domaine  des  tumeurs  cérébrales  et  qui  relèvent 
d'un  traitement  tout  autre  que  le  traitement  chirurgical. 

Le  tubercule  cérébral  peut  être  unique  (ce  qui  est  relativement 
rare)  et  s'observe  surtout  chez  l'enfant.  L'évolution  du  tubercule  céré- 
bral s'accompagne  souvent  d'épisodes  méningés  qu'il  faut  bien  con- 
naître, parce  qu'ils  mettent  sur  la  voie  du  diagnostic  exact  :  il  s'agit 
d'un  enfant  qui  présente  les  signes  classiques  d'une  méningite  tuber- 
culeuse au  début  de  son  évolution  ;  la  ponction  lombaire  montre  même 


16  CH.  CH  i  ni  i  \ 


le  plus  souvent  une  réaction  lymphocytique  notable,  avec  hypêralbumi- 
nose,  puis,  après  quelques  jours  le  tableau  clinique  change  rapidement, 
tout  rentre  dans  l'ordre.  De  tels  épisodes  méningés  peuvent  ainsi  se 
répéter  à  plusieurs    mois   d'intervalle  ;  finalement  L'ensemencement 

méningé  se  termine  par  une  méningite  tuberculeuse  généralisée  mor- 
telle, et  l'autopsie  révèle  l'existence  d'un  ou  de  plusieurs  tubercules 
cérébraux  affleurant  les  méninges.  Dans  d'autres  cas,  en  particulier 
lorsqu'il  s'agit  de  tubercule  isolé  du  cervelet,  le  diagnostic  différen- 
tiel entre  le  gliôme  et  le  tubercule  est  pratiquement  impossible. 

Il  n'arrive  guère,  avec  les  progrès  des  méthodes  de  laboratoire  et  de 
la  sérologie  spécifique,  de  confondre  une  gomme  cérébrale  avec  une 
tumeur.  La  très  grande  rareté  de  la  gomme  cérébrale  solitaire  rend 
d'ailleurs  l'erreur  peu  fréquente.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'examen  clinique 
simple  ne  fournit  souvent  pas  d'élément  différentiel  décisif,  en  l'absence 
île  notions  étiologiques  précises  et  de  renseignements  fournis  par  l'étude 
du  liquide  céphalo-rachidien  et  du  sang. 

II  existe  enfin  une  catégorie  défaits  cliniques  avec  ou  sans  vérification 
aiïatomique  qui  ont  été  étudiés  particulièrement  par  les  auteurs  étran- 
gers et  groupés  sous  l'étiquette  générale  de  «  pseudo-tumeurs  cérébra- 
les ».  Nous  n'avons  jamais  eu  jusqu'ici  l'occasion  d'observer  de  tels  cas. 
Quoiqu'il  en  soit,  l'histoire  clinique  est  d'ordinaire  celle-ci  :  on  voit  appa- 
raître d'une  manière  assez  aiguë  chez  un  individu  jeune  tous  les  symp- 
tômes d'une  hypertension  cérébrale  grave  mais  fort  peu  de  signes  de 
localisation  céphalée,  stase  papillaire  ou  névrite  optique,  attaques 
épileptiques,  quelquefois  hémiparésie.  Ces  symptômes  évoluent  pen- 
dant un  temps  variable  et  avec  des  alternatives  d'aggravation  et  de 
régression,  et  le  plus  souvent  se  produit  une  guérison  complète  ou 
presque  complète  avec,  par  exemple,  un  léger  degré  d'atrophie  optique 
résiduelle.  Le  même  syndrome  peut  réapparaître  chez  le  malade  après 
plusieurs  années  de  guérison   complète  apparente. 

Dans  les  cas  d'évolution  particulièrement  rapide  et  terminés  par  la 
mort,  l'autopsie  n'a  révélé  aucune  tumeur,  pas  même  de  gliôme  infiltré'. 
Les  données histopathologiques  que  nous  possédons  sont  encore  très 
imprécises.  Albeimer  aurait  trouvé  dans  deux  cas  des  modifications 
importantes  et  diffuses  de  la  névroglie. 

Ces  cas  de  pseudo-tumeur  cérébrale,  d'ailleurs  très  rares  semble- 
t-il,  sont  d'un  diagnostic  exact  à  peu  près  impossible  ;  seule  clinique- 
ment  l'évolution  particulièrement  rapide  des  symptômes  autorisera 
peut-êtreà  poser  ce  diagnostic 


LES   TUMEURS  CÉRÉBRALES  4  7 


TRAITEMENT 

Les  signes  généraux  d'hypertension  dictent  l'intervention  d'urgence, 
d'ordinaire  simplement  palliative.  Les  signes  locaux  permettent  de 
tenter  une  opération  définitive,  une  exérèse  de  la  tumeur. 

La  conduite  à  tenir  sera  donc  différente,  suivant  que  les  signes  géné- 
raux d'hypertension  seront  au  premier  plan  —  c'est  de  beaucoup  le  cas 
le  plus  fréquent  —  ou  au  contraire,  la  localisation  étant  précisée  et  les 
signes  généraux  tout  au  début  de  leur  apparition,  le  chirurgien  pourra 
tenter  l'ablation  de  la  tumeur. 

En  pratique,  on  se  trouve  d'ordinaire  le  plus  souvent  en  présence 
d'un  malade  qui  souffre  atrocement  et  qui  perd  la  vue  ;  il  faut,  sans 
perdre  de  temps,  pratiquer  la  trépanation  décompressive  :  elle  soulage 
presque  immédiatement  le  malade  ;  elle  l'empêche  de  devenir  définiti- 
vement aveugle,  elle  lui  permet  de  garder  pour  plusieurs  mois  en 
général  intacte  l'acuité  visuelle  qu'il  possédait  au  moment  de  l'interven- 
tion; il  n'y  a  donc  pas  de  temps  à  perdre,  c'est  une  véritable  intervention 
d  urgence. 

Cette  trépanation  décompressive  peut  n'être  que  le  premier  temps 
d'une  intervention  plus  complète,  parce  que  souvent,  en  supprimant 
pour  un  temps  les  phénomènes  d'hypertension,  elle  permet  de  mieux: 
analyser  les  signes  délocalisation. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  donner  ici  le  détail  technique  de  l'interventi'on, 
mais  il  est  quelques  notions  que  tout  médecin  doit  retenir. 

La  trépanation,  pour  être  utile,  doit  être  large,  très  large,  en  moyenne 
six  centimètres  sur  huit  centimètres  comme  dimension  de  la  brèche 
osseuse.  Le  siège  d'élection  de  la  trépanation  décompressive  simple 
sera  la  région  temporo-pariétale  droite,  le  bord  antérieur  de  la  perte 
de  substance  osseuse  répondant  au  bord  postérieur  de  la  pariétale 
ascendante  et  son  bord  inférieur  à  un  ou  deux  centimètres  du  bord 
supérieur  du  rocher  dans  les  zones  muettes  du  cerveau. 

Dans  la  trépanation  décompressive  simple  pour  syndrome  d'hyper- 
tension, il  faut  autant  que  possible  ne  pas  ouvrir  la  dure-mère.  Le  pro- 
nostic est  en  effet  dans  ce  cas  tout  différent  :  la  trépanation  simple  sans 
ouverture  de  la  dure-mère  est  presque  toujours  une  intervention  qui 
présente  un  minimum  de  gravité,  et  réalisée  sous  anesthésie  locale 
avec  la  technique  et  l'instrumentation  de  de  Martel,  elle  présente  un 
minimum  de  risque  ;  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  malades  quitter  le 
service  chirurgical  6  à  8  jours  après  l'intervention.  Le  résultat  favo- 
rable se  lait  presque  immédiatement  sentir. 


i**  CH    CHA  FELIN 


Au  contraire,  l'incision  de  la  dure-mère,  sans  soulager  beaucoup  plus, 
expose  le  malade  aux  plus  sérieuses  complications,  hernie  cérébrale, 
fistule  du  liquide  céphalo-rachidien  et  infection  méningée  consécutive. 

Lorsque  au  contraire  la  localisation  précoce  delà  tumeur  a  pu  être 
faite,  que  l'intervention  n'est  plus  seulement  palliative,  mais  vise  à 
être  définitive  et  que  le  chirurgien  découvre  la  tumeur,  l'incision  de  la 
dure-mère  est,  bien  entendu,  indispensable,  mais  avant  l'ablation  de  la 
tumeur,  une  ligature  minutieuse  de  tous  les  vaisseaux,  artères  et  veines 
doit  être  pratiquée  avant  l'enlèvement  de  la  tumeur,  et  celle-ci  enlevée, 
la  suture  de  la  dure-mère  doit  être  tentée  et  la  fermeture  des  plus  su- 
perficielle réalisée  sans  drainage,  ou  avec  un  drainage  de  24  heures. 
Toutes  ces  données  de  thérapeutique  chirurgicale  sont  le  résultat  de 
plusieurs  années  de  collaboration  avec  le  docteur  Th.  de  Martel. 

Nous  ne  parlerons  pas  du  traitement  médical  des  tumeurs  céré- 
brales. Il  n'existe  pas  ;  mais  nous  tenons  à  attirer  l'attention  sur  les 
conséquences  funestes  du  traitement  dit  d'épreuve,  lorsqu'on  se 
trouve  en  présence  d'une  tumeur  cérébrale  dûment  diagnostiquée. 
Sous  le  prétexte  que  la  spécificité  peut  être  en  cause,  on  intlige  au 
malade  un  traitement  arsenical  ou  mercuriel  ou  ioduré  ;  cela  est  désas- 
treux, et  cette  manière  de  faire  doit  être  absolument  abandonnée.  Non 
seulement  on  prolonge  inutilement  les  souffrances  du  malade  et  même 
on  les  aggrave  quelquefois  (iodure),  mais  surtout  on  laisse  les  lésions 
évoluer,  en  particulier  la  stase  et  l'atrophie  optique,  et  lorsqu'on  s'adresse 
enfin  au  chirurgien,  car  il  faut  malgré  tout  arriver  à  l'intervention,  le 
malade  est  épuisé,  il  a  perdu  plusieurs  semaines,  bien  souvent  il  est 
aveugle,  ou  bien  l'acuité  visuelle  a  encore  baissé  et  l'intervention  chi- 
rurgicale, comme  nous  l'avons  vu,  laisse  tout  au  plus  au  malheureux 
patient  le  degré  d'acuité  visuelle  qui  existait  au  moment  de  l'opération. 

Peut-être  dans  quelques  années  la  radiothérapie  et  surtout  la 
radiumthérapie,  qui  donne  de  si  grands  espoirs,  permettra-t-elle  d'éviter 
l'intervention  chirurgicale  et  d'obtenir  des  résultats  non  seulement 
provisoires,  comme  c'est  malheureusement  le  cas  le  plus  souvent,  mais 
des  résultats  définitifs.  Nous  connaissons  à  l'heure  actuelle  plusieurs 
cas  dont  l'évolution  est  arrêtée  depuis  plusieurs  années,  après  une 
simple  trépanation  décoinpressi ve,  par  l'application  de  la  radiothé- 
rapie profonde  et  intensive. 


TROISIÈME    CONFÉRENCE 


M.  le  D>   H.    CLAUDE 

Professeur    agrégé  à    la    Faculté    de    médecine, 
Médecin   de    l'Hôpital    Saint-Antoine. 

L'HYPERTENSION    INTRA-CRANIENNE    ET    LES 
MÉNINGITES     SÉREUSES 


Messieurs, 

Le  problème  diagnostique  de  l'hypertension  intracranienne,  de  ses 
causes  et  surtout  des  traitements  à  lui  opposer  est  souvent  un  des 
plus  angoissants  qui  puissent  se  présenter  à  un  médecin.  Le  syndrome 
est-il  la  manifestation  d'une  tumeur  cérébrale,  ne  traduit-il  qu'un  état 
méningé  bénin  en  soi-même,  mais  dont  les  conséquences  peuvent  pren- 
dre une  importance  très  grande  du  fait  de  la  compression  de  certains 
organes  contenus  dans  le  crâne?  Convient-il  de  proposer  une  opération 
radicale  sur  les  centres  nerveux,  doit-on  se  contenter  d'un  traitement 
général,  ou  mieux, vse  hâter  de  combattre  l'hypertension  parles  moyens, 
de  décompression  le  plus  tôt  possible?  Autant  de  questions  que  vous 
devez  résoudre  dans  le  plus  bref  délai,  si  vous  voulez  que  votre  action 
thérapeutique  soit  efficace,  et  avec  toute  l'énergie  dont  vous  serez  ca- 
pable, car  bien  souvent  l'intervention  proposée  contrastera  par  son 
importance  avec  le  caractère  banal  des  symptômes. 

Une  partie  de  la  question  ayant  été  déjà  abordée  dans  la  leçon  sur  les 
tumeurs  cérébrales,  je  me  bornerai  à  vous  exposer  les  conditions  du 
développement  de  l'hypertension  intracranienne  dans  ses  formes  en 
apparence  primitives,  et  notamment  dans  ses  rapports  avec  les  ménin- 
gites séreuses. 


Quelques  mots  tout  d'abord,  Messieurs,  pour  vous  rappeler  l'origine 
de  ce  liquide  qui  baigne  les  centres  nerveux  et  comment  il  circule.  Le 
liquide  céphalo-rachidien  est  contenu  dans  les  ventricules  et  dans   les 

COXFÉR.    NEUROL.  4 


50  H.  CLAl  DE 


espaces  sous-arachnoïdiens.  [1  passe  des  ventricules  latéraux  dans  le 
troisième  ventricule  par  les  trous  de  Monro,  du  troisième  ventricule 
dans  le  quatrième  par  l'aqueduc  de  Sylvius.  Le  quatrième  ventricule 
communique  d'une  part  avec  l'épendyme  médullaire,  d'autre  part  avec 
les  espaces  sous-arachnoïdiens  parles  trous  de  Luschka. 

Les  espaces  sous-arachnoïdiens  sont  constitués  par  un  rétieulum 
conjonctivo-vasculaire  rempli  par  le  liquide  céphalo-rachidien  formant 
entre  l'arachnoïde  et  la  pie-mère  à  la  surface  de  la  masse  cérébro- 
spinale une  sorte  de  matelas  d'eau  qui  protège  le  tissu  nerveux.  Ces 
espaces  se  continuent  dans  les  scissures  ;  ils  prennent  un  développe- 
ment surtout  considérable  au  niveau  de  la  base  du  cerveau,  de  l'isthme 
de  l'encéphale,  où  ils  forment  de  véritables  réservoirs,  les  lacs  cérébel 
leux.  Ils  se  prolongent  aussi  le  long  des  vaisseaux,  des  racines  et  des 
nerfs. 

Ce  liquide  céphalo-rachidien  dont  vous  n'ignorez  pas  les  caractères 
physiques  et  chimiques  est  sécrété  par  les  plexus  choroïdes  des  divers 
ventricules  dont  le  rôle,  sans  remonter  jusqu'à  Galien,  est  connu  de 
longue  date,  mais  a  été  surtout  affirmé  par  les  travaux  de  Faivre  (1854). 
Luschka  apporta  ensuite  des  arguments  histo-physiologiques  qui  mirent 
hors  de  doute  la  structure  glandulaire  de  leurs  éléments  constituants. 
Le  mémoire  de  Pettit  et  Gérard (1902) compléta  nos  connaissances,  qui 
s'enrichirent  encore  des  travaux  contemporains  de  Mestrezat,  de  Mott, 
de  Weed  (1915),  de  Frazier  (1915),  de  Dixon  et  Halliburton  (1910),  de 
Grynfeldt  et  Eu/.ière. 

Pour  vous  donner  une  idée  de  l'importance  des  villosités  choroï- 
diennes  dont  je  ne  puis  vous  indiquer  les  caractères  .histologiques,  je 
vous  dirai  seulement  qu'on  a  estimé  leur  surlace  sécrétante  à  un  mètre 
carré.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  dans  ces  conditions  que  le  liquide 
puisse  donc,  dans  certaines  conditions,  être  sécrété  en  abondance.  Nor- 
malement chez  l'adulte  il  semble  que  la  quantité  de  liquide  céphalo- 
rachidien  varie  entre  80  et  150  crac.  Mais  cette  quantité  paraît  se  renou- 
veler avec  facilité,  sept  ou  huit  fois  dans  les  vingt-quatre  heures,  puis- 
que dans  des  cas  d'écoulement  par  les  fosses  nasales  à  la  suite  des 
traumatismes  (Verneuil,  Vigouroux),  on  a  pu  recueillir  plus  d'un  litre 
de  liquide  cérébro-spinal. 

Il  est  d'ailleurs  admis  par  quelques  auteurs  que  les  cellules  du  revê- 
tement épendymaire  qui  tapisse  les  cavités  ventriculaires  peuvent  dans 
certaines  conditions  participera  la  sécrétion   du  liquide. 

A  la  fonction  secrétaire  s'ajoute  une  [onction  de  résorption  et  une 
fonction  de  sécrétion  interne  qui  n'est  pas  négligeable  pour  qui  étudie  la 


L'HY'PERTENSION  INTRACRANIENNE  51 

pathologie  choroïdienne.  Lœper,  Pellizzi,  admettent  que  des  produits 
de  désintégration  des  centres  nerveux,  notamment  des  graisses,  des 
lipoïdes  divers  sont  résorbés  au  niveau  de  l'épithélium  des  plexus. 
Fleischmann  tout  récemment  a  soutenu  l'opinion  que  ces  organes  ont 
un  rôle  antitoxique  à  l'égard  de  certains  produits  nuisibles  qui  seraient 
filtrés  et  absorbés  par  le  revêtement  plexulaire.    ' 

D'autre  part,  Pettit  et  Girard  avaient  avancé  que  les  cellules  des 
plexus  choroïdes  qui  avaient  les  apparences  d'une  glande  à  sécré- 
tion interne  déversaient  en  réalité  certains  produits  élaborés  dans  une 
cavité  intermédiaire,  mais  dans  le  but  qu'ils  soient  résorbés  parce  qu'ils 
avaient  une  destination  interne.  Récemment  von  Monokow  et  ses  élèves 
ont  repris  cette  idée  et  attribué  aux  plexus  choroïdes,  en  commun  avec 
d'autres  organes  à  sécrétion  interne,  un  rôle  biochimique  de  première 
importance  pour  le  développement  et  l'intégrité,  ainsi  que  le  fonction- 
nement régulier  du  système  nerveux.  Kitabayashi  a  exposé  dernière- 
ment cette  conception  et  tenté  de  démontrer  l'action  protectrice  et  épu- 
ratrice  des  plexus  choroïdes,  notamment  en  cas  de  traumatismes  psychi- 
ques ou  passionnels,  troublant  la  vie  instinctive  et  déterminant  des 
troubles  des  sécrétions  internes.  Il  s'agit  là  d'une  hypothèse  intéres- 
sante que  je  me  contente  de  vous  indiquer. 

Ce  liquide  céphalo-rachidien  circule.  Nous  avons  vu  en  effet  qu'il  est- 
sécrété  en  abondance,  que  certains  corps  sont  résorbés  ;  mais  comment 
se  fait  la  résorption  de  cette  masse  liquide  ?  Il  était  vraisemblable 
d'admettre  un  courant  se  produisant  des  ventricules  vers  les  espaces 
sous-a'rachnoïdiens  et  au  delà.  Pour  Mott  cette  résorption  se  fait  à  l'in- 
térieur des  ganes  périvasculaires  et  périneurales.  Dans  deux  cas  de 
néoplasmes  cérébro-méningés  que  nous  avons  étudiés  avec  MUe  Loyez 
(1913),  nous  avons  pu  constater  la  présence  de  cellules  cancéreuses  for- 
mant un  manchon  dans  la  gaine  périvasculaire  :  il  s'agissait  d'éléments 
qui,  des  méninges,  avaient  essaimé  par  l'intermédiaire  du  liquide 
céphalo-rachidien.  Pour  quelques  auteurs  la  résorption  pourrait  se  faire 
aussi  au  niveau  des  granulations  de  Pacchioni  communiquant  avec 
les  sinus  cérébraux 

Cathelin  a  décrit,  sous  la  dénomination  imagée  de  quatrième  circula- 
lion,  le  circuit  du  liquide  céphalo-rachidien  qui  des  ventricules  passe  dans 
le  réservoir  sous-arachnoïdien,  et  de  là  dans  les  gaines  périvasculaires, 
puis  dans  ce  qu'il  appelle  les  capillaires  frontières  à  disposition  spon- 
gieuse où  il  est  résorbé  par  la  circulation  lymphatique  pour  être  linale- 
mentdéversédansla  citerne  dePecquet,puisdansla  circulation  veineuse. 
Il  existerait  aussi  une  communication  avec  les  lymphatiques  des  nerfs. 


IL  CI. M  DE 

In  autre  argument  mérite  d'être  produit  en  faveur  du  mode  de 
cette  circulation;  il  est  tiré,  Messieurs,  des  conditions  différentes 
de  pression  dans  le  liquide  céphalo-rachidien,  le  système  artériel 
et  le  système  veineux.  La  pression  du  liquide  céphalo-rachidien  à 
l'état  normal  est  de  15  à  20  centimètres  d'eau  :  elle  est  donc  au 
moins  quinze  à  vingt  fois  inférieure  à  la  pression  artérielle  moyenne 
qui  serait  de  2  mètres  d'eau,  et  six  fois  inférieure  à  la  pression  capil- 
laire. Mais  la  pression  veineuse  que  j'ai  étudiée  en  1913  à  l'état  normal 
et  pathologique,  et  qui  est  de  10  à  12  cm.  d'eau,  lui  est  inférieure.  Il  est 
donc  naturel  (pie,  des  artères,  le  liquide  céphalo-rachidien  déversé 
dans  les  cavités  ventriculaires,  tende  à  gagner  les  capillaires  lympha- 
tiques et  veineux  dont  la  pression  lui  est  inférieure. 

D'autre  part,  la  pression  du  L.  C  R.  varie  avec  la  tension  sanguine. 
Chez  un  artérioscléreux  atteint  d'accidents  d'urémie  nerveuse  je  trouve 
successivement  les  chiffres  respectifs  suivants,  en  rapport  avec  l'évolu- 
tion de  la  maladie  vers  l'asvstolie  terminale. 


P.  Art 

1° 

28-14 

2° 

23-12 

3° 

10-12 

.  Vein. 

P.  L.  C. 

R 

12 

70 

13 

4;> 
13 

En  résumé,  Messieurs,  le  liquide  céphalo-rachidien,  véritable  matelas 
d'eau  interposé  entre  les  diverses  parties  des  centres  nerveux  et  entre 
celles-ci  et  la  paroi  osseuse  eranio-vertébrale,  protège  la  masse  en- 
céphalo-médullaire;  mais  si  le  liquide  est  sécrété  en  trop  grande  quan- 
tité, ou  si  des  néoformations  des  centres  nerveux  augmentent  la  masse 
du  contenu  par  rapport  au  contenant,  le  liquide  deviendra  une  cause  de 
compression  des  tissus  nerveux  :  l'hypertension  intracranienne  sera 
créée.  Examinons  maintenant  en  détail  les  conditions  qui  peuvent  faire 
varier  cette  tension  du  liquide  céphalo-rachidien  qui  est  sécrété,  qui 
circule  et  doit  clic  résorbé. 


Trois  causes  peuvent  être  invoquées  :  une  exagération  delà  sécrétion, 
une  gène  circulatoire,  un  obstacle  à  la  résorption. 

L' exagération  de  la  sécrétion  peut  être  sous  la  dépendance  soit  d'une 
élévation  de  la   pression  artérielle  (artériosclérose,   urémie,  etc.),  soit 

d'une  excitation  des  cellules  choroïdiennes  par  certaines  substances 
toxiques,  soit  d'une  irritation  purement  inflammatoire  (méningites,  épen- 
dymites).  La  gêne  de la  circulation  du  liquide  céphalo-rachidien  Mtréa- 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  53 


Usée  par  la  compression  ou  l'oblitération  d'origine  inflammatoire,  par 
exemple,  des  orifices  de  communication  des  ventricules  ou  des  espaces 
arachnoïdiens,  les  cloisonnements  de  ces  cavités,  les  néoformations 
intracraniennes  (tumeurs,  abcès,  pachyméningites,  etc.).  H  existe  des 
hypertensions  localisées  à  un  ou  plusieurs  ventricules,  en  raison  du 
siège  variable  de  la  compression. 

L'obstacle  à  la  résorption  peut  être  représenté  par  l'irruption  de  sang 
dans  le  liquide  céphalo-rachidien,  la  présence  de  caillots,  ou  bien  peut 
être  constitué  par  les  troubles  de  la  circulation  veineuse  ou  lympha- 
tique :  compression  des  veines  cérébrales,  veines  de  Galien  surtout,  phlé- 
bite des  veines  cérébrales,  thrombose  des  sinus,  etc. 

Expérimentalement  j'ai  pu  reproduire  avec  Thaon,  en  1905,  des  hydro- 
céphalies ventriculaires  chez  le  lapin,  par  l'injection  dans  le  ventri- 
cule latéral  des  poisons  tuberculeux  sclérosants  d'Auclair.  Les  orifices 
de  communication  avec  l'aqueduc  de  Sylvius  étaient  oblitérés  par  la 
réaction  inflammatoire  scléreuse.  En  1908,  Verger  etCruchet  ont  obtenu 
des  lésions  expérimentales  analogues. 

Les  conditions  pathogéniques  que  nous  venons  de  mentionner  se 
trouvent  réalisées  par  un  certain  nombre  d'affections  parmi  lesquelles 
il  faut  citer  tout  d'abord  les  tumeurs  cérébrales,  les  abcès  et  les  kystes, 
puis  les  hémorrhagies  cérébrales  et  surtout  méningées,  les  pachymé- 
ningites et  les  hématomes  de  la  dure-mère,  les  méningites  aiguës  et 
chroniques,  syphilitiques  et  tuberculeuses,  les  troubles  circulatoires  en 
rapport  avec  les  affections  cardiaques,  artérielles,  rénales,  les  commo- 
tions cérébrales,  enfin  les  méningites  séreuses.  C'est  de  cette  dernière 
catégorie  que  je  m'occuperai  seulement. 

Que  faut-il  entendre  par  ce  terme  de  méningite  séreuse  ?  L'expres- 
sion est  discutable,  car  elle  semble  indiquer  qu'on  désigne  sous  ce  nom 
des  inflammations  des  méninges  qui  n'arriveraient  pas  à  la  suppuration, 
mais  auxquelles  la  présence  d'albumine,  d'éléments  figurés  (leucocytes), 
garde  souvent  le  caractère  histologique  essentiel  des  méningites.  Or  il 
s'agit  dans  les  diverses  variétés  que  nous  aurons  à  distinguer,  d'une 
augmentation  générale,  ou  d'une  accumulation  du  liquide  céphalo-rachi- 
dien localisée,  se  produisant  sous  l'influence  de  réactions  inflamma- 
toires subaiguës  du  cerveau,  de  l'épendyme  ventriculaire  ou  des 
méninges. 

Les  méningites  séreuses  sont  en  général  l'expression  d'infections  ou 
d'intoxications  atténuées  qui, en  raison  de  la  nature  bénigne  des  réactions 


M  //.  Cl    \i  Dl 


inflammatoires,  ou   des  séquelles  de  celles-ci,  constituent  des  lésions 
d'un  ordre  particulier. 

Parmi  les  causes  les  plus  importantes,  il  faut  citer  les  traumatismes 
crâniens  :  fracture  du  crâne  avec  plaies  du  cuir  chevelu,  fractures 
ouvertes,  plaies  contuses  infectées  du  Iront,  du  cuir  chevelu  — et  sur- 
tout les  lésions  oculaires,  auriculaires  ou  nasopharyngées. 

Les  lésions  oculaires  telles  qu'ophtalmies,  plaies  infectées,  infec- 
tions par  suite  d'énucléations  sont  à  retenir.  Heine,  sur  dix-huit  cas  de 
blessures  de  l'œil,  a  trouvé  13  fois  de  l'hypertension  intracranienne.  Il 
a  l'ait  des  constatations  analogues  clans  des  cas  de  kératites  ou  d'ulcères 
de  la  cornée.  Cette  notion  peut  avoir  un  certain  intérêt  au  point  de  vue 
médico-légal,  pour  expliquer  des  phénomènes  nerveux  ou  psychiques 
persistants;!   la  suite  de  blessures  de  l'œil. 

C'est  surtout  à  la  suite  de  lésions  auriculaires  que  l'attention  fut  attirée 
sur  les  phénomènes  d'hypertension  intracranienne  ;  les  premières 
observations  de  méningite  séreuse  ont  en  effet  été  rapportées  par  les 
otologistes  qui,  croyant  opérer  des  abcès  cérébraux  consécutifs  à  des 
otites  ou  à  des  sinusites,  rencontrèrent  des  exsudats  méningés  circons- 
crits ou  diffus.  L'observation  de  Lecène  (1902)  est  un  bel  exemple  de 
méningite  séreuse  diffuse  de  la  corticalité  cérébrale  et  des  ventricules 
consécutive  à  une  otite.  L'observation  d'Herzfeld(1905)  concerne  un  cas 
de  méningite  séreuse  corticale  consécutive  à  une  sinusite  frontale.  Les 
cas  se  sont,  par  la  suite,  multipliés. 

Une  autre  catégorie  de  faits  est  relative  à  des  séquelles  de  méningites 
aiguës  ou  chroniques  datant  de  l'enfance,  ou  à  des  encéphalopathies 
infantiles  avec  hydrocéphalie  secondaire  ayant  laissé  des  altérations 
épendymaires.  A  l'occasion  d'une  infection  générale,  ou  locale  (otite), 
d'une  infection  nasopharyngée,  ou  d'un  traumatisme  crânien,  les  acci- 
dents d'hypertension  se  manifestent. 

Parfois,  sur  un  terrain  prédisposé  par  des  lésions  cérébro-méningées 
antérieures  bénignes,  ce  sont  des  intoxications  (alcoolisme,  satur- 
nisme) qui  deviendront  la  cause  de  poussées  d'hypertension;  il  est  pos- 
sible cpie  l'intoxication  arsenicale  doive  être  mise  en  cause  parfois. 

La  syphilis  est  encore,  soit  sous  la  forme  d'encéphalopathies  infan- 
tiles, soit  sous  la  forme  de  méningopathies  avec  OU  sans  lésions  vaseu- 
laires,  une  des  maladies  qui  peut-être  à  l'origine  des  méningites 
séreuses.  Mais  son  rôle  est  certainement  moins  important  que  celui  de 
la  tuberculose. 

Les  expériences  de  Renaud  ont  démontre  qu'une  grande  quantité  de 
bacilles  tuberculeux    introduite  dans    le   cerveau  en  est    vite   éliminée: 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  55 

S . 

celles  de  J.  Flatau  et  MIle  Taraponi  qui  introduisant  du  pus  de  gan- 
glions bronchiques  tuberculeux  dans  le  canal  rachidien  des  chiens  par 
ponction  lombaire  ou  des  cultures  fraîches  de  bacilles,  constatent  la  dis- 
parition de  ces  bacilles  au  bout  de  quelques  jours,  prouvent  la  tolérance 
des  méninges  pour  certaines  espèces  de  bacilles  tuberculeux.  Dans  ces 
conditions,  on  peut  admettre  que  chez  des  individus  atteints  de  tubercu- 
lose pulmonaire  ou  ganglionnaire  latente,  l'infection  des  méninges,  sur- 
venant sous  une  influence  quelconque,  puisse  provoquer  une  hyperémie 
méningée,  une  méningite  séreuse  curable  :  les  bacilles  tuberculeux 
disparaissent  et  les  méninges  reviennent  à  leur  état  normal  ou  conser- 
vent des  altérations  qui  pourront  être  la  cause  de  nouvelles  poussées  de 
méningite  séreuse. 

On  sait,  en  effet,  que  Biedert  a  trouvé,  d'après  886  autopsies  d'enfants 
tuberculeux,  des  lésions  méningées  dans  26  0/0  des  cas,  et  sur  864  adultes 
dans  8  0/0  des  cas. 

Tinel  et  Gastinel  (1912)  ont  insisté  aussi  sur  ces  états  méningés  chez 
les  tuberculeux  dans  lesquels,  malgré  la  présence  des  bacilles,  les  réac- 
tions sont  discrètes,  passagères.  Ils  ont  pu  examiner,  plusieurs  années 
après  ces  accidents  méningés,  des  individus  qui  succombèrent  à  une 
réinfection  méningée  tuberculeuse  ou  à  la  tuberculose  pulmonaire.  Les 
autopsies  ont  démontré  qu'il  y  avait  des  lésions  méningées  anciennes 
sous  forme  d'hypertrophie,  de  kystes  sous-dure-mériens,  de  méningites 
séreuses  enkystées,  de  tubercules  calcifiés,  auxquelles  s'ajoutaient 
parfois  des  lésions  aiguës  récentes.  Enfin  Brindzuki  (1916)  admet 
même  que,  chez  des  enfants  tuberculeux,  les  méninges  réagissent  contre 
l'infection  par  une  irritation  ne  se  traduisant  que  par  une  augmentation 
delà  pression  du  liquide  céphalo-rachidien. 

Au  point  de  vue  anatomique  comme  au  point  de  vue  clinique,  les  mé- 
ninges séreuses  rentrent  dans  les  diverses  catégories  suivantes  : 

1°  Hydrocéphalie  interne  ou  Ependymite  ventriculaire  ; 

2°  Hydrocéphalie  externe  ou  méningite  séreuse  diffuse; 

3'  Forme  mixte  :  constituée  par  l'hydrocéphalie  externe  et  interne  ; 

4°  Formes  localisées,  corticales  ou    basilaires. 

Je  ne  puis  vous  exposer  en  détail  la  constitution  anatomique  de  ces 
méningites  séreuses  internes  ou  ventriculaires,  ou  épendumites,  dont  nous 
devons  surtout  la  description  à  Quincke  (1893)  et  à  Pierre  Merle  (1910). 
Ces  auteurs  ont  complété  les  observations  autérieures  de  Rob.  Whytt, 
de  Rilliet  et  Barthez,  de  Billroth,  d'Oppenheim,  de  Hutinel,  qui  ont 
montré  le  rôle  des  infections  et  de  la  tuberculose  dans  certaines  ménin- 
gites atténuées,   comme  Bârensprung,  Fournier,  Sandoz  indiquaient  le 


//.  Cl    \l  DE 


rapporl  avec  la  syphilis  héréditaire  tirs  lésions  méningées  subaiguës  et 
chroniques. 

La  caractéristique  de  ces  méningites  séreuses  internes,  c'est  la 
distension  venlrieulairc.  Fig.  1.  Les  ventricules  latéraux,  comme  le 
ventricule  moyen,  acquièrent  un  volume  qui  est  le  double,  Ie 
triple  de  l'état    normal;  il   est    rare    que   l'hydrocéphalie    chez  l'adulte 

atteigne  les  proportions 
qu'on  observe  à  la  suite 
de  certaines  tumeurs  cé- 
rébrales chez  l'enfant  ou 
dans  l'hydrocéphalie  con- 
génitale. La  distension 
des  sutures  et  des  fonta- 
nelles chez  le  fœtus  et  le 
nouveau- né  permettent  à 
l'hydrocéphalie  d'attein- 
dre des  proportions 
inouïes.  Les  trous  de 
Monror  sont  dilatés,  et  la 
cavité  de  l'infundibulum 
et  la  tige  pituitaire  au 
niveau  du  troisième  ven- 
tricule sont  distendues. 
Sur  une  coupe  des  ven- 
tricules on  constate  que 
les  plexus  choroïdes  sont 
épaissis,  congestionnés,  la  surface  épendymaire  est  dépolie,  lavée,  elle 
a  l'aspect  dit  langue  de  chat,  en  raison  de  l'état  papillomateux  du  revête- 
ment épithélial.  Des  brides  cicatricielles  ou  des  rétrécissements,  des 
recessus  lacunaires  s'observent  dans  les  cornes  des  ventricules,  ainsi 
que  des  symphyses  partielles.  Sur  une  coupe  l'épendynie  ventriculaire 
apparaît  épaissi,  et  il  est  le  siège  de  lésions  chroniques,  comme  on  en 
observe  d'ailleurs  communément  chez  les  vieillards  (épendymites  gra- 
nuleuses, réticulées,  états  cryptiques,  varioliformes,  pachy-péri-épen- 
dymites).  Dans  certains  cas,  des  altérations  plus  caractéristiques  de  la 
syphilis  ou  de  la  tuberculose  ont  pu  être  retrouvées. 

Enfin  s'il  existe  dans  certains  cas  une  dilatation  de  l'aqueduc  de 
Sylvius  et  de  l'épendynie  médullaire  (hvdroinyélie),  ainsi  que  j'en  ai 
observé  un  fort  bel  exemple  avec  Cl.  Vincent  et  Lew-Yalensi,  il  y  a 
parfois  de  l'atrésie  ou  une  oblitération  des  orifices  de  communication. 


Fig    1. 


Hydrocéphalie  interne.  Distension  des  ventricules 
latéraux. 


EU  YPERTENSION  ESTRACRAN IENNE 


57 


Vous  imaginez  aisément  que  le  tableau  clinique  est  alors  extrême- 
ment complexe,  comme  nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 

Les  méningites  séreuses  diffuses  delà  corlicalité  cérébrale  qui  coexistent 
souvent  avec  les  épendymites  sont  constituées  par  la  distension  des 
espaces  sous-arachnoïdiens  sur  une  plus  ou  moins  grande  étendue. 
Elles  sont  la  conséquence  de  l'accumulation  du  liquide  céphalo-rachi- 


Fig.  2     —    Photographie    représentant   la    distension    des    espaces    sous- 
arachnoïdiens,  avec  épaississement  des    travées  sur   une   coupe  histo- 
logique. 

dien  qui,  après  s'être  infiltré  et  collecté  dans  les  espaces,  y  séjourne  soi 
par  suite  de  la  distension  même  qui  fait  obstacle  à  la  circulation,  soit 
par  suite  de  cloisonnements  dus  à  des  processus  inflammatoires  anté- 
rieurs. Macroscopiquement  c'est  sur  le  vivant,  lors  d'interventions 
chirurgicales,  qu'on  se  rend  mieux  compte  de  l'aspect  de  l'hydrocéphalie 
externe  :  à  la  surface  du  cerveau  après  ouverture  de  la  dure-mère, 
l'arachnoïde  est  épaissie,  sa  surface  est  surélevée  et  a  parfois  un  aspect 
bosselé,  gélatineux  par  suite  d'une  série  de  petites  formations  pseudo- 
kystiques qui  sont  dues  aux  travées  des  espaces arachnoïdiens  épaissies, 
et  circonscrivent  des  alvéoles  distendues  par  le  liquide  cérébro-spinal. 
—  Quelquefois  la  surface  est  plane  et  lorsqu'on  incise  la  méninge  elle 
s'aplatit  après  issue  du  liquide  qu'elle    contenait.    C'est  pourquoi  cette 


//.   CI. Al  ni: 


distension  des  espaces  arachnoïdiens  apparaît  si  rarement  auxautopsies, 
à  moins  qu'on  ne  procède  très  délicatement  à  l'enlèvement  du  cerveau. 
A.  la  base  il  est  presque  toujours  impossible  de  ne  pas  ouvrir  les  lacs 
arachnoïdiens  distendus.  Lorsque  le  processus  méningé  est  déjà  de  date 

ancienne,  l'arachnoïde  et  les  travées  des  espaces  sclérosés  prennent 
une  certaine  consistance  et  l'on  peut  obtenir  des  coupes  histologiques. 
cpii,  comme  celles  que  je  vous  présente  (fig.  2),  permettent  de  bien  se 
rendre  compte  du  processus  de  distension  des  espaces  arachnoïdiens. 
On  conçoit  que  le  liquide  en  pénétrant  entre  les  scissures  et  les  écar- 
tant, puisse  comprimer  les  circonvolutious  et  modifier  l'activité  fonc- 
tionnelle des  centres  sous-jacents. 

La  méningite  séreuse  peut  enfin  rester  circonscrite  à  des  régions  très 
limitées  de  la  corticalité  ou  de  la  base  de  l'encéphale  ou  même  de  la 
région  ponto-cérébelleuse.  C'est  la  forme  cpii  a  été  particulièrement 
décrite  clans  ces  dernières  années  sous  le  nom  de  méningite  séreuse 
circonscrite,  arachnitis  circumscripta,  kystes  séreux  méningés  —  à  la 
lumière  des  faits  de  même  ordre  indiqués  au  niveau  de  la  méninge 
spinale. 

Je  vous  citerai  particulièrement  les  faits  d'Emerson  (1906),  de  Frazier 
(1906),  qui  ayant  posé  le  diagnostic  de  tumeurs  de  l'angle  ponto-eéré- 
belleux  se  trouva  en  présence  d'un  kyste  séreux  dont  l'ouverture  assura 
la  guérison  du  malade.  —  Krause  et  Placzeck  (1907)  décrivirent  de 
même  des  kystes  de  la  fosse  cérébrale  postérieure.  Finkelstein,  en 
1908,  apporte  l'observation  d'un  kyste  de  même  nature  à  la  base  du 
cerveau.  Unger  (1908),  ayant  diagnostiqué  une  tumeur  du  cervelet, 
eut  la  surprise  de  n'ouvrir  qu'un  kyste  de  l'angle  ponto-céré- 
belleux. 

Au  niveau  de  la  corticalité  cérébrale  les  formes  circonscrites  sont 
plus  rares  qu'à  la  base  du  cerveau.  Axhausen  publie  néanmoins  en 
1909  une  observation  très  démonstrative.  La  même  année  nous  rappor- 
tons avec  M.  Raymond  une  observation  a natomo* clinique  qui  peut 
être  considérée  comme  intermédiaire  entre  la  forme  diffuse  et  la  forme 
circonscrite.  Ce  cas  était  d'autant  plus  intéressant  que  nous  avons 
décrit  des  lésions  d'encéphalite  sous-jacente  à  la  méningite  séreuse-  et 
des  symptômes  qui  ont  permis  de  se  demander  rétrospectivement  s'il  ne 
s'agissait  pas  d'un  cas  d'encéphalite  léthargique  du  type  myoclonique 
sporadique.  Tout  récemment  un  cas  d'encéphalite  épidémique  avec 
méningite  séreuse  circonscrite  vient  d'être  publie.  D'ailleurs  j'ai  pu 
retrouver  deux  l'ois  des  formations  pseudo-kystiques  très  développées 
à  la   surface  de  la   corticalité  Cérébrale  chez  des  tuberculeux  :  voici  l'un 


VH  YPERTE.XSIOX  IN TRACRANIENNE 


59 


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de  ces  cas  déjà  figuré  dans  un  article  de  Paris  médical  (fig.  3  et  4). 
Je  pourrais  vous  citer  d'autres  faits  publiés  depuis  par  Muskens,  Strôbe 
et  cette  année  encore  par  Uréchia  (kystes  comprimant  les  lobules  para- 
centraux). 

Quel  que  soit  son  siège,  la  collection  kystique  se  développe  dans 
les  espaces  arachnoïdiens  où,  à  la  faveur  de  poussées  inflammatoires 
antérieures,  ou  d'un 
processus  irritât  if 
créé  directement  lors 
de  la  réaction  ménin- 
gée, se  constituent 
des  cavités  limitées 
par  des  adhérences, 
une  symphysç  mé- 
ningée localisée. 
Strôbe  a  étudié  la 
formation  de  ces 
adhérences  qui  s'ex- 
pliquent bien, comme 
les  adhérences  pleu- 
rales, chez  des  tuber- 
culeux par  ces  pro- 
cessus inflammatoi- 
res bénins  dont  nous 
avons  indiqué  plus 
haut  la  fréquence  re- 
lative. 

Il  est  possible  tou- 
tefois   que  certaines 

réactions  méningées  circonscrites,  consécutives  à  des  traumatismes 
crâniens,  des  lésions  oculaires  ou  auriculaires,  facilitent  la  formation 
d'adhérences  d'abord  partielles,  disposées  de  telle  sorte  que  plus  le 
liquide  pénètre  sous  pression  dans  les  espaces  sous-arachnoïdiens  qu'il 
distend  et  déforme,  plus  sa  circulation  est  gênée,  les  orifices  de 
communication  s'étranglant  et  s'oblitérant,  ce  qui  favorise  de  nou- 
velles adhérences  et  limite  d'une  façon  définitive  la  néoformation 
kystique. 

L'arachnitis  œdémateuse  produit  alors  un  double  effet  :  elle  refoule 
les  parties  sous-jacentes  du  cerveau,  les  comprime,  les  irrite,  et  d'autre 
part  elle   tend  à  faire    saillie    vers  la    dure-mère   comme  une    tumeur, 


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Fig.  3  et  4.  —  Dépression  de   la  corticalité    cérébrale    causée 
par  une  formation  pseudo  kystique  méningée. 


//.  Cl    \'  DE 


ajoutant  encore  une  cause   d'hypertension  intracranienne  à  celles  qui 
pourraient  exister  déjà  antérieurement. 

Lorsqu'on  ouvre  à  l'autopsie  une  de  ces  cavités  comme  celle  qui  est 
figurée  (  6g.  3),  il  est  difficile  de  se  rendre  compte  du  volume  qu'elle  pou- 
vait avoir  pendant  la  vie.  Parfois  elle  est  nettement  circonscrite  par  une 
sorti-  de  bourrelet  épaissi,  comme  dans  mon  cas,  parfois  elle  se  conti- 
nue insensiblement  ;i\  ec  1rs  parties  voisines.  A  l'intérieur,  en  examinant 
la  poche  sous  l'eau  on  voit  des  tractus  conjonctifs  constituant  des  cloi- 
sons incomplètes.  Le  liquide  contenu  dans  ces  kystes  est  parfois  clair, 
limpide,  eau  de  roche,  pauvreen  albuminé  et  en  éléments  cytologiques. 
Parfois  il  a  une  coloration  rouge  ou  citrine,  et  est  riche  en  albumine, 
car  il  contient  ou  a  contenu  du  sang.  La  tension  de  ce  liquide  n'a  pas 
été  mesurée. 

Tel  est,  Messieurs,  rapidement  esquissé  l'aspect  général  des  lésions 
dans  ces  cas  de  méningite  séreuse.  Si  l'hydrocéphalie  interne  par  excès 
de  sécrétion  du  liquide  céphalo-rachidien  ou  par  insuffisance  de  résorp- 
tion est  acceptée  depuis  longtemps  comme  entité  morbide,  on  a  discuté 
beaucoup  l'origine  et  même  l'existence  de  ces  méningites  séreuses  de 
la  cortical i té  et  de  la  hase  surtout  dans  les  formes  circonscrites.  On  a 
pensé  qu'il  ne  s'agissait  peut-être  que  d'une  sorte  d'œdème  hanal  des 
espaces  arachnoïdiens  qui  finirait  par  distendre  ceux-ci  surtout  lors- 
qu  il  existe  des  lésions  encéphalitiques.  11  n'est  pas  douteux  qu'à  la 
suite  d'encéphalopathies  infantiles  avec  atrophie  des  circonvolutions  ou 
à  la  suite  de  ramollissement  de  la  corticalité  ou  puisse  voir  souvent  des 
pseudo-kystes  méningés.  De  même  comme  conséquence  de  la  période 
agonique  de  bien  des  états  cardio-rénaux  ou  dans  certaines  cachexies,  on 
trouveà  l'autopsie  un  œdème  diffus  des  méninges  arachnoïdiennes.  Mais 
il  ne  s'agit  pas  là  de  faits  analogues  à  ceux  que  je  viens  de  mettre  sous 
vos  yeux.  Strôbe  et  plus  récemment  Christiansen,  à  la  Société  de  Neuro- 
logie (1919),  ont  émis  l'opinion  que  ces  kystes  arachnoïdiens  bien  cir- 
conscrits ne  constituaient  pas  des  lésions  primitives,  qu'ils  étaient  con- 
sécutifs à  un  processus  méningé  antérieur  (Strohe),  ce  qui  est  une  expli- 
cation très  plausible,  ou  qu'ils  étaient  symptomatiques  d'un  processus 
néo-plasique  du  voisinage.  Christiansen  a  rapporte,  en  effet,  une  série 
de  cas  dans  lesquels,  après  avoir  ouvert  un  kyste  de  la  région  de 
1  angle  ponto-céréhelleux,  on  découvrit,  grâce  à  une  recherche  soigneuse, 
une  néoplasie  sous-jacente.  .le  ne  conteste-  pas  la  réalite  de  certains 
de    ces    faits,    mais    les     observations    (pu-     je      VOUS    rapporterai    tout 

à  l'heure   prouvent   bien  que    certaines  formations  pseudo-kystiques 
sont  indépendantes  des    tumeurs.   Dans   h-   cas  d'Axhausen  et   dans 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  61 

celui  d'Urechia  l'opération  ne  fit  découvrir  également  aucune 
tumeur. 

Il  convient  maintenant  de  vous  montrer  les  effets  de  cette  hyperten- 
sion intracranienne.  Comme  je  vous  l'indiquais  il  y  a  quelque  temps,  le 
liquide  céphalo-rachidien  hypertendu  dans  les  cavités  ventriculaires, 
tend  à  refouler  la  substance  céréhrale  de  dedans' en  dehors  contre  la 
boite  crânienne,  et  dans  le  cas  de  méningite  séreuse  de  la  corticalité, 
de  la  base  ou  de  l'isthme  de  l'encéphale  à  refouler  au  contraire  vers 
1  intérieur  les  parties  voisines,  les  déprimer  ou  les  repousser  contre  la 
paroi  osseuse  du  côté  opposé. 

Vous  concevez  aisément  que   tous   les   organes    délicats   situés   à    la 


Fig   ô.  —  Coupe  histologique  de  1  hypophyse  clans  un  cas  de  compression    moyenne 

base  du  cerveau  et  surtout  les  nerfs  qui  émanent  de  l'isthme  de  l'encé- 
phale pourront  être  ainsi  comprimés  et  tiraillés.  Parmi  ceux-ci,  l'un  de 
ceux  qui  donnent  lieu  à  des  signes  de  paralysie  delà  façon  la  plus  nette 
et  le  plus  tôt,  c'est  le  nerf  de  la  VIe  paire,  le  moteur  oculaire  externe, 
de  telle  sorte  que  cette  paralysie  ne  peut  être  considérée  comme  un 
signe  de  localisation.  La  cinquième  paire,  la  septième  et  la  troisième 
sont  aussi  assez  fréquemment  lésées.  Enfin  une  importance  particu- 
lière doit  être  accordée  au  nerf  optique  et  à  un  degré  moindre  aux 
nerfs  de  la  huitième  paire  (auditif  et  vestibulaire).  Ces  compressions 
sont  aussi  fréquentes  dans  les  cas  de  tumeurs  que  dans  les  cas  de 
méningites  séreuses  et  sont  fonction  du  degré  de  l'hypertension  ou  de 
la  localisation  du  processus  méningé.  L  augmentation  de  pression  fait 
aussi  sentir  son  action  sur  les  racines  spinales,  et  l'on  peut  observer  des 
lésions  de  celles-ci,  comme  l'ont  montré  Raymond  et  Lejonne.  Enfin 
toute  la  statique  cérébrale,    surtout  au  niveau  de  la  région  délicate  de 


62 


//.   Cl    \i  DE 


I  isthme  de  l'encéphale,  peut  être  troublée  par  la  dilatation  ventriculaire 
et  les  formations  pseudo-kystiques,  de  sorte  que  les  rapports  anatomiques 
normaux  sont  modifiés,  et  certains  signes,  tels  que  ceux,  qui  indiquent 
une  irritation  delà  voie  pyramidale  ou  des  connexions  cérébelleuses, 
sont  l'expression  des  troubles  apportés  dans  la  configuration  de 
régions  déterminées,  notamment  de   la   région  pédonculo-cérébelleuse, 

Mais  en  dehors  des  compressions  des  nerfs,  des  vaisseaux,  et  des 
diverses  parties  de  la  masse  encéphalo-médullaire,  il  convient  de  nous 
arrêter  aux  désordres  engendrés  par  la  compression  de  l'hypophyse 
dont  j'ai  cité  de  nombreux  exemples  analogues  à  celui  que  vous  avez 
sous  les  yeux  et  sur  lesquels,  j'attire  particulièrement  votre  attention. 
Je  veux  parler  de  la  compression  de  l'hypophyse (fig.  5). 

Je  vous  ai  déjà   indiqué  que    sous   l'influence    de    la    distension   du 


3- Ve.nl-  ei  tsifluzcUbuhtsn, 


ln.Jua.cL   cUhzfc  e/z-  La.llonn.cC 


l'i.lf  pU  Jj 


Fig.  6.  —  Schéma  représentant  la  compression  de  l'hypophyse  par  I  infuinliluiliini  distendu. 


troisième  ventricule  la  région  infundibulaire  et  la  tige  pituitaire  sont 
refoulées  vers  la  selle  linéique  ;  en  se  dilatant  progressivement,  à  la 
façon  d  un  ballonnet,  cette  partie  déprime  de  plus  en  plus  l'hypophyse, 
de  sorte  que  cette  glande  finit  par  être  aplatie  dans  le  fond  de  la  cavité, 
à  tel  point  que  des  recherches  minutieuses  sont  parfois  nécessaires  pour 
la  découvrir  et  qu'on  pourrait  croireàsa  disparition  (fig.  6,  schéma)  Dans 
certains  cas  ce  n'est  (pie  par  l'examen  histologique  que  j'ai  pu  recon- 
naître sa  présence,  n'ayant  eu  à  l'autopsie  sous  les  yeux  qu'une  mince 
lame  d'apparence  fibreuse.  Vous  comprenez  aisément  (piécette  compres- 
sion ne  va  pas  sans  entraîner  des  désordres  non  seulement  dans  le  fonc 
lionnement  de  la  glande  pituitaire,  mais  aussi,  surtout  chei  les  sujets 
jeunes,  sur  le  fonctionnement  des  autres  -landes  en   voie  de  développe- 


L'HYPEBTENSION  INTBACIiANIENNE  63 

ment,  en  raison  des  synergies  endocriniennes  dont  nous  apprenons 
chaque  jour  davantage  à  connaître  l'importance.  Il  en  résulte  que  parmi 
les  éléments  du  syndrome  d  hypertension  intracranienne  dont  nous 
allons  aborder  l'étude,  nous  aurons  à  faire  une  place  au  syndrome  endo- 
crinien secondaire. 


Le  syndrome  d'hypertension  intracranienne  se  manifeste  dans  sa 
forme  commune  par  des  phénomènes  subjectifs  et  des  signes  objectifs  ; 
ces  derniers  ont  une  valeur  telle  qu'ils  nous  arrêteront  surtout,  les 
premiers  n'ayant  qu'une  valeur  d'orientation  générale. 

Les  symptômes  subjectifs  sont  avant  tout  la  céphalée  et  les  vomisse- 
ments. La  céphalée  peut  être  localisée  ou  diffuse,  constante  ou  passagère, 
.généralement  tenace,  réveillée  par  les  efforts,  les  changements  de  position, 
les  mouvements.  Les  vomissements  ont  le  caractère  du  vomissement  dit 
céphalique,  se  produisant  sans  nausée,  sans  efforts,  en  fusée,  à  l'oc- 
casion des  mouvements  ou  après  les  repas.  Ajoutez  à  ces  symptômes, 
sur  lesquels  je  ne  puis  insister  davantage,  les  étourdissements,  les 
vertiges  qui  peuvent  traduire  une  irritation  de  l'appareil  vestibulaire 
ou  de  l'appareil  cérébelleux,  des  douleurs  dans  la  face  ou  dans  les 
membres  en  rapport  avec  des  compressions  nerveuses  ou  radiculaires. 
Les  troubles  oculaires,  éblouissements,  mouches  volantes,  diminution 
delà  vue  sont  des  symptômes  tardifs.  Il  faut  bien  savoir  que  des  alté- 
rations du  fond  de  l'œil  peuvent  exister  sans  que  le  sujet.se  plaigne 
d'aucune  diminution  de  l'acuité  visuelle. 

Celle-ci  doit  être  recherchée,  et  je  ne  saurais  trop  vous  recommander, 
quand  vous  aurez  quelque  raison  de  soupçonner  l'existence  d  un  syn- 
drome d'hypertension  intracranienne,  de  ne  pas  méconnaître  les  deux 
signes  capitaux  de  celui-ci,  à  savoir  les  modifications  du  fond  de  l'œil 
et  les  modifications  du  liquide  céphalo-rachidien. 

Les  modifications  du  fond  de  l'œil,  qu'il  n'est  pas  de  ma  compétence 
de  vous  décrire  en  détail,  consistent  tout  d'abord  en  un  trouble  dans  la 
circulation  de  la  papille  et  de  la  rétine,  caractérisée  par  la  dilatation 
des  veines,  le  rétrécissement  des  artères,  des  hémorrhagies, 
de  l'œdème  qui  donne  une  coloration  blanchâtre  à  la  papille,  laquelle 
fait  saillie,  enfin  la  névrite  optique  qui  représente  une  altération  à  peu 
près  irréductible,  stade  ultime  d'un  processus  caractérisé  à  la  fois  par 
le  trouble  circulatoire,  l'œdème  et  l'irritation  du  nerf  optique  avec 
sclérose  consécutive.  Ces  lésions,  qui  sont  le  reflet  de  la  gène  de  la 
circulation  dans   la   gaine    du    nerf  optique   distendue    par   le    lait    de 


(,i  //.  Cl    \i  DE 


l'hypertension,  s'accompagnent  d'une  diminution  de  l'acuité  visuelle', 
puis  d'amblyopie  et  d'amaurose.  La  diminution  de  l'acuité  visuelle 
même  très  accusée  peut,  lorsqu'elle  n'est  conditionnée  que  par  la 
stase  et  l'œdème,  rétrocéder.  Mais  il  est  d'une  importance  capitale  de 
combattre  la  stase  le  plus  tôt  passible,  afin  d'éviter  la  constitution  de  la 
névrite  optique.  Combien  de  cécités  survenues  sans  causes  bien  déter- 
minées miraient  pu  être  évitées  si  l'on  avait  pris  la  précaution  de  dépis- 
ter l'origine  de  certaines  céphalées  par  l'examen  du  fond  de  l'œil  et  par 
la  ponction  lombaire. 

La  ponction  lombaire  s'impose,  en  effet,  chez  tout  sujet  qui  présente 
une  céphalée,  quelques  vertiges  et  des  vomissements  qui  ne  cèdent 
pas  aux  moyens  thérapeutiques  .ordinaires  mis  en  œuvre.  Quel  rensei- 
gnement donnera  la  ponction  lombaire  ?  Elle  permettra  d'apprécier  la 
constitution  chimique  et cytologique  du  L.  C.-R.,  et  surtout  de  recon- 
naître l'excès  de  pression  de  celui-ci. 

L'bypertension  est  encore  trop  souvent  caractérisée  pour  les  méde- 
cins par  la  force  du  jet  de  liquide  qui  s'échappe  par  l'aiguille  ou  par 
le  nombre  de  gouttes  qui  tombent  à  la  minute.  Ces  procédés  d'appré- 
ciation sont  grossiers  et  trompeurs.  Grossiers,  car  si  nous  n'appré- 
cions plus  la  lièvre  parla  rapidité  du  pouls,  il  n'y  a  pas  de  raison  de 
reconnaître  l'bypertension  par  la  rapidité  d'écoulement  du  liquide  ; 
trompeurs,  car  j'ai  noté  des  pressions  très  fortes  alors  que  le  liquide 
s'écoulait  goutte  à  goutte. 

Il  faut  donc  mesurer  la  pression  du  L.  C.-R.,  et  c'est  une  précaution 
qu'on  est  en  droit  de  réclamer  d'un  médecin  qui  sur  la  constatation 
d'une  hypertension  soupçonnée  va  décider  d'ouvrir  le  crâne  à  son  malade. 
Depuis  longtemps  les  auteurs  qui  ont  étudié  l'hypertension,  et  notam- 
ment les  méningites  séreuses,  ont  construit  des  manomètres  et  indiqué 
Us  résultats  de  leur  constatation  :  Quincke  employait  le  manomètre  à 
air  libre  ;  le  liquide  céphalo-rachidien,  en  montant  dans  le  tube  de 
verre  vertical  adapté  à  l'aiguille,  indiquait  la  pression  en  centimètres 
d'eau.  Krônig,  Kauscb  ont  apporté  des  modifications  de  détail  a  cet 
appareil,  à  qui  l'on  peut  reprocher  de  donner  des  indications  inexac- 
tes, car  à  mesure  que  le  liquide  s'écoule  et  monte  dans  le  tube,  la 
pression  diminue.  Wilms  construisit  un  manomètre  à  mercure  pour 
éviter  la  déperdition  du  liquide,  mais  cet  appareil  est  peu  sensible. 
Neisser,  J.  Parisot,  ont  employé,  pour  éviter  aussi  la  déperdition  du 
liquide,  des  manomètres  en  U  contenant  de  l'eau.  Ces  appareils  sont 
d'un  maniement  peu  commode  au  lit  du  malade. 

J'emploie  depuis  1912  un  manomètre  aueroule  qui   est  peu,  encom- 


UH  YPER  TENSION     IN  TRA  CE  A  NIENN  E 


65 


brant  et  qui  a  l'avantage  de  donner  la  pression  «  au  départ  »,  dès  que  le 
liquide  pénètre  dans  l'aiguille,  tout  en  laissant  échapper  très  peu  de 
liquide  (figure  7).  Le  ro- 
binet à  trois  voies  qui 
met  en  communication  la 
cavité  arachnoïdienne  du 
ventriculaire  tantôt  avec 
le  manomètre,  tantôt  avec 
l'extérieur,  permet  de 
mesurer  de  nouveau  la 
pression  après  une  éva- 
cuation des  quelques  cen- 
timètres cubes  de  liquide, 
et  de  ne  procéder  qu'à  une 
décompression  très  lente, 
suivant  le  degré  d'ouver- 
ture, les  décompressions 
trop  brusques  n'étant  pas 
sans  danger  dans  les  hy- 
pertensions, surtout  lors- 
qu'elles sont  dues  aux 
tumeurs. 

La  pression  normale 
du  liquide  céphalo-rachi- 
dien, comme  je  vous  1  ai 
déjà  indiqué,  est  de  15  à 
20  centimètres  d'eau,  le 
sujet  étant  ponctionné  au 

niveau  de   la     région  lom-       Fig.  7.    -     Manomètre     avec    laiguileà    ponction    lombaire 
î      •  î  î  I     ]  contenant   le  mandrin  et  moniée  sur   le  robinet. 

baire,  dans  le   cul-de-sac 
durai  et  dans  la  position 

horizontale.  Si  le  sujet  est  ponctionné  dans  la  position  verticale, 
cette  pression  est  supérieure  de  8  à  10  centimètres.  Les  secousses 
de  toux,  les  mouvements,  les  efforts  augmentent  la  pression  On  peut 
estimer  qu'il  y  a  un  certain  degré  d'hypertension  quand  le  mano- 
mètre indique  25  centimètres  d'eau  dans  les  conditions  de  calme  du 
sujet.  Dans  les  hypertensions  moyennes  on  note  des  pressions  de  35  à 
50  cm.  d'eau  avec  un  abaissement  assez,  rapide  après  prélève- 
ment de  .'}  à  4  cm.  Dans  certains  cas  j'ai  observé  une  pression  de 
80  à    100  cm.   d'eau  :   le  liquide  garde    encore   une   pression  de   30  à 

COKFÉR.    NEUROL.  5 


//.  CLAUDE 

10  cm.  cubes   d'eau,  et  plus   après  écoulement    de   10  cm.  cubes   de 
liquide. 

Quant  aux  caractères  chimiques  et  cytologiques  du  liquide,  ils 
varient  suivant  la  cause  de  l'hypertension.  Je  vous  en  reparlerai  quand 
nous  discuterons  le  diagnostic.  Voyons  d'abord  comment  se  présentent 
à  nous  en  clinique  les  diverses  variétés  des  méningites  séreuses, par  une 
série  d'exemples. 


C'est  à  Quincke  (180.'}]  qu'on  doit  la  première  description  des 
diverses  formes  cliniques  d'hydrocéphalie  interne,  de  méningite  séreuse 
acquise  ;  je  ne  m'occuperai  d'ailleurs  ici  que  de  ces  affections. 

[1  s'agit  de  sujets  ayant  le  plus  souvent  un  passé  méningé  qui  s'est 
traduit  par  de  la  céphalée,  des  convulsions,  des  réactions  diverses  qui 
ont  été  qualifiées  de  méningées,  survenues  sans  cause  ou  à  l'occasion 
d'un  état  toxi-infectieux  mal  déterminé  ;  parfois  la  tuberculose  peut  être 
suspectée,  ou  bien  enfin  c'est  à  l'occasion  d'une  otite  ou  d'un  trauma- 
tisme crânien  que  les  accidents  surviennent. 

Quand  la  méningite  séreuse  se  manifeste  elle  peut  revêtir  une  forme 
aiguë,  subaiguë  ou  rémittente  à  poussées  successives.  De  toutes  façons 
elle  se  révèle  par  les  éléments  du  syndrome  que  j'ai  déjà  indiqués  et 
dont  les  exemples  suivants  fixeront  suffisamment  les  types  cliniques 
dans  votre  esprit. 

Une  femme  de  43  ans  dont  j'ai  publié  l'observation  autrefois  avec 
A.  Baudouin  est  prise  brusquement  sans  raison,  sans  état  fébrile,  à 
l'atelier,  de  céphalée,  de  nausées,  puis  de  vomissements  les  jours  sui- 
vants. Parla  suite  apparaissent  successivement  des  paralysies  de  la 
VIe  et  de  la  VII0  paire  droite.  Elle  vient  à  la  Salpêtrière,  où  nous 
constatons  qu'elle  présente  de  plus  certains  symptômes  d'ordre  céré- 
belleux. Un  examen  oculaire  montre  une  stase  papillaire  très  pro- 
noncée avec  acuité  visuelle  réduite  à  1/3.  la  tension  du  liquide  céphalo- 
rachidien  est  de2ô  centimètres  d'eau.  Traitée  par  la  ponction  lombaire, 
cette  femme  sort  très  améliorée,  ses  paralysies  ont  disparu  ;  mais  trois 
semaines  plus  tard  elle  nous  revient,  accusant  une  recrudescence  de  la 
céphalée,  elle  est  soumise  de  nouveau  aune  série  de  ponctions  lom- 
baires et  guérit  définitivement.  Revue  sept  mois  plus  tard,  l'acuité 
visuelle  de  cette  femme  était  redevenue  normale.  Voilà  nn  exemple 
d'une  forme  aiguë  à  rechute. 

En  voici  un  autre  exemple  que  j'aurais  pu  vous  présenter  si  la 
malade   ne    s'était    refusée  à    se     rendre  devant     nous.    C'est    une    jeune 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  67 

femme  de  25  ans  qui  n'a  pas  d'antécédents  héréditaires  ou  personnels 
importants.  Elle  paraissait  et  paraît  encore  d'une  bonne  santé.  Elle  a 
une  petite  fille  très  normale.  Elle  n'a  jamais  souffert  des  yeux,  du  nez 
ou  des  oreilles.  En  janvier  ou  février  1920  elle  se  plaint  de  légers  étour- 
dissements,  puis  de  nausées  et  de  vomissements,  de  quelques  maux  de 
tête,  ses  règles  étaient  peu  abondantes,  elles  se  sont  supprimées.  Mais 
l'on  reconnaît  le  début  d'une  grossesse  et  tous  les  phénomènes  parais- 
sent s'expliquer.  Au  troisième  mois,  fausse  couche  provoquée.  A  la 
suite,  céphalée  de  plus  en  plus  vive,  vomissements,  enfin  apparition 
d'une  diplopie  par  parésie  du  droit  externe  droit.  C'est  dans  ces 
conditions  qu'elle  entre  dans  mon  service  de  l'hôpital  Saint-Antoine  le 
15  mai  1920.  L'examen  nous  montre,  en  dehors  de  la  céphalée  intense, 
des  vomissements  et  d'une  douleur  de  la  région  cervicale  avec  raideur 
de  la  nuque,  sensation  de  raideur  et  de  fourmillement  dans  l'épaule  et  le 
membre  supérieur  gauche,  une  diplopie  avec  strabisme  interne  de 
l'œil  droit,  une  parésie  faciale  droite.  L'examen  oculaire  fait  par  le 
D'  Dupuy  Dutemps  indique  une  stase  papillaire  considérable  avec  fort 
œdème,  dilatation  veineuse,  taches  blanches,  quelques  hémorrhagies  de 
voisinage,  légère  obnubilation  de  la  vue.  La  ponction  lombaire  nous 
montre  une  pression  de  100  centimètres  ;  après  écoulement  de  5  centi- 
mètres, elle  reste  encore  à  55.  Pas  de  lymphocytose,  pas  d'hyperalbu- 
minose,  la  réaction  de  Bordet-Wassermann  est  négative  dans  le  sang  et 
dans  le  liquide  céphalo-rachidien.  Néanmoins,  on  institue  un  traitement 
mercuriel  et  arsenical  en  même  temps  qu'on  pratique  une  série  de 
ponctions  lombaires. 

Pendant  un  mois  on  ne  constate  pas  de  modifications,  ia  parésie 
oculaire  paraît  s'accentuer,  les  réflexes  rotuliens  sont  très  diminués,  les 
réflexes  des  membres  supérieurs  ont  disparu.  La  stase  papillaire  reste 
toujours  aussi  accusée  avec  hémorrhagies  et  taches  blanches.  Mais  les 
ponctions  lombaires  avaient  montré  une  diminution  de  la  pression  qui 
fut  successivement  de  100,  100,  88,  70,  55.  48.  La  réaction  de  Wasser- 
mann  restait  toujours  négative  dans  le  sang  et  le  liquide  céphalo- 
rachidien  ;  on  ne  trouvait  pas  de  lymphocytes,  mais  une  légère  albumi- 
nose. 

Vers  le  20  juin,  au  moment  où,  en  raison  de  la  progression  des 
symptômes,  nous  allions  faire  pratiquer  une  craniectomie  décompres- 
sive.  une  amélioration  notable  se  produit  en  quelques  jours  :  la  cépha- 
lée diminue,  ainsi  que  la  parésie  faciale  et  la  paralysie  du  droit  externe. 

Les  réflexes  tendineux  des  membres  réapparaissent  et  le  cinquième 
examen  oculaire,  pratiqué  le  30  juin,  indique  une  diminution  delà  stase 


//.   il. M  DE 

papillaire.  Nous  faisons  encore  deux  ponctions  lombaires,  et  la 
malade  se  douve  si  améliorée  qu'elle  réclame  sa  sortie  le  13  juillet. 
Par  la  suite,  nous  n'avons  pu  continuer  ni  le  traitement  spécifique,  ni  les 
ponctions  lombaires,  en  raison  de  l'indocilité  de  la  malade  qui,  se  trou- 
vant en  parfaite  santé,  néglige  de  suivre  les  indications  qu'on  lui  donne. 
Nous  l'avons  revue  toutefois  à  la  lin  d'août  1920.  La  diplopie,  qui  n'a 
clé  améliorée  que  lentement,  a  disparu  ;  la  malade  accuse  encore  quel- 
ques brouillards  devant  les  veux  En  octobre  1920,  l'examen  oculaire  in- 
diquait des  papilles  floues  en  raison  de  l'ancienne  stase  papillaire,  des 
vaisseaux  grêles,  mais  si  l'œdème  a  disparu,  on  voit  encore  à  droite  quel- 
ques hémorragies  voisines  de  la  papille,  et  -l'acuité  visuelle  est  de  1/3  des 
deux  côtés.  Enfin  tout  récemment  (juin  1921)  j'ai  pu  faire  examiner  de 
nouveau  cette  malade,  qui  ne  se  plaint  plus  d'aucun  trouble  général  ou 
fonctionnel,  son  acuité  visuelle  reste  diminuée^!  3  et  1  2).  Il  s'agit  là  de 
lésions  résiduelles,  mais  il  n'y  a  plus  de  symptômes  d'hypertension. 
Faut-il  attribuer  la  plus  large  part  des  succès  thérapeutiques  au  traite- 
ment spécifique,  même  en  l'absence  d'antécédents  spécifiques,  de  toute 
réaction  méningée  et  du  Wassermann  négatif,  ou  à  la  ponction  lom- 
baire? Je  crois  que  les  deux  interventions  ont  eu  une  action  favorable,  et 
c'est  là  un  fait  sur  lequel  j'attire  votre  attention  car,  même  si  l'origine  des 
accidents  a  été  dans  le  cas  présent  la  syphilis,  l'hypertension  devait 
être  combattue  par  le  seul  moyen  approprié,  la  décompression.  Le 
traitement  antisyphilitique,  en  supposant  qu'il  eût  été  légitimement 
indiqué,  n'eût  pas  eu  une  action   suffisante. 

Mais  il  est  un  autre  ordre  de  faits  que  je  dois  mentionner.  Si 
celte  jeune  femme  paraît  être  guérie  des  accidents  de  méningite 
séreuse  qui  ont  provoqué  tous  les  troubles  qui  nous  ont  assez,  juste- 
ment alarmés  et  qui,  encore  aujourd'hui,  nous  incitaient  à  lui  recom- 
mander de  se  soumettre  au  traitement  de  nouveau,  elle  nous  est  reve- 
nue parce  qu'elle  remarque  qu'elle  engraisse  considérablement  depuis 
quelques  mois  et  (pie  ses  régies  sont  à  peu  près  nulles,  (".'est  là  surtout 
ce  qui  l'inquiète.  Ces  troubles  sont,  à  mon  avis,  la  conséquence  de  la 
compression  de  l'hypophyse  provoquée  par  la  distension  ventriculaire, 
ils  indiquent  l'existence  d'un  syndrome  endocrinien  sur  lequel  je  re- 
viendrai. 

En  tout  cas  cette  observation  nous  montre  combien  il  faut  être  pru- 
dent avant  de  porter  le  diagnostic  d  hypertension  par  tumeur  céré- 
brale. 

La    malade    que  je  vais   vous   présenter   est  un   exemple    d'une    l'orna 

subaiguë  rémittente  d'origine  auriculaire.  Il  j  a1,)  ans  elle    lut   opéré* 


L'HYPERTENSION    INTRACRANJENNE  69 

pour  mastoïdite.  En  août  1919  elle  se  plaint  à  nous  de  céphalée,  nausée, 
vomissements,  troubles  de  la  vue  et  bourdonnements  de  l'oreille  gauche. 
Le  DrDupuy  Dutemps,  qui  examine  ses  yeux,  signale  un  œdème  papil- 
laire.  J'engage  cette  personne  à  entrer  dans  le  service,  mais  je  ne  la 
revois  plus  (m'en  février  1920,  époque  où  j'obtiens  qu'elle  me  laisse  pra- 
tiquer une  ponction  lombaire.  La  pression  du  L.  C.-R.  est  de  42  centi- 
mètres, pas  de  lymphocytose,  Wassermann  négatif  dans  le  liquide  cé- 
phalo-rachidien. Quelques  ponctions  lombaires  font  baisser  la  pression 
et  l'œdème  papillaire  disparaît.  La  malade  se  considère  comme  guérie, 
quand  en  août  1920  les  phénomènes  généraux  et  les  troubles  de  la  vue 
reparaissent  ;  la  malade  souffre  de  l'oreille  et  est  opérée  pour  une 
récidive  de  mastoïdite.  Elle  me  revient  en  novembre  1920,  elle  a  alors 
de  la  stase  papillaire,  avec  œdème  ;  elle  souffre  de  vives  douleurs  de 
tète.  La  ponction  lombaire  montre  une  pression  de  45  centimètres  qui 
s'abaisse  à  32  cm.  seulement  après  évacuation  de  10  cm.  On  note 
une  légère  lymphocytose  et  0,60  centigr.  d'albumine.  Malgré  les  ponc- 
tions lombaires  répétées  trop  rarement,  car  la  malade  ne  nous  revient 
(pie  de  loin  en  loin,  la  pression  reste  élevée  entre  35  et  40  cm.  ;  la  stase 
papillaire  a  cependant  régressé,  mais  il  existe  une  atrophie  partielle  de 
la  papille  avec  vision  à  1/3  et  1/6. 

Cette  malade,  comme  beaucoup  d'autres,  ne  souffrant  plus  des  phé- 
nomènes généraux  d'hypertension,  s'apercevant  peu  de  la  diminution 
de  son  acuité  visuelle,  se  prête  difficilement  à  une  thérapeutique  active. 
Elle  aussi  nous  signale  que  ses  règles,  très  irrégulières,  tendent  à  dis- 
paraître, qu'elle  grossit  et  qu'elle  présente  des  poussées  congestives 
vers  les  seins. 

Ce  cas  rentre  donc  bien  dans  la  variété  de  méningite  séreuse  à  évolution 
subaiguë  ou  chronique  avec  rémitlences  ;  souvenez-vous  de  la  fréquence 
de  ces  méningites  chez  les  sujets  qui  ont  un  passé  otitique.  Comme  le 
précédent,  ce  cas  pourrait  être  rangé  dans  la  catégorie  de  ceux  qui  ont 
été  décrits  sous  le  nom  de  Pseudo-tumeur  cérébrale.  J'aurai  l'occasion 
de  vous  en  montrer  encore  d'autres  exemples. 

Les  formes  cliniques  de  ces  variétés  non  localisées  sont  d'ailleurs 
très  nombreuses.  Chez  les  enfants  on  peut  observer  plusieurs  épisodes 
subaigus  répondant  à  des  poussées  de  méningites  bacillaires  curables 
que  je  vous  ai  déjà  signalées.  Ces  processus  méningés  se  manilestent 
par  la  céphalée,  l'abattement,  la  raideur  de  la  nuque,  les  convulsions, 
parfois  simplement  la  céphalée,  l'augmentation,  de  volume  de  la  tête, 
par  disjonction  des  sutures  se  traduisant  à  la  percussion  par  le  bruit  de 
pot  fêlé,  des  troubles  du  caractère,  de  l'intelligence,  et  ultérieurement  il 


70  //.  CI. M  DE 


n'est  i > ; i s  rare  d 'observer  l'épilepsie.  Ces  cas  se  distinguent  de  la  ménin- 
gite tuberculeuse  aiguë  par  l'absence  ou  le  petit  nombre  de  lymphocytes, 
l'absence  d'albumine  et  de  bacilles  dans  le  L.  C.-H.  Il  est  possible  de 
voir  se  produire  des  reprises  du  processus  à  longue  échéance. 

Une  jeune  fille  dont  j'ai  publié  l'observation  anatomo-clinique  avec 
Cl.  Vincent  et  Levy-Valensi,  fut  atteinte  à  l'âge  de  12  ans  (1902)  d'une 
épendymite  aiguë  caractérisée  par  la  céphalée,  les  vomissements,  des 
crises  nerveuses,  une  douleur  dans  la  jambe  et  le  bras  droit  ;  cette 
affection  dura  six  mois,  avec  des  alternatives  diverses  ;  la  malade  guérit 
et  resta  guérie  quatre  ans.  Elle  put  travailler  et  passer  des  examens.  En 
mais  1908,  à  17  ans,  elle  fait  une  rechute  caractérisée  par  les  mêmes 
accidents  :  céphalée,  raideur  de  la  nuque,  agitation,  crises  nerveuses 
d'apparence  névropalhique.  En  mai  1908,  elle  est  amenée  à  la  Salpè- 
trière  parce  qu'elle  présente  une  paraplégie  spasmodique.  Une  ponc- 
tion lombaire  montre  que  le  liquide  céphalo-rachidien  est  clair,  sans 
albumine,  sans  éléments  figurés,  hypertendu.  Cette  troisième  phase  dure 
quelques  semaines,  quand  survient  une  quatrième  phase  d'épendymite 
avec  céphalée  intense,  la  stase  papillaire  bilatérale  apparaît  alors, 
ainsi  qu'une  paralysie  de  la  sixième  paire  ;  nous  faisons  pratiquer  une 
craniectomie,  mais  la  malade  succombe  bientôt.  A  l'autopsie,  hydrocé- 
phalie avec  énorme  dilatation  ventriculaire,  cavités  médullaires  et 
hydromyélie,  avec  réactions  pachyméningitiques.  Cette  histoire  permet 
bien  de  suivre  les  différentes  étapes  de  Y  épendymite  cérébrale  avec  des 
réduites  à  longs  intervalles  et  la  complication  secondaire  d* hydromyélie 
ayant  donné  lieu  à    un  tableau  de  myélite  transverse. 

D'autres  cas  d'épendymites  cérébrale  sont  d'une  interprétation  très 
délicate,  par  exemple  ceux  qui  se  traduisent  surtout  par  des  troubles 
intellectuels. 

Un  homme  de  53  ans,  architecte,  ayant  eu  des  convulsions  clans 
l'enfance  et  des  accès  de  céphalée  violente  dans  sa  jeunesse  ainsi  que 
quelques  crises  comitiales  frustes,  présente,  à  l'âge  de  27  ans,  une  cé- 
cité progressive  survenue  à  la  suite  de  céphalées  persistantes.  Pen- 
dant 20  ans,  son  état  reste  stationnaire,  sauf  quelques  crises  de  céphalée. 
En  1908,  à  49 ans,  ilest  atteint  de  bourdonnement  d'oreilles,  de  vertiges, 
de  troubles  de  l'équilibration  et  devient  complètement  sourd.  En  1912,  je 
suis  appelé  à  l'examiner  pour  des  manifestations  d'hallucinose  (halluci- 
nations auditives  conscientes  sans  étal  délirant  avec  crises  d'excitation 
provoquées  par  la  fatigue  sensorielle).  A  l'examen,  je  trouve  une  aboli- 
tion des  réflexes  tendineux  ;  le  malade  signale  quelques  douleurs  dans 
les  membres.    Pensante  Un  tabès,  je  fais  une    ponction   lombaire,  je 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  71 

retire  un  liquide  clair,  ne  contenant  que  quelques  rares  lymphocytes  et 
une  légère  quantité  d'albumine,  mais  hypertendu  (42  cm.)  Wassermann 
négatif  dans  îe  sang  et  le  liquide  céphalo-rachidien.  Il  ne  s'agissait 
donc  pas  d'un  tabès  mais  d'une  méningite  séreuse,  d'une  hydrocépha- 
lie interne  à  poussées  successives,  ayant  causé  la  cécité  et  la  surdité  et 
qui  provoquait  les  crises  d'hallucinose.  Les  ponctions  lombaires  répé- 
tées pendant  plus  de  deux  ans  firent  tomber  la  pression  à  20-24  cm., 
en  même  temps  que  les  crises  de  céphalées  et  d'hallucinations  s'espa- 
çaient. Dans  ce  cas,  le  syndrome  d'hypertension  n'avait  même  pas  été 
soupçonné,  c'est  la  ponction  lombaire  qui  le  révéla. 

Je  ne  saurais  trop  multiplier  les  exemples,  car  ils  vous  montreront 
mieux  qu'une  description  pathologique  sèche  les  différentes  formes  que 
peut  revêtir  l'hydrocéphalie  acquise,  laquelle  apporte,  même  à  un 
observateur  averti,  des  surprises  que  les  investigations  plus  complètes 
auraient  pu  éviter. 

Un  homme  de  42  ans,  tailleur,  m'est  adressé  en  1911  à  la  Salpètrière. 
Depuis  1907,  il  présente  de  la  céphalée,  des  troubles  du  caractère  à 
teinte  mélancolique  et  surtout  une  amnésie  de  fixation  des  plus  cu- 
rieuses—  sans  état  démentiel.  J'ai  rapporté  son  observation  à  la  société 
de  Psjxhiatrie  avec  Lévy-Valensi  et  Quercy.  Quand  nous  l'examinons, 
nous  apprenons  qu'il  a  eu  quelques  petites  crises  comitiales,  il  a  souf- 
fert de  douleurs  à  type  radiculaire,  ses  réflexes  tendineux  sont  abolis. 
Il  existe  de  la  névrite  optique  avec  altération  de  la  papille.  La  ponction 
lombaire  montra  l'existence  d'une  légère  lymphocytose  avec  Wasser- 
mann positif.  Malgré  l'absence  de  tout  antécédent,  nous  pensâmes  à 
une  syphilis  cérébrale  à  forme  méningée.  —  A  cette  époque  nous 
n'avions  pas  encore  l'habitude  de  mesurer  systématiquement  la  tension 
du  liquide  céphalo-rachidien  :  l'idée  d'une  épendymite  avec  hydro- 
céphalie conditionnée  peut-être  par  la  syphilis  possible  ne  prévalut 
donc  pas.  Et  pourtant,  on  nous  indiquait  que  cet  homme  avait  des 
accès  de  céphalée  fréquents  avec  vertiges,  on  nous  signalait  des  sym- 
ptômes en  faveur  d'un  trouble  de  V  équilibre  endocrinien,  il  avait  en- 
graissé de  25  livres,  il  avait  perdu  tonte  capacité  génitale  en  1908,  et  au 
contraire,  en  1911 ,  on  s'inquiétait  d'une  hyperaclivité  génitale  qui  s'ac- 
compagnait de  phénomènes  d  excitation  délirante  où  dominaient  les  idées 
de  persécution. 

Cet  homme  dut  être  hospitalisé  plusieurs  fois  pour  cette  raison  dans 
mon  service  à  Saint-Antoine  où  il  succomba  en  1914  après  avoir  pré- 
senté des  crises  d'épilepsie  très  graves.  Je  m'étais  contenté  de  lui 
appliquer  un  traitement  calmant  et  antisyphilitique,    pensant  avec    les 


72  //•  CLAUDE 

oculistes  que  sa  névrite  optique  était  uniquement  d'origine  spécifique. 
Quelle  ne  fut  p;is  ma  surprise  à  l'autopsie  dé  trouver  une  dilatation  des 
ventricules  latéraux  et  moyens  considérable,  et  sur  les  pièces  que  je 
nous  présente  vous  pouvez  constater  cette  distension  en  ballonnet  de 
l'infundibulum  ayant  provoqué  ['aplatissement  de  l'hypophyse.  Celle-ci, 
sur  les  lames  préparées  pour  l'examen  histologique,  apparaît  comme 
une  mince  lunule.  De  plus  le  trouble  de  l'équilibre  endocrinien  appa- 
raît dans  les  constatations  suivantes  :  les  surrénales  sont  énormes  et 
sont  le  siège  d  hémorrhagies,  les  testicules  sont  extrèmementaugmentés 
de  volume,  la  thyroïde,  au  contraire,  est  atrophiée  et  sclérosée,  bien 
que  par  endroits  on  trouve  au  microscope  des  régions  où  les  vésicules 
sont  en  pleine  activité  fonctionnelle.  Voilà  donc  des  indications  dune 
perturbation  pluriglandulaire.  Quelle  en  fut  la  cause  ?  La  compression 
de  l'hypophyse  par  la  distension  ventriculaire.  Celle-ci  fut  sans  doute 
la  conséquence  d'une  épendymite  chronique  avec  choroïdite,  car  le 
revêtement  ventriculaire  est  constitué  par  un  épendyme  épaissi,  ayant 
l'aspect  de  la  langue  de  chat  ;  à  l'examen  histologique,  l'épithélium  est 
proliféré,  une  sclérose  sous-épendymaire  est  manifeste.  Il  n'y  a  pas  de 
lésions  en  foyer,  niais  les  méninges  présentent  des  signes  d'inflamma- 
tion chronique  avec  des  lésions  artérielles  très  accusées. 

Vous  voyez  donc  que  l'hydrocéphalie  interne  avec  hypertension  a 
été  méconnue  parce  que  nous  ne  l'avons  pas  recherchée  ;  notre  atten- 
tion s'est  concentrée  seulement  sur  la  notion  de  syphilis  cérébro-mé- 
ningée. Retenez,  Messieurs,  ces  défaillances  de  notre  diagnostic  et 
qu'elles  servent  à  compléter  votre  expérience. 

Voici  un  autre  fait  encore  plus  démonstratif,  car  nous  n'avons  même 
pas  été  conduit  à  faire  une  ponction  lombaire.  Un  homme  de  'AH  ans, 
entre  en  mars  1920  à  l'hôpital  Saint-Antoine  pour  une  crise  d'excitation 
délirante  qui  tombe  au  bout  de  quelques  jours  et  qui  serait  survenue 
après  trois  crises  d'apparence  comitiale.  Ce  malade  nous  apprend  qu'en 
1914  il  a  fait  une  longue  maladie  :  il  souffrait  beaucoup  de  la  tête,  il 
accusait  des  douleurs  lombaires,  on  lui  trouva  de  la  pol  yurie,  de  la  pol)  - 
phagie  sans  glycosurie.  Il  put  être  employé  pendant  la  guerre  dans  le 
service   auxiliaire,  et  à  sa  libération  reprit  son  métier  de  livreur. 

Il  n'était  pas  douteux  qu'il  s'agissait  d'une  crise  nerveuse  provoquée 
par  l'intoxication  alcoolique,  bien  que  le  malade  niât  tout  excès. 

L'examen  nous  montra  que  ce  malade  était  un  diabétique  émettant 
8  à  9  litres  d'urine  par  jour  avec  300  à  400  gr.  de  sucre  par  1M  heures 
Cet  homme  resta  plusieurs  mois  dans  leservice  avec  un  état  station- 
naire.  Il  se  plaignait  de  temps  en  temps  de  céphalée,  d'étourdissement, 


L'HYPERTENSION  INTRACRANIENNE  73 

, j 

vertiges,  troubles  visuels,  asthénie,  légère  somnolence.  11  avait  refusé 
la  ponction  lombaire,  prétendant  qu'on  l'avait  déjà  pratiquée  et  qu'on 
n'avait  rien  trouvé  d'anormal.  De  temps  en  temps,  il  présentait  des 
crises  d'épilepsie,  il  maigrissait,  et  avait  de  l'acétone  dans  ses  urines, 
on  traita  son  diabète  sans  succès.  Pendant  le  dernier  mois,  la  céphalée 
tut  plus  vive  ainsi  que  les  vertiges,  on  constata  delà  somnolence,  enfin 
des  crises  convulsives  à  caractère  jacksonien  survenant  dans  l'hémi- 
face  gauche  et  les  membres  du  côté  gauche  ;  les  réflexes  rotuliens  sont 
abolis.  Tous  ces  symptômes  pouvaient  être  rapportés  au  diabète  grave 
avec  intoxication  acétonémique,  qui  entraîna  la  mort  dans  le  coma.  — 
Voilà  mon  excuse  ! 

A  l'autopsie,  nous  constatâmes  une  énorme  dilatation  ventriculaire, 
avec  aplatissement  complet  de  l'hypophyse  par  l'infundibulum  dis- 
tendu. Mais  il  existait  aussi  une  distension  considérable  des  espaces 
sous-arachnoïdien  de  la  corticalite  cérébrale,  surtout  du  côté  droit. 
Dans  ce  cas  c'est  le  diabète  qui  avait  retenu  toute  notre  attention,  or 
ce  diabète  était  très  probablement  en  rapport  avec  les  altérations  hypo- 
physaires  ou  infundibulaires.    . 

Mais  ce  cas  est  aussi  intéressant,  parce  qu'il  représente  un  exemple  de 
la  forme  mixte  de  méningite  séreuse  ventriculaire  et  corticale. 

Dans  tous  les  faits  que  nous  avons  rapportés  jusqu'à  présent  il  ne 
s'agissait  que  d'épendymite  ventriculaire,  nous  allons  voir  maintenant 
comment  se  manifeste  la  méningite  séreuse  circonscrite. 


Les  méningites  localisées,  corticales  ou  basilaires,  sont  considérées 
comme  plus  rares  que  les  hydrocéphalies  internes.  Leur  symptomato- 
logie  est  empruntée  à  la  fois  à  celles  des  méningites  et  à  celles  des 
tumeurs  cérébrales.  Aussi  retrouverons-nous  parfois  des  aspects  symp- 
tomatiques  qui  justifieraient  le  terme   de  pseudo-tumeurs  cérébrales. 

Les  méningites  localisées  présentent  tout  d'abord  les  symptômes 
généraux  de  l'hypertension  intracranienne  dont  le  développement  est 
plus  ou  moins  rapide  :  céphalée,  vomissements,  vertiges,  somnolence, 
crises  d'épilepsie,  enfin  augmentation  dépression  du  liquide  céphalo- 
rachidien  et  lésions  du  fond  de  l'œil. 

Je  ferai  remarquer  toutefois  (pie,  d'après  mes  observations,  la  pression 
du  liquide  céphalo-rachidien  est  souvent  moins  prononcée  dans  ces 
cas,  et  la  stase  papillaire  peut  même  faire  défaut,  parce  que  les  collec- 
tions sous-arachnoïdiennes sont  souventenkystées,  sans  communication 
avec  le  liquide  céphalo-rachidien  circulant.  Il  faut  alors  que    le  kyste 


71  //.    CLAl   DE 


ait  pris  un  développement  assez  considérable  et  joue  le  rôle  véritable 
d'une  tumeur  pour  que  la  pression  mesurée  dans  le  cul-de-sac  durai 
spinal  soit  augmentée.  Quand  la  collection  de  la  région  corticale  ou 
basilaire  n'est  pas  enkystée,  elle  peut  distendre  sur  une  assez  grande 
étendue  les  espaces  sous-arachnoïdiens  sans  qu'une  grosse  modification 
de  pression  intraeranienne  soit  notée.  De  même  la  gêne  circulatoire 
dans  la  gaine  du  nerf  optique  est  moins  considérable  cpie  lors  de  la  dis- 
tension en  masse  des  ventricules. 

Un  autre  caractère  de  ces  méningites  séreuses  corticales,  c'est 
l'existence  de  secousses  myocloniques.  Dans  lecas  d'Axbausen  (ménin- 
gite séreuse  corticale  de  la  région  rolandique,  opérée),  il  est  spécifié 
que  l'enfant  présentait  des  secousses  cloniques,  toutes  les  secondes, 
d'abord  dans  les  muscles  de  la  lace  et  des  membres  du  côté  droit,  puis 
des  deux  côtés. 

Chez  le  malade  que  j'ai  observé  avec  M.  Raymond,  il  existait  des 
mouvements  cloniques  rythmiques  se  répétant  cinquante  à  soixante 
fois  par  minute  dans  les  muscles  de  la  face  et  du  cou  d'abord,  puis  dans 
les  membres  supérieurs  droit  et  gauche..  Ces  mouvements  étaient  très 
analogues  à  ceux  décrits  depuis  dans  l'encéphalite  épidémique  à  type 
myoclonique.  Mais  je  rappellerai  que  la  méningite  séreuse  a  pu  compli- 
quer l'encéphalite  épidémique. 

Enfin  dans  le  cas  de  kyste  arachnoïdien  cortical  que  je  vous  ai  montré 
(fig.  3),  j'ai  noté  les  mêmes  mouvements  cloniques.  Il  s'agissait  d'un 
homme  de  38  ans,  plombier,  tuberculeux  ancien,  atteint  de  lésions  ba- 
cillaires excavantes  en  évolution,  qui  succomba  avec  des  signes  de  mé- 
ningite tuberculeuse  terminale  (délire,  Kernig,  lièvre,  lymphocy tose). 
Or  cet  homme  dont  la  collection  kystique  occupait  la  région  temporo- 
frontale  gauche,  avait  présenté  les  symptômes  suivants  que  je  transiris 
d'après  mon  mémoire  d'octobre  191 1  :  «  les  membres  supérieurs  sont 
atteints  de  mouvements  indépendants  de  la  volonté,  qui  se  répètent 
stéréotypés,  et  qui  figurent  assez  bien,  du  côté  droit  surtout,  le  geste 
de  porter  la  main  à  la  bouche  et  à  la  gorge.  A  d'autres  moments  le  ma- 
lade exécute  de  la  main  droite  des  mouvements  menus  des  doigts, 
comme  s'il  émiettait  du  pain  ou  s'il  voulait  saisir  des  objets  et  les  ser- 
rer dans  sa  main.  » 

Dans  les  deux  observations  de  Muskens  il  semble  plutôt  qu'il  s'agisse 
de  convulsions  localisées. 

Il  y  a  donc  dans  les  méningites  séreuses  circonscrites  de  la  cortica- 
lité  une  symptomatologie  assez  caractéristique  :  phénomènes  généraux 
d'hypertension,  faible  élévation  île  la  pression  mesurée  au  manomètre, 


VH  YPERTENSION    INTRACRANIENNE 


pouvant  augmenter  par  la  suite,  absence  ou  apparition  tardive  des 
altérations  du  fond  de  l'œil,  symptômes  d'épilepsie  localisée  et  surtout 
myoclonies. 

Dans  les  formes  bctsilaires  ou  ponto-cérébelleuses  de  la  méningite  sé- 
reuse localisée,  la  symptomatologie  est  aussi  celle  des  tumeurs  céré- 
brales, avec  cette  réserve  que  les  signes  objectifs  d'hypertension  sont 
parfois  assez  tardifs.  Vous  allez  voir  qu'il  n'en  est  que  plus  intéressant 
de  bien  connaître  les  variétés  de  méningites  séreuses  (pseudo-tumeurs) 
et  de  cherchera  les  distinguer  des  tumeurs  cérébrales. 

Ici  encore  je  vous  exposerai  la  symptomatologie  par  des  exemples 
«  vivants  ». 

Voici  une  femme  âgée  actuellement  de  49  ans,  dont  j'ai  publié  l'his- 
toire en  1912  avec  le  Professeur  Lejars.  Elle  était  venue  à  l'hôpital  Saint- 
Antoine  le  15  mai  1912,  se  plaignant  depuis  le  15  avril  d'éprouver  un 
mal  de  tète  de  plus  en  plus  violent  survenu  après  un  état  grippal  avec 
coryza  contracté  en  mars.  Puis  des  vomissements  étaient  apparus,  des 
sensations  pénibles  dans  la  moitié  gauche  de  la  face,  et  des  troubles  de 
l'équilibration  avec  latéro-pulsion  droite. 

A  l'examen,  nous  constatons  un  syndrome  protubérantiel  alterné, 
une  hémiparéssie  droite  des  membres  avec  exagération  des  réflexes, 
signe  de  Babinski,  des  troubles  de  sensibilité  de  la  face  du  côté 
gauche,  une  paralysie  de  la  VIe  paire  gauche  avec  diplopie,  sans  stase 
papillairede  l'hypoacousie  à  droite,  avec  hyperexcitabilitélabyrinthique 
constatée  par  le  Dr  Hautant.  Les  troubles  de  l'équilibration  sont  si 
accusés  qu'ils  rendent  la  marche,  la  station  debout  et  même  assise,  im- 
possibles. 

La  ponction  lombaire  montra  une  hypertension  manifeste  (non  me- 
surée), sans  éléments  cytologiques,  Wassermann   négatif. 

La  malade  fut  traitée  par  la  ponction  lombaire,  le  mercure  et  l'iodure 
sans  résultats.  Aussi  le  28  juin  1912,  fis-je  pratiquer  une  craniectomie 
décompressive  latérale  par  le  Professeur  Lejars.  Tous  les  sj'iuptômes, 
même  les  signes  de  compression  du  faisceau  pyramidal,  disparurent 
peu  à  peu,  ainsi  que  les  troubles  de  l'équilibration  ;  en  septembre,  cette 
femme  reprenait  ses  occupations  de  marchande  de  légumes.  Sa  guéri- 
son  s'est  maintenue  complète  comme  vous  pouvez  en  juger,  sa  brèche 
crânienne  ne  la  gène  pas,  et  la  méninge  dure  ne  bombe  pas  sous  le  cuir 
chevelu.  A  noter  toutefois  que  cette  femme  a  cessé  d'être  réglée  peu 
après  l'opération,  à  43  ans,  et  qu'elle  déclare  avoir  engraissé  beaucoup. 
De  quoi  s'agissait-il  dans  ce  cas  ?  Très  vraisemblablement  d'une  mé- 
ningite séreuse  localisée  de  Vanglc  ponto- cérébelleuse  du  côté  droit  qui   a 


7,;  //.   CLAl  Dl 

provoqué  une  compression  du  nerf  de  la  VIIIe  paire  droite,  refoulé  et 
comprimé  la  protubérance  en  causant  la  paralysie  alterne,  et  com- 
primé le  pédoncule  cérébelleux. 

El  pourquoi  cette  collection  s'ést-elle  développée  dans  cette   région  ? 

La  raison  nous  fut  fournie  par  la  suite  par  la  malade,  qui,  connue  eeJa 
arrive  souvent,  nous  avait  incomplètement  renseignés.  Surpris  de  voir 
persister  l'hypoacousie  avec  quelques  bourdonnements,  nous  l'avons 
soigneusement  interrogée  et  elle  s'est  rappelée  que  vingt  ans  aupara- 
vant elle  avait  été  traitée  pour  une  otite  dont  elle  avait  beaucoup  souf- 
fert, et  il  y  a  sept  ans  elle  avait  été  reprise  de  douleurs  dans  l'oreille 
avec  céphalée  violente.  Cette  femme  a  donc  un  passé  auriculaire  qui 
explique  quelle  ait  pu  avoir  une  légère  atteinte  méningée,  et  à  la  suite 
dé  la  grippe  avec  coryza  en  mars  1912,  elle  a  fait  une  poussée  de  mé- 
ningite séreuse  irritative,  laquelle  a  revêtu  les  allures  d'une  néoplasie 
ponlo  -  ce rèbclleuse . 

Vous  voyez  que  la  guérison  complète  s'est  maintenue  depuis  neuf 
ans,  et  que  la  craniectomie  a  été  suivie  d'un  heureux  effet,  puisque  cette 
femme  opérée  avant  qu'il  y  ait  eu  de  la  stase  papillaire,  a  conservé 
l'intégrité  absolue  de  sa  vision. 

A  la  même  époque,  j'observais  un  jeune  homme  de  lô  ans  qui  se  pré- 
sentait avec  une  symptomatologie  de  tumeur  cérébelleuse  :  céphalée 
progressive  depuis  trois  mois,  puis  apparition  de  vomissements,  étour- 
dissements,  vertiges,  douleurs  très  vives  dans  la  région  occipito-cervi- 
cale,  raideur  de  la  nuque,  signe  de  Kernig,  titubation  dans  la  marche, 
adiadococinésie,  asynergie,  réflexes  tendineux  très  vifs  avec  double 
signe  de  Babinski,  réflexes  d'automatisme  médullaire  très  prononcés, 
troubles  de  l'appareil  vestibulaire  (D1*  Hautant).  Pas  de  stase  papillaire. 
Ponction  lombaire:  pression  30  cm.  d'eau,  pas  d'éléments  cellu- 
laires, pas  d'hyperalhuminose,  Wassermann  négatif.  Voilà  très  briève- 
ment résumé  le  tableau  clinique. 

M'appuyant  sur  l'intensité  des  phénomènes  de  réaction  méningée, 
sur  l'existence  des  troubles  de  l'appareil  vestibulaire,  l'absence  de 
stase  papillaire,  la  diffusion  des  signes  de  compression  (compression 
bilatérale  de  la  voie  motrice  et  des  voies  cérébelleuses),  je  pensai  qu'il 
s'agissait  plutôt  d'une  méningite  séreuse  (pie  d'une  tumeur,  d'autant 
plus  que  des  renseignements  recueillis,  il  résultait  que  deux  ans  aupa- 
ravant, le  jeune  garçon  axait  présenté  des  symptômes  rapportés  à  une 
méningite. 

En  raison  de  la  progression  rapide  des  troubles  et  surtout  de  l'appa- 
rition des    phénomènes  bulbaires  graves  (arythmmie,    syncopes)    au 


VH  YPERTEXSIOX  IXTRACRA.X I ENJN E 


moindre  mouvement,  je  fis  pratiquer  par  le  Professeur  Lejars  une  tré- 
panation décompressive  pariétale,  le  26  décembre  1912. 

Le  20  janvier,  le  malade  quittait  l'hôpital  complètement  guéri.  Il  a  fait 
son  service  militaire  dans  l'auxiliaire,  pendant  la  guerre,  et  jouit  aujour- 
d'hui d'une  santé  parfaite. 

Voilà  deux  types  représentant  à  mon  avis  les  formes  les  plus  com- 
munes de  la  méningite  séreuse  basilaire,  forme  cérébelleuse,  forme  ponlo- 
cérébelleuse.  Dans  ces  deux  cas  la  symptomatologie  a  été  très  riche,  la 
progressivité  des  symptômes  de  localisation,  leur  diffusion,  l'absence 
de  stase  papillaire,  la  faible  tension  du  L.  C.-R.,  constituent  les  carac 
tères  les  plus  importants  à  retenir. 

Il  y  a  des  formes  plus  discrètes  dans  ces  méningites  localisées  ainsi 
que  dans  les  diverses  variétés  de  méningites  séreuses. 


On  pourrait  multiplier,  en  effet,  les  formes  de  méningite  séreuse  sui- 
vant le  degré,  Vacuité  du  processus  ou  sa  chronicité,  suivant  la  locali- 
sation, la  prédominance  de   tel  ou  tel  symptôme. 

Quincke  a  décrit  des  formes  frustes,  et  avec  lui,  je  ne  saurais  trop 
attirer  votre  attention  sur  ces  formes  discrètes  dont  les  manifestations 
pourraient  faire  prévoir  l'apparition  ultérieure  des  accidents  graves. 
Chez  la  plupart  de  nos  malades  nous  avons  pu  retrouver  des  épisodes 
précurseurs.  Ces  formes  discrètes  se  traduisent  par  des  accès  fréquents 
de  céphalée  durant  quelques  jours,  un  état  nauséeux,  avec  constipation 
des  bourdonnements  d'oreille.  Vient-on  à  faire  examiner  le  fond  de 
l'œil,  on  apprend  que  les  veines  sont  légèrement  dilatées,  il  y  a  une 
légère  stase.  La  ponction  lombaire  soulage  les  malades. 

Quincke  a  décrit  ainsi  une  forme  migraineuse.  Il  conviendra  de  s'en- 
tourer de  toutes  sortes  de  renseignements  fournis  par  la  ponction 
lombaire,  l'examen  du  sang  au  point  de  vue  de  l'urée,  des  épreuves 
biologiques,  au  point  de  vue  des  crises  colloïdo-classiques,  avant  de 
conclure  à  une  forme  de  migraine  par  hypertension. 

Certains  accès  de  dépression  à  type  mélancolique  ou  neurasthénique  avec 
céphalée,  douleur  musculaire,  troubles  visuels,  vertiges,  adynamie, 
peuvent  être  qualifiés  de  forme  aslhénique  de  l'hypertension,  si  la  ponc- 
tion lombaire  révèle  l'augmentation  de  pression.  J'en  dirai  autant  de 
certains  étals  mentaux,  et  notamment  certains  états  d'excitation  pério- 
diques cpie  j'ai  observés  chez  des  sujets    nettement  hydrocéphales. 

Il  faut  savoir  aussi  qu'il  existe  des  formes  localisées  unilatérales 
d'hydrocéphalie  que  la  ponction  lombaire  ne  peut  révéler,   caria   dis- 


//.   Cl. M  DE 


tension  par  le  liquide  céphalo-rachidien  se  limite  à  un  ventricule  ou  à 
une  partie  des  espaces  arachnoïdiens  en  raison  d'oblitérations  des  ori- 
fices de  communication,  d'adhérences  ou  de  symphyses  de  l'aqueduc 
de  S\  Ivius,   par  exemple. 

Peut-être  pourra-t-on  distinguer  une  forme  infundibulaire  en  rapport 
avec  la  distension  du  troisième  ventricule  où  la  somnolence  et  la 
polyurie  constitueront  les  éléments  caractéristiques. 


L'évolution  des  méningites  séreuses  est  très  variable  suivant  la  cause 
qui  les  a  engendrées,  rétendue  des  lésions  et  surtout  suivant  les  mé- 
thodes de  thérapeutique  mises  en  oeuvre  pour  les  combattre.  Comme 
je  vous  l'indique  dans  les  considérations  préliminaires  de  cette  leçon,  ce 
cpii  cause  l'embarras  du  médecin,  c'est  la  bénignité  fréquente  delà  symp- 
tomatologie au  début.  Aussi  en  présence  de  phénomènes  aussi  communs 
que  la  céphalée,  des  vomissements,  un  état  vertigineux,  quelques  trou- 
bles auriculaires,  n'est-on  que  trop  porté  à  n'attacher  que  peu  d'impor- 
tance aux  malaises  signalés,  alors  qu'une  ponction  lombaire  faite  op- 
portunément permettrait  d'instituer  un  traitement  nécessaire  pour  em- 
pêcher la  progression  des  lésions,  éviter  le  développement  des  altéra- 
tions du  nerf  optique  ou  du  nerf  auditif,  et  le  passage  à  la  chronicité. 

Chez  les  blessés  du  crâne,  il  n'est  pas  rare  d'observer  des  accès  légers 
transitoires  d'hypertension  céphalo-rachidienne,  qu'une  ponction  fait 
disparaître,  de  même  chez  des  sujets  suspects  de  tuberculose  ou  des 
enfants  ayant  des  stigmates  hérédo-spéciliqucs.  Les  individus  atteints 
antérieurement  d'otites,  de  mastoïdite,  de  sinusite,  devront  être  particu- 
lièrement surveillés  lorsqu'ils  présenteront  quelques-uns  des  éléments 
du  syndrome  d'hypertension. 

De  même  en  cas  de  troubles  de  la  vision  sans  cause  reconnue  on  ne 
saurait  trop  recommander  aux  ophtalmologistes,  ainsi  que  l'ont  fait 
récemment  Abadie,  Dor,  Jocqs  au  dernier  congrès  d'ophtalmologie 
(mai  1921)  de  penser  à  la  possibilité  d'une  méningite  séreuse  qu'une 
décompression  par  ponction|lombaire  ou  craniectomie  arrêtera  dans  son 
évolution.  Perrin  et  Leriche,  à  ce  même  congrès,  ont  montré  que  l'acuité 
visuelle  pouvait  être  rendue  complète  à  des  aveugles  dont  on  avait 
constaté  la  stase  papillaire  progressive,  en  pratiquant  rapidement  une 
craniectomie  décompressive.  Il  s'agit  de  formes  d'hypertension  à  marche 
aiguë  par  méningite  séreuse,  dans  lesquelles  une  décision  thérapeutique 
rapide  interrompt  brusquement  le  cours  de  la  maladie,  .le  ne  saurais 
trop  attirer  votre  attention  sur  ces   laits.  J'en  dirai  autant    de    certaines 


VH  YPERTENSION    INTBACRAN IENNE 


formes  de  méningites  séreuses  se  traduisant  par  des  accès  périodiques 
avec  troubles  mentaux  ou  crises  convulsives  comitiales,  que  la  décom- 
pression améliore  ou  guérit. 

Malheureusement  ces  cas  ne  sont  pas  assez  connus  et  les  asiles  d'incu- 
rables ou  d'aliénés  nous  o firent  encore  trop  d'exemples  d'infirmes 
(aveugles,  sourds,  sourds-muets,  épileptiques,  aliénés)  à  qui  une  inter- 
vention médico-chirurgicale  aurait  pu  éviter  facilement  un  état  aussi 
misérable. 

Le  pronostic  découle,  dans  les  méningites  séreuses,  des  détails  dans 
lesquels  je  suis  entré.  Contrairement  aux  autres  causes  d'hypertension 
(tumeurs,  méningites  infectieuses  ou  tuberculeuses,  abcès),  la  ménin- 
gite séreuse  primitive  dans  ses  diverses  variétés  est  essentiellement 
curable;  il  suffit  de  savoir  la  dépister  de  bonne  heure  pour  la  traiter  éner- 
giquement  —  il  suffit  d'avoir  la  ferme  volonté  de  suivre  ces  malades  et 
de  convaincre  ceux-ci  de  la  nécessité  pour  eux  d'être  tenus  en  observa- 
tion et  en  traitement.  Dans  certaines  formes  rémittentes,  c'est  là  une 
besogne  ingrate,  sur  laquelle  j'ai  déjà  attiré  votre  attention  quand  je 
vous  ai  montré  quelles  difficultés  j'avais  rencontrées  quand  je  rap- 
pelais à  mes  malades  la  nécessité  de  rester  sous  ma  surveillance  et  de 
laisser  renouveler  des  ponctions  lombaires  quand  l'opportunité  m'en 
apparaissait. 

Malgré  cette  surveillance,  et  à  plus  forte  raison  quand  la  méningite 
séreuse  n'a  pas  été  dépistée,  des  complications  d'un  autre  ordre  que 
les  altérations  des  nerfs,  optique  et  auditif,  doivent  être  présentes  à 
l'esprit.  Je  crois  nécessaire  de  revenir  sur  cette  question  peu  connue 
des  complications  glandulaires,  puisque,  ainsi  que  je  vous  en  ai  fourni 
des  exemples,  le  sj'ndrome  endocrinien  peut  occuper  toute  la  scène 
et  masquer  le  syndrome  d'hypertension. 

La  succession  des  accidents  est  généralement  la  suivante,  je  le  répète 
intentionnellement  :  apparition  de  phénomènes  d'iwpertension  nets  ou 
frustes  .  secondairement,  compression  progressive  de  l'hypophyse, 
entraînant  des  troubles  fonctionnels  variables  de  l'équilibre  glandulaire, 
variables  parce  que  suivant  l  >'<ge  du  sujet  et  1  état  antérieur  de  ses  glandes, 
les  troubles  de  l'activité  fonctionnelle  revêtiront  des  aspects  différents.  En 
effet,  on  verra  se  constituer,  suivant  des  lois  qui  nous  échappent,  des 
phénomènes  d'hyperfonction  ou  d'hypofonction  des  diverses  glandes 
endocrines,  et  peut-être  aussi  après  une  phase  d  hyperfonction,  un  stade 
ultime  d'épuisement  fonctionnel  Quoiqu'il  en  soit  du  mécanisme,  ces 
syndromes  pluriglandulaires  complexes  se  traduiront  par  l'obésité,  les 
troubles     génitaux   (hypo      ou     hyperactivité     génitale,   aménorrhée), 


80  //.   CLAUDE 

l'asthénie,  la  polyurie,  le  diabète.  [1  est  possible  aussi  que  dans  certains 
cas,  il  s'agisse  d'un  syndrome  pluriglandulaire  primitif  dont  les  altéra- 
tions des  plexus  choroïdes  ne  seraient  qu'un  des  éléments,  et  que  l'hydro- 
céphalie,  au  lieu  d'être  la  cause  déchaînante  du  déséquilibre  endocrinien, 
n'en  soit  qu'une  des  manifestations,  c'est  là  un  point  de  vue  très  nouveau 
de  la  question  sur  lequel  je  n'ai  pas  d'expérience  personnelle.  Une  obser- 
vation récente  de  Sabrazès  et  Duperie  (1920)  nous  montre,  en  effet,  dans 
un  cas  d'hydrocéphalie  congénitale,  la  glande  pituitaire  normale  et 
plutôt  en  état  d'hyperfonetion,  tandis  qu'il  existe  des  altérations  sclé- 
reuses  des  plexus  choroïdes,  du  corps  thyroïde  et  des  ovaires  en  oppo- 
sition avec  l'hypertrophie  du  thymus,  des  para  thyroïdes.  Les  lésions 
des  plexus  choroïdes,  causes  de  l'hydrocéphalie,  étaient  considérées 
par  ces  auteurs  comme  conditionnées  par  les  mêmes  éléments  pathogé- 
niques  que  les  autres  lésions  glandulaires.  Des  faits  de  cet  ordre  s'ac- 
corderaient avec  la  conception  de  V.  Monakow  et  de  Kitahayashi, 
que  je  vous  ai  exposée,  laquelle  établit  des  connexions  étroites  entre 
les  plexus  choroïdes  et  les  glandes  endocrines. 

Je  ferai  remarquer  aussi,  dans  cet  ordre  d'idées,  qu'il  est  très  pro- 
hahle  que  le  syndrome  épiphysaire  si  curieux  au  point  de  vue  des  phé- 
nomènes anormaux  de  croissance  et  du  développement  génital  précoce* 
qui  a  été  établi  sur  des  fails  de  tumeurs  de  l  épiphyse  chez  l'enfant  où  l'hij- 
pertension  est  considérable,  n'a  probablement  qu'une  symptomatologie 
d'emprunt,  d'origine  hypophysaire  surtout,  car  les  observations  récentes 
d'atrophie  ou  d'absence  de  Pépiphyse  ne  reproduisent  nullement  cet 
aspect  clinique. 


De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  que  vous  devez  vous  attacher  à 
dépister  de  bonne  heure  l'hypertension  intracranienneetà  la  rapporter 
à  sa  véritable  cause. 

Dépister  n'est  pas  œuvre  méritoire,  il  suffît  de  pensera  la  grande  fré- 
quence de  l'hypertension  intracranienne  et  de  la  mettre  en  évidence  par 
la  mesure  de  la  pression  du  liquide  céphalo-rachidien  et  l'examen  du  fond 
de  l'œil. 

Diagnostiquer  la  cause  decette  hypertension,  voilà  qui  est  plus  déli- 
cat et  souvent  impossible. 

S'il  existe  un  traumatisme  crânien  dans  le  passé,  des  antécédents 
méningitiques,  auriculaires  ou  oculaires,  vous  n'êtes  pas  excusable  de 
méconnaître  la  méningite  séreuse  et  de  n'avoirpas  cherchée  démontrer 
son  existence. 


VH  YPERTEXSIOX  INTEA-CRANIENNE 


En  l'absence  de  commémoratifs,  recherchez  les  antécédents  tuber- 
culeux ou  syphilitiques,  voire  même  alcooliques,  ce  sont  là  les  grands 
facteurs  pathogéniques  qui  peuvent  causer  l'épendymite  ou  l'arachnoï- 
dite.  Dans  la  pratique  vous  vous  attacherez  surtout  à  démontrer  l'exis- 
tence de  l'hypertension  et  vous  discuterez  ensuite  si  vous  êtes  en  présence 
d'une  méningite  séreuse,  d'une  méningite  infectieuse,  d'une  tuberculose 
méningée  dont  les  variétés  sont  assez  nombreuses,  d'un  abcès  et  surtout 
d'une  tumeur  cérébrale. 

La  ponction  lombaire  caractérisera  histologiquement  et  bactériologi- 
quement  les  méningites  infectieuses  ou  tuberculeuses. 

L'abcès  du  cerveau  sera  d'un  diagnostic  plus  délicat.  Les  mêmes 
causes  (infections  générales  ou  locales,  traumatisme  crânien,  suppura- 
tions nasale,  auriculaire,  oculaire)  peuvent  provoquer  le  développe- 
ment d'abcès. 

La  ponction  lombaire  m'a  montré  dans  les  cas  que  j'ai  observés  un 
liquide  dont  la  pression  est  peu  élevée,  souvent  clair,  parfois  trouble, 
mais  habituellement  hyperalbumineux  et  assez  riche  en  leucocytes.  Ce 
sont  là  des  caractères  qui  joints  à  l'existence  de  la  fièvre  à  oscillations 
peuvent  vous  permettre  d'écarter  le  diagnostic  de  méningite  séreuse. 
Enfin  bien  souvent  l'abcès  est  latent  et  se  traduit  simplement  tout  à  coup 
par  la  céphalée,  les  convulsions,  une  allure  dramatique  des  symp- 
tômes qui  n'est  guère  le  fait  de  la  méningite  séreuse.  Je  ne  vous 
dissimulerai  pas  toutefois  que  le  diagnostic  ne  peut  bien  souvent  pas 
reposer  sur  une  base  solide. 

Il  en  est  de  même  pour  les  tumeurs  cérébrales.  En  faveur  de  celles-ci, 
on  peut  faire  valoir  le  développement  lent,  progressif  des  symptômes 
généraux,  les  signes  de  localisation  à  caractère  objectif  i  hémiplégie, 
aphasie,  paralysies  oculaires,  etc.),  et  lentement  aggravés,  la  stase  papil- 
laire  souvent  plus  précoce  et  plus  prononcée,  les  crises  d'épilepsie,  la 
tension  en  général  plus  élevée  du  liquide  céphalo-rachidien,  la  présence 
des  cellules  néoplasiques  dans  ce  liquide  si  la  tumeur  est  superficielle, 
la  lymphocytose  signalée  par  Dufour,  et  que  j'ai  étudiée  avec  Verdun; 
la  teneur  en  albumine  est  diversement  appréciée  par  les  auteurs  : 
Quincke  croit  que  l'albumine  est  en  plus  forte  proportion  dans  les  ménin- 
gites séreuses  ;  Oppenheim  est  d'un  avis  opposé  et  mes  constatations 
confirment  cette  opinion. 

Dans  les  méningites  séreuses,  les  symptômes  peuvent  se  développer 
beaucoup  plus  rapidement,  ils  peuvent  se  prolonger  aussi  sans  modifi- 
cation appréciable  de  l'état  général  pendant  un  temps  beaucoup  plus 
long.  Il  est   fréquent    (pie  des  crises   d'hypertension,    se  traduisant  par 

CONFÉR.    KEUROL.  6 


//.  ci  M  DE 


une  recrudescence  des  troubles  fonctionnels  et  généraux,  soientsignalées 
dans  le  cours  de  l'affection.  Les  signes  de  localisation  sont  moins 
tenaces,  moins  progressifs. 

Enfin,  dans  quelques  cas,  on  ;i  pu  établir  le  diagnostic  de  tumeur 
méningée,  du  type  ostéo-fibro  sarcomateux    par  la    radiographie. 

Voilà,  Messieurs,  quelques  indications,  mais  combien  fragiles!  Je  n'en 
veux  pour  preuve  que  le  e;is  Recette  malade  que  je  vous  présente  chez 
qui  le  diagnostic  de  tumeur  avait  fini  par  s'imposer  à  mon  esprit  et 
qu'une  thérapeutique  opiniâtrea  guérie,  faisant  la  preuve  de  la  nature 
bénigne  de  la  maladie. 

Celte  femme,  âgée  aujourd'hui  de  33  ans,  avait  25  ans  quand  elle  entra 
dans  mon  service,  le  8  janvier  1913.  Rien  à  retenir  dans  ses  antécédents. 
Quatre  mois  auparavant,  elle  accuse  une  céphalée  constante  et  progres- 
sive, des  vomissements  et  des  vertiges.  Elle  se  présente  à  nous  avec  les 
allures  d'une  tumeur  cérébelleuse  :  attitude  soudée  par  la  douleur 
céphalique  réveillée  au  moindre  mouvement,  lenteur  de  la  parole, 
troubles  de  l'équilibre,  adiadococinésië.  Réflexes  normaux,  un  peu 
pius  forts  à  droite.  Rien  du  côté  des  yeux,  pas  de  stase  papillaire. 
Ponction  lombaire  :  tension  33  cm.,  pas  d'hyperalbuminose,  pas 
de  lymphocytose,  Wassermann  négatif  dans  le  sang  et  le  liquide 
céphalo-rachidien.  Néanmoins  nous  instituons  un  traitement  spé- 
cifique énergique  tout  en  pratiquant  quelques  ponctions  lombaires, 
mais  en  évacuant  peu  de  liquide,  redoutant  les  accidents  de  décom- 
pression. 

Ce  traitement  resta  inefficace  :  les  symptômes  s'accentuèrent  peu  à 
peu,  céphalée  atroce,  vomissements,  titubation,  pas  de  signes  de  locali- 
sation cérébrale  ou  bulboprotuhérantielle,  mais  un  signe  nouveau  appa- 
rut, l'œdème  de  la  papille,  lequel  joint  à  des  troubles  des  réactions  vesti- 
bulaires,  mit  hors  de  doute  la  progression  de  1  hypertension.  Nous  fîmes 
pratiquer  une  craniectomie  décompressive  pariétale  le  28  janvier  1913. 
Pendant  quelques  jours  la  céphalée  diminua  ainsi  que  les  vomissements; 
mais  au  niveau  de  la  brèche  osseuse  on  constatait  que  la  dure-mère 
tendue,  bombait,  et  les  battements  encéphaliques  n'étaient  pas  perçus, 
alors  que  chez  les  sujets  décompressés  et  en  voie  d'amélioration  on  note 
plutôt  une  dépression  du  cuir  chevelu  au  niveau  de  la  perte  de  suhs- 
tance.  Bientôt  les  troubles  fonctionnels  reprirent  unv  intensité  nouvelle, 
et  les  manifestations  cérébelleuses  s'accentuèrent.  En  mai, l'examen 
oculaire  fait  par  M.  Dupuy  Dutcmps  signalait  dans  le  fond  de  l'œil  tics 
papilles  saillantes,  œdémateuses,  des  artères  grêles,  et  des  veines 
saillantes  sinueuses.  On  continua  le  traitement  spécifique, on  refit  des 


L'HYPERTENSION  INTBA-CRANIENNE  83 

ponctions  lombaires.  A  la  fin  de  mai,  je  résolus  de  pratiquer  des  ponc- 
tions intra-ventriculaires  par  la  brèche  osseuse.  Je  fis  ainsi  trois  ponc- 
tions de  20  à  40  cmc.  chaque  fois.  La  pression  intraventriculaire 
oscillait  entre  30  et  38  cm.  d'eau. 

Dès  lors  une  amélioration  lente  et  progressive  se  produisit,  la 
céphalée  disparaît,  les  vomissements  cessent,  l'équilibre"se  rétablit.  En 
septembre  la  malade  quitta  l'hôpital  guérie. 

Nous  la  revîmes  en  mai  1914  :  elle  avait  repris  ses  occupations,  et 
n'éprouvait  plus  de  céphalée,  1  inclinaison  de  la  tète  produisait  seule- 
ment parfois  des  étourdissements.  Les  règles,  qui  s'étaient  supprimées 
pendant  la  maladie,  étaient  revenues.  L'examen  ophtalmoscopique  ne 
révélait  plus  aucune  altération  de  la  papille. 

Actuellement,  comme  vous  pouvez  vous  en  rendre  compte,  cette 
femme  est  dans  d'excellentes  conditions.  Elle  vous  dira  toutefois  qu'elle 
a  beaucoup  engraissé,  mais  elle  n'éprouve  plus  aucun  malaise.  Elle  a  eu 
un  enfant  et  sa  grossesse  et  son  accouchement  ont  été  normaux.  Au 
niveau  de  la  perte  de  substance,  il  n'y  a  plus  de  saillie  de  la  dure-mère 
et  les  battements  encéphaliques  sont  perçus. 

Je  crois  qu'il  n'est  pas  possible  de  porter  un  autre  diagnostic  que 
celui  d'hypertension  intracranienne  par  méningite  séreuse,  de  pseudo- 
tumeur cérébrale.  Mais  il  faut  reconnaître  que  si  nous  n'avions  pas 
poursuivi  opiniâtrement  la  cure  de  l'hypertension,  les  accidents  dus  à 
la  compression  auraient  progressé  et  l'on  aurait  pucroire  à  l'existence 
d'une  néoplasie  cérébrale. 

Un  exemple  aussi  remarquable  montre  bien,  sans  que  j'y  insiste 
davantage,  les  heureux  effets  d'une  thérapeutique  médico-chirurgicale 
dans  de  tels  cas. 

A  côté  des  tumeurs  cérébrales,  il  faudra  songer  aussi  à  ces  formes  de 
méningite  tuberculeuse  en  plaques  (pachyméningite  ou  leptoméningite 
circonscrite)  dont  E.  Flatau  et  Mlle  Ziberlast-Zand  ont  repris  récem- 
ment l'étude.  Des  céphalées  opiniâtres,  avec  une  certaine  raideur  de  la 
nuque,  des  vomissements,  de  l'œdème  papillaire,  et  de  la  névrite  optique, 
de  l'augmentation  de  pression  du  liquide  céphalo-rachidien,  tels  sont 
les  symptômes  qui  ont  été  notés  par  ces  auteurs.  Ils  donnent 
comme  signes  différentiels  la  fréquence  de  petites  poussées  thermi- 
ques, la  réaction  de  Pirquet  positive,  les  convulsions  cloniques 
on  les  paralysies,  signes  de  localisation,  présentant  des  oscillations,  des 
variations  d'intensité  ;  dans  le  liquide  céphalo-rachidien,  l'albumine 
(globuline  surtout) peut  être  abondante,  la  lymphocylose  est  fréquente  : 
Hasselt  a  trouvé  des  bacilles  tuberculeux. 


>i  H.   il  Al  DE 


Ces  formes  de  méningite  sont  intermédiaires  entre  les  méningites 
séreuses  circonscrites  des  tuberculeux  que  nous  avons  mentionnées,  et 
qui  sont  abacillaires.  toxiniques  où  infectieuses,  reliquats  surtout  d'in- 
fections atténuées,  et  les  méningites  tuberculeuses  diffuses  chroniques 
ou  plutôt  méningo-encéphalomyélites,  tuberculeuses  à  forme  scléreuse 
du  scléro-caséeuse.  Pour  quelques  auteurs,  la  distinction  avec  les  ménin- 
gites séreuses  est  impossible,  car  ces  dernières  seraient  l'expression  des 
tuberculoses  guéries. 

Je  vous  signalerai  encore,  pour  mémoire,  bien  que  le  diagnostic  ne 
puisse  en  être  posé,  ces  Hypertrophies  cérébrales  décrites  par  Virchow, 
Obersteiner,  Brouardel,Variot,  et  qu'à  la  suite  de  Reichardt  on  a  étu- 
diéesrécemment  en  Allemagne  sous  le  nom  de  Hirnschwellung  ;  le  cer- 
veauprésentant  un  volume  supérieur  à  celui  de  la  boîte  crânienne, 
des  phénomènes  de  compression  se  produisent.  Il  s'agit  là  de  cas 
exceptionnels. 

Les  formes  localisées,  corticales,  de  méningite  séreuse  peuvent  être 
confondues  avec  les  tubercules  cérébraux,  les  tumeurs  de  la  corticalité, 
les  hémorrhagies  cérébro-méningées.  La  constatation  des  mouvements 
cloniques,  rythmiques,  jointe  aux  signes  généraux  d'hypertension,  la 
longue  durée  des  accidents,  seront  des  éléments  diagnostiques  impor- 
tants. Dans  l'encéphalite  épidémique  à  forme  myoclonique,  la  notion 
d'épidémicité  guidera  surtout  le  clinicien,  mais  l'évolution  sera  aussi 
plus  rapide,  la  ponction  lombaire  révélera  de  l'hyperglycorachie,  de 
l'hyperalbuminose  et  une  lymphocytose,  qui  font  défaut  dans  la  ménin- 
gite séreuse. 


Il  ne  conviendrait  pas  à  un  médecin  de  s'attarder  d'ailleurs  trop 
longtemps  à  ces  subtilités  de  diagnostic.  L'hypertension  intracranieiine 
est  un  fait  :  qu'elle  soit  due  à  une  cause  OU  à  une  autre,  elle  constitue  un 
danger,  et  parfois  un  danger  immédiat  ;  il  convient  donc  d'être  résolu  à 
la  traiter,  dès  qu'elle  est  dépistée  à  quelques  indices,  ou  reconnue  à  des 
symptômes  avérés.  Dans  les  eas  où  il  existe  le  moindre  doute,  je  n'hésite 
pas  à  le  répéter,  faites  une  ponction  lombaire  pour  mesurer  la  pression 
du  liquide  et  vous  serez  en  droit  de  conduire  alors  votre  thérapeu- 
tique d'une  façon  rationnelle. 

Il  y  a  des  cas  de  guérison  spontanée,  cela  n'est  pas  douteux.  Flatau, 
dans  son  étude  sur  les  réactions  des  méninges  contre  la  tuberculose, 
estime  que  certaines  méningites  séreuses  dénature   bacillaire  peuvent 


L'HYPERTENSION  INTRA-CRANIENNE  85 

guérir  par  la  diète,  la  climatothérapie,  l'héliothérapie.  Dans  le  même 
ordre  d'idées  si  l'on  soupçonne  la  syphilis,  il  n'est  pas  douteux  qu'il 
faille  instituer  un  traitement  spécifique  énergique.  Vous  vous  rappelez 
que  nous  avons  pris  comme  ligne  de  conduite  dans  nos  cas  d'imposer 
toujours  à  nos  malades  l'épreuve  de  traitement,  mais  il  ne  faut  pas  se 
contenter  de  cette  thérapeutique  médicale,  il  est  nécessaire  de  traiter 
l'hypertension  dès  qu'elle  est  reconnue  par  les  trois  moyens  de  décom- 
pression que  nous  avons  à  notre  disposition.  La  ponction  lombaire 
d'abord  :  elle  doit  être  répétée  plusieurs  fois,  en  se  renseignant  par  la 
mesure  de  la  pression  sur  les  résultats  obtenus.  Elle  sera  toujours  prati- 
quée dans  la  position  horizontale  et  même  légèrementdéclive,les  pieds 
étant  placés  un  peu  plus  haut  que  le  corps.  Si  la  tension  est  élevée,  la 
décompression  ne  devra  être  faite  que  lentement,  goutte  à  goutte.  Le 
malade  restera  étendu  le  restant  de  la  journée,  la  tête  basse.  Après 
ces  interventions,  si  la  symptomatologie  n'est  pas  modifiée,  et  surtout  si 
la  stase  papillaire  progresse  (et  il  convient  de  l'étudier  presque  jour 
par  jour  dans  certains  cas),  il  ne  faut  pas  hésiter  à  faire  intervenir  le 
chirurgien  en  conseillant  une  craniectomie  décompressive,  en  enlevant 
un  large  volet  osseux  et  sans  ouvrir  la  dure-mère.  Si  l'on  perçoit  les 
fluctuations  du  liquide  contenues  dans  les  espaces  sous-arachnoïdiens, 
ou  même  si  l'on  soupçonne  la  présence  d'un  kyste  méningé,  il  ne  fau- 
dra pas  hésiter  à  ponctionner  avec  une  fine  aiguille  pour  soustraire  une 
certaine  quantité  de  ce  liquide.  Sinon  on  rabattra  le  lambeau  cutané  et 
l'on  suturera  le  cuir  chevelu.  Je  conseille  en  général  de  pratiquer 
une  craniectomie  pariétale,  car  c'est  la  partie  du  crâne  où  cette  inter- 
vention est  le  mieux  supportée  et  comporte  le  moins  d'inconvénient  pour 
l'avenir.  De  plus  l'expérience  m'a  montré  que  même  dans  les  cas  où  l'on 
soupçonne  une  localisation  dans  la  région  ponto-cérébelleuse  ou  cérébel- 
leuse les  résultats  ont  été  favorables.  Il  ne  serait  d'ailleurs  pas  impos- 
sible, si  l'on  trouvait  plus  tard  des  signes  de  localisation  tels  qu'une 
seconde  intervention  fût  indiquée  sur  une  autre  région  du  cer- 
veau, de  recourir  à  une  nouvelle  craniectomie  avec  ouverture  de  la 
dure-mère. 

Dans  les  épendymites  avec  communication  libre  des  espacesarachnoï- 
diens  et  dans  les  méningites  séreuses  arachnoïdiennes,  cette  craniecto- 
mie décompressive  juge  généralement  la  situation,  l'hypertension  cède 
et  les  accidents  disparaissent;  on  constate  alors  que  la  dure-mère  cesse 
de  bomber  sous  le  cuir  chevelu,  et  une  légère  dépression  se  produit 
au  niveau  de  la  brèche  osseuse. 

Si   l'amélioration  ne  se  produit  pas  ou  est  insuffisante,  je  conseille  de 


s,;  //.   Cl    il  l'I 

pratiquer  la  ponction  ventriculaire  ou  la  ponction  méningée,  sous-dure- 
mérienne.  La  ponction  ventriculaire  que  j'ai  répétée  bien  des  fois  sans 
danger,  el  qui  est  une  Intervention  entrée  dans  la  pratique  pour  les 
hydrocéphalies  de  l'enfance,  peut  donner  des  résultats  inespérés,  comme 
le  prouve  le  cas  de  ma'dernière  malade. 

Dans  les  méningites,  on  peut  dire  cpie  cette  thérapeutique  décompres- 
sive,  si  elle  est  pratiquée  à  temps,  c'est-à-dire  d'une  façon  précoce,  doit 
amener  la  guérison  complète.  Les  améliorations  simples  ou  les  guérisons 
incomplètes  sont  la  conséquence  des  interventions  trop  tardives  alors 
cpie  des  lésions  méningées  importantes  sont  déjà  constituées  et  que  les 
organes  comprimés  (nerfs,  vaisseaux,  hypophyse)  ne  peuvent  retrouver 
leur  intégrité  antérieure. 

Dans  les  tumeurs  cérébrales,  la  décompression  par  craniectomie  ne 
sera  qu'une  opération  palliative  ou  préparatoire  si  l'on  a  des  raisons 
d'intervenir  plus  tard  d'une  façon  plus  radicale.  Elle  soulagera  le  plus 
souvent  le  malade  de  sa  céphalée  pendant  quelque  temps  et  le  débarras- 
sera des  vomissements. 

En  somme,  en  présence  d'un  sujet  chez  qui  l'on  a  reconnu  des  signes 
d'hypertension  intra-cranienne,  dans  l'incertitude  où  l'on  peut  se  trou- 
ver sur  la  cause,  tumeur,  abcès,  méningite  tuberculeuse  en  plaques  ou 
méningite  séreuse  simple  (ventriculaire  ou  arachnoïdienne),  il  faut 
rechercher  ce  que  donnera  la  décompression  par  la  ponction  lombaire 
prudente.  Si  les  résultats  de  cette  ponction  sont  insuffisants,  si  des 
troubles  oculaires  menaçants  sont  constatés,  ne  vous  attardez  pas  à 
discuter  le  diagnostic,  conseille/,  la  craniectomie  décompressive,  opéra- 
tion bénigne  avec  la  technique  moderne  que  nous  devons  à  de  Martel  ; 
tout  en  continuant  le  traitement  médical,  contrôlez  toujours  les  résul- 
tats obtenus  par  l'examen  ophtalmoseopique  et  la  mesure  de  la  pression 
duliquide  céphalo-rachidien  au  manomètre. 

Les  résultats  sont-ils  incertains,  complétez  par  la  ponction  ventricu- 
laire ou  méningée  par  la  brèche  crânienne  votre  œuvre  de  décompres- 
sion. 

J'espère  vous  avoir  convaincus  pluspar  les  exemples  que  j'ai  mis  sous 
vos  yeux  que  par  mes  paroles  de  la  réalité  de  ces  méningites  séreuses 
(pie  nous  apprendrons  encore  à  mieux  connaître  par  la  suite.  Ce  cpie 
nous  en  savons  vous  montre  la  nécessité  d'un  diagnostic  précoce  s'ap- 
puyantsur  la  ponction  lombaire  et  l'examen  oculaire  dès  que  l'explora- 
tion clinique  vous  oriente  vers  le  syndrome  d'hypertension  intracra- 
nienne.  Le  diagnostic  de  ce  syndrome  est-il  pose,  vous  savei  mainte- 
nant pourquoi  il  ne  faut   pas  tarder  à   intervenir,  vous  connaisse/,  les 


VH  YPERTENSION  INTRA-CBANIENNE 


87 


efïets  désastreux  d'une  thérapeutique  hésitante,  vous  avez  pu  apprécier 
les  résultats  remarquables  d'interventions  rationnelles  et  nettement 
curatrices,  contrôlés  par  les  moyens  d'investigation  réellement  scienti- 
fiques que  nous  possédons.  Cette  conclusion  justifiera,  je  pense,  à  vos 
yeux,  ces  développements  un  peu  longs  que  j'ai  cru  devoir  donnera 
l'étude  de  cette  partie  de  la  clinique  neuropathologique. 


EHRATUM 

âges 

50, 

ligne 

21  : 

lire 

Girard                    au 

lieu  de 

Gérard 

— 

51 

— 

11 

— 

Monakofï 

— 

Monokott 

— 

51 

— 

26 

— 

gaines 

— 

ganes 

55 

~ 

1 

Tarapani 
Brudzinski 

z 

Taraponi 
Brindzuki 

57 

~ 

7 

soit 
Moure 



soi 
Mouror 

— 

58 

— 

20 

— 

tumeur 

— 

tumeurs 

— 

60 

— 

2 

— 

pouvaient 

— 

pourraient 

— 

64 

— 

5 

— 

possible 

— 

passible 

— 

65 

— 

2 

— 

écouler 

— 

échapper 

— 

65 

— 

7 

— 

médullaire 

— 

du  ventriculaire 

12 

— 

de  quelques 

— 

des  quelques 

~ 

66 

— 

1 

— 

40  cm.  d'eau 
et  plus  après 

— 

40  cm.  cubes  d'eau 
et  plus  après 

— 

73 

— 

26 

— 

celle  des 

— 

celles  des 

— 

75 

— 

19 

— 

alterné 

— 

alterué 

— 

75 

— 

20 

— 

hémiparësie 

— 

hémiparessie 

— 

75 

— 

23 

— 

papillaire,  de 

— 

papillaire  de 

— 

76 

— 

40 

— 

arythmie 

— 

arylhmmie 

— 

78 

— 

11 

— 

indiquais 

— 

indique 

— 

78 

— 

14 

— 

les  vomissements 

— 

des   vomissements 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE 


M.    le    Dr    Gustave    ROUSSY 

Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine, 
Médecin  de  l'hospice  Paul  Brousse. 


LES    TROUBLES    SENSITIFS    D'ORIGINE  CÉRÉBRALE 


Messieurs, 

Si  les  troubles  moteurs  d'origine  cérébrale  sont  aujourd'hui  bien  con- 
nus et  les  syndromes  moteurs  hémiplégiques  à  type  cérébral  bien 
établis,  il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  troubles  sensitifs  cérébraux. 
Cette  question  est  restée,  en  effet,  pendant  fort  longtemps  enveloppée  de 
la  plus  grande  obscurité.  Cela  tient  en  partie  à  ce  que  très  souvent,  les 
troubles  sensitifs  sont  associés  aux  phénomènes  moteurs  et  sont  parfois 
dominés  par  eux,  d'où  la  difficulté  de  les  déceler.  Cela  tient  aussi  auxdiffi- 
cultés  rencontrées  dans  l'appréciation  clinique  objective  des  troubles 
sensitifs  qui  exigent  des  recherches  particulièrement  minutieuses,  et  qui 
dépendent  d'une  série  de  facteurs  individuels,  relevant  à  la  fois  du  mé- 
decin et  du  malade.  On  sait  combien  il  est  facile,  au  cours  d'un  in- 
terrogatoire, de  suggestioner  les  sujets  examinés,  et  combien  l'apprécia- 
tion de  leurs  troubles  sensitifs  est  liée  directement  à  leur  degré  de 
compréhension. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  progrès  apportés  dans  les  méthodes  d'investi- 
gation clinique  de  la  sensibilité,  nous  ont  fourni  une  série  d'acquisi- 
tions importantes  qui,  à  l'heure  actuelle,  paraissent  bien  établies. 
Ces  acquisitions  sont  dues  à  la  collaboration  de  différents  procédés 
mis  en  œuvre  :  la  méthode  anatomo-clinique,  complétée  par  les 
techniques  d'histologie  fine  et  les  recherches  expérimentales  pra- 
tiquées chez  les  animaux,  en  particulier  chez  les  singes  anthropoïdes,  au 
moyen  de  l'excitation  directe  ou  de  la  destruction  d'un  fragment  du 
-cortex. 

Grâce  à  ces  différentes  méthodes,  nous  possédons  à  l'heure  actuelle 


90  Gl   S2   M  E   nui  SSY 


une  Foule  de  documents  importants  relatifs  aux  localisations  sensitives 
cérébrales  et  aux  voies  centrales  suivies  par  les  sensibilités  dans  les 
centres  nerveux.  De  ces  documents  je  ne  retiendrai  ici  que  les  princi- 
paux traits  saillants,  ceux  qui  entrent  plus  directement  clans  mon  sujet, 
ceux  qui,  en  somme,  intéressent  le  clinicien. 

C'est  ainsi  que  nous  aurons  à  étudier  les  deux  grands  syndromes 
sensitifs  cérébraux  qui,  à  l'heure  actuelle,  occupent  une  place  bien 
définie  dans  le  cadre  nosographîque  :  le  Syndrome  thalamique  de  Deje- 
rine  et  Roussy,  et  le  Syndrome  sensilif  cortical  ou  Syndrome  cortico- 
pariétal. 

C'est  à  l'étude  de  ces  deux  syndromes  que  sera  consacrée  la  plus 
grande  partie  de  cette  leçon. 

Il  me  semble  nécessaire  auparavant,  sous  une  forme  d'introduction 
à  l'étude  des  troubles  sensitifs  d'origine  cérébrale,  de  vous  rappeler 
brièvement  les  données  élémentaires  de  l'anatomie  des  voies  sensitives 
et  de  préciser  quelques-uns  des  points  utiles  à  connaître  dans  la  re- 
cherche des  troubles  sensitifs  cbez  les  malades. 


Données  anatomiques. 

Nous  entrons  en  relation  avec  le  monde  extérieur  au  moyen  de  sen- 
sations diverses  plus  ou  moins  différenciées,  qui  sont  transmises 
par  l'intermédiaire  du  système  nerveux.  La  sensibilité  est  donc  une 
des  fonctions  primordiales  de  ce  système,  fonction  dans  laquelle  l'ap- 
pareil nerveux  tout  entier  est  misa  contribution. 

L'étude  de  la  sensibilité  comprend  celle  de  la  sensibilité  générale  et 
celle  de  la  sensibilité  spéciale  ;  cette  dernière  est  fonction  d'appareils 
particuliers,  sièges  des  sens  de  la  vue,  de  l'ouïe,  de  l'odorat  et  du  goût. 
Je  me  limiterai  ici,  à  l'étude  de  la  sensibilité  générale  qui  comprend 
Insensibilité  objective  et  la  sensibilité  subjective. 

La  première  est  révélée  par  l'action  extérieure  de  tout  agent  mettant 
en  activité  le  système  nerveux  :  la  douleur  à  la  piqûre,  à  la  brûlure, 
par  exemple,  sont  des  sensations  perçues  objectivement  par  le  sujet  ; 
la  recherche  de  ces  troubles  sensitifs  objectifs  donnent  habituellement 
des  renseignements   précis  et  sûrs. 

Les  sensations  subjectives,  au  contraire,  sont  réveillées  par  les  exci- 
tations intérieures  venant  spontanément  irriter  les  centres  ou  les 
terminaisons  nerveuses  ;  les  douleurs  névralgiques,  les  engourdisse- 
ments sont  des  sensations  que  le  sujet  perçoit  spontanément,  qu'il  peut 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  91 

décrire  et  analyser  lui-même,  mais  qui  échappent  à  toute  méthode 
d'examen  somatique  ou  de  contrôle  de  la  part  du  clinicien. 

On  comprendra  donc  pourquoi  les  renseignements  fournis  par 
l'étude  de  la  sensibilité  subjective  sont  moins  sûrs  que  ceux  fournis 
par  l'étude  de  la  sensibilité  objective  ;  il  faut  en  effet  faire  la  part  des 
différences  de  réactions  personnelles  qui  varient  à  l'infini  avec  les 
sujets. 

L'appareil  sensitif,  dans  sa  plus  simple  expression,  est  composé  d'or- 
ganes terminaux  dits  de  réception,  qui,  au  moyen  de  conducteurs 
nerveux,  transmettent  les  excitations  périphériques  aux  centres  de  ré- 
ception médullaires  ou  corticaux.  Il  y  a  lieu  par  conséquent  d'étudier  : 
1°  les  organes  de  réception  ;  2°  les  voies  de  transmission  ;  3°  les  centres 
corticaux  de  réception. 

Une  série  de  travaux  récents  sont  venus  modifier  les  données 
clas'siques  anciennes  sur  la  topographie  des  centres  moteurs  et  sensi- 
tifs  au  niveau  de  corticalité  cérébrale. 

En  effet,  depuis  les  recherches  de  Frits  h  et  Hitzig  (1870),  et  jusqu'à 
1900,  la  plupart  des  neurologistes  attribuaient,  à  la  sensibilité  et  à  la 
motricité,  une  même  localisation  corticale,  comprenant  la  région  rolan- 
dique  (circonvolutions  frontale  et  pariétale  ascendantes,  pieds  des 
frontale  et  pariétale  et  lobule  paracentral).  On  admettait  cependant  avec 
Charcot,  Tripier  et  surtout  Redlich,  que  la  zone  sensitive  dépassait 
légèrement  en  arrière  les  limites  de  la  zone  motrice. 

Cette  doctrine  classique  fut  contredite  pour  la  première  fois  en  1901 
par  les  recherches  expérimentales  de  deux  physiologistes  anglais  : 
Grùnbaum  et  Sherrington.  —  Ils  démontrèrent,  en  utilisant  la  méthode 
d'électrisation  faradique  uni-polaire,  que  chez  les  singes  anthropoïdes, 
la  circonvolution  pariétale  ascendante  ne  faisait  pas  partie  de  la  zone 
motrice  ;  cette  dernière  sétendant  uniquement  en  avant  du  sillon  de 
Rolando. 

Os  idées,  révolutionnaires  à  leur  apparition,  firent  l'objet  d'une 
série  de  travaux  et  d'expériences  de  contrôle,  qui  permirent  en  fin 
de  compte  l'établissement  d'une  doctrine  nouvelle  admise  aujour- 
d'hui. Celle-ci  repose  généralement  sur  une  série  de  documents  tirés 
de  l'observation  physiologique,  de  l'observation  anatomo-clinique,  et 
de  l'observation  histologique  pure.  L'intérêt  qui  ressort  de  ces  recher- 
ches m'oblige  à  entrer  ici  dans  quelques  détails. 

Les  données  fournies  par  Grùnbaum  et  Sherrington  dans  l'expérimen- 
tation sur  les  singes,  concordent  avec  celles  obtenues  par  l'excitation 
corticale    pratiquée   chez    l'homme  au    cours    d'interventions   chirur- 


92 


GUSTAVE  I10USSY 


gicales.  C'estainsi  que  Horsley,  puis  Krause,  Mills,  Frazier,  Lloyd, 
Cushing,au  cours  d'opérations  laites  sous  anesthésie  locale,  ont  pu  con- 
stater,  par  excitation  unipolaire  du  cortex  de  l'homme,  que  seule  Fa. 
était  excitable,  alors  que  Pa.  ne  l'était  pas. 

Au  point  de  vue  anatomo-pathologique,  l'examen  des  cas  de  lésion 
cérébrale  en  foyer,  en  particulier  de  foyers  de  ramollissement,  n'avait 
donné  jusqu'à  ces  toutes  dernières  années  que  des  résultats  fort  impré- 
cis et  très  discutables.  Ceci  se  comprend  aisément  si  l'on  se  rappelle 
que  les  circonvolutions  péri-rolandiques  dépendent  d'un  même  ter- 
ritoire vasculaire,  la  deuxième  branche  de  la  sylvienne  ;  aussi,  les 
foyers  corticaux,  même  les  plus  limités,  intéressent-ils  à  la  fois  ces 
deux  circonvolutions,  ou  du  moins,  viennent-ils  dans  la  profondeur 
sectionner  les  fibres  de  projection  afférentes  ou  efférentes  des  circon- 
volutions post-rolandiques.  Par  l'étude  des  lésions  cérébrales  en  foyer 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE 


93 


Fig.  1  —  Dégénération  de  la  voie  pyramidale  étudiée  par  la  méthode  de  Marehi  dans  un  cas  de 
sclérose  latérale  amvotrophique.  Bulbe  (A),  protubérance  (B),  pédoncule  (C),  capsule  interne  (D), 
et  enfin  circonvolution  frontale  et  pariétale  ascendantes  (E).  —  A  remarquer  à  ce  niveau  que  presque 
toutes  les  fibres  dégénérées  sont  placées  dans  la  frontale  ascendante  (Fa).  —  (D'après  Roussy  et  Rossi.) 


on  est  ainsi  dans  l'impossibilité  de  faire  une  discrimination  précise  de 
ce  qui  appartient  à  l'une  ou  à  l'autre  des  circonvolutions  centrales 
péri-rolandiques. 

Mais  le  grand  nombre  de  blessures  du  cerveau  observées  durant  la 
guerre  est  venu  jeter  un  jour  nouveau  sur  cette  question,  en  nous 
apportant  une  foule  de  documents  de  la  plus  haute  importance.  Les 
blessures  de  guerre,  celles  par  éclat  d'obus  notamment,  sont  parfois 
extrêmement  limitées  ;  elles  offrent  donc,  du  fait  qu'elles  se  font  du 
dehors  au  dedans,  la  valeur  de  véritables  expériences  de  physiologie,  tout 
à  fait  comparables  à  celles  que  l'on  détermine  au  moyen  de  la  curette 
chez  l'animal.  L'étude  des  plaies  de  guerre  du  cerveau  nous  a  permis 
ainsi  de  préciser  la  physiologie  de  l'écorce  cérébrale  et  principalement 
de  la  substance  grise,  en  raison  de  la  limitation  des  lésions   créées  par 


94  i.i  si  11  /•:  ROI  *>  ) 


les  projectiles  Comme  nous  le  venons  au  cours  de  cette  leçon,  l'étude 
des  blessures  cérébrales  est  venue  confirmer  les  notions  apportées 
par  les  deux  physiologistes  anglais. 

Au  point  de  vue  histologique,  les  recherches  laites  dans  ces  der- 
nières années  sur  l'architectonie  de  l'écorce  cérébrale  viennent  aussi 
plaider  en  faveur  des  idées  nouvelles  sur  les  localisations  motrices 
corticales.  Ces  études  auxquelles  se  sont  attachés,  particulièrement, 
Koliner,  Brodmann,  Campbell,  Roussy  et  Rossi,  concordent  à 
montrer  que,  pour  ce  qui  est  de  la  région  rolandique  en  particulier,  il 
existe  entre  Fa.  et  Pa.  des  différences  des  plus  nettes,  tant  au  point  de 
vue  du  caractère  des  cellules  elles-mêmes  que  de  leurs  libres  de  pro- 
jection. 

On  admet,  aujourd'hui,  que  les  grandes  cellules  pyramidales,  ou 
cellules  de  Betz,  constituent  l'élément  caractéristique  de  la  région 
motrice.  Aussi  les  a  l-on  appelées  «  cellules  du  type  moteur  ».  Or, 
Brodmann  a  bien  montré  que  la  région  rolandique  est  séparée  par  le 
sillon  de  Rolando  en  deux  centres  anatomiques  absolument  différents 
par  leur  architecture  histologique;  l'antérieure  correspondant  à  Fa. 
est  caractérisée  par  la  présence  de  cellules  de  Betz  et  le  manque  de 
couche  granuleuse  ;  la  postérieure,  correspondant  à  Pa.,est  caractérisée 
par  l'absence  de  cellules  de  Betz,  et  la  présence  d'une  couche  granu- 
leuse. La  limite  entre  ces  deux  centres  est  formée  par  le  fond  du 
sillon  de  Rolando,  moins  une  étroite  zone  de  passage  qui  présente  le 
mélange  des  deux  types  structuraux.  Le  lobule  paracentral,  dans 
sa  partie  antérieure,  répond  au  type  cellulaire  géant  de  Fa.  et  dans  sa 
partie  postérieure  au  type  cellulaire  de  Pa.  En  somme,  dans  la  parié- 
tale ascendante  proprement  dite,  pas  pus  (pie  dans  la  partie  posté- 
rieure du  lobule  paracentral,  il  n'existe  de  cellules  de  Betz. 

Enfin,  l'étude  des  dégénérations  secondaires  au  niveau  de  la  cortica- 
lité  poursuivies  dans  certaines  maladies  comme  la  sclérose  latérale 
amyotrophique  qui  frappe  uniquement  le  système  moteur  vient  égale- 
ment apporter  des  arguments  en  faveur  de  cette  nouvelle  doctrine.  Per- 
sonnellement, j'ai  eu  l'occasion,  il  y  a  plusieurs  années  (1907),  avec 
I.  Rossi  de  (Milan),  de  reprendre  cette  question  à  l'occasion  de  trois 
cas  de  sclérose  latérale  amyotrophique  étudiés  par  la  méthode  Marchi. 
dans  le  service  du  professeur  Pierre  Marie  à  Bicètre  Dans  ces 
trois  cas, j'ai  pu  suivre  la  dégénération  delà  voie  pyramidale  delà 
moelle  jusqu'au  Cortex  à  travers  le  bulbe,  la  protubérance,  le  pédoncule 
el  la  capsule  interne,  et  apporter  ainsi  une  contribution  anatomo 
pathologique  originale  à  l'étude  des  localisations  motrices  cl  sensitives 


LES  TROUBLES  SES  SI  TIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  95 

corticales  J'ai  montré,  en  effet,  que  le  principal  contingent  des  fibres 
motrices  de  la  voie  pyramidale  se  rendait  au  niveau  de  Pa.  et  qu'un  très 
petit  nombre  venait  se  perdre  dans  Fa.,  ce  qui  prouvait  une  fois  de 
plus  quePa.  ne  participait  que  très  faiblement  à  la  constitution  de  la 
région  motrice  corticale. 

En  résumé,  il  ressort  de  ce  que  nous  venons  de  voir,  que  la  zone  mo- 
trice comprend  essentiellement  les  circonvolutions  pré-rolandiques, 
c'est-à-dire  la  frontale  ascendante,  le  pied  des  deux  premières  frontales 
et  la  plus  grande  partie  de  la  paracentrale.  La  zone  sensitive,  presque 
uniquement  post-rolandique,  comprend  la  pariétale  ascendante  et  le 
pied  des   deux   premières  pariétales. 

Caractères    généraux    des    troubles    sensitifs    cérébraux 
observés  en    cliniques. 

Sans  entrer  ici  dans  les  détails  de  la  séméiologie  des  troubles 
sensitifs  cérébraux,  je  tiens  cependant  à  rappeler  quels  sont  les  dif- 
férentes variétés  de  troubles  sensitifs  que  l'on  peut  observer  cbez  les 
malades  atteints  de  lésions  cérébrales  et  comment  il  faut  les  étudier.  On 
recherché  d'abord  l'état  des  sensibilités  superficielles  C'est  en  premier  lieu 
le  tact,  dans  ses  différentes  modalités  de  perception,  localisation  et 
interprétation  de  la  perception,  distance  minima  de  deux  sensations 
simultanées,  discrimination  tactile,  enfin  temps  de  réaction.  Ensuite 
on  passe  à  l'étude  des  sensibilités  à  la  douleur  et  à  la  température,  avec 
présence  ou  non  d'uneassociation  à  type  syringomyélique,  etc.  Enfin  on 
y  peut  ajouter  l'étude  de  la  sensibilité  électrique,  qui  n  a  d'ailleurs 
qu'une  importance  secondaire. 

L'étude  des  sensibilités  profondes,  au  contraire,  est  de  la  plus  haute 
importance  car,  ainsi  que  nous  le  verrons,  ce  sont  elles  qui  sont  sur- 
tout intéressées  dans  les  syndromes  sensitifs  cérébraux.  On  notera 
donc  l'état  de  la  sensibilité  à  la  pression,  delà  sensibilité  osseuse  vibra- 
toire au  diapason,  puis  les  différentes  modalités  du  sens  musculaire 
(notion  de  position  des  membres,  mouvements  actifs  ou  passifs, 
résistance  à  la  pression  et  au  poids).  On  examinera  enfin  la  per- 
ception stéréo  g  nostique,  c'est-à-dire  la  faculté  que  nous  possédons 
de  reconnaître  par  la  palpation  et  sans  le  contrôle  de  la  vue,  la 
forme,  la  consistance, la  nature  physique  des  objets  (identification  pri- 
maire). Tous  ces  éléments  réunis  nous  permettent,  par  un  tra- 
vail d'association  cérébrale,  de  définir  exactement  par  un  nom  l'objet 
que  nous  palpons. 


06  GUS1   il  /    nnUSSY 


Ces  notions  préliminaires  rappelées,  nous  pouvons  maintenant 
envisager  l'étude  des  syndromes  sensitifs  cérébraux. 

Les  troubles  sensitifs  d'origine  cérébrale  se  présentent  habituelle- 
ment en  clinique  sous  deux  types  principaux  :  Tantôt  ils  sont  associés 
aux  troubles  moteurs  et  font  partie  du  cortège  symptomatique  del'hé- 
miplégie  motrice  classique  ;  parfois  même  ils  peuvent  n'exister  que 
pendant  la  comte  période  qui  suit  l'ictus.  Ces  hémianesthésies  d'origine 
cérébrale  consécutives  à  l'attaque  apoplectique  ont  été  particulièrement 
étudiées  par  MM.  Pierre  Marie  et  Faure-Baulieu  qui  en  ont  bien 
montré  les  modalités  cliniques.  Mais  dans  ces  cas  il  s'agit  de  troubles 
Fugaces,  habituellement  passagers,  qui  durent  au  plus  pendant  quelques 
semaines  et  ne  constituent  pas  de  syndromes  permanents. 

Tantôt  les  troubles  sensitifs  d'origine  cérébrale  sont  prédominants 
ou  peuvent  même  exister  en  dehors  de  tout  phénomène  moteur.  Us  sont 
alors  persistants  et  définitifs;  ce  sont  eux  qui  doivent  nous  arrêter  plus 
particulièrement.  Ces  troubles,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  tout  à  l'heure, 
s'objectivent  en  clinique  par  deux  grands  syndromes  cliniques  :  le 
syndrome  thalamique  et  les  syndromes  sensitifs  corticaux  encore  appelés 
syndromes  pariétaux. 

LE  SYNDROME  THALAMIQUE 

Avant  de  faire  l'étude  analytique  de  ce  syndrome,  je  ne  saurais 
mieux  faire,  me  semble-t-il,  que  de  vous  présenter  deux  malades 
hospitalisés  dans  mon  service  de  l'hospice  Paul  Brousse  à  Ville- 
juif.  Tous  deux  présentent  le  type  classique  de  ce  que  j'ai  désigné, 
avec  mon  regretté  maître  Dejerine,  sous  le  nom  de  syndrome 
thalamique. 

I.  Voici  d'abord  un  homme  âgé  de  57  ans  hospitalisé  à  l'Hospice  Paul  Brousse  pour 
cécité  double. 

Les  troubles  actuels  sont  apparus  en  1919  à  la  suite  d'un  ictus  survenu  sans  porte  de 
connaissance    On  note  en  effet  chez  ce  malade  : 

Des  troubles  sensitifs  subjectifs,  c'est-à-dire  des  douleurs  qui  fuient  particulièrement 
nettes  dans  les  premiers  temps  et  qui  suivirent  le  début  des  accidents.  A  l'heure  actuelle 
le  malade  éprouve  des  sensations  de  fourmillements,  de  lourdeur,  d'engourdissement 
au  niveau  du  membre  supérieur  gauche  et  de  l'hémi  face  du  même  côté. 

La  sensibilité  objective  au  tact  ne  décèle  pas  de    troubles  appréciables  de  la  localisa 
tion  tactile.  A  la  piqûre,  il  y  a  eu  à  un  moment  donné  quelques  erreurs  île  localisation 
qui  actuellement  ne    sont    plus  appréciables.  Par  contre  il  existe  ehei  cet  homme    un 

écartement  marqué  des  cercles  de  Weber  du  coté  atteint  (2  cm.  la  pulpe  du  doigt  . 

Pour  la  température  on  note  de  1  'hypereslhésic  douloureuse  au  chaud  à  la  l'ace  pal- 
maire de  la  main  gauche  et  quelques  erreurs  d'interprétation  dans  l'appréciation  du 
chaud  et  du  froid. 

Les  vibrations  au  diapason  sont  normales  ainsi  que  la  sensibilité  a  la  pression, 


LES   TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  97 


Le  malade  présente  de  gros  troubles  du  sens  stéréognoslique  :  identification  primaire 
et  secondaire  complètement  abolie  ;  le  sens  des  altitudes  passives  est  également  aboli 
à  la  main  du  côté  gauche  alors  qu'il  y  a  seulement  diminution  de  perception  au  niveau 
des  orteils  du  pied  gauche. 

Les  réflexes  tendineux,  exception  faite  pour  le  stylo-radial  gauche  qui  est  légèrement 
plus  vif.  sont  égaux  des  deux  côtés.  Pas  de  clonus  pyramidal  Le  réflexe  plantaire  se 
fait  en  flexion  des  deux  côtés,  les  réflexes  crémastériens  sont  normaux,  les  abdomi- 
naux un  peu  plus  faibles  à  gauche. 

Ce  malade  présente  en  outre  des  mouvements  choréo-atélosiques  particulièrement 
nets  au  niveau  du  membre  supérieur  gauche  et  surtout  de  la  main  et  existant  parfois  au 
niveau  du  pied.  Déplus,  il  existe  chez  lui  des  troubles  moteurs  d'un  ordre  un  peu 
particulier  sur  lesquels  j'ai  insisté  récemment  avec  M,  Cornil  et  que  je  ne  ferai  qu'é- 
noncer ici  :  ce  sont  des  phénomènes  de  synlonie  d'automatisme  apparaissant  au  niveau 
des  membres  supérieurs,  pendant  la  marche  et  les  mouvements  automatiques.  Au 
cours  de  la  marche  par  exemple  on  voit  à  gauche  lentement  l'avant-bras  se  fléchir  sur 
le  bras,  les  doigts  dans  la  paume  et  le  brasse  porter  en  adduction  et  élévation  moyenne. 
Le  membre  inférieur  fauche  légèrement  de  la  pointe,  si  bien  que  le  malade  marche 
absolument  comme  un  hémiplégique  moteur  du  côté  gauche. 

Les  syntonies  d'automatisme  apparaissent  très  nettement  aussi  dans  diflérents  actes 
simples  :  se  lever,  se  coucher.  Il  y  a  lieu  de  noter  de  plus  que  toutes  les  manœuvres 
classiques  pour  provoquer  les  syncinésies  produisent  le  même  effet. 

Enfin  le  malade  présente  une  hypertonie  intentionnelle  nette  du  membre  supérieu  r 
gauche  caractérisée  par  1  impossibilité  de  relâcher  ses  muscles  au  moment  où  on  le  lui 
demande  (paratonie  de  Dupré)  et  parfois  même  par  une  contraction  paradoxale  de 
tous  les  muscles  s'opposant  au  geste  demandé. 

Tous  les  faits  précédents  contrastent  avec  une  hypotonie  marquée  du  membre  supé- 
rieur et  du  membre  inférieur  lorsque  le  relâchement  a  été  obtenu.  On  constate,  en  effet, 
que  passivement  on  peut  mettre  en  contact  la  face  antérieure  du  bras  et  de  l'avant- 
bras  gauche  alors  qu'on  observe    un  écartement  de  trois  travers  de  doigt  à  droite. 

La  force  musculaire  est  presque  égale  des  deux  côtés  ;  au  dynamomètre,  22  à  la  main 
droite  et  20  à  la  main  gauche,  le  malade  étant  droitier. 

L'incoordination  ataxique  est  nette  au  membre  supérieur  gauche,  mais  il  y  a  lieu  de 
tenir  compte  de  l'existence  des  mouvements  athétosiques  qui  troublent  l'appréciation 
de  l'épreuve.  Pas  d'ataxie  au  membre  inférieur  dans  l'épreuve  du  talon  gauche  porté 
sur  le  genou  droit. 

Troubles  vaso  moteurs  et  thermiques.  —  La  main  gauche  est  généralement  plus 
froide  que  la  droite  par  exemple.  Le  8  mai  1921,  à  5  heures,  pour  une  température  am- 
biante de  21"  on  note  à  la  face  dorsale  de  la  main  droite  27u8  et  26"  à  la  main  gauche. 

L'épreuve  du  bain  froid  à  16°  donne  des  résultats  qui  mettent  en  valeur  le  dérè- 
glement de  la  régulation  thermique  :  15'  après  le  bain  froid  on  note  en  effet  à  la  face 
dorsale  de  la  main  droite  29°8  et  à  la  face  dorsale  de  la  main  gauche  21°8. 

II.  Voici  maintenant  une  femme  âgée  de  61  ans  qui  a  fait  deux  ictus  avec  perte  de 
connaissance. 

A  l'heure  actuelle  les  troubles  sensitifs  consistent  en  une  légère  hyperesthésie  à  la 
piqûre  qui  est  plus  vivement  sentie  à  droite  qu'à  gauche.  Les  cercles  de  Weber  sont 
nettement  élargis  à  la  main  :  on  note  un  écartement  de  3  cm.  1/2  à  la  face  palmaire  des 
doigts  La  sensation  de  froid  et  surtout  de  chaleur  réveille  plutôt  une  sensation  dou- 
loureuse à  droite  qu'à  gauche  ;  il  existe  en  outre  chez  cette  malade  de  gros  troubles 
de  la  sensibilité  profonde  :  perte  complète  du  sens  stéréognoslique  et  perle  de  la  notion 
de  position  des  membres. 

Les  réflexes  tendineux  sont  vifs  mais  égaux  des  deux  côtés  pour  les  réflexes  rotuliens 
et  les  achilléens  ,  le  contra-latéral  des  adducteurs  est  plus  vif  à  droite  ;  les  réflexes 
cutanés  sont  tous  normaux.       • 

Cette  malade  présente,  en  plus,  des  mouvements  choréo-athétosiques  de  la  main  et  des 

COM  ÉR,    NEUROL.  7 


98  GUSTAVE  ROI  SS1 


doigts  du  côté  droit.  Ces  mouvements  irréguliers,  arythmiques,  consistent  surtout  en 
flexion  et  extension  alternative  du  pouce  sur  les  autres  doigts  ;  puis  en  extension, 
flexion,  abduction  et  adduction  des  quatre  derniers  doigts.  L'avant-bras  est  lui  aussi 
animé  de  mouvements  d'extension  de  flexion  sur  le  bras.  Ces  mouvements,  assez  lents, 
ail'eetent  plutôt  le  type  athétosique  que  choréique. 

L'ataxie  est  nette  à  droite,  au  membre  inférieur  comme  au  membre  supérieur. 

Comme  chez  notre  premier  malade,  il  existe  ici  des  troubles  moteurs  d'ordre 
automatique  tout  à  fait  analogues  à  ceux  précédemment  décrits  :  syntonies  d'au- 
tomatisme particulièrement  nettes  dans  la  marche  et  contrastant  avec  une  hypotonie 
à  l'état  de  repos.  Enfin  notons  que  la  force  musculaire  est  égale  des  deux  côtés. 
Cette  malade  présente  encore  des  troubles  vaso-moteurs  et  thermiques  ;  la  main  est 
plus  froide  que  la  main  gauche  :  à  la  face  dorsale  de  la  main  droite,  26°  ;  à  la  main 
gauche,  28°8. 

L'épreuve  du  bain  froid  à  15"  pendant  10'  donne  : 

10'  après     à  la  main  droite  :  16°2  ; 

10'  après  :  à  la  main  gauche  :  18"6  ; 

30  après  :  à  la  main  droite  :  17°2  ; 

30  après  :  à  la  main  gauche   :  19"9. 

Une  courbe  représentant  les  températures  axillaire  droite  et  gauche,  la  température 
ambiante,  prise  deux  lois  par  jour,  montre  1  instabilité  thermique  considérable  de 
cette  malade.  D  une  façon  générale  la  température  de  1  aisselle  droite  est  de  1/2  degré 
au-dessous  de  1  aisselle  gauche.  Mais  quelquefois  la  formule  est  inversée. 


Ces  deux  malades  présentent  l'un  et  l'autre  un  type  schématique 
de  syndrome  thalamique. 

Ce  syndrome  est  caractérisé,  ainsi  que  je  l'ai  défini  avec  M.  Deje- 
rineen  1906,  par  les  signes  suivants  : 

1"  Une  hémiplégie  légère  habituellement  sans  contracture  et  rapide- 
ment régressive. 

2"  Une  hèmianeslhèsie  superficielle,  persistante,  à  caractère  orga- 
nique, pouvant  être,  dans  certains  cas,  remplacée  par  de  l'hyperes- 
thésie  cutanée,  et  s'aeeompagnant  toujours  de  troubles  marqués  et  per- 
sistants  des  sensibilités  profondes. 

3°  De  ihémiataxie  légère  et  de  Yastéréognosie  plus  ou  moins  com- 
plète. 

4°  Des  douleurs  vives  du  côté  Hémépligié,  persistantes,  paroxystiques, 
souvent  intolérables  et  ne  cédant  à  aucun  traitement  analgé- 
sique. 

5°  Des  mouvements  choréoathélosiques  dans  les  membres  du  coté 
paralysé. 

Tels  sont  les  différents  symptômes  qui,  par  leur  réunion,  permettent 
d'affirmer  l'existence  d'une  lésion  intéressant  le  thalamus. 

Cette  lésion  est  localisée  en  un  point  particulier  de  la  couche  optique;  elle 
intéresse  le  noyau  externe  dans  sa  partie  postéro-externe, une  partie  des 
noyauxmédian  et  interne;  ainsi  que  le  Fragment  correspondant  de  la  cap- 


LES   TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  99 

suie injterne. Ce  tableau  symptomatique  constitue,  disions-nous  àcstte 
époque,  —  par  la  réunion  de  ses  différents  signes,  un  nouveau  syn- 
drome qui  doit  prendre  rang  dans  la  nosologie  :  le  syndrome  thala- 
mique. 

Depuis  cette  époque,  un  grand  nombre  de  cas  semblables  ont  été 
publiés  et  sont  venus  confirmer  entièrement  nos  recherches,  si  bien  que 
le  syndrome  thalamique  est  aujourd'hui  classique.  Successivement 
"VVinkler  et  Van  Londer  d'Amsterdam,  Haskowec  (de  Prague),  Head  et 
Gordon-Holmes  en  Angleterre,  puis  Mills  en  Amérique  ont  rapporté 
des   cas   de  syndrome  thalamique    suivis    d'autopsies. 

Reprenons  avec  quelques  détails  l'étude  analytique  des  principaux 
signes  de  ce  syndrome. 

Si  j'en  juge  d'après  ma  propre  expérience,  sa  fréquence  n'est  pas  très 
grande.  C'est  tout  au  plus  si,  dans  les  grands  services  des  hospices  de 
vieillards  où  les  hémiplégiques  sont  si  nombreux,  on  compte  deux,  trois 
ou  quatre  malades  atteints  de  syndrome  thalamique.  Le  début  se  fait 
habituellement  sans  grand  fracas,  sans  perte  de  connaissance,  car  il 
s'agit  d'une  lésion   centrale    n'atteignant   pas   la    corticalité. 

Les  troubles  moteurs  en  tant  que  troubles  d'ordre  paralytiques  sont 
réduits  au  minimum  :  au  début,  très  légère  hémiparésie  qui  rapidement 
s'atténue  pour  disparaître  même  complètement.  Quand  ils  existent, 
ils  intéressent  surtout  la  face  sans  s'accompagner  de  troubles  de  la 
mimique  émotive,  contrairement  à  l'opinion  de  Bechterew  et  Nothna- 
gel.  Le  domaine  du  facial  supérieur  reste  intact.  La  langue  n'est  pas 
déviée,  mais  elle  peut  l'avoir  été  au  début,  ainsi  que  le  voile  du  palais. 
Le  réflexe   pharyngé  est  normal. 

Les  membres  supérieurs  ou  inférieurs  sont  également  fort  peu  tou- 
chés dans  leur  motilité  et  leur  atteinte  n'est  que  transitoire  mou- 
vements actifs  relativement  conservés,  hypotonicité  et  diminution 
de  la  force  musculaire,  absence  de  trépidation  épileptoïde  sont  les 
signes  habituels  dune  hémiplégie  légère  ou  en  voie  de  régression. 
Les  mouvements  associés  ou  syncinétiques  peuvent,  dans  certains  cas, 
être  particulièrement  nets. 

L'hémichorée  et  Yhémiathétose  se  retrouvent  dans  la  plupart  des 
observations.  Ce  n'est  pas  la  grande  hémichorée  qu'on  observe  ici, 
mais  de  petits  mouvements  dans  les  extrémités  des  membres,  localisés 
surtout  au  niveau  des  doigts  et  de  la  main.  Tantôt  ces  mouvements  re- 
vêtent le  caractère  désordonné  de  la  chorée,  tantôt  ils  prennent  l'aspect 
lent    et  vermiculaire  de  l'athétose. 

h'hémitremblement  fait  complètement  défaut. 


&VIV& 


100  GUSTA\  E  ROI  SS1 


Llhémiataxie,  enfin,  esl  parmi  les  troubles  moteurs  un  des  signes  les 
plus  intéressants  du  syndrome  thalamique. 

Uataxie  tles  thalamiques  varie  dans  son  intensité  suivant  les  cas, 
mais  elle  conserve  toujours  certains   caractères  qui   lui   appartiennent 

en  propre,  et  la  distinguent  des  ataxies  d'origine  médullaire  ou  péri- 
phérique ;  elle  est  légère,  limitée  et  n'atteint  jamais  le  degré  de  la  grande 
ataxie  des  tabétiques.  Dans  les  différents  mouvements  que  fait  le 
malade,  il  y  a  une  certaine  gène,  une  hésitation  relevant  de  l'ataxie. 
Lis  malades  peuvent  cependant  coordonner  une  succession  de 
mouvements  comme  celle  d'ouvrir  les  différents  doigts  de  la  main,  l'un 
après  l'autre,  ce  que  ne  peut  faire  un  tahétique  ataxique.  Quand  on 
commande  aux  malades  de  porter  l'index  au  bout  du  nez,  les  yeux  fer- 
més, ils  font  îles  erreurs  délocalisation,  hésitent  souvent  beaucoup; 
mais,  dans  ces  différents  actes,  le  mouvement  se  ralentit  avant  d'arriver 
au  but,  les  malades  étant  encore  capables,  sinon  de  diriger  exactement 
le  doigt  sur  un  point  donné,  de  régler  tout  au  moins  l'amplitude  et  la 
vitesse  du  mouvement.  Il  n'y  a  pas  de  grossières  erreurs  comme  chez 
les  tabétiques. 

L'état  des  réflexes  tendineux  est  intéressant  à  relever  ;  tantôt  ils 
sont  un  peu  exagérés,  tantôt  ils  sont  normaux  et  traduisent  l'inté- 
grité de  la  voie   pyramidale. 

Les  réflexes  cutanés  (crémastérien,  abdominal,  épigastrique)  ainsi 
que  le  réflexe  plantaire  sont  normaux  ou  absents.  L'absence  du  signe 
de  Babinski  notée  dans  la  plupart  des  cas,  malgré  la  dégénération  pyra- 
midale constatée  souvent  sur  les  coupes,  mérite  d'être  soulignée. 
On  peut,  en  effet,  se  demander  s'il  ne  s'agit  là  que  d'un  fait  dénotant  le 
peu  de  participation  de  la  voie  motrice  au  syndrome  thalamique  ; 
ou  encore,  et  c'est  l'opinion  qui  nous  parait  la  plus  vraisemblable,  si  la 
couche  optique  lésée  n'intervient  pas  dans  la  production  de  ce  phéno- 
mène en  modifiant  le  régime  de  réaction  normale  de  la  voie  pyrami- 
dale irritée. 

Troubles  sensilifs.  Les  troubles  de  la  sensibilité  prennent    une   impor 
tance  capitale    dans   le    tableau    clinique   que  nous   étudions,    par    leur 
intensité,  leur  constance,  leur  caractère   et  leur  modalité  :    ce  sont    eux 
qui  dominent  la  symptomatologie  du  syndrome  thalamique. 

La  sensibilité  superficielle  est  atteinte  dans  ses  trois  modal i les  : 
tact,  douleur,  température  ;  ce  n'est  pas  d'une  abolition  complète 
des  sensations  périphériques  qu'il  s'agit,  mais  bien  de  modifications 
des  impressions  sensitives  telles  qu'on  les  rencontre  dans  les  anes- 
thésies      cérébrales    avec    tous     leurs     caractères    classiques.     Nous    ne 


LES   TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  101 

ferons  que  les  rappeler  rapidement.  L'anesthésie  n'est  jamais 
absolue  comme  dans  les  hémianesthésies  hystériques  ;  prédomi- 
nant à  l'extrémité  des  membres,  diminuant  de  la  périphérie  à  la  racine 
de  ceux-ci,  cette  anesthésie  dépasse  légèrement  la  ligne  médiane  du 
corps  sur  le  tronc  et  la  face,  empiétant  d'un  à  deux  centimètres  sur 
le  côté  sain. 

L'abolition  ou  la  diminution  de  la  sensibilité  tactile,  étudiée  au 
pinceau  de  blaireau,  peut  intéresser  la  peau  et  les  muqueuses.  Pour  la 
douleur  et  la  température,  la  disparition  n'est  jamais  absolue,  comme 
du  reste  dans  toute  hémianesthésie  cérébrale,  quelle  qu'en  soit  la  cause. 

Long  d'abord  (1889),  puis  Brécy  (1902),  dans  leurs  thèses  ont  exposé 
complètement  cette  question  des  hémianesthésies  organiques. 

On  sait  que  l'on  a  affaire  à  des  modifications  quantitatives  et  qualita- 
tives de  la  sensibilité,  dans  les  hémianesthésies  organiques.  Ce  sont  des 
perversions  dans  l'interprétation  du  lieu  et  du  mode  de  la  sensation.de  la 
dysesthésie,  de  la  topoanesthésie  et  de  la  topoanalgésie  avec  retard  dans 
la  perception  des  sensations  et  avec  élargissement  des  cercles  de  Weber. 

Ce  sont  les  mêmes  troubles  sensitifs  superficiels  que  nous  rencon- 
trerons dans  le  syndrome  thalamique.  Chez  nos  malades,  il  ne  s'agit 
donc  pas  de  modifications  grossières  de  la  sensibilité  superficielle  ; 
aussi  faut-il,  pour  les  déceler,  procéder  à  leur  recherche  avec  le  plus 
grand  soin. 

Les  sensibilités  profondes  sont  beaucoup  plus  atteintes,  et  cela  dans 
leurs  différentes  composantes  :  articulaire,  musculaire,  tendineuse, 
osseuse.  On  peut  noter  la  diminution  ou  la  disparition  de  la  sensi- 
bilité osseusee  vibratoire  au  diapason  et  la  perte  complète  du  sens 
musculaire. 

La  notion  des  mouvements  actifs  ou  passifs  est  diminuée,  parfois 
même  abolie;  la  notion  de  résistance,  de  force  également;  celle  du  poids 
est  nettement  abolie  du  côté  malade.  La  notion  de  position  enfin  ou  sens 
des  attitudes  segmentaires  est  fortement  touchée. 

Il  y  a  perte  plus  ou  moins  complète  de  la  perception  «  stéréognos- 
tique  »  qui  est  toujours  atteinte,  mais  à  des  degrés  différents. 

Parmi  les  troubles  de  la  sensibilité  subjective  la  présence  de  douleurs 
du  côté  hémiplégie  est  un  fait  très  important  à  noter  chez  les  malades 
atteints  de  lésion  du  thalamus. 

On  les  retrouve  dans  la  plupart  des  cas  de  syndrome  thalamique 
publiés  et  dans  ceux  que  j'ai  moi-même  étudiés,  avec'assez  de  fréquence, 
pour  qu'on  puisse  admettre  aujourd'hui  que  ces  douleurs  sont  sous  la 
dépendance  de  la  lésion  thalamique,  ou   de  la   destruction,  avec  irrita- 


102  i.i  si   w  i    ROI  SS\ 


tion  consécutive  des  libres  qui  viennent  s'arboriser  dans  sa  portion 
ventrale.  Ces  douleurs,  cependant,  ne  sont  pas  constantes.  Elles  peuvent 
manquer  quelquefois,  mais  rappelons-nous  que,  pour  apprécier  des 
phénomènes  subjectifs,  comme  les  douleurs,  il  faut  tenir  compte  du 
mode  de  réaction  individuelle  propre  à  chaque  sujet  ;  c'est  là  en 
somme  affaire  d'équation  personnelle. 

Ces  douleurs  doivent  être  rangées  dans  le  groupe  des  douleurs  dites 
«  d'origine  centrale»  signalées  autrefois  par  Anton,  Edinger,  Gols- 
cheider,  etc.  Elles  sont  précoces  dans  leur  apparition  qui  peut  se  faire 
au  début  de  l'hémiplégie,  soit  quelques  mois  après.  Elles  siègent  non 
seulement  dans  les  membres  paralysés,  mais  aussi  à  la  face  et  sur  le 
tronc.  A  la  face,  elles  occupent  le  front,  la  joue,  l'orbite  avec 
sensation  d  arrachemeut  de  l'œil,  le  menton  et  l'oreille  du  côté  malade. 
Au  niveau  des  membres,  elles  ne  se  cantonnent  pas  avec  prédilection 
dans  les  articulations,  mais  irradient  dans  toute  la  longueur  des  seg- 
ments des  membres,  aussi  bien  au  niveau  des  doigts  et  des  orteils 
qu'à  leur  racine.  On  a  beaucoup  de  peine  à  obtenir  des  malades  une 
indication  exacte  sur  la  localisation  de  ces  douleurs,  en  tant  que  siège 
superficiel  ou  profond.  Une  de  nos  malades  nous  répétait  continuelle- 
ment que  ce  qui  l'empêchait  de  remuer  la  main  gauche,  de  marcher, 
c'étaient  les  douleurs  vives  qu'elle  éprouvait  dans  le  bras  et  la  jambe.  Il 
s'agit  en  somme  d'une  impotence  douloureuse.  La  plupart  cependant 
insistent  sur  le  fait  qu'elles  sont  plutôt  superficielles  et  que  ce  sont 
la  peau  et  les  plans  cellulo-graisseux  sous-jacents  qui  sont  dou- 
loureux. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  douleurs  sont  continues  avec  exacerbation 
paroxystique,  arrachant  parfois  des  cris  aux  malades,  les  empêchant  de 
dormir  ouïes  réveillant  brusquement. 

Les  malades  comparent  leurs  douleurs  tantôt  à  des  brûlures  superfi- 
cielles ou  profondes,  tantôt  à  des  élancements,  à  des  pressions  violentes 
et  douloureuses  qu'on  exercerait  sur  la  peau,  tantôt  enfin  à  des  coups 
de  poignard.  Ces  phénomènes  revêtent  un  caractère  paroxystique  ; 
entre  les  crises  ce  sont  des  fourmillements,  des  engourdissements 
dans  les  extrémités  des  membres  et  quelquefois  au  niveau  de  la  face. 
Par  certains  de  leurs  caractères,  ces  douleurs  ressemblent  beaucoup 
aux  causalgies  dont  nous  avons  vu  de  si  nombreux  exemples  durant  la 
guerre. 

Notons  enfin  un  caractère  important  :  ces  algies  m-  cèdenl  à  aucun 
traitement  analgésique  interne  on  externe,  rien  ne  réussit  à  soulager 
les  malades  dont  les  souffrances  sont  parfois   intolérables, 


LES   TROUBLES  SE  X  SI  TIFS  D'ORIGIXE  CÉRÉBRALE 


103 


La  douleur  n'est  pas  simplement  spontanée,  elle  est  aussi,  dans 
certains  cas,  provoquée  par  un  simple  attouchement  de  la  peau  avec  le 
doigt.  La  piqûre,  le  contact  du  froid  et  du  chaud,  la  pression,  sont  très 
désagréables,  ces  malades  étant  parfois  très  hyperesthésiques. 

Organe  des  sens.  1°  Vue.  On  ne  note  pas  de  troubles  de  la  musculature 
interne  ou  externe  de  l'oeil  ;   les  pupilles  sont  normales   et  réagissent 


2ï*  opt; 


"tjjj'dltt^ 


Fig  2.  —  Syndrome  thalamique.  (Obs.  personnelle.!  En  Fi.  foyer  hémorragique.  Celui-ci  intéresse  la 
couche  optique  à  la  partie  supérieure  du  noyau  externe  (Ne),  empiète  en  dedans  sur  le  noyau  interne 
(Ni)  et  en  arrière  sur  le  Pulvinar.  En  dehors,  la  lésion  intéresse  la  partie  postérieure  du  segment  pos- 
térieur de  la  capsule  interne  (Cip),  et  plus  en  dehors  encore,  la  partie  postérieure  du  noyau  lenti- 
culaire (NL3,    NL2  . 


normalement  à  l'accommodation.  Dans  un  cas  personel,  nous  avons  ob- 
servé de  l'hémianopsie  latérale  homonyme,  ce  qui  montre  que  la  lésion 
a  envahi  la  partie  postérieure  et  inférieure  du  thalamus  et  sectionné  les 
radiations  thalamiques. 

L'ouïe,  l'odorat  et  le  goût  ne  participent  pas  à  la  symptomatologie  du 
syndrome  thalamique. 

Troubles  vaso-moteurs  et  sécrétoires.  —  Il  peut  exister  dans  des  cas 
d'hémiplégie  par  lésion  de  la  couche  optique,  des  troubles  vaso-moteurs. 
Chez  les  deux  malades  qui  sont  devant  vous,  ces  troubles  sont  particu- 
lièrement évidents.  J'y  ai  particulièrement  insisté  en  vous  les  présen- 
tant. 

L'anatomie  pathologique  du  syndrome  thalamique,  ainsi  que 
nous  avons  pu  l'établir  personnellement,  d'une  part  grâce  à  l'étude 
de  coupes  microscopiques  sériées  dans  quatre  cas  de  lésions  de 
la  couche  optique,  et  d'autre  part  au  moyen  de  recherches  expérimen- 
tales, a  montré  qu'aux  syndromes  cliniques  dont  nous  venons  de  donner 


nu  Gl  STA  \  i:  i;m  sv  i 


la  description  correspond  une  lésion  toujours  identique  à  elle-même. 
Celle-ci  occupe  la  partie  postérieure  delà  couche  optique  dans  près - 

que  toute  sa  hauteur.  Il  s'agit  d'un  loyer  de  ramollissement  qui  intéresse 
habituellement  le  tiers  postérieur  et  externe  de  la  couche  optique. 
Ce  foyer  détruit  [a  plus  grande  partie  des  noyaux  externe  et  interne, 
empiète  souvent  sur  le  noyau  médian  en  avant,  sur  le  pulvinar  en 
arriére.  Presque  toujours  la  lésion  vient,  en  outre,  sectionner  la  partie 
postérieure  du  segment  postérieur  de  la  capsule  interne.  Parfois 
même,  en  dehors,  elle  atteint  la  partie  tout  à  fait  postérieure  du  noyau 
lenticulaire. 

La  localisation  du  foyer  de  destruction  est  rarement  limitée  stricte- 
ment à  la  couche  optique  elle-même  ;  ceci  dépend  de  la  distribution  vas- 
culaire  de  la  région  et  rend  le  problème  de  l'interprétation  physio- 
logique  des  signes  du  syndrome  thalamique  assez  difficile.  Aussi 
n'est-ce  que  par  l'étude  de  coupes  microscopiques  minutieusement 
sériées,  et  par  l'expérimentation,  (pie  nous  avons  pu  arriver  à  faire 
la  part  de  ce  qui  relevait  de  la  lésion  thalamique  et  de  ce  qui  revenait 
au  contraire  aux  lésions  accessoires,  notamment  à  celle  de  la  capsule 
interne. 

Je  ne  ferai  que  rappeler  brièvement  les  grands  traits  principaux  de 
cette  discussion,  de  façon  à  bien  préciser  devant  vous  quel  est  le  rôle 
de  la  lésion  du  thalamus  dans  la  production  des  différents  symp- 
tômes. Pour  cela  je  ne  retiendrai  que  les   trois  points  suivants  : 

1°  La  dissociation  des  phénomènes  moteurs  et  sensitifs. 

2J  L'interprétation  physiologique  de  ces  troubles  moteurs  et  sensitifs. 

3°  L'interprétation  des  mouvements  choréo-athétosiques. 

1°  La  dissociation  des  phénomènes  moteurs  et  sensitifs,  dans  une  hémi- 
plégie d'origine  cérébrale,  est  un  des  faits  les  plus  saillants  d'une  lésion 
thalamique.  Elle  attire  immédiatement  l'attention  et  doit  faire  recher- 
cher les  autres  signes  du  syndrome.  Mais  il  faut  savoir  que  cette  dis- 
sociation entre  les  .troubles  moteurs  et  sensitifs  n'est  pas  propre  aux 
lésions  thalamiques  et  qu'elle  peut  aussi  se  rencontrer  dans  les  lésions 
corticales.  Nous  y  reviendrons  tout  à  l'heure,  à  propos  des  syndromes 
pariétaux. 

2"  A  quoi  sont  dus  les  troubles  paralytiques  et  les  troubles  de  la  sensi- 
bilité dans  le  syndrome  thalamique  '.' 

La  cause  des  phénomènes  paralytiques  se  conçoit  d'elle-même  :  ils 
sont  la  conséquence  d'une  altération  concomitante  de  la  partie  posté- 
rieure de  la  capsule  interne,  ;iinsi  que  nous  l'avons  observé  dans  trois 
de  nos  c;is. 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  105 

La  lésion  thalamique  ne  joue  donc  aucun  rôle  dans  la  production 
de  ces  troubles  moteurs,  ainsi  que  le  prouvent  les  faits  suivants  : 

1°  Les  troubles  moteurs  sont  proportionnels  à  l'étendue  de  la  lésion 
capsulaire  ;  plus  celle-ci  est  marquée,  plus  ils  sont  prononcés,  et  inver- 
sement. 

2°  Ils  ne  sont  pas  proportionnels  à  l'étendue  de  la  lésion  thala- 
mique. 

3°  Chez  l'animal,  une  lésion  expérimentale  localisée  dans  le  thalamus 
et  respectant  la  capsule  interne  ne  détermine  pas  de  troubles  para- 
lytiques. 

Quant  aux  troubles  sensitifs,  il  est  de  toute  évidence  qu'ils  sont  sous 
la  dépendance  de  la  lésion  thalamique. 

Dejerine  et  Long,  dans  un  mémoire  consacré  à  l'étude  de  la  localisa- 
tion de  l'hémianesthésie  dite  capsulaire,  ont  montré  que  les  troubles  de 
la  sensibilité  générale  se  rencontraient  dans  les  lésions  centrales  des 
hémisphères  dans  deux  conditions  : 

d'une  part  dans  les  cas  de  lésion  thalamique  détruisant  les  fibres  ter- 
minales des  voies  sensitives  du  pédoncule  et  les  fibres  d'origine  des 
neurones  thalamo-corticaux  ; 

d'autre  part,  dans  les  cas  où,  le  thalamus  étant  intact,  les  connexions 
avec  la  corticalité  sensitivo-motrice  sont  plus  ou  moins  détruites.  Dans 
ce  dernier  cas,  la  lésion  est  toujours  très  étendue. 

Dejerine  et  Roussy  ont  ensuite  montré  que  lorsque  la  lésion  siège 
dans  le  noyau  externe  (partie  externe  et  postérieure),  qu'elle  empiète  sur 
les  noyaux  interne  et  médian  du  thalamus,  et  qu'elle  intéresse  une 
partie  des  fibres  du  segment  postérieur  de  la  capsule  interne,  on  trouve 
réalisé  le  tableau  clinique  du  Syndrome  thalamique. 

Une  telle  lésion  sectionne  les  neurones  ascendants  centripètes,  voies 
centrales  de  la  sensibilité  générale,  qui  viennent  toutes  aboutir  au 
thalamus  ; 

3°  Quelle  est  la  cause  des  mouvements  choréo-athétosiques  ? 

Déjà  dans  notre  mémoire  de  1906,  nous  nous  sommes  demandés  si  les 
mouvements  choréo-athétosiques  que  l'on  observe  si  fréquemment  dans 
le  syndrome  thalamique  étaient  sous  la  dépendance  directe  de  la  lésion 
de  la  couche  optique.  C'est  là  une  question  qui  a  été  fort  discutée  et  in- 
terprétée de  façon  très  différente  suivant  les  auteurs.  Je  rappellerai  sim- 
plement ici  qu'à  l'opinion  soutenue  à  l'étranger  par  les  auteurs  avec 
Hammond,  Gowers,  Nothnagel,  (ialvani  qui  attribuaient  à  la  couche 
optique  un  rôle  prédominant  dans  la  production  de  ces  mouvements, 
l'école  française  avec  Charcot  et    Raymond    avait    opposé   une   théorie 


106  C.L'STAVl-:   IU)t  SS) 


toute  différente,  en  plaçant  la  lésion  causale  de  ces  troubles  dans  la 
capsule  interne.  Plus  tard,  Kahler  et  Pick,  étendant  cette  dernière 
hypothèse, formulèrent  une  théorie  qui  l'ut  également  adoptée  par  beau- 
coup de  neurologistés.  à  savoir  que  les  troubles  d'excitation  post- 
hémiplégiques  résultent  d'une  altération  du  faisceau  pyramidal  en  un 
point  quelconque  de  son  trajet.  Personnellement,  je  me  suis  autrefois 
rallié  à  l'opinion  de  Kahler  et  Pick,  qui  refusait  à  la  couche  optique  le 
droit  de  jouer  un  rôle  dans  la  production  des  mouvements  choréo- 
athétosiques. 

Or.  à  l'heure  actuelle,  à  la  laveur  de  travaux  récents  parus  sur  la 
physiologie  du  corps  strié,  je  crois  qu'il  y  a  lieu  de  reprendre  la  ques- 
tion de  l'interprétation  des  mouvements  "choréo-athétosiques  dans  le 
syndrome  thalamique  C'est  ce  que  nous  avons  fait  tout  dernièrement 
dans  mon  service  avec  mon  élève  Lucien  Cornil,  à  propos  des  deux 
malades  que  je  viens  de  vous  montrer. 

Ces  deux  malades  présentent  en  effet  —  en  plus  des  signes  dont  je 
vous  ai  parlé  tout  à  l'heure  appartenant  en  propre  au  syndrome  thala- 
mique, en  plus  aussi  des  mouvements  choréo-athétosiques  —  des 
modifications  importantes  du  tonus  musculaire  dont  le  caractère 
particulier  nous  permet  de  les  désigner  sous  le  nom  de  syntonie 
d'automatisme. 

C'est  au  cours  des  mouvements  d'automatisme  comme  la  marche 
par  exemple,  qu'ils  apparaissent.  Le  malade  étant  au  repos,  on  cons- 
tate une  hypotonie  manifeste  du  membre  supérieur  et  inférieur  du 
côté  atteint,  hypotonie  qui  se  transforme  en  hypertonie  dès  qu'on 
demande  au  malade  d'accomplir  un  mouvement  automatique  comme 
la  marche.  On  voit  alors  l'avant-bras  se  fléchir  sur  le  bras,  la  main  sur 
l'avant-bras,  la  jambe  s'étendre  sur  la  cuisse  ;  si  bien  que  lorsqu'on 
regarde  le  malade,  il  donne  l'impression  de  marcher  comme  un  hémi- 
plégique moteur  contracture  ;  or,  ni  chez  l'un,  ni  chez  l'autre  de  nos 
malades,  il  n'existe  de  contracture.  Il  faut  ajouter  que  ces  attitudes 
peuvent  être  provoquées,  quoique  moins  facilement,  par  les  di lié- 
rentes  épreuves  syncinétiques  habituelles  du  côté  sain. 

Enfin,  chez  l'un  de  ces  malades,  chez  l'homme,  on  note  à  l'état  de 
repos,  une  hypertonie  intentionnelle  des  plus  nettes  lorsqu'on  lui 
demande  de   relâcher   ses  muscles. 

Ces  modifications  importantes  de  la  motilité  automatique,  SUT 
lesquelles  je  viens  d'insister,  relèvent,  nous  le  savons  aujourd'hui, d'une 
lésion  du  corps  strié  ainsi  qu'il  ressort  d'une  série  de  travaux  récents 
dus  en  particulier  à  Modden,  à  Cécile  et  OscarVogt,  à  Ramsay-Hunt* I 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE 


107 


Lhermitte  et  Cornil  et  surtout  à  Wilson  qui,  il  y  a  peu  de  jours,  vous 
exposait  ici  même  les  résultats  de  ses  importants  travaux  sur  le  corps 
strié. 

L'on  est  en  droit  de  supposer,  comme  je  l'ai  fait  avec  L.  Cornil, 
que  chez  nos  malades,  les  phénomènes  choréoathétosiques  sont 
précisément  dus  à  ce  que  le  foyer  de  destruction  intéresse  une   plus 


-F 


Fig.  3.  —  Cas.  Jossaume  (thèse  Roussy  lî'07).  Le  loyer  de  destruction  F  occupe  la  partie  postérieure 
de  la  couche  optique  (Th.)  dont  il  détruit  tout  le  tiers  postérieur  du  noyau  externe  ;  en  dedans,  il 
empiète  sur  le  pulvinar  ;  en  dehors,  il  sectionne  la  partie  postérieure  du  segment  postérieur  et  le 
segment  rétro-lenticulaire  de  la  capsule  interne,  et  pousse  une  pointe  dans  la  partie  postérieure  du 
noyau  lenticulaire  (NL3).  Le  noyau  antérieur  et  le  noyau  interne  du  thalamus  ne  sont  pas  intéressés 
par  la  lésion. 


ou  moins  grande  partie  de  la  queue  du  noyau  lenticulaire.  Bien 
entendu,  il  ne  s'agit  pour  l'instant  que  d'une  hypothèse  que  nous  faisons 
avec  toutes  les  réserves  que  comporte,  en  pareil  cas,  l'absence  de  véri- 
fication anatomique.  Cependant,  un  coup  d'œil  jeté  sur  les  figures 
ci-jointes  (fig.  3  et  4)  nous  montre  que  dans  les  cas  rapportés  dans  ma 
thèse  (cas  Joss...,  cas  Hud...)  où  il  existait  des  mouvements  choréo- 
athétosiques très  pi'ononcés,  la  lésion  intéressait  le  corps  strié. 

Formes   cliniques.  —  A    côté   de  cette   forme   type,    le   syndrome 
thalamique    peut   revêtir    d'autres   modalités    cliniques    ainsi  que  j'ai 


L08 


Gl   STA  \  E  ROI  SS  I 


eu  l'occasion  de  le  démontrer  personnellement,  toujours  à  l'appui 
de  cas  vérifiés  sur  autopsie.  En    effet,  tantôt  l'on  a  affaire   à  la  forme 

décrite  ci-dessus,  forme  que  l'on  peut  dénommer  le  syndrome  thala- 
nuque  type  ou  forme  pure  de  ce  syndrome  ;  tantôt,  au  contraire,  il  s'agil 
de  formes  associées  ou  mixtes  dans  lesquelles  les  troubles  paralytiques 
sont  plus  marqués,  et  revêtent  le  caractère  de  l'hémiplégie  organique 


—  F 


Fig.  4.  —  Cas  Hudry  (thèse  Roussy  1907).  Le  loyer  primitif,  comme  dans  le  cas  précédent,  détruit 
complètement  la  partie  postérieure  du  noyau  externe  du  thalamus  (Th.)  et  vient  plus  en  dedans 
intéresser  le  centre  médian  de  Luys.  En  arrière,  il  empiète  sur  la  partie  antérieure  du  pulvinar.  En 
dehors,  il  sectionne  le  segment  postérieur  de  kl  capsule  interne  et  vient  léser,  par  ses  ramifications, 
la  partie    postérieure  du  noyau  lenticulaire  (NL3). 

spasmodique  qui  vient  s'ajouter  aux  signes  cliniques  d'une  lésion  de  la 
couche  optique.  C'est  Informe  thalamo-pyramidale. 

Si  l'interprétation  que  je  vous  donnais  tout  à  l'heure  à  propos  des 
mouvements  choréo-athétosiques  venait  à  être  vérifiée  anatomique- 
ment,  on  pourra  également  distinguer  une  forme  thalamostrice  du 
syndrome  thalamique,  forme  dans  laquelle  les  mouvements  choreo- 
athétosiques  sont  particulièrement  évidents  et  prononcés. 

Quant  aux  formes  sensilino-sciisoricllcs  décrites  par  certains  auteurs, 
et  notamment  par  I  laskowec,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  tics  faits  suffisam- 
ment probants  pour  en  admettre  l'existence.  En  effet,  en  sériant  de 
très     près    la    question  des    héinianesthésies   sensorielles    notées    dans 


LES   TROUBLES  SENS1TIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  109 


les  hémianesthésies  générales  par  lésion  de  la  couche  optique,  que 
trouve-t-on  ? 

Au  point  de  vue  clinique,  pour  le  goût,  l'ouïe,  et  l'odorat,  on 
observe  parfois  des  altérations  qui  consistent  plutôten  diminution  qu'en 
abolition  des  sensibilités  spéciales,  et  qui  sont  habituellement  par- 
tielles et  irrégulières.  Parfois,  la  diminution  de  l'audition  comme  clans 
le  cas  de  Winkler,  peut  être  bilatérale.  Mais  ces  symptômes  disparais- 
sent quelques  mois  après  le  début  de  la  paralysie  et  ne  font  plus  partie 
du  tableau  symptomatique.  Or,  on  sait  que  c'est  à  partir  de  cette  pé- 
riode, que  le  syndrome  se  présente,  selon  nous,  ayec  toute  sa  pureté. 

Pour  la  vue,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  avec  notre  maître  Deje- 
rine,  l'hémianopsie  latérale  homonyme  peut  s'associer  au  tableau  du 
syndrome  thalamique  ;   elle  constitue  alors  un  symptôme  définitif. 

Au  [point  de  vue  anatomique,  nos  connaissances  sur  les  connexions 
des  voies  centrales  acoustiques,  auditives  et  olfactives  avec  la  couche 
optique  sont  encore  trop  insuffisantes  pour  nous  permettre  de  dire 
avec  certitude,  en  présence  d'hémianesthésie  sensorielle  au  début  du 
syndrome  thalamique,  que  les  fibres  sensorielles  sont  lésées  dans  leur 
trajet  intrathalamique,  et  non  à  leur  passage  au  voisinage  de  la 
couche  optique.  La  méthode  anatomo-clinique  n'a  fourni  encore  à 
cet  égard  que  des  renseignements  incomplets,  étant  donnée  la  repré- 
sentation corticale  bilatérale  des  sens  de  l'ouïe,  de  l'odorat  et  du 
goût  qui  explique  les  suppléances  et  les  réparations  rapides  observées 
à  la  suite  de  lésion  unilatérale.  La  présence  de  l'hémianopsie  par 
contre  s'explique  facilement  par  l'extension  du  foyer  thalamique  en 
arrière  et  la  destruction  à  ce  niveau  des  fibres  de  projection  des  voies 
optiques  (radiations  de  Gratiolet)  ou  du  corps  genouillé  externe. 

S'il  est  donc  possible  que  le  thalamus,  en  plus  de  ses  fonctions  de 
relai  intra-hémisphérique  des  voies  sensitives  centrales,  entre  en 
connexion  avec  les  voies  sensorielles  de  l'ouïe,  du  goût  et  de  l'odorat, 
le  lait  ne  peut  être  considéré  comme  définitivement  acquis. 

De  ces  considérations  cliniques  et  anatomiques,  il  résulte  que  le  seul 
trouble  sensoriel  définitif  que  l'on  puisse  observer  au  cours  du  syn- 
drome thalamique  est  l'hémianopsie.  Mais  il  s'agit  ici,  comme  nous 
l'avons  dit  ailleurs,  d'un  symptôme  accessoire  ne  relevant  pas  directe- 
ment de  la  lésion  delà  couche  optique  et  ne  faisant  pas,  à  proprement 
parler,  partie  du  syndrome  thalamique. 

LES  SYNDROMES   PARIÉTAUX 

Les  différentes  modalités   suivant   lesquelles   peuvent  s'extérioriser 


I  m  GUSTAVE  ROUSSY 


en  clinique  des  lésions  limitées  à  ta  zone  sensitive  corticale  du 
lobe  pariétal  nous  sont  particulièrement  bien  connues  depuis  la  guerre. 
En  effet,  si  avant  1914,  certains  auteurs  comme  Redlich,  Monakov  et 
Dejerine  avaient  eu  l'occasion  d'observer  des  faits  tirés  de  l'observation 
clinique  neurologique  courante  dans  lesquels  on  avait  pu  porter  le 
diagnostic  de  lésions  limitées  au  lobe  pariétal,  c'est  surtout  depuis  la 
guerre  que  les  différents  types  du  syndrome  pariétal  ont  été  bien  éta- 
blis. Et  ceci  se  conçoit  aisément  puisque  les  blessures  du  cerveau, 
principalement  les  blessures  par  éclat  d'obus  créent  des  lésions  céré- 
brales bien  limitées,  souvent  très  superficielles,  réalisant  en  quelque 
sorte  très  exactement  les  expériences  des  physiologistes  chez  l'animal. 
M.  Pierre  Marie  et  ses  élèves,  Chatelin,  Mme  Athanassio  Bénisty 
ont  particulièrement  contribué  à  l'étude  clinique  de  ces  blessures 
localisées  de  l'écorce  cérébrale  et  de  la  zone  rolandique. 

Le  syndrome  sensitif  cortical,  décrit  pour  la  première  fois  par 
Dejerine  en  1914,  est  caractérisé  par  une  intégrité  complète  ou  presque 
complète  de  la  sensibilité  tactile,  des  sensibilités  douloureuse  et  ther- 
mique avec  conservation  parfaite  de  la  sensibilité  osseuse; au  contraire, 
la  discrimination  tactile  du  sens  des  attitudes  et  du  sens  stéréognosti- 
que  est  complètement  abolie.  Ce  syndrome  devait  trouver  bien  vite  une 
solide  confirmation  dans  une  série  d'observations  de  lésions  isolées  du 
lobe  pariétal  par  blessure  de  guerre.  En  effet,  à  la  première  réunion  de 
la  Société  de  Neurologie  qui  suivit  la  déclaration  de  guerre,  en  décembre 
1914.  Dejerine  et  Mouzon  présentaient  deux  cas  de  syndrome  sensitif 
cortical  par  blessure  de  guerre. 

A  la  séance  suivante,  en  janvier  1915,  je  rapportais  moi-même  avec 
mon  élève,  M.  Bertrand,  une  nouvelle  observation  tout  à  fait  typique 
dont  je  vous  demande  la  permission  de  rappeler  ici  très  brièvement  les 
principaux  traits. 

Il  s  agit  d'un  soldat  qui  le  16  octobre  1914  est  atteint  d'une  balle  à  la  tète  du  côté 
gauche  II  tombe,  mais  se  relève  aussitôt  pour  aller  se  blottir  un  peu  plus  loin  dans 
l'excavation  formée  par  l'explosion  d'un  obus  de  150  millimètres.  11  attend  la  fin  du 
tir  pour  repartir  et  rejoindre  les  lignes  françaises. 

Durant  tout  le  trajet  qu  il  fait  à  pied  depuis  le  lieu  de  l'accident  (environ  un  kilomètre! 
et  malgré  une  forte  hémorragie  au  niveau  de  la  plaie  du  cuir  chevelu,  il  ne  perd  pas  un 
instant  connaissance  Arrivé  au  poste  de  seeours.il  a  perdu  l'usage  de  la  parole  et  présente 
une  hémiplégie  droite  avec  un  peu  de  surdité  du  côté  gauche.  Après  un  pansement  soin- 
maire,  on  l'évacué  sur  Sézanne  où  il  reste  peu  de  temps,  puis  à  lîra\-sur  Somme,  où 
ou  lui  rase  la  tête,  on  sonde  la  blessure  et,  après  un  badigcnnuage  à  In  teinture  d'iode] 
on  1  envoie  à  l'Hôtel-Dieu  d'Alençon.  Entré  dans  cet  hôpital  le  SKI  octobre,  il  v  reste  un 
mois  et  demi  .  la  fièvre,  la  céphalée  s'amendent  rapidement  .  le  malade  commence  :i  parlai 
10  jours  après  l'accident  ;  le  20e  jour  après,  il  peut  se  servir  de  la  main  droite  pour  écrirai 

\  sa  sortie  de  l'Hôtel-Dieu  d  Alençon,  il  ne  lui  reste  plus  qu'une  hémiplégie    motrice, 


LES   TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  11  ï 


caractérisée  par  une  gêne  fonctionnelle  du  bras  et  de  la  jambe  droite  et  une  très  grande 
lenteur  de  la  parole,  il  est  même  incapable  de  prononcer  certains  mots. 

Après  un  court  séjour  à  Toulouse,  il  est  envoyé  au  Val  de  Grâce,  où  il  entra  le  18  jan- 
vier 1915. 

A  l'examen  fait  le  19  janvier,  on  remarque  deux  cicatrices  du  côté  gauche  du  crâne, 
situées  de  part  et  d'autre  du  sillon  de  Rolando,  déterminé  par  les  procédés  classiques. 
La  cicatrice  postérieure  correspond  à  l'orifice  d'entrée  du  projectile,  l'antérieure,  longue 
de  5  centimètres  environ,  est  adhérente  au  niveau  d'un  sillon  osseux. 

Les  troubles  delà  parole  sont  les  suivants  :  le  malade  s'explique  clairement,  mais  très 
lentement.  Sa  voix  est  traînante,  mais  sans  achoppements.  Il  ne  bredouille  pas.  Il  trouve 
bien  ses  mots  et  les  exprime  nettement.  Pourtant,  certains  mots  longs  et  compliqués  ou 
encore  certaines  phrases  sont  difficilement  articulés  Le  malade  nous  fait  constater  à  ce 
propos  que,  pupille  autrefois  de  l'Assistance  publique,  il  fut  un  enfant  retardataire  et  eut 
toujours  de  la  difliculté  à  articuler  certains  mots  plus  ou  moins  compliqués  Depuis  le 
moment  de  sa  blessure,  les  troubles  de  l'articulation  sont  améliorés;  la  parole  est  beau- 
coup moins  traînante  qu'au  premier  jour.  Il  n'y  a  aucune  altération  de  la  faculté  de 
langage  :  ni  surdité   ni  cécité  verbale  psychique,  pas  d'aphasie  motrice. 

Le  malade  se  montre  intelligent  dans  ses  réponses;  il  comprend  parfaitement ent  toutes 
les  questions  posées. 

Pas  d'amnésie  :  il  a  même  reconstitué  à  peu  près  complètement  ses  notes  de  guerre 
depuis  le  début  de  la  campagne.  Cependant,  du  20  au  25  octobre  le  malade  ne  se  rap- 
pelle plus  de  rien  en  dehors  de  son  changement  d'hôpital. 

Le  malade  accuse  une  certaine  torpeur  intellectuelle  qui  n'existait  pas  avant.  Il  s'ef- 
force déjouer  au  jeu  de  dames  «  pour  se  dégourdir  »,  dit-il.  Le  jeu  de  cartes  le  fatigue 
très  rapidement,  il  oublie  vite  les  cartes  tombées;  il  ne  peut  lire  longtemps. 

Troubles  de  la  motilité.  —  Il  n  existe  au  repos  aucuns  mouvements  anormaux;  pas  de 
mouvements  choréiques  ou  athétosiques.  Pas  de  contracture  musculaire,  ni  flaccidité 
anormale. 

Mais  on  remarque  une  paralysie  faciale  droite  à  type  central.  La  face  est  déviée  du 
côté  gauche,  pas  d'hépiphora.  Orbiculaire  intact.  Commissure  labiale  droite  abaissée 
et  déviée.  Pas  de  déviation  de  la  langue     Pas  de  paralysie  du  voile  du  palais. 

Au  niveau  des  membres,  on  note  une  diminution  légère  de  la  force  musculaire. 

Malgré  cette  égalité  apparente  des  deux  côtés  à  l'examen  clinique,  le  malade  nous 
fait  observer  cependant  qu'il  se  fatigue  plus  rapidement  du  membre  inférieur  droit  que 
du  gauche  (par  exemple  quand  il  frotte  un  parquet).  Rien  de  spécial  dans  la  démarche 
du  malade 

Réflectivité.  —  Réflexes  cutanés  normaux  ;  réflexe  plantaire  en  flexion.  Réflexes  tendi- 
neux :  du  membre  supérieur  (réflexes  du  biceps,  du  triceps,  des  radiaux)  normaux  ,  le 
réflexe  rotulien  est  légèrement  exagéré  adroite.   Pas  de  troubles  sphinctériens. 

Troubles  de  la  sensibilité.  —  Sensibilité  subiective  :  douleurs  subjectives  nulles.  Pas 
de  sensations  anormales,  paresthésiques  ou  autres 

Sensibilité  tactile  :  hypoesthésie  légère  au  niveau  de  la  main  et  des  doigts.  Pas  d'anes- 
thésie  proprement  dite. 

A  droite,  le  malade  localise  mal  ses  sensations  il  fait  parfois  des  erreurs  de  3  à  4 
centimètres.  Les  cercles  de  Weber  sont  très  élargis  h  droite,  au  niveau  de  l'extrémité 
du  membre  supérieur.  Il  t'aut  un  écartement  de  10  à  15  millimètres  au  niveau  de  la 
pulpe  des  doigts  pour  obtenir  la  sensation  de  deux  pointes,  de  20  à  25  millimètres  au 
niveau  de  la  paume  de  la  main. 

La  sensibilité  à  la  température  paraît  égale  des  deux  côtés. 

Il  existe  de  gros  troubles  de  la  sensibilité  profonde  au  niveau  du  membre  supérieur. 

Astéréognosie  à  droite  :  le  maade  reconnaît  difficilement  la  forme  élémentaire  des 
objets  (boîte,  sou,  montre,  etc  )  Non  seulement  il  ne  désigne  pas  l'objet,  mais  encore  la 
forme  elle-même  lui  reste  souvent  inconnue. 

Le  sens  des  attitudes  passives  et  actives  est  très  altéré  au  niveau  des  doigts.  Aucun 
'rouble  de  cr  genre  au  niveau  du  poignet,  du  coude,  ni  du  membre  inférieur 


112  Gl  ST  il  E  ROI  SS  I 


Sensibilité  à  la  pression  :  à  droite,  le  malade  apprécie  mal  les  diflérences.  Alors  que 
du  côté  gauche  il  différencie  des  pressions  de  0  lr.  50  et  de  1  franc  en  argent,  à  droite 
il  ne  trouve  aucune  différence  entre  deux  pressions  de  0  fr.  50  et  de  2  fr.  50.  Cette 
redhercbe  est  faîte  au  niveau  de  la  pulpe  des  doigts. 

La   |>K  ssion  îles  niasses  musculaires,    biceps,  triceps  sural,  est  moins  bien    perçue    à 

droite. 

Pas  d'ataxie  :  le  malade  trouve  bien  son  nez,  son  genou  avec  le  talon  opposé. 

La  sensibilité  osseuse  au  diapason  au  niveau  des  doigts  de  l'olécrane,  des  styloïdes, 
du  bassin,  du  fémur,  du  pied,  est  sensiblement  égale  des  deux  côtés.  De  temps  en  temps 
il  semble  que  le  malade  sente  mieux  à  droite,  mais  cette  différence  est  vraiment  peu 
sensible. 

Troubles  trophiques  nuls. 

L'examen  radiographique  montre  un  léger  enfoncement  de  la  calotte  osseuse,  sans 
corps  étranger  dans  l'hémisphère  cérébral. 

En  résumé,  on  note  chez  un  soldat,  à  la  suite  d'une  plaie  par  balle 
avec  enfoncement  de  la  calotte  crânienne  du  côté  gauche,  une  hémi- 
plégie droite,  surtout  sensitive,  caractérisée  au  bout  de  trois  mois 
par  : 

De  très  légers  troubles  moteurs  :  hémiparésie  faciale  et  brachiale; 
réflexe  du  gros  orteil  en  flexion; 

De  légers  troubles  delà  sensibilité  superficielle  au  membre  supérieur 
droit  :  hypoesthésie  tactile; 

Un  écartement  assez  marqué  des  cercles  de  Weber,  10-15  millimètres 
pour  la  pulpe  des  doigts  :  20-25  millimètres  pour  la  paume  de  la 
main. 

De  gros  troubles  de  la  sensibilité  profonde  du  membre  supérieur  droit  : 
astéréognosie  complète,  perte  du  sens  des  attitudes  et  de  la  sensibilité 
à  la  pression  au  niveau  de  la  main  ; 

Absence  de  douleurs,  d'hémitremblement  ou  d'hémichorée.  Pas 
d'hémiataxie. 

Si  nous  reprenons  maintenant,  très  rapidement,  les  principaux  signes 
du  syndrome  sensitif  cortical,  nous  voyons  qu'au  début,  on  peut  noter 
l'existence  de  troubles  paralytiques,  mais  ceux-ci  sont  habituellement 
légers,  fugaces  et  s'atténuent  rapidement;  parfois  même,  ils  font  com- 
plètement défaut.  Il  en  est  ainsi  chez,  le  malade  (h-  l'observation  ci- 
dessus  qui,  blessé  par  balle  au  niveau  delà  région  pariétale,  put  faire  à 
pied  plusieurs  kilomètres  dans  les  boyaux  pour  se  rendre  au  poste  île 
secours. 

Si  dans  le  syndrome  sensitif  cortical,  les  troubles  moteurs  sont  au  mi- 
nimum, en  tant  que  signes  traduisant  un  déficit  de  la  voie  pyramidale, 
si  les  réflexes  tendino-osseux  sont  habituellement  peu  vifs,  si  h-  signe 
de  Babinski  manque  le  plus  souvent,  ce  n'est  pas  a  dire  qu'il  n'existe 
pas  d'impotence  Fonctionnelle  des  membres  atteints.  Mais  celle-ci  con« 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE 


113 


siste  en  une  incoordination  des  mouvements  et  relève  des  perturbations 
de  la  voie  sensitive. 

Les  troubles  sensitifs  objectifs  dominent  donc  le  tableau  ;  ils  con- 
sistent, dans  les  cas  typiques,  en  une  diminution  légère  ou  même  une 
conservation  relative  des  sensibilités  superficielles  (tact,  douleurs  tem- 
pérature) et  en  une  conservation  (parfaite  ou  presque  parfaite)' de  la 
sensibilité  osseuse  qui  contraste  avec  une  altération  marquée  du  sens 
de  discrimination  tactile  (écartement  des  cercles  de  Webef)  du  sens 
des  attitudes  et  du  sens  stéréognostique  (astéréognosie). 

Dans  l'hémiplégie  sensitive  d'origine  corticale  ou  syndrome  sensitif 
cortical,  les  troubles  sensitifs  subjectifs  sont  nuls  ou  peu  apparents  ■  ce 
sont  des  fourmillements,  des  sensations  paresthésiques,  jamais  des  dou- 
leurs vraies.  Il  y  a  lieu  de  noter  d'ailleurs  la  variabilité  des  troubles 
observés  au  cours  des  divers  examens,  signes  auxquels  Head  attache 
de  1  importance  et  qu'il  considère  comme  caractéristiques  des  lésions 
du  cortex.  Souvent  enfin,  au  syndrome  sensitif  cortical  peut  s'asso- 
cier de  l'aphasie  (lorsque  la  lésion  intéresse  l'hémisphère  -auche  et 
empiète  sur  le  lobe  temporo-occipital)  ou  encore  de  Yhémianopsie 
par  extension   du  foyer  de  destruction  au  lobe  occipital. 

Ce  sont  là  des  symptômes  contingents  très  utiles,  comme  nous  le  ver- 
rons dans  la  discussion  du  diagnostic. 

Les  formes  cliniques  des  syndromes  pariétaux.  ~  A  côté  de 
cette  première  forme  type,  on  peut  observer  une  série  de  modalités  cli- 
niques des  syndromes  pariétaux.  Comme  pour  le  syndrome  thalamiciuc 
les  lésions  pariétales  sont  tantôt  simples  et  l'on  a  affaire  à  une  forme  pure 
du  syndrome  pariétal,  tantôt,  au  contraire,  les  lésions  empiètent  plus  ou 
moins  sur  les  circonvolutions  rolandiques  et  se  traduisent  par  une 
forme  associée  sensitivo-molrice. 

D'autres  fois,  les  lésions  du  lobe  pariétal  sont  suffisamment  discrètes 
et  limitées  pour  donner  naissance,  non  plus  à  un  syndrome  frappant  la 
totalité  du  corps  d'un  côté,  mais  bien  à  des  formes  localisées  soit  au 
niveau  du  membre  supérieur,  soit  au  niveau  du  membre  inférieur  Ce 
sont  les  formes  partielles  du  syndrome  pariétal. 

Monoplégie  brachiale  corticale.  Aux  membres  supérieurs,  les  troubles 
•sens.tifscoïncident  le  plussouventavecles troubles  moteurs  et  consistent 
en  troubles  des  sensibilités  superficielles  (anesthésie  ou  hypoesthésie 
tactile  douloureuse  et  thermique,  troubles  deladiscrimination  tactile)  et 
profonde  (perte  du  sens  musculaire  et  du  sens  stéréognostique).  Parfois 
même,  les  troubles  sensitifs  dominent  le  tableau  clinique,  réalisant  des 

CONFÉR.     NEUUOL. 


1  I  l  GUSTA  VE  ROUSSY 


monoplégies  sensitives  corticales,  globales  ou  dissociées,  dans  lesquelles 
les  troubles  de  la  sensibilité  sont  caractérisés  par  la  présence  de  très 
légers  troubles  sensitifs  superficiels  avec  perte  de  la  discrimination 
tactile,  du  sens  musculaire  et  du  sens  stéréognostique. 

Lorsque  le  syndrome  sensitif  cortical  est  dissocié  aux  membres  supé- 
rieurs, on  peut  observer  une  localisation  élective  des  troubles  sensitifs 
au  niveau  de  la  main  ;  c'est  ce  qu'avec  M.  Branche  j'ai  dénommé  la 
main  sensitive  corticale  ou  main  pariétale. 

Voici  le  résumé  de  nos  observations  : 

Dans  le  premier  cas,  blessure  crânio -cérébrale  pariétale  droite  en  1914,  qui  n'a 
entraîné  que  de  légers  troubles  moteurs  du  côté  gauche,  d'ailleurs  fugaces.  En  1917,  il 
n'existe  aucun  signe  de  perturbation  de  la  voie  motrice.  Par  contre,  on  note  seulement 
au  niveau  de  la  main  gauche,  des  troubles  des  sensibilités  superficielles  (anesthésie 
tactile,  hypoesthésie  douloureuse  et  thermique  avec  élargissemeut  des  cercles  de  Weber) 
et  en  plus  de  gros  troubles  des  sensibilités  profondes  :  perte  de  la  notion  de  la  position 
des  doigts,  du  sens  stéréognostique,  de  la  sensibilité  osseuse.  Pas  d  hémiataxie.  On  a 
donc  affaire  ici  à  une  forme  du  syndrome  sensitif  cortical,  localisée  uniquement  à  la 
main. 

Dans  le  deuxième  cas,  il  s'agit  d  une  blessure  cérébrale  temporo-pariétale  gauche,  avec 
aphasie  sensorielle  en  voie  d'amélioration  (blessure  en  janvier  1918);  aucun  signe  d'hé- 
miplégie motrice,  mais  présence  à  la  main  d'hypoesthésie  tactile  douloureuse  et  ther- 
mique, avec  élargissement  des  cercles  de  Weber,  ainsi  que  perte  totale  et  absolue  des 
sensibilités  profondes  et  du  sens  stéréognostique.  Comme  dans  le  cas  précédent,  mais 
chez  un  blessé  récent,  le  syndrome  est  strictement  limité  à  la  main. 

Ces  formes  de  syndrome  sensitif  cortical  localisées  presque  unique- 
ment au  membre  supérieur  et  ne  persistant  en  fin  de  compte  qu'au 
niveau  delà  main,  réalisent  un  véritable  type  de  «  main  sensitive  corti- 
cale »  et  dénotent  une  lésion  très  limitée  du  lobe  pariétal,  que  seules  les 
blessures  de  guerre  peuvent  faire. 

Les  monoplégies  crurales  localisées  au  membre  inférieur  ou  monoplé- 
gies  crurales  d'origine  corticale  son  t  beaucoup  plus  ra  rement  observées  que 
les  monoplégies  brachiales,  dans  la  pathologie  de  guerre.  On  en  a  vu 
quelques  cas,  sous  forme  habituellement  dissociée  et  localisée  à  la  sphère 
du  sciatique  poplité  externe.  Ordinairement,  il  s'agit  de  reliquat  d'une 
hémiplégie  ou  d'une  paraplégie. 

En  effet,  dans  l'immense  majorité  îles  cas,  la  monoplégie  crurale  est 
bilatérale.  Il  s'agit  alors  de  paraplégie  corticale  résultant  d'une  lésion 
du  vertex  atteignant  les  deux  lobes  para-centraux  (centres  des  membre! 
inférieurs)  mais  habituellement  d'une  façon  inégale.  Elles  ont  été 
assez  fréquentes  pendant  la  guerre  et  nous  avons  tous  eu  l'occasiol 
d'en  observer  un  certain  nombre  de  eas.  Ces  paraplégies  corticales 
habituellement  motriees,  s'aeeompagnent  souvent  de  phénoménal 
sensitifs    et     peuvent    même    quelquefois    revêtir    un    type    sensitif 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  DORIGLXE  CÉRÉBRALE  115 

prédominant  :  paraplégie  sensitive.  Alors  la  topographie  des  troubles 
sensitifs  peut  revêtir  aux  membres  inférieurs  une  topographie  radicu- 
laire.  Quand  les  troubles  sensitifs  sont  prédominants,  ils  donnent  au 
tableau  clinique  un  aspect  spécial  ainsi  que  j'ai  eu  l'occasion  de  l'obser- 
ver chez  trois  malades  avec  MM.  d'Œlsnitz  et  Cornil  et  réalisent  le  tjrpe 
de  ce  que  nous  avons  appelé  la  paraplégie  corticale  sensitivo-molrice  avec 
ataxie.  Il  existe  dans  ces  cas  une  démarche  spastique  des  membres  infé- 
rieurs avec  ataxie  exagérée  parla  fermeture  des  yeux,  du  signe  de  Rom- 
berg,  de  la  perte  de  la  sensibilité  osseuse,  du  sens  musculaire  et  articu- 
laire, du  sens  des  attitudes. 

AJastéréognosie  persiste  parfois  seule  et  pendant  très  longtemps 
chez  les  blessés  de  la  région  pariétale,  ainsi  que  l'ont  bien  montré 
MM.    Pierre  Marie  et  Chatelin,  Villaret  et  Mme  Bénisty. 

A  la  suite  d'essais  de  topographie  crânienne  cérébrale  faits  au  moyen 
du  procédé  radiologique  de  P.  Marie,  Foix  et  Bertrand,  Mme  Bénisty  a 
cru  pouvoir  fixer  la  localisation  du  sens  musculaire  et  plus  particulière- 
ment du  sens  de  Yorientation  dans  l'espace.  Pour  cet  auteur,  en 
effet,  le  sens  de  l'orientation  dans  l'espace  pendant  les  mouvements 
actifs  peut  être  lésé  indépendamment  du  sens  des  attitudes.  Ainsi 
la  capacité  de  s'orienter  dans  l'espace  étant  un  sens  complexe, 
délicat  et  fragile,  la  lésion  d'un  de  ses  éléments  quel  qu'il  soit, 
entraîne  son  altération,  alors  même  que  ses  autres  éléments  sont 
indemnes.  D'après  Mme  Bénisty,  enfin,  le  sens  des  attitudes  serait 
touché  lorsque  la  brèche  crânienne  empiète  sur  le  gyrus  supra- 
marginalis.  Les  lésions  correspondant  à  la  circonvolution  pariétale 
supérieure  et  aux  parties  adjacentes  de  la  pariétale  ascendante  donne- 
raient lieu  à  des  troubles  du  sens  de  l'orientation  dans  l'espace,  mais 
avec  conservation  du  sens  des  attitudes. 

Ce  sont  là  des  vues  très  intéressantes,  que  je  devais  vous  signaler,  mais 
qui  réclament,  pour  être  acceptées,  des  vérifications  anatomiques  plus 
précises. 

Pour  terminer  ce  qui  a  trait  aux  syndromes  pariétaux,  il  me  reste  à 
vous  dire  quelques  mots  d'une  question  extrêmement  importante  et  sur 
laquelle  nos  auteure  classiques,  français  tout  au  moins,  ont  insisté  fort 
peu  jusqu'ici  :  c'est  l'existence  à'anesthésies  à  type  longitudinal,  ou 
encore,  si  vous  voulez,  de  la  distribution  radiculaire  des  troubles  sensi- 
tifs dans  les  lésions  du  lobe  pariétal.  Ce  fait  était  déjà  connu  avant 
la  guerre  à  la  suite  des  recherches  de  Modden  (1893),  de  Bonhôffer,  de 
Mills  et  Weissemburg  (1906),  travaux  auxquels  mon  collègue  et  ami 
M.Lhermitte  a  consacré  en  1909  une  importante  revue  critique.  J'ajoute 


Jlti  GUSTAVE  ROUSS  y 


que  les  faits  d'observation  de  guerre  sont  venus  confirmer  l'existence 
possible  d'une  topographie  à  distribution  sensitive  radiculaire  dans  les 
lésions  corticales  et  qu'un  certain  nombre  d'exemples  en  ont  été  publiés, 
en  France  notamment,  par  Long  et  Ballivet,  Roger  et  Aimes,  Roussy  et 
Cornil,  A.  Bénisty. 

Dans  tous  ces  laits,  il  s'agit  de  troubles  sensitifs  distribués  en  bandes 
longitudinales,  qui  rappellentla  topographie  des  troubles  sensitifs  d'ori- 
gine spinale,  c'est-à-dire  à  systématisation  radiculaire. 

D'après  Russel,  Horsley,  il  y  aurait  pour  le  membre  supérieur  une 
représentation  sensitive  corticale  différente  :  pour  la  partie  externe 
moitié  pré-axiale  (sphère  radiale  C5  C6  C"),  pour  la  partie  interne  post- 
axiale (sphère  cubitale  C8  D1). 

Avant  la  guerre  on  discutait  sur  la  question  de  savoir  s'il  s'agissait  réel- 
lement là  d'une  topographie  corticale  ou  si,  au  contraire,  on  n'avait  pas 
affaire  à  des  lésions  associées  d'originespinale.  Il  semble  aujourd'hui  que 
l'on  peut  admettre  sans  conteste,  ainsi  que  l'a  rappelé  tout  dernièrement 
un  auteur  italien  M.  Calligaris  dans  la  Revue  Neurologique  (1920),  que 
les  troubles  sensitifs  du  type  radiculaire  peuvent  se  rencontrer  au  cours 
des  affections  strictement  limitées  du  cerveau,  et  ce  caractère,  nous  le 
verrons  tout  à  l'heure,  prend  une  réelle  importance  dans  la  discussion 
du  diagnostic  différentiel  du  syndrome  thalamique  et  des  syndromes 
pariétaux. 

Diagnostic  différentiel.  —  Je  rappellerai,  pour  les  éliminer,  que 
l'hystérie  et  les  hémi-anesthésies  d'origine  spinale  ne  peuvent 
guère  être    confondues  avec  les  hémiplégies   d'origine  corticale. 

En  effet,  dans  l'hystérie,  il  est  exceptionnel  (pie  l'ont  ait  affaire  à  des 
phénomènes  purement  sensitifs,  puisque  l'hystérie,  nous  le  savons, 
tend  bien  plus  volontiers  à  se  manifester  par  des  troubles  appa- 
rents, comme  les  troubles  moteurs.  D'ailleurs,  en  pareil  cas,  les 
signes  minutieusement  décrits  par  Babinski  pour  le  diagnostic  diffé- 
rentiel des  hémiplégies  organiques  et  hystériques  permettront  aisément 
de  faire  le  diagnostic. 

De   même,    il     est  toujours  facile   de    reconnaître    l'existence    d'uni 
hémiplégie  sensitive  d'origine  spinale,  puisqu'on   retrouve    là    les  signes 
du     syndrome    de    Brown-Sequard,    c'est-à-dire    l'hémiplégie    motrice  \ 
du    côté     de    la    lésion    et     l'hémiplégie    sensitive     du     côté    opposé 

Passons   maintenant    nu    diagnostic  différentiel    des  hémianesthêsie: 
d'origine   corticale    avec     celles    résultant    d'uuc    lésion   du    rhomben    • 
céphaleou  du  bulbe.  Les  schémas  ci-joints (fig.  ô-'.))  montrent  clairemen 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  117 

comment  un  foyer  de  destruction  dans  l'une  ou  l'autre  partie  du  tronc 
encéphalique  peut  venir  à  la  fois  sectionner  les  fibres  de  projection 
motrices  et  sensitives  et  se  caractériser  cliniquement  par  un  syndrome 
rappelant,  sinon  les  formes  pures,  tout  au  moins  les  formes  associées  du 
syndrome  thalamique  ou  du  syndrome  pariétal  :  c'est-à-dire  par  une 
hémiplégie  avec  un  maximum  de  troubles  sensitifs  et  un  minimum  de 
troubles  paralytiques.  Mais  l'adjonction  de  signes  nouveaux  résultant 
des  rapports  étroits  que  contractent,  dans  ces  régions,  les  grands 
faisceaux  de  projection  moteurs  ou  sensitifs  avec  les  origines  des  nerfs 
crâniens  viendra  donner  à  ce  complexus  symptomatique  une  note  topo- 
graphique distinctive  qui  permettra  de  les  reconnaître. 

Dans  les  lésions  des  tubercules  quadrijumeaux,  on  retrouvera  les 
signes  donnés  comme  caractéristiques  des  affections  quadrigéminales. 
Ce  sont,  pour  les  tubercules  quadrijumeaux  antérieurs,  des  troubles  et 
des  paralysies  visuelles,  de  la  dilatation  pupillaire  uni  ou  bilatérale 
avec  modification  des  réactions  à  la  lumière  et  à  l'accommodation,  des 
troubles  de  la  motilité  des  yeux  dans  les  mouvements  associés,  tels 
que  limitation  des  mouvements  en  haut  et  en  bas  ;  ces  paralysies 
musculaires  ne  sont  jamais  complètes.  En  plus  des  lésions  oculaires, 
on  observe  également  :  de  l'ataxie  dynamique,  de  l'ataxie  cérébelleuse 
et  enfin  des  tremblements  et  des  mouvements  choréiformes.  Dans 
les  affections  des  tubercules  quadrijumeaux  postérieurs,  on  observe 
souvent  de  la  diminution  de  l'acuité  auditive. 

Dans  une  observation  de  lésions  en  foyer  des  tubercules  quadri- 
jumeaux, rapportée  par  Raymond,  on  notait,  comme  dans  le  syn- 
drome thalamique  :  de  l'hémiparésie,  de  l'hémianesthésie  superfi- 
cielle et  profonde  très  marquée,  des  mouvements  athétosiques  des 
doigts  et  un  certain  degré  d'hémiataxie.  Mais,  en  plus,  il  existait  une 
paralysie  des  mouvements  associés  bilatéraux  des  globes  oculaires  et 
une  ébauche  du  signe  de  de  Graefe.  La  paralysie  oculaire  permet 
de  différencier  ce  syndrome  des  syndromes  thalamiques  ou  corti- 
caux. 

Pour  le  diagnostic  des  affections  protubcranlielles,  on  attachera  évi- 
demment quelque  importance  au  fait  que  les  troubles  sont  souvent 
bilatéraux,  que  l'hémiplégie  est  ordinairement  plus  grave  que  dans  les 
lésions  capsulaires  (par  lésions  des  voies  motrices  mésencéphaliques), 
qu'il  peut  exister  des  troubles  de  la  mastication,  etc.  ;  mais  ce  sont  sur- 
tout les  paralysies  alternes  et  les  paralysies  d'association  qui  ser- 
viront à  distinguer  les  affections  pontiques  des  affections  thala- 
miques. 


I  18 


GUS'I   \  I  /     ROUSSI 


Raymond  et  Cestan  ont  décrit  le  tableau  clinique  déterminé  par  une 
lésion  de  la  partie  supérieure  de  la  calotte  protubérantielle,  sous  le  nom 
de   syndrome  protubérantiel  supérieur  (fig.    7).    Nous  retrouvons  dans 

F"ig.  5-9.  Schémas  destinés  à  montrer  hi  localisation  des  lésions  dans  les  différents  syndromes  pro- 
duits par  un  foyer  sectionnant  les  voies  sensitivcs  centrales,  dans  leur  trajet  depuis  le  bulbe  jusqu'à 
leur  épanouissement  dans  le  thalamus.  (Fibres  motrices  en  grisé  pointillé  ou  en  traits  interrompus. 
Fibres   sensitives  en  grisé  serré  ou  en  traits  pleins.) 


Syndrome    thalamique. 

Fig.  5.  Le  foyer  (F)  siège  dans  la  partie  centrale  du  thalamus,  dans  les  noyaux 
externe  et  médian,  et  empiète  légèrement  sur  le  segment  post.  de  la  capsule  interne. 
Il  sectionne  les   fibres  du   Ruban  de^Reil  à  leur  terminaison  dans  le  thalamus. 


Syndrome  pédonculaire  (Weber). 

Fig.  6.  Dans    a  lésion  du    type   classique,    le  foyer   reste  cantonné  dans    le    pied    du 
pédoncule  (P)   intéressant    \i\    voie    pyramidale  et   les    libres  nnliculaires  de  11    111 
paire.  Dans  quelques  cas.    comme   ici  (F),  il  envahit  la  calotte,  intéresse  le    Ituban 
de     Reil    et    donne  en    clinique  une    paralysie  alterne    sensitivo-motiiee   avec  ili.i 
bisme  externe  du  côté  opposé. 


LES  TROUBLES  SENS1TIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE 


119 


Syndrome  protubérantiel   supérieur. 
(Raymond  et  Cestan.) 

Fig.  7.  Ici  le  foyer  (F)  intéresse  surtout  la  voie 
sensitive,  très  peu  les  fibres  de  la  voie  mo- 
trice. De  plus,  placé  entre  le  noyau  du  IV 
et  du  III,  il  sectionne  leurs  fibres  radicu- 
laires,  d'où  :  hémiplégie  légère,  hémianes- 
thésie  prononcée,  paralysie  des  mouvements 
associés  bilatéraux  des  globes  oculaires. 


Svndrome  protubérantiel  inférieur. 
(Millard-Gubler.) 

Fig.  8.  Dansla  lésion  habituelle,  le  foyer  est  plus 
inférieur  ou  ventral  et  sectionne  les  fibres 
pyramidales,  les  fibres  du  VI  et  quelquefois 
du  VII.  Ici  le  foyer  (F),  comme  il  arrive 
quelquefois,  envahit  le  Ruban  de  Reil,  don- 
nant un  type  de  paralysie  alterne  sensitivo- 
motrice  avec  strabisme  interne  et  paralysie 
faciale  opposée. 


Syndrome  bulbaire   'Babinski    et    Nageotte). 

Fig.  9.  En  réalité,  il  s'agissait  dans  ce  cas  de  foyers  mul- 
tiples (4)  que  nous  avons  ici  schématiquement  réunis 
en  une  seule  figure.  Ces  4  foyers  forment  donc  une  lésion 
complexe  (F>  qui  sectionne  le  faisceau  latéral  du  bulbe 
(Flta)  en  respectant  le  cérébelleux  ascendant  ;  il  inté- 
resse en  outre  le  Ruban  de  Reil  médian,  quelques  fibres 
de  la  pyramide,  les  nerfs  mixtes  et  le  faisceau  longitu- 
dinal postérieur,  la  voie  olivo-ciliaire,  les  fibres  descen- 
dant du  noyau  de  Deiters. 


leur  description  plusieurs  points  communs  avec  le  syndrome  thala- 
mique.  La  topographie  des  fibres  du  ruban  de  Reil  médian  et  des 
voies  sensitives    de  la  calotte,    ainsi  que  leurs  rapports  avec  les  autres 


120  r.rsTAVK  not  ss) 


faisceaux  de  projection,  pouvaient  d'ailleurs  le  faire  prévoir.  Ce 
syndrome  est  caractérisé  par  une  hémiplégie  peu  marquée  avec  con- 
servation de  la  force  musculaire,  de  tous  les  mouvements  spontanés  et 
l'intégrité  des  réflexes  tendineux  et  cutanés  ;  par  une  hémianesthésie 
superficielle  et  profonde  avec  fourmillements  et  parfois  sensation 
pénible  dans  les  membres  atteints  ;  par  de  l'incoordination,  des  mou- 
vements choréo-athétosiques,  des  tremblements  statiques,  de  l'asy- 
nergie  et  de  la  dysarthrie.  Mais,  fait  capital  pour  le  diagnostic  diffé- 
rentiel du  syndrome  protubérantiel  supérieur,  il  existe  toujours,  dans 
ce  dernier  cas,  une  paralysie  oculaire  des  mouvements  associés  de  bila- 
téralité  avec  secousses  nystagmiformes  dans  l'élévation  ou  l'abaisse- 
ment des  yeux.  A  l'examen  ophtalmoscopique,  on  note  quelquefois  de 
la  névrite  optique  œdémateuse. 

Ce  sont,  d'une  part,  ces  symptômes  oculaires  dénotant  d'après 
Raymond  et  Cestan  la  présence  d'une  lésion  extranucléaire  dans  la 
calotte,  et  d'autre  part  les  vertiges,  l'asynergie  et  la  dysarthrie,  tradui- 
sant l'atteinte  des  voies  cérébelleuses  protubérantielles,  qui  permettent 
de  différencier  du  syndrome  thalamique,  le  syndrome  protubérantiel 
supérieur. 

Les  syndromes  pédonculaire  et  protubérantiel  inférieur  sont  bien 
connus,  et  leur  différenciation  d'avec  les  syndromes  thalamiques  ou 
pariétaux  est  aisée,  grâce  à  la  présence  des  ophtalmoplégies,  de  l'in- 
tensité des  troubles  paralytiques,  de  l'absence  habituelle  des  troubles 
sensitifs. 

Le  syndrome  pédonculaire  (syndrome  de  Weber)  (fig.  6),  en  effet,  avec 
son  hémiplégie  croisée,  son  strabisme  direct  externe  et  l'intégrité  de  la 
sensibilité  ne  ressemble  en  rien  au  syndrome  thalamique.  Dans  certains 
cas  cependant,  lorsque  la  lésion  envahit  la  calotte  pédonculaire,  elle 
peut  atteindre  les  fibres  du  ruban  de  Reil  et  s'accompagner  d'hémianes- 
thésie  croisée  (hémiplégie  alterne  sensitivo-motrice)  d'hémiataxie, 
d'hémichorée  ou  enfin  d'hémitremblement  (syndrome  de  Bénédikt). 
Mais  ici  la  présence  de  la  paralysie  de  la  troisième  paire  ne  laisse  aucun 
doute  sur  le  siège  de  la  lésion. 

Le  syndrome  protubérantiel  inférieur  (syndrome  de  Millard-(iubler) 
(fig.  8)  dans  sa  forme  commune  :  hémiplégie  avec  paralysie  du  facial  et 
du  moteur  oculaire  externe  du  côté  opposé,  est  également  facile  à  recon- 
naître. Ici  encore,  comme  dans  le  syndrome  précédent,  les  troubles 
sensitifs  peuvent  s'associer  aux  troubles  moteurs  et  donner  lieu  à  une 
hémiplégie  alterne  sensitivo-motrice,  avec  quelquefois,  phénomènes 
asynergiques   et   hémichorée.   L'alternance   des  signes,  à  la   face    et   au 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  121 

tronc,  et  la  présence  de  paralysies  oculaires,  ne  laissent  aucun  doute 
pour  le  diagnostic. 

Nous  ne  ferons  que  signaler  en  passant,  et  sans  nous  y  arrêter,  le  syn- 
drome bulbaire  de  Babinski  et  Nageotte  (fig.  9),  dans  lequel  on  observe, 
en  plus  dune  hémiplégie  sensitivo-motrice  croisée  :  del'hémiasynergie, 
de  la  latéropulsion  et  du  myosis  du  côté  de  la  lésion.  Ce  syndrome 
bulbaire  n'a  vraiment  rien  de  commun  avec  le  syndrome  thala- 
mique. 

Le  diagnostic  différentiel  entre  le  syndrome  sensitif  cortical  et  le 
syndrome  ihalamique  est  beaucoup  moins  aisé. 

Pour  les  lésions  du  cortex,  l'absence  de  douleur  et  de  mouvements 
choréo-athétosique,  la  présence  possible  de  troubles  sensitifs  à  topo- 
graphie radiculaireet,  lorsque  les  lésions  siègent  à  gauche,  la  présence 
de  l'aphasie  permettront   de  faire    le  diagnostic. 

Les  difficultés  de  ce  diagnostic  différentiel  ont  incité  les  auteurs 
à  rechercher  dans  les  modalités  des  troubles  sensitifs  eux-mêmes 
des  signes  distinctifs  permettant  de  faire  la  discrimination  du 
siège  des  lésions  dans  le  cortex  ou  la  couche  optique.  MM.  Head  et 
Holmes  ont  poursuivi  ces  recherches  sur  un  très  grand  nombre  de 
malades  et  ont  publié  une  série  de  travaux  des  plus  intéressants,  dont 
je  voudrais  très  rapidement  vous  rappeler  les  traits  principaux.  D'après 
Head,  un  caractère  différentiel  important  réside  en  ce  que,  dans  les 
lésions  corticales,  les  résultats  de  l'examen  objectif  de  la  sensibilité 
varient  beaucoup  suivant  les  moments,  ce  qui  résulte  du  défaut  d'at- 
tention et  de  jugement  ainsi  que  de  la  fatigue  extrêmement  rapide  que 
présentent  les  malades.  Au  contraire,  dans  les  lésions  thalamiques,  les 
troubles  sensitifs  sont  fixes  et  permanents.  Monier-Vinard,  au  Congrès 
<le  Neurologie  du  Puy(1913),  s'est  fait  le  défenseur  de  la  théorie  de 
Head.  J'ajouterai  que  personnellement,  je  n'ai  retrouvé  que  très  excep- 
tionnellement cette  fatigabilité  d'une  façon  suffisamment  nette  pour 
permettre  d'affirmer  une  lésion   de  l'écorce  cérébrale. 

De  plus,  Head  admet  que  dans  les  lésions  de  la  couche  optique  appa- 
raît un  facteur  nouveau  :  la  tendance  à  réagir  de  façon  excessive  à  toute 
excitation  déplaisante  ou  plaisante.  C'est  ce  qu'il  appelle  la  sur-réaction. 
Celle-ci  apparaît  évidente  dans  les  réponses  aux  excitations  déplai- 
santes, comme  la  piqûre,  le  chaud  et  le  froid,  dans  l'exploration  de  la 
sensibilité  viscérale  (compression  testiculaire)  et  encore  dans  les  exci- 
tations un  peu  spéciales,  comme  le  grattage,  le  frottement  des  poils  et 
le  chatouillement.  Elle  se  manifeste  aussi  dans  les  réponses  aux  excita- 
tions agréables  ;  une  excitation  par  une  température  moyenne  donne  une 


122  Gl  STA  VE  ROI  SS  I 


sensation  particulièrementagréable.  Enfin  il  y  aurait  dans  les  états  affec- 
tifs et  émotifs,  une  manière  d'être  et  surtout  une  manière  de  réagir  par- 
ticulière du  eôté  atteint,  chez  les  malades  atteints  de  lésion  thalamique. 
Comme  les  excitations  mécaniques,  thermiques,  etc.,  l'émotion,  les  états 
psychiques  de  plaisir,  de  réconfort,  provoquent  dans  la  moitié  malade 
du  corps  des  manifestations  spéciales.  Certains  malades  de  Head  no- 
tamment étaient  incapahles  d'entendre  delà  musique  :  l'un  de  ces  ma- 
lades ne  pouvait  aller  à  l'église  parce  qu'il  ne  pouvait  «  supporter  les 
hymnes  de  son  côté  malade  »,  et  son  fils  disait  que  pendant  les  chants, 
il  frottait  continuellement  sa  main  malade.  Un  autre  malade,  assistant 
au  service  funèbre  du  roi  Edouard  VII,  est  pris,  aussitôt  que  le  chœur 
chante,  d'une  horrible  sensation  du  côté  malade  et  la  jambe  tordue  se 
meta  trembler.  «  Les  chants  comiques  laissent  les  malades  indifférents 
alors  que  les  chants  tristes  produisent  un  effet  violent.  » 

Dans  les  lésions  corticales,  au  contraire,  l'excitation  tactile  donne  des 
sensations  irrégulières,  et  comme  nous  l'avons  vu,  une  fatigabilité 
extrêmement  rapide.  La  douleur  et  la  température  sont  en  général  nor- 
males ;  quelquefois  la  discrimination  est  moins  complète  qu'à  l'état 
normal  ;  une  température  de  40°  par  exemple,  est  appréciée  comme 
plus  chaude  qu'une  température  de  45°.  La  discrimination  tactile  est 
fortement  altérée  ;  elle  peut  être  ou  non  associée  aux  autres  trou- 
bles de  la  sensibilité  superficielle.  Enfin  pour  les  sensibilités  profon- 
des et  le  sens  stéréognostique,  Head  a  pu  confirmer  les  travaux  de  ses 
prédécesseurs. 

Pour  apprécier  l'activité  essentielle  du  centre  thalamique,  Head 
s'appuie  sur  les  conclusions  de  Hughlings  Jackson  relative  à  l'augmen- 
tation du  tonus,  augmentation  que  ce  dernier  auteur  attribue  à  l'acti- 
vité des  centres  sous-corticaux  délivrés  du  contrôle  cortical.  Il  admet 
comme  loi  qu'aucune  lésion  destructive  ne  peut  produire  un  effet  posi- 
tif direct,  et  adaptant  cette  loi  aux  lésions  de  la  couche  optique,  il  sup- 
pose qu'au  moyen  des  voies  cortico-thalamiques  s'exerce  un  contrôle 
du  cortex  sur  le  thalamus.  Qu'une  lésion  vienne  interrompre  ces  con- 
nexions, le  thalamus,  privé  du  contrôle  cérébral,  est  placé  dans  UH  état 
particulier  de  suractivité  permanente. 

J'ai  cru  intéressant  de  rappeler  les  récents  travaux  de  Head  qui 
ouvrent  des  horizons  très  nouveaux  sur  la  physiologie  du  thalamus 
quoique  ces  recherches,  du  plus  haut  intérêt,  demandent  à  être 
vérifiées    par  des  examens  anatoiniques. 


LES  TROUBLES  SENSITIFS  D'ORIGINE  CÉRÉBRALE  123 


Messieurs, 

Il  ressort  des  notions  que  je  viens  de  vous  exposer,  et  qui  viennent 
d'être  récemment  appuyées  par  les  faits  d'observation  tirés  de  la 
guerre,  que  les  lésions  cérébrales  intéressant  uniquement  ou  essen- 
tiellement les  voies  sensitives  peuvent  s'extérioriser  en  clinique  par 
deux  grands  syndromes  :  le  syndrome  thalamique  et  le  syndrome 
pariétal.  L'un  et  l'autre  sont  étayés  à  l'heure  actuelle  sur  des  bases 
anatomo-pathologiques  suffisamment  solides  pour  qu'il  soit  légitime 
de   leur  faire  une  place  dans  le  cadre  nosographique. 

D'autre  part,  et  en  se  plaçant  sur  le  terrain  anatomique  et  physiolo- 
gique, on  peut  admettre  qu'il  existe  dans  le  cerveau  deux  masses  grises 
ou  centres  sensitifs,  au  niveau  desquels  les  impulsions  afférentes  évo- 
quent cet  état  particulier  que  nous  appelons  sensations.  Ces  deux 
masses  grises  sont  le  thalamus  et  le  cortex  du  lobe  pariétal. 

Le  thalamus  représente,  ainsi  que  nous  avons  personnellement 
contribué  à  l'établir,  un  centre  terminal  pour  un  certain  nombre  de 
modalités  sensitives,  puisque  c'est  à  son  niveau  que  se  fait  le  reïai  de 
toutes  les  voies  sensitives  montant  de  la  moelle  à  travers  le  bulbe, 
la  protubérance  et  les  pédoncules. 

De  plus,  il  semble  logique  d'admettre  avec  Head  que  le  thalamus 
constitue  aussi  un  centre  d'élaboration  de  certaines  impulsions  sensi- 
tives, impulsions  d'ordre  secondaire,  élémentaire,  soumis  au  contrôle 
des  centres  supérieurs. 

Ceux-ci  sont  placés  au  niveau  de  la  corticalité  du  lobe  pariétal,  et 
c'est  là  que  s'établit  le  contrôle  conscient  des  impulsions  sensitives  :  la 
fixation  de  l'attention,  la  faculté  de  discrimination   élective. 

Si,  pour  terminer,  on  s'élève  davantage  dans  la  conception  et  l'inter- 
prétation de  la  physiologie  générale  des  sensations  et  du  mouvement, 
si  on  rapproche  les  données  exposées  ci-dessus  sur  les  centres  sensi- 
tifs de  celles  récemment  acquises  sur  les  centres  moteurs  du  cerveau, 
on  est  tout  naturellement  conduit  à  établir  un  parallèle  entre  ces  deux 
grands  types  de  fonctions  motrices  et  sensitives  dans  leurs  rapports 
avec  les  noyaux  gris  centraux  d'une  part  et  la  corticalité  cérébrale 
d'autre  part. 

En  effet,  nous  savons  à  l'heure  actuelle,  grâce  aux  travaux  récents  de 
Modden,  de  Cécile  et  Oscar  Vogt,  de  Ramsay  Hunt,  de  Lhermitte  et 
Cornil  entre  autres,  que  les  corps  striés  (noyau  caudé  et  noyau  lenti- 
culaire) représentent  les  centres  des  mouvements  automatiques,  c'est- 
à-dire  de  la  marche,  des  mouvements  de  défense,  de  la  déglutition,   de 


Ul  GUSTAVE  HOUSSV 


la  phonation,  etc..  en  somme  de  tous  ces  mouvements  qui  ne  sont  pas 
placés  sons  le  contrôle  de  la  conscience,  alors  que  la  frontale  ascendante 
et  la  région  motrice  de  l'écorce  sont  le  siège  des  centres  moteurs  volon- 
taires. 

Il  est  même  permis,  à  l'heure  actuelle,  semhle-t-il,  de  considérer  la 
couche  optique  —  masse  grise  centrale  adjacente  au  corps  strié  —  comme 
le  centre  des  sensations  primaires,  élémentaires,  dont  la  discrimina- 
tion élective  et  le  perfectionnement  vont  se  faire  au  niveau  du  lohe 
pariétal. 

Ainsi  s'éclairent  de  plus  en  plus  le  rôle  des  noyaux  gris  centraux 
dont  l'observation  anatomo-clinique,  appuyée  sur  l'étude  ontogénique 
et  phylogénique;  nous  permet  de  saisir  toute  l'importance  physiolo- 
gique. 


CINQUIÈME   CONFÉRENCE 


GEORGES  GUILLAIN 

Professeur  agrégé  de  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris,  Médecin  de  1  Hôpital 
de  la  Charité,    Membre   de  l'Académie  de  Médecine. 


LES  LÉSIONS  TRAUMATIQUES  DE  LA   MOELLE   ÉPINIÈRE 


Messieurs, 

Le  sujet  de  cette  conférence  me  paraît  tout  particulièrement  inté- 
ressant au  point  de  vue  de  la  clinique  neurologique,  de  la 
physiologie  générale  du  système  nerveux  et  de  la  thérapeutique. 
Quelle  que  soit  l'orientation  future  de  votre  carrière  médicale  ou  chirur- 
gicale, vous  aurez  l'occasion  d'observer  des  traumatismes  rachidiens, 
vous  devrez  déterminer  l'existence  éventuelle  d'une  lésion  médullaire, 
le  siège  de  celle-ci,  son  pronostic  ;  ce  sont  des  questions  qui  se  posent 
chaque  jour  dans  les  expertises  d'accident  du  travail.  Au  point  de  vue 
de  la  physiologie  générale  du  système  nerveux,  les  lésions  traumati- 
ques  de  la  moelle  réalisent  de  véritables  expériences  de  physiologie 
chez  l'homme  ;  la  guerre  européenne,  et  cette  constatation  trop  réelle 
est  navrante,  a  multiplié  de  telles  lésions,  les  neurologistes  ont  eu  un 
champ  d'étude  très  vaste,  trop  vaste,  à  explorer,  ils  ont  poursuivi  en 
France  et  dans  tous  les  autres  pays  belligérants  des  travaux  multiples 
sur  le  tonus,  les  réflexes  tendineux  et  cutanés,  les  réflexes  d'automa- 
tisme médullaires,  somme  toute  sur  les  questions  les  plus  captivantes 
de  la  neurologie  moderne.  Au  point  de  vue  de  la  thérapeutique,  je  vous 
montrerai  combien  doit  être  intime  la  collaboration  du  chirurgien  et  du 
neurologiste  pour  poser  des  indications  opératoires  rationnelles  dans 
les  cas  de  traumatisme  médullaire  ;  une  telle  collaboration  est  d'une 
importance  primordiale  pour  les  blessés. 

J'utiliserai,  pour  vous  exposer  cette  question  des  lésions  traumatiques 
de  la  moelle,  d'une  part  les  travaux  des  neurologistes,  d'autre  part  une 
documentation  très  riche  que  nous  avons  recueillie  avec  M.  J. -A.  Barré, 


126  G.  GJ   //./    W  \ 


professeur  à  la  Faculté  de  Médecine  de  l'Université  de  Strasbourg, 
mon  collaborateur  durant  la  guerre  au  Centre  Neurologique  de  la 
VIe  Année. 

Je  n'ai  ni  la  prétention,  ni  la  possibilité,  de  vous  faire,  dans  cette 
unique  conférence,  une  étude  complète  des  lésions  traumatiques  de  la 
moelle  ;  je  vous  synthétiserai  les  points  de  la  question  qui  me  parais- 
sent importants  on  nouveaux,  j'éviterai  les  discussions  théoriques  et 
doctrinales, les  spéculations  douteuses,  désirant  rester,  pour  vous  être 
pins  utile,  sur  le  terrain  neurologique  pratique. 


Les  causes  des  lésions  traumatiques  de  la  moelle  sont  nombreuses. 
Souvent  il  s'agit  d'un  traumatisme  rachidien  violent  par  chute  d'un  lieu 
plus  ou  moins  élevé,  d'un  traumatisme  par  éboulement  ;  dans  ces  cas, 
une  fracture  ou  une  luxation  du  rachis  ne  sont  pas  rares.  Ailleurs,  il 
s'agit  d'une  plaie  de  la  moelle  par  coup  de  couteau,  cette  pathogénic  est 
assez  souvent  constatée  dans  les  observations  de  syndrome  de  Brown- 
Sequard.  Les  blessures  par  armes  à  feu  sont  parmi  les  causes  les  plus 
fréquentes  des  lésions  traumatiques  de  la  moelle,  blessures  par  balles 
de  fusil,  éclat  d'obus,  schrapnell  en  temps  de  guerre,  blessures  par 
balle  de  browning  ou  de  tout  autre  revolver  en  temps  de  paix.  A  ce 
sujet,  je  ne  voudrais  pas  vous  laisser  croire  qu'il  existe  une  neurologie 
du  temps  de  guerre  différente  de  la  neurologie  du  temps  de  paix.  La 
neurologie  du  temps  de  guerre  et  la  neurologie  du  temps  de  paix  étu- 
dient les  mêmes  lésions,  les  mêmes  symptômes,  les  mêmes  traitements, 
et  je  puis  vous  en  donner  un  exemple  immédiat.  Deux  des  malades  (pie 
je  vous  ai  amenés,  et  qui  sont  actuellement  en  traitement  dans  mon 
service  de  l'Hôpital  de  la  Charité,  sont  deux  blessés  de  la  moelle,  dont 
l'un  a  reçu  une  balle  de  browning  au  cours  d'une  rixe  nocturne,  dont 
l'autre  a  fait  une  tentative  de  suicide  avec  un  revolver  de  même  nature  ; 
or,  ces  deux  blessés  du  temps  de  paix  sont,  au  point  de  vue  de  la  cli- 
nique neurologique,  absolument  semblables  à  ceux  (pie  j'ai  si  souvent 
examinés  durant  la  guerre. 

Vous  n'observerez  qu'exceptionnellement  des  lésions  traumatiques  de 
la  moelle  intéressant  les  trois  premiers  segments  cervicaux,  alors  (pie 
vous  observerez  des  lésions  de  tous  les  autres  segments  cervicaux,  dor- 
saux ou  lombaires  ;  c'est  qu'en  effet  les  blessures  des  trois  premiers 
lits  >('t\  icanx  juxta-bulbaires  entraînent  presque  toujours  la  mort 
immédiate  ou  presque  immédiate. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  127 

Je  vous  signale  aussi  que  presque  toutes  les  blessures  de  la  moelle 
par  armes  à  feu,  à  part  quelques  cas  rares,  ont  leur  porte  d'entrée  dans 
la  région  dorsale,  parfois  aussi  dans  la  région  latérale  du  tronc  et  du  cou. 
Il  est  exceptionnel  de  voir  des  lésions  de  la  moelle  dont  la  porte  d'en- 
trée esta  la  partie  antérieure  du  thorax  ou  de  l'abdomen.  Ce  fait  s'expli- 
que très  bien.  Un  projectile  à  porte  d'entrée  antérieure,  avant  d'at- 
teindre la  moelle,  lèse  préalablement  l'estomac,  l'intestin,  le  foie,  la  rate, 
le  médiastin,  le  cœur,  les  gros  vaisseaux  ;  de  telles  blessures  sont  par 
elles-mêmes  souvent  mortelles. 


Je  n'ai  pas  l'intention  d'insister  spécialement  sur  l'anatomie  patho- 
logique des  lésions  médullaires  traumatiques  ;  toutefois  quelques 
notions  me  paraissent  indispensables  à  vous  faire  connaître  pour  la 
compréhension  de  la  symptomatologie. 

Les  lésions  du  rachis,  dans  les  cas  de  traumatisme  simple,  peuvent 
consister  en  fractures  ou  luxations.  Dans  les  cas  de  plaies  de  la  moelle 
par  armes  à  feu,  balles  ou  éclats  d'obus,  les  lésions  rachidiennes  sont 
très  variables.  La  vertèbre  est  souvent  fracturée,  il  existe  soit  un 
simple  orifice,  soit  des  esquilles  multiples,  et  ces  esquilles  peuvent 
être  projetées  dans  le  tissu  médullaire  lui-même.  Les  hémorrhagies 
sont  souvent  abondantes,  extra-dure-mériennes,  sous-arachnoïdiennes, 
intra-médullaires.  La  moelle  peut  être  sectionnée  partiellement  ou 
totalement. 

La  section  totale  de  la  moelle,  sur  laquelle  on  a  beaucoup  écrit,  est 
infiniment  plus  rare  qu'on  ne  l'a  dit.  Durant  la  guerre,  nombre  de  bles- 
sés de  la  moelle  paraplégiques  étaient  évacués  avec  une  fiche  spécifiant: 
«  Plaie  par  éclat  d'obus,  section  de  la  moelle  »  ;  la  plupart  d'entre  eux, 
en  réalité,  n'avaient  aucune  section  de  la  moelle  ;  vous  devez  éviter  ces 
diagnostics  simplistes  et  erronés.  Je  puis  d'ailleurs  vous  donner  à 
ce  sujet  quelques  précisions.  En  1916,  au  Centre  Neurologique  de  la 
VI1'  Armée,  durant  la  grande  offensive  de  la  Somme,  nous  avons, 
M.  J.-A.  Barré  et  moi,  reçu  225  cas  de  plaies  de  la  moelle,  138  autop- 
sies ont  été  faites  ;  sur  ces  138  autopsies,  nous  n'avons  observé  que 
15  cas  de  section  totale  médullaire  vraie.  En  1917,  durant  une  offensive 
dans  les  Flandres,  j'ai  observé  à  l'Hôpital  de  Zuydeoote.  à  l'Ambulance 
automobile  chirurgicale  dirigée  par  mon  ami  Pierre  Duval,  20  cas  de 
lésions  médullaires  ;  sur  8  autopsies  faites,  je  n'ai  constaté  qu'un  seul 
cas  de  section  médullaire  totale  vraie.  Si  j'insiste  sur  ce  point,  c'est 
que  certains  auteurs  semblent  considérer  la   section    médullaire    corn- 


[28  G.  Gl  ILLAlh 


plète,  comme  étant  très  fréquente  ;  orje  suis  surpris  de  constater  que, 
dans  un  lus  grand  nombre  des  cas  publiés,  il  n'y  a  pas  d'autopsie  ; 
le  diagnostic  de  section  complète  de  la  moelle  a  été  fait  par  les  seuls 
symptômes  cliniques.  Je  considère  qu'un  cas  de  section  complète  vraie 
de  la  moelle  est  un  cas  où  l'autopsie  permet  de  constater  un  segment 
supérieur  et  un  segment  inférieur  séparés  l'un  de  l'autre  par  l'intervalle 
de  un  ou  plusieurs  centimètres.  Je  fais  certaines  réserves  sur  les  cas 
dits  de  section  de  la  moelle  à  la  suite  de  luxation  du  rachis,  cas  où  la 
moelle  n'est  pas  interrompue,  où  il  existe  encore  une  cicatrice  scléreuse 
entre  les  deux  fragments  ;  on  ne  sait  pas  si  la  section,  dite  complète  parce 
qu'on  ne  trouve  pas  à  l'examen  anatomique  de  fibres  nerveuses  dans  le 
tissu  cicatriciel,  n'a  pas  été  une  section  tardive  due  à  cette  sclérose 
progressive.  Cette  discussion,  Messieurs,  peut  vous  paraître  un  peu 
oiseuse,  mais  l'étude  des  symptômes  de  la  section  médullaire  totale  est 
d'une  telle  importance  au  point  de  vue  de  la  physiologie  générale  de  la 
moelle  que  les  réserves  que  j'ai  faites  me  paraissent  s'imposer.  Je  me 
permettrai  d'ajouter  que,  durant  la  guerre,  nous  avons,  avec  M.  J.-A. 
Barré,  apporté  la  relation  de  17  cas  de  section  anatomique  complète 
vraie  de  la  moelle;  cette  statistique  est,  je  le  crois,  la  plus  importante  qui 
ait  été  donnée  dans  la  littérature  neurologique. 

Si  la  section  anatomique  totale  vraie  de  la  moelle  est  relativement 
rare,  la  section  physiologique  par  hémorrhagie,  myélomalacie,  est  infi- 
niment plus  fréquente. 

Dans  les  cas  de  section  médullaire  récente,  vous  constaterez  souvent 
la  persistance  d'un  pont  méningé  dure-mérien,  vous  noterez  l'écarte- 
ment  des  deux  fragments,  vous  remarquerez  la  présence  de  myé- 
lomalacie, d'hémorrhagies  péri-jacentes,  et  vous  spécifierez  avec- 
soin,  dans  les  autopsies,  les  lésions  des  racines,  leur  arrachement 
éventuel.  Lorsque  l'autopsie  est  faite  à  une  phase  tardive,  il  existe 
fréquemment  de  la  pachy méningite  scléro-lipomateuse,  les  frag- 
ments médullaires  supérieurs  et  inférieurs  dans  la  zone  adjacente  à  la 
section  sont  sclérosés.  J'attirerai  votre  attention  sur  ce  point  que, dans 
nombre  de  cas  de  sections  médullaires  totales  publies  dans  la  littérature 
médicale,  il  s'agit  de  compressions  très  accentuées  par  des  vertèbres 
luxées,  la  moelle  alors  n'est  pas  anatomiquement  interrompue,  il  existe 
une  cicatrice  scléreuse  dans  laquelle  la  méthode  de  Bielschowsky  ne 
permet  pas  de  reconnaître  des  libres  nerveuses.  Souvent,  dans  les  foyers 
de  myélomalacie  cicatricielle  des  lésions  traumatiques  médullaires,  on 
trouve  des  vestiges  de  cylindres-axes,  des  corps  granuleux,  îles  vais- 
seaux scléreux,  hyalins. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  129 

Nous  avons  insisté,  M.  J.-A.  Barré  et  moi-même,  sur  les  lésions  qui 
peuvent  exister  dans  la  moelle  à  distance  du  traumatisme,  lésions 
d'hématomyélie  ou  de  myélomalacie,  qu'il  est'très  important  de  connaître, 
car  elles  expliquent  certains  signes  cliniques.  M.  Lhermitte  a  pu  étudier 
histologiquement  ces  lésions  à  distance  dans  les  sections  ou  lésions 
médullaires  graves.  Il  a  vu,  dans  le  segment  supérieur,  les  foyers  d'hé- 
morrhagie  et  de  nécrose  et  une  lésion  qu'il  décrit  sous  le  nom  de  «  dé- 
génération primitive  aiguë  traumatique  des  fibres  à  myéline  »  ;  cette 
lésion  est  constituée  par  des  altérations  du  cylindre-axe,  lequel  présente 
des  sphères  de  dimensions  colossales,  par  la  désintégration  de  la  gaine 
de  myéline,  la  formation  de  corps  granuleux,  l'augmentation  du  réseau 
névroglique;  on  voit  aussi  des  cellules  de  névroglie  amiboïdes  avec  des 
prolongements  protoplasmiques  qui  enlacent  les  gaines  myéliniques  en 
voie  de  désintégration.  Les  altérations  histologiques  du  segment  infé- 
rieur de  la  moelle  décrites  par  M.  Lhermitte  se  caractérisent  aussi 
par  la  dégénérescence  primitive  aiguë  des  fibres  à  myéline,  par  la  sclé- 
rose névroglique,  par  des  lésions  nécrotiques  avec  transformation 
possible  en  cavités  syringomyéliques  indépendantes  de  l'épendyme  et 
ne  possédant  pas  de  revêtement  épithélial.  Certains  auteurs  ont  constaté 
des  lésions  de  cellules  radiculaires  antérieures  caractérisées  par  la 
tuméfaction  du  protoplasma  avec  noyau  excentrique,  chromolyse,  dégé- 
nérescence vacuolaire  ;  M.  Lhermitte  considère  les  lésions  cellulaires 
comme  discrètes,  il  a  noté  la  surcharge  pigmentaire,  l'état  poussiéreux 
du  cytoplasme,  la  disparition  du  noyau,  la  raréfaction  des  neuro- 
fibrilles. 

Chez  les  sujets  ayant  survécu  à  des  lésions  traumatiques  anciennes 
de  la  moelle,  nombre  d'auteurs,  MM.  Leyden,  Oppenheim  et  Siemer- 
ling,  Babinski  et  Zachariades,  Marinesco,  Pierre  Marie  et  Foix,  Claude 
et  Lhermitte,  ont  décrit  des  altérations  des  nerfs  périphériques,  qui 
siègent  spécialement  sur  les  branches  du  nerf  sciatique  et,  en  parti- 
culier, sur  le  nerf  sciatique  poplité  externe. 

A  l'autopsie  de  ces  lésions  médullaires  traumatiques,  on  peut  voir 
aussi  des  méningites  séreuses,  qui  ont  une  importance  au  point  de  vue 
anatomo-clinique.  M.  Foerster  (de  Breslau)  a  étudié  ces  faits  au  Con- 
grès des  médecins  neurologistes  allemands  tenu  à  Leipzig  en  septem- 
bre 1920,  où  les  lésions  traumatiques  de  la  moelle  ont  fait  le  sujet  d'une 
discussion  générale.  Il  me  paraît  d'ailleurs  intéressant  de  constater  que 
les  observations  faites  par  les  neurologistes  allemands  durant  la  guerre 
ont  été  semblables  à  celles  faites  par  les  neurologistes  des  pays 
alliés. 

CONFÉU.    NKUROL.  9 


130  G.  G\  ILLAIN 


Je  voudrais  encore  attirer  votre  attention  sur  certaines  lésions  ana- 
tomo-pathologiques  très  spéciales,  ce  sont  les  lésions  intra-médullaires 
créées  par  le  simple  passage  d'un  projectile  à  une  certaine  distance  de  la 
moelle, sans  que  la  dure  mère  ait  été  atteinte  ;  nous  avons,  avec  M.  ,1. -A. 
Barré, observé  15  cas  mortels  de  cette  variété  de  lésions  traumatiques  de 
la  moelle.  On  constate  souvent  alors  des  lésions  rachidiennes,  dont  les 
principales  sont  :  1"  une  fracture  des  apophyses  épineuses  ou  des  lames 
vertébrales  à  leur  hase;  2°  la  formation  d'un  véritable  tunnel  dans  un  corps 
vertébral.  La  dure-mère  reste  absolument  intacte.  La  lésion  médullaire 
prédominante  dans  toutes  nos  autopsies  fut  l'hématomyélie.  Celle-ci  peut 
être  pure  et  isolée,  sans  aucune  autre  altération  visible  macroscopique- 
ment,  sans  aucune  modification  de  consistance  du  parenchyme  médul- 
laire; parfois  elle  est  associée  à  des  lésions  de  nécrose  aiguë  et  de  myéloma- 
lacie.  Dans  certains  cas  l'hématomyélie  est  minime;  dans  d'autres  elle  s'é- 
tend sur  plusieurs  segments,  un,  deux,  quatre,  six  et  même  onze  segments. 
En  largeur,  elle  affecte  des  étendues  très  variées,  mais  intéresse  rare- 
ment la  tranche  entière  d'un  des  segments  lésés  Parfois,  alors  qu'elle 
semble  se  terminer  à  un  niveau  donné,  l'examen  des  segments  sus  ou 
sous-jacents  montre  qu'il  existe  un  nouveau  foyer  sans  rapport  de  con- 
tinuité avec  le  premier  et  situé  même  du  côté  opposé.  Ces  foyers  d'hé- 
matomyélie  peuvent  siéger  soit  dans  la  substance  grise,  soit  dans  la 
substance  blanche,  contrairement  à  ce  que  l'on  observe  dans  l'hémato- 
myélie spontanée  ou  l'hématomyélie  de  décompression.  Lorsque  la 
survie  a  été  assez  longue,  une  partie  de  la  zone  hémorrhagique  se 
ramollit.  Plusieurs  fois  nous  avons  constaté,  avec  M.  J.-A.  Barré, 
de  véritables  kystes  à  parois  épaissies,  de  véritables  cavités.  A  côté  îles 
lésions  d'hématomyélie,  on  peut  voir  des  lésions  de  nécrose  médullaire 
aiguë. 

Nous  avons  noté,  dans  plusieurs  cas,  en  plus  de  l'hématomyélie,  une 
hémorrhagie  extra-médullaire  assez  abondante  se  présentant  sous  la 
forme  d'un  caillot  volumineux  li\é  sur  la  moelle,  recouvrant  l'une  OU 
l'autre  (lèses  faces,  ou  lui  formant  une  gaine  complète.  Enfin  nous  avons 
constaté  parfois  l'existence  d'adhérences,  serrées  ou  résistantes,  ou 
molles  et  lâches,  unissant  la  dure-mère  à  la  moelle,  formant  une  sorte  de 
symphyse  en  anneau,  qui  pouvait  empêcher  toute  communication  du 
liquide  céphalo-rachidien  entre  les  étages  sus  et  sous-jacents. 

L'existence  de  ces  héninlomyélies  traumatiques  sans  lésions  de  la 
dure-mère  est  absolument  indiscutable.  Leur  pathogénie  dépend  sans 
doute  de  modifications  delà  pression  intra -rachidienne  qui  fait  éclater 
les  vaisseaux.  Je  vous  rappellerai   d'ailleurs  que   l'on   peut   observer 


LES  LÉSIONS    TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  131 

dans  l'encéphale  des  lésions  hémorrhagiques  plus  ou  moins  profon- 
des, consécutivement  à  des  fractures,  à  des  fissures  osseuses,  ou 
même  à  de  simples  contusions  crâniennes  sans  lésions  de  la  dure- 
mère. 

MM.  Claude  et  Lhermitte  ont  apporté  une  contribution  intéressante 
et  utile  à  l'étude  des  lésions  histologiques  des  commotions  médullaires 
directes  ;  ces  auteurs  ont  constaté,  ainsi  que  MM.  Henneberg,  Bor- 
chardt,  Arbrey  Mussen,  des  lésions  nombreuses  et  diverses  :  foyers  de 
nécrose  insulaire  de  la  substance  blanche  et  grise  ;  myélomalacie  pure 
avec  disparition  des  éléments  nerveux,  corps  granuleux  névrogliques 
bourrés  de  granulations  lipoïdiques,  dilatation  des  gaines  périvascu- 
laires  remplies  de  corps  granuleux.  Us  ont  retrouvé  aussi  cette  lésion  de 
dégénération  primaire  aiguë  des  fibres  à  myéline  déjà  signalée  par 
MM.  Sehiefferdecker,  Strumpell,  Bruns,  Schmaus,  Hartmann,  Obers- 
teiner,  A.  Jakob;  la  dégénérescence  se  limite  le  plus  souvent  au  territoire 
marginal  de  la  moelle  ;  le  tissu  spinal  a  un  aspect  réticulé  par  suite  de 
la  distension  des  mailles  de  la  névroglie,  au  sein  des  vacuoles  on  voit 
des  cylindres-axes,  les  uns  grêles,  les  autres  volumineux,  énormes  (cor- 
puscules hyalins  de  Schmaus)  sur  les  coupes  longitudinales  des  renfle- 
ments du  cylindre-axe  atteignent  quarante  ou  cinquante  fois  le  volume 
du  cylindre-axe  normal  et  se  continuent  avec  une  fibre  plus  ou  moins 
altérée.  Une  autre  lésion  visible  est  l'augmentation  de  la  fibre  tron- 
çonnée en  plusieurs  segments  pelotonnés  sur  eux-mêmes.  Certaines  cel- 
lules névrogliques  se  multiplient  et  forment  de  véritables  myélophages 
névrogliques.  MM.  Claude  et  Lhermitte  attirent  l'attention  sur  les  alté- 
rations du  canal  de  l'épendyme  ;  ce  canal  peut  être  aplati,  dilaté,  rompu, 
obstrué  de  corps  granuleux  ou  de  coagulats  albumineux.  On  s'explique 
ainsi  très  bien  la  possibilité  de  ces  syringomyélies  post-traumatiques, 
sur  lesquelles  j'ai  insisté,  il  y  a  20  ans,  dans  une  thèse  de  cette  Faculté 
faite  sous  1  inspiration  de  M.  Pierre  Marie,  dont  j'avais  alors  le  grand 
honneur  d'être  l'interne. 

Je  ne  voudrais  pas  oublier  de  vous  signaler  aussi,  dans  ces  commo- 
tions médullaires,  les  altérations  histologiques  éventuelles  des  racines 
rachidiennes,  sur  lesquelles  MM  Schmaus,  Hartmann,  Kirschgasser 
ont  insisté  :  cylindres-axes  variqueux,  rompus  ;  gaines  de  Schwann 
dilatées,  remplies  de  débris  de  myéline  osmiophiles  et   soudanophiles. 

11  est  intéressa n L  de  remarquer  que  les  lésions  commotionnelles  expé- 
rimentales chez  les  animaux  sont  semblables  à  celles  décrites  en  ana- 
tomie  pathologique  humaine.  MM  Schmaus,  Bikeles,  Kirchgasser, 
Gudden,  Marinesco,  Stcherbach  et  Jakob,  plus  récemment  MM.  Boussy, 


132  G.  G\  ni   \l  \ 


Lhermitte et  Cornil,  ont,  à  la  suite  de  traumatismes  directs  et  indirects 

chez  l'animal,  constaté  des  lésions  des  libres  et  des  cellules  nerveuses, 
des  Foyers  de  nécrose,  la  dégénération  primaire  aiguë  des  fibres  à  myé- 
line ;  les  lésions  hémorrhagiques  ont  été  exceptionnellement  notées. 

Une  question  anatomo-pathologique  très  intéressante  et  très  impor- 
tante mérite  d'être  soulevée  :  la  régénération  des  libres  nerveuses  dans 
la  moelle  et  les  racines  racbidiennes  est-elle  possible?  Flourens, 
Brown-Séquard,  Masius  et  Van  Lair  admettaient  la  régénération  du 
tissu  nerveux  en  général  et  de  la  moelle  en  particulier;  Vulpian  faisait 
des  réserves  sur  la  régénération  de  la  moelle.  11  semble  résulter  d'expé- 
riences multiples  contemporaines,  que  je  ne  puis  vous  exposer  aujour- 
d'hui, (pie  la  régénération  anatomique  de  la  moelle  est  possible,  mais 
incomplète,  limitée,  désordonnée.  MM.  Roussy  et  Lhermitte  ont  repris 
récemment  l'étude  histologique  de  cette  question  avec  les  imprégna- 
tions à  l'argent,  la  méthode  de  Bielschowsky  sur  bloc,  ils  ont  vu  des 
libres  néoformées  dans  les  cicatrices  médullaires,  ils  admettent  la  régé- 
nération des  racines  postérieures,  mais  insistent  sur  l'inertie  régénéra- 
trice des  libres  des  différents  faisceaux  de  la  moelle.  J'ai  cru  intéres- 
sant de  vous  mentionner  ces  faits,  car  ils  montrent  sur  quelles  bases 
anatomiques  et  expérimentales  fragiles  s'appuie  la  conception  de  la  su- 
ture médullaire  dans  les  cas  de  sections  traumatiques  complètes  de  la 
moelle. 


Les  symptômes  des  lésions  traumatiques.  de  la  moelle  sont,  vous  le 
comprenez  sans  nul  doute,  très  variables  suivant  l'étendue  et  la  pro- 
fondeur des  lésions  et  aussi  suivant  leur  siège.  II!  ne  m'est  certes  pas 
possible  d'étudier  avec  vous  en  détail  toutes  les  formes  cliniques  sus- 
ceptibles d'être  observées,  je  vous  schématiserai  cependant  les  princi- 
pales d'entre  elles.  Je  prendrai  tout  d'abord  pour  type  de  description 
les  lésions  traumatiques  sérieuses  de  la  région  dorsale  par  armes  à 
feu,  et,  à  ce  propos,  je  vous  montrerai  comment  on  examine  de  tels  ma- 
lades, quels  sont  les  principes  et  les  méthodes  de  ces  examens  ;  il  vous 
sera  très  facile  ultérieurement  avec-  ces  principes  de  vous  orienter 
parmi  les  cas  individuels. 

Unsujetqui  reçoit  une  balle  de  fusil  ou  un  éclat  d'obus  ou  une  balle 
de  browning,  comme  le  blessé  que  je  vous  ai  amené,  a  en  général  la  sen- 
sation d'un  coup  violent,  <«  d'avoir  les  reins  brises  »,  «  d'être  COUpé  <-~n 
deux    »,  suivant  des  expressions    souvent    répétées  ;  il    tombe    à    terre, 


LES  LÉSIONS   TBAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  133 

incapable  de  se  relever.  Les  grandes  douleurs  primitives  sont  rares  et 
s'observent  surtout  dans  les  lésions  incomplètes  de  la  moelle  par 
esquilles  osseuses  compressives  ou  dans  les  lésions  irritatives  radicu- 
laires,  spécialement  au  niveau  des  racines  cervicales  ou  lombo-sacrées. 
Les  grands  blessés,  qui  ont  une  section  anatomique  ou  physiologique  de 
la  moelle,  souffrent  peu  ou  pas,  et  il  y  a  lieu  de  remarquer  que  la  plu- 
part d'entre  eux  ne  perdent  pas  connaissance  et  sont,  au  début,  dans  un 
état  de  shock  relativement  peu  accentué. 

La  paraplégie  est  en  général  complète  ;  aucun  mouvement  n'est  pos- 
sible de  flexion  et  d'extension  des  orteils,  de  flexion  et  d'extension  du 
pied  sur  la  jambe,  de  la  jambe  sur  la  cuisse,  de  la  cuisse  sur  le  bassin, 
aucun  mouvement  d'abduction  et  d'adduction  de  ces  différents  segments. 

Il  est  utile  d'avoir  des  précisions  sur  le  tonus.  Pour  cela,  vous  no- 
terez l'état  des  contours  fermes  ou  affaissés  des  muscles,  leur  consis- 
tance, l'attitude  d'ensemble  du  membre,  l'angle  spontané  du  pied  sur 
les  jambes,  des  orteils  sur  les  pieds,  l'amplitude  des  mouvements  pas- 
sifs des  divers  segments  des  membres  les  uns  sur  les  autres,  l'étendue 
de  l'abaissement  provoqué  de  la  rotule.  Il  est  classique  de  répéter, 
à  la  suitede  H.  Jackson  et  de  Bastian,que  la  transsection  spinalecom- 
plète  abolit  le  tonus  ;  nous  avons  montré,  avec  M.  J. -A.  Barré,  que  cette 
opinion  ne  pouvait  être  admise  dans  son  intégralité.  Le  tonus  muscu- 
laire, dans  les  premiers  jours  ou  la  première  semaine,  n'est  pas  aboli,  du 
moins  dans  tous  les  cas,  les  muscles  conservent  leur  morphologie  et  leur 
consistance  ;  mais,  rapidement,  l'amyotrophie  apparaît  et  une  diminu- 
tion de  la  consistance  du  muscle  très  appréciable  est  constatable.  Les 
modifications  de  la  tonicité  assortissent  pour  unegrande  part  aux  altéra- 
tions anatomiques  des  muscles,  spécialement  à  l'atrophie  muscu- 
laire. 

La  contractilité  neuro-musculaire  au  marteau  percuteur  se  conserve 
longtemps  très  bonne,  elle  ne  diminue  que  dans  les  phases  tardives  et 
peut  même  augmenter  passagèrement. 

Vous  devrez  étudier  méthodiquement  chez  ces  blessés  de  la  moelle  : 
1°  les  réflexes  tendineux;  2°  les  réflexes  cutanés  ;  3°  les  réflexes  dits  de 
défense  ou  d'automatisme  médullaire  ;  4°  les  réflexes  sympathiques 
pilomoteurs.  L'étude  des  réflexes  est  de  la  plus  grande  importance  dans 
la  sémiologie  médullaire. 

Les  réflexes  tendineux  ou  périostes  des  membres  inférieurs,  que  l'on 
recherche  habituellement,  sont  :  le  réflexe  rotulien  (L.  2,  3,  4),  le  réflexe 
des  adducteurs  (L.  2,3,4),  le  réflexe  achilléen  (L.  5,  S.  1,2).  Nous  avons 
décrit,  avec  M.  J.-A.  Barré,  trois  autres  réflexes  des  membres  inférieurs  ; 


[34  G.  Gl  ll.I.MX 


le  réflexe  médio-plantaire(L.  5.  S.  1,  2),  qui  amène  la  flexion  plantaire 
du  pied  ;  le  réflexe  tibio-fémoral  postérieur  (L.  4,  5,  S.  1),  qui  détermine 
la  contraction  du  droit  interne,  du  demi-tendineux  et  du  demi-membra- 
neux ;  le  réflexe  péronéo-fémoral  postérieur  (L.  5,  S.  1,  2),  qui  détermine 
la  contraction  du  biceps  fémoral.  Ces  réflexes  normaux  ont  une  très 
réelle  importance  pour  le  déterminisme  de  certaines  lésions  segmen- 
taires  ou  radieulaires  lombo-sacrées 

Aux  membres  supérieurs,  les  réflexes  utiles  à  rechercher  sont  :  le 
réflexe  stylo-radial  (G.  ô,  (>),  le  réflexe  cubito-pronateur(C.  6,  7,  8D.  1), 
le  réflexe  bicipital  (C.  4,  5,  (i),  le  réflexe  tricipital  (C.  6,  7,  8),  le  réflexe 
des  fléchisseurs  (C.  8,  D.  1). 

Dans  les  lésions  traumatiques  de  la  moelle,  au  début,  les  réflexes  tendi- 
neux et  périostes  sont  en  général  abolis.  Dans  les  cas  de  section  com- 
plète de  la  moelle,  que  nous  avons  observés  aux  armées,  et  dont  la 
survie  ne  dépassa  pas  cpielques  semaines,  l'abolition  des  réflexes  fut  la 
règle.  M.  Sherrington,  cbez  divers  animaux,  a  vu,  après  section  médul- 
laire totale,  la  réapparition  plus  ou  moins  tardive  des  réflexes  tendi- 
neux; la  même  constatation  a  été  faite  chez  l'homme  par  MM.  Henry 
Head  et  George  Riddoch,  Claude,  Lhermitte,  Roussy,  lorsque  la  survie 
des  sujets  a  été  assez  longue. 

Les  principaux  réflexes  cutanés  qu'il  faut  rechercher  sont  :  le  réflexe 
cutané  plantaire  (L.  5,  S.  1,  2),  le  réflexe  crémastérien  (L.  1,2),  les 
réflexes  cutanés  abdominaux  supérieur,  moyen  et  inférieur  (D.  (>  à 
D.  1  2),  le  réflexe  fessier  (L.  4, 5,  S,  1),  le  réflexe  bulbo- caverneux  (S.  3  , 
le  réflexe  anal  (S.  5,  (3). 

Dans  les  cas  de  section  médullaire  totale,  (pie  nous  avons  relatés  avec 
M.  J.-A.  Barré,  16  fois  sur  17,  le  réflexe  cutané  plantaire  se  manifesta 
par  la  flexion  du  gros  et  des  petits  orteils  dès  le  premier  jour.  M.  et 
Mœe Dejerine et  M.  Mouzon  ont  noté  le  même  phénomène.  Aussi  avons- 
nous  pu  dire,  avec  M.  J.-A.  Barré,  qu'au  cas  de  destruction  complète 
et  brusque  de  l'axe  médullaire  dans  la  région  dorsale,  le  réflexe  cutané 
plantaire  garde  le  sens  qu'on  lui  connaît  chez  l'homme  normal,  qu'il  se 
lait  en  flexion.  On  doit  ajouter  (pièce  réflexe  n'est  pas  tout  à  l'ait  sem- 
blable au  réflexe  physiologique,  son  type  est  nettement  anormal  ;  il  se 
fait  lentement,  le  gros  orteil  s'infléchit  sans  brusquerie,  progressive* 
ment,  régulièrement,  effectue  un  déplacement  parfois  faible,  mais  sou- 
vent très  ample,  commence  après  un  temps  de  latence  qui  est  variable 
et  souvent  beaucoup  plus  considérable  que  chez  l'homme  sain,  garde 
un  temps  appréciable  son  attitude  en  flexion  et  présente,  pendant  le 
retour  à  sa  position  initiale,  la  même   lenteur  que  pendant    la   flexion. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  135 

Pendant  la  courte  survie  de  nos  blessés,  le réflexe»cutané plantaire  garda 
sa  forme  en  flexion,  son  intensité  décrut  aux  approches  delà  mort,  et, 
au  moment  de  l'agonie,  il  faisait  le  plus  souvent  défaut. 

Le  réflexe  cutané  plantaire,  dans  les  lésions  médullaires  trauma- 
tiques,  peut  se  présenter  sous  d'autres  modalités.  Souvent  ce  réflexe  est 
complètement  aboli  ;  dans  d'autres  cas,  l'excitation  de  la  plante  du 
pied  amène-la  flexion  franche  du  gros  orteil  alors  que  les  petits  orteils 
restent  immobiles  ;  parfois  le  gros  orteil  se  fléchit  alors  que  les  petits 
orteils  s'étendent.  Le  réflexe  cutané  plantaire  en  extension  est  excep- 
tionnel à  la  première  phase  des  lésions  traumatiques  destructives 
graves  de  la  moelle,  et  je  persiste  à  penser,  avec  M.  J.-A.  Barré,  malgré 
quelques  affirmations  contraires,  que  le  réflexe  cutané  plantaire  en 
extension,  observé  dans  les  premiers  jours  d'une  lésion  traumatique 
médullaire,  permet  d'affimer  qu'il  n'existe  pas  de  section  anatomique  ou 
physiologique  de  la  moelle. 

Le  réflexe  crémastérien  superficiel  et  profond  est  souvent  conservé 
dans  les  lésions  médullaires  traumatiques.  Dès  1916,  nous  notions,  avec 
M.  J.-A.  Barré,  que,  chez  certains  blessés,  l'excitation  cutanée  fémo- 
rale déterminait  comme  seule  réaction  visible,  après  un  temps  perdu 
notable,  une  série  de  contractions  vermiculaires  provoquant  un  plisse- 
ment d'une  ou  des  deux  moitiés  du  scrotum  ;  nous  notions  aussi  que  la 
recherche  du  réflexe  crémastérien  provoque  parfois  l'érection  et  aussi 
une  petite  miction.  Ces  phénomènes  ont  été  signalés,  à  propos  de  l'au- 
tomatisme médullaire,  par  MM.  Henry  Head  et  George  Riddoch. 

Les  réflexes  cutanés  abdominaux  sont  beaucoup  plus  souvent  abolis 
que  le  réflexe  crémastérien.  Il  convient  d'ailleurs  de  remarquer  que  la 
recherche  de  ces  réflexes  abdominaux  est  souvent  très  difficile  chez  ces 
malades  à  cause  de  la  distension  de  la  vessie  et  du  météorisme  abdomi- 
nal. 

Vous  pourrez  lire  dans  la  littérature  médicale  que,  dans  les  cas  de 
section  médullaire  totale,  il  existe  une  première  phase  que  l'on  a  appelée 
la  phase  de  shock  où  les  réflexes  tendineux  et  cutanés  sont  tous  abolis. 
En  ce  qui  concerne  les  réflexes  tendineux,  le  fait  est  exact,  mais  je  ne 
saurais  admettre  la  même  conclusion  pour  les  réflexes  cutanés.  M.  J.-A. 
Barré  et  moi  avons  vu,  dans  nos  cas  de  section  médullaire  totale,  la 
conservation  des  réflexes  cutanés  dans  des  examens  pratiqués  quelques 
heures  après  la  blessure. 

Les  réflexes  dits  de  défense  ou  réflexes  d'automatisme  médullaire  ont 
été  étudiés  depuis  longtemps  chez  les  animaux  et,  si  j'en  avais  le  temps, 
je  vous  rappellerais  les  expériences  de  Haller,  de  Goltz,  de  Tarchanoff, 


136  G.  Gl   II  l M  \ 


deVulpian,  et  les  expériences  plus  récentes  et  suggestives  de  M.  Sher- 
rington  sur  les  singes,  les  chats,  les  chiens  dits  «  spinaux  »,  c'est-à-dire 
sur  les  animaux  décapités  maintenus  en  vie,  et  dont  la  moelle  conserve 
des  fonctions  réflexes  multiples.  L'étude  des  réflexes  d'automatisme 
médullaire  en  clinique  humaine  a  été  commencée,  il  y  a  longtemps,  par 
Ollivier  (d'Angers),  Charcot,  Vulpian,  elle  a  été  poursuivie,  plus  récem- 
ment, par  MM.  Pierre  Marie  et  Foix,  Bahinski,  André-Thomas.  Quand 
on  recherche,  dans  les  premiers  jours  d'une  section  médullaire  totale, 
les  réflexes  de  défense,  soit  par  le  pincement  de  la  peau  de  la  région 
dorsale  du  pied,  ainsi  que  l'a  conseillé  M.  Bahinski,  soit  par  l'hyper- 
flexion  des  orteils,  suivant  la  manœuvre  de  MM.  Pierre  Marie  et 
Foix,  on  ne  provoque  généralement  pas  de  réflexes  d'automatisme  mé- 
dullaire, ou  du  moins  ils  sont  très  faibles  et  très  localisés,  mais  par 
contre  l'excitation  cutanée  plantaire  provoque  facilement  ces  réflexes  ;  la 
plante  du  pied  paraît  la  région  d'élection  pour  déclancher,  peut-on 
dire,  les  réflexes  dits  de  défense  ou  mieux  les  réactions  réflexes  diffu- 
sées. A  la  première  phase  des  plaies  de  la  moelle,  on  ne  voit  pas  le 
phénomène  des  allongeurs,  ni  les  mouvements  rappelant  le  «  stepping 
reflex  »  de  M.  Sherrington. 

Les  réflexes  pilomoteurssympathiquesdécrits  par  MM.  Langley,  Sher- 
rington, Anderson,  ont  été  étudiés,  durant  ces  dernières  années,  dans 
les  lésions  médullaires  par  M.  André-Thomas.  Je  vous  rappellerai  que 
les  centres  sympathiques  qui  conditionnent  les  réflexes  pilomoteurs  sont 
localisés  dans  les  segments  médullaires  D1  D2  D3  pour  la  face,  le  cou,  la 
partie  supérieure  du  thorax,  dans  les  segments  D4  D5Dr,D7pour  le  mem- 
bre supérieur,  dans  les  segments  D9D10  DM  D12  L1  pour  le  membre  infé- 
rieur.  MM.  Langley  et  André-Thomas  ont  insisté  sur  ce  fait  qu'un  même 
segment  spinal  innerve  plusieurs  ganglions  sympathiques;  aussi,  dans 
une  section  totale  de  la  moelle,  la  réaction  pilomotrice  descendante  peut 
dépasser  la  limite  supérieure  de  l'anesthésie  sur  l'étendue  de  deux  ou  trois 
territoires  sensitifs  spinaux.  M.  André-Thomas  remarque  (pie,  pour  la 
m èï ne  raison,  la  limite  supérieure  du  réflexe pilomoteur  de  défense  peut 
s'élever  au-dessus  de  la  limite  de  l'anesthésie.  M.  André- Thomas  a  tire 
de  ses  examens  des  conclusions  intéressantes  et  pratiques.  Ainsi  l'ab- 
sence de  réaction  pilomotrice  aux  membres  inférieurs  par  excitation  cer- 
vicale prouve  que  la  section  médullaire  se  trouve  au-dessus  des  centres 
pilo-moteurs  des  membres  inférieurs,  c'est-à-dire  au-dessus  du  9"  seg- 
ment dorsal  ;  dans  une  section  delà  moelle  lombaire,  la  réaction  pilo- 
motrice descendante  sera  généralisée  à  tout  le  tégument,  puisque  la  sec- 
tion esl  au-dessous  des  centres  pilomoteurs.  Dans  une  lésion  île  la  queue 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  137 

de  cheval,  M.  André-Thomas  a  constaté  que  la  réaction  pilomotrice  est 
généralisée,  car  d'une  part  les  centres  pilomoteurs  sont  intacts,  d'autre 
part  les  fdets  sympathiques  rejoignent  les  troncs  nerveux  de  la  queue 
de  cheval  à  leur  sortie  des  trous  de  conjugaison  en  suivant  la  chaîne 
sympathique,  c'est-à-dire  par  un  trajet  extra-rachidien. 

L'étude  des  réflexes  pilomoteurs  est  sans  nul  doute  très  intéressante 
et  souvent  instructive,  mais  il  est  regrettable  que  les  réactions  soient 
parfois  inconstantes,  difficiles  à  provoquer,  et  d'une  interprétation, 
dans  certains  cas,  très  délicate. 

Les  troubles  de  la  sensibilité  douloureuse  subjective  manquent  chez 
la  plupart  des  blessés  de  la  moelle,  à  l'exception  toutefois  de  ceux  qui  ont 
des  plaies  incomplètes  avec  esquilles  osseuses  fixées  dans  les  cordons 
postérieurs  ou  dans  la  substance  grise  et  de  ceux  qui  présentent  des 
lésions  radiculaires  compressives. 

Certains  sujets,  bien  que  complètement  aneslhésiques^  ont  des  sensa- 
tions dans  leurs  membres  paralysés  ;  on  peut  assimiler  ces  sensations 
aux  illusions  des  amputés. 

L'anesthésie  tactile  et  douloureuse,  dans  les  lésions  médullaires  trau- 
maliques  graves,  est  le  plus  souvent  absolue,  totale.  La  limite  supérieure 
de  l'anesthésie  est  figurée  soit  par  une  ligne  horizontale,  soit  beaucoup 
plus  souvent  par  une  ligne  festonnée;  la  hauteur  de  l'anesthésie  à  droite 
et  à  gauche  n'est  pas  toujours  symétrique,  mais  peut  différer  d'un  ou 
plusieurs  segments.  Parfois,  au-dessus  de  la  zone  anesthésiée,  est  une 
petite  zone  segmentaire  d'hyperesthésie,  parfois  au  contraire  une  petite 
zone  segmentaire  d'hypoesthésie  ;  l'existence  de  ces  zones  permet 
d'apprécier  l'état  des  premiers  segments  médullaires  sus-jacents  à  la 
lésion.  Dans  les  sections  médullaires  totales,  on  ne  constate  pas  la  con- 
servation de  la  sensibilité  dans  les  zones  sacrées,  ainsi  que  l'ont  vu 
MM.  Babinski,  Jarkowski  et  Barré  dans  certains  cas  de  compression 
médullaire. 

Les  limites  de  la  zone  de  thermoanesthésie  peuvent  être  au  même  ni- 
veau que  la  zone  d'anesthésie  totale,  elle  peut-être  au-dessus  de  celle-ci, 
et,  dans  ce  cas,  il  faut  penser,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  avec  M.  J. -A. 
Barré,  à  une  hématomyélie  sus-jacente  à  la  lésion;  les  examens  nécrop- 
siques  nous  ont  permis  de  vérifier  le  fait. 

La  sensibilité  vibratoire  peut  avoir  les  mêmes  limites  que  l'anesthésie 
tactile  ou  au  contraire  que  l'anesthésie  thermique,  elle  peut  avoir  des 
limites  totalement  différentes.  La  baresthésie  a,  pour  ainsi  dire,  toujours 
des  limites  plus  basses  (pie  la  sensibilité  tactile  ou  vibratoire. 

Dans    les    cas  de  section   médullaire    totale,   la    sensibilité  viscérale 


138  G.   Gl   III    \  I  \ 


est  souvenl  conservée,  cette  conservation  de  la  sensibilité  propre  des 
viscères  semble  dépendre  du  sympathique. 

L'atrophie  musculaire,  dans  les  cas  de  blessures  de  la  moelle,  est  par- 
fois extrêmement  rapide  ;  cette  amyotrophie  tient  à  deux  causes  :  aux 
troubles  médullaires  et  aux  troubles  de  la  nutrition  générale. 

L'examen  électrique  des  nerfs  et  des  muscles  des  membres  inférieurs 
montre  ordinairement,  au  début,  une  conservation  parfaite  de  l'excita- 
bilité laradique  et  galvanique.  Dans  deux  ou  trois  cas  seulement 
nous  avons  constaté,  avec  M.  Strohl,  une  abolition  complète  de  l'exci- 
tabilité faradique  et  galvanique  des  nerfs  et  des  muscles  dès  les  premiers 
jours,  les  muscles  des  membres  inférieurs  étant  incapables  de  se  contrac- 
ter même  avec  des  courants  forts  de  25  à  MO  milliampères  ;  cette  inexci- 
tabilité précoce  des  nerfs  et  des  muscles  dans  certaines  plaies  de  la 
moelle-  est  difficilement  explicable.  Par  contre,  on  comprend  fort  bien 
que,  chez  les  blessés  qui  survivent  plusieurs  semaines,  on  puisse  cons- 
tater, sur  les  muscles  qui  s'alronhie  V,  les  différentes  modalités  d'une 
réaction    de    dé"  „.    **e    tbittë    ou    partielle    ou    seulement    une 

hypoexc»    .bihté  progressive. 

*ïa  rétention  d'urines  est  la  règle  dans  les  plaies  de  la  moelle  ;  on 
n'observe  presque  jamais  l'incontinence,  sinon  l'incontinence  par  regor- 
gement. Parfois  le  spasme  du  sphincter  est  très  prononcé,  le  sondage 
alors  est  très  difficile  et  oblige  à  l'emploi  de  sondes  rigides  et  même  de 
sondes  métalliques. 

L'incontinence  des  matières  est  plus  fréquente  que  la  rétention;  cette 
dernière  parfois  est  très  opiniâtre  et  nécessite  des  purgations  répétées, 
des  lavements,  des  massages  abdominaux  ;  malgré  ces  procédés,  il  arrive 
que  l'exonération  rectale  ne    soit  que  très   difficilement    obtenue. 

Le  priapisme  est  rare  en  dehors  des  premières  heures,  mais  la  verge 
est  fréquemment  en  demi-érection    molle. 

Les  grands  œdèmes  des  membres  paralysés  sont  exceptionnels  dans 
les  blessures  de  la  moelle  se  terminant  par  la  mort  en  quelques  semaines, 
contrairement  à  ce  que  l'on  observe  dans  les  paraplégies  chro- 
niques, 

La  température  des  membres  paralysés  est  souvent  très  élevée,  sur- 
tout dans  les  blessures  de  la  moelle  cervicale  ;  l'asymétrie  thermique  est 
très  nette  dans  les  lésions  de  l'iiémi-moelle  de  cette  région.  Dans  les 
sections  médullaires  totales,  nous  avons  noté,  avec  M..I.-A.  Barré,  que 

les  membres  inférieurs  ont  presque  toujours  i\\\i'  température  élevée  qui 
croît  progressivement  vers  les  pieds  ordinairement  brûlants;  la  répar- 
tition de  la  température  affecte  donc  un  type   inverse  du   type  normal. 


LES  LÉSIONS    TRAUMAT1QUES  DE  LA  MOELLE  139 

Parfois,  dans  les  lésions  incomplètes  de  la  moelle,  on  observe  de  l'hypo- 
thermie appréciable  des  membres  paralysés.  Dans  quelques  cas  on 
remarque,  à  la  limite  supérieure  de  la  zone  d'anesthésie,  une  zone  seg- 
mentante où  le  refroidissement  de  la  peau  est  sensible  ;  ce  signe  du 
refroidissement  a  été  signalé  par  M-  J.-A.  Barré  dans  des  cas  de  com- 
pression médullaire  et  peut  avoir  une  valeur  sémiologique  pour  fixer  la 
limite  supérieure  de  celle-ci. 

Les  réflexes  vaso-moteurs  sont  faciles  à  provoquer  dans  les  lésions 
médullaires  et  sont  même  exagérés,  ainsi  qu'on  peut  le  constater  par  le 
procédé  de  la  raie  rouge  ;  je  vous  rappellerai  que  Gergens  et  Weber  ont 
noté  la  persistance  du  tonus  va  seul  aire  après  l'ablation  du  système  ner- 
veux central.  On  peut,  en  étudiant  l'étendue  de  ces  troubles  vaso-mo- 
teurs provoqués,  acquérir  des  notions  sur  la  hauteur  de  la  lésion  spinale. 

Dans  les  lésions  de  la  moelle  dorsale  inférieure,  MM.  J.-A.  Barré  et 
R.  Schrapf  ont  attiré  l'attention  sur  certains  troubles  sympathiques  des 
membres  supérieurs,  qui  se  traduisent  par  de  l'hyperthermie,  des  sensa- 
tions d'engourdissement  et  de  fourmillement,  de  la  faiblesse  des  doigts 
et  de  la  main.  Ces  troubles  s'expliquent  très  bien,  car  les  centres  sym- 
pathiques vaso-moteurs  des  membres  supérieurs  descendent  dans  la 
moelle  jusqu'aux  8e  et  9e  segments  dorsaux.  Il  est  important  de  connaître 
l'existence  de  ces  troubles  vaso-moteurs  des  membres  supérieurs  dans 
les  lésions  dorsales  de  la  moelle,  car  il  ne  faudrait  pas  croire,  lorsqu'on 
les  constate,  à  une  lésion  cervicale  surajoutée. 

Horsley  a  remarqué  que  la  sudation  était  abolie  dans  les  cas  de  section 
spinale,  et  que  le  niveau  où  s'arrête  la  sudation  est  en  rapport  avec  le 
segment  médullaire  détruit. 

Les  troubles  trophiques  se  manifestent  par  des  taches  rouges  aux 
orteils,  aux  malléoles,  aux  talons,  à  la  face  externe  et  interne  des  genoux, 
aux  trochanters,  aux  endroits  de  pression,  mais  peuvent  exister  même 
sur  des  membres  enveloppés  d'ouate  et  soustraits  à  toute  pression.  Par- 
fois, spécialement  aux  genoux,  les  taches  ont  un  aspect  urticarien  ou 
même  phlycténulaire  rappelant  une  brûlure.  Les  escarres  sacrées  et 
trochantériennes,  malgré  des  soins  minutieux  et  une  propreté  rigou- 
reuse, ne  peuvent  pas  toujours  être  évitées. 

Si  vous  parcourez,  Messieurs,  les  Traités  de  neurologie  français  et 
étrangers  les  plus  complets  et  les  plus  documentés,  vous  constaterez 
que  la  description  des  symptômes  généraux  des  plaies  de  la  moelle,  des 
symptômes  sympathiques  viscéraux,  est  pour  ainsi  dire  nulle.  Nous 
avons  apporté,  croyons-nous,  avec  M.  J.-A.  Barré, quelques  précisions 
sur  ce  point. 


140  G.   OU  11.1. MX 

Au  début,  durant  les  premiers  jours,  le  blessé  qui  a  reçu  un  trauma- 
tisme de  la  moelle,  se  sent  relativement  bien;  il  mange  souvent  avec 
appétit  et  présente  à  peine,  dans  certains  cas,  si  l'on  fait  abstraction  du 
syndrome  paralytique,  l'aspect  d'un  grand  blessé.  Deux  signes  sont 
presque  constants  dès  le  début  :  la  soif  extrêmement  vive  et  l'insomnie, 
sans  douleur  aucune  d'ailleurs.  Dans  les  cas  graves,  à  une  phase  ulté- 
rieure plus  ou  moins  tardive,  l'appétit  cesse,  l'amaigrissement  est 
rapide,  la  somnolence  presque  constante. 

La  température  se  présente  sous  différents  types.  Chez  les  blessés  qui 
meurent  rapidement  en  quelques  jours,  l'hyperthermie  est  très  accen- 
tuée, c'est  ce  qu'on  observe  souvent  dans  les  plaies  de  la  région  cervi- 
cale. Chez  les  blessés  qui  survivent  durant  quelques  semaines,  on 
constate  des  poussées  fébriles  oscillatoires,  et,  dans  les  derniers  jours, 
l'hyperthermie  est  souvent  très  élevée.  Dans  les  lésions  médullaires 
traumatiques  par  chute  ou  contusion,  spécialement  dans  les  cas  légers, 
la  température  peut  rester  presque  normale. 

Le  pouls  est  régulier  et  la  tachycardie  en  rapport  inconstant  avec  la 
température  ;  dans  certains  cas  de  lésions  delà  moelle  cervicale,  on  peut 
voir  des  températures  très  élevées  avec  un  pouls  relativement  lent.  Sou- 
vent l'ascension  du  pouls  précède  l'ascension  thermique  terminale.  La 
tension  artérielle,  prise  au  bras,  est  normale  au  début,  elle  baisse  pro- 
gressivement à  mesure  que  l'état  grave  s'accentue. 

Les  troubles  respiratoires  sont  rares,  à  l'exception  des  cas  où  le  nerf 
phrénique  est  intéressé  et  de  ceux  où  se  manifestent  des  complications 
infectieuses  pulmonaires.  Le  hoquet  cependant  est  souvent  constaté. 
Nous  avons  attiré  l'attention,  avec  M.  J.-A.  Barré,  sur  certains  symp- 
tômes péritonéaux  très  spéciaux.  Au  début  des  plaies  de  la  moelle. 
durant  les  premiers  jours,  il  n'est  pas  très  rare  d'observer  un  véritable 
syndrome  péritonéal  avec  météorisme,  arrêt  des  gaz  et  des  matières, 
douleurs,  hoquet,  nausées  et  vomissements  verdâtres.  Ce  syndrome 
péritonéal  est  tellement  net  chez  certains  blessés  qu'on  est  tenté  de  se 
demander  s'il  n'existe  pas  une  vraieperitonitetraumatique.il  semble 
que  cepéritonisme  soit  souvent  causé  par  de  petites  hémorrhagies  péri- 
vésicales  et  intra-péritonéales,  déterminées  par  une  vaso-dilatation 
générale  abdominale  sous  la  dépendance  de  troubles  du  sympathique. 
Dans  les  autopsies,  nous  avons  vu  ces  péritonites  hémorrhagiques  qui 
sont  indépendantes  de  tout  traumatisme  local  par  projectile.  Ce  syn- 
drome péritonéal  du  début  des  plaies  de  la  moelle,  qui  n'a  jamais  été 
décrit,  mérite  d'être  connu  pour  éviter  une  intervention  opératoire  sur 
l'abdomen,   laquelle  serait  sans  utilité  et  même  nuisible. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  141 


Dans  quelques  cas,  on  constate  de  la  diarrhée  noire,  foncée.  Ce 
mélœna  tient  aussi  à  la  dilatation  vasculaire  abdominale  par  troubles  du. 
sympathique. 

Le  foie  paraît  habituellement  normal  ou  simplement  congestionné. 
La  rate  est  souvent  augmentée  de  volume,  hypercongestive. 

Les  troubles  urinaires  méritent  une  mention  spéciale.  Je  vous  ai 
signalé  la  rétention  constante  des  urines.  Les  urines  émises  par  son- 
dage sont  en  général  en  quantité  normale.  Nous  avons  remarqué,  avec 
M.  J.-A.  Barré,  chez  les  grands  traumatisés  de  la  moelle,  dans  de  nom- 
breux cas,  une  hyperazoturie  souvent  considérable  (40,  50,  60,  70  gr. 
d'urée  par  jour),  malgré  une  alimentation  restreinte;  il  s'agit  là  d'un 
signe  de  dénutrition  très  particulier  qui,  à  notre  connaissance,  n'a  pas 
été  signalé.  Par  contre,  les  chlorures  sont  souvent  à  des  chiffres  extrê- 
mement bas,  ce  qui  tient  à  une  alimentation  hypochlorurée  plutôt  qu'à 
un  trouble  de  la  sécrétion  rénale  ou  à  une  rétention  tissulaire.  L'héma- 
turie est  un  signe  urinaire  fréquemment  précoce,  on  la  constate  parfois 
au  premier  cathétérisme  avec  une  sonde  molle;  elle  est  indépendante  de 
tout  traumatisme  par  le  sondage,  elle  précède  toute  infection  locale, 
elle  ne  s'explique  pas  par  la  rétention  pure,  mais  elle  est  due  à  la  vaso- 
dilatation de  la  vessie  avec  hémorrhagies  de  sa  muqueuse  ;  cette  ectasie 
vasculaire  vésicale  est  très  remarquable  sur  les  pièces  d'autopsie.  Au 
point  de  vue  pathogénique,  l'hématurie  reconnaît  des  causes  semblables 
au  mélaena  intestinal  L'hématurie  est  souvent  persistante  et  abondante, 
il  s'agit  parfois  de  sang  presque  pur;  il  existe  de  ce  fait  une  cause  d'ané- 
mie rapide.  La  pyurie,  que  l'on  peut  observer,  s'explique  fort  bien  par 
l'infection  locale,  souvent  presque  fatale. 

Les  troubles  de  la  nutrition  générale,  chez  les  blessés  graves  de  la 
moelle,  s'extériorisent  par  un  amaigrissement  et  une  cachexie  rapides. 
Cet  amaigrissement  en  une  semaine  est  plus  considérable  que  celui 
observé  dans  les  maladies  infectieuses  les  plus  sérieuses.  Toutefois  le 
blessé,  qui  se  cachectise,  conserve  une  euphorie  singulière  jusqu'à  la 
mort  Contrairement  à  de  nombreux  autres  blessés,  les  blessés  de  la 
moelle  n'ont  pas  la  notion  de  la  gravité  de  leurblessure,ilsnese  plaignent 
pas,  ne  manifestent  pas  la  moindre  inquiétude.  Peut-être  l'absence  habi- 
tuelle de  douleurs  est-elle  une  des  causes  de  cet  état  mental  vraiment 
très  particulier. 

Les  plaies  vraies  de  la  moelle,  j'insiste  encore  sur  l'opposition  qui 
s'impose  entre  les  plaies  de  la  moelle  et  les  plaies  simples  du  rachis 
avec  parfois  symptômes  de  compression  médullaire  ou  radiculaire, 
sont  extrêmement  graves.   La  plupart  des  blessés,   ayant    une  section 


142  i,.  i.i  ll.l    \l  \ 


complète  de  la  moelle  avec  écartement  de  plusieurs  centimètres  entre 
les  Fragments,  succombent  dans  les  premières  semaines.  En  dehors 
des  infections  urinaires,  broncho-rpulmônaires,  méningées,  la  principale 
cause  de  la  mort,  dans  les  sortions  médullaires  OU  les  lésions  médullaires 
graves,  est  la  cachexie  progressive,  qui  se  traduit  par  un  amaigrissement 
considérable,  la  fonte  de  tous  les  tissus  en  quelques  jours.  Cette  cachexie 
progressive  est  due  à  ce  que  l'assimilation  ne  se  l'ait  plus.  Dans  les 
plaies  hautes  de  la  moelle  le  sympathique  est  intéressé,  toute  l'innerva- 
tion du  tube  digestif,  des  viscères,  des  glandes  vasculaires  sanguines 
abdominales  est  troublée.  Les  blessés  de  la  moelle  meurent  souvent 
avec  un  véritable  syndrome  d'anémie,  avec  une  somnolence  et  une  soit" 
inextinguible,  comme  dans  les  grandes  hémorrhagies  internes.  Ces  bles- 
sés médullaires  ont  une  vaso-dilatation  considérable  de  tout  l'abdomen, 
tandis  qu'à  la  partie  supérieure  du  corps,  il  existe  une  véritable  anémie, 
et  le  système  nerveux  participe  à  cette  anémie,  beaucoup  d'entre  eux 
meurent  brusquement,  de  syncope  bulbaire. 


Chez  les  blessés  graves  de  la  moelle,  ayant  présenté  un  syndrome 
de  section  physiologique,  qui  survivent,  on  peut  observer  des  signes 
cliniques  nouveaux  traduisant  l'automatisme  médullaire.  Ces  phénomè- 
nes, analogues  à  ceux  constatés  par  M  Sherrington  dans  ses  recherches 
physiologiques  expérimentales  sur  les  animaux  «  spinaux  »,  sont  d'un 
très  réel  intérêt  ;  ils  ont  été  spécialement  étudiés  par  MM.  Henry  Heail  et 
George  Riddoch,  Roussy,  Lhermitte.  Marinesco 

L'on  peut  voir,  chez  ces  blessés  médullaires  réapparaître  le  tonus 
musculaire  dans  les  muscles  fléchisseurs  du  pied  et  de  la  jambe,  le 
quadriceps.  les  jumeaux,  les  adducteurs.  Il  ne  me  paraît  pas  opportun 
de  vous  mentionner  les  discussions  physiologiques  actuelles  sur  le 
mécanisme  de  l'hypertonie,  sur  la  différenciation  du  tonus  myoplas- 
matique  (contractile  tonus  de  Langelaan)  dépendant  de  l'innervation 
cérébro-spinale,  et  du  tonus  sarcoplasmatique  (plastic  tonus  de  Lan- 
gelaan) dépendant  de  l'innervation  sympathique.  Il  vous  suffit  île  con- 
naître le  phénomène  clinique. 

Les  réflexes  tendineux  peuvent  se  constater  de  nouveau  M  George 
Riddoch  a  noté  la  réapparition  du  réflexe  rotulien  du  21e  au  53*  jour 
après  la  section  médullaire  ;  MM.  Farquard  Buzzard,  Claude  et  Lher- 
mitte signalent  des  faits  semblables,  .le  vous  rappellerai  que  M.  Slicr- 


LES  LÉSIONS   TEAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  143 

rington  a  montré  cette  réapparition  des  réflexes  tendineux  chez  les 
chiens  et  chez  les  singes  après  section  spinale  ;  MM.  André-Thomas  et 
Jumentié  ont  même  provoqué  un  réflexe  contro-latéral  des  adducteurs 
chez  un  singe  le  troisième  jour  après  une  section  expérimentale. 

M.  Lhermitte  et  d'autres  auteurs  ont  signalé  l'existence  du  réflexe 
cutané  plantaire  en  extension. 

Des  mouvements  automatiques  volontaires  se  voient  chez  ces  sujets  : 
mouvements  de  flexion  et  d'extension,  mouvements  d'adduction  avec 
extension.  Il  est  important  de  ne  pas  confondre  ces  mouvements  auto- 
matiques avec  des  mouvements  volontaires. 

Les  réflexes  dits  de  défense  ou  d'automatisme  médullaire  peuvent 
exister  très  tôt.  Dans  des  cas  de  section  de  la  moelle,  nous  avons  vu 
que  de  tels  mouvements  réflexes  pouvaient  se  constater  très  précoce- 
ment après  excitation  de  la  plante  du  pied. 

MM.  Henry  Head  et  George  Riddoeh.  dans  de  très  beaux  mémoires 
parus  dans  le  Brain  en  novembre  1917,  ont  étudié  longuement  les 
réflexes  d'automatisme  médullaire  de  triple  flexion  et  d'extension,  et 
ce  réflexe  en  masse,  le  «  Maas  reflex  »,  qui  se  traduit,  après  excitation 
de  la  peau  des  membres  inférieurs  ou  de  la  paroi  abdominale,  par  une 
flexion  des  membres  inférieurs,  l'évacuation  delà  vessie  et  la  sudation. 

M.  Lhermitte,  dans  un  cas,  le  sujet  étant  placé  dans  le  décubitus 
latéral,  a  constaté  que  l'excitation  de  la  face  postérieure  de  la  cuisse 
déterminait  l'extension  directe  du  membre  excité  et  en  même  temps 
la  flexion  du  membre  opposé,  c'est  le  réflexe  de  flexion  croisée. 

Ces  mouvements  réflexes  d'automatisme  médullaire  dans  les  lésions 
traumatiques  graves  de  la  moelle,  dans  le  syndrome  de  section  anato- 
tniqueet  physiologique,  sont  très  intéressants  à  connaître  au  point  de 
vue  de  la  physiologie  générale  du  système  nerveux,  mais  il  ne  faut  pas 
croire,  et  j'insiste  sur  ce  point  pour  vous  éviter  des  erreurs  d'interpré- 
tation, que  les  mouvements  d'automatisme  médullaire  ne  se  constatent 
que  dans  les  sections  médullaires  totales.  MM.  Henry  Head  et  George 
Riddoeh,  qui  ont  incontestablement  apporté  la  documentation  la  plus 
complète  sur  ce  sujet,  ont  intitulé  leur  mémoire  :  The  automalic  bladder, 
excessive  siveating  and  some  other  rejlex  conditions  in  gross  injuries  of 
liic  spinal  cord  ;  ces  auteurs,  vous  le  voyez,  parlent  de  lésions  graves 
de  la  moelle  et  non  uniquement  de  section  médullaire  totale.  D'autre 
part,  je  vous  rappellerai  que  les  réflexes  dits  de  défense  ou  d'automa- 
tisme médullaire  seconstatent  avec  le  maximum  dé  netteté  et  d'énergie 
dans  les  compressions  de  la  moelle,  dans  la  paraplégie  du  type  en 
flexion   de  Babinski,   dans  des  affections  du  névraxe  où  la  moelle  n'est 


lll  G.  GUILLAIN 

pas  sectionnée.  Il  ne  faut  pas  oublier  ces  réalités  cliniques  et  conclure, 
comme  on  la  lait  trop  souvent,  que  la  constatation  clinique  de  mouve- 
ments réflexes  dits  de  défense  ou  d'automatisme  médullaire  avait  pour 
corollaire  anatomo-pathologique  une  section  de  la  moelle. 

Lis  réflexes  pilomoteurs de  défense  peuvent  être  exagérés  ;  on  peut 
1rs  provoquer  par  la  piqûre,  l'application  d'un  linge  mouillé  ou  de 
glace,  parla  mobilisation  d'un  membre.  Ces  réflexes  pilomoteurs  de 
défense  permettent  d'apprécier  l'état  du  tronçon  de  la  chaîne  sympa- 
thique située  au-dessous  de  la  section  ou  de  la  lésion  spinale. 

MM.  Henry  Head  et  George  Riddoch  ont  insisté  sur  l'automatisme 
vésical,  sur  les  mictions  spontanées,  qui  apparaissent  à  la  suite  d'exci- 
tations superficielles  ou  profondes  des  membres  anesthésiés  ;  ils  ont  vu 
(pie  la  destruction  de  toute  la  moelle  lombo-sacrée  n'abolit  pas  les  fonc- 
tions automatiques  de  la  vessie.  Une  condition  apparaît  indispensable 
pour  (pie  le  mécanisme  des  sphincters  puisse  agir,  c'est  1  absence  d'in- 
fection vésicale. 

L'automatisme  génital  se  caractérise  par  des  érections  spontanées  et 
des  érections  provoquées  par  des  excitations  cutanées  et  génitales. 
M.  George  Riddoch  a  vu  que  l'excitation  du  gland  et  du  périnée  chez  ces 
sujets  anesthésiques  pouvait  être  suivie  de  contraction  des  mus- 
cles de  la  paroi  abdominale  et  des  cuisses  et  d'éjaculation  consécutive, 
c'est  ce  qu'il  désigne  sous  le  nom  de  «  coït  réflexe  ». 

On  peut  constater,  dans  les  segments  paralysés,  une  exagération  de 
la  sudation.  Les  crises  d'hyperhidrose  peuvent  être  provoquées  par  des 
excitations  périphériques  comme  le  grattage  de  la  plante  du  pied  ou 
de  l'abdomen,  l'injection  de  liquide  dans  la  vessie.  MM.  Henry  Head 
et  George  Riddoch  font  remarquer  qu'une  des  causes  fréquentes  de 
l'exagération  de  la  sudation  est  la  réplétion  de  la  vessie,  car  la  su- 
dation cesse    après    sondage. 

Chez  ces  paraplégiques  on  observe  souvent  des  œdèmes,  tantôt  peu 
accentués,  tantôt  véritablement  considérables.  M""  Dejerine  et 
M.  Ceillier  remarquent  que  parfois  on  peut  faire  le  diagnostic  du  siège 
de  la  lésion  spinale  par  la  hauteur  à  laquelle  remonte  l'œdème. 
M.  Lhermitte pense  (pièces  œdèmes  sont  d'origine  vasculaire  locale, 
la  stase  veineuse  étant  provoquée  par  des  lésions  phlébitiques  sténo» 
sanles  ou  l'affaissement  des  veines  résultant  de  la  flaccidité  des  tissus. 
Cette  pathogénie  peut  s'appliquer  à    certains  cas    spéciaux,   mais    il    nie 

semble,  comme  à  la  plupart  des  auteurs,  que  ces  œdèmes  sonl  en  géné- 
ral unr  conséquence  de  troubles  vaso-moteurs. 

M'"1' Dejerine  et  M.  llcgnard  ont  signale,  elle/  des  blesses  atteints   de 


LES  LÉSIONS   TBAUMATIOUES  DEJLA  MOELLE  145 

lésions  de  la  moelle  dorso-lombaire  et  de  la  queue  de  cheval,  des 
troubles  visuels  et  papillaires  consistant  en  atrophie  papillaire  surtout 
marquée  dans  le  segment  temporal  avec  diminution  de  l'acuité  visuelle, 
rétrécissement  du  champ  visuel  et  diminution  considérable  du  réflexe 
pupillaire  à  la  lumière,  consistant  aussi  en  troubles  oculo-pupillaires 
d'ordre  irritatif  avec  ébauche  de  syndrome  basedowien.  Mme  Dejerine 
et  M.  Regnard  pensent  que  ces  phénomènes  optico-pupillaires  sont 
dus  à  une  atteinte  irritative  des  fibres  vaso-motrices  de  la  rétine  et  de 
l'iris  dans  le  tronçon  médullaire  sus-lésionnel. 

Mme  Dejerine  et  M.  André  Ceillier  ont  décrit,  chez  les  paraplégiques, 
des  lésions  osseuses  spéciales  qu'ils  ont  dénommées  les  para-ostéo- 
arthropathies  des  paraplégiques  ;  il  s'agit  de  néo-formations  osseuses 
plus  ou  moins  exubérantes  sans  altérations  osseuses  du  squelette.  Ces 
auteurs  ont  trouvé  ces  lésions  79  fois  sur  160  paraplégiques,  soit  dans 
49,37  °/0  des  cas.  Les  néo-formations  osseuses  se  constatent  entre  le 
bassin  et  les  genoux,  les  genoux  étant  leur  siège  d'élection  ;  parfois 
chez  le  même  sujet  on  trouve  cinq  ou  six  foyers  d'ossification.  Ces 
productions  osseuses  ne  s'accompagnent  pas  de  rougeur  et  d'inflam- 
mation de  la  peau,  ni  de  circulation  collatérale,  elles  sont  reconnues  par 
l'inspection,  la  palpation,  le  toucher  rectal,  la  radiographie  qui  montre 
d'ailleurs  l'intégrité  morphologique  du  squelette  ;  elles  apparaissent 
dès  les  premières  semaines  qui  suivent  la  blessure  et  atteignent  en 
quelques  mois  leur  volume  définitif.  Au  point  de  vue  anatomo-patho- 
logique,  ces  néo-formations  osseuses  sont  caractérisées  par  de  véri- 
tables bourgeons  osseux  limitant  des  espaces  remplis  de  moelle  osseuse 
vasculaire  ;  on  voit  sur  les  coupes  des  ostéoblastes,  des  canaux  de 
Havers  ;  les  ossifications  pathologiques  sont  entourées  d'un  tissu 
fibreux  hyperplasié  très  vasculaire,  avec  suffusions  et  îlots  hémorrha- 
giques,  qui  les  sépare  des  fibres  musculaires  avec  lesquelles  n'existe 
jamais  de  connexion  directe.  Mme  Dejerine  et  M.  Ceillier  ont  fait 
remarquer  que  ces  para-ostéo-arthropathies  ne  sont  observées  qu'ex- 
ceptionnellement dans  les  lésions  partielles  de  la  moelle  avec  paraplégie 
spasmodique  et  conservation  de  la  sensibilité  superficielle  et  profonde, 
elles  sont  observées  presque  toujours  dans  des  cas  de  lésions  médullaires 
transverses  avec  syndrome  d'interruption  physiologique.  Mme  Dejerine 
et  M.  Ceillier  pensent  que  ces  néo-formations  osseuses  sont  influencées 
par  un  état  d'irritation  de  la  colonne  sympathique  intermédio-lalérale 
dans  le  segment  médullaire  sus  lésionnel  ;  ils  voient  des  analogies 
entre  ces  lésions  osseuses  des  paraplégiques  et  les  arthropalhies  des 
tabétiques   et  des  syringomyéliques,   et   supposent  que    l'œdème   et    la 

CONFÉR       NEUHOL.  10 


146  <..  i.t  II  l  M  \ 

congestion  jouent  un  rôle  important  dans  leur  développement.  Comme 
le  disent  ces  auteurs,  la  lésion  médullaire  joue  un  rôle  non  seulement  en 
troublant  le  trophisme  du  tissu  conjonctif,  mais  encore  indirectement 
en  amenant  l'œdème  et  la  congestion,  qui  sont  nécessaires  à  la  création 
d'un  milieu  ossifiable  et  qui  prédisposent  aux  petites  ruptures  vascu- 
laires et  aux  suffisions  sanguines,  point  de  départ  vraisemblable  de 
l'ossification  hétéro-plastique  du  tissu  conjonctif. 

Tels  sont.  Messieurs,  les  différents  symptômes  que  l'on  peut  obser- 
ver chez  les  paraplégiques  à  la  phase  dite  de  l'automatisme  médul- 
laire. A  cette  phase  succède,  au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long, 
une  phase  dite  terminale  où  les  phénomènes  d'automatisme  disparais- 
sent ;  les  blessés  meurent  par  suite  de  complications  multiples,  que  je 
vous  synthétiserai  dans  quelques  instants  en  vous  parlant  de  l'avenir 
des  blessés  de  la  moelle. 


J'ai  étudié  spécialement  jusqu'ici  les  syndromes  d'interruption  anato- 
mique  ou  physiologique  de  la  moelle,  la  symplomatologie  des  lésions  gra- 
ves. La  symptomatologie  des  sections  incomplètes,  des  lésions  en  fo\Ter, 
est  variable.  Dans  ces  cas,  au  début,  la  paraplégie  est  totale  avec  abo- 
lition des  réflexes  tendineux,  mais  les  réflexes  cutanés  plantaires  peuvent 
être  d'un  type  différent  d'un  côté  à  l'autre,  peuvent  prendre  d'emblée  le 
type  en  extension  ;  les  réflexes  dits  de  défense  ou  d  automatisme  médul- 
laires sont  souvent  précoces,  ils  sont  obtenus  d'ailleurs  spécialement  par 
l'excitation  cutanée  plantaire.  L'étude  de  la  sensibilité  est  particulière- 
ment utile  pour  reconnaître  les  lésions  en  foyer.  Dans  les  cas  de  section 
médullaire  complète,  toutes  les  sensibilités  sont  abolies  ;  dans  les  sec- 
tions incomplètes,  la  sensibilité  est  conservée  sur  telle  ou  telle  partie 
du  territoire  paraplégique.  Le  plus  souvent,  c'est  la  sensibilité  tactile 
ou  douloureuse  qui  subsiste,  mais  elle  peut  être  conservée  sous  tous 
ses  modes.  Parfois,  c'est  seulement  dans  les  /.unes  sacrées  péri-génitales 
ou  à  la  plante  des  pieds  que  la  sensibilité  persiste.  La  sensibilité  pro- 
fonde est  parfois  la  seule  conservée,  souvent  localisée  seulement  aux 
pieds,  dont  les  déplacements  passifs  sont  interprétés  correcte- 
ment. Nous  avons  signalé,  avec  M.  J.-A.  Barré,  que  la  manœuvre  de 
Lasègue,  pratiquée  suivant  la  méthode  classique,  peut  donner  îles  ren- 
seignements importants.  Cette  manœuvre  peut  rester  douloureuse, 
même  quand  il  y  a  anesthésie  complète  sur  tout  le  territoire  des 
membres    inférieurs  ;  elle    constitue    alors    le    seul     signe    du  caractère 

incomplet  des  lésions  médullaires. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  147 

J'ajouterai  que  les  lésions  incomplètes  de  la  moelle,  les  lésions  en 
foyer,  se  traduisent  souvent  assez  rapidement  par  un  syndrome  de 
paraplégie  spasmodique. 

Je  ne  crois  pas  utile  d'étudier  en  détail  avec  vous  toutes  les  formes 
cliniques  qui  peuvent  être  créées  par  les  plaies  de  la  moelle,  par  les 
commotions  spinales  traumatiques,  parles  commotions  par  éclatement 
d'obus  sans  plaie  extérieure.  On  a  décrit  des  formes  quadriplégiques, 
paraplégiques,  paraparétiques,  hémiplégiques,  monoplégiques,  céré- 
bello-spasmodiques,  amyotrophiques,  etc.  On  pourrait,  d'ailleurs, 
vous  le  comprenez,  multiplier  facilement  toutes  ces  formes  cliniques, 
en  envisageant  la  prédominance  de  tel  ou  tel  symptôme. 

Parmi  les  formes  cliniques  importantes  des  lésions  traumatiques  de 
la  moelle,  je  vous  mentionnerai  spécialement  :  le  syndrome  de  Brown- 
Séquard  et  le  syndrome  de  l'hémisection  transversale  postérieure. 

Le  syndrome  de  Brown-Séquard,  d'après  le  schéma  classique, 
se  traduit  par  les  sjmiptômes  suivants.  On  observe  du  côté  de  la  lésion  : 
une  paralysie  complète  des  mouvements  volontaires  ;  l'abolition  ou  la 
diminution  des  sensibilités  profondes  (osseuse,  ostéo-articulaire)  ; 
l'hyperesthésie  au  tact  et  à  la  température  assez  fugace  ;  une  bande 
d'anesthésie  au  niveau  de  la  section  traduisant  l'atteinte  des  racines 
rachidiennes  parle  traumatisme  ;  une  abolition  à  la  phase  de  début  des 
réflexes  tendineux,  ceux-ci  s'exagérant  ensuite.  D'autre  part,  on  observe, 
du  côté  opposé  à  la  lésion  :  une  anesthésie  complète  pour  les  sensibi- 
lités tactile,  douloureuse,  thermique  avec  intégrité  complète  du  sens 
musculaire  et  des  sensibilités  profondes  ;  l'intégrité  de  la  motilité, 
de  la  réflectivité  tendineuse  et  cutanée  ;  la  présence  de  réflexes  de 
défense. 

A  ce  schéma  classique  du  syndrome  de  Brown-Séquard,  j'apporterai 
quelques  correctifs.  Il  est  fréquent  d'observer  un  réflexe  cutané  plan- 
taire en  extension  des  deux  côtés;  il  est  fréquent  d'observer  du  côté 
anesthésie  seulement  de  l'anesthésie  thermique,  car  la  sensibilité 
tactile  trouve  facilement  des  voies  de  suppléance  intra-médullaires  ; 
j'ai  constaté  plusieurs  fois  les  troubles  de  la  sensibilité  osseuse  du  côté 
de  l'anesthésie  tactile  et  thermique  et  non  du  côté  de  la  lésion,  comme 
le  signale  M.  Dejerine.  D'autre  part,  si  MM.  Babinski  et  Jarkowski 
ont  vu  les  réflexes  dits  de  défense  du  côté  anesthésie,  j'ai  noté  aussi 
le  phénomène  inverse,  c'est-à-dire  les  réflexes  dits  de  défense  être 
uniquement  ou  plus  facilement  provocables  du  côté  de  la  paralysie 
spasmodique. 

Le  syndrome  de  Brown-Séquard  dans  les  traumatismes  de  la  moelle 


!  18  G,  r,i   ni    \i  \ 


a  un  pronostic  relativement  favorable,  je  n'ai  constaté  aucun  cas  mortel 
soit  chez  les  blessés  observés  durant  la  guerre,  soil  chez  ceux  que  j'ai 
traités  dans  mes  différents  services  hospitaliers  de  Paris. 

Le  syndrome  de  l'hémisection  transversale  postérieure  de  la  moelle 
a  été  bien  décrit  par  MM.  Roussy  et  Lhermitte.  La  lésion  intéresse 
les  cordons  postérieurs  et  la  partie  postérieure  des  cordons  latéraux 
(  faisceau  pyramidal  croisé,  faisceau  cérébelleux  dorsal,  faisceau  fon- 
damental),   les  cornes  postérieures. 

Les  troubles  moteurs  se  traduisent  par  une  paraplégie  avec  abolition 
des  réflexes  tendineux  et  cutanés, paraplégie  qui  ultérieurement  devient 
spasmodique  Les  troubles  sensitifs  sont  ceux  décrits  par  M.  Dejerine 
sous  le  nom  de  syndrome  des  libres  radiculaires  longues  des  cordons 
postérieurs,  ils  se  caractérisent  par  l'abolition  ou  l'extrême  diminution 
des  sensibilités  profondes  (sens  des  altitudes  segmentaires,  sensibilité 
à  la  pression  ou  barestbésie,  sensibilité  osseuse  au  diapason  ou  palles- 
thésie,  sens  des  localisations,  notion  de  poids,  sens  de  la  discrimina- 
tion tactile  ou  appréciation  des  distances  tactiles  par  les  cercles  de 
Weber),  la  conservation  plus  ou  moins  parfaite  des  sensibilités  tactile, 
douloureuse  et  thermique.  MM.  Roussy  et  Lhermitte  font  remarquer 
que,  dans  le  syndrome  de  l'hémisection  transversale  postérieure,  les 
troubles  sensitifs  ne  sont  pas  toujours  aussi  simples  et  schématiques, 
car  les  lésions  atteignent  le  faisceau  fondamental  latéral,  voie  de  trans- 
mission des  impressions  de  chaud  et  de  froid  ;  aussi,  le  plus  souvent, 
on  constate  au  début  une  anesthésie  presque  complète,  puis  la  sensi- 
bilité se  restaure  en  partie,  et,  à  la  phase  tardive,  seules  demeurent  abo- 
lies les  sensations  osseuses,  articulaires,  musculaires  et  l'appréciation 
des  distances  tactiles.  J'ajouterai  que,  dans  le  syndrome  de  l'hémisec- 
tion transversale  postérieure,  on  observe  de  l'ataxie  et  de  l'asynergie  des 
mouvements. 


Je  n'ai   pas   l'intention   de   vous  spécifier   la   symptomatologie    des 

lésions  traumatiques  de  chaque  segment  de  la  moelle  ;  une  telle  descrip- 
tion nosologique  serait  fastidieuse  et  sans  intérêt,  car  je  serais  obligé 
devons  rappeler  des  notions  analomiques  et  physiologiques  tout  à  lait 
classiques,  qui  vous  sont  sans  nul  doute  familières.  Toutefois,  il  ml 
parait  indispensable  de  vous  apporter  quelques  précisions  sur  les 
lésions  traumatiques  de  la  queue  de  cheval. 

Vous  n'ignore/  pas  que    I  extrémité  inférieure  de  la  moelle  s'arrête  à 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIOUES  DE  LA  MOELLE  149 


la  partie  moyenne  du  corps  de  la  deuxième  vertèbre  lombaire  et  que  la 
gaine  dure-mérienne  qui  contient  les  racines  lombaires  et  sacrées  des- 
cend jusqu'au  niveau  de  la  2e  vertèbre  sacrée  C'est  dans  cette  région, 
comprise  entre  l'extrémité  inférieure  de  la  moelle  d'une  part  et  l'extré- 
mité inférieure  du  cul-de-sac  durai  d'autre  part,  que  sont  situés  les  nerfs 
de  la  queue  de  cheval. 

Durant  la  guerre,  sur  225  cas  de  lésions  traumatiques  de  la  moelle, 
nous  avons  observé,  avec  M.  J.-A.  Barré,  22  cas  de  lésions  de  la  queue 
de  cheval,  et  sept  de  ces  blessés  sont  morts.  Les  blessures  de  la  queue  de 
cheval  sont  incontestablement  moins  graves  que  les  blessures  de  la 
moelle,  mais  il  ne  faudrait  pas  croire  à  un  pronostic  du  début  trop  favo- 
rable, car  notre  statistique  donne  une  mortalité  de  31,8  0/0.  Certains 
neurologistes  ont  formulé,  au  sujet  des  blessures  de  la  queue  de  cheval, 
des  conclusions  trop  optimistes,  ce  qui  tient,  me  semble-t-il,  à  ce  qu'ils 
ont  fait  abstraction  des  blessés  morts  dans  la  zone  des  armées  et  par 
conséquent  non  évacués. 

Le  tableau  clinique  des  blessures  de  la  queue  de  cheval  diffère  de 
celui  des  plaies  delà  moelle  épinière  et  présente  des  particularités  qui 
méritent  d'être  précisées. 

Les  lésions  de  la  queue  de  cheval  par  projectiles  d'armes  à  feu  se 
traduisent,  immédiatement  après  la  blessure,  par  des  douleurs  et  des 
phénomènes  paralytiques. 

Les  douleurs  sont  variables  dans  leur  modalité  ;  les  blessés  accusent 
des  sensations  de  «jambes  coupées  »,  de  «  jambes  broyées  »,  de  «  cou- 
rants électriques  allant  des  reins  jusqu'aux  pieds  ».  Ces  douleurs  sont 
généralisées  à  la  face  antérieure  ou  postérieure  d'un  ou  des  deux  mem- 
bres, elles  sont  fréquemment  atroces,  se  présentent  parfois  sous  formes 
de  crises  paroxystiques  à  type  lancinant  souvent  nocturnes,  elles  s'atté- 
nuent chez  nombre  de  blessés  dans  les  jours  qui  suivent  le  trauma- 
tisme. 

Les  phénomènes  paralytiques  se  caractérisent  par  une  paralysie 
complète  ou  incomplète  ou  par  une  simple  faiblesse  des  membres  ;  l'in- 
tensité des  troubles  paralytiques  ou  leur  étendue  est  variable  suivant  les 
racines  atteintes.  Les  troubles  de  la  motilité  dans  les  lésions  de  la  queue 
de  cheval  régressent  souvent  rapidement.  L'évolution  des  progrès  de 
la  motilité  volontaire  se  fait  du  segment  rhizomélique  du  membre  au 
segment  ectromélique  ;  les  mouvements  delà  racine  du  membre  s'amé- 
liorent d'abord,  les  mouvements  des  orteils  sont  les  derniers  à  revenir. 

L'hypotonie  musculaire  est  généralement  plus  marquée  aux  muscles 
du  mollet  qu'à  ceux  des  cuisses.  L'atrophie  musculaire  est,  dans  certains 


G.  GUILLA1  \ 

cas,  très  caractéristique  par  su  rapidité  et  son  importance,  spécialement 
au  niveau  des  muscles  innervés  par  le  sciatique.  L'examen  électrique 
des  muscles  montre  souvent  des  modifications  de  l'excitabilité  élec- 
trique, particulièrement  des  muselés  innervés  par  le  sciatique. 

Les  réflexes  tendineux  sont  abolis  dans  la  zone  paralysée,  spéciale- 
ment le  réflexe  achilléen  et  les  trois  autres  réflexes  que  nous  avons 
décrits  avec  M.  J.-A.  Barré  :  le  réflexe  médio-plantaire, le  réflexe  tibio- 
fémoral  postérieur  et  le  réflexe  péronéo-fémoral  postérieur.  Les  réflexes 
rotuliens  sont  parfois  aussi  abolis  durant  un  temps  plus  ou  moins  long 
dans  les  cas  de  lésions  hautes.  Dans  les  lésions  sacrées  basses,  les  réflexes 
achilléen  et  médio-plantaire  restent  normaux,  les  troubles  sphinctériens 
et  les  modifications  de  la  sensibilité  de  la  région  du  périnée, du  scrotum 
et  de  l'anus,  sont  alors  les  symptômes  primordiaux.  L'étude  des  réflexes 
du  membre  intérieur  est  extrêmement  importante  pour  préciser  le 
diagnostic  de  la  hauteur  de  la  lésion.  Le  réflexe  cutané  plantaire  est  le 
plus  souvent  aboli.  Les  réflexes  dits  de  défense  sont  habituellement 
nuls,  mais,  quand  il  existe  une  infection  méningée,  ces  réflexes  peuvent 
être  très  vifs  avec  mouvement  de   retrait  du  membre. 

Je  vous  ai  signalé  déjà  les  douleurs  et  les  troubles  de  la  sensibilité 
subjective  et  spontanée.  Les  troubles  de  la  sensibilité  objective  et  pro- 
voquée sont  utiles  à  préciser,  dans  certains  cas,  par  la  manœuvre  de 
Lasègue,  qui  est  toujours  très  douloureuse.  Les  troubles  de  la  sensibilité 
objective  permettent  de  déterminer  les  zones  radiculaires  atteintes  ; 
dans  les  lésions  des  racines  sacrées  inférieures,  la  zone  anesthésique 
est  limitée  au  niveau  des  organes  génitaux,  du  périnée,  de  la  région 
anale.  L'anesthésie,  dans  les  lésions  de  la  queue  de  cheval,  atteint  tous 
les  modes  de  la  sensibilité,  mais  surtout  la  sensibilité  superficielle  ; 
elle  se  constate  parfois  uniquement  dans  le  territoire  de  quelques  raci- 
nes lombaires  ou  sacrées,  et  éventuellement  d'un  seul  côté.  Dans  cer- 
tains cas,  il  existe  une  simple  hyperesthésie  ou  hyperalgésie.  La 
régression  des  troubles  sensitifs  est  souvent  plus  lente  que  celle  des 
troubles  moteurs. 

Les  troubles  sphinctériens  s'observent  chez  presque  tous  les  sujets 
atteints  de  lésions  de  la  queue  de  cheval.  La  rétention  d'urine  existe 
au  début  ;  ultérieurement  on  peut  constater  soit  de  l'incontinence,  soit 
des  mictions  volontaires  normales  ou  presque  normales.  La  rétention 
OU  l'incontinence  des  matières  s'observent  avec  une  égale  Fréquence,  le 
réflexe  anal  est  souvent  aboli. 

Les  troubles  circulatoires  et  thermiques  sont  différents  de  ceux  obser- 
vés dans    les  plaies  de  la  moelle   épinière.  Dans  les  lésions  graves  de  la 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIOUES  DE  LA  MOELLE  151 


moelle,  on  note  souvent  l'inversion  de  la  régulation  thermique  normale 
et  une  élévation  très  marquée  de  la  température  des  membres.  Dans  les 
lésions  de  la  queue  de  cheval,  il  n'existe  généralement  pas  d'inversion 
de  la  répartition  thermique,  c'est-à-dire  que  la  température  est  plus 
élevée  aux  cuisses  qu'aux  pieds,  mais  on  constate  souvent  une  diminu- 
tion marquée  de  la  température  par  rapport  à  la  normale. 

Les  troubles  observés  à  la  suite  des  lésions  de  la  queue  de  cheval 
s'améliorent  fréquemment  et  dans  l'ordre  suivant  :  récupération  motrice, 
atténuation  des  douleurs,  modifications  favorables  des  troubles  sphinc 
tériens.  L'amélioration  d'ailleurs  peut  affecter  d'autres  types  ;  elle 
débute  souvent  très  précocement,  le  deuxième  ou  le  troisième  jour, 
progresse  d'abord  rapidement,  puis  ensuite  très  lentement.  Le  pro- 
nostic des  lésions  de  la  queue  de  cheval  paraît  relativement  favorable, 
mais  on  ne  peut  faire  abstraction  cependant  de  la  gravité  du  début,  qui 
tient  principalement  aux  complications  méningées. 


Il  ne  me  paraît  pas  inutile,  dans  un  aperçu  synthétique,  d'envisager 
avec  vous  quel  est  l'avenir  des  lésions  traumatiques  de  la  moelle.  On 
peut  dire,  à  un  point  de  vue  général,  que  le  pronostic  des  lésions  mé- 
dullaires fermées  est,  dans  l'ensemble,  moins  grave  que  celui  des  plaies 
vraies  de  la  moelle  par  balle,  éclat  d'obus,  shrapnell. 

Le  pronostic  des  plaies  vraies  de  la  moelle  à  leur  première  phase  est 
extrêmement  grave,  la  mortalité  dans  les  premières  semaines  est  extrê- 
mement élevée.  En  1916  et  1917,  dans  des  Centres  neurologiques  à  la 
VIe  et  à  la  Ire  armée,  j'ai  vu  245  blessés  vrais  de  la  moelle,  146  sont 
morts  et  99  seulement  ont  pu  être  évacués  sur  l'arrière  ;  j'ai  appris 
d'ailleurs  qu'un  certain  nombre  de  ces  blessés  évacués  ont  succombé 
ultérieurement  dans  des  hôpitaux  du  territoire.  En  faisant  abstraction 
de  la  mortalité  des  blessés  évacués,  que  je  ne  puis  préciser  avec  exacti- 
tude, la  mortalité  précoce  aux  armées  des  blessés  médullaires  dans  ma 
statistique  est  de  59,5  0/0.  J'ajouterai  que  cette  mortalité  très  élevée  a  été 
observée  chez  des  blessés,  qui  toujours  ont  été  examinés,  dès  le  début, 
avec  le  concours  du  chirurgien  et  du  neurologiste,  et  auxquels  les  soins 
les  plus  minutieux  et  les  plus  méthodiques  ont  été  donnés  par  un  per- 
sonnel nombreux  d'infirmières  compétentes,  pour  éviter  dans  la  mesure 
du  possible  les  complications  urinaires,  pulmonaires  et  cutanées.  Le 
pourcentage  de  mortalité  précoce  des  blessés  médullaires  dans  les 
armées  alliées  a  été  à  peu  près  semblable  à  celui    que  j'ai   signalé  plus 


[52  G.  GUILLAIN 


haut,  et  j'ai  trouvé  des  constatations  identiques  dans  la  littérature  alle- 
mande pour  les  années  de  l'Allemagne  et  de  l'Autriche. 

La  section  anatomique  totale  de  la  moelle  par  projectile  de  guerre 
comporte  presque  toujours  un  pronostic  fatal  dans  les  premiers  jours 
ou  les  premières  semaines  ;  les  observations  de  M.  et  M'"°  Dejerine,  de 
M.  Roussy,  de  MM.  Claude  et  Lhermitte,  de  MM.  Henry  Head  et 
George  Riddoch,  où  la  survie  a  été  assez  Longue,  après  une  section  mé- 
dullaire totale,  soutirés  instructives,  mais  sont  trop  peu  nombreuses 
pour  infirmer  le  pronostic  exceptionnellement  grave  de  la  section 
médullaire  totale.  Je  voudrais  savoir  si  actuellement,  trois  ans  après  la 
lin  de  la  guerre,  il  existe  encore  des  blessés  ayant  une  section  médul- 
laire totale  et  qui  survivent.  J'ai  l'impression  que  le  nombre  de  tels 
blessés  doit  être  bien  minime. 

Les  lésions  médullaires,  sans  section  totale,  présentent  une  gravité 
de  pronostic  moindre,  mais  un  grand  nombre  de  ees  blessés,  cpii  survi- 
vent, restent  de  grands  infirmes,  des  paraplégiques  définitifs.  Certains 
sont  des  paraplégiques  confinés  au  lit  avec  des  escarres,  des  œdèmes, 
de  s  infections  urinaires  ;  d'autres,  dont  les  lésions  ont  rétrocédé,  con- 
servent la  possibilité  de  certains  mouvements,  peuvent  marcher  avec 
des  béquilles.  Le  pronostic  des  paraplégies  spasmodiques  est  au 
point  de  vue  fonctionnel  moins  grave  que  celui  des  paraplégies  flasques 
avec  amyotrophies.  L'on  comprend  que  la  possibilité  de  l'amélioration 
dépend  de  l'étendue  ou  de  la  profondeur  des  lésions  du  névraxe,  spé- 
cialement des  lésions  des  cellules  nerveuses  des  cornes  antérieures  et 
des  lésions  des  voies  motrices  descendantes  pyramidales  ou  parapv- 
ramidales. 

Une  remarque  parait  intéressante,  c'est  la  gravité  moindre  du  pronos- 
tic des  lésions  qui  n'intéressent  qu'une  moitié  delà  moelle.  Nous  avons 
déjà  dit,  avec  M.  J.-A.  Barré,  que  tous  les  cas  de  syndrome  de  Brown- 
Séquard,  que  nous  avons  observés  aux  armées,  ont  pu  être  évacués 
dans  des  conditions  favorables,  et  une  tendance  très  nette  à  l'améliora- 
tion s'était  manifestée  avant  que  ees  blessés  ne  quittent  les  formations 
de  la  zone  des  armées.  J'ai  fait  cette  même  constatation  dans  deux  cas 
de  syndrome  de  Brown-Séquard  traumatiques  observés  depuis  la 
guerre.  Les  hémisections  transverses  postérieures  de  la  moelle,,  sur 
lesquelles  M.  Roussy  a  attiré  l'attention,  s'améliorent  de  même  dans 
un  grand  nombre  de  cas 

Des  symptômes  paralytiques,  en  apparence  graves  les  premiers  jours, 
symptômes  dus  à  des  lésions  compressives,  peuvenl  s'amender  asseï 
rapidement.  Il  y  a  dans  ces  faits  de  compression  médullaire  simple  un 


LES  LÉSIONS    TRAUMÀTIQUËS  DE  LA  MOELLE  153 

type  clinique  important  à  connaître.  Un  hématorachis,  une  hémorrha- 
gie  sous-arachnoïdienne  périrnédullaire,  peuvent  déterminer  des 
paralysies  qui  rétrocèdent  ensuite.  Cette  guérison  n'est  possible  que  si 
la  moelle  n'a  pas  été  détruite,  même  partiellement,  parle  projectile,  car, 
ainsi  que  je  vous  l'ai  rappelé,  la  régénération  des  fibres  médullaires 
sectionnées  ou  des  cellules  radiculaires  motrices  ne  se  fait  pas.  J'ajou- 
terai cependant  que  je  suis  convaincu  que  des  suppléances  peuvent  se 
créer  dans  la  conduction  médullaire,  spécialement  dans  la  conduction 
des  sensibilités. 

Certains  symptômes  observés  dans  les  plaies  de  la  moelle,  et  qui 
paraissent  inquiétants  au  début,  peuvent  rétrocéder,  ce  sont  les 
phénomènes  d'irritation  radiculaire  en  rapport  le  plus  souvent  avec 
des  compressions  hématiques  ou  osseuses.  Il  est  certain  que,  dans  ces 
cas,  l'ablation  des  esquilles  comprimant  les  racines  peut  faire  cesser 
les  douleurs  parfois  si  pénibles  de  ces  blessés. 

Le  pronostic  des  lésions  traumatiques  de  la  moelle  suivant  la  hauteur 
des  lésions  comporte  certains  enseignements.  Les  lésions  des  premiers 
segments  cervicaux  par  balle  ou  éclat  d'obus  ne  paraissent  pas  permet- 
tre la  survie,  en  raison  sans  doute  des  altérations  traumatiques  com- 
motionnelles  bulbaires  concomitantes.  Il  est  évident,  sans  qu'il  soit 
utile  d'insister  sur  ce  point,  que  les  lésions  de  la  moelle  cervicale  infé- 
rieure, ayant  pour  conséquence  une  quadriplégie,  sont  fonctionnelle- 
ment  plus  graves  qu'une  lésion  de  la  moelle  dorsale  ayant  pour  consé- 
quence une  paraplégie;  je  parle  des  cas  où  les  lésions  sont  suffisamment 
destructives  et  profondes  pour  entraîner  des  symptômes  de  déficit 
permanents,  car  différents  auteurs,  M.  Pierre  Marie  et  Mma  Bénisty, 
MM.  Claude,  Lhermitte,  Roussy  et  L.  Cornil,  ont  signalé  des  cas  de 
paraplégie  cervicale  susceptibles  d'amélioration  ;  cette  éventualité  se 
produit  d'ailleurs  principalement  dans  les  commotions  médullaires, 
elle  est  infiniment  plus  rare  quand  le  projectile  dans  son  trajet  a  lésé 
directement  la   moelle. 

Je  vous  ai  déjà  dit,  et  je  le  répète  volontiers,  que  le  pronostic  des 
lésions  de  la  queue  de  cheval  est  moins  sérieux  que  celui  des  lésions  de 
la  moelle  ;  d'ailleurs  la  pathologie  de  la  queue  de  cheval  est  une  patho- 
logie  radiculaire. 

Je  vous  ai  signalé,  au  cours  de  cette  conférence,  qu'on  pouvait  obser- 
ver des  paraplégies  chez  des  blessés  dont  le  projectile  avait  atteint  le 
rachis  sans  intéresser  la  dure-mère  ;  ces  paraplégies,  ainsi  que  nous  l'a 
démontré,  avec  M.  J.-A.  Barré,  l'élude  de  15  autopsies,  sont  dues  à 
des  hématomyélies  ou  à  des  myélomalacies qui  intéressent  souvent  plu- 


.1  G.    i.l    III    M  S 


sieurs  segments  del'axe  nerveux.  Le  pronostic-  de  ces  lésions  est  par- 
Fois  très  grave,  car  elles  peuvent  avoir  pour  conséquence  le  syndrome 
de  section  totale  delà  moelle  avec  mort  rapide  ;  dans  d'autres  cas  les 
symptômes  s'améliorent,  et  le  pronostic  des  hématomyélies  sans  lésions 
de  la  dure-mère  est  meilleur  que  celui  des  altérations  médullaires  des- 
tructives par  projectiles  ayant  traversé  la  dure-mère. 

Le  pronostic  global  des  lésions  médullaires  traumatiques  est  incon- 
testablement très  sérieux  ;  les  facteurs  de  gravité  sont  en  effet  multiples. 

Je  regrette  de  ne  pouvoir  étudier  avec  vous,  dans  leurs  détails,  toutes 
les  complications  éventuelles  des  plaies  de  la  moelle,  car  cette  étude 
comporterait  à  elle  seule  une  conférence  entière.  Il  me  suffira  de  vous 
rappeler  qu'on  peut,  dans  les  lésions  traumatiques  de  la  moelle,  envi- 
sager :  1°  la  gravité  du  début,  due  aux  complications  méningées,  pul- 
monaires, rénales,  aux  troubles  de  l'innervation  sympathique  des  vis- 
cères abdominaux  et  des  glandes  à  sécrétion  interne,  à  la  cachexie  par 
défaut  d'assimilation,  à  l'anémie  bulbaire  ;  2°  la  gravité  dans  les  mois 
qui  suivent  la  blessure,  gravité  qui  provient  des  escarres,  des  infections 
urinaires,  des  broncho-pneumonies,  de  la  déchéance  de  l'organisme 
favorisant  toutes  les  maladies  infectieuses  ;  3°  la  gravité  tardive  au 
point  de  vue  social  pour  les  paraplégiques  qui  survivent,  car,  en  raison 
de  leurs  troubles  moteurs,  ils  restent  souvent  de  grands  infirmes. 


L'étude  détaillée,  que  j'ai  poursuivie  avec  vous,  de  la  symptomato- 
logie  clinique  des  lésions  traumatiques  de  la  moelle  me  permettra 
d'être  bref  sur  le  diagnostic  ;  je  désirerais  toutefois  vous  rappeler 
certaines  notions  qui  vous  permettront  de  reconnaître  vraisembla- 
blement si  vous  êtes  en  présence  d'un  sujet  atteint  dune  section  com- 
plète de  la  moelle,  d'une  section  incomplète,  d'une  hématomyélie,  d'une 
compression. 

La  section  anatomique  complète  de  la  moelle  est,  ainsi  que  je  vous 
l'ai  spécifié,  relativement  raie,  mais  là  section  physiologique  est  plus 
fréquente.  Par  section  physiologique  je  veux  dire  que,  sans  que  la 
moelle  épinière  soit  séparée  en  i\vux  tronçons,  le  tissu  nerveux  qui 
subsiste  est  tellement  lèse  OU  inhibé  par  le  traumatisme  qu'il  peut 
être  considéré,  au  point    de    vue    Fonctionnel,    comme    inexistant. 

Nous  avons  synthétisé,  avec  M.  J.-A.  Barré,  dans  les  lignes  suivantes. 
les  signes  observés  à  la  première  phase    d'une  paraplégie    par   destine- 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  155 

tion  brusque  et  totale  de  la  moelle  :  «  Paraplégie  motrice  complète  ; 
abolition  de  la  sensibilité  sous  tous  ses  modes  ;  tonicité  normale  au 
début  ;  abolition  des  réflexes  tendineux  ;  conservation  ordinaire  du 
réflexe  cutané  plantaire  en  flexion;  subsistance  fréquente  du  réflexe  cré- 
mastérien,  plus  rare  des  réflexes  cutanés  abdominaux  ;  abolition  com- 
plète (dans  les  3/4  des  cas)  des  réflexes  dits  de  défense  observés  à  la 
manière  classique  ;  existence  dans  plus  de  la  moitié  des  cas  des  réactions 
réflexes  diffusées  par  excitation  de  la  plante  du  pied  ;  contraction  per- 
manente du  sphincter  vésical  ;  inversion  delà  répartition  thermique 
sur  les  membres  paralysés  ».  A  une  phase  plus  tardive,  le  syndrome 
d'interruption  physiologique  peut  se  modifier  par  l'existence  des  phé- 
nomènes dits  d'automatisme  médullaire,  mais  l'abolition  absolue  de 
toutes  les  sensibilités  tactile,  douloureuse,  thermique,  vibratoire, 
persiste. 

Dans  les  syndromes  de  section  médullaire  incomplète,  la  sensibilité 
est  souvent  conservée  sur  un  certain  territoire  cutané  même  très  limité 
(la  zone  sacrée  parexemple  ou  la  plante  du  pied),  la  manœuvre'  de  La- 
sègue  provoque  parfois  de  la  douleur,  la  notion  de  certaines  attitudes 
segmentaires  peut  être  interprétée  correctement. 

J'ajouterai  que  l'existence  d'un  réflexe  cutané  plantaire  en  extension, 
dans  les  premières  heures  ou  les  premiers  jours  d'une  lésion  trauma- 
tique  de  la  moelle,  doit  faire  écarter  le  diagnostic  d'une  section  complète 
et  laisser  supposer  plutôt  une  lésion  en  foyer,  une  hématomyélie,  une 
commotion  ou  une  compression  médullaire.  C'est  ce  qui  nous  a  fait  dire, 
avec  M.  J.-A.  Barré,  qu'il  valait  beaucoup  mieux,  au  point  de  vue  du 
pronostic,  constater,  chez  un  blessé  récent  de  la  moelle,  le  réflexe  cu- 
tané plantaire  en  extension  plutôt  que  le  réflexe  en  flexion  ou  le  réflexe 
aboli. 

L'hématomyélie,  que  l'on  observe  à  la  suite  des  traumatismes  par 
projectiles  d'armes  à  feu,  se  caractérise  souvent  par  une  paraplégie 
flasque  complète  avec,  fréquemment,  atteinte  de  toutes  les  sensibilités, 
contrairement  à  ce  que  l'on  observe  dans  les  hématomyélies  spontanées 
où  la  dissociation  syringomyélique  est  un  symptôme  habituel.  Ce  fait 
s'explique,  car,  comme  nous  l'avons  dit  avec  M.  J.-A.  Barré,  les  hémato- 
myélies spontanées  siègent  en  général  dans  l'axe  gris  central,  tandis 
(jue  les  hématomyélies  traumatiques  par  blessures  d'armes  à  feu  inté- 
ressent fréquemment  un  segment  médullaire  dans  la  presque  totalité  de 
sa  substance  blanche  et  grise  ;  de  plus,  l'hématomyélie,  même  localisée, 
coexiste  souvent  dans  ces  cas  avec  une  myélomalacie.  Nous  avons 
attiré  l'attention,  avec  M.  J.-A.   Barre,  sur  un   signe  qui  permet  le  (lia- 


156  G.  <;i  ni  \i  \ 


gnostic  de  ces  hématomyélies  ;  ce  signe  consiste  en  ce  que,  au-dessus 
de  la  zone  cutanée  complètement  anesthésiée,  on  peut,  sur  un  ou  plu- 
sieurs segments,  constater  une  dissociation  syringomyéliqué.  Cette 
particularité  symptomatique  est  due  à  ce  que  l'épanchement  sanguin 
a  une  tendance,  à  sa  limite  supérieure,  à  l'user  en  hauteur  dans  l'axe 
gris  et  le  canal  central,  et  l'on  retrouve  ainsi  la  symptomatologie 
des  hématomyélies  classiques  Cette  particularité  de  la  dissociation 
syringomyéliqué  de  la  sensibilité,  sur  un  ou  plusieurs  segments  cutanés 
sus-jacents  à  un  syndrome  de  section  anatomique  ou  physiologique, 
peut  permettre  de  reconnaître  les  petites  hématomyélies,  cpii  coexistent 
si  fréquemment  avec  les  autres  lésions  médullaires  destructives.  J'ajou- 
terai tpie  les  hématomyélies  traumatiques  s'accompagnent  presque  tou- 
jours de  suffusions  sanguines  dans  l'espace  araehnoïdo-pie-inérien, 
suffusions  cpie  l'on  peut  reconnaître  par  la  ponction  lombaire.  Toutefois 
je  vous  conseille  de  ne  pas  faire  de  ponctions  lombaires  trop  précoces 
chez  ces  sujets,  car  les  ponctions  lombaires,  ainsi  que  je  l'ai  écrit  bien 
souvent,  sont  loin  d'être  toujours  inoffensives  dans  le  cas  de  lésions 
médullaires  aiguës  congestives  ou  hémorrhagiques.  Si  certaines  héma- 
tomyélies traumatiques  ont  un  pronostic  grave,  vous  ne  devez  pas 
ignorer  que,  dans  les  cas  où  l'hématomyélie  est  peu  étendue  en  hauteur 
et  en  largeur,  la  paraplégie  peut  s'améliorer  et  même  guérir  presque 
complètement,  mais  on  observe  souvent  durant  longtemps  le  réflexe 
cutané  plantaire  en  extension. 

Il  vous  sera  extrêmement  difficile,  en  présence  d'un  traumatisé  de  la 
moelle,  de  spécifier  qu'il  existe  des  lésions  de  commotion  médullaire 
simple  sans  hématomyélie.  Je  ne  vous  conseille  pas  d'affirmer  par  les 
seuls  symptômes  cliniques  que  vous  êtes  en  présence  de  nécrose  aiguë, 
de  dégénération  simple  des  libres  à  myéline  ;  ne  cherchez  pas  des  pré- 
cisions incontrôlables,  des  finesses  de  diagnostic  excessives. 

Dans  les  cas  de  compression  médullaire,  les  douleurs  radiculaires 
sont  fréquentes  et  intenses,  il  existe  des  zones  d'hyperesthésie,  la  para- 
plégie est  souvent  incomplète,  vous  constaterez  le  plus  habituellement 
la  surréflectivité  tendineuse  avec  clonus  du  pied, le  réflexe  cutané  plan- 
taire prendra  le  type  en  extension,  les  réflexes  dits  de  défense  6u  d'au- 
tomatisme médullaire  seront  précoces  et  souvent  très  accentués.  11  faut 
d'ailleurs  ne  pas  ignorer  que  la  compression  médullaire  traumatique 
s'accompagne  fréquemment  de  lésions  intra-médullaires,  qui  s'extério- 
risent en  clinique  par  leur  symptomatologie  spéciale. 

Il  est  souvent  important  de  pouvoir  diagnostiquer  l'étendue  en  hau- 
teur d'une  lésion  médullaire  traumatique  plus  ou  moins  ancienne. 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  157 

La  limite  supérieure  de  la  lésion  peut  être  déterminée  par  la  topogra- 
phie de  la  zone  d'anesthésie,  que  vous  comparerez  avec  les  schémas 
classiques,  et  par  la  topographie  de  la  paralysie  motrice  Dans  les  lé- 
sions de  la  moelle  dorsale,  on  peut  arriver  à  certaines  précisions  par 
l'étude  méthodique  des  segments  musculaires  paralysés  de  la  paroi 
abdominale  ;  M.  J.-A.  Barré  et  M.  André-Thomas  ont  particulièrement 
insisté  sur  ces  examens.  Je  vous  rappelle  aussi,  au  sujet  des  troubles 
de  la  sensibilité,  qu'une  zone  de  dissociation  syringomyélique  sus- 
jacente  à  une  zone  d'anesthésie  complète  indique  une  lésion  héma- 
tomyélique  ou  myélomalacique  de  la  substance  grise  ou  des  cordons 
latéraux;  dans  d'autres  cas,  vous  observerez  une  bande  d'hypéresthésie 
douloureuse  au-dessus  de  la  zone  d'anesthésie,  elle  démontrera  l'exis- 
tence d'une  lésion  radiculaire. 

La  limite  inférieure  de  la  lésion  est  plus  difficile  à  fixer.  Vous  n'igno- 
rez certes  pas  que,  dans  les  paraplégies  par  compression,  la  zone  des 
réflexes  de  défense  n'atteint  pas  la  limite  de  Tanesthésie,  et  MM.  Ba- 
binski  et  Jarkowski  ont  spécifié,  à  ce  sujet,  que  la  distance  comprise 
entre  la  limite  de  l'ancsthésie  et  la  limite  de  la  zone  des  réflexes  de 
défense  correspondait  à  la  hauteur  de  la  compression  spinale.  M.  An- 
dré-Thomas pense  qu'il  serait  plus  prudent  d'envisager  le  territoire 
cutané  compris  entre  la  ligne  d'anesthésie  et  la  limite  de  la  zone  des 
réflexes  de  défense  comme  correspondant  non  pas  à  la  hauteur  du  seg- 
ment comprimé,  mais  plutôt  à  l'ensemble  des  lésions  spinales,  lésions 
de  compression  et  lésions  à  distance. 

Dans  les  paraplégies  par  blessures  de  guerre,  nous  avons  montré,  avec 
M  J.-A.  Barré,  combien  les  réflexes  dits  de  défense  étaient  variables  ; 
nous  avons  vu  que,  contrairement  à  ce  que  l'on  observe  dans  les  com- 
pressions médullaires,  ces  réflexes  n'étaient  souvent  et  longtemps  pro- 
vocables cpie  par  l'excitation  cutanée  plantaire;  aussi  sera-t-il  parfois 
bien  difficile  de  fixer  une  topographie  lésionnelle  médullaire  avec  l'é- 
tude de  ces  réflexes  de  défense.  M.  André-Thomas  pense  que,  lorsque 
la  zone  provocatrice  des  réflexes  de  défense  s'étend,  il  est  vraisemblable 
que  sa  limite  supérieure,  quand  elle  devient  fixe,  indique  la  limite  infé- 
rieure de  la  lésion  spinale  ;  M.  J  -A.  Barré  et  M.  André  Thomas  con- 
seillent très  justement,  dans  les  lésions  de  la  moelle  dorsale,  d'étudier 
méthodiquement  les  muscles  de  la  paroi  abdominale;  la  détermi- 
nation du  segment  musculaire  le  plus  élevé  du  muscle  grand  droit  de 
l'abdomen  ou  des  muscles  obliques,  qui  se  contracte  pendant  les 
réflexes  de  défense,  peut  contribuer  à  fixer  la  limite  inférieure  des 
lésions  spinales  el    radicuïaires. 


158  G.  G\  ll.l.M  \ 

Lorsque  vous  aurez  précisé  la  zone  comprise  entre  la  limite  infé- 
rieure de  la  contraction  volontaire  et  la  limite  supérieure  de  là  contrac- 
tion tics  réflexes  dits  de  défense,  c'est-à-dire,  somme  toute,  la  zone 
supposée  innervée  par  le  segment  médullaire  lésionnel,  il  sera  utile 
d'étudier  les  réactions  électriques  des  muscles  de  cette  zone  pour  déter- 
miner si  les  lésions  centrales  sont  destructives  et  profondes. 

Tous  ces  examens  seront  très  importants,  spécialement  dans  les  cas 
où  l'opportunité  d'une  intervention  chirurgicale  sera  discutable. 


Le  traitement  des  lésions  médullaires  traumatiques  nécessite,  ainsi 
que  je  vous  le  disais,  la  collaboration  du  neurologiste  et  du  chirur- 
gien. 

Dans  les  cas  de  lésions  traumatiques  fermées,  je  fais  allusion  aux 
fractures  et  luxations  du  rachis  sans  plaie  extérieure,  l'examen  radio- 
graphique  sera  toujours  utile,  mais  l'intervention  chirurgicale  précoce 
et   rapide   ne  s'impose  pas. 

Dans  les  plaies  delà  moelle  par  projectiles  de  guerre  et  aussi  par 
coup  de  couteau,  et  je  vous  rappellerai  que  la  pointe  du  couteau  est 
souvent  cassée,  une  exploration  chirurgicale  rapide  est  utile  ;  l'orifice 
d'entrée  dorsale  doit  être  débridé,  la  plaie  désinfectée,  le  squelette 
osseux  examiné.  Les  esquilles  osseuses  qui  compriment  doivent  être 
enlevées,  ainsi  (pie  les  fragments  de  vêlements,  les  corps  étrangers, 
les  projectiles  superficiels  souvent  restés  au  niveau  des  vertèbres.  De 
grands  lavages  au  sérum  salé  physiologique  chaud  doivent  être  faits, 
avec  une  faible  pression,  pour  ramener  les  corps  étrangers,  pour 
nettoyer  dans  son  ensemble  la  blessure  II  ne  faut  pas  user  d'antisep- 
tiques dans  ces  plaies  au  fond  desquelles  sont  la  dure-mère,  souvent 
ouverte,  et  le  tissu  médullaire,  d'une  extrême  sensibilité  à  toute  action 
nocive.  J'ajouterai  la  nécessité  d'opérer  dans  des  salles  d'opérations 
surchauffées,  car  le  tissu  nerveux  est  sensible  au  refroidissement.  11  ne 
Faut  explorer  le  fond  de  ces  plaies,  où  la  moelle  peut  être  à  nu,  qu'avec 

la  plus  extrême  douceur  et  ne  jamais  tamponner  fortement. 

J'ai  fait  remarquer,  avec  M.  J.-A.  Barré,  (pie  les  blessés  de  la  moelle 
supportaient  mal  l'anestliésic  par  le  chloroforme,  l'etber,  le  protowde 
d'a/.ole,  et  (pie,  en    dehors  de  toute    action  chirurgicale   sérieuse   sur  la 

moelle    elle-même,  l'opération  simplement  exploratrice,  faite  che 
blesses  quelques  heures  on  deux  à  trois    jouis  après  le   traumatisme, 


LES  LÉSIONS   THAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  159 

amenait  souvent  une  aggravation  de  l'état  général  et  même  la  mort 
rapide.  Nous  nous  sommes  demandé  si,  par  suite  des  troubles  viscé- 
raux, sur  lesquels  nous  avons  insisté,  l'anesthésie  générale  chez  ces 
blessés  ne  créait  pas  une  intoxication  rapide,  et  si  l'anesthésie  locale 
n'était  pas  de  beaucoup   préférable,  lorsqu'elle  est  possible. 

Lorsque  l'opération  exploratrice  aura  permis  de  constater  une  frac- 
ture de  la  partie  postérieure  ou  latérale  de  la  vertèbre,  que  les  esquilles 
auront  été  soulevées  et  enlevées,  et  que  la  dure-mère  apparaîtra  non 
ouverte,  il  ne  faut  sous  aucun  prétexte  l'ouvrir,  car  l'ouverture  de  la 
dure-mère  aggrave  toujours  le  pronostic  opératoire.  Lorsque  la  dure- 
mère  est  ouverte,  soit  par  le  projectile  lui-même,  soit  par  des  frag- 
ments osseux  fracturés,  et  que  le  tissu  médullaire  apparaît  en  bouillie 
au  fond  de  la  plaie,  le  lavage  prolongé  au  sérum  physiologique  chaud 
à  faible  pression  est  le  seul  traitement  rationnel.  La  suture  de  la 
moelle  paraît  absolument  illusoire  d'après  les  données  acquises  de 
l'anatomie  et  de  la  physiologie  pathologiques. 

La  question  de  l'ablation  des  projectiles  dans  les  plaies  de  la  moelle 
mérite  d'être  discutée.  Quand  le  projectile,  repéré  parla  radiographie, 
se  trouve  en  arrière  ou  sur  les  côtés  de  la  moelle,  il  faut,  au  cours  de 
l'intervention,  l'extraire.  Si  le  projectile  est  intra-médullaire,  la  même 
règle  s'impose  ;  dans  ce  cas,  en  effet,  la  dure-mère  est  ouverte,  la 
moelle  apparaît  au  fond  de  la  plaie,  l'ablation  du  projectile  ne  com- 
plique aucunement  l'intervention  et  ne  peut  qu'être  utile,  en  suppri- 
mant une  cause  d'infection  ou  de  méningite.  Des  préceptes  thérapeu- 
tiques analogues  s'appliquent,  bien  entendu,  au  cas  d'un  fragment  de 
couteau  intrarachidien  ;  j'en  voyais  un  exemple  tout  récemment  dans 
mon  service  de  l'Hôpital  de  la  Charité.  Lorsque  le  projectile  a  traversé 
la  moelle  et  a  déterminé  une  section  peut-être  incomplète,  que  ce  pro- 
jectile se  trouve  en  avant  de  la  moelle,  dans  un  corps  vertébral  par 
exemple,  l'ablation  chirurgicale  est  tout  à  fait  inopportune,  car  on  est 
assuré  alors  d'occasionner  des  lésions  supplémentaires,  qui  font  sou- 
vent d'une  section  incomplète  une  section  complète. 

Le  traitement  dit  médical  des  plaies  de  la  moelle  a  une  grande  im- 
portance, car  il  permet  d'éviter  nombre  de  complications. 

Ces  blessés  paraplégiques  doivent  être  maintenus  dans  un  état  de  pro- 
preté absolue  ;  il  faut  pour  cela  des  infirmières  d'un  dévouement  de  tous 
les  instants,  car  il  est  incontestable  que  les  multiples  soins  nécessaires 
sont  extrêmement  délicats. 

Les  blessés  de  la  moelle  seront  couchés  soit  sur  des  lits  mécaniques 
spéciaux,  permettant  les  pansements  et  les    nettoyages,  sans   mobili- 


160  G.  Gl  ILLAIh 


sation  du  rachis,  soit,  à  leur  défaut,  sur  des  matelas  d'air,  L'usage  des 
ronds  de  caoutchouc,  que  l'on  met  souvent  à  la  région  fessière,  doit 
être  très  surveillé,  car  ceux-ci  sont  parfois  traumatisants. 

L'incontinence  des  matières  est  une  des  causes  des  escarres  sacrées 

sur  laquelle  MM.  Pierre  Marie  et  Roussy  ont  très  justement  insisté. 
Il  faut  donc  éviter,  dans  la  mesure  du  possible,  l'infection  de  la  peau 
par  le  contact  des  matières,  et  pour  eela  faire  des  lavages  locaux  à  l'eau 
savonneuse  et  à  l'alcool  .un  grand  nombre  de  fois  par  jour  ;  après  assè- 
chement minutieux,  la  région  sera  poudrée  avec  de  la  poudre  de  talc 
stérilisée.  Toutefois,  malgré  tous  les  soins  locaux,  les  escarres  peuvent 
si'  développer  ;  celles-ci  peuvent  être  traitées  par  des  lavages  avec 
une  solution  de  permanganate  de  potasse,  d'eau  oxygénée,  d'arséno- 
benzol,  de  bleu  de  méthylène  ;  les  divers  baumes  antiseptiques 
pourront  rendre  de  grands  services,  ainsi  que  les  poudres  comme 
l'ectogan  ;  les  applications  d'air  chaud  peuvent  aussi  agir  favorable- 
ment. Les  autres  régions  exposées  aux  escarres,  comme  les  talons, 
les  malléoles,  les  genoux,  seront  isolées  par  des  couches  ouatées  pour 
éviter  tout  traumatisme. 

Les  soins  vésicaux  doivent  être  mis  au  premier  plan.  Presque  tous 
les  blessés  de  la  moelle  doivent  être  sondés  ;  les  sondages  doivent 
être  pratiqués  quatre  à  cinq  fois  par  jour  environ,  à  des  heures  régu- 
lières, soit  avec  des  sondes  molles  de  Nélaton,  soit  avec  des  sondes  en 
gomme  droites  ou  à  bout  coudé;  je  crois  inutile  d'insister  sur  l'asepsie 
de  ces  sondes  Dans  les  cas  si  fréquents  d'hématurie,  il  y  a  intérêt  à 
laisser  une  sonde  à  demeure,  à  faire  des  lavages  de  la  vessie  avec  de 
l'eau  bouillie  chaude.  Lorsque  les  urines  sont  purulentes,  les  lavages 
vésicaux  sont  également  d'une  grande  utilité,  il  est  recommandable 
de  laisser  dans  la  vessie,  à  la  lin  du  lavage,  de  l'huile  goméno— 
lée.  MM.  Claude  et  Lhermitte,  chez  des  blesses  très  infectés,  ont 
obtenu  des  résultats  favorables  par  la  cystostomie  sus-pubienne. 
Je  crois  qu'il  ne  faut  pas,  dans  un  but  d'antisepsie  urinaire, 
prescrire  à  trop  hautes  doses  et  trop  longtemps  l'urotropine,  car  ce 
médicament  peut  augmenter  la  tendance  déjà  trop  facile  aux  héma- 
turies 

Pour  éviter,  dans  la  mesure  du  possible,  les  complications  pulmo- 
naires, les  blessés  de  la  moelle  doivent  être  changés  souvent  de  posi- 
tion, quand  l'étal  de  la  blessure  et  Au  squelette  le  permet  ;  les  soins 
antiseptiques  des  muqueuses  nasale,  buccale  et  pharyngienne  seronl 
donnés  plusieurs    lois  par  jour. 

,1e  crois  inutile  d'insister  sur  les  indications  thérapeutiques  spéciales 


LES  LÉSIONS   TRAUMATIQUES  DE  LA  MOELLE  ICA 

qui  peuvent  être  tirées  de  l'état  général,  de  l'état  du  cœur,  de  la 
tension  artérielle,  etc. 

Je  viens  d'envisager  spécialement  le  traitement  de  la  première  phase 
des  lésions  traumatiques  de  la  moelle.  Ultérieurement,  lorsque  les 
symptômes  paraplégiques  s'amélioreront,  lesmassages,  la  mobilisation, 
la  mécanothérapie,  l'hydrothérapie  peuvent  être  utiles.  L'électrothé- 
rapie,  dans  certains  cas,  et  spécialement  dans  certaines  lésions  de 
la  queue  de  cheval,  aura  ses  indications.  Je  vous  rappellerai  aussi 
que  certains  paraplégiques,  qui  ont  perdu  l'usage  de  leurs  membres 
inférieurs,  peuvent  reprendre  une  vie  sociale  extérieure  au  moyen  de 
voitures  spéciales  actionnées   par  les   membres  supérieurs. 

A  la  phase  tardive  des  lésions  médullaires  traumatiques,  quelques 
indications  chirurgicales  peuvent  être  encore  envisagées,  et  C.  A. 
Elsberg  les  précisait  récemment.  Une  intervention  chirurgicale  peut 
être  utile,  par  exemple,  dans  certains  cas  de  rétrécissement  du  canal 
médullaire  par  luxation  ou  cal  exubérant.  Ailleurs  la  laminectomie 
avec  section  des  racines  postérieures,  suivant  la  méthode  de  Foerster, 
peut  donner  des  résultats  favorables  chez  certains  sujets,  dont  la  spas- 
modicité  est  telle  que  la  marche  est  impossible.  Autre  exemple  : 
lorsqu'un  ancien  traumatisé  de  la  moelle  conserve  des  douleurs  extrê- 
mement intenses  au  niveau  ou  au  voisinage  de  la  partie  supérieure  de 
la  lésion,  que  ces  douleurs  ne  cèdent  pas  à  l'immobilisation,  une 
laminectomie  décompressive  avec  section  des  racines  postérieures  peut 
être  conseillée. 

Vous  voyez,  Messieurs,  et  je  pourrais  multiplier  ces  cas  cliniques, 
combien  la  collaboration  du  neurologiste  et  du  chirurgien  est  précieuse 
et  indispensable. 


Avant  d'achever  cette  conférence  sur  les  lésions  traumatiques  de 
la  moelle,  je  voudrais,  Messieurs,  une  fois  encore,  insister  sur  la  gra- 
vité de  leur  pronostic.  Je  n'ignore  certes  pas  que  certaines  lésions 
médullaires  s'améliorent,  que  des  lésions  de  la  moelle  cervicale  réputées 
incurables  ont  guéri,  que  certains  traumatisés  de  la  moelle  ont  pu 
durant  la  guerre  retourner  au  front  ;  mais,  si  l'on  ne  considère  pas 
seulement  les  exceptions,  si  l'on  fait  abstraction  des  lésions  commotion- 
belles  bénignes  pour  n'envisager  (pie  les  lésions  médullaires  destruc- 
tives vraies,  il  apparaît  d'une  absolue  évidence  (pie  la  majorité  des  lé- 
sions médullaires  traumatiques  laissent  des  séquelles  tardives  elperma- 

COXI-ÉR.     NELROL.  11 


à 


162  G,  Gl  ll.l M  \ 

tien  tes.  A  ce  point  de  vue,  une  opposition  s'impose  entre  les  lésions 
traumatiques  de  l'encéphale  elles  lésions  traumatiques  de  la  moelle.  La 
guerre  européenne  nous  a  montré  que  les  lésions  de  l'encéphale  avaient 
souvent  un  pronostic  éloigné  moins  grave  qu'on  ne  le  supposait  ;  il 
ne  me  paraît  pas  que  semblable  constatation  optimiste  puisse  être  laite 
pour    les  plaies    de  la  moelle    épinière. 


SIXIÈME    CONFÉRENCE 

PAR 

J.     LHERMITTE 

médecin  de  l'hospice  Paul  Brousse. 

L'ENCÉPHALITE    LÉTHARGIQUE 


Messieurs, 

Il  est  assurément  peu  de  questions  médicales  qui  soient  plus  d'ac- 
tualité que  l'encéphalite  léthargique  ou  épidémique.  En  dépit  du 
nombre  considérable  de  travaux  suscités  par  le  développement  extensif 
des  épidémies  qui,  depuis  l'hiver  1916-1917,  se  sont  abattues  sur  l'Eu- 
rope, le  problème  de  la  maladie  demeure  toujours  vivant.  Cela  tient, 
en  grande  partie,  aux  transformations  incessantes  du  tableau  sympto- 
matique  de  cette    affection  et  de  son  extrême  polymorphisme. 

S'il  est,  en  effet,  une  maladie  déroutante  par  la  variabilité  et  la 
richesse  de  son  expression  clinique,  c'est,  sans  conteste,  l'encéphalite 
épidémique.  Capable  de  se  plier  aux  masques  les  plus  divers,  l'encé- 
phalite est  susceptible  de  mutations  telles  qu'elle  peut  simuler  la  plu- 
part des  maladies  du  s\'stème  nerveux  et  imiter  au  moins  dans  leurs 
grandes  lignes   un  grand   nombre    de  syndromes  psychiatriques. 

Une  étude  complète  de  l'encéphalite  exigerait  donc  de  passer  en 
revue  presque  toute  la  neuropathologie  et  une  partie  de  la  psychiatrie. 
Ma  tache  est  plus  modeste  et  le  temps  m 'étant  mesuré  je  me  bornerai 
à  vous  exposer  les  acquisitions  anatomiques,  cliniques,  microbiolo- 
giques et  expérimentales  les  plus  définitives    et  les  plus  nouvelles. 

Il  semble  que  tout  ait  été  dit  sur  cette  singulière  affection  dont 
l'apparition  suscita  tant  de  controverses  en  raison  du  mystère  dont 
s'entouraient  ses  premières  manifestations.  Ne  l'a-t  on  pas  appelée  la 
mysteriousdisease.  l'X  diseuse  ? 


ici  ./.  LHERMl  TTE 


Grâce  aux  recherches  nombreuses  qui  furent  suscitées  par  les  nom- 
breuses épidémies  de  ces  dernières  années,  nos  connaissances  relatives 
à  cette  variété  d'encéphalite  ont  singulièrement  gagné  en  richesse  et  en 
précision. 

Historique  et  épidémiologie. 

Lorsqu'on  fait  l'historique  d'une  question  médicale,  il  est  de  tradi- 
tion de  remonter,  par  le  canal  de  Galien,  d'Aretée,  de  Paracelse, 
jusqu'au  père  de  la  médecine  :  Hippocrate.  En  réalité,  la  recherche 
d'une  paternité  aussi  reculée  semble,  pour  ce  qui  est  de  l'encéphalite 
léthargique,  quelque  peu  hasardeuse.  Certes,  Hippocrate  et  Galien 
connaissaient  le  léthargos,  les  léthargies  fébriles  ;  mais  qui  pourrait 
assurer  (pièces  grands  ancêtres  ne  confondaient  pas  sous  une  dénomi- 
nation commune  non  seulement  les  narcolepsies  psycho-névropathi- 
ques,  mais  aussi  les  comas  toxiques,  les  apoplexies,  les  ictus  de  l'en- 
céphalomalacie  ? 

Si  l'on  veut  s'en  tenir  à  un  terrain  solide,  il  appert  avec  évidence, 
que  la  première  observation  en  date  remonte  à  Albrecht  deHildesheim. 
En  1695,  cet  auteur  publia  un  travail  intitulé  :  De  febre  lethargica  in 
strabismus  ulriiisqiie  oculi  desineiite,  dans  lequel  figure  un  cas  de  l'af- 
fection qui  doit  nous  occuper.  11  s'agit  d'une  jeune  fille  de  vingt  ans 
qui,  à  la  suite  dune  lièvre,  de  céphalée,  resta  endormie  pendant  onze 
jours  ;  a  son  réveil,  on  constata  un  «  strabisme  horrible  ». 

Quelques  années  plus  tard,  ce  n'est  plus  d'une  observation  dont 
s'enrichit  la  littérature  médicale,  mais  d'une  série  de  faits  groupés  par 
Biermer  sous  le  titre  de  maladie  du  sommeil  (Schlaf-krankheit).  Ici 
encore,  s'associaient  la  somnolence,  le  sommeil  profond  et  les  para- 
lysies oculaires.  Cette  épidémie  de  Tubingue  rappelle  incontestable- 
ment, par  ses  caractères  séméiologiques,  la  première  épidémie  française 
de  1918. 

Il  fallait  attendre  jusqu'en  1875  pour  que  nous  lussent  révélées  les 
lésions  fondamentales  de  la  maladie.  A  cette  date,  dans  un  mémoire 
justement  célèbre,  (iavet  établit  que  les  symptômes  de  cette  curieuse 
affection  trouvent  leur  origine  dans  des  lésions  inflammatoires  groupées 
autour  du  1111'  ventricule  et  de  l'aqueduc  sylvièn.  Ce  n'est  qu'en  1881, 
que  Wernicke  fixait  les  traits  essentiels  de  l'affection  qu  il  devait 
appeler  la  polio-encéphalite  supérieure  aiguë  hémorragique,  affection 
dont  la  plupart  des  exemples  rapportés  par  Wernicke  et  les  auteurs 
qui  suivirent,  peuvent  être  aujourd'hui  identifiés  avec  les  cas  d'encé- 
phalite épidémique. 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  165 

De  l'épidémie  de  Tubihgue,  en  1713,  on  peut  rapprocher  l'apparition, 
en  1887,  clans  certains  cantons  suisses,  d'une  maladie  un  peu  dérou- 
tante par  sa  physionomie  clinique  et  que,  jusqu'à  plus  ample  informé, 
les  neurologistes  appelaient  maladie  Gerlier,  pour  l'appeler  le  nom  de 
l'auteur  auquel  on   en  doit  la  meilleure  description. 

La  maladie  de  Gerlier  se  présente  sous  une  apparence  quelque  peu 
protéiforme  et  l'on  en  a  décrit  trois  types  fondamentaux  :  celui  de 
l'homme  ivre,  celui  de  l'endormi,  celui  de  l'homme  aveugle.  Bien  que 
nous  ne  soyons  pas  fixés  sur  la  nature  des  lésions  de  la  maladie  de  Ger- 
lier, il  y  a  tout  lieu  de  penser  que  celle-ci  n'est  en  réalité  que  la 
juxtaposition   de  formes  frustes   de  l'encéphalite   épidémique. 

En  1889-1890,  une  maladie  non  moins  mystérieuse  se  développait 
dans  le  nord  de  l'Italie,  en  Croatie,  en  Vénétie  Julienne  :  la  nona. 
Par  sa  symptomatologie,  son  évolution  déroutante,  tantôt  aboutissant 
à  une  complète  guérison,  tantôt  à  la  terminaison  fatale,  la  nona  appa- 
raissait tout  à  fait  en  dehors  du  cadre  de  la  pathologie  classique. 
Devant  un  polymorphisme  aussi  déconcertant,  certains  médecins 
déclarèrent  que  la  nona  n'était  que  l'expression  d'une  névrose  collec- 
tive ayant  plus  d'un  trait  commun  avec  l'hystérie.  Les  observations 
rapportées  par  Ebstein,  Tranju,  Braun,  Halloger,  Hammerschlag, 
Uthoff,  le  mémoire  critique  de  Longuet,  vinrent  attester,  il  est  vrai, 
que  tout  n'était  pas  fable  dans  la  «  legenda  délia  nona  »,  mais  la 
nature  même  delà  maladie  ne  fut  pas  éclaircie.  A  la  lumière  des  faits 
que  nous  apportèrent  les  épidémies  auxquelles  nous  venons  d'assister, 
il  est  facile  de  retrouver  dans  la  nona  un  grand  nombre  de  caractères 
typiques  de  l'encéphalite  léthargique. 

C'est  pendant  l'hiver  1916-1917,  qu'à  Vienne  (Autriche),  apparurent 
les  premiers  cas  de  la  maladie  qui  devait  s'étendre  non  seulement  à 
l'Europe  centrale,  mais  à  la  France,  à  tout  le  bassin  méditerranéen,  à 
l'Australie.  En  raison  de  la  fréquence  de  l'hypersomnie  et  des  carac- 
tères inflammatoires  des  lésions  encéphaliques  qu  il  constatait,  M.  C. 
von  Economo  donnait  à  l'affection  les  termes,  qui  devaient  faire  for- 
tune, d'encéphalite  léthargique.  Aux  premiers  faits  rapportés  par 
Economo,  s'en  ajoutèrent  rapidement  de  nombreux  publiés  par 
Pribram,  Schlesinger,  Recllich.  Puis  le  mal  s'étendit,  presque  en  même 
temps,  en  France,  en  Angleterre  et  en  Australie  ;  mais  avec  cette 
particularité,  sur  laquelle  on  n'a  pas  assez  insisté,  que  les  caractères 
cliniques  de  la  maladie   différaient  sensiblement. 

La  première  épidémie  autrichienne  s'affirmait  par  un  syndrome 
méningé  discret,  mais  net,  ainsi   que  l'attestaient  et  l'iiyperalbuminose 


166  ■!■  LHERM1  il  E 


et  la  pléiocytose  du  liquide  céphalo-rachidien,  des  paralysies  oculaires 
extrinsèques,  de  la  narcolepsie,  du  délire,  de  la  catatonie,  une  lièvre 
légère  ou  tenace,  la  mortalité  atteignait  50  p.  100. 

Un  an  après,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  l'année  1917,  apparaissait  en 
Australie  (Queensland  et  Nouvelle-Galles  du  Sud)  une  épidémie  qui 
dérouta  les  premiers  médecins  qui  en  étudièrent  les  premières  mani- 
festations. 

Aussi  l'appela-t-on  «  la  mysterious  disease  ».  Cette  maladie  débutait 
par  de  la  lièvre,  des  convulsions,  s'accompagnait d'hypersomnie  et  son 
pronostic  était  des  plus  graves.  Nous  verrons  plus  loin,  comment 
MM.  Cleland  et  Alfred  Campbell  en  réussirent  la  reproduction  expé- 
rimentale. Il  semble  que  ce  n'est  qu'au  cours  de  l'hiver  1917-1918  que 
se  manifestèrent,  dans  la  région  londonienne,  les  premiers  cas  se 
rapportant  à  l'encéphalite  épidémique.  Ceux-ci,  à  l'exemple  des  faits 
d'Australie,  parurent  singuliers,  et  les  premiers  observateurs  (Harris, 
Hall)  pensèrent  au  botulisme  et  à  l'intoxication  par  des  viandes  ava- 
riées. Les  traits  cliniques  de  l'affection  s'écartaient  sensiblement  de 
ceux  qui  caractérisaient  les  épidémies  de  Vienne  et  d'Australie,  car 
les  phénomènes  les  plus  saillants  consistaient  en  paralysies  oculaires 
extrinsèques  et  intrinsèques  avec  conservation  fréquente  des  réflexes 
pupillaires,  en  rigidité  musculaire  généralisée  (catatonie)  accompagnée 
de  stupeur  (épidémie  stupor). 

L'épidémie  française,  dont  les  premiers  méfaits  furent  rapportés 
par  M.  Netter,  M.  Chauffard  et  M,,e  Bernard,  M.  Sainton,  MM.  Lher- 
mitte  et  Saint-Martin,  présenta  plusieurs  points  cliniques  communs 
avec  l'épidémie  viennoise.  Ici  comme  là,  les  paralysies  oculaires 
sont  de  règle,  ainsi  (pie  le  sommeil  pathologique,  mais  ce  qui  diffé- 
rencie très  nettement  les  deux  épidémies,  c'est  que,  dans  celle  de 
Vienne,  l'encéphalite  s'accompagnait  d'un  syndrome  méningé  tandis 
que  celui-ci  était  complètement  absent  dans  l'épidémie  française. 

Ce  n'est  que  dans  l'hiver  1918-1919  (pie  l'encéphalite  se  révéla  en 
Allemagne  où  elle  sévit  avec  grande  intensité  dans  certaines  villes  : 
Hambourg,  Kiel,  Munich.  A  Kiel,  l'affection  ne  comportait  aucun 
méningé,  tandis  (pie  les  troubles  psychopathiques,  l'agitation,  les 
secousses  choréiques  étaient  au  premier  plan  Siemerling  et  Rhei- 
nardt)  ;  à  Hambourg,  les  troubles  mentaux  l'ont  défaut,  tandis  que  la 
catatonie  pseudoparkinsonienne  est  fréquemment  retrouvée  (Nonne)  : 
à  Munich,  ce  sont  les  formes  «  tabétiques  »  qui  frappent  l'attention 
(Naef). 

L'Italie  avait  été,  jusqu'en  1919, ù  peu  près  épargnée   par   le  fléau; 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  1G7 

cependant,  quelques  cas  sporadiques  avaient  été  signalés  par  MM.  Mo- 
linari,  Ascoli,  Dragotti.  Mais  il  faut  arriver  à  l'hiver  1919-1920  pour 
voir  se  multiplier  dans  toute  l'Italie  du  Nord,  le  Tyrol,  la  Vénétie 
Julienne  (ancien  territoire  de  la  nona),  les  cas  les  plus  typiques  d'encé- 
phalite léthargique.  De  nombreux  auteurs  :  MM.  Sahatini,  Galeri, 
Aggero  Fornara,  Maggioto,  Montovani,  Tombolato,  Guigni,  Modena, 
en  publient  des  observations  caractéristiques.  Le  délire  marque  l'in- 
vasion de  la  maladie,  associé  en  général  à  l'insomnie  et  aux  secousses 
myocloniques  ou  ehoréiques  ;  plus  tard  seulement  apparaissent  et 
l'hypersomnie  et  les  paralysies  oculaires.  Les  auteurs  italiens  signa- 
lent, en  outre,  que  fréquemment  aux  symptômes  nerveux  s'associent 
de  l'angine,  de  la  laryngite  ou  de  l'herpès. 

Les  manifestations  de  l'épidémie  française  de  1918,  malgré  leur 
gravité,  étaient  demeurées  assez  limitées  ;  la  maladie  prit  une  impor- 
tance et  une  extension  infiniment  plus  grandes  pendant  l'hiver 
1919-1920  et,  fait  plus  curieux,  changea  presque  complètement  de 
physionomie. 

L'hypersomnie,  loin  d'être  un  des  symptômes  dominants,  dans  nom- 
bre de  cas  fit  défaut,  les  paralysies  oculaires  demeurèrent  extrêmement 
fréquentes,  mais  leur  époque  d'apparition  fut  retardée.  Au  contraire, 
les  mouvements  myocloniques  ehoréiques  ou  athétosiques,  par  leur 
importance  et  leur  signification,  purent  être  placés  au  premier  plan  du 
tableau  symptomatique  (Pierre  Marie  et  Gabrielle  Lévy,  Sicard  et 
Kudelski).  Dans  le  même  temps  que  celui  où  se  développait  dans  toute 
la  France  l'épidémie  d'encéphalite,  la  maladie  qui  semblait  éteinte  en 
Autriche  se  rallumait  avec  une  intensité  accrue.  Après  qu'un  vent  du 
sud  eut  fait  rage  dans  toute  l'Autriche,  apparurent  en  Bohême,  en  Tyrol, 
en  Autriche  supérieure  et  en  basse  Autriche,  en  Bavière  même,  de 
très  nombreux  cas  d'encéphalite  épidémique,  mais  très  différents 
dans  leur  expression  clinique  et  leur  évolution  des  faits  de  la  précé- 
dente épidémie.  Ce  furent  surtout  les  formes  algiques,  les  formes 
délirantes,  les  formes  myocloniques  et  ehoréiques,  qui  frappaient  par 
leur  fréquence  et  leur  gravité.  Dans  un  grand  nombre  de  cas,'  les 
secousses  myocloniques  se  localisaient  à  l'abdomen  et  au  diaphragme  ; 
et  très  justement,  M.  Economo  fait  remarquer  la  parenté  de  cette  forme 
d'encéphalite  épidémique  attestée  par  d'autres  manifestations  avec  l'épi- 
démie de  hoquet  qui  sévit  l'année  précédente  dans  la  région  viennoise. 

Il  semble  hors  de  doute,  et  les  faits  rapportés  cette  année  par  plusieurs 
auteurs  français  en  sont  des  témoignages,  que  l'encéphalite  léthargique 
peut  se  traduire  exclusivement  par  un  hoquet  persistant. 


168 


J.  LHERM1  l  I  l 


Le  \inis  de  l'encéphalite  épidémique  ne  demeura  point  cantonné  en 
Europe  ;  déjà  nous  avons  indiqué  qu'en  H)17  il  avait  envahi  la  partie 
orientait-  de  l'Australie;  en  1919  et  1920,  le  germe  lit  son  apparition  clans 
l'Italie  du  Nord  puis  infesta  tout  le  littoral  méditerranéen.  MM.  Ardin- 
Delteil  et  Raynaud,  M.  Crespin,  décrivent  les  formes  ophtalmoplègiques 
et  les  formes  choréiques,  en  Algérie;  M.  Valassopoulo  retrouve  l'encé- 
phalite ophtalmoplégique  et  hypersomnique  en  Egypte  ;  enfin  tout 
récemment  M.  Constantinescu  relatait  plusieurs  faits  d'encéphalite 
observés  en  Roumanie. 

Enfin,  l'hiver  dernier,  apparut  à  Paris  et  dans  la  région  parisienne, 
une  épidémie  de  hoquet  qui  bientôt  s'étendit  en  province,  reproduisant 
tous  les  traits  de  l'épidémie  de  singultas décrite  pour  la  première  fois  par 
M.  C.  Economo.  De  pronostic  extrêmement  bénin  dans  l'immense  majo- 
rité des  cas,  le  hoquet  révéla  de  la  manière  la  plus  certaine  son  origine 
encéphalitique  en  se  compliquant  parfois,  soit  de  phénomènes  oculo- 
léthargiques,  soit  de  myoclonies,  soit  enfin  de  mouvements  ehoréo- 
athétosiques.  Rien  ne  nous  assure  que  le  génie  de  l'encéphalite  qui, 
nous  venons  de  le  voir,  marque  d'une  empreinte  si  personnelle  chacune 
des  épidémies  qu'il  l'ait  éclore,  ait  parachevé  le  cycle  de  ses  transforma- 
tions, et,  tout  récemment,  j'apprenais  qu'en  Italie  venaient  d'apparaître 
une  série  de  cas  d'apparence  assez  troublante  et  caractérisés  surtout  par 
des  vertiges.  Sans  qu'il  soit  possible  dès  aujourd'hui  de  préjuger  le 
développement  de  cette  épidémie  et  de  préciser  sa  nature,  il  est  impos- 
sible de  ne  pas  être  frappé  par  la  ressemblance  qu  'affecte  ce  vertige  épi- 
démique avec  la  «  maladie  de  Gerlier  ». 

Telles  furent  les  grandes  épidémies  qui  fleurirent  en  Europe  surtout 
pendant  ces  dernières  années  et  dont  nous  retrouvons  des  exemples 
sous  les  traits  de  la  maladie  du  sommeil  à  Tubingue  en  1713,  de  la 
maladie  de  Gerlier  en  Suisse  en  18<S7,  de  la  nona  en  Italie  en  1889-1890. 
Pendant  les  périodes  intercalaires,  si  les  faits  d'encéphalite  sont  moins 
nombreux,  du  moins  il  est  très  aisé  (Vvn  retrouver  des  exemples  à  l'étal 
sporadique  relatés  dans  la  littérature  médicale.  Nous  pourrions  citer  les 
observations  de  Thomsen,  Kojewinkof  Boedeker,  Guinon  et  Parmen- 
tier,  Jacobeus,  Schule,  Oppenheim  et  Cassirer,  Zingerlé,  E.  Moniz, 
parmi  beaucoup  d'autres.  Ils  témoignent  que  si,  en  dehors  des 
périodes  d'épidémie,  le  virus  a  perdu  une  grande  partie  de  sa  virulence, 
il  n'est  pas  complètement  éteint  et  que  son  retour  à  l'activité  est  toujours 
à  craindre.  Ce  sont  précisément  ces  cas  sporadiques  qui  assurent  à  la 
maladie  sa  pérennité  et  la  diffusion  du  germe  pathogène.   A  cette  course 

du  flambeau  pathologique,  malades  el  porteurs  sonl  les  participants. 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  lGr^ 


Forme    mésocéphalique    de   V encéphalite   épidémique. 

Encéphalite  ophtalmoplégique   avec  narcolepsie. 

En  général,  l'encéphalite  léthargique  s'annonce  par  quelques  frissons, 
un  malaise  général,  quelques  retentissements  douloureux  dans  les 
membres,  de  la  rachialgie.  Assez  souvent,  pendant  les  quelques  jours 
qui  précèdent  l'apparition  des  symptômes  graves,  le  malade  accuse  des 
phénomènes  angineux  ou  laryngés. 

A  la  période  d'état,  les  symptômes  cardinaux  sont  constitués  par  les 
troubles  oculaires,  l'hypersomnie,  les  paralysies,  les  perturbations  du 
tonus  musculaire  et  les  phénomènes  généraux. 

A)  Les  troubles  oculaires. 

Tous  les  auteurs  s'accordent  sur  leur  extrême  fréquence.  Selon 
MM.  Achard  et  Netter,  les  troubles  oculaires  surviennent  dans  75  00 
des  cas,  mais  M.  de  Lapersonne  pense  que  leur  fréquence  est  encore 
plus  considérable.  Pour  qui  sait  combien  les  perturbations  oculaires 
peuvent  être  légères  et  fugaces,  l'opinion  défendue  par  M.  de  Laper- 
sonne   apparaîtra    comme    la     plus   conforme    à    la    vérité. 

Si  les  perturbations  qui  frappent  la  musculature  extrinsèque  et  intrin- 
sèque s'avèrent  comme  de  beaucoup  les  plus  saisissantes,  il  n'en  va  pas 
qu'elles  soient  exclusives.  Aussi  passerons-nous  successivement  en 
revue  les  modifications  de  l'appareil  sensoriel  de  l'œil  (rétine  et  nerf 
optique  ,  celles  de  la  musculature  inervée  par  le  système  cérébro-spinal, 
enfin  les  troubles  apportés  aux  fonctions  du  système  nerveux  organique 
des  globes  oculaires. 

a)  Le  nerf  optique  et  la  rétine, —  En  dehors  des  périodes  pendant 
lesquelles  la  somnolence  ou  la  torpeur  interdisent  d'interroger  les  fonc- 
tions du  nerf  optique,  il  semble,  dans  la  majorité  des  cas,  que  l'acuité 
visuelle  demeure  sensiblement  normale.  Cependant,  il  arrive  parfois 
que  la  vision  est  brusquement  obscurcie,  même  supprimée,  sans  que- 
rien  ait  pu  faire  prévoir  l'imminence  de  cette  amblyopie  ou  de  cette 
amaurose.  MM.  Carnot  et  Netter  ont  observé  assez  fréquemment 
l'amblyopie  et  M.  Cl.  Vincent  a  rapporté  deux  faits  d'amaurose. 
Nous  avons  nous-mème  observé  chez  une  malade  atteinte  d'encé- 
phalite à  évolution  prolongée  une  amblyopie  récidivante.  Amblyo- 
pie ouaumaurose  présentent,  en  effet,  ce  caractère  de  n'être  pas  per- 
manentes et  de  ne  s'accompagner,  en  règle  générale,  d'aucune modifica- 


17i)  ./.   LHERMITTE 


lion  du  fond  de  l'œil.  Ainsi  que  Wernike  l'avait  relevé,  le  début  de 
l'encéphalite  peut  être  marqué  par  l'apparition  de  phosphènes.  Nous 
mentionnerons  enfin  que  MM.  Reverchon  et  Worms  ont  relaté,  dans 
un  lait,  la  survenance  du  syndrome  de  la  migraine  ophtalmique. 

Dans  la  plupart  des  descriptions  françaises  et  étrangères  de  l'encé- 
phalite épidémique,  les  auteurs  font  ressortir  l'intégrité  du  fond  de 
l'œil.  Et  cependant  la  lecture  d'assez  nombreuses  observations  montre 
que  cette  opinion  est  trop  exclusive. 

Goldscheider autrefois  avait  noté  la  proéminence  delà  papille;  dans 
les  épidémies  plus  récentes,  M.  Economo  révèle,  dans  un  cas,  une  déco- 
loration de  la  région  temporale  de  la  papille,  et  dans  un  autre  fait,  une 
atrophie  papillaire  consécutive  à  une  névrite  rétro-bulbaire  ;  M.  Terrien 
constate  de  l'hyperhémie  papillaire  ;  M.  Sachs,  une  inflammation  légère 
delà  papille;  MM.  Reverchon  et  Worms,  un  état  à  bords  lions,  suréle- 
vés, les  veines  rétiniennes  sont  tortueuses.  Enfin  MM.  Froment  et  Gar- 
dére  observent  une  double  papillite  avec  petites  hémorragies. 

L'ensemble  très  concordant  des  faits  que  nous  venons  de  mentionner 
nous  incite  donc  à  restreindre  la  valeur  absolue  de  la  règle  de  l'inté- 
grité delà  papille  et  à  admettre  que  l'examen  ophtalmoscopique  peut 
révéler  certaines  modifications  de  la  région  papillaire.  Est-ce  à  dire 
toutefois  que  la  véritable  stase  papillaire  puisse  reconnaître  comme 
origine  l'encéphalite  léthargique  en  dehors  de  toute  lésion  surajoutée. 
Il  nous  semble  que  la  preuve  n'en  a  point  encore  été  apportée  Dans 
une  observation  récente  publiée  par  M.  Urbantschitsch,  nous  trouvons, 
par  exemple,  une  stase  papillaire  bilatérale  coïncidant  avec  une  para- 
lysie de  la  vie  paire  et  l'hypersomnie ;  mais  dans  ce  fait,  survint  une 
suppuration  de  l'oreille  moyenne  pour  laquelle  une  intervention  fui 
nécessaire,  et  rien  ne  démontre  qu'au  processus  de  l'encéphalite,  si  tant 
est  qu'il  ait  existé,  ne  s'est  pas  joint  un  processus  d'inflammation  mé- 
ningée ou  peut-être  une  thrombose  du  sinus  caverneux. 

b)  Trijumeau  oculaire.  —  Dans  la  règle,  la  sensibilité  des  globes  est 
parfaitement  conservée  et  les  réflexes  de  conjonctive  non  modifiés, 
Oppenheim  etCassirer  relèvent  seulement,  dans  un  cas,  un  retard  du 
réflexe  au  clignement  et  Thomsen  signale  la  survenance  île  douleurs 
oculaires  spontanées. 

c)  Appareil  musculaire  extrinsèque  (innervation  cérébro-spinale). 
Ainsi  que  nous  y  avons  déjà  insisté,  les  paralysies  oculaires  constituent 
un  des  symptômes  cardinaux  et  essentiels  de  la  maladie.  Lorsqu'ils 
font  défaut  pendant  tonte  la  durée  de  l'encéphalite,  l'identité  de  celle-ci 
avec  l'encéphalite  léthargique  peut  être  discutée.  Certes,  nous  n'enten- 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  171 

dons  pas  dire  que  l'encéphalite  épidémique  ne  puisse  évoluer  sans  mani- 
festations ophtalmoplégiques,  certaines  observations  indiscutales  témoi- 
gneraient du  contraire,  mais  les  derniers  faits  apparaissent  d'une  sai- 
sissante rareté. 

Parmi  les  paralysies  oculaires,  une  des  plus  fréquentes  est,  sans  con- 
teste, le  ptosis.  Unilatérale,  ou  bilatérale,  la  chute  de  la  paupière  atteint 
rarement  l'intensité  de  celle  que  provoque  la  paralysie  complète  de 
l'oculo-moteur  commun.  En  général,  le  ptosis  est  incomplet,  parétique 
plutôt  que  paralytique,  et  ne  s'accompagne  pas  d'attitude  compensa- 
trice de  la  tête  et  de  contraction  durable  des  muscles  frontaux.  Dans 
d'autres  faits,  qui  ne  sont  pas  exceptionnels,  la  chute  de  la  paupière  n'est 
pas  due  aune  parésie  du  releveur,  mais  à  un  abaissement  de  son  tonus, 
ainsi  que  l'ont  montré  MM.  Litvack,  Morax  et  Bollack.  Au  repos,  le 
bord  inférieur  de  la  paupière  recouvre  la  moitié  de  l'iris,  tandis  que  ce 
dernier  est  largement  découvert,  si  on  commande  au  sujet  de  relever 
les  paupières.  Il  s'agit,  on  le  voit,  d'un  trouble  de  la  statique  muscu- 
laire. Enfin,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  ce  qui  frappe,  c'est  que  la 
chute  de  la  paupière  ne  se  produit  qu'au  cours  ou  à  la  fin  de  la  journée. 
Tandis  qu'au  réveil,  la  paupière  découvre  largement  la  pupille,  vers  le 
soir,  celle-ci  apparaît  plus  ou  moins  recouverte  par  le  bord  palpébral. 
Ce  phénomène,  tout  à  fait  superposable  au  ptosis  de  fatigue  du  syn- 
drome d'Erb  Goldflam,  reconnaît  le  même  mécanisme  et  n'est  que 
l'expression  d'un  état  myoténique  limité  aux  releveurs. 

Qu'il  s'agisse  d'un  ptosis  parétique  ou  paralytique,  d'un  ptosis  hypo- 
tonique  ou  d'un  ptosis  myasthénique.  la  chute  de  la  paupière  peut  se 
manifester  exclusivement  d'un  seul  côté  et  même  apparaître  comme 
L'unique  témoin  de  l'encéphalite.  (Lesné.) 

Les  paralysies  des  droits  ne  sont  pas  moins  fréquentes.  Elles  s'affir- 
ment par  un  symptôme  subjectif  que  l'on  retrouve  dans  le  passé  ou 
dans  le  présent  de  l'immense  majorité  des  malades  :  la  diplopie;  elles 
frappent  non  seulement  les  observateurs  compétents,  mais  l'entourage 
des  patients,  par  l'attitude  anormale  des  globes  :  le  strabisme.  Stra- 
bisme convergent  ou  divergent,  avec  diplopie  homonyme  ou  croisée, 
tels  sont,  parmi  les  symptômes  oculaires,  les  plus  saisissants,  les  plus 
constants  et  aussi,  très  fréquemment,  les  plus  précoces. 

Les  droits  supérieur  et  inférieur  peuvent  être  également  paralysés 
ou  parésiés,  et  si  leur  atteinte  n'est  pas  aussi  souvent  mentionnée  que 
celle  des  droits  externe  ou  interne,  la  raison  en  est  que  les  troubles 
qu'elle  détermine  sont  moins  apparents. 

Très  généralement,  les  paralysies  de  la  musculaire  extrinsèque  attei- 


L72  ./.  LHERM1  I  I  I 


gnent  tantôt  un  muscle,  tantôt  un  autre,  frappant  irrégulièrement  l'œil 
droit  et  l'œil  gauche  et,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  avec  M.  de  Saint- 
Martin,  apparaissent  dissociées,  parcellaires  et  parfois  migratrices, 
traduisant  ainsi  exactement  la  marche  capricieuse  et  serpigineuse  du 
processus  inflammatoire  mésocéphalique. 

Dans  certains  cas  cependant,  et  M.  de  Lapersonne,  MM.  Morax  et 
Bollack  en  ont  relevé  des  exemples,  la  paralysie  frappe  un  seul  nerf 
(111e  paire,  \T  paire)  exclusivement  et  complètement. 

Parfois  aussi,  mais  les  faits  de  ce  genre  sont  heureusement  exception- 
nels, l'ophtalmoplégie  externe  est  complète;  les  yeux  figés  dans  leurs 
orbites,  les  paupières  tombantes,  le  front  ridé  par  la  contracture  com- 
pensatrice des  sourciliers  et  des  frontaux,  les  malades  présentent  l'ex- 
pression du  faciès  d'Hutchinson  (Guinon  et  Parmentier). 

Les  paralysies  parcellaires,  dissociées,  que  nous  venons  de  rappeler, 
ne  sont  pas  les  seules  que  l'on  puisse  observer  dans  l'encéphalite  épidé- 
mique.  Déjà,  en  1881,  Wernicke  soutenait  cette  opinion,  que,  toutes 
les  paralysies  oculaires  dans  la  polio-encéphalite  supérieure  aiguë 
étaient  des  paralysies  associées,  des  paralysies  de  fonction,  tandis 
qu'Oppenheim  etCassirer  dans  leur  travail  classique  sur  les  encépha- 
lites aiguës,  affirmaient  qu'à  côté  des  paralysies  de  fonctions  existaient 
des  paralysies  dissociées  d'origine  nucléaire.  La  question  s'est  posée,  au 
cours  des  récentes  épidémies  d'encéphalite,  dans  les  mêmes  termes. 
Selon  MM.  Morax  et  Bollack,  la  plupart  des  troubles  de  la  muscu- 
lature extrinsèque  ne  sont  pas  assimilables  à  des  troubles  élémentaires, 
mais  reconnaissent  un  mécanisme  plus  complexe  Reprenant  l'idée  de 
Wernicke,  ces  auteurs  pensent  que  dans  la  majorité  des  cas,  il  s'agit, 
dans  l'encéphalite  léthargique,  de  paralysies  associées. 

Déjà,  en  1918,  M.  Morax,  chez  un  malade  de  M.  Sain  ton,  avait  l'ait 
remarquer  que  la  paralysie  oculaire  s'accompagnait  d'uni'  diplopie 
paradoxale;  dans  le  regard  à  droite,  la  diplopie  était  croisée;  dans  le 
regard  à  gauche,  elle  était  homonyme  avec  même  écartement  des 
images. 

Incontestablement,  les  faits  de  ce  genre,  qui  ont  été  rapportés  avec  la 
précision  désirable,  attestent  que  le  processus  de  l'encéphalite  peut 
provoquer  des  troubles  complexes  de  la  synergie  oculaire,  mais  nous 
ne  croyons  pas  que  ceux-ci  puissent  être  rangés  dans  le  cadre  dos  para- 
lysies associées,  stricto  sensu. 

Est-ce  à  dire  que  h's  paralysies  associées  légitimes  ne  puissent  être 
déterminées  par  l'encéphalite  épidémique  I  Rien  ne  saurait  être  plus 
loin  de  notre  pensée.  Nous  faisons  seulement  remarquer  que  1rs  para- 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  173 

l}Tsies  complexes,  traduisant  une  perturbation  delà  synergie  musculaire 
<les  globes  oculaires,  ne  peuvent  pas  être  considérées,  ipso  facto,  comme 
<les  paralysies  de  fonction. 

Lorsque  celles-ci  existent,  leur  expression  la  plus  complète  tient  dans 
la  déviation  conjuguée  des  yeux,  d'une  part  (paralysie  du  dextrogyre  ou 
du  lévogyre),  la  paralysie  conjuguée  des  droits  supérieurs  ou  des  droits 
inférieurs  (paralysie  de  la  fonction  d'élévation  ou  d'abaissement  du 
regard),  enfin  dans  la  paralysie  conjuguée  des  droits  internes  (paralysie 
de  la  convergence),  d'autre  part. 

Tous  ces  types  de  paralysies  associées  ont  été  retrouvés  au  cours  de 
l'encéphalite  :  déviation  conjuguée  latérale  des  yeux  (Cantonnet,  Eco- 
nomo)  ;  paralysie  du  regard  en  haut  ou  en  bas  (Morax  et  Bollack, 
Boedekee,  Dor,  Aubineau)  ;  paralysie  de  la  convergence  (Morax  et 
Bollack). 

Fait  à  remarquer  le  plus  souvent,  au  cours  de  ces  paralysies,  la  diplo- 
pie  est  atypique,  tantôt  homonyme,  tantôt  croisée,  suivant  l'expression 
<lu  regard. 

De  plus,  comme  vont  insisté  M.  Patry  (de  Genève),  MM.  Lacroix  et 
Pesme,  cette  diplopie  est  intermittente,  variable,  tout  comme  les  para- 
lysies nucléaires  que  nous  avons  étudiées  plus  haut. 

M.  Bollack,  dans  un  travail  récent,  nous  a  fourni  une  base  d'approxi- 
mation de  la  fréquence  respective  de  ces  diverses  formes  de  paralysies 
associées.  Sur  un  total  de  28  cas,  M.  Bollack  a  observé  8  fois  des  trou- 
bles de  la  convergence,  13  fois  des  troubles  des  mouvements  associés 
avec  parallélisme  des  axes,  7  fois  des  perturbations  des  mouvements 
associés  d'élévation  et  d'abaissement. 

Nous  avons  mentionné,  à  propos  du  ptosis,  l'existence  d'une  parésie 
transitoire  du  releveur  palpébral  apparaissant  vers  la  fin  de  la  journée 
et  tout  à  fait  superposable  au  ptosis  myasthénique  ;  un  semblable  phé- 
nomène a  été  relevé  par  M.  Bériel  (de  Lyon)  sur  la  musculature  du 
globe  oculaire  Lorsqu'on  fait  fixer  le  regard  du  malade  dans  une  posi- 
tion extrême,  on  constate  que,  plus  ou  moins  rapidement,  les  muscles 
associés  se  fatiguent  et  que,  malgré  les  efforts  du  sujet,  les  globes  revien- 
nent à  la  position  moyenne  de  repos. 

Cette  manifestation  d'ordre  myasthénique  demande  à  être  cherchée  el 
apparaît  comme  l'équivalent,  l'ébauche  de  la  paralysie  associée  au 
regard. 

Dans  d'assez  nombreux  laits,  la  parésie  ou  la  paralysie  extrinsèques 
font  défaut,  mais  sont  remplacées  par  des  secousses  nystagmiformes. 
Celles-ci,  qui  ont  été  décrites  il  y  a  longtemps  par  MM.  Oppenheim    el 


174  •/.  LHERMITTE 


Cassirer,  ont   été    retrouvées    plus    récemment  par   MM.   Economo, 
Morax  el  Bollack,  Reverchon  et  Worms. 

Partant  de  cette  constatation  que,  très  fréquemment,  les  troubles  de 
la  motilité  des  globes  oculaires  portaient  sur  les  mouvements  associés 
ou  sur  La  synergie  fonctionnelle  des  différents  noyaux  oculo-moteurs, 
MM.  Bollack  et  Halphen  ont  voulu  déterminer  les  modifications  que 
présentent  les  réactions  vestibulo-oculaires  normales.  Ces  auteurs  ont 
étudié  successivement  le  nystagmus  provoqué  par  l'excitation  méca- 
nique des  canaux  semi-circulaires  (centrifugation)  et  le  nystagmus 
provoqué  par  l'excitation  calorique  des  mêmes  canaux  semi-circu- 
laires. 

MM.  Bollack  et  Halphen  ont  ainsi  constaté  cpie  dans  6  cas,  5  fois  le 
nystagmus  provoqué  par  les  excitations  caloriques  ou  mécaniques  du 
vestibule  était  modifié.   Dans  3  cas,  il  était  aboli,    dans  2  cas  affaibli. 

Afin  de  préciser  plus  exactement  le  déficit  fonctionnel  des  faisceaux 
qui  réunissent  l'appareil  central  vestibulaire  (N.  de  Deiters,  N.  de 
Bechterew)  et  les  noyaux  des  oculo-moteurs,  MM.  Bollack  et  Halphen 
ont  excité  isolément  les  canaux  semi-circulaires  horizontaux  (épreuve 
de  la  centrifugation  en  position  verticale  de  la  tète  et  les  canaux  semi- 
circulaires  verticaux  (même  épreuve  en  positioncouchée),  et  ces  auteurs 
ont  relevé  chez  un  malade  atteint  de  paralysie  associée  des  abaisseurs, 
la  conservation  du  nystagmus  normal  par  Y  excitation  des  canaux  semi- 
circulaires  horizontaux  contrastant  avec  l'affaiblissement  du  nystagmus 
provoqué  par  l'excitation  des  canaux  verticaux. 

L'évolution  des  paralysies  extrinsèques  de  l'œil  est  assez  variable. 
Dans  la  règle,  les  paralysies  dissociées  nucléaires  on  associées  supra  ou 
internucléaires  rétrocèdent  et  finissent  par  disparaître  complètement  ; 
les  perturbations  des  mouvements  associés  persistent  plus  longtemps 
que  celles  qui  sont  dues  aux  altérations  primitives  de  noyaux  oculo- 
moteurs. 

Si,  donc,  dans  la  majorité  des  faits,  la  restituth  ad  integrum  est 
l'aboutissant  des  troubles  oculo-moteurs  extrinsèques,  il  est  des  cas 
cependant,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  avec  M.  de  Saint-Martin,  où 
les  paralysies,  après  uni'  phase  de  régression,  demeurent  stationnaires 
et  ne  montrent  plus  aucune  tendance  au  retour  vers  la  normale. 
MM.  Reverchon  et  Worms  ont  relevé  des  laits  semblables  aux 
nôtres 

d)  Musculature  intrinsèque  innervée  par  le  système  nerveux  de  lu  ne 
organique  (sympathique,  autonome).  De  toutes  les  manifestations  ocu- 
laires et  peut-être  de  tous  les  symptômes  de    l'encéphalite  léthargique, 


V ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  175 


le  phénomène  le  plus  constant  est  la  parésie  ou  la  paralysie  du  muscle 
ciliaire,  laquelle  se  traduit  par  l'affaiblissement  ou  la  perte  de  l'accom- 
modation. Celle-ci  constitue  une  manifestation  tellement  saisissante, 
qu'elle  avait  impressionné  les  premiers  observateurs  anglais  de  l'encé- 
phalite, lesquels,  en  raison  de  la  grande  ressemblance  de  ce  symptôme 
avec  les  troubles  de  l'accommodation  du  botulisme,  avaient  pensé  que 
l'encéphalite  n'était  qu'une  manifestation  de  la  toxi-infection  botuli- 
nique.  Mais  cette  paralysie  ou  cette  paralysie  du  muscle  ciliaire  ne  doit 
pas  seulement  être  constatée,  il  importe  d'en  mesurer  la  profondeur, 
ainsi  que  l'a  fait  remarquer  M.  de  Lapersonne,  si  l'on  veut  éviter 
de  grossières  erreurs. 

Outre  le  muscle  ciliaire,  la  musculature  de  l'iris  apparaît  dans 
nombre  de  cas  profondément  touchée. 

Très  généralement,  l'anisocorie  est  le  phénomène  le  plus  saillant  et 
contraste  avec  l'intégrité  du  réflexe  photo-moteur  et  la  contraction 
irienne  associée  à  laccommodation  et  à  la  convergence. 

Les  modifications  apportées  par  l'encéphalite  épidémique  dans  la 
réflectivité  irienne  et  la  contraction  associée  du  sphincter  à  l'accom- 
modation-convergence  sont  encore,  à  l'heure  présente,  sujets  de  dis- 
cussion. Ce  que  nous  savons  de  science  certaine,  c'est  que,  très  sou- 
vent, la  contraction  pupillaire  associée  à  l'accommodation-convergence 
est  diminuée,  tandis  que  le  réflexe  photo-moteur  est  parfaitement  con- 
servé. 

D'après  M.  Bollack,  cette  dissociation  des  mouvements  de  l'iris  se 
manifesterait  seulement  lorsque  le  mouvement  de  convergence  est  lui- 
même  paralysé. 

Il  est  évident,  et  les  faits  rapportés  par  M.  Bollack  en  sont  la  démons- 
tration, que,  en  raison  des  rapports  étroits  qui  unissent  les  noyaux 
moteurs  des  droits  internes  et  les  centres  iridoconstricteurs,  l'atteinte 
des  premiers  doit  s'accompagner  fréquemment  de  la  perte  du  mouve- 
ment pupillaire  associé  à  la  convergence  qui  fait  défaut  et  nous  ajoutons 
à  l'accommodation  qui,  elle  aussi,  très  fréquemment,  apparaît  affaiblie  ou 
abolie  ;  mais  nous  ne  croyons  pas  que  la  paralysie  de  la  convergence 
soit  Tunique  facteur  déterminant  de  l'abolition  de  la  contraction  irienne 
à  l'accommodation-convergence. 

La  dissociation  inverse,  c'est-à-dire  l'abolition  du  réflexe  photo- 
moteur contrastant  avec  la  conservation  du  mouvement  pupillaire 
associé  (signe  d'Argyll-Robertson)  peut-elle  être  comptée  comme  un 
symptôme  de  l'encéphalite  épidémique  ?  Tel  est  le  problème  que  nous 
devons  nous  poser.  Avec  M.  de  Saint-Martin,  nous  avons  déjà  discuté  le 


176  ./.  /.///■:  i:\ii  ///■: 


fait  rapporté  par  MM.  Lortat-Jacob  et  Hallez  et  montré  qu'il  ne  s'agissait 
pas  là  d'encéphalite  épidémique,  mais  d'encéphalopathie  syphilitique,  La 
stase  papillaire  bilatérale,  la  réaction  positive  de  Bordet-Wassermann, 
le  signe  de  Robertson  qui  était  présent,  nous  apparaissent  ici  comme 
les  témoins  de  l'atteinte  du  système  nerveux  par  le  virus  spéci- 
fique. 

Après  l'étude  que  nous  avons  faite  des  premières  épidémies,  nous 
étions  portés  à  rejeter  complètement  hors  du  cadre  de  l'encéphalite 
léthargique  le  signe  de  Robertson.  Depuis,  les  nombreuses  observations 
rapportées  par  les  auteurs  allemands  (Worms,  Economo)  et  italien 
(Guido  Sala)  dans  lesquelles  est  expressément  noté  le  signe  de  Robert- 
son, la  négation  cpie  nous  aurions  portée  nous  semble  plus  hasardeuse. 
Et  si,  aujourd'hui,  on  ne  peut  affirmer  que  le  signe  de  Robertson  appar- 
tient réellement  à  la  séméiologie  de  l'encéphalite  épidémique,  il  serait, 
croyons-nous,  téméraire  de  le  rejeter  complètement. 

Ce  qui  semble  beaucoup  plus  certain,  c'est  (pie,  à  supposer  que  la 
dissociation  de  la  contractilité  irienne  type  Robertson  puisse  être  pro- 
voquée exclusivement  par  l'encéphalite,  du  moins  le  signe  de  Robertson 
n'apparaît  pas  avec  les  mêmes  caractères  que  dans  la  syphilis  du 
névraxe  (méningo-myélite,  méningo-encéphalite,  tabès,  paralysie  géné- 
rale). Dans  l'encéphalite,  la  dissociation  fonctionnelle  de  l'iris  est 
temporaire,  fugace,  transitoire  ;  dans  les  processus  syphilitiques,  le 
signe  de  Robertson  établi  ne  rétrocède  jamais,  et  lorsqu'il  disparaît, 
c'est  (pie  la  pupille  est  devenue  complètement  rigide  par  l'abolition  de 
la  contraction  pupillaire  associée  à l'accommodation-con vergence.  Ajou- 
tons enfin,  que,  à  la  différence  du  tabès  ou  de  la  paralysie  générale, 
l'encéphalite  épidémique  ne  détermine  jamais  la  déformation  pupil- 
laire, non  plus  que  le   myosis  aussi  intense  (pie  dans  la  syphilis. 

L'inégalité  pupillaire  (pie  nous  avons  signalée  est-elle  due  à  une 
excitation  du  dilatateur  pupillaire,  ou  à  une  parésie  du  constricteur? 
Voici  un  problème  (pie,  fatalement,  on  est  amené  à  se  poser,  mais  que, 
malheureusement,  il  nous  est  impossible  de  résoudre,  car  nous  man- 
quons de  documents.  C'est  en  vain  (pie  nous  avons  cherché  dans  la 
littérature  médicale  des  faits  se  rapportant  à  l'action  des  substances 
sympathicotropiques  et  vagotropiques  sur  la  musculature  oculaire 
dans  l'encéphalite  léthargique.  Dans  un  cas,  M.  Rieux  et  M1"1'  Marca- 
nan-Porcher  ont  constate  (pic  l'instillation  d'un  demi  milligramme 
d'atropine  a  suffi  pour  faire  complètement  disparaître  le  myosis. 

Bien  (pi  il  soit  loin  d'être  démontré  (pic  l'exophtalmie  provoquée  par 
1  excitation  du  sympathique  cervical  soit  lice  à  l'hypertonie  du   muscle 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  177 

de  Millier,  nous  devons  rappeler  que  dans  une  observation  classique 
d'Eisenlohr,  la  polio-encéphalite  supérieure  aiguë  s'était  accompagnée 
d'exophtalmie. 

B.  —  Troubles  du  sommeil. 

Outre  les  paralysies  oculaires,  le  symptôme  fondamental  de  la  mala- 
die, puisqu'il  est  un  des  termes  de  sa  dénomination,  est  l'hypersomnie. 
Tout  de  même  que  l'ophtalmoplégie,  le  symptôme  narcolepsie  ne 
revêt  pas  toujours  la  même  physionomie.  Cependant  les  caractères  du 
sommeil  pathologique  de  l'«  encéphalite  léthargique  »  sont  tels  qu'ils 
permettent  de  le  différencier  des  états  soporeux  avec  lesquels  il  pour- 
rait être  confondu. 

L'apparition  de  l'hypersomnie  précédant  ou  suivant  le  développement 
de  l'ophtalmoplégie  a  frappé  tous  les  observateurs.  Mais,  soit  que 
l'analyse  de  cette  manifestation  ait  été  faite  imparfaitement,  soit  que 
l'on  ait  recouvert  le  sommeil  de  qualificatifs  impropres,  il  est  certain 
que  ce  symptôme  semble  avoir  perdu,  à  la  lecture  de  certaines  obser- 
vations, une  grande  partie  de  sa  netteté.  Aussi  avant  d'essayer  d'en 
dépeindre  les  traits  les  plus  caractéristiques  nous  paraît-il  indispen- 
sable de  dire  d'abord  ce  qu'il  n'est  pas.  Il  sera  beaucoup  plus  aisé 
ensuite  de  montrer  ce  qu'il  est. 

Dire  que  Thypersomnie  doit  être  rigoureusement  séparée  du  coma 
est  une  vérité  d'évidence  telle  qu'il  peut  paraître  paradoxal  ou  vain  de 
le  rappeler  et  encore  plus  d'y  insister.  Et  cependant,  dans  certaines 
observations,  le  sommeil  semble  être  confondu  avec  la  perte  complète 
du  mouvement  et  du  sentiment  :  non  seulement  la  conscience  est  abolie, 
mais  les  malades  insensibles  à  toute  excitation  extérieure,  présentent  un 
relâchement  des  sphincters.  Devant  un  tel  tableau  clinique  il  est  diffi- 
cile de  se  déprendre  de  l'idée  qu'il  s'agit  moins  ici  d'un  état  narcolep- 
tique  que  d'un  vulgaire  coma.  Certes,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  soit 
toujours  aisé  de  distinguer  le  sommeil  profond  du  coma  véritable,  et  il 
peut  se  présenter  plus  d'un  cas  embarrassant.  Les  anciens  le  savaient 
bien  qui  reliaient  le  sommeil  pathologique  au  coma  profond,  au  carus 
par  toute  une  série  d'états  intermédiaires  désignés  du  nom  de  sopor,  de 
cataphore,  de  catoche.  Cependant,  les  cas  extrêmes  de  la  série  mis  à 
part,  dans  l'immense  majorité  des  faits,  l'hypersomnie  vraie  se  différen- 
cie très  aisément  du  coma.  Plongé  dans  le  coma,  nous  le  répétons,  le 
sujet,  insensible  à  toute  excitation  sensitive  ou  sensorielle,  présente  à 
peine  quelques  mouvements  réflexes  élémentaires  et  ne  peut  être  tiré  de 
cet  état  :  dans  le  sommeil,  au  contraire,  si  profond  qu'il  soit,    le  dor- 

CONFKIl.     NEUHOL.  12 


178  •/.   LHERM1TTE 


nii'iir  répond  aux  excitations  extérieures  ;  fortement  secoué  ou  pincé  il 
se  réveille  au  moins  pendant  quelques  i  nstants  et  répond  aux  questions 
qui  lui  sont  posées.  Enfin,  l'état  de  sommeil  permet  l'accomplissement 
de  certaines  fonctions  organiques  :  l'évacuation  régulière  des  réser- 
voirs, la  mastication  et  la  déglutition,  parfois  même  la  marche. 

Si  le  sommeil  pathologique  dont  s'accompagne  l'encéphalite  léthar- 
gique doit  être  distrait  du  cadre  des  comas,  il  ne  doit  pas  moins  ne  pas 
être  confondu  avec  la  stupeur,  comme  l'ont  fait  certains  auteurs  anglais 
qui  ont  donné  à  l'affection  qui  nous  occupe  la  dénomination  de  stupeur 
épidémique.  Si  la  stupeur  est,  en  effet,  un  état  caractérisé  par  la  sus- 
pension complète  de  toute  activité  extérieure,  il  n'en  va  pas  que  les 
malades  cpii  en  sont  atteints  aient  perdu  toute  activité  psychique  et 
toute  conscience. 

Bien  au  contraire,  car,  le  plus  souvent,  l'esprit  du  sujet  en  état  de 
stupeur  et  dont  la  physionomie  immobile  semble  peu  expressive,  con- 
centré sur  lui-même,  apparaît  dominé  par  l'activité  automatique  du 
drame  intérieur  dont  il  est  tout  ensemble  le  théâtre  et  1  acteur. 

Dans  un  bon  nombre  de  travaux  sur  «  l'encéphalite  léthargique  »,  les 
auteurs  décrivent  les  troubles  cérébraux  sous  les  termes  de  torpeur, 
d'obnubilation  psychiques.  Ces  termes  créent  ici  une  déplorable  con- 
fusion et  contribuent  pour  une  part  à  déformer  la  physionomie  réelle 
de  «  l'encéphalite  léthargique  ».  Aussi  force  nous  est  d'y  insister  une 
fois  de  plus.  La  torpeur  cérébrale,  l'obnubilation,  la  confusion  men- 
tales ne  peuvent,  en  aucune  manière,  être  confondues  avec  le  sommeil 
pathologique.  Ainsi  que  nous  y  avons  insisté,  la  torpeur,  l'obnubilation 
sont  des  états  qui  laissent  au  sujet  une  conscience  obscure,  mais  réelle 
du  monde  extérieur  ;  les  notions  de  temps,  d'espace,  pour  imprécis  et 
imparfaits  qu'ils  puissent  être,  ne  sont  pas  abolis  comme  dans  le 
sommeil. 

Coma,  torpeur,  obnubilation,  stupeur  ne  possèdent  pas.  on  vient  de 
le  voir,  une  identique  ni  même  une  analogue  signification  ;  en  aucune 
manière  ils  ne  sauraient  s'appliquer  aux  phénomènes  caractéristiques 
de  l'encéphalite  léthargique  que,  muni  des  notions  que  nous  venons  de 
rappeler,  il    nous  est  possible  maintenant  d'aborder. 

Quels  sont  donc  les  caractères  de  l'hypersomnie  de  l'encéphalite 
léthargique  '? 

A  l'aide  de  mots  différents,  la  plupart  des  auteurs  expriment  le  même 
fait  :  la  survenance  brusque,  précoce  d'un  sommeil  profond,  invin- 
cible. La  crise  aarcoleptique  préludant  ou  non  à  l'ophtalmoplégie, 
urvient  très  souvent  comme  première     manifestation    de  la   maladie. 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  179 

Sans  raison  le  malade  éprouve  une  invincible  envie  de  dormir  ;  il  res- 
sent des  picotements  dans  les  yeux,  une  lassitude  générale,  bientôt  les 
paupières  s'abaissent  d'elles-mêmes  devant  les  globes  oculaires  et  le 
sommeil  survient  complet,  profond.  Pendant  le  sommeil,  le  pouls  et  la 
respiration  sont  normaux,  le  sujet  parfaitement  calme  ne  paraît  pas 
tourmenté  par  des  rêves.  De  fortes  excitations  cutanées  ou  profondes 
provoquent  assez  facilement  le  réveil.  Le  malade  entr'ouvre  pénible- 
ment les  paupières  et  regarde  d'un  air  hébété,  un  peu  absent.  Malgré 
cette  apparence  il  peut  répondre  correctement  aux  questions  ;  mais 
bientôt  le  sommeil  reparaît  plus  impérieux  et,  dès  que  toute  stimulation 
a  cessé,  le  sujet  s'y  plonge  à  nouveau. 

Telle  est  la  crise  narcoleptique  typique.de  moyenne  intensité,  elle 
dure  de  quelques  minutes  à  plusieurs  heures.  Dans  les  cas  où  elle  est 
plus  discrète,  le  sujet,  malgré  son  intense  appétit  de  sommeil,  peut  s'y 
soustraire.  Il  en  était  ainsi  chez  une  de  nos  malades,  institutrice  fort 
intelligente,  qui  parvenait  à  continuer  son  cours  malgré  les  fréquentes 
envies  de  dormir  qui  la  prenaient  plusieurs  fois  pendant  l'après- 
midi. 

Il  est  à  remarquer  que  les  malades,  malgré  l'intense  envie  de  dormir 
qu'ils  éprouvent  et  qui  le  plus  souvent  les  terrasse,  ne  présentent  aucune 
appétence  pour  le  sommeil.  Ils  ont  au  plus  haut  degré  l'appétit  du 
sommeil,  sans  éprouver,  au  contraire,  le  désir  de  dormir. 

En  général,  l'attaque  narcoleptique  n'est  pas  si  soudaine  que  le  sujet 
ne  puisse  lui  résister,  au  moins  quelques  instants,  pendant  lesquels  il 
utilise  les  moyens  de  défense  qu'il  juge  le  mieux  appropriés.  Tantôt  il 
s'étend  sur  unlit,  s'assied  dans  unfauteuil,  cédant  au  besoin  de  dormir, 
tantôt  il  se  pique,  se  pince,  marche  activement  pour  essayer  de  chasser 
le  sommeil  qui  tend  à  l'accabler. 

Après  avoir  présenté  plusieurs  accès  légers  de  narcolepsie,  ou  parfois 
d'emblée,  une  crise  d'hypersomnie  plus  profonde  survient  qui  plonge  le 
sujet  dans  un  sommeil  qui  se  prolonge  pendant  plusieurs  heures,  quel- 
quefois plusieurs  jours,  exceptionnellement  plusieurs  semaines.  Mais, 
que  la  crise  se  prolonge  plus  ou  moins  longtemps,  les  caractères  de 
l'hypersomnie  ne  se  modifient  pas  notablement.  Dans  la  résolution 
complète  le  malade  n'offre  aucune  déformation  des  traits  ;  si  les  mem- 
bres peuvent  être  déplacés  dans  tous  les  sens  sans  que  le  sujet  s'en 
émeuve,  le  tonus  musculaire  n'est  pas  modifié.  Si  l'on  entr'ouvre  les 
paupières,  les  pupilles  apparaissent  légèrement  portées  en  haut  comme 
dans  le  sommeil  naturel.  Mais,  beaucoup  plus  souvent,  à  cette  phase 
d'hypersomnie    prononcée,   des    globes    oculaires    laissent   voir    une 


i 


[80  J.  LHERMITTE 


déviation  en  rapport  avec  l'intensité  et  la  localisation  de  l'ophtalmo- 
plégie. 

Malgré  la  profondeur  du  sommeil,  il  reste  possible  de  tirer  le  malade 
île  son  anéantissement  psychique  ;  mais  à  peine  réveillé  il  se  rendort 
ou  si-  montre  incapable  de  soutenir  un  interrogatoire  précis.  Parfois, 
c'est  à  peine  s'il  peut  ouvrir  complètement  les  paupières  ;  si  on  essaie  de 
l'alimenter  on  constate  que  la  mastication  et  la  déglutition  s'effectuent 
normalement.  Les  fonctions  de  la  vie  de  relation  demeurent  complète- 
ment suspendues,  les  fonctions  organiques  persistent.  Cet  état  a  pu  se 
prolonger,  dans  certains  cas  rares,  pendant  plusieurs  semaines  et 
aboutir  soit  à  un  réveil  progressif,  soit  à  un  anéantissement  complet 
des  fonctions  cérébrales,  au  véritable  coma  avec  incontinence  des 
réservoirs  et  formation  d'escarres  sacrées,  trochantériennes,  talonnières, 
et  même  parfois  des  membres  supérieurs. 

Il  est  peu  d'auteurs  qui  semblent  s'être  demandé  comment  s'effectuait 
le  sommeil  naturel  dans  l'encéphalite  léthargique.  Aussi  l'indication 
que  nous  fournit  M.  Bassoe  est-elle  instructive.  D'après  cet  auteur, 
certains  malades,  tout  en  conservant  un  aspect  endormi,  ont,  en  fait,  de 
l'insomnie.  Pour  notre  part,  nous  avons  remarqué  que,  chez  nos 
malades,  la  survenance  de  l'hypersomnie  pendant  le  jour  ne  modifiait 
pas  sensiblement  la  régularité  du  sommeil  nocturne.  Sommeil  physio- 
logique et  sommeil  pathologique  coexistaient  sans  se  mêler  ni,  en  appa- 
rence, s'influencer  notablement.  Chez  une  malade  présentant  une 
forme  sévère  d'encéphalite  léthargique  typique,  lorsque  le  sommeil 
pathologique  qui  avait  marqué  la  phase  de  début  s'évanouit,  l'insomnie 
nocturne  apparut  quelques  jours.  Il  faut  ajouter  qu'à  cette  époque  de  la 
maladie,  la  température  atteignait  39°  et  que  la  malade  présentait  une 
excitation  psychique  très  discrète. 

Cette  excitation  psychique  ou  psycho-motrice,  nous  la  trouvons  men- 
tionnée dans  de  nombreuses  observations,  alternant  ou  non  avec  l'hyper- 
somnie. Elle  s'associe  souvent  à  un  délire  doux  et  tranquille,  de  nature 
confusionnelle  et  hallucinatoire.  Et  ceci  n'a  pas  lieu  de  surprendre, 
puisque  nous  savons  depuis  les  travaux  de  Régis  et  de  M.  Klippel 
entre  autres,  l'étroit  degré  de  parenté  qui  unit  les  délires  confusion- 
iu ils  et  les  phénomènes  du  rêve.  Dans  le  rêve  normal  comme  dans 
l'onirisme  pathologique,  c'est  le  même  déroulement  d'images  qui 
projette  sa  fantasmagorie  troublante  sur  la  conscience  endormie,  la 
même  absence  de  Critique,  la  même  incohérence,  le  même  défaut  d'éton- 

nementde  l'esprit  devant  l'apparition  des  phénomènes  les  plus  inat- 
tendus et  les  plus  déconcertants. 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  181 

Intimement  liées  au  sommeil  pathologique  par  leur  nature  et  leur 
mécanisme,  les  manifestations  délirantes  fréquemment  relevées  au 
cours  de  «  l'encéphalite  léthargique  »  ne  doivent  pas,  à  notre  sens,  être 
séparées  au  point  de  vue sémiologique.  Ets'il  nous  était  permis  défaire 
un  vœu  ce  serait  pour  demander  que  l'on  cherchât  davantage  les  mani- 
festations de  l'onirisme  dans  les  faits  d  hypersomnie  par  encéphalite, 
convaincu  que  nous  sommes  qu'on  les  trouverait  encore  plus  sou- 
vent. 

Comme  dans  tous  les  états  confusionnels  c'est  surtout  à  la  faveur  de 
la  nuit  qu'apparaissent  variées  et  incohérentes  les  images  du  rêve, 
images  presque  exclusivement  visuelles,  traînant  après  elles  le  cortège 
des  réactions  motrices  que  l'on  connaît.  Parfois,  ce  déroulement 
d'images  oniriques  s'effectue  à  la  faveur  non  pas  du  sommeil,  mais 
d'un  simple  assoupissement.  Et  une  malade  nous  disait  cette  phrase 
caractéristique  :  «  C'est  très  curieux,  lorsque  vient  la  nuit,  je  vois  un 
tas  de  choses  qui  passent  devant  ma  vue  comme  un    cinématographe.  » 

Ainsi  que  je  vous  le  rappelais  il  y  a  un  instant,  la  fonction  hypnique 
peut  être  perturbée  dans  l'encéphalite  épidémique  soit  par  excès,  soit 
par  défaut,  et  si,  dans  la  plupart  des  faits,  l'hypersomnie  prédomine, 
les  récentes  épidémies  nous  ont  fait  connaître  les  formes  très  curieuses 
de  la  maladie  dont  un  des  caractères  les  plus  marquants  est  précisé- 
ment l'insomnie.  Insomnie  tenace,  absolue,  durant  des  jours  et  parfois 
des  mois,  insomnie  accompagnée  souvent  d'un  perpétuel  besoin  de 
déplacement  qui  n'est  pas  sans  rappeler  celui  qu'il  est  si  fréquent  d'ob- 
server dans  la  maladie  de  Parkinson.  Il  faut  ajouter  que  les  formes 
agrypniques  de  l'encéphalite  peuvent  aussi  bien  que  les  formes  léthar- 
giques s'accompagner  de  troubles  mentaux. 

C. —  Perturbations  de  l'appareil  musculaire  volontaire. 

Ces  perturbations  apparaissent  de  la  plus  grande  fréquence  et  por- 
tent sur  le  tonus,  la  force  musculaire,  la  coordination. 

Si  le  tonus  musculaire  peut  être  troublé  par  défaut  (asthénie,  hypoto- 
nie), beaucoup  plus  fréquemment  il  est  troublé  par  excès,  soit  qu'il 
s'agisse  de  contractures  légitimes  à  localisation  monoplégique,  hémi- 
plégique ou  généralisée,  soit  qu'il  s'agisse  de  rigidité  à  type  parkin- 
sonien.  L'existence  de  la  catatonie  dans  l'encéphalite  léthargique 
s'est  révélée  fréquente  dans  la  première  épidémie  anglaise  (1917-1918), 
puis  dans  les  épidémies  allemande  et  française  de  1919-1920.  C'est  par 
elle  que  le  malade  prend  cette  attitude  soudée  ou  figée,  (pie  son  visage 
devient  inexpressif  et  glacé,  que  les  mouvements  actifs  et    passifs   sont 


J.  LHERM1  l  i  i. 


lfiits  el  difficiles.  Lorsque  à  cette  rigidité  catatonique,  se  joint  le  trem- 
blement   des  membres   supérieurs,  le   tableau  du  parkinsonisme    est 

réalisé. 

L'encéphalite  léthargique  ne  s'accompagne  pas  volontiers  de  para- 
lysies des  membres  très  prononcées  et  durables  ;  ce  qui  est  fréquent,  ce 
sont  les  monoplégies  ou  les  hémiplégies  frustes  disparaissant  aussi 
vite  qu'elles  sont  venues  et  ne  laissant  après  elles  que  d'insignifiantes 
séquelles. 

Dans  de  nombreuses  observations,  l'encéphalite  s'accuse  par  des 
convulsions  à  type  jacksonien  ou  par  des  crises  d'épilepsie  généra- 
lisées (Guillain). 

Si  les  troubles  par  déficit  moteur  sont  assez  rares  ou  discrets,  les 
perturbations  de  la  coordination  des  mouvements  sont  beaucoup  plus 
fréquentes,  qu'il  s'agisse  d'ataxie  ou  surtout  d'asynergie  cérébelleuse 
(Lhermitte  et  Saint-Martin). 

Enfin  il  n'est  pas  exceptionnel  que  les  membres  où  siège  cette  incoor- 
dination présentent  des  mouvements  involontaires  à  caractère  eho- 
réique  ou  athétosique. 

Ainsi  que  tous  les  observateurs  l'ont  remarqué,  de  tous  les  nerfs  crâ- 
niens, les  oculo-moteurs  sont  de  beaucoup  les  plus  atteints  ;  c'est  lais- 
ser entendre  que,  en  dehors  des  IIIe,  IVe  et  VIe  paires,  d'autres  nerfs 
crâniens  peuvent  être  intéressés  par  le  processus  de  l'encéphalite.  La 
paralysie  ou  la  parésie  de  la  VIIe  paire  est  relativement  fréquente 
(Sainton,  Lhermitte  et  Saint-Martin)  et,  fait  à  remarquer,  se  présente 
avec  les  mêmes  caractères  sémiologiques  et  évolutifs  que  les  paralysies 
de  la  IIIe  paire.  Ici  comme  là,  la  paralysie  est  dissociée,  parcellaire, 
extenso-progressive.  L'atteinte  de  la  VIIe  paire  s'accuse  par  un  ensem- 
ble de  symptômes  d'origine  cochléaire  et  vestibulaire  :  bruits  subjec- 
tifs, hypo-acousie,  perte  des  réactions  vestibulaires,  parfois  surdité 
(Vincent)  ;  celle  de  la  IX'  paire  par  l'agueusie  (Sainton),  celles  îles  Xe 
et  XIe  paires  par  des  paralysies  vélopalatines,  laryngées  (Combemale  et 
Duhot,  Mouriquandet  Sanerot),  parfois  par  une  paralysie  labio-glosso- 
laryngée  ;  celle  de  l'hypoglosse  enfin  par  une  parésie  de  la  langue 
accompagnée  de  trémulation  fibrillaire. 

1).  — Réactions  méningées. 

Nous  avons  insisté  dans  le  résumé  sémiologique  que  nous  avons 
donné  des  différentes  épidémies  sur  la  variabilité  de  la  syraptomatolo- 
gie  méningée  s'affirmanl  ici,  et  là,  au  contraire,  fa  i  sa  ni  complètement 
défaut. 


V ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  183 

Lors  des  épidémies  de  Vienne  (1910-1917),  Econome»  insistait  sur  la 
présence  de  ce  qu'il  appelait  le  «  méningisme  »  et  qui  n'est  autre  qu'une 
réaction  méningée  plus  ou  moins  franche.  Si  les  symptômes  méningés 
manquaient  absolument,  lors  de  la  première  épidémie  française  de  1918, 
ils  furent,  dans  nombre  de  cas,  très  apparents  dans  l'épidémie 
de  1919-1920.  Non  seulement  la  souffrance  des  méninges  s'affirme  par 
les  signes  classiques  de  Kerning,  de  Brudzinski,  la  raideur  du  tronc  et 
de  la  nuque,  etc.,  mais  elle  est  attestée  par  les  réactions  souvent  très 
intenses  du  liquide  céphalo-rachidien  (Castaigne,  Achard). 

E. —  Liquide  céphalo-rachidien. 

Lors  de  la  première  épidémie  française  (1918),  l'absence  de  modifi- 
cations du  liquide  cérébro-spinal  avait  fait  considérer  celle-ci  comme 
une  indication  sémiologique  importante  en  faveur  de  l'encéphalite  épi- 
démique.  Le  développement  de  l'épidémie  de  1919-1920  vint  modifier 
complètement  cette  manière  de  voir.  En  effet,  dans  de  très  nombreux 
cas  d'encéphalite  authentique,  le  liquide  céphalo-rachidien,  soustrait 
par  ponction  lombaire,  contenait  une  forte  proportion  d'albumine  et 
des  éléments  figurés,  lymphoc\Ttes  pour  la  plupart.  Déjà  Economo  et 
nombre  d'auteurs  anglais,  MM.  Barsal,  Burger  et  Focquet,  Stern, 
Tucker,  avaient  montré  que  le  liquide  céphalo-rachidien  pouvait  pré- 
senter et  de  l'hyperalbuminose  et  de  la  pléicytose,  mais  c'est  surtout 
grâce  aux  travaux  de  MM.  Netter,  P.  Marie,  Courmont,  Achard,  Claude, 
Pic  et  Bonamour.  Sicard.  que  les  caractères  chimiques  et  cytologiques 
du  liquide  céphalo-rachidien  purent  être  précisés.  A  l'heure  actuelle, 
l'existence  de  l'hyperalbuminose  ni  celle  de  la  pléicytose  ne  peuvent 
être  discutées.  Mais  ce  qui  apparaît  comme  particulier  à  l'encéphalite, 
c'est,  d'une  part,  que  le  taux  de  l'albumine  du  liquide  céphalo-rachi- 
dien n'est  nullement  proportionnel  à  la  quantité  d'éléments  figurés  et, 
d'autre  part,  le  fait  que  la  réaction  cytologique,  contrairement  à  celle 
des  méningites  tuberculeuses,  décroît  à  mesure  que  se  poursuit  l'évolu- 
tion de  la  maladie. 

Ce  défaut  de  parallélisme  entre  l'albuminose  et  la  pléicytose  peut 
être  accusé  au  point  d'être  une  véritable  dissociation  albumino-cytolo- 
gique,  tantôt  en  faveur  de  l'albumine  tantôt  et  le  plus  souvent  en  faveur 
des  éléments  figurés. 

En  outre,  M.  Dopter,  M.  Netter,  MM.  Sicard  et  Kudelski  ont  révélé 
une  teneur  anormale  en  sucre  du  liquide  céphalo-rachidien  ;  hyper- 
glycorachie  allant  de  pair  avec  une  hyperglycémie,  opposant  ainsi  de 
la  manière  la  plus  nette  l'encéphalite  léthargique  et  les  méningopathies 


184  •/.  LHERMITTE 


aiguës.  Ajoutons  que  MM.  Brasker,  Calwell,  Goombe,  ont  constate, 
mêlées  à  des  polynucléaires,  des  petits  cocci-gram-positifs  identifiables 
au  diplocoque  de  Wiesner. 

Quant  à  la  tension  céphalo-rachidienne,  M  Boveri  à  récemment 
montré  que  dans  50  p.  100  des  cas  celle-ci  était  augmentée,  mais  dans 
des  proportions  relativement  modérées. 

F.  —  Troubles  de  la  sensibilité. 

Si,  objectivement,  les  troubles  de  la  sensibilité  apparaissent  souvent 
un  peu  incertains,  ils  n'en  existent  pas  moins  et  peuvent  parfois  pren- 
dre le  pas  sur  les  autres  symptômes.  Fréquentes  dans  les  formes  d'en- 
céphalite caractérisées  par  la  survenance  de  myoclonies,  les  douleurs 
peuvent  atteindre  une  intensité  telle  qu'elle  pousse  les  malheureux 
malades  à  des  crises  de  désespoir  redoutables  par  la  tendance  aux  réso- 
lutions extrêmes,  parfois  au  suicide  dont  elles  s'accompagnent.  Dou- 
leurs térébrantes,  sensations  de  broiement  profond,  ces  algies  se  limi- 
tent souvent,  soit  à  la  moitié  du  corps,  soit  aux  extrémités,  soit  enfin  à 
des  territoires  radiculaires  et  présentent  tous  les  caractères  des  «  dou- 
leurs centrales  ».  Comme  les  algies  sympathiques,  elles  apparaissent 
et  s'évanouissent  sans  qu'aucune  cause  en  apparence  soit  intervenue  et, 
à  l'exemple  de  celles-ci,  elles  peuvent  s'associer  à  des  phénomènes  de 
répercussivité  étudiés  à  nouveau  par  M.  A.  Thomas.  Chez  une  de  nos 
malades,  par  exemple,  l'imminence  de  la  crise  douloureuse  était  an- 
noncée par  l'apparition  d'une  sensation  pénible  Hmitée  à  une  cicatrice 
delà  cuisse,  vestige  d'un  abcès  de  fixation. 

Des  algies  nous  devons  rapprocher  les  paresthésies,  les  dysesthésies 
curieuses  dont  se  plaignent  parfois  les  malades  atteints  d'encéphalite  : 
sensations  bizarres  de  sable  dans  les  mains,  de  fourmillements,  d'en- 
gourdissement, sensations  parfois  si  étranges  que  le  sujet  ne  peut  les 
définir  ni  même  les  comparer  avec  une  autre  sensation  connue.  Avec 
M.  H.  Collin  nous  avons  observé,  dans  plusieurs  faits,  la  survenance 
d'un  prurit  excessif  généralisé  à  tout  le  corps  et,  selon  toute  apparence 
plus  accentué  dans  les  régions  pileuses  ;  à  tel  degré  que  nous  avons  vu 
plusieurs  sujets  la  poitrine  labourée  de  coups  d'ongles  et  de  grattages 
furieux,  les  aisselles  et  la  région  pubienne  littéralement  épilées  en  rai- 
son des  démangeaisons  dont  ces  légions  étaient  le  siège. 

Je  vous  rappellerai  aussi  1rs  quelques  faits  observés  en  particulier 
par  M.  Sainton  et  dans  lesquels  l'encéphalite  s'est  accompagnée  d  h\- 
peralgésie  extrême  et  généralisée.  Vn  simple  frôlement  sullit  dans  les 
cas  de  ce  genre  pour  déterminer  une  violente  réaction  douloureuse. 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  185 

Ce  phénomène  me  paraît  intéressant  à  relever  non  seulement  au  point  de 
vue  sémiologique  mais  aussi  à  cause  de  sa  parenté  clinique  avec  le 
signe  Kérandel  de  la  maladie  du  sommeil  des  nègres. 

G.  —  Réflectivité. 

Les  réflexes  cutanés  sont  assez  variables,  souvent  affaiblis,  quelque- 
fois abolis  ;  le  réflexe  plantaire  s'effectue  dans  de  nombreux  cas  en 
extension  et  le  signe  de  Babinski  peut  être  le  seul  témoin  de  l'atteinte 
de  la  voie  pyramidale  (Widal). 

Pour  ce  qui  est  des  réflexes  tendineux,  dans  les  formes  de  moyenne 
intensité,  ils  sont  le  plus  souvent  légèrement  exaltés,  d'autres  fois 
affaiblis  ou  suspendus.  Tout  de  même  que  pour  les  symptômes  d'ordre 
moteur,  la  caractéristique  des  modifications  des  réflexes  est  d'être 
essentiellement  variables  et  changeants.  (Guillain.) 

H.  —  Sphincters. 

Les  troubles  sphinctériens  ne  sont  point  exceptionnels  dans  l'encé- 
phalite épidémique,  mais  ils  apparaissent  surtout  dans  les  formes 
sévères,  où  l'hypersomnie  se  prolonge,  devient  de  plusen plus  profonde 
et  aboutit  au  coma. 

I.  —  Système  nerveux  de  la  vie  organique.  —  Symptômes  sym- 
palhicotoniques.  —  Les  manifestations  indiquant  un  état  d'éréthisme 
du  sympathique  sont  beaucoup  plus  fréquentes  que  celles  que  l'on 
peut  rapporter  à  la  vagotonie.  Les  phénomènes  sympathicotoniques 
consistent  en  hyperidrose  généralisée  (Nonne)  ou  localisée  à  la  face 
(Kennedy,  Khoury,  Crebbels,  Russel),  en  poussées  de  rougeur  subite  en 
alternatives  de  vasodilatation  et  de  vasoconstriction,  en  exophtalmie 
(Eisenlohr  en  tachycardie,  en  kyperthermie  (Economo),  en  polyurie 
(4  litres  1/2  à  5  litres  1/2  en  24  heures).  (Dopter,  Briand  et  Rouquier, 
Lapporte  et  Rouzaud)  en  ghcosurie  avec  hyperglycémie  (Economo). 

J.  — Symptômes  vagotoniques. 

Le  plus  important  est  la  sialorrhée  sur  laquelle  M.  Netter  a  insisté, 
sialorrhée  accompagnée  de  gonflement  des  parotides  et  de  modifica- 
tions histologiques  des  glandes  salivaires.  Nous  signalerons  sans  nous 
y  arrêter,  bien  que  la  question  mérite  une  longue  étude,  les  spasmes  de 
l'intestin,  que  M.  Massaria  pu  observer  dans  cinq  cas  et  qui  conduisi- 
rent dans  un  fait  à  une  intervention  chirurgicale.  Celle-ci  montra  un 
intestin  contracté  et  pâle  en  plusieurs  régions.  Nous  avons  nous-même 


186  J.  I.ll  il;  \l  l  l  l  E 


avec  notre  confrère  Aguinet,  observé  un  l'ail  du  même  ordre,  chez  une 
malade  que  nous  suivions  depuis  plus  de  six  mois.  Dans  ce  cas,  l'en- 
céphalite débuta  par  des  phénomènes  abdominaux  qui  (iront  pensera 
une  appendicite  pour  laquelle  la  malade  fut  opérée  ;  plus  tard,  appa- 
rurent la  diplopic,  l'amblyopie  transitoire,  les  secousses  mvoclo- 
niques. 

Réflexe  oculo-eardioque. —  L'étude  du  réflexe  de  Dagrini-Aschner 
ne  fournit  guère  d'indications  sur  l'état  des  fonctions  sympathiques  ou 
autonomes.  Selon  M.  Litvack,  ce  réflexe  serait  d'autant  plus  net  que 
l'hypersomnie  serait  plus  prononcée  ;  pour  MM.  P.  Marie  et  Bouttier, 
M.  Achard,  il  serait  souvent  aboli  à  la  période  d'état  et  tardivement 
exagéré  sans  que  ces  modifications  commandent  aucun  pronostic 
fâcheux. 

K.  —  Symptômes  généraux. 

Certains  indiquent  le  retentissement  de  l'infection  sur  divers  appa- 
reils, d'autres  ne  sont  que  l'accompagnement  obligé  de  toute  pyrexie. 
Aux  premiers  se  rattachent  l'angine  du  début,  les  poussées  d'arthrite, 
la  synovite  (Claude  et  Dufour),  la  splénomégalie,  l'herpès  labial  ou 
facial  (Economo),  le  purpura  :  aux  seconds  l'état  saburral  des  voies 
digostives,  la  constipation,  l'anorexie,  l'asthénie. 

L.  —  Réactions  humorales  et  sanguines. 

L'étude  du  sang  montre,  dans  la  règle,  une  hyperleucocytose  avec 
polynucléose  ;  l'éosinophilie  apparaît  au  moment  de  la  convalescence. 
Selon  MM.  Laporte  et  Rouzaud,  le  sérum  sanguin  contiendrait  une 
quantité  anormale  d'azote,  de  glucose  et  de  cholestérine  complètement 
indépendante  de  la  rétention  rénale. 

De  nombreuses  tentatives  furent  faites  dans  le  but  de  trouver  dans  le 
sang,  le  germe  de  l'encéphalite,  mais  tous  ces  essais  furent  vains  et 
constamment  les  hémocultures  demeurèrent  négatives.  Ajoutons  que 
la  réaction  de  Bordet-Wassermann  est  toujours  négative  dans  les  cas 
purs  d'encéphalite  léthargique  ;  lorsque  la  réaction  est  positive,  elle 
témoigne  d'une  imprégnation  syphilitique,  mais  n'indique  nullement 
que  le  virus  spécifique  soit  en  action  sur  le  système  nerveux  et  n'exclut 
pas  l'hypothèse  d'une  encéphalite  épidémique  légitime. 

FORMES    CLINIQUES 

A.  —  Forme  foudroyante  sidérante,  hypertoxiquc. 
Très  bien  vue  par  ('..  Economo  cette  variété  de  l'encéphalite  léthar- 
gique n'a   fait    en    France  qu'une  apparition    tardive  pendant  l'hiver 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  187 

1919-1920  et  nous  avons  pu  en  voir  plusieurs  exemples  caractéristiques 
avec  M.  H.  Colin  à  l'asile  de  Villejuif.  Le  tableau  clinique  qui  en  est 
l'expression  est  des  plus  saisissants  et  laisse  à  tous  ceux  qui  en  ont  été 
les  témoins  une  impression  très  pénible,  exagérée  encore  par  l'impuis- 
sance de  nos  moyens  thérapeutiques. 

Le  début  en  est  brutal  et  l'invasion  soudaine  marquée  par  une  réaction 
fébrile  ;  puis  surviennent  les  troubles  psychiques  à  type  d'excitation 
psychomotrice.  Non  seulement  la  léthargie  fait  défaut  mais  l'insomnie 
est  fréquente  ;  à  cette  époque  l'on  observe  souvent  une  inégalité  pupil- 
laire  accompagnée  parfois  de  modifications  légères  de  la  réflectivité 
irienne. 

Puis  rapidement,  l'agitation  du  malade  augmente  d'intensité,  le  dés- 
ordre des  mouvements  et  de  l'esprit  est  complet.  En  proie  à  un  délire 
extrêmement  actif,  les  malades  sont  plongés,  le  jour  comme  la  nuit, 
dans  un  état  d'agitation  extrême.  Bien  souvent  les  moyens  de  conten- 
tion doivent  être  employés  pour  protéger  et  l'entourage  du  sujet  et 
celui-ci  lui-même  contre  les  excès  de  sa  fureur.  Sans  cesse  le  malade  se 
retourne  sur  sa  couche,  enlève  ses  couvertures,  quelquefois  les  lacère. 
Son  visage  vultueux  et,  dans  certains  cas,  semé  de  vésicules  d'herpès 
exprime  la  terreur  ou  la  colère  ;  les  mâchoires  serrées  grincent,  enfin 
les  membres  sont  dans  une  perpétuelle  agitation.  Comme  je  vous  l'ai 
déjà  indiqué,  il  est  de  tels  malades  qui  poursuivis  de  sensations  in- 
tenses de  prurit  se  griffent,  se  labourent  littéralement  les  téguments  du 
thorax  et  s'arrachent  les  poils  des  aisselles  et  du  pubis. 

Au  bout  de  quelques  jours,  la  température  toujours  très  élevée  et 
oscillant  entre  39°  et  40°  s'abaisse  légèrement,  le  délire  est  moins  actif, 
la  somnolence  apparaît,  somnolence  de  mauvais  aloi  car  elle  pi'élude  à 
l'apparition  du  coma  terminal.  Le  pronostic  de  cette  forme  foudroyante 
est,  en  effet,  des  plus  graves,  et,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  la  ma- 
ladie se  termine  en  quelques  jours  par  la  mort. 

B.  —  Formes  prolongées. 

Bien  que  celles-ci  aient  probablement  existé  de  tout  temps,  il  faut 
reconnaître  que  c'est  grâce  à  l'étude  des  dernières  épidémies  que  nous 
en  connaissons  aujourd'hui  les  principaux  caractères. 

Il  n'entre  pas,  Messieurs,  dans  ma  pensée  de  les  passer  toutes  en 
revue,  le  temps  ne  le  permet  pas,  et  d'ailleurs  dans  une  très  prochaine 
conférence  M.  Souques  vous  parlera  longuement  des  formes  prolongées 
de  l'encéphalite  léthargique  à  type  parkinsonien  et  catatonique.  Je 
désire  seulement  m'arrêter  sur  les    manifestations  si   particulières    de 


188  ,/.  LUE  RM  I  TTE 


certaines  formes  de  la  maladie,  manifestations  qui  ont  été  décrites 
dans  tous  leurs  détails  par  M.  Pierre  Marie  et  MIU'  Gabrielle  Lévy  sous 
les  termes  de  syndrome  excito-moteur  tardif.  Survenant  soit  connue 
manifestation  primitive  et  prolongée  de  l'infection  encéphalitique,  soit 

à  titre  de  manifestation  tardive  et  traînante  de  la  maladie,  le  syndrome 
de  Pierre  Marie  et  G.  Lévy  se  caractérise  non  seulement  par  des  trou- 
bles très  particuliers  des  mouvements  volontaires  et  l'apparition  de 
mouvements  spontanés  involontaires,  mais  encore  par  une  série  de 
petits  signes  contingents  mais  dont  l'association  ne  laisse  pas  d'être 
significative. 

Parmi  ces  derniers  je  relèverai,  à  la  phase  de  début,  la  raideur  dou- 
loureuse de  la  nuque,  le  trismus  accompagné  de  grincements  de  dents, 
les  spasmes  faciaux,  la  sialorrhée,  les  sensations  de  constriction  pbarvn- 
goglottiques,  les  bâillements  avec  pandiculations,  le  hoquet,  les  vomis- 
sements ;  puis,  à  une  phase  plus  tardive,  les  poussées  fluxionnaires 
dans  les  articulations,  les  algies  à  type  musculaire  ou  névritique, 
l'hyperalgésie  cutanée. 

L'une  des  formes  les  plus  instructives  du  syndrome  excito-moteur  de 
P.  Marie  et  J.  Lévy  est,  sans  conteste,  la  forme  choréique.  Limitée  à 
un  seul  côté  ou  généralisée,  l'agitation  choréique  s'apparente  bien  avec 
le  désordre  musculaire  de  la  chorée  de  Sydenham  ;  cependant  cette 
agitation  y  apparaît  moins  désordonnée  et  répond  à  un  cycle  morpho- 
logique rythmique,  lequel  se  renouvelle  sensiblement  identique.  Dans 
certains  cas,  le  désordre  musculaire  représente  la  forme  classique  de 
chorée  salutante  rythmique. 

Voici  deux  malades  hospitalisés  à  la  Salpêtrière  dans  le  service  de 
M.  le  Professeur  P.  Marie  et  dont  les  observations  très  complètes  m'ont 
été  très  obligeamment  communiquées  par  Mlle  Gabrielle  Lévy  et  qui 
témoignent  mieux  que  toute  description  des  caractères  très  spéciaux 
dont  s'entoure  l'agitation  choréi forme. 

Le  premier  sujet,  homme  de  2i)  ans,  a  été  frappé  en  janvier  \\Y20 
d'encéphalite  léthargique  à  forme  insomnique  puis  léthargique.  L'épi- 
sode aigu  dura  deux  mois.  Tout  semblait  terminé  lorsque,  en  mars  1920, 
apparurent  des  mouvements  spontanés  involontaires  dans  le  bras  et  la 
jambe  gauches  à  type  de  chorée. 

Comme  vous  le  voyez,  cette  agitation  musculaire  persiste  aujour- 
d'hui avec  une  grande  intensité  maigre  le  temps  écoulé  (  15  mois  )  depuis 
son  éclosion.  J'ajoute  que  cette  gesticulation  choréique  continue  et 
rythmique  s'est  accompagnée  pendant  un  an  d'insomnie  complète. 

Chez  cette  autre  malade  âgée  de  30  ans,  le  début  de  la  maladie  remonte 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  189- 

au  mois  de  décembre  1919  et  fut  caractérisé  par  de  la  céphalée,  de  la 
diplopie  et  une  somnolence  si  prononcée  qu'il  lui  arrivait  de  s'endor- 
mir en  marchant.  En  février  1920,  survinrent  des  mouvements  involon- 
taires dans  la  jambe  gauche  puis  le  pied  droit,  en  même  temps  que 
s'installait  1  insomnie. 

Après  différents  incidents,  une  amélioration  survint,  mais  actuelle- 
ment, cette  malade  présente  encore  des  mouvements  choréiques 
rythmés  auxquels  participent  les  muscles  de  l'hémi-face  gauche  et  le 
membre  supérieur  homo-latéral.  J'ajoute  que  dans  le  quadriceps  gauche 
sont  apparues  des  secousses  myocloniques,  lesquelles  ont  été  très  net- 
tement calmées  par  le  bromhydrate  de  cicutine  tandis  que  les  mouve- 
ments choréiques  n'ont  été  nullement  influencés  par   cette  médication. 

Le  désordre  musculaire  à  forme  d'oscillations  bradycinétiques  s'op- 
pose au  précédent.  Il  ne  s'agit  plus  ici  de  mouvements  choréiformes 
mais  de  déplacements  d'un  ou  de  plusieurs  membres  lents,  réguliers, 
rythmiques.  A  l'exemple  des  paralysies  qui.  nous  l'avons  montré,  peu- 
vent être  migratrices,  ces  phénomènes  bradycinétiques  peuvent  dispa- 
raître dans  les  membres  primitivement  atteints  pour  envahir  les  mem- 
bres jusque-là  épargnés. 

Le  temps  n'est  pas  encore  venu  qui  nous  autorise  à  préjuger  l'avenir 
réservé  aux  sujets  qui  ont  été  frappés  par  le  syndrome  excito-moteur 
dont  je  viens  de  vous  rappeler  les  traits  les  plus  significatifs  ;  mais 
nous  connaissons  malheureusement  trop  les  rechutes  auxquelles 
demeurent  exposés  les  encéphalitiques  incomplètement  guéris  pour  ne 
pas  faire  à  propos  du  pronostic  des  mouvements  involontaires  rythmi- 
ques ou  désordonnés  des  encéphalitiques  les  plus  grandes  réserves. 

La  forme  pseudo-bulbaire  de  l'encéphalite  léthargique  apparaît  jus- 
qu'ici comme  une  exceptionnelle  rareté,  et  si  je  vous  la  signale  d'après 
les  descriptions  anatomiques  qu'en  a  donné  Economo,  c'est  qu'elle  est  le 
meilleur  témoignage  de  la  plasticité  symptomatique  de  la  maladie  capa- 
ble de  déterminer,  dans  le  même  temps,  chez  deux  sujets  soit  un  syn- 
drome choréique.  soit  un  syndrome  de  pseudo-paralysie  bulbaire. 

Avant  d'en  terminer  avec  l'étude  des  formes  prolongées  de  l'encé- 
phalite, je  ne  puis  résister  au  désir  de  vous  dire  deux  mots  au  sujet  des 
formes  chroniques  avec  hyperthermie,  car  elles  sont,  autant  que  j'en 
peux  juger,  beaucoup  moins  connues.  La  fièvre  est,  vous  le  savez,  une 
manifestation  très  fréquente  et  à  laquelle  bien  peu  de  sujets  échappent, 
mais  assez  rapidement  le  pouls  reprend  sa  cadence  normale  et  en  même 
temps  que  la  température  s'abaisse  au  voisinage  du  niveau  physiolo- 
gique. Dans  certains  cas,  malgré  l'amélioration  évidente  de  l'état  gêné- 


[90  ./.  LHERMITTE 


rai  et  la  sédation  dos  troubles  du  système  nerveux,  la  température 
demeure  obstinément  fixée  à  un  niveau  plus  ou  moins  élevé  mais  tou- 
jours au-dessus  du  niveau  physiologique.  Nous  suivons  depuis  près  de 
deux  ans  une  malade  qui,  à  la  suite  d'une  encéphalite  à  l'orme  algo-cho- 
réique,  conserve  malgré  tous  les  traitements  une  température  qui  oscille 
entre  38,5  et  39,5,  atteignant  parfois  40°.  Il  n'est  pas  besoin  d'ajouter  que 
dans  les  laits  de  cet  ordre  les  investigations  les  plus  poussées  ne  lais- 
sent jamais  découvrir  la  moindre  apparence  d'un  foyer  infectieux.  Cette 
hyperthermie  nous  apparaît  avec  la  plus  claire  évidence  comme  d'ori- 
gine centrale  et  en  rapport  avec  les  lésions  causées  dans  la  région  du 
ventricule  moyen  et  la  région  hypolhalamique  par  le  virus  de  L'encé- 
phalite léthargique. 

C.  Formes  spinales  de   Vencéphalite  épidémique. 

A  la  vérité  les  termes  que  nous  employons  ici  jurent  d'être  associés  ; 
c'est  (pie,  moins  bien  que  la  maladie,  en  effet,  le  langage  médical  se  prête 
à  de  semblables  adaptations.  Quoi  qu'il  en  soit,  au  reste,  l'essentiel 
n'est-il  pas  de  s'entendre  ?  Par  formes  spéciales  ou  formes  basses, 
(Bériel)  nous  comprenons  les  syndromes  provoqués  par  la  localisation 
sur  la  moelle  épinière  et  le  bulbe  rachidien  de  l'agent  pathogène  de  l'en- 
céphalite.  Ainsi  que  nous  l'ont  appris  les  récentes  manifestations  épidé- 
miques  de  l'encéphalite,  les  syndromes  spinaux  peuvent  revêtir  des 
types  très  variés.  Tantôt  la  maladie  s'affirme  par  la  survenance  d'une 
hémiplégie  ou  d'une  monoplégie,  tantôt  son  expression  la  plus  saisis- 
sante consiste  dans  les  myoclonies  accompagnées  ou  non  de  douleurs 
souvent  à  type  radiculaire.  A  ce  propos,  je  ne  puis  (pie  vous  rappeler 
ces  clonies  limitées  soit  au  diaphragme,  soit  aux  muscles  de  l'abdomen 
(Reilly),  soit  au  complexus  musculaire  phréno-glottique,  soit  enfin  à  la 
musculature  des  membres,  très  complètement  étudiées  par  M.  Sicard  et 
qui  peuvent  être  rapprochées  de  cette  variété  de  chorée  décrite  en  1846 
parDubini  sous  les  ternies  de  chorée  électrique. 

De  même  (pie  dans  ces  localisations  encéphaliques,  le  virus  de  la 
maladie  peut  manifester  dans  la  moelle  une  vitalité  persistante  et  don- 
ner lieu  à  des  formes  prolongées  parmi  lesquelles  la  forme  amyotrophi- 
que  étudiée  récemment  par  M.  StiefFer,  M.  Froment,  est  peut-être  la 
plus  saisissante. 

AIMATOMIE    PATHOLOGIQUE 

Les  modifications  que  Ion  peut  reconnaître  à  l'examen  microsco- 
pique, encore  qu'intéressantes,  ne  nous  renseignent  qu'assez  incomplète- 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  l'Jl 

ment  sur  les  altérations  réelles  que  fait  apparaître  l'étude  histologique. 
En  général,  ce  qui  frappe,  c'est  l'état  congestif  de  l'encéphale  tout  entier, 
y  compris  les  circonvolutions  cérébrales.  Celles-ci  ont  pris  une  teinte 
livide  ou  hortensia,  sur  laquelle  tranchent,  de-ci  de-là,  quelques  taches 
plus  sombres  d'hémorragie  miliaire.  Parfois,  les  méninges  participent 
au  processus  phlegmasique  et  les  lepto-méninges  peuvent  même  prendre 
l'apparence  opalescente  qui  caractérise  les  inflammations  méningées. 
Mais  les  lésions  caractéristiques  de  l'encéphalite  ne  se  révèlent  vrai- 
ment qu'à  la  section  du  tronc  cérébral.  Sur  la  coupe  des  pédoncules 
cérébraux  (mésocéphale),  la  région  de  la  calotte,  intermédiaire  entre  le 
pied  du  pédoncule  et  de  la  région  tubercules  quadrijumeaux,  apparaît 
piquetée  de  plaques  rouges,  irrégulièrement  découpées,  témoignages 
de  l'irruption  du  sang  hors  des  vaisseaux.  Ce  piqueté  hémorragique  se 
poursuit,  d'une  part,  vers  les  ganglions  centraux  (couche  optique  et 
corps  strié),  vers  la  protubérance  et  le  bulbe  rachidien  d'autre  part. 

Etude  microscopique . 

Dans  d'assez  nombreux  cas,  mais  non  dans  tous,  les  lepto-méninges  et 
surtout  la  pie-mère  présentent  d'indiscutables  lésions  ;  non  seulement 
tout  l'appareil  vasculaire  se  montre  dilaté  à  l'extrême,  parfois  jusqu'à 
la  rupture  de  capillaires,  mais  les  vaisseaux  sont  entourés  de  manchons 
<le  cellules  diapédésées  ou  multipliées  in  situ  sur  la  nature  desquelles 
nous  reviendrons. 

Les  lésions  essentielles,  celles  qui  sont  à  la  base  du  critérium  ana- 
tomiquedela  maladie,  siègent,  ainsi  que  permettait  de  le  prévoir  l'exa- 
men à  l'œil  nu,  dans  le  mésocéphale  et  toute  la  région  juxta-épendy- 
maire  (IIIe  et  IVe  ventricules,  aqueduc  de  Sylvius).  Ici,  trois  lésions 
élémentaires  sont  à  considérer  :  l'infdtration  péri-vasculaire,  les  nodu- 
les infectieux  indépendants  des  vaisseaux,  les  phénomènes  de  régres- 
sion et  de  destruction  des  cellules  nerveuses. 

1°  Les  infiltrations  périvasculaires . 

Elles  ne  font  jamais  défaut  dans  la  substance  grise  du  mésocéphale. 
Dans  les  gaines  dilatées  de  Virchow-Robin  qui  entourent  de  toutes 
parts  la  tunique  musculaire  des  vaisseaux,  s'accumulent  une  série  d'élé- 
ments qui  ont  été  analysés  avec  une  minutieuse  précision  par  MM.  Eco- 
nome, Marinesco,  Pierre  Marie  et  Trétiakoff,  Bériel  en  particulier. 
Les  plus  nombreux  sont  les  éléments  mononucléaires  à  type  de  lym- 
phocyte, c'est-à-dire  à  noyau  foncé  serti  d'une  très  mince  bordure  pro- 


192  ./.  LHERMITTE 


toplasma tique,  d'autres  sont  1rs  plasmocytes  (cellules  plasmatiques 
d'Unna)  reconnaissables  à  leur  noyau  en  rayon  de  roue  et  à  leur  proto- 
plasme basophile,  d'autres  des  cellules  plus  volumineuses  à  noyau  clair, 
semé  de  granulations  de  chromatine  et  entouré  d'un  protoplasme  aux 
contours  irréguliers:  les polybfestes,  d'autres  enfin  des  polynucléaires 
neutrophiles.  Dans  les  cas  à  évolution  assez  prolongée,  apparaissent, 
mêlées  aux.  éléments  précédents,  des  cellules  chargées  de  granulations 
graisseuses,  les  corps  granuleux  de  Glûge,  témoins  de  la  destruction 
du  parenchyme  nerveux.  Tous  ces  éléments  forment  ainsi  un  manchon 
plus  ou  moins  épais,  lequel  dissocie  la  gaine  adventitielle  et  l'infiltré  en 
la  dissociant  en  lames  feuilletées. 

L'origine  de  ces  cellules  ne  semble  pas  être  univoque  ;  et  si  certaines 
comme  les  polynucléaires  sont  issues  manifestement  du  torrent  circula- 
toire par  diapédèse,  les  lymphocytes,  les  plasmocytes  paraissent,  pour 
une  grande  part,  nées  sur  place  aux  dépens  du  tissu  conjonctif  enflam- 
mé. Quant  aux  polyblastes,  cette  dernière  origine  peut  seule  leur  être 
attribuée. 

Nombre  de  vaisseaux  qui  présentent  ou  non  cette  infiltration  cellu- 
laire de  leur  adventice  ont  celle-ci  remplie  d'hématies  extravasées.  On 
pourrait  supposer,  à  priori,  que  cette  issue  des  globules  rouges  est  en 
rapport  avec  la  rupture  plus  ou  moins  large  des  parois  vasculaires,  mais 
il  semble  que  celle-ci  ne  soit  point  obligée. 

C.  Economo,  qui  a  étudié  ce  point  particulier,  a  montré,  en  effet,  que 
l'extravasation  des  hématies  pouvait  s'effectuer  exclusivement  par  le 
processus  de  diapédèse.  Cet  auteur  a  fait  remarquer,  en  outre,  que  les 
infiltrations  périvasculaires  si  apparentes  dans  la  substance  grise,  ces- 
saient brusquement  lorsque  les  vaisseaux  abordaient  la  substance 
blanche,  ce  qui  indiquerait  l'électivité  du  processus  de  l'encéphalite 
pour  les  centres  gris.  En  réalité,  cette  opinion  défendue  par  Economo 
est  trop  exclusive  et  l'on  peut  voir  des  lésions  vasculaires  inflammatoi- 
res en  pleine  substance  blanche  comme,  par  exemple,  dans  le  pied  du 
pédoncule,  mais  il  est  certain  que  les  modifications  de  la  charpente 
conjonctivo-vasculaire  sont  beaucoup  plus  marquées  dans  la  substance 
grise. 

Plusieurs  histologistes  avaient  relevé  l'existence  île  thromboses  vei- 
neuses coexistant  avec  les  lésions  que  nous  venons  de  rappeler  ;  mais, 
tout  récemment,  M.  V.  Monakow  y  a  de  nouveau  insisté,  et  cet  auteur  y 
attache  une  importance  toute  particulière. 

Pour  le  neurologiste  île  Zurich,  l'oblitération  des  veines  ne  si-  limi- 
terait pas  à  l'intérieur  du  mésocéphale,  mais  frapperait  aussi  les  gros 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  193 

troncs  qui  forment  le  polygone  veineux  de  la  base  de  l'encéphale.  L'o- 
blitération thrombosique  des  branches  de  ce  dernier  et  des  collatérales 
qui  s'y  abouchent  retentirait,  par  l'obstacle  qu'elle  apporte  au  retour  du 
sang,  sur  la  nutrition  des  éléments  du  mésocéphale  et  tiendrait  ainsi 
un  grand  rôle  dans  le  déterminisme  des  symptômes  morbides. 

2°  Les  foyers  infectieux  indépendants  des  vaisseaux. 

Il  est  assez  fréquent  que  les  éléments  cellulaires  infiltrés  dans  les 
parois  des  vaisseaux  ne  s'y  cantonnent  pas  strictement  et  débordent 
dans  le  parenchyme  nerveux  en  y  émigrant.  Mais,  en  dehors  de  ces 
foyers  extensifs  d'origine  vasculaire,  il  en  est  d'autres  qui  sont  complè- 
tement indépendants  de  toute  connexion  vasculaire.  Ces  foyers  sont 
formés  par  l'accumulation  dans  la  substance  grise  du  mésocéphale  des 
ganglions  basilaires  (thalamus  et  corps  strié)  de  la  protubérance  et  du 
bulbe  parfois,  d'éléments  identiques  à  ceux  qui  dissocient  les  parois 
vasculaires.  C'est-à-dire  qu'on  y  trouve,  mêlés  en  proportions  variées, 
des  lymphocytes,  des  polyblastes  au  noyau  réniforme,  des  cellules  plas- 
matiques.  De  plus,  puisqu'il  s'agit  de  nodules  inflammatoires,  on  y 
constate  des  éléments  traduisant  la  réaction  du  tissu  nerveux,  c'est-à- 
dire  des  cellules  névrogliques  à  type  amiboïde.  M.  Economo  a  signalé, 
en  outre,  la  présence  de  nodules  infectieux,  différents  des  précédents  et 
constitués  par  l'accumulation  de  polynucléaires  formant  ainsi  un 
véritable  abcès  en  miniature. 

3°  La  neuronophagie. 

Si,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  les  cellules  nerveuses,  situées  au 
sein  de  la  substance  grise  traversée  par  de  nombreux  vaisseaux  infiltrés 
d'éléments  cellulaires,  n'apparaissent  que  peu  altérées  et  présentent 
seulement  des  modifications  de  leur  structure  protoplasmique,  il  n'en 
va  pas  toujours  ainsi,  et  parfois  les  lésions  dont  elles  sont  atteintes 
sont  delà  plus  haute  gravité,  puisqu'elles  aboutissent  à  la  destruction 
complète  de  la  cellule  et  à  sa  phagocytose.  C'est  à  de  telles  lésions  que 
s'applique  le  terme  de  neuronophagie  ou  de  «  neurocytophagie  ». 
Réduites  de  volume,  largement  échancrées  par  les  éléments  qui  les 
pressent,  les  cellules  nerveuses  apparaissent  difficilement  reconnais- 
sablés,  recouvertes  souvent  d'un  amas  cellulaire.  Celui-ci  comprend 
des  cellules  névrogliques  satellites, des  cellules  névrogliques  amiboïdes, 
des  polyblastes  et  parfois  des  polynucléaires. 

COKFER.    NBDROL.  13 


[94  J.  l.lli:n  VI  1  1  1 


Topographie  des  lésions. 

Ainsi  que  nous  l'avons  indiqué  plus  haut,  c'est  incontestablement 
dans  la  région  mésocéphalique  juxta-sylvienne  que  se  montrent  à  leur 
maximum  les  lésions  inflammatoires  de  l'encéphalite  épidémique.  Selon 
MM.  Pierre  Marie  et  Trétiakoff,  le  locus  niger  constituerait  de  tout  le 
mésocéphale,  la  zone  où  se  concentreraient  avec  le  plus  de  constance 
et  d'intensité,  les  méfaits  anatomiques  de  l'encéphale.  Indiscutable 
pour  un  très  grand  nombre  de  faits,  la  règle  établie  par  ces  auteurs 
demande,  croyons-nous,  quelque  tempérament.  En  effet,  il  existe  des 
cas,  et  nous  en  avons  personnellement  observé  dans  lesquels,  si  le 
locus  niger  est  intéressé,  il  l'est  beaucoup  moins  que  la  région  de  la 
calotte  pédonculaire.  Lorsque  le  locus  niger  est  gravement  lésé,  ses 
éléments  subissent  la  transformation  hyaline  ;  les  grains  de  pigments, 
dont,  à  l'état  normal,  les  cellules  de  cette  région  sont  bourrées,  dispa- 
raissent par  phagocytose.  Parfois  ces  éléments  subissent  la  dégénéres- 
cence graisseuse.  MM  ,P.  Marie  et  Trétiakoff,  dans  d'importants  tra- 
vaux, ont  montre*  que  les  cellules  des  noyaux  des  oculo-moteurs  pou- 
vaient, elles  aussi,  subir  le  processus  de  la  phagocytose  et  être,  en 
grande  partie,  complètement  résorbées  C'est  à  ces  lésions  nucléaires 
que  très  vraisemblablement  doit  être  rapportée  la  dégénération  wallé- 
rienne  des  libres  radiculaires  du  moteur  oculaire  commun  constatée 
par  MM.  P.  Marie  et  Trétiakoff. 

Il  est  dans  le  système  nerveux  central  un  amis  de  cellules  dont  la 
pigmentation  est  très  analogue  à  celle  du  locus  uiç/cr,  le  locus  coc-uleus 
situé  au  voisinage  des  noyaux  de  l'abducens.  D'après  MM.  P.  Marie 
et  Trétiakoff  le  locus  coeruleus  serait  sensiblement  respecté.  Dans 
deux  cas  d'encéphalite  typique,  nous  avons  observé  au  contraire  des 
lésions  extrêmement  accusées  de  ces  noyaux  pigmentés,  lésions  en  tout 
semblables  à  celles  du  locus  niger .  Dans  le  mésocéphale.  les  lésions  ne 
se  bornent  pas  à  l'appareil  vasculo-conjonctif,  aux  cellules  nerveuses  et 
névrogliques,  mais  elles  frappent  aussi  les  cylindres-axes  MM  P.  Marie 
et  Trétiakoff  ont,  en  effet,  décrit  les  altérations  fines  îles  fibrilles  ner- 
veuses ;  boules  de  trajet,  boules  avec  appareil  réticulé  à  l'extrémité 
des  libres  rompues. 

Dans  le  rhombencéphale,  les  lésions  les  plus  saisissantes  consistent 
dans  la  neuronophagie  et  l'infiltration  vasculaire. 

Il  en  est  de  même  pour  ce  qui  esl  des  ganglions  centraux  cl  particu- 
lièrement de  la  couche  optique  Le  cervelet  montre,  tout  au  contraire, 
une  résistance  considérable  à  l'extension   du  processus  morbide.  Dans 

l'immense  majorité  des  cas,  cet  organe  ne   laisse  reconnaître  aucune 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  195 

lésion.  Cependant  nous  devons  ajouter  que  M.  Economo  a  retrouvé, 
dans  un  cas,  un  foyer  inflammatoire  siégeant  dans  un  noyau  dentelé. 

L'étude  des  épidémies  les  plus  récentes  a  montré  que  les  lésions  de 
l'encéphalite  pouvaient  ne  pas  se  limiter  à  l'encéphale  et  frapper  la 
moelle  épinière  elle-même.  MM.  Souques  et  Bertrand,  Harvier, 
Bériel  surtout,  auquel  nous  devons  une  très  intéressante  étude  sur  les 
«  formes  hasses  »  de  la  maladie,  ont  montré  que  les  lésions  de  même 
type  que  celles  de  l'encéphale  s'accusaient  surtout  sur  les  cornes  posté- 
rieures, les  méninges  et  parfois  les  ganglions  rachidiens.  Ceux-ci  sont 
le  siège  d'une  infiltration  de  cellules  mononucléaires,  analogue  à  celle 
qui  caractérise  le  zona. 

Nos  connaissances  relatives  aux  modifications  dont  le  système  sym- 
pathique peut  être  le  siège  sont  beaucoup  plus  rudimentaires.  M.  Guido 
Sala  a  cependant  fait  voir  que  le  ganglion  ciliaire  pouvait  ne  pas  être 
ménagé.  Les  cellules  qui  le  constituent  ont  perdu  leur  réticulum  neuro- 
fibrillaire  et  leur  cytoplasme  est  bourré  de  granulations  lipoïdes, 
témoins  indiscutables  d'une  dégénérescence  protoplasmique. 

PHYSIOLOGIE     PATHOLOGIQUE 

La  topographie  des  lésions  de  l'encéphalite  épidémique,  leur  diffusion 
parfois  extrême,  la  marche  serpigineuse  du  processus  rendent  un 
compte  exact  de  la  symptomatologie  de  l'affection,  de  la  richesse  de  ses 
manifestations,  ainsi  que  de  leur  allure  souvent  déconcertante.  Sans 
chercher  à  donner  ici  la  raison  de  tous  les  phénomènes  cliniques, 
auxquels  peut  donner  lieu  le  développement  de  l'encéphalite  nous 
voudrions  montrer  comment  peuvent  être  expliquées  les  principales 
manifestations  de  la  maladie,  celles  précisément  dont  la  physiologie 
pathologique  présente  le  plus  d'intérêt. 

Et  d'abord  des  troubles  oculaires.  Ceux  ci,  nous  l'avons  montré,  sont 
de  différents  ordres  et,  si  certaines  paralysies  peuvent  être  rangées 
dans  le  groupe  des  paralysies  nucléaires,  il  en  est  d'autres  dont  la 
pathogénie  apparaît  plus  complexe.  Ce  sont  celles  qui  portent  non  pas 
sur  des  muscles  isolés,  mais  sur  une  fonction  et  que  l'on  désigne, 
depuis  les  travaux  de  Parinaud  et  Sauvineau,  par  les  termes  de  para- 
lysie supra-nucléaire. 

Les  altérations  que  nombre  d'anatomistes  ont  retrouvées  dans  les 
noyaux  des  oculo-moteurs  et  dans  les  fibres  radiculaires  qui  en  déri- 
vent, sont  assez  explicatives  par  elles-mêmes  pour  n'avoir  pas  besoin 
de  commentaire.  Bornant  leur  atteinte  au  cytoplasme  des  cellules 
nucléaires,  ces  altérations  régressives  et  curables  donnent  la  raison  de 


196  ./.  LHER  M  I  TTE 


l'évolution  de  ces  paralysies  «  nucléaires  ».  Mais  s'agit-il  toujours,  dans 
les  faits  qualifiés  de  paralysies  supra  nucléaires,  d'authentiques  para- 
lysies de  cet  ordre,  c'est-à-dire  de  paralysies  conditionnées  par  l'atteinte 
des  Faisceaux  cortico-nucléaires  ou  des  centres  dits  supranucléaires, 

à  supposer  (pie  ces  derniers  puissent  être  parfaitement  identifiés  ?  Tel 
est  le  problème  qui  se  pose  en  premier  lieu.  Il  ne  nous  le  semble  pas  ; 
et  nombre  de  paralysies  «  associées  »  ou  «  complexes  »  nous  paraissent 
devoir  être  comprises  moins  comme  des  paralysies  supranucléaires 
que  comme  des  paralysies  «  internucléaires  ».  Parce  ternie,  il  faut 
entendre  les  troubles  de  la  motilité  extrinsèque  dont  la  raison  anato- 
mique  est  à  chercher  dans  les  importants  faisceaux  d'union  et  d'asso- 
ciation des   noyaux  oculo-moteurs  (IIIe,  VIe,  V  paires). 

Les  plus  importants  de  ces  faisceaux  sont  d'une  part,  le  faisceau 
longitudinal  postérieur  dont  les  libres  issues  du  noyau  de  Deiters  et 
du  noyau  de  Darksehtewich  se  groupent  pour  former  l'épaisse  ban- 
delette qui  flanque  la  face  ventrale  des  noyaux  oculo-moteurs  et, 
d'autre  part,  le  faisceau  longitudinal  dorsal  de  Schùtz  qui,  plus  mince, 
court  à  la  face  dorsale  de  ces  noyaux.  Or,  nous  l'avons  vu,  le 
processus  de  l'encéplialite  atteint  le  plus  souvent  son  maximum 
d'intensité  dans  la  région  juxa-sylvienne,  point  de  passage  des  fais- 
ceaux que  nous  venons  de  mentionner.  L'atteinte  de  ceux-ci,  soit  par 
le  processus  inflammatoire,  soit  par  l'œdème,  doit  provoquer,  de 
toute  évidence,  des  perturbations  profondes  dans  la  statique  et  la 
djnamique  des  globes  oculaires,  perturbations  qui  rendent  parfaite- 
Inent  compte  des  paralysies  associées  complexes  si  souvent  obser- 
vées. 

Trouble  fonctionnel  des  faisceaux  d'association  internucléaire  déter- 
minant des  perturbations  variables  et  capricieuses  de  la  synergie 
des  muscles  extrinsèques,  telle  nous  paraît  être,  en  dernière  analyse, 
le  mécanisme  anatoinique  d'un  grand  nombre  de  paralysies  associées. 
Mais,  si  nous  disons  d'un  grand  nombre,  c'est  que  nous  ne  pensons 
pas  que  toutes  ces  paralysies  trouvent  dans  ce  mécanisme  pbysio- 
patbologique  une  explication  suffisante.  11  ne  luirait  pas  douteux,  en 
effet,  qu'il  existe,  au  coins  de  l'encéphalite  épidémique,  de  très 
authentiques  paralysies  de  fonction.  Nous  n'en  voulons  pour  preuves 
que  les  faits  dûment  constatés  de  déviation  conjuguée  des  \eux. 
Pour  celles-ci,  il  est  indispensable  d'admettre  soit  une  atteinte  des 
faisceaux  oculogyres,  soit  une  lésion  de  leurs  centres  corticaux.  A 
l'heure  actuelle,  les  documents  anatomiques  nous  font  défaut  pour 
préciser  l'une  ou    l'autre    de    ces     déterminations    du   processus    eneé- 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  197 

phalitique.  Celles-ci  ne  sauraient  d'ailleurs  être  exclusives  en  raison 
de  la  diffusion  des  lésions  de  l'encéphalite,  lesquelles,  nous  l'avons 
montré,    ne    ménagent  point   le    cortex   cérébral. 

Bien  que  l'accord  ne  soit  pas  fait  au  sujet  de  la  délimitation  des 
centres  photo-moteurs  et  accommodateurs  qui  commandent  la  moti- 
lité  du  muscle  ciliaire  et  du  sphinctérien,  il  semble  toutefois  que 
la  situation  de  ces  derniers  est  très  proche  des  noyaux  de  la  3e  paire. 
Certains  anatomistes,  à  l'exemple  d'Edinger,  de  Muller  (1920),  peu- 
vent même  être  comptés  parmi  les  tenants  de  l'ancienne  théorie  selon 
laquelle  les  fibres  du  système  autonome  de  la  3e  paire  reconnaissent 
leur  origine  dans  les  noyaux  à  petites  cellules  décrits  par  Edinger 
et   Westphal. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  dernier  point,  il  n'est  pas  contestable  que 
la  proximité  des  centres  du  sphincter  de  l'iris,  du  muscle  ciliaire 
et  des  noyaux  oculo-moteurs  explique  clairement  l'association  fré- 
quente des  paralysies  oculaires  extrinsèques  avec  la  perte  du  mouve- 
ment associé  de  l'iris  à  l'accommodation-convergence  ou  la  pa- 
résie,  ou  la   paralysie  de  l'accommodation. 

La  dissociation  des  troubles  de  la  motilité  ciliaire  (accommoda- 
tion) et  de  la  motilité  irienne  montre  combien  le  processus  anato- 
mique  de  l'encéphalite  peut  localiser  ses  effets  à  un  groupe  cellu- 
laire ou  à  plusieurs  groupes  cellulaires  pour  lesquels  il  manifeste  une 
si  frappante  affinité.  Le  centre  de  l'accommodation  peut  être  rangé 
au    premier  rang  de  ces   derniers. 

Nous  l'avons  indiqué,  il  semble  bien,  à  la  lecture  de  nombreux 
travaux,  que  le  signe  de  Robertson  authentique  puisse,  à  titre  épi- 
sodique,  apparaître  au  cours  de  l'encéphalite  léthargique.  Il  ne  nous 
est  pas  possible  de  tenter  ici  un  essai  d'interprétation  complète  de 
ce  phénomène  qui  a  déjà  suscité  tant  de  recherches  et  a  soulevé 
tant  de  discussions  passionnées.  Nous  ferons  remarquer  seulement 
que,  au  moins  dans  certains  cas,  l'altération  du  tractus  optique  (neri 
optique,  bandelette,  centre  quadrigéminal)  peut,  à  elle  seule,  rendre 
compte  de  l'abolition  du  réflexe  photo-moteur  contrastant  avec  la 
conservation  de  la  contractilité  irienne  à  l'accommodation  et  à  la 
convergence.  Le  fait  que,  dans  les  cas  de  ce  genre,  les  perceptions 
lumineuses  ne  sont  pas  abolies  ne  saurait,  croyons-nous,  être  tenu 
pour  un  argument  décisif,  car  l'étude  de  la  réflectivité  en  général 
montre  que,  très  souvent,  les  contractions  musculaires  dites  réflexes 
sont  abolies  alors  qu'on  ne  relève  aucun  trouble  des  perceptions. 
M.  Guido    Sala,     admettant    la     théorie    de    Marina     si    brillamment 


198  J.  l  in  i:\ii  i  i  / 


défendue  par  M.  Lafont,  pense  que  les  lésions  qu'il  a  découvertes 
dans  les  ganglions  ciliaires  expliquent  l'apparition  du  signe  de 
Robertson  dans  l'encéphalite  épidémique.  Le  lait  n'est  pas  impos- 
sible, mais  ne  saurait  être  tenu  pour  démontre  en  raison  île  la 
diffusion  du  processus  morbide,  sur  lequel  nous  avons  longuement 
insiste.  Si  l'on  se  souvient  (pie  la  région  des  tubercules  quadrijumeaux 
antérieurs  présente  parfois  d'importantes  lésions  inllammatoires  et 
tpie,  d'autre  part,  dans  de  suggestives  expériences  chez  le  singe, 
Karplus  et  Kreidl  ont  montré  (pie  la  division  sagittale  de  la  région 
quadrigéminale  était  capable,  à  elle  seule,  de  faire  apparaître  le 
signe  de  Hobertson,  le  problème  de  la  dissociation  de  la  eontraetilité 
irienne  à  l'accommodation-convergence  et  aux  excitations  lumineuses 
(réflexe  photo-moteur)  ne  saurait  être  aujourd'hui  définitivement 
résolu. 

Il  en  est  de  même  de  l'hypersomnie.  Cependant,  depuis  cpie  Mauthner 
a  montré  les  relations  intimes  qui  unissent  la  fonction  hypnicpie 
avecla  fonction  oculaire  envisagée  dans  son  sens  le  plus  large,  tous 
les  faits  anatomo-eliniques  concordent  pour  faire  admettre  l'existence 
dans  le  mésocépbale  ou  le  diencéphale  (région  du  3e  ventricule),  un 
centre  delà  fonction  hypnique.  Non  seulement,  en  effet,  les  processus 
inllammatoires  comme  celui  de  l'encéphalite  qui  se  déroulent  dans 
la  région  des  centres  oculo-moteurs,  mais  les  processus  néoplasiques 
comptent  parmi  leurs  plus  saisissantes  manifestations,  l'hypersomnie. 
Comme  nous  l'avons  montré  avec  M.  H.  Claude,  celle-ci  apparaît 
comme  un  élément  fondamental  du  symptôme  inl'undibulaire.  On 
sait  aussi  cpie  les  tumeurs  de  l'hypophyse  qui  conduisent  au  symptôme 
de  l'acromégalie  s'accompagnent  souvent  d'hypersomnie,  et  M.  Salmon 
(de  Florence),  dans  un  très  important  travail,  a  défendu  cette  thèse 
<pie  l'apparition,  au  cours  des  maladies  de  l'encéphale,  du  sommeil 
pathologique  était  lié  à  une  exagération  ou  à  un  trouble  de  la  sécré- 
tion de  l'hypophyse.  Il  était  donc  intéressant  de  se  demander  si, 
d'accord  avec  la  théorie  de  INI  Salmon,  l'encéphalite  léthargique  ne 
comportait  pas  de  retentissement  bypopbysaire  qui  puisse  donner  la 
raison  de  l'hypersomnie.  Les  recherches  de  MM.  P.  Marie  et  Tré- 
tiakoff,  en  montrant  dans  plusieurs  faits  d'encéphalite  avec  bvper- 
somnie  l'intégrité  de  l'hypophyse,  sont  venus  ruiner  la  théorie  de 
M.  Salmon. 

Les  perturbations  des  mouvements  des  membres  trouvent  une 
explication  plus  claire  et  plus  simple  (pie  celles  dont  nous  venons 
d'étudier    le   mécanisme.   Les    monoplégies,    les    hémiplégies  fugaces  et 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  199 

incomplètes  traduisent  la  participation  des  faisceaux  corticospinaux 
au  processus  encéphalitique,  les  troubles  de  l'équilibre,  l'asynergie, 
l'ataxie,  de  la  souffrance  des  voies  cérébelleuses  lésées  en  général 
dans  leur  traversée  mésocépbalique,  la  rigidité  musculaire,  la  cata- 
tonie  impliquant  l'atteinte  du  système  strié  tout  de  même  que  cer- 
tains mouvements  involontaires  à  type  de  chorée  ou  d'athétose. 
Quant  aux  modifications  du  psychisme,  elles  expriment  fidèlement 
les  modifications  anatomiques  que  nombre  d'auteurs  ont  constatées 
dans  le  cortex  cérébral. 

MICROBIOLOGIE    ET    PATHOLOGIE    EXPERIMENTALES 

Les  premiers  auteurs  anglais  qui  observèrent  le  début  de  l'épidémie 
d'encéphalite  léthargique  pensèrent,  on  s'en  souvient,  en  raison  des 
troubles  oculaires  si  particuliers  dont  s'accompagnait  cette  maladie, 
à  une  intoxication  par  des  viandes  avariées  ou  à  la  toxi-infection  due 
au  bacillus  botulinus.  Mais  rapidement  les  faits  obligèrent  à  renoncer 
à    cette  hypothèse. 

C.  Economo,  le  premier,  constata,  dans  les  infiltrats  méningés  de 
l'encéphale  des  sujets  ayant  succombé  à  1  encéphalite,  des  petites  gra- 
nulation^ fortement  colorées  et  pensa  que  c'était  peut-être  là  des 
micro-organismes  pathogènes 

Pour  résoudre  ce  problème,  M.  Von  Wiesner,  en  1917,  injecta 
0  ce.  2  de  bouillie  cérébrale  et  médullaire  provenant  de  sujets  morts 
d'encéphalite  à  un  singe  (Macacus  Rhésus).  L'injection  fut  faite  après 
trépanation  temporaire  en  évitant  de  léser  l'encéphale.  Pendant  les 
cinq  premières  heures,  l'animal  ne  montra  aucun  symptôme  anormal, 
puis  la  somnolence  apparut.  Les  jeux  mi-clos,  l'animal  semblait 
dormir,  un  appel  le  réveillait,  mais  aussitôt  après,  il  retombait  dans 
sa  torpeur.  On  ne  relevait  aucune  raideur  de  la  nuque,  mais  une 
paresse  du  membre  postérieur  droit.  La  démarche  était  traînante. 
Plus  tard,  survinrent  des  troubles  de  la  déglutition,  et,  quarante-six 
heures   après  le    moment   de  l'inoculation,   la    mort    survint. 

A  l'autopsie,  M.  V.  Wiesner  constatait  une  encéphalite  hémorra- 
gique prédominant  dans  la  substance  grise  du  cortex  et  des  ganglions 
basilaires,  nette  encore  dans  le  myélencépbale.  Des  lésions  inflam- 
matoires étaient  reconnaissables  dans  la  moelle  et  les  lepto- 
méninges. 

Dans  une  deuxième  expérience,  M.  Wiesner  injecta  au  singe  de  la 
bouillie  cérébrale  préalablement  filtrée  sur  porcelaine  Berckfeld  :  le 
résultat   fut    complètement    négatif. 


J.  LHEBMITTE 


L'injection  dans  le  péritoine  du  cobaye  de  bouillie  cérébrale 
non  filtrée  produisit  rapidement  (après  20  h.)  une  péritonite  hémor- 
ragique. 

De  ces  expériences,  M.  Wiesner  conclut  que  le  virus  de  l'encé- 
phalite siège  bien,  comme  on  pouvait  le  supposer,  à  priori,  dans 
le  cerveau,  que  ce  virus  appartient  non  pas  au  groupe  des  virus 
dits  filtrants,  comme  ceux  de  la  grippe  ou  de  la  poliomyélite  aiguë, 
mais  au  groupe  des  virus  non  filtrants,  qu'enfin  ce  virus  s'affirme 
comme   nettement  hémorragipare. 

Recherchant,  après  Kconomo,  l'agent  figuré  dans  l'encéphale  des 
malades  ayant  succombé  à  la  maladie,  V.  Wiesner  constata  l'existence 
d'un  diploeoque  prenant  le  gram,  de  forme  ovale,  allongée  ou  arrondie, 
cultivant  sur  bouillon  glucose  en  anaérobie  et  plus  lentement  sur 
agar  glucose.  Dans  les  coupes  de  l'encéphale,  ce  diploeoque  se  ren- 
contrerait surtout  dans  les  mailles  œdémateuses  du  tissu  sous-arach- 
noïdien. 

En  raison  de  ses  caractères  morphologiques  et  de  ses  affinités  tinc- 
toriales, V.  Wiesner  proposa  de  la  désigner  du  terme  de  diploeoque 
pléomorphe  gram-positif. 

En  1918,  étudiant  dans  le  laboratoire  de  W.  Mott,  à  Londres, 
l'anatomie  pathologique  de  l'encéphalite,  M.  Marinesco  put  facile- 
ment retrouver  le  germe  identifié  par  V.  Wiesner  ;  à  Marburg, 
M.  Fornet  fit  les  mêmes  constatations. 

Poursuivant  ses  recherches  sur  le  virus  de  l'encéphalite,  V.  Wiesner 
injecta  dans  le  cerveau  du  cercopithèque  une  culture  pure  de  diplo- 
streptocoque.  L'animal  présenta  de  l'asthénie  accompagnée  de  som- 
nolence et  le  douzième  jour  fut  sacrifié.  Dans  le  myélencéphale,  appa- 
raissaient des  taches  hémorragiques  caractéristiques  de  la  forme  légère 
de  l'encéphalite  épidémique. 

Le  virus  de  l'encéphalite  fut  cultivé  en  Angleterre  par  Sir  Rose 
Bradford,  Bashford  et  Wilson,  et  en  Amérique  par  MM.  Israël 
Strauss,  Loewe,  et  Hirschfeld  sur  le  milieu  de  Noguchi  (tissus  - 
ascite).  On  ne  saurait  douter  que  les  auteurs  américains  aient  cultivé 
le  véritable  virus  de  l'encéphalite,  car  l'injection  du  liquide  île 
culture  au  singe  et  au  lapin  provoque  presque  à  coup  sûr  la  ma- 
ladie. 

(les  derniers  auteurs  montrèrent,  en  outre,  que  conformément  aux 
premières  expériences  de  V.  Wiesner,  l'injection  de  bouillie  cérébrale 
d'un  sujet  ayant  succombé  ;'.  l'encéphalite  provoque,  chei   le  singe  el 

je   lapin,    une    maladie    qui    anatomiipieinent     et    cliniipiement    semble 


L'ENCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  201 

identique  à  l'encéphalite  épidémique.  Mais,  contrairement  aux  expéri- 
mentateurs viennois,  MM.  Strauss,  Loewe  et  Hirschfeld  constatèrent 
que  la  fîltration  sur  bougie  de  porcelaine  de  l'émulsion  d'encéphale 
contaminé  ne   privait  pas  le  filtrat  de  son  pouvoir  virulent. 

Les  auteurs  américains  concluent  donc  que  le  virus  de  l'encéphalite 
épidémique  analogue  au  virus  de  la  grippe  et  de  la  poliomyélite  est 
un  virus  filtrant. 

MM.  Strauss  et  Loewe  ne  s'en  tinrent  pas  aux  résultats  de  ces  pre- 
mières expériences  et  recherchèrent  quelle  pouvait  être,  chez  l'homme, 
la  porte  d'entrée  du  virus.  Et  ils  constatèrent  ce  fait  capital  que 
l'injection  au  lapin  du  filtrat  des  sécrétions  naso-pharyngées  des 
sujets  atteints  d'encéphalite  provoquait  la  maladie  expérimentale.  Il 
semble  donc  que  nous  soyons  en  droit  de  conclure  que,  tout  de  même 
que  le  virus  de  la  poliomyélite,  le  virus  de  l'encéphalite  pénètre 
dans  l'organisme  par  la  muqueuse   du  rhino-pharynx. 

Enfin  MM.  Strauss  et  Loewe  purent,  par  passages  successifs,  réa- 
liser un  virus  fixe  analogue  au  virus  fixe  de  la    rage. 

Virus  filtrant,  traversant  les  filtres  les  plus  fins  comme  la  bougie 
Berkfeld,  il  semblait  que  le  germe  de  l'encéphalite  défiait  les  objec- 
tifs microscopiques  les  plus' puissants  ;  cependant,  MM.  Strauss  et 
Loewe  ont  pu  récemment  obtenir  la  coloration  de  grains  ponctiformes, 
diplocoques  en  chaînettes  ou  isolés  mais  de  dimensions  inférieures 
à  celles  du  diplocoque  pléomorphe  de  V.  Wiesner.  Les  diplocoque 
de  Strauss  et  Loewe  se  colorent  par  le  bleu  de  Leffler  et  le  mélange 
de    Giemsa. 

Il  eût  été  étrange  que  la  découverte  du  germe  pathogène  de  l'en- 
céphalite léthargique  ne  suscitât  pas  des  recherches  en  vue  de  la  neu- 
tralisation de  ce  virus  et  de  l'immunisation  des  sujets  contre  cette 
maladie  si  redoutable. 

Poursuivant  leurs  travaux,  MM.  Strauss  et  Loewe  ont  pu  établir 
que  l'adjonction  de  sérum  de  convalescent  au  bouillon  de  culture  du 
virus  provoquait  la  neutralisation  de  celui-ci.  Et,  d'autre  part,  que 
l'injection  sous-durale  de  culture  provoque,  chez  le  macaque,  une  immu- 
nisation   active  contre  une   dose   nouvelle   de  virus. 

Plus  récemment,  MM.  Harvier  et  Levaditi,  dans  une  série  de 
recherches  parfaitement  suivies  et  coordonnées,  ont  pu  confirmer  dans 
leur  ensemble  les  faits  expérimentaux  établis  par  les  auteurs  améri- 
cains. Non  seulement  MM.  Harvier  et  Levaditi  purent  reproduire, 
■chez  le  lapin,  l'encéphalite  léthargique,  mais  ils  réalisèrent  par  passage 
un    virus   fixe    auquel     sont   sensibles     et    les    singes   inférieurs   et    le 


202  ./.   /  HERMITTE 


lapin,  lesquels,"  on  le  sait,  né  sont  pas  toujours  réceptifs  au  virus 
humain. 

La  maladie  expérimentale  déterminée  par  l'inoculation  do  virus  fixe 
semble  :i\oir  une  fixité  saisissante.  Après  une  incubation :se  prolon- 
geant de  4  à  6  jours,  surviennent  la  torpeur,  des  tremblements,  des 
myoclonies,  des  crises  d'épilepsie,  enfin  le  sommeil  profond  qui  clôt  la 
scène  morbide;  le  pronostic  est  fatal. 

MM.  llarvier  et  Levaditi  concluent  également  de  leurs  recher- 
ches, à  la  liltrabilité  du  virus  ;  cependant,  ces  auteurs  mentionnent  ce 
fait  intéressant  que  la  liltration  diminue  l'activité  de  la  culture.  D'où 
l'on  peut  inférer  que,  très  vraisemblablement,  une  partie  des  germes 
demeure  emprisonnée  dans  le  filtre. 

Enfin  MM.  llarvier  et  Levaditi  recherchant  l'action  des  diffé- 
rentes substances  bactéricides  sur  le  virus  de  l'encéphalite,  consta- 
tèrent (pie  le  virus  mélangea  la  glycérine  apparaissait  plus  actif  que 
le  virus  frais,  comme  si  le  tissu  cérébral  possédait  une  action  empê- 
chante relative   vis-à-vis  du   virus. 

Si  l'inoculation  intra-cérébrale  demeure  le  procédé  le  plus  sûr  pour 
déterminer  la  maladie  expérimentale,  ce  procédé  n'est  pas  exclusif,  et 
MM.  Harvier  et  Levaditi  ont  démontré  que  l'injection  du  virus  dans 
le  globe  oculaire,  dans  les  nerfs  périphériques,  était  parfaitement  suf- 
fisante pour  provoquer  l'infection  de  l'animal,  singe  ou  lapin,  en  expé- 
rience. 

Pour  ce  qui  est  de  la  voie  nasale,  les  expérimentateurs  français 
ont  observé  cpie  la  muqueuse  nasale  saine  constituait  une  solide 
barrière  contre  l'infection,  mais  que  si  cette  muqueuse  était  lésée  on 
irritée,  par  exemple,  par  une  goutte  d'huile  de  croton,  elle  se  laissait 
aisément  traverser  parle  virus,  lequel, par  les  voies  lymphatiques,  gagne 
facilement  les   centres  encéphaliques. 

De  tout  cet  ensemble  de  faits  expérimentaux  si  concordants,  nous 
pouvons  conclure,  Messieurs,  (pie  l'encéphalite  épidémiquo  est  une 
maladie  provoquée  par  la  fixation  et  le  développement  dans  les  centres 
nerveux  cérébro-spinaux  d'un  virus  filtrant  au  moins  en  grande  partie. 
virus  (pie  neutralise  le  sérum  de  convalescent  et  dont  la  porte  d'en- 
trée principale  dans  l'organisme  humain  est  le  carrefour  rhino-pha- 
ryngé 

Muni  de  documents  aussi  précis  sur  la  biologie  du  germe  pathogène 
de  l'encéphalite  épidémique,  il  est  ;'i  penser  (pie  dans  un  avenir  pro- 
chain en  dériveront    des  sanctions  thérapeutiques. 

A  l'heure   actuelle,  en   effet,  le    traitement    de    l'encéphalite  demeure 


L'EXCÉPHALITE  LÉTHARGIQUE  203 

un  des  plus  incertains,  basé  qu'il  est  sur  un  empirisme  parfois  dis- 
cutable. Quel  mode  de  traitement  n'a-t-on  pas  essayé  qui  n'ait  donné 
en  apparence  quelques  succès  et  surtout  de  nombreux  et  d'incontes- 
tables échecs  depuis  l'abcès  de  fixation  jusqu'aux  injections  intra- 
veineuses de  métaux  colloïdaux  et  de  composés  arsenicaux  ?  Le  médi- 
cament qui  nous  a  personnellement  donné  les  résultats  les  moins 
décevants  est  encore  la  formine  emplojée  en  injections  intra-vei- 
neuses,  ainsi  que  nous  l'avons  proposé  avec  M.  de  Saint-Martin,  en 
1918,  associée,  dans  les  cas  graves,  au  drainage  du  liquide  céphalo- 
rachidien.  Mais  ce  n'est  là,  nous  le  répétons,  qu'une  thérapeutique 
toute  provisoire,  et  c'est  avec  la  plus  ferme  espérance  que  nous 
attendons  des  recherches  prochaines  un  traitement  de  l'encéphaliter 
scientifique  et  efficace. 


SEPTIÈME    CONFÉRENCE 


A.  SOUQUES 

Médecin   de   l'Hospice    de   la    Salpêtrière, 
Membre  de  l'Académie  de  médecine. 


LÉSIONS  ET  CAUSES  DE  LA  PARALYSIE  AGITANTE  ; 

SES    RAPPORTS      AVEC     LE     SYNDROME     PARKINSONIEN 

POST-ENCÉPHALO-LÉTHARGIQUE 


Messieurs, 

Il  y  a  un  peu  plus  d'un  siècle  que  Parkinson  a  décrit  la  maladie  qui 
porte  son  nom,  et  il  y  a  soixante  ans  que  CharcotetVulpian  ont  tracé 
de  là  paralysie  agitante  une  description  symptomatique  presque  ache- 
vée. Cependant,  nous  ignorons  encore  le  substratum  anatomique  et  la 
cause  de  cette  mystérieuse  affection.  Les  recherches  anatomo-patholo- 
giques  de  ces  dernières  années  ont  pourtant  tenté  de  résoudre  l'énigme, 
en  essayant  de  localiser  la  lésion  delà  paralysie  agitante  au  niveau  des 
régions  striée,  sous -optique  et  pédonculaire.  D'autre  part,  l'épidémie 
récente  d'encéphalite  léthargique,  en  créant  de  toutes  pièce  une  florai- 
son de  syndromes  parkinsoniens,  a  appelé  l'attention  sur  le  rôle  des 
infections  dans  l'étiologie  de  la  paralysie  agitante.  Les  travaux  qui  ont 
surgi  de  tous  les  côtés  me  semblent  avoir  jeté  quelques  clartés  sur  ce 
sujet.  Mais  l'énigme  est  loin  d'être  résolue,  et  la  question  des  lésions  et 
des  causes  de  la  maladie  de  Parkinson  est  encore  toute  remplie  d'obs- 
curités et  d'incertitudes.  Je  me  bornerai  à  exposer  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  sur  ces  deux  points,  et  je  terminerai  par  l'étude  des  rap- 
ports de  la  paralysie  agitante  avec  l'encéphalite  dite  léthargique. 

Les  travaux  tout  récents  de  J.  Ramsay  Hunt  et  de  Trétiakofl"  ayant 
placé  le  siège  de  la  paralysie  agitante  soit  dans  le  (jlobus  pallidus,  soit 
dans  le  locus  niger,  il  est  indispensable  de  rappeler  brièvement  l'anato- 
miedu  corps  strié,  ses  connexions  avec  les  organes  voisins,  et  sa  phy- 
siologie. 


i.  soi  ni  i:s 


Les  livres  classiques  nous  enseignent  que  le  corps  strié  se  divise  en 
deux  parties  :  le  1101/1111  caudé  el  le  noijau  lenticulaire  ;  que  ce  dernier  se 
subdivise  à  son  tour  en  trois  segments  :  l'un,  externe,  qui  forme  \eputa- 
nien,  les  deux  autres,  internes,  qui  dans  leur  ensemble  composent  le 
globiispallidus.  Eh  bien,  il  Faut  faire  table  rase  de  ees  notions  classiques. 
Cette  division  et  cette  subdivision  sont  artificielles.  En  réalité,  [çcorps 
strié  se  compose  de  deux  parties,  distinctes  par  l'embryologie  et  la  struc- 
ture :  lune,  constituée  par  le  globtis  pallidus  ;  l'autre,  par  le  putamen 
et  te  iiDinm  caudé  réunis. 

L'anatomie  comparée  montre  (pie  le  globus  pallidus  apparaît  dans  la 
série  animale  bien  avant  le  putamen  et  le  noyau  caudé.  Tandis  (pie 
ceux-ci  n  apparaissent  (pie  cbez  les  reptiles,  le  premier  est  déjà  tics 
développé  chez  les  poissons.  Pour  celte  raison,  R.  Hunt  donne  au 
globus  pallidus  le  nom  de paleostrialum,  et  au  putamen  et  au  noyau  caudé 
celui  de  neostriatum.  Ces  deux  termes  correspondent  le  premier  au 
pallidum,  le  second  nustriatum  de  ().  et  C.  Vogt. 

Distincts  par  l'anatomie  comparée,  le  paleostriatum  et  le  neostriatum 
le  sont  encore  par  la  structure  cellulaire,  comme  l'ont  montré  les  tra- 
vaux de  M.  et  M'm  Dejerine,  de  C.  et  O.  Vogt,  de  Kinnicr  Wilson,  de 
.1.  Ramsay  Hunt.  Le  globus  pallidus  renferme  une  seule  espèce  de 
cellules  nerveuses  :  volumineuses,  fusiformes  ou  multipolaires,  à  grand 
cylindraxe,  répondant  au  type  1  de  Golgi,  semblables  à  celles  de  la  zone 
motrice  de  l'écorce  cérébrale  et  des  cornes  antérieures  de  la  moelle 
Le  putamen  et  le  noyau  caudé  renferment,  au  contraire,  deux  espèces 
de  cellules  :  les  unes,  de  beaucoup  les  plus  nombreuses  petites,  étoi* 
lées  ou  polygonales,  à  court  cylindraxe,  répondant  au  type  II  de  Golgi; 
les  autres,  assez  rares,  semblables  à  celles  du  globus  pallidus,  appartenant 
au  type  I  de  Golgi,  et  formant  avec  celles  du  globus  pallidus  le  si/stéine 
pallidal  de  R.  Hunt. 


LEGENDE    DE    IA    FIGI  RI 

Voies  tous-optique»    —   H,   Noyau    'le    Bechterew     —    ('..  Noyau    de    Cajal.         Ce,   Corps  calleux.  — 
Ci    Capsule  interne.    -   C  I..  Corps  de   Luys       -   C   M.  Commissure    mode.  C.   O.    ("en  re    owile. 

('.  O     Couche  optique.        Cas,    Cannux  semi-circulaires  o.    Noyau   de    Darkewitch  De 

Noyau  de    Deiters  F,  Noyau  de    Foret.         F  p\ r.    Faisceau    pyramidal    -     F  •'  l'y.  I 

prépyramidal.         F   U  s     Faisceau    rubru-spinal         ('■  1'  Globui  pallidus         I.  lnsui»         I.  N, 
l.oeus  Vtfer.    —   N  C,  Noyau    eau  le     -     Ne  V.  Nerf   ve«tibulaire,         N  dent     Noyau    dentelé. 
N  H,  Noyau    1-oune  o,  (Hue  ri ti  bulbe  I'.   Cellule  de    Purkinje  !'•      Protubérance. 

l'ut.  Putamen      -   li.  Ruban  de  Reil    —  Tr,  Trigône        VL,   Ventricule  latéral.    -    Ml  V 
tricule  l\    \  .  I    \  rntricule 

Les  faisceaux  dassociation  et  les  raisceaùi  afférent  et  afférents  sont   indiqués  pu  des  pointillés  faciles 

à   suivre. 


vus  I.  sol  ni  ES 

Les  petites  cellules  du  neostriatum  ou  striatum  forment  des  neurones 
(l'association  ;  leurs  courts  cylindraxcs  constituent  des  faisceaux  de  fibres 
(|iii  réunissent  les  cellules  duputamen  etdu  noyau  caudéàcellesduglo- 
Ihin  pallidus.  Pour  certains  auteurs,  pour  Probst  en  particulier,  quel- 
ques-unes de  ces  libres  traverseraient  la  capsule  interne  et  se  rendraient 
au  thalamus  et  à  la  région  hypothalamique.  Pour  Kinnier  Wilson,  il 
n'en  serait  rien;  toutes  s'arrêteraient  au  globus  pallidus.  En  somme,  le 
striatum  n'émet  que  des  libres  d'association  qui  l'unissent  exclusivement 
au  pallidum. 

Il  n'en  est  pas  de  même  du  paleostriatum  ou  pallidum.  Ses  grandes 
cellules,  avec  leur  long  eylindraxc,  constituent  des  neurones  de  projec- 
tion, qui  forment  cinq  faisceaux  efférents,  unissant  le  pallidum  aux 
organes  voisins,  à  savoir  : 

1°  Le  faisceau  pallido  thalamique,  qui  aboutit  à  la  partie  antéro- 
interne  du  thalamus; 

2°  Le  faisceau  pallido- luysien,   qui  va  au   corps  de   Luys  ; 

3"  Le  faisceau  pallido-rubrique ,  qui  se  rend  au  noyau  rouge  ; 

4°  Le  faisceau  pallido-nigrique ,  qui  se  termine  dans  le  locus  niger  ; 

5°  Le  faisceau  pallido-legmentaire,  spécialement  étudié  par  O.  et  C. 
Vogt,  qui  aboutit  au  noyau  de  Darkewitch. 

Il  est  à  remarquer  que  quelques  fibres  de  ces  divers  faisceaux  passent 
dans  les  centres  sous-optiques  du  côté  opposé. 

D'autre  part,  le  corps  strié  dans  son  ensemble  reçoit  des  fibres  allé- 
rentes,  à  savoir  un  faisceau  afférent  qui  lui  vient  de  la  couche  optique. 
Après  la  destruction  du  thalamus,  on  a  pu  suivre,  en  effet,  les  dégé- 
nérations secondaires  dans  le  pallidum  et  dans  le  striatum 

Il  importe  de  souligner  que  la  couche  optique  est  le  seul  organe 
qui  envoie  des  fibres  au  corps  strié.  Ni  le  système  pyramidal 
(écorce  motrice  et  faisceau  moteur),  ni  le  cervelet,  ni  le  ruban  de  Reil. 
ni  les  noyaux  bypotbalamiques  ne  lui  en  envoient.  Ces  divers  organes 
n'entrent  en  rapport  avec  lui  qu  indirectement,  par  l'intermédiaire  de  la 
couche  optique  etdu  faisceau  afférent  cpie  je  viens  de  signaler.  De  telle 
sorte  que  les  rapports  incontestables  qui  existent  entre  ces  divers 
organes,  d'une  part,  et  le  corps  strié,  d'autre  part,  se  font  par  1  intermé- 
diaire de  ce  faisceau   afférent. 

Ainsi  le  noyau  caudé et  leputamen  sont  reliés  directement  au  globus 
pallidus  par  les  neurones  d'association.  D'autre  part,  le  pallidum 
directement  par  ses  faisceaux  efférents,  et  le  striatum  indirectement,  par 
leur  intermédiaire,  sont  reliés  à  la  couche  optique  et  aux  noyaux  sous- 
optiques,  et,  par    ces    noyaux,  à    la    voir   motrice  <'.r/ni-/>;/nun/(/u/c.  On 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  309 

donne  ce  nom  à  une  voie  découverte  parvonMonakow  chez  les  animaux 
et  encore  mal  connue  chez  l'homme.  Elle  est  constituée  par  le  faisceau 
rubro-spinal  qui  naît  du  noyau  rouge,  passe  du  côté  opposé  par  la  dé- 
cussation  de  Forel  et  descend  jusqu'à  la  moelle  sacrée,  dans  le  cordon 
latéral  de  la  moelle,  à  côté  du  faisceau  pyramidal. 

Toutes  ces  connexions  sont  faciles  à  voir,  sur  le  schéma  ci-joint.  Je 
dois  ce  schéma  à  l'extrême  obligeance  de  M.  Ch.  Chatelin  qui  l'a  cons- 
truit d'après  les  travaux  les  plus  récents.  Je  tiens  à  le  remercier  de 
m'a  voir  permis  de  le  reproduire  ici. 

Nos  connaissances  sur  la  structure  cellulaire  et  sur  les  connexions 
du  corps  strié  nous  viennent  et  de  l'histologie  normale  et  de  l'étude  des 
dégénérations  tant  pathologiques  qu'expérimentales.  K.  Wilson,  en 
produisant  des  lésions  du  corps  strié  chez  le  singe,  a  pu  étudier  les  dégé- 
nérations secondaires  et  suivre  les  fibres  dégénérées  jusque  dans  le 
thalamus  et  les  noyaux  sous-optiques,  mais  il  n'a  pu  les  suivre  plus  loin. 

Du  point  de  vue  anatomique,  le  corps  strié  apparaît  comme 
un  système  complet,  ayant  un  centre  cellulaire,  une  voie  afférente  qui 
vient  de  la  couche  optique  et  le  met  en  rapport  avec  le  cerveau,  le  cer- 
velet, le  faisceau  sensitif,  etc.,  et  des  voies  efférentes  qui  le  relient  aux 
organes  sous-optiques  et,  par  l'intermédiaire  de  ceux-ci,  à  la  voie  motrice 
extra-pyramidale. 

On  n'a  guère  pu  se  faire  une  idée  nette  des  fonctions,  c'est-à-dire  de  la 
physiologie  du  corps  strié,  que  par  la  méthode  anatomo-clinique.  En 
effet,  sa  situation  profonde  et  l'impossibilité  de  l'atteindre  isolé- 
ment rendent  contestables  les  conclusions  tirées  de  l'expérimentation 
seule.  Au  contraire,  en  rapprochant  les  lésions  striées,  trouvées  à  l'au- 
topsie, des  signes  observés  pendant  la  vie,  on  devait  obtenir  des  données 
intéressantes.  En  fait,  la  méthode  anatomo-clinique  a  démontré  la  fonc- 
tion motrice  du  corps  strié.  Cette  fonction  motrice,  la  structure  histolo- 
gique  de  ce  corps  la  laissait  prévoir.  Nous  avons  vu,  en  effet,  que  le 
corps  strié  renfermait  des  cellules  semblables  à  celles  de  1  ecorce  motrice 
cérébrale  et  des  cornes  antérieures  de  la  moelle. 

Or,  Malone  affirme,  et  cela  est  plus  que  probable,  qu'à  une  similitude 
de  morphologie  correspond  une  similitude  de  fonction.  A  l'autopsie  de 
malades  ayant  présenté,  pendant  la  vie,  des  troubles  moteurs  :  rigidité 
musculaire,  tremblement,  chorée,  athétose,  on  a  trouvé  des  lésions  du 
corps  strié.  Il  était  logique  d'en  inférer  que  le  corps  strié  est  un  centre 
modérateur  du  tonus,  et  un  centre  inhibiteur  des  mouvements  involon- 
taires, rythmiques  ou  arythmiques.  Ce  sont  bien  là  des  fonctions  motri- 
ces, encore  qu'elles   diffèrent  de   la  motricité    volontaire    qu'on    a  len- 

CONFÉn.    NBOROL.  14 


vin  -t.  soi  01  i:s 

dance,  dans  le  langage  courant,  à  considérer  comme  la  seule  forme  du 
mouvement.  Outre  qu'il  y  a  des  mouvements  purement  involontaires, 

on  sail  que  les  mouvements  volontaires  s'accompagnent  eux-mêmes  de 
mouvements  associes,  de  mouvements  d'ensemble,  d'harmonie  motrice, 
qui  jouent  dans  la  vie  de   relation  un  rôle   très  important 

Le  corps  strié  est  donc  un  centre  moteur,  ou  sensitivo-moteur;  par 
m's  libres  afférentes,  il  reçoit  des  incitations  du  cerveau,  du  cervelet,  de 
la  périphérie  ;  il  les  élabore  et  les  renvoie  transformées  à  la  moelle  et 
aux  muscles  par  l'intermédiaire  de  ses  fibres  efférentes  et  de  la  voie 
motrice  extra-pyramidale. 

Il  est  vrai  qu'à  l'autopsie  de  sujets  atteints,  pendant  leur  vie.de  mouve- 
ments involontaires,  on  n'a  pas  toujours  trouvé  de  lésions  striées,  et  qu'on 
a  relevé,  d'autre  part,  des  altérations  du  corps  strié  chez  des  sujets 
qui,  de  leur  vivant,  n'avaient  pas  présenté  de  troubles  morbides.  Ces 
faits  négatifs  ont  jeté  le  discrédit  sur  la  valeur  des  faits  positifs.  Je  dois 
dire  que  certains  de  ces  faits  négatifs  sont  déjà  anciens,  et  qu'ils  n'ont 
pas  été  étudiés  au  moyen  des  méthodes  histologiques  modernes.  Pour 
ce  motif,  je  ne  pense  pas  qu'ils  puissent  infirmer  gravement,  ni  les 
résultats  obtenus  par  les  méthodes  les  plus  récentes,  ni  la  valeur  des 
faits  positifs. 

Donc,  à  l'état  normal,  le  corps  strié  modère  le  tonus  musculaire  et 
maintient  les  muscles  au  repos,  puisque,  quand  il  est  détruit,  il  y  a 
rigidité  musculaire  et  agitation  des  muscles.  Je  me  demande  si  on  ne 
pourrait  pas,  en  synthétisant,  réduire  les  fonctions  du  corps  strié  à  un 
rôle  modérateur  du  tonus,  et  toutes  les  conséquences  de  sa  destruction 
à  Yhypertonie.  Celle-ci  serait  tonique,  et  se  traduirait  alors  par  une  rigi- 
dité musculaire  permanente,  ou  cloiûque  et,  dans  ce  cas,  engendrerait 
des  mouvements  intermittents,  rythmiques  comme  le  tremblement,  ou 
arythmiques  comme  la  choréo-athétose.  Le  tremblement  et  la  choréo- 
athétose  pourraient  être  considérés  comme  une  espèce  de  rigidité  clo- 
nique,  et  la  rigidité  musculaire  permanente  comme  une  espèce  de  trem- 
blement tétanisé.  On  trouverait  là  la  simple  différence  qui  existe  entre 
le  tétanos  et  les  secousses  isolées  des  muscles.  On  pourrait  même  faire 
dépendre  de  l'hypertonie  la  perte  des  mouvements  automatiques  et 
associés  qu'on  rencontre  dans  la  maladie  de  Parkinson,  et  que  je  pré- 
fère appeler  la  perte  des  mouvements  d'ensemble  ou  de  l'harmonie  motrice. 
,Ies:iis  bien  que  cette  perte  de  l'harmonie  motrice  peut  se  voir  au  début 
de  la  paralysie  agitante,  alors  que  l'hypertonie  ne  parait  pas  encore 
appréciable.  Mais  il  est  difficile  d'apprécier  le  début  de  l'hypertonie; 
celle-ci    peut    exister    déjà    et,    sans     être    appréciable     cliniquement, 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  211 

être    suffisante   pour    diminuer  ou    abolir    les    mouvements   associés. 

Par  quelle  voie  le  corps  strié,  pour  exercer  sa  fonction  motrice,  agit- 
il  sur  les  centres  sous-jaeents  et  sur  le  système  musculaire?  Par  la  voie 
nerveuse,  évidemment.  Mais  ce  n'est  pas  en  empruntant  la  voie  pyra- 
midale, puisque  nous  avons  vu  qu'il  n'a  pas  de  relations  avec  elle.  C'est 
par  ses  neurones  de  projection  qu'il  entre  en  rapport  avec  les  forma- 
tions delà  région  sous-optique  (noyau  rouge,  corps  de  Luys,  locus  niger, 
etc.),  qui  d'après  Malone  renferment  des  cellules  motrices,  et  par  leur 
intermédiaire  avec  le  faisceau  rubro-spinal,  et,  par  suite,  avec  la  moelle 
et  les  muscles.  Je  dois  ajouter  qu'il  règne  dans  ce  chapitre  de  l'anato- 
mie  et  de  la  physiologie  de  la  voie  motrice  extra-pyramidale  humaine 
une  grande  incertitude. 

II  est  probable  qu'il  y  a  dans  le  corps  strié,  comme  dans  l'écorce  céré- 
brale motrice,  des  localisations  pour  chaque  membre  et  pour  chaque 
trouble  du  mouvement,  et  que  le  siège  des  lésions  régit  la  distribution 
de  l'hypertonie  et  des  mouvements  involontaires,  et  détermine  les 
symptômes  différentiels  qui  distinguent  les  syndromes  striés  les  uns 
des  autres.  Ramsay  Hunt  affirme  que  le  paléostrié  a  une  pathologie 
différente  du  néostrié.  La  paralysie  agitante  dépendrait  d'une  lésion 
des  grandes  cellules  du  système  pallidal  et  la  choréo-athétose  serait 
produite  parla  lésion  des  petites  cellules  du  néostrié.  Les  lésions  de  ces 
deux  systèmes  de  cellules  amèneraient  la  maladie  de  Wilson  et  la  pseu- 
do-sclérose de  Westphal-Strùmpell.  Ainsi  le  pallidum  et  le  striatum 
auraient  non  seulement  une  embryologie  et  une  structure,  mais  encore 
des  fonctions  et  une  pathologie  différentes.  Il  importe  de  déclarer  qu'il 
y  a  encore  là  bien  des  problèmes  à  élucider  et  bien  des  obscurités  à 
dissiper.  Tout  cela  est  un  peu  schématique.  Dans  la  pratique,  la  discri- 
mination n'est  pas  toujours  facile,  certains  symptômes  étant  communs 
à  plusieurs  syndromes  striés. 

D'après  Ramsay  Hunt,  le  globus  pallidus  constitue  le  noyau  moteur 
du  corps  strié  et  joue,  par  rapport  au  système  moteur  extra- pyramidal, 
un  rôle  identique  à  celui  que  joue  le  centre  moteur  cortical  par  rapport 
au  système  pyramidal.  Il  exerce  un  contrôle  sur  les  neurones  extra- 
pyramidaux. Sa  destruction  amènerait  la  paralysie  agitante  (hypertonie, 
tremblement,  perte  des  mouvements  harmoniques). 

Le  corps  strié  est  un  centre  moteur,  mais  il  n'est  probablement  pas 
le  seul  dans  la  région  opto-striée.  Il  est  vraisemblable  qu'ilyen  a  d'autres 
dans  la  région  sous-optique.  Que  sont,  à  cet  égard,  le  noyau  rouge,  le 
locus  niger,  pour  ne  pas  parler  d'autres  formations  ?  Nous  ne  sommes 
pas  bien  fixés  sur  ce  chapitre,  et  il  faut  s'aventurer  avec  prudence  surle 


212  A.  SOUQl  ES 

domaine  des  fonctions  motrices  sous-corticales .  Quelle  est  l'influence 
que  l'écorce  cérébrale  exerce  sur  le  corps  strié  et  sur  les  centres  sous- 
optiques?  Exerce-t-elle,  à  l'étal  normal,  une  influence  modératrice  ? 
Le  corps  strié,  libéré  de  cette  influence,  agit-il  sans  frein   ni  entraves  ? 

Si  le  corps  strié  et  les  noyaux  sous-optiques  sont  des  Centres  moteurs, 
ils  doivent  et  ie  aussi  des  centres  vaso-moteurs.  La  fréquence  des  troubles 
sympathiques  :  chaleurs,  sueurs,  sialorrhée,  œdèmes,  au  cours  de  la 
paralysie  agitante,  exige  l'existence  de  centres  sympathiques  dans  la 
région,  quelle  qu'elle  soit,  où  siège  la  lésion  anatomique  de  cette 
affection  Brouver  place  ces  centres  dans  le  noyau  caudé,  Trétiakoffdans 
le  locus  niger.  Pour  défendre  cette  hypothèse,  ce  dernier  se  fonde  sur  les 
analogies  de  structure  que  Marinesco  a  signalées  entre  les  cellules  du 
locus  niger  et  celles  des  ganglions    sympathiques 

Le  corps  strié  doit  aussi  être  un  centre  émotif  important.  Pagano, 
en  excitant  le  noyau  caudé,  a  pu  provoquer  des  troubles  émotifs.  On 
sait  du  reste  que  l'émotivité  est  perturbée  dans  les  lésions  du  noyau 
caudé  et  du  noyau  lenticulaire.  Il  est  superflu  de  rappeler  ici  le  rire  et 
le  pleurer   spasmodiques  dans  les   paralysies  pseudo-bulbaires. 


Ces  considérations  sur  l'anatomie  et  la  physiologie  du  corps  strié  et 
de  la  région  sous-optique  permettent  d'aborder  avec  avantage  l'étude 
des  lésions   de  la    paralysie    agitante. 

On  a  cherché  ces  lésions  dans  les  muscles.  P.  Blocq,  ayant  constaté 
l'existence  d'altérations  musculaires  dans  la  maladie  de  Parkinson,  les 
considéra  comme  spéciales,  primitives,  et  lit  de  cette  affection  une 
myopathie,  voisine  delà  maladie  de  Thomsen.  Or,  ce  sont  là  des 
altérations  inconstantes,  secondaires  et  banales  sur  lesquelles  il  est 
inutile  d'insister. 

De  nombreux  auteurs,  ayant  trouvé  îles  lésions  dans  les  glandes  endo- 
crines :  la  thyr  ïde,  les  para  thyroïdes,  en  particulier,  ont  vu  là  le 
substratum  anatomique  de  la  paralysie  agitante  et  regardé  celle-ci 
comme  la  conséquence  d'une  intoxication  endocrinienne.  Un  argument 
thérapeutique,  à  savoir  l'amélioration  des  symptômes  parkinsoniens 
par  l'opothérapie,  plaiderait  en  faveur  de  cette  manière  de  voir.  L.n 
réalité,  il  s'agit  là  de  lésions  banales  et  inconstantes;  et  l'opothérapie 
n'a  pas  donné  de  résultais  satisfaisants  Si  bien  que  la  théorie  endo- 
crinienne   ne   repose   sur  aucun    fondement    solide.    M.  (i.    RoUSSy,  qui 

avait    défendu   la    théorie   parathyroïdienne,    vient   de  l'abandonner, 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  213 

à  une  des  dernières  séances  de  la  Société  de  Neurologie.  Si  la  paralysie 
agitante  relevait  d'une  intoxication  endocrinienne,  il  faudrait,  pour 
concevoir  les  syndromes  parkinsoniens  unilatéraux,  que  cette  intoxi- 
cation portât  ses  effets  sur  un  hémisphère  cérébral.  Et  ceci  n'aurait 
rien  d'invraisemblable.  Mais  comment  comprendre  qu'un  tel  poison, 
circulant  dans  le  sang  pendant  des  années,  pût  limiter  ses  effets  à  un 
hémisphère?  Pour  le  comprendre,  il  faudrait  admettre  dans  cet  hémis- 
phère l'existence  préalable  d'une  lésion  attirant  et  fixant  ce  poison. 
Dans  ces  conditions,  cette  lésion  nerveuse  préalable  suffirait  à 
elle  seule  pour  expliquer  les  syndromes  parkinsoniens  «  monoplé- 
giques  »  ou  «  hémiplégiques  ».  Nous  ignorons,  du  reste,  le  rôle  de 
l'hyperactivité  parathyroïdienne,  et  il  n'est  guère  vraisemblable  que 
cette  hyperactivité  puisse  déterminer  un  syndrome  parkinsonien. 
D'autre  part,  son  hypoactivité,  telle  que  celle  qui  résulte,  par  exemple, 
de  la  parathyroïdectomie,  n'a  jamais  provoqué  de  paralysie  agitante. 

Bref,  ce  n'est  ni  dans  les  muscles  ni  dans  les  glandes  endocrines  que 
siège  la  lésion  de  la  maladie  de  Parkinson.  Tout  porte  à  croire  qu'elle 
est  située  dans  le  système  nerveux  central.  Il  n'est  guère  de  partie  du 
névraxe  où  on  n'ait  cherché  à  la  placer,  mais  peu  à  peu  ce  siège  s'est 
circonscrit  pour  se  fixer  aux  régions  opto-striée,  sous-optique  etpédon- 
culaire. 

Il  y  a,  dans  la  littérature  médicale,  quelques  observations  anciennes 
de  syndrome  parkinsonien,  dues  à  Leyden,  Boucher,  Béchet,  Mendel, 
Blocq  et  Marinesco,  Dutil,  Leroux  et  où,  à  l'autopsie,  on  trouva  une 
tumeur  delà  couche  optique  ou  du  pédoncule  cérébral. 

Ces  faits  devaient  attirer  l'attention  vers  les  régions  du  mésocéphale 
et  des  ganglions  centraux.  A  défaut  de  faits  nouveaux,  on  commença 
par  formuler  des  hypothèses.  «  Une  lésion  du  locus  niger,  écrit 
Brissaud,  pourrait  bien  être  le  substratumanatomique  de  la  maladie  de 
Parkinson.  »  Un  peu  plus  tard,  G.  Maillard  invoque  une  lésion  du  noyau 
rouge.  Les  faits  nouveaux  vinrent  à  leur  tour.  En  1908,  Jelgersma  note 
une  atrophie  nette  du  noyau  lenticulaire,  de  l'anse  et  de  son  noj^au, 
des  champs  de  Forel,  du  noyau  latéral  du  thalamus  et  du  corps  deLuys- 
Lewy,  qui  a  examiné  histologiquement  un  grand  nombre  de  cas  de  para- 
lysie agitante,  situe  la  lésion  dans  le  noyau  lenticulaire,  dans  les  noymix 
des  anseslenticulaire  et  pédonculaire,  et  dans  le  noyau  du  sympathique 
bulbaire  ;  il  relève  la  dégénération  des  cellules  nerveuses  du  putamen 
et  du  globus  pallidus.  Manschot  constate  des  altérations  analogues. 
Auer  et  Mac  Cough  signalent,  dans  deux  cas  de  maladie  de  Parkinson, 
un  état  criblé  du  noyau  lenticulaire,  du  thalamus,   de   la    région    sous- 


214  1.  SOI  01   ES 

thalaraique,  de  la  capsule  interne,  ci  notent  la  diminution  de  volume 
des  fibres  radiaires  du  globus  pallidus  et  de  la  couche  médullaire 
externe. 

11  s'agit  jusque-là  de  lésions  très  diffuses.  Les  recherches  de  Ramsay 
Hunt,  de  Trétiakoff,  de  ().  et  C.  Vogt,  qu'il  me  reste  à  exposer,  ont 
ouvert  une  ère  nouvelle,  en  serrant  le  problème  de  plus  près  et  en  loca- 
lisant plus  étroitement  la  lésion  de  la  paralysie  agitante. 

H.  Hunt  la  localise  au  système  pallidal.  Les  cellules  nerveuses 
de  ce  système  sont  considérablement  diminuées  de  nombre,  et 
celles  qui  n'ont  pas  disparu  olïVcnt  des  degrés  divers  d'atrophie.  Ces 
lésions  atteignent  systématiquement  et  exclusivement  les  grandes  cel- 
lules motrices  du  système  pallidal.  Ce  seraient  des  lésions  d'ordre 
abiotrophique,  c'est-à-dire  dues  à  une  faiblesse  primitive  d'un  système 
de  neurones.  Les  cellules  névrogliques  sont  légèrement  augmentées  de 
nombre,  pour  remplacer  les  neurones  moteurs  disparus  ou  atrophiés, 
mais  les  fibres  de  la  névroglie  ne  sont  pas  multipliées.  Bien  entendu,  et 
pur  voie  de  conséquence,  les  faisceaux  efférents  subissent  une  dimi- 
nution évidente  de  leurs  libres  constitutives.  Les  centres  sous-thalami- 
ques  ne  seraient  pas  lésés,  à  l'exception  du  réseau  médullaire  du  corps 
de  Luys  qui  semble  un  peu  diminué.  Enfin,  les  vaisseaux  striés,  s'ils 
sont  par  points  légèrement  épaissis,  ne   sont  pas  oblitérés. 

Ces  altérations  des  cellules  nerveuses  ne  se  rencontreraient  que 
dans  le  système  pallidal.  Il  s'agirait  d'une  atrophie  dégénérative  pro- 
gressive de  ce  système,  qui  relèverait  vraisemblablement  d'une  intoxi- 
cation élective  inconnue,  et  qui,  par  ses  caractères,  ressemblerait  à 
celle  de  la  sclérose  latérale  amyotrophique,  tenant  comme  celle-ci  à  la 
vulnérabilité  des  neurones  moteurs. 

Contrairement  à  l'opinion  de  Ramsay  Hunt,  qui  localise  le  substratum 
anatomique  de  la  paralysie  agitante  dans  le  système  pallidal  du  corps 
strié,  Trétiakoff  le  situe  exclusivement  dans  le  locus  niger.  Ses  recher- 
ches, faites  dans  le  laboratoire  de  Pierre  Marie,  portent  sur  neuf  cas 
de  paralysie  agitante  bilatérale  et  un  cas  de  paralysie  agitante  unilaté- 
rale. Dans  ces  dix  cas,  il  a  trouvé  des  lésions  du  locus  niger:  bilaté- 
rales dans  les  neuf  premiers,  unilatérales,  et  du  côté  opposé  au  syn- 
drome clinique,  dans  le  dernier.  Il  s'agissait  de  lésions  atrophiqUes  el 
dégénératives  des  cellules  nerveuses,  survenant  sans  cause  connue.  Ces 
résultats  constants  ont  conduit  cet  observateur  à  penser  qu'il  existe  des 
rapports  intimes  entre  les  lésions  du  locus  niger   et    la  maladie  de    l'ar- 

kinson  et  à  supposer  «  qu'il  s'agit  probablement  de  relation  de  cause  à 
effet  ».  Il  l'ait  en  outre  remarquer  que  l'absence  tic  «  cas  contradictoires 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  215 

où  le  locus  niger  serait  atteint  sans  que  surviennent  des  troubles 
toniques  »  corrobore  l'importance  des  faits  positifs.  Des  altérations 
identiques  de  siège  et  d'aspect  ont  été  retrouvées  depuis  par  Souques  et 
Trétiakoff  dans  trois  cas. 

L'opinion  de  Ramsay  Hunt  est  en  désaccord  avec  celle  de  Trétiakoff. 
Mais  ce  dernier  fait  observer  que  ce  désaccord  s'atténue,  si  on  songe 
que  la  terminaison  de  l'anse  lenticulaire  est  inconnue,  et  qu'on  ignore 
le  sort  des  fibres  de  son  extrémité  postérieure,  lesquelles  se  perdent  dans 
le  locus  niger  et  dans  le  noyau  rouge.  D'autre  part,  on  peut  trouver  un 
terrain  d'entente,  en  invoquant  l'avis  de  Mirto,  qui  considère  le  locus 
niger  comme  un  groupe  cellulaire  détaché  du  globus  pallidus,  au  cours 
du  développement  phylogénétique. 

A  la  dernière  réunion  annuelle  de  la  Société  de  Neurologie, 
MM.  Lhermitte,  Foix,  Wilson,  sont  revenus  sur  ce  sujet,  M.  Lher- 
mitte  en  se  rattachant  à  la  théorie  de  R.  Hunt,  M.  Foix  à  celle  de 
Trétiakoff,  M.  Kinnier  Wilson  en  déniant  au  corps  strié  et  au  locus  niger 
tout  rôle  dans  la  paralysie  agitante  et  en  se  demandant  si  le  noyau 
rouge  ne  pourrait  pas  être  mis  en  cause. 

Jusqu'ici,  il  n'a  été  question  que  de  lésions  microscopiques.  Il  faut 
maintenant  mentionner  l'existence  de  lésions  macroscopiques  :  état 
criblé,  lacunes,  désintégration  périvasculaire,  foyers  d'hémorrhagie  ou 
de  ramollissement,  constatés  dans  le  corps  strié,  à  l'autopsie  d'un 
certain  nombre  de  paralytiques  agitants.  O.  et  C.  Vogt  ont  trouvé,  dans 
plusieurs  cas  de  maladie  de  Parkinson,  une  atrophie  du  noyau  caudé  et 
des  lésions  en  foyer  du  corps  strié,  prédominant  dans  le  striatum,  quand 
le  tremblement  était  le  signe  clinique  principal,  et  dans  le  pallidunr 
quand  la  rigidité  musculaire  l'emportait  sur  le  tremblement.  Partisans 
de  l'origine  striée  de  la  paralysie  agitante,  ils  ne  pensent  pas  cependant 
que  sa  lésion  soit  aussi  étroitement  élective  que  l'admet  R.  Hunt. 

Il  ressort  de  cet  exposé  anatomo-pathologique,  d'abord  quelesubstra- 
tum  anatomique  de  la  paralysie  agitante  semble  situé  dans  les  régions 
striéesetsous-optiques,  mais  que  sa  localisation  précise  n'est  pas  encore 
fixée  ;  ensuite,  que  la  lésion  n'est  pas  univoque  :  qu'elle  peut  être 
microscopique  ou  macroscopique,  qu'il  peut  s'agir  soit  de  dégénération 
atrophique  progressive,  soit  de  lésions  en  foyers  tels  que  ramollisse- 
ments, lacunes,  et  même  de  tumeurs.  De  telle  sorte  que  la  paralysie 
agitante  apparaît,  du  point  de  vue  anatomo-pathologique,  non  comme 
une  entité  morbide,  mais  bien  comme  un  syndrome  causé  par  des 
lésions  qui  seraient  différentes  par  leur  nature,  mais  identiques  par 
leur  siège. 


I.  SOI  Ql   ES 

Quoiqu'il  en  soit,  les  lésions  constatées  dans  la  maladie  de  Parkin- 
S0I1  permettent  de  rayer  celte  maladie  du  cadre  des  névroses.  Les  parti- 
sans de  sa  nature  névrosique  se  fondaient  sur  l'absence  de  substratum 
et  sur  son  début  à  la  suite  d'une  émotion.  Or,  aujourd'hui,  bien  que  le 
siège  de  son  substratum  anatomique  ne  soit  pas  encore  étroitement 
localisé,  il  existe  des  travaux  intéressants  qui  font  entrevoir  la  solution 
de  ce  problème.  Kl,  d'autre  part,  le  début  brusque  de  la  paralysie 
agitante,  à  la  suite  d'une  émotion,  n'est  rien  moins  que  démontré,  ainsi 
que  nous  le  verrons  plus  loin.  Aujourd'hui  la  maladie  de  Parkinson 
doit  être  considérée  comme  une  affection  organique,  dont  les  lésions, 
qui  sont  lines  et  microscopiques,  ont  échappé  longtemps  aux  yeux  des 
observateurs. 

En  dernière  analyse,  cette  affection  peut  être  regardée  comme  une 
maladie  du  tonus.  Les  centres  du  tonus  ne  peuvent  exister  cpie  dans  les 
cellules  motrices,  le  tonus  musculaire  étant  un  réflexe  permanent  dont 
les  libres  sensitivo-sensorielles  constituent  les  voies  centripètes  et  les 
fibres  motrices  les  voies  centrifuges.  Il  y  a  des  centres  du  tonus  dans  les 
cornes  antérieures  delà  moelle,  dans  les  centres  gris  mésocéphaliques, 
dans  les  ganglions  gris  centraux,  dans  l'écorce  cérébrale.  Les  centres 
les  plus  importants  du  tonus  siègent  incontestablement  dans  le  cer- 
veau, comme  le  prouvent  les  effets  expérimentaux  et  pathologiques  qui 
suivent  les  sections  complètes  de  la  moelle  cervicale. 

L'écorce  cérébrale  en  constitue  le  centre  primordial.  Mais  il  faut. 
avecPaulow,  Sherrington,  van  (iehuchten,  etc.,  en  admettre  d'impor- 
tants dans  les  ganglions  gris  centraux.  L'incertitude  règne,  il  est  vrai, 
sur  leur  nombre  et  leur  siège  précis.  Quoi  cpi'il  en  soit,  quand  ces 
centres  sont  détruits,  l'hypertonie  survient,  et  avec  elle,  la  rigidité,  le 
tremblement,  la  perte  des  mouvements  associés,  c'est-à-dire  les  symp- 
tômes primordiaux  de  la  paralysie  agitante. 


La  cause  la  plus  souvent  invoquée  par  les  malades  est  l'émotion.  11 
importe,  à  cet  égard,  de  distinguer  les  émotions  aiguës  des  émotions 
chroniques. 

Poui-  ce  cpii  concerne  ces  dernières,  il  est  impossible  d'établir  une 
relation  de  causalité  entre  les  peines  morales  prolongées  et  la  paralysie 
agitante,  (l'est  au  cours  de  longs  chagrins,  durant  des  années  :  deu\, 
cinq,  dix  ans,  et  même  davantage,  que  la  maladie  apparaîtrait  sournoise 


LES  SYNDROMES  PABKINSONIENS  217 

ment.  Comment  démontrer  leur  influence  étiologique  ?  Du  reste,  les 
médecins  négligent,  à  dessein,  le  rôle  des  émotions  chroniques  et  ne 
s'attachent  guère  qu'à  celui  des  émotions  aiguës,  brusques  et  vives 
par  définition.  Les  cas  cités  semblent,  de  prime  abord,  démonstratifs, 
tant  l'effet  paraît  suivre  de  près  la  cause. 

Je  me  suis  attaché,  depuis  une  vingtaine  d'années,  à  faire  une  enquête 
sur  le  rôle  étiologique  de  ces  émotions  vives  et  brusques.  J'ai  dû  laisser 
de  côté  les  exemples  rapportés  par  les  classiques,  parce  qu'il  est  impos- 
sible d'avoir  des  éléments  suffisants  d'appréciation,  tout  contrôle  rétros- 
pectif faisant  défaut.  En  effet,  le  temps  écoulé  entre  l'émotion  et  l'appa- 
rition du  tremblement,  —  car  il  faut  remarquer  qu'il  s'agit  toujours  de 
tremblement,  —  n'est  pas  indiqué  avec  précision.  Les  auteurs  se 
sont  fondés  sur  le  récit  des  malades  ou  de  l'entourage,  c'est-à-dire  sur 
des  souvenirs  souvent  lointains  et  vagues,  sans  assez  se  méfier  de  la 
tendance  des  hommes  à  attribuer  aux  émotions  une  influence  étiolo- 
gique exclusive  ou  primordiale.  J'ai  vu  attribuer  aux  émotions  des  syn- 
dromes parkinsoniens  manifestement  consécutifs  à  l'encéphalite  léthar- 
gique. Les  faits  observés  personnellement,  à  cet  égard,  ont  plus  de 
valeur.  J'en  ai  étudié  150.  Or,  j'ai  pu  me  convaincre  qu'il  n'y  avait 
aucune  relation  de  causalité  entre  l'émotion  et  le  début  de  la  maladie 
de  Parkinson.  Tantôt  le  début  était  bien  réellement  postérieur  à 
l'émotion,  mais  il  s'était  écoulé  un  si  long  temps  entre  l'émotion  invo- 
quée et  l'apparition  de  la  maladie  que  d'autres  causes  avaient  pu  inter- 
venir, dans  l'intervalle.  Tantôt,  en  dépit  du  récit  des  malades,  ce  début 
était  antérieur  à   l'émotion. 

On  incrimine  les  émotions  vives  pour  deux  motifs.  D'abord  parce 
que  l'émotion  fait  trembler  les  sujets  normaux.  Cela  est  incontesté. 
Mais  il  s'agit  alors  de  tremblement  généralisé  et  transitoire,  qui  dispa- 
raît complètement  au  bout  de  quelques  minutes  ou  de  quelques  heures. 
On  conçoit  mal  un  tremblement  émotif  limité  à  un  seul  membre  ;  si,  à 
la  rigueur,  on  pouvait  le  concevoir,  on  ne  voit  pas  pourquoi,  sans  émo- 
tion nouvelle,  il  se  propagerait,  au  bout  de  quelques  mois,  ou  de  quel- 
ques années,  au  membre  homologue,  puis  au  côté  opposé.  Ensuite, 
parce  que  les  émotions  paraissent  avoir  une  influence  sur  les  névroses 
et  que  la  paralysie  agitante  a  été  pendant  très  longtemps  considérée 
comme  une  névrose. 

J'ai  souvent  demandé  à  des  médecins  qui,  pendant  la  dernière  guerre, 
avaient  passé  plusieurs  années  dans  les  tranchées,  s'ils  avaient  observé 
des  tremblements  parkinsoniens,  et  je  n'ai  obtenu  que  des  réponses 
négatives.  Ils  avaient  vu  cependant  arriver  aux  postes  de  secours    des 


218  .1.  SOI  Ql   ES 

soldats  terrifiés  par  des  bombardements  effroyables,  des  attaques  ino- 
pinées,  des  scènes  épouvantables.  J'ai  vu,  de  mon  côté,  de  nombreux 
paralytiques  agitants  qui  incriminaient,  comme  cause,  un  bombarde- 
ment ;  après  unv  enquête  minutieuse,  j'ai  pu  me  convaincre  que  ce 
bombardement  n'était  pour  rien  dans  le  déterminisme  de  la  maladie. 
Je  ne  sache,  du  reste,  pas  (pie  le  nombre  des  cas  de  maladie  de 
Parkinson  ait  augmenté  notablement  pendant  la  guerre,  ce  qui  aurait 
dû  être,  si  l'émotion  était  à  sa  base.  La  vérité,  c'est  que  les  émotions, 
en  Taisant  trembler,  peuvent  révéler,  en  l'exagérant  momentanément, 
un  tremblement  jusque-là  passé  inaperçu,  ou  bien  frapper  assez  l'esprit 
pour  que  le  sujet  attribue  à  l'émotion  un  tremblement  survenu  bien 
longtemps  après  la  frayeur  et  indépendant  de  celle-ci.  Il  est  à  remarquer 
que  tous  les  sujets  qui  attribuent  leur  maladie  à  une  émotion  n'ont  pas 
eu  de  tremblement  émotif,  consécutivement  à  la  peur.  Il  est  également 
à  remarquer  que,  au  début,  et  pendant  une  phase  assez  longue,  le 
tremblement  parkinsonien  est  si  léger  et  si  fugace  qu'il  passe  ina- 
perçu du  patient. 

On  a  parlé  et  on  parle  toujours  d'épidémies  de  paralysie  agitante, 
dans  les  villes  assiégées  et  bombardées,  et,  à  cet  égard,  on  cite  partout 
la  ville  de  Strasbourg  soumise,  en  1870,  pendant  un  mois,  à  un  bom- 
bardement quotidien.  Or,  en  vérité,  cette  soi-disant  épidémie 
de  paralysie  agitante,  rapportée  :  quand  ?  en  1873,  par  qui  ?  par 
un  auteur  allemand,  Kohts,  se  borne  à  trois  cas  de  maladie  de  Parkin- 
son. 

En  somme,  en  dehors  de  quelques  cas  difficiles  à  éclaircir  et  permet- 
tant d'invoquer  une  coïncidence  possible,  j'ai  pu  me  convaincre  qu'il 
n'y  avait  aucune  relation  de  cause  à  effet  entre  l'émotion  vive  et  brusque 
et  le  début  de  la  paralysie  agitante. 

Il  n'y  en  a  pas  davantage  entre  ce  dernier  et  les  traumatismes.  Certains 
auteurs  supposent  que  le  traumatisme  agit  plus  par  choc  moral  que  par 
choc  physique.  Dans  ce  cas,  il  s'agit  d'émotion  et  je  n'y  reviens  pas. 
Mais  il  n'est  pas  impossible  qu'un  traumatisme  puisse  déterminer  une 
commotion,  une  lésion  cérébrale,  dans  la  région  qu'on  croit  être  le 
siège  de  la  paralysie  agitante  Si  elle  existe,  l'origine  traumatique 
doit  être  exceptionnelle  et  difficile  à  établir.  K.  Mendel,  qui  relate 
douze  exemples  personnels  de  paralysie  agitante  traumatique,  ne  s'y 
rattache  que  dans  l'impossibilité  de  trouver  une  autre  cause  ;  il  admet, 
en  outre,  la  nécessité,  non  seulement  d'un  terrain  prédisposé  et  d'un 
âge  déterminé,  mais  encore  d'un  long  laps  de  temps  entre  h-  trauma- 
tisme et  le  début  de  la  paralysie  agitante,  conditions  qui,   à  mon  sens, 


LES  SYNDROMES  PARKINSON  IENS  219 

enlèvent  à  celui-là  toute  valeur.  J'ai  vu,  pendant  la  guerre,  et 
longtemps  après  la  blessure,  des  centaines  de  traumatismes  crâniens  ;  je 
n'ai  pas  trouvé  un  seul  cas  de  maladie  de  Parkinson  consécutif. 

Que  faut-il  penser  des  cas  où  le  traumatisme  n'ébranle  pas  le  cer- 
veau et  se  borne  à  léser  les  nerfs  périphériques  ?  Charcot  en  cite  un 
exemple.  Une  femme  se  fait  une  contusion  à  la  cuisse  ;  quelque  temps 
après,  survient  une  vive  douleur  du  sciatique  et  le  membre  se  met  à 
trembler  ;  plus  tard,  le  tremblement  devint  permanent  et  se  généralisa. 
Hammond  relate  deux  cas  analogues.  Démange,  Boucher  ont  vu  un 
panaris  survenir  à  la  suite  d'une  blessure  et,  quelques  mois  après,  un 
tremblement  parkinsonien  commencer  par  la  main  blessée,  avant  de  se 
généraliser.  J'ai  observé  moi-même  deux  faits  analogues.  Mais  ces 
observations  sont,  à  la  vérité,  trop  exceptionnelles  pour  entraîner  la 
conviction.  Je  crois  qu'il  s'agit  là  de  simples  coïncidences.  Parmi  plus 
<le  mille  blessures  ou  contusions  des  nerfs  périphériques,  que  j'ai  eu 
l'occasion  de  voir  pendant  la  guerre,  et  longtemps  après  la  blessure,  je 
n'ai  pas  observé  un  seul  cas  de  tremblement  parkinsonien. 

Je  citerai,  pour  mémoire,  le  rôle  attribué  au  surmenage  local  et  au 
froid.  Comme  l'émotion,  le  froid  fait  trembler  ;  comme  elle,  il  peut 
exagérer  momentanément  un  tremblement  antérieur  passé  inaperçu, 
ou  bien  frapper  rétrospectivement  l'esprit  du  sujet. 

Une  cause  qui  a  joui,  et  qui  jouit  encore  d'une  grande  faveur,  est 
l'artériosclérose  cérébrale.  Si  son  rôle  a  été  exagéré,  il  ne  semble  pas 
devoir  être  toujours  rejeté.  La  paralysie  agitante  débute  généralement 
dans  la  seconde  moitié  de  la  vie  et  elle  évolue  progressivement,  ce  qui 
oadre  avec  le  début  et  l'évolution  progressive  de  l'artériosclérose. 
D  autre  part,  on  trouve  souvent  aux  autopsies,  chez  les  gens  d'un  cer- 
tain âge.  de  l'athérome  cérébral,  au  niveau  de  l'hexagone  de  Willis,  d'où 
partent  les  artères  striées  qui  vont  irriguer  le  siège  supposé  delà  mala- 
die de  Parkinson.  Onpeut  admettre  que  l'athérome,  diminuant  le  calibre 
et  la  souplesse  de  ces  artères,  amène  l'ischémie  des  régions  striées  et,  par 
suite,  la  dégénération  lente  de  leurs  cellules  nerveuses.  Mais  l'artério- 
sclérose est  une  lésion  très  commune.  Elle  est  bien  difficile  à  invoquer 
dans  la  paralysie  agitante  des  jeunes  sujets  et  des  enfants.  D'autre  part, 
de  nombreux  auteurs,  R.  Hunt  et  Trétiakoff  n'ont  pas  trouvé  d'altéra- 
tions notables  dans  les  artères  striées  et  pédonculaires.  J'ajouterai  que, 
d'après  les  recherches  de  MM.  Sicard  et  G.  Guillain,  les  parkinsoniens 
ne  présentent  pas  d'hypertension  artérielle.  Il  est  vrai  qu'on  pourrait 
admettre  l'existence  d'une  artériosclérose  limitée  à  l'encéphale,  et  in- 
capable d'élever  la  tension  générale    des  artères.  On    ne    saurait   donc 


A.  SOI  Q\  ES 


accepter!  pour  ces  diverses  misons,  cette  conclusion  de  G.  Maillard  : 
a  La  maladie  de  Parkinson  est  due  à  tics  altérations  de  nature  artério- 
scléreuse,  atteignant  essentiellement  le  centre  mésocéphalique  d'équi- 
libre statique.  »  Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  éliminer  l'artério- 
sclérose cérébrale  de  l'étiologie  de  la  paralysie  agitante.  D'autant  que, 
dans  certains  cas,  les  altérations  artérielles  paraissent  bien  en  cause.  Je 
fais  allusion  aux  paralysies  agitantes  déterminées  par  des  lésions  en 
foyer  :  lacunes,  ramollissements,  hémorrhagies  des  régions  striées,  rap- 
pelées plus  haut. 

J'arrive  aux  causes  qui  me  paraissent  le  mieux  établies,  aux  infections 
et  aux  intoxications .  Il  a  fallu  l'épidémie  récente  d'encéphalite  léthar- 
gique, qui  a  créé  de   nombreux  syndromes  parkinsoniens,    pour  que 
l'attention  fût  attirée  sur  le  rôle  étiologique  des  maladies  infectieuses. 
Jusque-là,  les  cas  de  maladie  de  Parkinson  consécutifs  à  une  infection 
étaient  ou  ignorés  ou  systématiquement  négligés.  Et  pourtant  il  existait 
dans  la  littérature  médicale  des  faits  significatifs.  Dès  1846,   Romberg 
publiait  un  cas  de  paralysie    agitante  consécutif  au  paludisme.  Leroux, 
en  1880,  en  citait  un  de  même  origine.  Crespin,   Bernhardt  en  rappor- 
taient, survenus  à  la  suite  de  la  rougeole  ;  Vesselle  et  Rouvillois,  à   la 
suite  du  rhumatisme  articulaire  aigu.  En  1893,  Gowers  affirmait  que  la 
maladie  de  Parkinson  pouvait  relever  de  la  dysenterie   et    de    la   fièvre 
typhoïde.  Parmi  tous  ces  faits,  j'en  rappellerai  deux  qui  me  paraissent 
très  suggestifs.  Lannois  a  observé  un  enfant  de    douze    ans  qui,   un  an 
après  une  rougeole,  présentait  un  syndrome  parkinsonien,   et  qui,  six 
ansplustard,  avait  une  paralysie  agitante  typique  avec   rigidité,    trem- 
blement, sensation  permanente  de  chaleur  et   sueurs  exagérées.  L'ob- 
servation de  Franck-R.  Fryest  encore  plus  probante  :  un  homme  de 
trente-sept  ans,  à  la  quatrième  semaine  d'une  fièvre  typhoïde,   fut   pris 
d'un    tremblement    parkinsonien,   qui     envahit    peu  à    peu   les    deux 
membres    supérieurs,    puis    les   deux    inférieurs.   Trois  ans  après,  il 
offrait,  dit  l'auteur,  «  tous  les  signes  de  la  paralysie  agitante  v. h' encépha- 
lite léthargique  a.  déterminé,  depuis  trois  ou   quatre  ans,  un   très  grand 
nombre    de     syndromes  parkinsoniens.    J'en    ai    observé,     pour  mon 
compte,  vingt-six  cas.  La  plupart  viennent  d'être  publiés    dans    la  très 
remarquable  thèse  de   mon  interne,  M.  11.  Ernst.   Je  vais  revenir  tout 
à  l'heure  sur  ce  sujet. 

En  1891),  Dana  a  beaucoup  insisté  sur  le  rôle  étiologique  des  infec- 
tions et  des  intoxications .  Pour  lui,  la  majorité  des  cas  de  maladie  dr 
Parkinson  reconnaît  comme  origine  une  infection  ou  une  intoxication. 
L'infection  OU  l'intoxication  altère  les  cellules  nerveuses  qui  dégénèrent 


LES  SYNDROMES  PARKIN SONIENS  221 

lentement.  Mais,  malgré  cette  dégénération,  elles  peuvent  suffire  à 
leur  tâche  pendant  de  longues  années,  pendant  cinq,  dix,  quinze  ans. 
Un  jour  vient  cependant  où  ces  cellules  altérées  finissent  par  mourir, 
et  c'est  alors  que  la  paralysie  agitante  apparaît.  L'intoxication  le  plus 
souvent  en  cause  pour  Dana  n'est  autre  que  Yarlhritisme.  Il  faut  avouer 
que  l'arthritismé  constitue  une  intoxication  vague  et  que,  d'une  manière 
générale,  l'action  des  intoxications,  qu'elles  soient  endogènes  ou 
exogènes,  n'est  pas  facile  à  prouver.  Mais  l'idée  n'en  reste  pas  moins 
intéressante,  et  je  tenais  à  la  souligner. 

Parmi  les  infections  chroniques,  on  a  parlé  de  la  syphilis.  On  a  fait 
valoir  la  coexistence  possible  du  tabès  et  de  la  paralysie  agitante.  Cette 
coexistence  n'est  pas  niable  ;  j'ai  eu  l'occasion  d'en  observer  deux  ou 
trois  exemples.  Wertheim  Salomonson  a  pensé  que  ces  faits  pouvaient 
constituer  une  maladie  spéciale,  qu'il  a  appelée  la  tromoparalysie  ta- 
bétiforme.  Mais  les  cas  cités  de  paralysie  agitante  et  de  tabès  coexis- 
tant sont  trop  rares,  d'une  part,  et  ces  deux  affections  trop  communes, 
d'autre  part,  pour  qu'on  puisse,  à  mon  avis,  voir  dans  leur  coexistence 
autre  chose  qu'une  coïncidence,  qu'une  association  morbide.  Tout  au 
plus,  est-il  permis  de  supposer  qu'elles  ont,  dans  ces  cas,  une  cause 
commune  :  la  syphilis.  Je  ne  pense  pas,  du  reste,  que  la  syphilis  soit 
une  cause  fréquente  delà  maladie  de  Parkinson.  Chezvingt  paralytiques 
agitants  classiques  que  j'ai  ponctionnés,  le  liquide  céphalo-rachidien  a 
toujours  été  normal,  sauf  chez  un  seul,  du  point  de  vue  des  éléments 
cellulaires  et  de  l'albumine  ;  chez  tons,  sauf  chez  un  seul,  la  réaction  de 
Bordet-Wassermann  a  été  négative  dans  le  sang  et  le  liquide  céphalo- 
rachidien. 

Ceci  étant  dit,  il  faut  reconnaître  qu'il  est  très  souvent  impossible  de 
découvrir  la  cause  déterminante  de  la  paralysie  agitante.  Il  est  le  plus 
souvent  impossible  de  lui  retrouver  une  origine  infectieuse,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  accepter  les  longues  échéances  de  Dana.  A  la  lueur  des 
notions  nouvelles,  il  serait  intéressant  de  faire  une  enquête  étiologique 
dans  les  hospices  pourvoir  si,  chez  quelques  paralytiques  agitants,  il  ne 
serait  pas  possible  de  retrouver  à  leur  maladie  une  origine  infectieuse, 
une  encéphalite  léthargique,  par  exemple.  On  aurait  plus  de  chance  de 
trouver  quelques  faits  positifs  chez  les  parkinsoniens  vivants  que  dans 
les  observations  publiées  par  les  anciens  auteurs  Mais  ne  pas  retrou- 
ver une  origine  infectieuse  ne  veut  pas  dire  qu'une  infection  n'a  pas 
existé.  Nombreux  sont  les  cas  de  chorée  vulgaire  où  on  ne  retrouve  pas 
une  infection  à  l'origine,  et  cependant  la  chorée  de  Sydenham  est  regar- 
dée comme  une  séquelle  d'infection. 


A.  soi  ni  /..s 


L'encéphalite  léthargique  a  déterminé,  depuis  trois  ans,  un  très 
grand  nombre  de  syndromes'parkinsoniens.  Dans  tous  les  pays,  on  a  été 
frappé  de  la  ressemblance  qu'ils  présentaient  avec  la  maladie  de 
Parkinson.  En  Amérique,  on  signale  leur  ressemblance  absolue  avec 
celte  maladie.  En  Angleterre,  il  en  est  de  même.  «  Si  ce  n'était  le  dé- 
but fébrile,  dit  Bramwell,  on  pourrait  confondre  absolument  avec  la 
maladie  de  Parkinson  ».  Wilson  déclare  qu'un  cas  observé  par  lui 
offre  tous  les  symptômes  «  de  la  paralysie  agitante  typique  ».  Ailleurs, 
on  fait  les  mêmes  remarques.  Mais  on  ne  discute  pas  la  question  de 
savoir  si  ces  syndromes  parkinsoniens  postencéphalo-léthargiques 
doivent  entrer  dans  le  cadre  de  la  maladie  de  Parkinson. 

En  France,  cette  question  a  été  et  est  fortement  agitée  Les  avis, 
émis  avec  des  réserves,  sont  divisés.  J'ai  pris  personnellement  parti, 
en  avançant  que  le  syndrome  parkinsonien  postencéphalitique  pouvait 
aboutir  à  la  maladie  de  Parkinson,  autrement  dit  que  l'encéphalite 
léthargique  pouvait  être  une  des  causes  de  la  paralysie  agitante.  Les 
lésions  de  cette  encépbalite,  bien  que  diffuses,  siègent  surtout  au  niveau 
des  ganglions  centraux  et  du  mésocépbale.  Or,  c'est  précisément  à  ce 
niveau  que  les  recberches  les  plus  récentes  localisent  le  substra- 
tum  anatomique  de  la  maladie  de  Parkinson.  Si  les  lésions  de 
l'encéphalite  létbargique  sont  légères  et  réparables,  le  syndrome  sera 
passager,  curable  et  répondra  à  ce  qu'on  a  appelé  le  «  parkinsonisme  ». 
C'est  à  ces  faits  qu'on  devrait,  à  mon  sens,  réserver  ce  terme.  Si  elles 
sont  graves  et  irréparables,  elles  détermineront  une  véritable  maladie 
de  Parkinson. 

Donc  tantôt  le  syndrome  parkinsonien  postencéphalitique  guérit 
avec  l'encéphalite  ou  peu  après  elle,  et  on  ne  saurait  parler  île  paralysie 
agitante.  Tantôt  l'encéphalite  guérit,  tandis  que  le  syndrome  parkin- 
sonien persiste  et  évolue  pour  son  compte  propre,  (/est  le  seul  cas  (pie 
je  veuille  envisager  ici,  dans  ses  rapports  avec  la  maladie  de  Parkinson. 
On  a  pu  objecter  qu'il  s'agit  peut-être  encore  là  d'une  encéphalite 
devenue  chronique,  et  non  d'une  séquelle  proprement  dite.  Dans  cer- 
tains faits,  en  l'absence  d'un  critérium  bactériologique  ou  Immoral,  qui 
manque  encore  et  qui  permettrait  de  dire  si  l'encéphalite  est  ou  non 
guérie,  il  est  prudent  de  faire  des  réserves.  Mais,  dans  les  faits  que  j'ai 
en  vue,  l'encéphalite  est  guérie,  et  il  s'agit  bien  de  séquelles.  Chei  les 
onze  malades  (pie  j'ai   amenés   ici,  le  syndrome    parkinsonien    est    une 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  223 

véritable  séquelle  :  chez  l'un  d'eux,  l'encéphalite  remonte  à  trois  ans  ; 
chez  les  dix  autres,  à  au  moins  quinze  mois.  Chez  tous,  l'encéphalite 
n'a  duré  apparemment  que  quelques  semaines. 

Personne  ne  conteste  l'apparition  fréquente  d'un  syndrome  parkin- 
sonien  au  cours  ou  à  la  suite  de  l'encéphalite  léthargique.  Mais  les  opi- 
nions diffèrent  sur  les  rapports  qu'il  peut  présenter  avec  la  maladie  de 
Parkinson.  Est-il  nosographiquement  distinct  de  la  paralysie  agitante? 
Ou  bien  doit-on  le  confondre  avec  cette  affection,  l'encéphalite  léthar- 
gique devenant  alors  une  cause  de  la  maladie  de  Parkinson  ?  Sur  quels 
caractères  se  fonde-t-on  pour  admettre  l'une  ou  l'autre  opinion  ?  La 
première  opinion  est  défendue  par  de  nombreux  observateurs  : 
M.  Pierre  Marie  et  Mlle  G.  Lévy,  MM.  Lhermitte,  Barré  et  Reys, 
Cruchet,  Hesnard,  Christiansen,  etc.,  qui  sont  dualistes. 

Le  syndrome  parkinsonien  post-encéphalitique  et  la  paralysie  agitante 
ont  les  mêmes  symptômes  primordiaux  :  rigidité  musculaire,  tremble- 
ment, perte  de  l'harmonie  motrice,  et  les  mêmes  symptômes  secon- 
daires :  troubles  vaso-moteurs,  etc..  Dans  les  deux,  même  intégrité  de 
la  sensibilité  objective,  des  réflexes  et  de  l'état  intellectuel. 

Voyons  quels  sont  les  arguments  qui  ont  été  donnés  pour  séparer 
les  deux  affections  et  quelle  est  leur  valeur. 

Le  syndrome  parkinsonien  postencéphalitique  est  précédé,  dit-on, 
par  une  maladie  infectieuse,  et  la  maladie  de  Parkinson  ne  l'est  pas. 
C'est  vrai,  en  règle  générale.  Cependant,  la  paralysie  agitante  peut 
survenir  au  cours  ou  à  la  suite  d'une  maladie  infectieuse  :  rougeole, 
fièvre  typhoïde,  rhumatisme,  paludisme,  etc.  J'en  ai  cité  des  exemples. 
D'autre  part,  la  notion  infectieuse  pourrait  bien  passer  quelquefois  ina- 
perçue dans  le  syndrome  parkinsonien  postencéphalitique.  On  a  re- 
marqué que  ce  syndrome  survient  surtout  à  la  suite  d'encéphalites 
bénignes.  M.  Pierre  Marie  et  M'le  G.  Lévy  l'ont  même  observé  à  la  suite 
d'encéphalites  frustes.  Il  y  a  des  formes  ambulatoires,  dans  lesquelles 
la  fièvre  fait  défaut,  et  où  les  symptômes  sont  si  légers  qu'ils  sont  mé- 
connus, de  telle  sorte  qu'il  serait  bien  difficile,  dans  un  cas  de 
syndrome  parkinsonien  de  cette  origine,  de  retrouver  la  notion  infec- 
tieuse. Il  n'est  pas  illogique  de  supposer  que  quelques  cas  de  paralysie 
agitante  dus  à  une  semblable  origine  ont  pu  être  ignorés,  dans  leur 
cause. 

En  somme,  il  y  a  des  cas  de  maladie  de  Parkinson  qui  ont  eu  une 
origine  infectieuse,  et  probablement  des  cas  de  syndrome  parkinsonien 
postencéphalitique  où  l'encéphalite  a  pnssé  inaperçue. 

L'âge,  dit-on,  serait  différent  dans  les  deux  affections  :  le  svndromc 


L.  SOUQUES 

postencéphalitique  se  voit  surtout  dans  la  première  moitié  de  la  vie, 
et  la  paralysie  agitante  après  quarante  ans.  C'est  encore  vrai,  en  géné- 
ral. Dans  la  majorité  drs  cas,  le  syndrome  postencépbalo-léthargique 
se  voit  chez  des  jeunes,  mais  cette  régie  souffre  de  nombreuses  excep- 
tions. En  ajoutant  vingt-six  cas  personnels  à  trente-quatre  recueillis 
dans  la  littérature  par  mon  interne,  M.  Ernst,  je  trouve  les  chiffres 
suivants  : 

De  1  à  10  ans,  1  cas  ; 
De  18  à  20  ans,  10  cas  ; 
De  20  à  30  ans,  14  cas  ; 
De  30  à  40  ans,  12  cas  ; 
De  40  à  50  ans,  13  cas  ; 
De  50  à  60  ans,  7  cas  ; 
De  60  à  70  ans,     3  cas. 

Dans  les  deux  tiers  des  cas,  le  début  s'est  fait  avant  quarante  ans. 
Mais,  dans  un  tiers,  il  s'est  fait  plus  tard,  et,  dans  trois  cas,  au-dessus 
de  soixante  ans.  D'autre  part,  s'il  est  incontestable  que  la  maladie  de 
Parkinson  débute  le  plus  souvent  après  la  quarantaine,  il  n'est  pas 
exceptionnel  de  la  voir  apparaître  avant  quarante  ans,  et  de  la  voir 
survenir  même  chez  des  enfants.  La  paralysie  agitante  a  été.  étudiée 
chez  l'enfant,  bien  avant  qu'il  ne  fût  question  d'encéphalite  léthargique. 
La  thèse  de  Rouvillois  intitulée  :  La  paralysie  aijitante  chez  les  jeunes 
sujets,  est  de  1899.  Je  ferai  remarquer,  à  ce  propos,  que  le  premier  tra- 
vail de  Ramsay  Hunt,  antérieur  à  l'encéphalite  léthargique,  dans  lequel 
il  a  localisé  la  lésion  de  cette  affection  dans  le  système  pallidal,  con- 
cerne des  jeunes  sujets.  Le  caractère  différentiel,  basé  sur  l'âge,  n  a 
donc  pas  grande  valeur. 

On  a  dit  que  le  syndrome  postencépbalitique  s'installe  plus  vite 
que  la  paralysie  agitante  et  se  généralise  plus  rapidement  aux  quatre 
membres  Cela  est  incontestable,  d'une  manière  générale.  Mais  les  cas 
ne  sont  pas  rares  où  son  installation  et  sa  généralisation  sont  lentes. 
Dans  le  tiers  des  cas  que  j'ai  observés  personnellement,  le  syndrome 
date  de  plus  d'un  an  et  il  est  encore  limité  à  un  côté  du  corps  ou  même 
à  un  seul  membre.  D'autre  part,  on  voit  des  cas  de  paralysie  agitante 
qui  se  généralisent  en  six  mois  et  même  en  moins  de  temps. 

On  a  dit  (pie  la  rigidité  musculaire  était  le  signe  prédominant  et 
qu'elle  débutait  parla  face,  dans  le  syndrome  posteneephalo-lctliai  - 
gique.  Cela  est  très  commun,  mais  cela  n'est  pas  constant.  Dans  un 
tiers  des  cas  observés  par  moi,  le  tremblement  l'emporte  sur  la  rigidité, 
et  il  s'en  faut  que  celle-ci  débute  toujours  par  la  lace.   Parmi  les  malades 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIENS  225 

que  je  présente,  il  y  en  a  qui  n'ont  pas  la  face  rigide.  D'autre  part, 
il  n'est  pas  exceptionnel  de  trouver  des  maladies  de  Parkinson  dans 
lesquelles  la  rigidité  musculaire  est  le  signe  prédominant,  non  seule- 
ment au  début,  mais  encore  pendant  toute  la  durée  de  la  maladie.  Il  y 
a  longtemps  que  Charcot  a  insisté  sur  ce  point.  Quant  à  la  prédomi- 
nance à  la  face,  c'est  encore  un  signe  de  la  paralysie  agitante  classique  ; 
c'est  dans  la  paralysie  agitante  classique  que  le  faciès  parkinsonien  a 
été  jadis  décrit  avec  un  grand  luxe  de  détails. 

Le  caractère  du  tremblement  pcut.-il  servir  de  signe  différentiel  ? 
Dans  la  paralysie  agitante,  le  tremblement  se  fait  au  repos  ;  dans  le 
syndrome  postencéphalitique,  il  se  ferait  ou  s'exagérerait  à  propos  des 
mouvements  volontaires.  Mais  on  voit  des  syndromes  postencéphali- 
tiques  où  le  tremblement  n'existe  qu'au  repos,  et  on  voit,  d'autre  part, 
des  paralytiques  agitants  classiques  chez  lesquels  le  tremblement 
apparaît  ou  s'exagère  à  propos  des  mouvements  volontaires.  Vulpian 
affirmait  que  les  mouvements  ordinaires  exagéraient,  au  début,  le  trem- 
blement delà  paralysie  agitante.  Gowers  et  d'autres  observateurs  ont 
cité  des  observations  où  les  mouvements  volontaires  faisaient  apparaître 
ou  exagéraient  le  tremblement,  en  lui  donnant  parfois  l'allure  de  celui 
de  la  sclérose  en  plaques.  J'ai  vu  moi-même  un  certain  nombre  de  cas 
de  cet  ordre.  Ramsay  Hunt  a  particulièrement  insisté  sur  ce  sujet,  à 
propos  de  la  paralysie  agitante  juvénile,  en  montrant  que,  chez  les 
jeunes,  le  tremblement,  au  début,  est  souvent  intense,  violent,  exagéré 
parles  mouvements,  et  qu'il  s'atténue  peu  à  peu  pour  prendre  l'aspect 
de  celui  de  la  maladie  de  Parkinson. 

On  a  signalé  l'existence  de  mouvements  involontaires,  tels  que  se- 
cousses spasmodiques  des  muscles  du  visage,  tremblement  et  fibrillation 
de  la  langue,  gêne  delà  mastication  et  de  l'ouverture  de  la  bouche,  comme 
propre  aux  syndromes  parkinsoniens  postencéphalitiques.  En  réalité, 
ces  phénomènes  sont  loin  d'être  constants  dans  ces  syndromes.  Et  on 
peut  les  retrouver  dans  certaines  observations  anciennes  de  Boucher, 
de  Béchet,  de  Maillard,  concernant  la  paralysie  agitante  Je  rappellerai, 
à  ce  propos,  ce  passage  de  Paul  Richer,  écrit  en  1895:  «  En  examinant 
de  près  chaque  muscle,  on  le  voit  animé  de  petites  vibrations.  On  voit 
sa  surface  parcourue  de  fines  ondulations  qui  sont  évidemment  dues 
aux  contractions  isolées  et  successives  des  fibrilles  musculaires.  Ces 
contractions  que  j'appellerai  parcellaires,  pour  les  distinguer  des  con- 
tractions fibrillaires  qu'on  observe  dans  les  muscles  en  voie  d'atrophie, 
sont  indépendantes  du  tremblement  dont  elles    n'ont  pas  le  rythme.    » 

Les  troubles  oculaires,  si   communs  dans  le  syndrome  postencépha- 

COXFÉR.    NEUrtOL.  15 


226  A.soioi'Ks 


litique,  fourniraient-ils  un  caractère  différentiel  ?  En  aucune  façon. 
MM.  Pierre  Marie  et  Barré,  en  1910, avaient  signalé  des  troubles  ocu- 
laires  dans  la  maladie  de  Parkinson.  Il  y  a  trois  semaines,  MM.  Barré 
et  Reys,  d'une  part,  M.  Velter,  d'autre  part,  sont  revenus  sur  ce 
sujet.  Dans  les  deux  affections,  ce  sont  les  mêmes  troubles,  et  ces 
troubles  sont  constants  ;  ils  ne  diffèrent  que  par  leur  rapidité  d'instal- 
lation, leur  intensité  et  leur  durée  ;  ils  sont  plus  brutaux  d'apparition, 
moins  fugaces  et  plus  intenses  dans  le  syndrome  parkinsonien  post- 
encéphalo-léthargique  que  dans  la  paralysie  agitante. 

De  même,  les  troubles  vaso-moteurs  se  retrouvent  dans  les  deux 
affections  ;j  en  dirai  autant  des  douleurs,  autant  du  besoin  de  déplace- 
ment. M.  Sicard,  à  la  dernière  réunion  annuelle  de  la  Société  de  Neu- 
rologie, a  décrit  une  forme  acathisique  du  syndrome  postencé- 
phalitique,  en  avançant  que  le  cas  d'acathisie  étudié  jadis  par  Hasco- 
vec,  qui  a  créé  ce  nom,  relevait  de  l'encéphalite  léthargique.  Je  ne  sais 
s'il  y  a  lieu  de  décrire  à  part  une  l'orme  acathisique  de  ce  syndrome 
parkinsonien.  Mais  le  besoin  de  déplacement  fait  partie  de  toutes  les 
descriptions  de  la  maladie  de  Parkinson,  et  l'impossibilité,  pour 
certains  paralytiques  agitants,  de  rester  longtemps  assis  est  bien 
connue.  Je  l'ai  observée  plusieurs  fois  ;  hier  encore,  j'examinais  un 
paralytique  agitant  qui  ne  cessait  de  se  lever  de  sa  chaise.  Sur  la 
remarque  que  je  lui  en  fis,  il  me  déclara  que  c'était  un  besoin  impérieux 
pour  lui,  et  que,  s'il  n'avait  pas  été  à  l'hôpital,  en  posture  de  consultant, 
il  se  serait  levé  bien  plus  souvent.  Du  reste,  cette  acathisie 
parkinsonienne  est  classique,  lime  suffira  de  rappeler  le  chambellan 
dont  parle  Trousseau,  qui,  devant  l'empereur,  ne  pouvait  rester  assis, 
se  levait  sans  cesse  et  marchait  dans  la  pièce,  tout  en  s'excusant  de  cette 
faute  d'étiquette.  L'acathisie,  à  mon  avis,  rapproche  donc,  au  lieu  de 
les  écarter,  le  syndrome    posteneéphalitique    et  la  paralysie  agitante. 

J'en  dirai  autant  de  certains  caractères  différentiels  invoqués,  à  la 
dernière  réunion  annuelle  de  la  Société  de  Neurologie,  par  M.  Cruchet 
et  par  M.  Hesnard  qui  distinguent  ces  deux  affections,  en  se  fondant  sur 
un  certain  nombre  de  traits  qui  appartiendraient  aux  syndromes post- 
encéphalitiques  :  à  savoir  l'aspect  soudé,  la  lenteur  accentuée  des 
mouvements,  la  difficulté  initiale  île  ces  mouvements,  l'épuisement  ra- 
pide, l'engourdissement,  etc.,  désignes,  dans  la  région  bordelaise,  sous  le 
iKini  imagé  de  «  viscosité  motrice  »,  le  contraste  entre  la  difficulté  des 
mouvements  volontaires  délicats  et  la  facilité  de  certains  autres,  le 
jeune  âge  des  malades,  le  tremblement  intentionnel,  l'absence  de  trou- 
bles  psychiques,  les  modifications  du    liquide    céphalo-rachidien,   la 


LES  SYNDROMES  PARKINSONIEXS  227 

régression  des  symptômes,  etc.  Mais  tous  ces  caractères  ne  sont  pas 
constants  dans  le  syndrome  postencéphalitique,  et  on  peut  les  retrouver 
dans  la  maladie  de  Parkinson.  Dans  la  paralysie  agitante,  l'aspect 
soudé,  la  lenteur  des  mouvements  volontaires,  la  difficulté  initiale  de 
ces  mouvements,  l'épuisement  rapide  sont  classiques.  Le  contraste  entre 
la  difficulté  de  certains  mouvements  et  la  facilité  de  certains  autres 
a  été  décrit,  en  1911,  par  Tilney,  dans  la  maladie  de  Parkinson,  sous  le 
nom  de  progression  métadromique.  Je  crois,  par  parenthèse,  que  le  terme 
de  kinésie paradoxale  s'appliquerait  mieux  à  la  généralité  des  cas  de  ce 
genre.  Quant  aux  modifications  du  liquide  céphalo-rachidien,  signalées 
par  M.  Cruchet  et  par  M.  Belarmino  Rodriguez,  je  dois  déclarer  que  je 
n'ai  pas  constaté  de  telles  modifications  dans  les  treize  cas  que  j'ai  exa- 
minés sous  ce  rapport.  MM.  Georges  Guillain  et  Léchelle  ont  égale- 
ment toujours  trouvé  normal  le  liquide  céphalo-rachidien.  Comment 
expliquer  ce  désaccord  ?  Il  est  possible  que  les  modifications  en  ques- 
tion relèvent  de  l'encéphalite  léthargique  et  non  du  syndrome  parkin- 
sonien,  et  qu'elles  tiennent  à  l'époque,  rapprochée  ou  non  du  début,  où 
l'examen  a  été  pratiqué.  Dans  les  cas  que  j'ai  observés,  le  liquide 
céphalo-rachidien  a  été  trouvé  aussi  normal  que  dans  la  maladie  de 
Parkinson  typique 

Y  a-t-il,  dans  l'état  mental  de  ces  deux  affections,  des  caractères  dif- 
férentiels qui  permettent  de  les  séparer  ?  Je  ne  le  pense  pas.  En  dehors 
des  modifications  de  l'humeur  et  du  caractère,  l'inertie  psychique, 
l'indifférence,  le  manque  d'initiative,  que  certains  observateurs  consi- 
dèrent comme  propres  aux  syndromes  parkinsoniens  postencéphali- 
tiques,  tiennent  peut-être  plus  à  l'encéphalite  léthargique  et  à  la  diffusion 
de  ses  lésions  qu'au  syndrome  parkinsonien  lui-même.  Et  puis, 
n'a-t-on  pas  signalé  des  troubles  semblables  dans  la  maladie  de  Par- 
kinson ?  Du  reste,  dans  les  deux  affections,  tout  le  monde  s'accorde 
sur  l'absence  de  troubles  intellectuels  proprement  dits  :  démentiels  ou 
vésaniques. 

J'ajouterai  que,  dans  le  syndrome  postencéphalitique  comme  dans 
la  paralysie  agitante,  on  constate  le  phénomène  de  la  IrochJée  dentelée, 
de  Xegro,  la  micrographie  (J.  Froment  et  E.  Bériel),  l'identité  de 
l'inscription  graphique  des  réflexes  (H.  Claude),  l'identité  de  la  chro- 
naxie  (Bourguignon  et  Laignel-Lavastine),  la  même  action  favorable  de 
la  scopolaminc. 

L'examen  des  symptômes  différentiels  indiqués  par  les  observateurs 
lie  permet  donc  pas  d'établir  une  distinction  nosographique  entre  le 
syndrome  parkinsonien  postencéphalo-léthargique  et  la   paralysie   agi- 


L,   SOI  Ql    I   S 


tante.  Dans  les  deux  affections,  on  observe    les   mêmes  symptômes;  il 
n'y  a  que  des  différences  de  fréquence  et  de  degré 

Y  a-t-il,  dans  leur  évolution,  des  caractères  qui  permettent  de  les 
distinguer? Une  réponse  catégorique  est  impossible,  pour  le  présent.  La 
maladie  de  Parkinson  est  connue  depuis  un  siècle  ;  on  sait  qu'elle  évolue 
d'une  façon  lente  et  progressive,  et  qu'elle  ne  guérit  jamais.  Or,  nous 
ne  connaissons  les  syndromes  parkinsoniens  postencéphalitiques  que 
depuis  trois  ans  ;  nous  ne  pouvons  pas  savoir  encore  comment  ils  se 
termineront.  Le  temps  seul  peut  donc  trancher  cette  question.  Nous  ne 
pouvons  donc  faire,  en  ce  moment,  que  des  suppositions  pins  ou  moins 
plausibles. 

Jusqu'ici,  les  syndromes  parkinsoniens  postencéphalitiques  peuvent 
se  diviser  en  trois  catégories,  suivant  qu'ils  sont  régressifs,  sUtlionnaires 
on  progressifs.  Je  n'ai  envisagé  ici,  je  tiens  à  le  répéter,  que  les  séquelles 
véritables,  et  non  les  cas  de  parkinsonisme  ayant  guéri  en  même  temps 
que  l'encéphalite  ou  peu  après  elle.  Sur  vingt-six  cas  observés,  je  n'en 
ai  vu  qu'un  régresser  nettement.  Deux  autres  avaient  régressé  et  même 
guéri,  mais,  trois  mois  après,  une  rechute  survenait.  L'un  d'eux  se  trouve 
parmiles  malades  ici  présents. Il  faut  donc  être  prudent  et  attendre  long- 
temps avantde  se  prononcer  sur  uneguérison  définitive.  Des  cas  station- 
naires  ou  d'attente,  onnepeut  rien  dire, dans  l'ignorance  où  l'on  est  deleur 
avenir.  11  est  souvent  difficile  d'apprécier  le  caractère  stationn aire  d'un 
syndrome  dont  l'évolution  est  très  lente.  Quant  aux  cas  nettement  pro- 
gressifs, il  y  en  a  neuf,  dans  ma  statistique,  qui  progressent  depuis  au 
moinsunan  et  demi.  Trois  d'entre  eux  évoluent  depuis  trois  ans, el  rien  ne 
permet  aujourd'hui  deles  séparer  de  la  maladie  de  Parkinson  classique. 
■le  crois,  en  conséquence,  qu'il  s'agit,  chez  eux.  d'une  paralysie  agitante 
ayant  eu  pour  cause  l'encéphalite  léthargique.  Voici  une  femme  de  trente- 
sept  ans,  qui,  depuis  dix  huit  mois,  présente  un  syndrome  parkin- 
sonien  postencéphalitique.  Il  y  a  six  mois,  le  tremblement  était  encore 
limité  au  côté  droit  du  corps;  depuis  cinq  mois,  il  a  gagné  le  pied  gauche. 
La  rigidité  a  évolué  parallèlement.  Je  ne  peux  pas  m'empêche  r  de  penser 
qu'il  y  a  là  aussi  évolution  vers  la  paralysie  agitante  classique.  Etant 
donné  le  court  laps  de  temps  cpii  nous  sépare  de  l'apparition  de  l'encé- 
phalite léthargique,  il    n'est  pas  possible  d'être  plus  aflirmatif. 

Tout  en  faisant  les  réserves  nécessaires,  je  suis  convaincu  que  beau- 
coup de  syndromes  parkinsoniens  postencéphalo  léthargiques  abouti- 
ront à  la  maladie  de  Parkinson.  C'est  répéter,  en  terminant,  que  je  ron- 
sidère  celle-ci  non  comme  une  entité  morbide,  mais  comme  un  syn- 
drome commun  à  des  causes  différentes  agissant  sur  une  même  région 


LES  SYNDROMES  PABKINSONIENS  229 

cérébrale.  Je  pense  que  la  maladie  de  Parkinson  est  appelée  à  devenir 
le  syndrome  de  Parkinson,  à  subir  le  sort  de  la  maladie  de  Little,  de  la 
maladie  de  Raynaud  et  de  bien  d'autres  affections  du  système  nerveux. 
Si  la  maladie  de  Parkinson  tombe  un  jour  au  rang  des  syndromes,  elle 
n'y  perdra  ni  en  intérêt  ni  en  importance.  Mais,  pour  que  cela  advienne, 
il  faudra  que  les  recherches  futures  dissipent  les  incertitudes  et  les 
obscurités  de  ses  lésions  et  de  ses  causes. 


HUITIÈME  CONFÉRENCE 


M.    le    D'    L.    BABONNEIX 

Médecin  de  l'hospice  Debrousse. 

LES  ENCÉPHALOPATHIES    INFANTILES 

Messieurs, 

Longtemps,  les   encéphalopathies   infantiles  ont   fait   songer  à   ces 
terres  mystérieuses  dont,  sur  les  anciennes  cartes,  on  laissait  en 
blanc  l'emplacement,  à  moins  que  l'on  n'y  inscrivît  le  traditionnel^  :  Hic 

sunt  leones Elles  ont,  ensuite,  suscité  de  mémorables  recherches,  au 

premier  rang  desquelles  il  faut  citer  celles  deBrissaud,  sur  la  Maladie 
de  Little,  de  Freud,  sur  les  Paralysies  cérébrales  infantiles,  du  prof. 
P.  Marie,  sur  l' Hémiplégie  spasmodique  infantile.  Mais,  jusqu'à  ces  der- 
nières années,  nul  ne  s'était  donné  la  peine  de  les  rapprocher,  de  les 
comparer,  de  les  grouper.  Elles  avaient  des  annales,  et  n'avaient  point 
d'histoire.  Les  Traités  s'ingéniaient  à  fragmenter  leur  description.  Ne 
pouvait-on,  dans  l'un  des  meilleurs,  voir  les  Scléroses  cérébrales  s'en- 
castrer entre  les  Hémorrhagies  et  les  Tumeurs,  Y  Anencéphalie  frayer 
avec  les  Troubles  du  langage,  Y Hydrocéphalie  servir,  en  quelque  sorte, 
de  préface  à  la  Sclérose  en  plaques  ? 

A  ces  dissociations  systématiques,  chères  aux  histologistes,  à  ces 
tentatives  de  morcellement,  aimées  des  chirurgiens,  nous  avons,  M.  le 
prof.  Hutinel  et  moi,  tenté  de  substituer  une  autre  méthode  d'étude.  A 
l'analyse,  nous  avons  voulu  préférer  la  synthèse,  aux  étroites  vues  de 
détail,  les  larges  conceptions  d'ensemble.  Ce  sont  ces  conceptions  que 
je  vais  avoir  l'honneur  de  vous  exposer  aujourd'hui. 


Sous  le  vocable  heureux  iY encéphalopathies  infantiles,  il  est  classique, 
depuis  Brissaud,  d'englober  tous  les  troubles  nerveux  déterminés  par 
une  lésion  capable  de  troubler  le  développement  du  cerveau.  Cette 
lésion  doit  donc  : 


/..   BABO  S  VJ ■■/  \ 


1    Etre  suffisamment  étendue  ; 

2"  Offrir  un  certain  degré  de  gravité; 

,'î"  Et,  surtout,  apparaître  de  bonne  heure,  soit  avant  la  naissance,  soit 
à  la  naissance,  soit  dans  les  premiers  temps  de  la  vie.  Tontes  les 
fois  qu'elle  remplit  ces  trois  conditions,  elle  déclanche,  automatique- 
ment, des  troubles,  on  moteurs,  on  intellectuels,  on,  pins  souvent 
encore,  intellectuels  et  moteurs.  Ce  sont  ces  encéphalopathies,  ainsi 
définies,  dont  je  vais  envisager  l'étiologie,  l'anatomie  pathologique, 
les  caractères  cliniques  et  le  traitement. 


Jadis,  on  mettait  tontes  leurs  causes  sur  le  même  plan,  distinguant 
seulement,  d'après  Tordre  chronologique,  celles  qui  agissent  cumnt  la 
conception  :  to xi-infections  chroniques  ;  au  moment  de  la  conception  : 
éthylisme  aigu  ;  au  cours  de  la  grossesse  :  toxi-infections  materno- 
fœ taies,  traumatismes,  et  particulièrement  tentatives  d'avortement 
(Mad.  Nageotte),  émotions  vives  (J.  Comby)  ;  au  moment  de  l'accouche- 
ment :  longueur  démesurée  et  incidents  du  travail  ;  dans  les  premières 
années  de  la  vie  :  infections  aiguës.  Parmi  les  antres  causes,  on  citait 
encore,  an  petit  bonheur,  la  disproportion  d'âge  entre  époux,  leurs 
liens  de  parenté,  l'existence,  chez  eux,  de  tares  névropathiques  hérédi- 
taires ou  accjuises. 

Aujourd'hui,  nous  avons  changé  tout  cela.  Et  nous  ne  faisons  pins 
jouer  de  rôle  qu'aux  trois  facteurs  suivants  : 

1°  Hérédo-syphilis,  en  cause  dans  un  très  grand  nombre  de  cas 
(A.  Fournier,  Babonneix  ,  ainsi  qu'en  témoignent  des  arguments  de 
divers  ordre  : 

Etiologinues.  —  Souvent,  les  parents  sont  des  syphilitiques  avérés,  ou 
même  —  nouvel  argument  à  invoquer  en  faveur  de  l'existence  d'un  virus 
neurotrope  —  ils  présentent  tous  les  signes  du  tabès  ou  de  la  paralysie 
générale  (Carnot  et  Dumont).  Dans  bien  des  cas,  la  mère  a  fait  un  tel 
nombre  d'avortements  qu'il  devient  malaisé  de  les  considérer  tous 
comme  autant  d'«  accidents  secrets  et  volontaires»;  certaines  de  ses 
grossesses  se  sont  terminées  par  l'expulsion  de  tutus  morts  et  macé- 
rés ;  plusieurs  enfants,  nés  avant  terme,  ont  été  emportés  par  des  con- 
vulsions ou  ont  succombée  une  sorte  d'incapacité  vitale  ;  d'autres  sont 
porteurs  d'indéniables  stigmates. 

Analomiques.  — Parfois,  les  lésions  vasculaires  et  interstitielles  îles 
méninges   molles  et  du  cerveau  «  sentent  »  la  syphilis  ;  dans  quelques 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES 


233 


m 


Y*K 


m 


:C,C'0lulaAh'/l. 


Fig.  1.  —  Idiotie  mongolienne.  Frontale  ascendante  droite,  partie  moyenne.  Colo- 
ration au  van  Gieson  Grossissement  :  30/1.  Nodule  gommeux  logé  dans  la  pro- 
fondeur u'un  sillon.     Babonheix  ) 


234  /-.  /;  \n<>\  \/;/.\ 


cas,  il  existe  des  lésions  spécifiques  évidentes  :  gommes  (fig.  1),  arté- 
rites.  Dans  d'autres,  encore  assez  peu  nombreux,  on  a  pu  déceler  le 
spirochaete,  soit  dans  le  liquide  céphalo-rachidien,  soit  en  diverses 
parties  du  système  nerveux:  centre  ovale,  écorce  cérébrale,  cervelet, 
moelle,  méninges,  vaisseaux,  foyers  d'encéphalite  banale  (Péhu  et  Gar- 
dère),  soit,  enfin,  dans  l'hypophyse. 

Cliniques.  —  Chez  presque  tous  les  patients,  se  voient  des  anomalies 
dentaires  rappelant  celles  de  l'hérédo- syphilis  ;  ici,  l'examen  révèle  la 
présence  d'hyperostoses,  de  kératite  interstitielle,  là,  de  cicatrices  péri- 
buccales  ou  périanales,  ou  mème(Babonneixet  Voisin)  d'un  signe  typi- 
que d'Argyll-Robertson.  D'autres  sont  nés  avant  terme,  ont  présenté, 
dès  les  premiers  jours,  du  coryza,  ont  eu  des  éruptions  cutanéo-muqueu- 
ses.  Beaucoup  ont  été  atteints  de  rachitisme  grave,  précoce,  douloureux. 

Biologiques.  —  Chez  eux,  ou,  mieux  encore  (Fraser  et  Watson),  chez 
leurs  ascendants  ou  chez  leurs  collatéraux,  la  réaction  de  B.-W.,  poul- 
ie sérum,  est  souvent  positive;  parfois,  aussi,  leur  liquide  céphalo- 
rachidien  offre  les  réactions  chimiques,  cytologiques  et  biologiques 
propres  à  la  syphilis  nerveuse. 

Thérapeutiques.  —  Nous  les  retrouverons  plus  loin. 

De  tels  arguments  suffisent  à  affirmer  que,  dans  le  développement 
des  encéphalopathies  Tinfantiles,  l'hérédo-syphilis  joue  le  rôle  prépon- 
dérant, thechiefone.  Ce  rôle  est-il  exclusif  ?  C'est  ce  qu'il  serait  témé- 
raire d'admettre.  Deux  autres  causes,  au  moins,  semblent  pouvoir 
intervenir  dans  un  certain  nombre  de  cas  : 

2°  Les  traumatismes  obstétricaux  :  présentations  vicieuses, 
présence  de  circulaires  du  cou,  longueur  démesurée  du  travail,  adminis- 
tration de  chloroforme,  application  de  forceps,  tous  incidents  aboutis- 
sant à  la  naissance  en  état  d'asphyxie  apparente,  ont  été,  depuis  Little, 
incriminés  bien  des  fois.  L'accouchement  le  plus  normal  ne  constitue- 
t-il  pas  (Long-Landry)  un  traumatisme  pour  le  cerveau  de  L'enfant  ?  Le 
«  passage  des  détroits  »  ne  s'effectue,  en  effet,  qu'au  prix  d'une  com- 
pression excessive  du  crâne  avec  chevauchement  des  pariétaux.  Agis- 
sant sur  un  cerveau  mou,  friable,  mal  protégé,  cette  compression  finit 
souvent  par  produire  ( Cou vel aire)  des  ruptures  vasculaires,  îles 
hémorrhagies  cortico-méningées,  dont  l'existence  peut  être  démontrée 
soit  tout  de  suite,  par  la  ponction  lombaire  qui  ramène  du  sang  pur, 
soit,  plus  tard,  par  l'examen  nécropsique. 

;i°  Quant  à  l'alcoolisme,    son   influence  n'est   guère  plus  douteuse. 

Nos    amis    les    Belges    ne    désignent  ils    pas,   du    nom    pittoresque    de 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES 


23& 


Samstagkinds,  ces  enfants  arriérés  ou  épileptiques  que  leurs  parents  ont 
conçus  un  soir  de  paye,  en  pleine  ivresse  ?  Que  si  cet  argument  ne 
vous  suffisait  pas,  permettez-moi  d'appeler  à  mon  aide  une  grande 
autorité  :   celle  de  Molière,  pris  en  flagrant  délit  d'acte  médical,  de 


/■/.  CoM  tin  tt'if. 


Fig.  2.  —  Méningite  chronique.  Coloration  au  van  Gieson.  Grossissement  :  35/1.  Epaississement 
de  la  pie-mère,  constituée  par  des  trousseaux  fibreux  surtout  dans  ses  couches  superficielles,  et 
par  des  artères  à  parois  épaissies  ;  adhérence  complète  de  la  pie-mère  à  l'écorce  sous-jacente. 
L'écorce,  riche  en  capillaires,  présente  quelques  petites  lacunes  de  désintégration  (Hutinel  et 
Babonneix). 

Molière  consultant,  de  Molière  médecin  malgré  lui.  Dans  Amphitryon, 
l'un    des  personnages  ne    déclare-t-il  pas    —  doctoralement  —  : 

Les  médecins   disent,  quand  on  est  ivre, 

Que,  de  sa  femme,  on  se  doit  abstenir, 

Et  que,  dans  cet  état,  il  ne  peut  provenir 

Que  des  enfants  pesans,  et  qui  ne  sauraient  vivre  *  ? 

En  résumé,  les  trois  causes  fondamentales   d'encéphalopathies  infan- 
tiles sont  :  1°  surtout  l'hérédo-syphilis  ;  2°  loin  derrière  elle,    les   trau- 


1.  Acte  II,  scène  m. 


/  -   B  IBO  \  w  /  \ 


matismes  obstétricaux  et  l'alcoolisme.  Quant  aux  autres  influences 
pathogènes    invoquées  par  les  auteurs,    il   n'est   pas  douteux   qu'elles 

peuvent  intervenir,  aussi,  mais  à  titre  exceptionnel.  Et  encore,  souvent 
leur  action  serait-elle  inopérante,  si  le  cerveau  du  fœtus  n'avait  été 
Fragilisé,  sensibilisé  par  la  spécificité. 


Ce  serait  sortir  des  limites  que  nous  nous  sommes  assignées  que  de 


Fig.  3.  —  Méningo-eneéplialite  chronique,  avec  épaiss-issement.  aillierences  et  opales- 
cence de  la  pie  mère.  A  noter,  île  plus,  de  multiples  anomalies  morphologiques  des 
circonvolutions,  et,  au-dessous  de  1  extrémité  postérieure  de  la  scissure  de  Sylvius, 
une  petite  cavité  porencéphalique. 

vouloir  traiter  à  fond,  ici,  la  question  analomo-pathologique.  Conten- 
tons-nous d'envisager,  en  quelques  mots,  la  morphologie,  l'origine  et 
les  conséquences  des  lésions  principales. 

En  ce  qui  concerne  leur  morphologie,  les  auteurs  distinguent  les  lésions  inflam- 
matoires et  les  vices  de  développement. 

Parmi  les  lésions  inflammatoires,  citons  surtout  : 

lu  La  méningite  chronique,  caractérisée  par  un  épaississement  de  la  pie-mère,  et  —  en 
principe  —  par  l'intégrité  macroscopique  de  l'écoi  ce  sous-jaeente  (tig.  2]  ; 

2°  La  méningo-encéphalite  chronique,  dans  laquelle  la  pie-mère,  épaissie  et  vascula- 
usée  Qg.  'A  .adhère  intimement  au  cerveau,  de  lelle  sorte  que,  quand  on  veut  procéder 
à  la  décortication  de  ce  dernier,  oiy  crée  des  ulcérations  et  que,  mis  ensuite  dans 
1  eau,  il  offre  une  surface  tomenteuse.  Histologîquement,  fusion  des  méninges  molles, 
qui  forment  une    membrane  épaisse  el  végétante,  riche  en  amas  embryonnaires  et  en 

vaisseaux  à  lumière  dilatée,  à  gaine  lnuiiire  de  lymphocytes   el  de  plasma/ellen  (lig.  4    ; 

encéphalite  diffuse  avec  atrophie  scléreuse  des  circonvolutions  sous-jaoenles,  dispari- 
tion des  fibres  à  invéline,  atrophie  des  cellules   nerveuses,    apparition,   dans  les  COUcheS 

superficielles,  de  lacunes  de  désintégration.  Par  sa  tendance  à  la  symphyse,  l'abon- 
dance de  ses  infiltrats  embryonnaires,  la  précocité  et  l'abondance  tle  ses    lésions  vascu 


LES  ENCÉPHALOPATHIES   INFANTILES 


23' 


Fig.  4.  —  Méningo-encéphalite  chronique.  Atrophie  scléreuse  des  circon- 
volutions ;  méningite  hyperplastique  avec  nombreux  amas  embryon- 
naires, la  plupart  pcrivasculaires.  (Coloration  :  hémaléine-éosine  ) 
(  Baiionneix.) 


Fig    5.  —  Sclérose  atrophique  hémisphérique    Noter    la    héance   des  sillons  et  l'amincissement 

des  circonvolutions. 


/..   BABONNEIX 


laires,  cette  méningo-encéphalite  chronique  évoque,  dans  bien  des  cas,  l'idéede  syphi- 
lis  (Cl.  Philippe  et  J.  Oberthur)  ; 

;{'  La  sclérose  cérébrale  atrophiuue,  où  les  circonvolutions  atteintes  se  différencient  des 
autres  par  leur  aspect  rétracté,  comme  flétri,  qui  les  a  fait  comparer  aux  circonvolu- 
tions d'un  cerveau  durci  par  l'acide  nitrique  (Hichardière)  ;  par  leur  diminution  corré- 
lative de  volume  (microgijrie),  d'où  héance  des  sillons  qui  les  séparent  ;  par  leur   colo- 


Fig.  6.  —  Weigert-van  fiieson.  Grossissement  :  15/1.  Les  trois  circonvolutions  représentées  sont 
creusées,  dans  leur  partie  superficielle  de  cavités  unfractueuses,  irrégulières,  où  flottent  des  débris 
de  substance  nerveuse  désintégrée.  Leur  axe,  au  lieu  d'être  constitué  par  des  libres  à  myéline, 
n'est  plus  formé  que  par  un  feutrage  névroglique  dense  et  par  de  nombreux  capillaires.  C'est  à 
peine  s'il  persiste  quelques  libres  nerveuses  dans  deux  d'entre  elles.  On  saisit  ici  sur  le  vil  révolu- 
tion lacunaire  qui  préside  au  développement  de   certaines   encépbalites    kystiques.    (BauonneIx.) 


ration  blanchâtre  ;  et.  surtout,  par  leur  augmentation  de  consistance  (induration  carti- 
lagineuse de  Cruveilher).  Suivant  son  étendue,  elle  est  dite  hémisphérique  (fig.  5), 
lobaire,  chagrinée  ;  elle  se  localise  alors  à  quelques  circonvolutions.  Parfois,  les 
lésions  prédominent,  à  la  coupe,  sur  la  substance  blanche  (atrophie  soiis-eor/ica/e  de 
Binswanger). 

Histologiquement,  deux  variétés  :  1  °  la  prolifération  névroglique  a  pour  origine  la 
paroi  des  capillaires,  et  se  présente,  au  début,  sous  forme  d'ilôts  péri\  usculaires,  qui. 
ultérieurement,  se  réunissent  (1*.  Marie)  ;  ici  encore,  la  Syphilis  est  souvent  eu  cause 
(Bechterew)  ;  '2"  la  sclérose  est  beaucoup  plus  dense,  et  OOCUpe  de  larges  territoires. 
parfois  creusés  de  Kystes  à  parois  déchiqueté)  s.  remplis  d'une  sérosité  claire,  dans 
laquelle  flottent  des  blocs  de  tissu  nerveux  désintégré  (tif;.  (»).     Dans  ees  cas,   et  contrai- 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES 


239 


rement  au  précédent,  aucune    lésion  inflammatoire.  11  semble    s'agir    alors  d'agénésie, 
liée  àl'aplasie  de  l'artère  correspondante  ; 

4°  L'hydrocéphalie  interne  chronique  se  caractérise  par  un  abondant  épanchement  de 
liquide  céphalo-rachidien  à  l'intérieur  des  ventricules  latéraux,  desquels  il  peut  fuser, 
par  le  trou  de  Monro,  dans,  le  IIIe  ventricule  ;  dans  le  IVe,  par  l'aqueduc  de  Sylvius 
dilaté  et,  de  ce  ventricule, 
dans  les  espaces  sous-arach- 
noïdiens  par  le  trou  de  Ma- 
gendie.  Lorsque  cet  épanche 
ment  devient  très  considéra- 
ble, les  ventricules  latéraux 
communiquent  largement  en- 
tre eux,  septum  lucidum  et 
voûte  à  trois  piliers  se  résor- 
bent, le  corps  calleux  se  ré- 
duit à  une  mince  lame  mem- 
braneuse, les  circonvolutions, 
aplaties,  prennent  1  aspect 
d'une  marqueterie.  Les  altéra- 
tions n'épargnent  ni  l'épen- 
dyme,  granuleux,  épaissi,  vé- 
gétant, ni  les  plexus  choroï- 
des. Le  crâne  augmente  de  vo- 
lume, devient  fortement  bra- 

ch3'céphale,    et     subit     d'importantes    modifications     structurales.     Histologiquement, 
lésions    inflammatoires,    portant   sur   divers   points    :    épendyme,    et,    surtout,    région 


Fig.  7.  —  Porcncéphalie  de  1  hémisphère  gauche.  Le  porus  est 
situé  au-dessus  de  la  partie  tout  antérieure  de  la  scissure  de  Syl- 
vius. (Babonneix  et   Dahré.) 


Fig.  8.  —  Porencéphalie.  Coupe  de  la  3"  frontale  gauche.  Képartition  de  l'écorce  en 
deux  zones,  les  unes,  claires  (déserts  cellulaires),  les  autres,  sombres,  multicellulaires. 
Aspect  de  trèfle,  de  folioles.  i,Babonneix  et  Dahhé.) 


sous-épendvmaire  (Merle)  ;  plexus  choroïdes  ;  les  unes  et  les  autres  relèvent  habi- 
tuellement de  la  syphilis  ;  écorce,  atteinte  de  sclérose  disséminée,  avec  disparition  des 
éléments  nerveux. 

Des  lu'ces  de  développement,  les  plus  importants  sont  : 

lu  La  porencéphalie,  découverte,  en  1827,  par  Cazauvielh,  qui  commit  la  faute  impar- 


240 


/..   BABONNEIX 


donnable  de  ae  pas  lui  donner  un  nom  (Brissaud);  c'est  une  perte  de  su  bstancef  porus) 

en  forme  d'entonnoir    lig.  7  ,  dont  la  hase  répond  à  la  surface  du  cerveau,  le  sommet. 

arrondi,  au  ventricule  la- 
téral, et  dont  les  parois 
sont  constituées  par  les 
circonvolutions  voisines, 
qui  rayonnent  toutes  de 
la  périphérie  vers  les 
hords  de  l'excavation,  sur 
lesquels  elles  se  réfléchis- 
sent. Ses  lésions  micros- 
copiques sont,  parfois,  de 
nature  inflammatoire  (Ba- 
honneix  et  Darré;  (fig.  8 
et  9).  De  la  porencépha- 
lite,  que  l'on  attribue  à 
une  destruction  du  tissu 
nerveux  (Vogt),  d'origine 
vasculaire  ou  mécanique, 
il  faut  rapprocher  la 
psendo-porencéphalie,  qui 
ne  s'en  distingue  que  par 
quelques  détails  morpho- 
logiques, et  les  lésions 
vasculaires  :  foyers  de  ra- 
mollissement, sous  forme 
de  plaques  jaunes  ;  hé- 
morrhagies,  surtout  mé- 
ningées, et,  alors,  presque  toujours  d'origine  obstétricale,  reconnaissahles  à  leur  aspect 
cloisonné,  à  leurs  parois  celluleuses,  à  leur  contenu  séreux  ; 


Fig.  9.  —  Porencéphalie.  Oéserts  cellulaires  en  rapport  avec  des 
vaisseaux  méningés  altérés.  (Babonneix  et  Uarhé.  ) 


Fig.  10.  —  Istio-atypie    corticale  disséminée    Face   externe   de  I  hémisphère  gauchi 
^Collection  Pibrre  Maris  ) 


2'  L'islio-atypie  corticale   disséminée  (lYlli/./i  ,   caractérisée   macroscopiquement    par 
la  présence  à  la  surface  des  hémisphères  et    des    corps  opto  itriéa,    d'Ilots   arrondis, 

saillants,   de   coloration  blanchâtre,  de   consistance  dure  (lig.    10),  et,    en     pleine    sul>s 


LES  EXCÉPHALOPATHIES   L\FA\TILES 


241 


tance  blanche,  d'îlots  de  substance  grise,  constituant  autant  d'hétérotopies.  A  ces 
lésions  s'associent  presque  toujours  des  tumeurs  :  rhabdomyomes  du  cœur,  adénomes 
sébacés,  ou,  plutôt,  neuro-gliomes  (Bielschowski),  hypernéphromes  ou  tumeurs  mixtes 
développées  aux  dépens  du  corps  de  Wolff,  et  toutes  les  variétés  possibles  de  malforma- 
tions. Microscopiquement,  les  tubérosités  sont  formées  (fig.  11)  par  un  tissu  névroglique 
extrêmement  dense,  les  hétérotopies,  par  un  tissu  névroglique  moins  compact,  au  milieu 
duquel  se  voient  de  volumineux  éléments  cellulaires,  dont  les  uns  ressemblent  surtout 
à  des  cellules  nerveuses,  et  les  autres,  à  des  cellules  névrogliques  :  ce  sont  des  éléments 
embrvonnaires  :  neuro    et    spongioblastes,   et    la  présence,    sur  une  même    coupe,  de 


Fig.  11.    —    Istio-atypie  corticale   disséminée    Coupe  des  ilôts   corticaux 
vue   à  un  faible   grossissement     (Babonneix.) 

toutes  les  formes  intermédiaires  entre  ces  éléments  et  les  cellules  adultes  donne  à  la 
préparation  un  aspect  véritablement  «  tumoral  »  (Vogt),  bien  que  jamais  ces  îlots  ne 
subissent  de  dégénérescence  néoplasique  (Babonneix).  Dans  l'istio-atypie  corticale 
disséminée,  il  s'agit  donc,  somme  toute,  d'une  malfaçon  intermédiaire  aux  vices  de 
développement  et  aux  néoplasmes  :  aussi  ne  mérite-t-elle  nullement  le  nom  de  sclérose 
hypertrophique  que  lui  avaient  donné  jadis  Bourneville  et  Brissaud. 

3°  La  microcéphalie  où  le  poids  du  cerveau  reste  toujours  très  au-dessous  de  la  nor- 
male (atrophie  cérébrale  infantile  de  Cotard  et  qui,  tantôt,  relève  d'un  arrêt  simple  de 
développement  [M.  \  era  de  Giacomini)  :  les  circonvolutions  sont  peu  sinueuses,  les 
plis  de  passage,  rares,  les  sillons,  larges  et  peu  profonds  :  généralisée,  cette  forme  se 
confond  avec  la  lissencéphalie  ;  tantôt  est  due  à  une  encéphalite  fœtale,  et  alors  s'asso- 
cie souvent  à  de  l'hj-drocéphalie  congénitale  (Pseudo-M.  de  Giacomini)  ;  tantôt,  enfin, 
se  complique  de  malformations  cérébrales  multiples  [atypie  de  Pfleger  et  Pilez)  '. 

Messieurs,  en  suivant  cette  description,   vous  n'avez  pas  manqué  de 
constater  que  j'avais  parlé   de  sclérose  atrophique  à  propos  de  méningo- 


■  1.  Les  Ggures  2,  5  et  13  sont  extraites  des  Maladies  des  Enfants,  publiées  sous 
la  direction  du  prof.  Hutinf.l,  et  nous  ont  été  obligeamment  prêtées  par  MM.  Asselix 
et    Houzeau,  éditeurs,  place  de  l'Ecole -de-Médecine,  à  Paris. 


CONFER.    KEUROL. 


16 


242 


/..  BABO  S  N/'/  \ 


ncénhalile  chronique,  d'agénèsie  à    propos  de  sclérose  atrophiqne,  de 
tioni  inflammatoires»   propos  des  vices  de  développement  Lt  vous  en 


en 

lésions  injl 


Fig   12.  -  LiMencéptaolie,  avec  méningo-encéphallte  ehronique     H-»"'  - 

aVez  peut  être  conclu  qu'il   fallait  être  bien   étourdi    pour  confondre 

S  les  espèces  et  les  W...B«i^  P«^*^  «T»^ 
lées>  bpSus  volontaires  !  Les  diverses  lésions  que  je  viens  de  passereo 


LES  EN  C  ÈPH  ALOP  AT  H 1ES  INFANTILES 


243 


revue  ne  s'opposent  pas  les  unes  aux  autres  :  souvent  même,  elles 
coexistent.  C'est  qu'en  effet,  elles  ne  représentent  qu'un  aboutissant, 
qu'une  fin,  et  que  leur  aspect  dépend,  avant  tout,  de  la  date  d'apparition, 
du  siège  et  de  l'étendue  des  processus  initiaux,  de  l'existence  ou  de 
l'absence  de  phénomènes  de  réparation,  etc.  (Long-Landry).  Or,  ces 
processus   initiaux,   que  savons-nous  d'eux  ? 

Nous  ignorons  à  peu 
près  tout  de  leur  origine 
et  ce  n'est  que  d'une  ma- 
nière très  artificielle  que 
nous  les  répartissons  en 
plusieurs  groupes,  selon 
qu'ils  paraissent  relever 
d'une  agénésie  simple, 
d'une  lésion  inflamma- 
toire, d'une  moindre  ré- 
sistance, à  l'usure,  de 
certains  faisceaux  ner- 
veux, ou  qu'ils  sont  en 
relation  avec  une  ano- 
malie morphologique 
des  glandes  vasculaires 
sanguines  :  surtout  sur- 
rénales (Apert,  Czerny, 
Léri  et  Vurpas,  Lher- 
mitte),  sans  qu'il  soit 
possible  dédire  laquelle 
des  deux  lésions  est  cau- 
se et  laquelle  est   effet. 

La  seule  partie  de  leur  histoire  dont  nous  commencions  à  avoir 
quelques  clartés,  c'est  celle  qui  a  trait  à  leurs  conséquences.  Les  voici, 
en  deux  mots  : 

1°  Lorsqu'ils  intéressent,  comme  c'est  la  règle,  l'écorce  motrice,  ils 
déterminent  une  agénésie  des  fibres  de  projection  :  faisceau  pyramidal, 
voie  cortico-ponto-cérébelleuse,  aboutissant  à  l'agénésie  (impropre- 
ment dite  atrophie  transneurale),  ici,  de  l'hémisphère  opposé  du  cerve- 
let (Turner,  Cornélius)  (fig.  13  et  14),  là,  du  neurone  moteur  périphé- 
rique, et,  corrélativement,  parfois,  une  hypertrophie  compensatrice  de 
l'autre  faisceau  pyramidal  ; 

2°  Quel  que  soit  leur  siège,  ils  se  compliquent,  toutes  les  fois  qu'ils 


Fig.  13.  Atrophie  croisse  du  cervelet.    Sclérose  cérébrale 

atruphique  de  l'hémisphère  droit.  At'ophie  de  l'hémisphère 
cérébelleux  gauche.  (Coll.   PlKiiRE-IVrARIE.) 


.11  L.  BMiO.WEIX 


acquièrent  une  certaine  intensité,  de  lésions  crâniennes,  parmi  les- 
quelles la  microcéphalie  (fig.  15),  avec  synostose  prématurée  des  mem- 
branes. 


Passons  maintenant  à  l  étude  clinique  des  encéphalopathies  infan- 
tiles. Désuet,  ce  système  de  eloisons  élanches  que  l'on  avait  voulu 
établir  entre  les  symptômes!  Périmées,  ces  distinctions  laborieuses 
entre  les  scléroses  cérébrales,  affection  «organique  »,  l'épilepsie  «  essen- 
tielle »,  l'idiotie  et  l'imbécillité,  phénomènes  «  psychopathiques  »  !  La 
nécessité  d'un  «  regroupement  »  a  fini  par  s'imposer.  Et  voici  ce  que 
l'on  peut  dire  à  ce  sujet  :  • 

De  même  que  dans  les  tumeurs  cérébrales,  il  existe  deux  ordres  de 
symptômes  :  les  uns,  liés  à  l'hypertension  intracranienne,  et  qui  sont 
les  mêmes,  quelle  que  soit  la  tumeur;  les  autres,  en  rapport  avec  leur 
siège  ;  de  même,  toute  lésion  troublant  gravement  le  développement  du 
cerveau  se  traduira  :  1°  par  des  symptômes  communs  ;  2°  par  des 
symptômes  particuliers. 

Les  premiers  comprennent  essentiellement  : 

Des  troubles  moteurs:  paralysies,  toujours  accompagnées  de  modifi- 
cations du  tonus  et  des  réflexes,  mais  sans  altération  des  réactions 
électriques  et  offrant,  le  plus  souvent,  le  type  spasmodique  ;  — mouve- 
ments involontaires  :  athétose  ou  eborée  ;  convulsions  cbez  les  tout 
jeunes  enfants,  épilepsie  chez  l'adulte  ; 

Des  troubles  intellectuels  d'intensité  variable,  auxquels  s'associent 
fréquemment  des  troubles  du  langage  et  des  troubles  sphinctériens  ; 

Des  troubles  multiples  des  sensibilités  générale  et  spéciale  ; 

Des  anomalies  morphologiques  du  crâne:  hydrocéphalie,  microcé- 
phalie, etc.  ; 

Des  troubles  de  l'état  général  :  vices  de  développement,  défauts  de 
croissance,  parfois  scléroses  viscérales,  insuffisances  fonctionnelles  mul- 
tiples portant,  en  grande  partie,  sur  le  système  endocrine. 

Ces  diverses  manifestations  étant  mises  en  l'acteur  commun  et  cons- 
tituant, si  l'on  veut,  le  syndrome  cérébral  des  encéphalopathies  infan- 
tiles, arrivons  aux  secondes,  en  rapport  avec  la  localisation  de  la  lésion  : 
elles  sont  de   deux    ordres  :  moteur  et  intellectuel. 

Troubles   moteurs. 

Parmi  les  troubles  moteurs,  il  faut  distinguer,  par  ordre  d'impor- 
tance : 


LES  EXCÉPHALOPATHIES  IXFAXTILES 


245 


Â.  g« 


gnvtale 


Ecorce     cérébrale 

'f  celL   ayranucUUs 


Se  de  ,S»jUua 

—-- -_F.  'Py^mUa.L 


Ped.onCu.Leo     cereur 


rrotuoei-a.n.ce 
pèJ.oucule£  cérebelleu-  moyens 
et   cervelet 


C°fne     interLeu-rc 
T   Mu^oulli-re 


Fig.  14.  —  Schéma  destiné  à 
expliquer  les  connexions  de 
l'écorce  cérébrale  avec  le  cer- 
velet. Deux  neurones  super- 
posés :  un  cérébello-ponti- 
que,  homolatéral  :  un  ponto- 
cérébelleux,  croisé.  (Hutinel 
et  Babo.nxeix.) 


Fig.  15    —  Microcéphalie  familiale.  (BounNEVii.i.E.) 


>46 


/..   BABO  \  \/  /  \ 


Les  phénomènes  spasme)  paralytiques,  caractérisés  par  l'association, 
à  parts  inégales,  de  spasme  ef  de  paralysie,  Ils  peuvent  être  uni  ou 
bilatéraux. 

Aux  premiers  ressortit  V hémiplégie  cérébrale  infantile,  dite  encore,  et 
non  sans  raison,  hémiplégie  spasmodique   infantile.  Comme  l'a  si  bien 


Fig.  1(5    —  Hémiplégie  infantile  gauche. 
(Col.    Piehre-Maiue.) 


Fig.  17.  —  Hémiplégie  infantile  droite. 
Attitude  en  flexion  du  membre  supé- 
rieur Luxation  congénitale  de  la  han- 
che du  même  côté  (Coll.  Pierre  - 
Marie  ) 


montré  M.  P.  Marie,  il  est,  pour  l'hémiplégie,  chez  l'enfant,  une  date 
fatidique,  c'est  l'âge  de  neuf  ans.  Avant,  hémiplégie  infantile  avec 
arrêt.  ...  de  développement  de  tissus  des  membres  paralysés,  impropre- 
ment appelé  atrophies,  et  auquel  conviendrait  mieux  le  nom  d'aijénésirs; 
après,  hémiplégie  banale,  ne  différant  en  rien  de  celle  que  Ion  observe 
«lie/,  l'adulte. 

Cette  hémiplégie  infantile,  rien  de  plus  aisé  (pie  de  schématiser  son 
histoire.  Presque  toujours,  elle  débute  parties  convulsions,  parfois  de 
typejacksonien.  Une  fois  installée,  elle  se  caractérise  (fig  I6et  17)  par  : 

Une  paralysie  de  forme  hémiplégique,  atteignant  surtout  le  membre 
supérieur,  qu'elle  immobilise   en  flexion  et   en  adduction  ;   moins  le 


LES  ENCÊPHALOPATHIES  INFANTILES  247 

membre  inférieur,  généralement  en  extension,  le  pied  en  varus  équin, 
comme  vous  pouvez  le  voir  en  contemplant,  au  Louvre,  le  Pied  Bot  de 
Ribera  :  moins  encore  la  face  ;  aux  membres,  elle  prédomine,  comme' 
toute  paralysie  cérébrale  (P.  Marie),  sur  les  extrémités;  —  de  la  con- 
tracture, qui  contribue,  pour  une  large  part,  à  la  production  des 
attitudes  vicieuses,  et  qui,  d'ailleurs,  manque  assez  souvent  (P.  Marie, 
Bouchaud,  Long)  ;  —  des  syncinésies  (P.  Marie  et  Foix),  localisées,  soit 
au  côté  sain,  soit  au  côté  malade,  et  dont  la  plus  intéressante  est  peut- 
être  le  phénomène  de  Magnus-Kleyn  ;  —  des  mouvements  involon- 
taires :  hémichorée  et  hémiathétose,  localisés,  comme  la  contracture,  aux 
membres  paralysés,  et,  comme  elle,  inconstants  ;  —  des  modifications 
diverses  des  réflexes:  le  plus  souvent,  exagération  des  réflexes  tendineux 
et  abolition  des  réflexes  cutanés  ;  quelquefois,  abolition  uni  ou  bilatérale 
(Souques)  des  premiers  ;  —  des  troubles  sensitifs,  dont  le  plus  important 
est  Y  astéréognosie ,  due  à  ce  que.  par  le  fait  de  la  paralysie,  l'éducation  du 
toucher  n'a  pu  se  faire  (Claparède,  Dejerine)  ;  —  des  crises  comitiales, 
relativement  bénignes  ;  —  des  troubles  intellectuels,  d'intensité  varia- 
ble ;  — et,  surtout,  des  vices  de  développement  :  agénésies  frappant  tous 
les  tissus  des  membres,  du  côté  paralysé;  peau,  tissu  cellulaire,  muscles, 
artères,  dont  la  courbe  oscillométrique  est  réduite,  os,  dont  les  apo- 
physes, aux  rayons  X,  apparaissent  comme  rudimentaires,  diminution 
de  longueur  et  de  volume  des  membres,  d'autant  plus  marquée  que 
l'hémiplégie  a  débuté  plus  tôt  ;  à  ces  agénésies,  qui  jouent  un  rôle 
capital  dans  les  déformations  (Charcot),  peuvent  se  substituer  des  hyper- 
trophies musculaires  ou  viscérales,  siégeant  du  môme  côté  que  la 
paralysie. 

Ces  divers  symptômes  se  groupent  souvent  dans  un  certain  ordre,  et, 
avec  M.  P.  Marie,  on  peut  décrire  deux  types  principaux  d'hémiplégie 
infantile  : 

Le  type  A,  avec  athétose,  mais  sans  contractures  ni  atrophies  (on 
pourrait  ajouter  :  sans  épilepsie,  sans  gros  troubles  intellectuels)  ; 
le  type  D,  avec  contracture,  exagération  des  réflexes  (on  pourrait 
ajouter  :  avec  épilepsie  et  troubles  intellectuels),  mais  sans  athé- 
tose. 

Tous  les  intermédiaires  relient  d'ailleurs  ces  deux  types  (Freud  et 
Rie). 

Aux  secondes,  appartiennent  les  diplégies  cérébrales,  dont,  schémati- 
quement,  on  peut  distinguer  trois  formes  : 

La  maladie  de  Little,  que  caractérisaient,  pour  Brissaud,  trois  élé- 
ments :  un  étiologique  :  naissance  avant  terme;  un  anatomique  :  agéné- 


!48 


/..   BABONNEIJi 


siedu  Faisceau  pyramidal;  un  clinique  :  contracture  congénitale,  soit 
généralisée,  et  alors  prédominant  aux  membres  inférieurs,  soit  loca- 
lisée  aux  mêmes  membres,  diminuant  spontanément  avec  les  années,  et 
ne  s'accompagnant  jamais  d'épilepsie,  de  troubles  intellectuels  ou 
sphinctériens,  de  mouvements  involontaires. 

A   cette  conception,  (pie  Brissaud    a  défendue  avec   infiniment  de 

talent,  on  peut  adresser  bien  des 
objections.  La  maladie  de  Little 
s'observe  che?  des  enfants  nés  à 
terme,  et  manque  souvent  chez  les 
prématurés  ;  l'agénésie  «  essen- 
tielle »  du  faisceau  pyramidal  n'est 
qu'un  mythe  (Cestan),  et  d'ailleurs, 
contrairement  à  la  théorie,  elle  fait 
défaut  chez  la  plupart  des  prématu- 
rés [Id.)  ;  quant  à  cette  contracture 
isolée,  dépouillée  de  tout  autre  élé- 
ment morbide,  elle  n'a  pour  ainsi 
'dire  jamais  été  vue. 

Force  a  donc  été  d'abandonner 
cette  séduisante  théorie,  dite  dua- 
liste, parce  qu'elle  séparait  la  mala- 
die de  Little  des  autres  diplégies 
cérébrales  infantiles,  et,  conformé- 
ment à  la  théorie  uniciste,  de  consi- 
dérer cette  affection  comme  une  sim- 
ple variété  de  ces  diplégies,  caracté- 
risée :  étiologiquemenl  par  l'une  des  deux  particularités  suivantes  :  ou 
naissance  avant  terme,  liée,  comme  l'affection  nerveuse  elle- même,  à  l'hé- 
rédosyphilis ;  ou  naissance  à  terme  avec  anomalie  de  l'acte  obstétrical  ; 
anatomiquement,  par  des  lésions  encéphaliques  localisées,  soit  à 
l'écorce  rolandique,  et  consistant  alors,  d'habitude,  en  foyers  hémorrha- 
giques  d'origine  obstétricale,  soit  au  corps  strié,  avec,  dans  le  premier 
cas,  sclérose  dense  (dégénérescence)  ou  légère  [agénésie)  du  Faiseau 
pyramidal  correspondant,  dans  le  second,  intégrité  dudit  Faisceau  ; 
clinique  ment  (fig.  18),  par  nue  contracture  offrant  bien  les  caractères 
indiqués  par  Brissaud,  donnant  aux  membres  intérieurs  une  atti- 
tude  typique  (dans  la  station  verticale,  Flexion  généralisée  de  tous  les 
segments  des  membres,  adduction  des  cuisses,  tandis  que  les  jambes 
divergent  ;  dans  la  marche,  exagération  de   la   contracture,  démarche 


Fig.     18.    —  Maladie    de    Little. 
(Collect.  Pierrb-Marie  ) 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES 


249 


tenant  à  la  fois  du  digitigrade  et  du  gallinacé  (Dejerine),  les  genoux 
trottant  l'un  contre  l'autre,  tandis  que  les  pieds  s'entre-choquent  ; 
impossibilité  dans  la  position  assise  de  laisser  pendre  les  jambes)  et 
s'accompagnant  non  seulement  de  surréflectivité  tendineuse,  mais 
encore  de  troubles  intellectuels,  trophiques,  vaso-moteurs,  de  mou- 
vements involontaires,  de    convulsions    et  d'épilepsie  ; 

L'hémiplégie  double  qu'il  est,  en  principe,  très  aisé  de  différencier  de 
la  maladie  de  Little  en  se    fondant  sur  les  éléments   suivants  :   début 


Fig.  19.  —  Hypotonie  musculaire  excessive  du  membre  inférieur,  dans  un  cas 
de  syndrome  atonique  paralytique.  (Fôbster.) 


par  des  convulsions  ;  à  la  période  d'état,  prédominance  de  la  paralysie 
sur  la  contracture  ;  fréquence  des  arrêts  de  développement  massifs,  de 
l'ophtalmoplégie,  de  l'épilepsie,  gravité  des  troubles  intellectuels;  ten- 
dance constante  à  l'aggravation.  En  fait,  le  diagnostic  «  peut  être 
assez  délicat  pour  que,  de  deux  neurologistes  appelés  à  examiner  le 
même  malade,  l'un  admette  le  syndrome  de  Little,  l'autre,  l'hémi- 
plégie double  »  (Hutinel  et  Babonneix).  Et  il  semble  bien,  à  l'heure 
actuelle,  que  seule,  une  question  de  degré  différencie  ces  deux  affec- 
tions, la  maladie  de  Little  correspondant  aux  formes  légères,  l'hémi- 
plégie  double  aux  formes  graves    des   diplégies  cérébrales  : 

1"  Les  paralysies  pseudo-bulbaires,  identiques  à  celles  que  l'on  observe 
chez  l'adulte,  et  dont  on  peut  (Vogt)  décrire  deux  types,  paralytique  et 
spasmodique  ; 

2"  Les  phénomènes  aloniques  (Eôrster),  soit  localisés,  soit  généralisés, 
et  alors  rappelant  de  très  près  l'atonie  musculaire  d'Oppenheim,  par 
l'anormale  étendue  des  mouvements  passifs  (fig.  19  à  21),  la  difficulté 
des  contractions  toniques,  d'où  une  astasie-abasie  très  marquée  (André 
Thomas  et  Jumentié);  et  dont  elle  se  distingue  par  l'intégrité  des  mou- 
vements actifs  ;  leur  caractère  souvent  atavique  ;   l'association  d'autres 


/..  BABOls  \i:i  \ 


éléments  ressortissant   au    syndrome  cérébral  :  convulsions,  troubles 

intellectuels,  etc.  ; 

fc  ,'J"  Les  phénomènes  d'apparence,  (je  ne  dis  pas  d'origine)  cérébelleuse  : 


Fig.  20. —  Hypotonie  musculaire  des  membres  intérieurs 
d'origine  cérébrale.  (Forster  ) 


ataxie,  surtout  dynamique,  mais  aussi  parfois  statique,  adiadococinésie, 
troubles  de  la  parole; 

4°  Les  mouvements  involontaires  ;  quelquefois  tremblement,  mais  sur- 
tout athétose  et  chorée.  Dans  celle-ci,  mouvements   ronds  (P.  Marie), 


Fig.  21.   —  Hypotonie  musculaire  d'origine  cérébrale      FôRSTBR.] 


illogiques,  arythmiques,  de  répétition  incessante,  d'amplitude  extrême  , 

dans  celle-là,  mouvements  simulant  les  mouvements  volontaires  ;  on 
dirait,  à  les  voir,  que  le  patient  exécute  des  mouvements  délibérés,  de 
capture.  Us  sont  lents,  incessants,  d'allure  puissante.  Dans  leur 
arythmie,  ils  possèdent  tin  certain  rythme.  On  les  a  comparés  an\  mou- 
vements péristaltiques,  ou,  mieux  encore,  à  ceux  des  tentacules  de  la 
poulpe  OU  de  l'anémone  de  mer. 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES  251 

Souvent,  les  mouvements  involontaires  participent  à  la  fois  de  la 
chorée  et  de  l'athétose,  et  méritent  alors  le  nom  d'athétoso-chorée 
(Hallion). 

Athétose  et  chorée  peuvent  être  unilatérales  ;  elles  se  cantonnent  alors 
au  membre  frappé  d'hémiplégie  infantile;  ou  frapper  les  deux  côtés 
du  corps  ;  à  ces  formes  doubles  s'associe  toujours  tel  ou  tel  élément  du 
syndrome  cérébral  :  convulsions,  troubles  intellectuels,  modifications 
du  tonus. 

Messieurs,  jusqu'à  ces  dernières  années,  ces  divers  troubles  moteurs 
étaient  communément  rattachés  à  une  lésion  de  l'écorce  motrice  ou  du 
faisceau  pyramidal.  Et,  cependant,  bien  des  raisons  auraient  dû  donner 
à  penserque  cette  théorie  péchait  parexclusivisme.  Comment,  avec  elle, 
comprendre  que,  dan  s  l'hémiplégie  infantile,  le  faisceau  pyramidal  corres- 
pondant au  côté  paralysé  n'offre,  parfois, aucune  altération? Qu'à  l'hyper- 
tonie  se  substitue,  bien  souvent,  l'atonie,  à  la  surréflectivité  tendineuse, 
l'aréflexie?  Que  trépidation  spinale  et  signe  de  Babinski  fassent  souvent 
défaut  dans  la  maladie  de  Little  (Long-Landry)  et  qu'inversement,  dans 
cette  affection,  puissent  apparaître  quelques  symptômes  rappelant  ceux 
delà  paralysie  agitante  :  rigidité  musculaire,  d'où  attitude  soudée,  ten- 
dance à  la  festination '?  Que,  dans  la  paralysie  pseudo-bulbaire  de  l'en- 
fant, on  ait  signalé,  d'une  part,  la  fréquence  du  rire  et  du  pleurer  spas- 
modiques,  de  l'autre,  des  lésions  localisées  au  corps  strié,  et  contrastant 
avec  l'intégrité  de  la  voie  pyramidale  (Oppenheim)? 

Ces  questions,  que  laissait  en  suspens  la  théorie  classique,  les  belles 
recherches  de  M.  O  et  de  Mad.  C.  Vogt  permettent  de  les  résoudre. 
Elles  nous  autorisent,  dès  maintenant,  à  supposer  que  nombre  de  symp- 
tômes moteurs  observés  dans  les  encéphalopathies  infantiles  relèvent 
de  lésions  du  corps  strié,  d'ailleurs  trouvées  par  Mad.  Vogt  dans  cer- 
tains cas  de  maladie  de  Little  :  tels  sont  l'hypertonie  du  type  «  strié  » 
(rigidité, par  opposition  à  la  contracture  du  type  pyramidal),  la  difficulté 
des  mouvements  volontaires,  les  mouvements  involontaires,  les  mouve- 
ments associés,  dont  la  survenance  exagère  le  trouble  des  mouvements 
volontaires;  les  crises  de  rire  et  de  pleurer.  Et  nous  devrons  désormais, 
à  l'exemple  de  MM.  Lhermitteet  Cornil.  tenter  d'opérer  une  discrimi- 
nation dans  cette  symptomatologie,  selon  qu'elle  comporte  des  éléments 
d'origine  striée  ;  pyramidale;  mixte;  décérébrée  ;  d'autre  origine. 

Syndromes    intellectuels. 

Nous  en  arrivons  aux  syndromes  intellectuels.  Leur  importance  est 
telle  que,  malgré  mon  désir  de  rester  plus  neurologiste  que  psychiatre, 


/  .   B  IBO  \  \//  \ 


je  suis  obligé  de  vous  eu  dire  quelques  mots.  Jadis,  à  la  suite  des  tra- 
vaux de  Bourneville,  ou  eu  distinguait  trois  variétés  :  l'idiotie,  ravalant 
les  sujets  ail  niveau  delà  hèle:  semblables  à  ces  statues  de  l'Keriture,  les 
idiots  ont  drs  yeux,  et  ils  ne  voient  point;  ils  ont  des  oreilles,  et  ils 
n'entendent  point;  ils  ont  des  sens,  et  pas  de  sensibilité.  Ils  justifient  — 
à  rebours  —  la  belle  pensée  de  Ch.  Richet,  à  savoir  que  la  sensibilité  est 
en  raison  directe  de  l'intelligence,  et  (pie  ce  sont  les  êtres  les  plus  intelli- 
gents qui  sont  capables  de  souffrir  le  plus.  Vivant  d'une  vie  végétative, 
passant  leur  temps  à  se  balancer  sur  leurs  ebaises  percées,  jusqu'au  jour 
où  ils  sont  emportés  par  quelque  infection  nosocomiale,  ces  déchets 
de  l'humanité  sont  hommes,  et  rien  de  ce  qui  est  humain  ne  cesse 
de  leur  être  étranger  :  ce  sont  des  êtres  extra-sociaux  (Sollier). 

h'imbécile  a,  lui,  quelques  notions  du  monde  extérieur.  Mais  il  est 
dissimulé,  vaniteux,  dépourvu  de  tout  sens  afïectif,  et,  par  là  même,  sou- 
vent malfaisant.  C'est  un  être  antisocial  (Sollier).  Au  reste,  par  la  briè- 
veté delà  pensée,  il  s'apparente  à  l'idiot  qu'il  méprise. 

Vient  ensuite  l'arriéré,  dont  les  facultés  critiques  sont  peu  dévelop- 
pées, mais  qui  parfois  est  capable  de  boutades,  de  réparties  spirituelles, 
de  saillies  diverses.  Ai-je  besoin  de  vous  rappeler  que  c'est  parmi  eux 
(pie  se  recrutaient  jadis  les  bouffons  et  les  fous  du  roi,  et  que,  selon  la 
touchante  légende  à  laquelle  fait  allusion  YArlésienne,  ces  innocents  pas- 
saient jadis  pour  assurer  le  bonheur  de  ceux  qui  les  avaient  recueillis 
sous  leur  toit  ? 

A  l'heure  actuelle,  cette  classification  subsiste  encore  dans  ses 
grandes  lignes,  mais  à  la  suite  des  travaux  de  MM.  Binet  et  Simon  sur 
le  niveau  intellectuel  déterminé  parla  méthode  des  tests,  on  a  quelque 
peu  changé  le  sens  des  mots  :  Y  idiot  est  devenu  celui  qui  ne  répond  pas 
aux  tests  de  2-3  ans;  Yimbécile,  celui  qui  est  incapable  de  communiquer 
avec  ses  semblables  parle  langage  écrit  ;  le  débile  mental,  celui  dont  le 
«  niveau  »  est  de  8  ans. 

Sans  vouloir  multiplier  les  formes  des  encéphalopathies  infantiles,  il 
convient  de  leur  rattacher  la  débilité  motrice  du  regretté  professeur 
Dupré,  avec  paralonie,  c'est-à-dire  impossibilité  pour  les  sujets  qui  en 
sont  atteints  d'arriver  volontairement  à  la  résolution  musculaire  :  aussi 
sont-ils  maladroits,  «  empotes  »  ;  c'est  parmi  eux  (pie  déviaient  prendre 
place  (  Dupré  et  Merklen  les  domestiques  casseurs  d'assiettes.  A  ces 
troubles  moteurs,  que  le  Prof.  Dupré  rattachait  volontiers,  dans  ces 
derniers  temps,  à  une  origine  striée,  s'ajoutent  souvent  divers  signes 
de  débilité  mentale.  Signalons  aussi  les  formes  associées  à  di\  erses 
maladies,  familiales  OU  non,  du   système  ner\  cu\. 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES  253 


Evolution.  Diagnostic.  Pronostic. 

En  ce  qui  concerne  Yévolution,  que  vous  dire,  si  ce  n'est  qu'il  s'agit, 
malheureusement,  d'affections  chroniques,  durant  autant  que  la  vie, 
souvent  aggravées  par  des  poussées,  liées  à  une  affection  banale,  et  que 
terminent  fatalement  la  cachexie,  la  tuberculose  ou  les  infections  res- 
piratoires aiguës  ?  Leur  pronostic  ne  peut  donc  être  que  très  sombre. 

D'où  l'intérêt  d'un  diagnostic  précoce.  Il  doit  se  proposer  de  résoudre 
différentes  questions  : 

1°  Y  a-t-il  encéphalopathie  infantile  ?  La  réponse  est  aisée,  si  l'on 
constate,  chez  le  patient,  quelques-uns  des  éléments  du  syndrome  céré- 
bral sur  lequel  nous  sommes  revenu  tant  de  fois  ;  les  difficultés  n'exis- 
tent qu'aux  premières  phases,  que  l'on  doit  envisager  séparément,  selon 
qu'il  s'agit  de  troubles  moteurs  ou  intellectuels. 

Les  premiers  devront  être  soigneusement  distingués  de  cette  hyper- 
tonie  physiologique  propre  aux  nouveau-nés,  et  qui,  par  ses  caractères 
spéciaux  comme  par  la  coexistence  de  mouvements  associés,  et  le  carac- 
tère athétosique  des  mouvements  volontaires,  rappelle  de  si  près,  ainsi 
que  nous  le  remarquions  avec  M.  Lhermitte,  la  symptomatologie 
«  striée  »,  mais,  dès  le  cinquième  ou  le  sixième  mois,  cette  hypertonie 
disparaît  (Variot),  et  les  mouvements  acquièrent,  petit  à  petit,  la  préci- 
sion nécessaire. 

Pour  les  secondes,  leurs  manifestations  initiales  sont  souvent  d'inter- 
prétation délicate.  «  Vous  pouvez,  toutefois,  les  rattacher  à  leur  véri- 
table cause  en  procédant  par  comparaison.  A  quoi  jugez-vous  qu'un  tout 
petit  est  normal  ?  A  ce  que,  de  bonne  heure,  il  sait  faire  fête  à  celle 
qui,  de  longs  mois,  l'a  porté  ;  à  ce  que,  de  bonne  heure,  il  sait  sou- 
rire à  son  sourire.  A  quoi  voyez-vous  que,  chez  lui,  le  développe- 
ment intellectuel  suit  son  cours?  A  sa  physionomie  mobile,  toute 
rayons  et  ombres,  au  divin  rayonnement  qui,  émanant  de  ses  traits, 
«  fait  penser  à  tout  un  ordre  de  choses  heureuses  »,  à  ce  qu'André  Ché- 
nier  a  si  jolimentappelé  la  chanson  de  ses  yeux.  Observez,  maintenant, 
un  nourrisson  mal  venu,  et  sachez  interpréter  ce  langage  de  signes  dont 
parlaient  les  anciens.  L'expression  de  son  visage  est  fermée,  hostile 
souvent,  étrange  toujours.  Dans  son  regard,  nulle  flamme.  Il  ne  recon- 
naît personne.  Il  ignore  la  joie.  Jamais  il  ne  rit  de  ce  rire  éclatant  et 
caractéristique  de  l'enfance  (West).  Pour  les  profanes  eux-mêmes,  il 
nest  pas  comme  les  antres.  Bientôt,  ces  particularités  s'accusent,  et, 
quand  on  constate  qu'il  ne  cherche  ni  à  parler  ni  à  marcher,  le  doute 
n'est  plus  permis  »  (Hutinel  et  Babonneix). 


/      /;  \l;t>  \  \l  I  \ 


2°  Quelle  en  est  la  cause  ?  Pensez  d'abord  à  l'hérédo-syphilis,  puis 
aux  traumatismes  obstétricaux  et  à  l'alcoolisme,  accessoirement  aux 
autres  influences  pathogènes  ; 

;>"  .1  quelle  lésion  l'attribuer'?  De  l'avis  unanime,  aucune  réponse  pré- 
cise ne  peut  être  Fournie,  les  lésions  les  pJus  diverses  se  caractérisant 
par  les  mêmes  signes  cliniques.  Une  seule  exception  :  la  présence 
chez  un    idiot,    épileptique   et    diplégique,    d'adénomes     sébacés    de 

la  face  (ligure  22)  et,  sur- 
tout, d'hypernéphromes  du 
rein  provoquant  des  héma- 
turies, où  l'examen  histolo- 
gique  décèle  des  cellules 
néoplasiques,  permet  d'affir- 
mer l'istio-atypic  corticale 
(Vogt); 

4°  Quel  est  le  sièye  de  la  lé- 
sion causale  ?  Mêmes  difficul- 
tés pour  résoudre  cette  ques- 
tion. Pour  les  syndromes  inu- 
teurs,  on  peut  dire,  avec  les 
réserves  d'usage,  que  :  1"  sui- 
vant les  cas,  on  mettra  en 
cause  l'écorce  motrice  ou  le 
corps  strié;  2°)  que  les  phéno- 
mènes spasmo-paralv  tiques, 
avec  idiotie  profonde  et  épi- 
lepsie,  indiquent  plutôt  une  lésion  corticale  inflammatoire,  les  phéno- 
mènes d'atonie,  avec  simple  imbécillité  OU  arriération  mentale,  comme 
on  en  observe  souvent  dans  l'idiotie  mongolienne,  donnent  plutôt  à 
penser  qu'il  s'agit  de  lissencéphalie. 

En  ce  qui  concerne  les  troubles  intellectuels,  il  était  classique,  jadis, 
de  les  attribuer  à  une  lésion  i\u  lobe  préfrontal.  Mieux  vaut  rappeler  que 
l'intelligence  ne  peut  être  intacte  quand  les  mouvements  ne  permettent 
pas  à  l'enfant  d'acquérir  des  sensations  (Baldwin),  quand  les  fonctions 
nerveuses  élémentaires  sont  altérées,  et  adopter  la  brillante  conception 
du  professeur  Dupré,  pour  lequel,  «  comme  la  lumière  blanche  dans 
le  spectre,  comme  la  symphonie  dans  un  orchestre,  l'intelligence,  dans 

l'encéphale,  a  ses  origines  et  son   siège  partout,  son  centre  nulle'parl   ». 


Fig   22.  —  Adénomes  sébacés  du  la  l«ce  (JaCOBI.  ) 


LES  ENCÉPHALOPATHIES  INFANTILES  255 

Vous  n'ignorez  pas,  Messieurs,  ce  que  les  Lacédémoniens  faisaient 
des  enfants  malformés.  Ils  les  jetaient  à  l'Eurotas.  Ces  Grecs  avaient 
vraiment  l'esprit"  rude.  Nous  autres,  modernes,  nous  concevons  de 
tout  autre  manière  nos  obligations  vis-à-vis  de  ces  infortunés.  Nous 
leur  devons  le  meilleur  de  nous-mêmes.  Et  c'est  surtout  en  ce  qui 
concerne  les  soins  à  leur  donner  que  «  nous  n'avons  besoin  ni  d'espé- 
rer, pour  entreprendre,  ni  de  réussir  pour  persévérer  ». 

Trois  traitements  :  préventif,  curatif,  symptomatique. 

Préventif,  il  comporte  lui-même  diverses  indications  : 

D'abord,  et  avant  tout,  il  s'efforcera  de  dépister  l'hérédo-syphilis  par 
tous  les  moyens  :  enquête  familiale  (Fournier),  recherche  systématique 
de  la  réaction  de  B.-W.  chez  les  femmes  entrant  dans  une  maternité 
(Wassermann,  Gordon),  et,  en  cas  de  résultat  positif,  de  recourir,  sans 
délai,  aux  médications  spécifiques  :  mercure  et  salvarsan,  celui-ci,  sous 
forme  d'injections,  celui-là,  sous  forme  de  frictions  (L.  Findlay). 

Il  cherchera  ensuite  à  réaliser  Yeugénie  la  plus  parfaite,  en  indiquant 
aux  conjoints,  toutes  les  fois  qu'il  sera  possible,  la  nécessité,  pour  la 
conception,  de  s'effectuer  dans  les  meilleures  conditions,  pour  la  gros- 
sesse, d'être  constamment  soumise  à  une  étroite  surveillance  médicale. 

Il  veillera,  enfin,  à  réduire  au  minimum  les  traumatismes  obstétri- 
caux. En  cas  de  naissance  en  état  d'asphyxie  et  de  convulsions  subin- 
trantes,  les  ponctions  lombaires  répétées  s'imposent.  Quant  aux  opéra- 
tions récemment  conseillées  :  ouverture  large  par  craniotomie,  avec 
évacuation  complète,  puis  fermeture  (Harvey  Cushing,  1905),  ponctions 
larges  au  bistouri,  avec  évacuation  incomplète  (Ch.  C.  Simmons,  1912), 
elles  sont  trop  graves  et  trop  délicates  pour  entrer  dans  la  pratique  cou- 
rante. 

Curatif,  il  s'adresse   : 

Aux  médications  chimiques  :  surtout  traitement  spécifique,  sous  forme 
de  mercure  en  frictions  et  d'arsenicaux  :  arséno  ou  novarsénobenzols, 
hectine,  celle-ci    en  cas  d'épilepsie  (Tinel,  Babonneix); 

A  Yopothérapie,  au  sujet  de  laquelle  nous  voudrions  faire  quelques 
remarques  :  1°  les  extraits  glandulaires  doivent  d'abord  être  essayés 
l'un  après  l'autre;  lorsqu'on  aura  déterminé  quel  est  le  plus  actif,  on 
lui  donnera  la  première  place  dans  le  traitement;  2"  une  médication 
donnée  risquant,  à  la  longue,  ou  de  fatiguer  l'organisme,  ou  d'épuiser 
ses  effets,  il  faudra  l'interrompre  de  temps  à  autre;  3°  dans  l'intervalle, 
on  recourra  à  la  polyopothérapie,  d'autant  plus  recommandable  que, 
dans  les encéphalôpathies  infantiles,  les  glandes  vasculaires  sanguines 
sont  toutes  plus  ou  moins  lésées,  sans  qu'il  soit  toujours  facile  de  dire 


256  /■•    B  VBO  \  \  El  \ 


si  ces  lésions  sont  cause  on  effet  ;  4"  la  médication  thyroïdienne,  admi- 
nistrée avec  prudence,  convient  à  la  plupart  des  cas. 

Le  traitement  spécifique  améliore  parfois,  exceptionnellement  même 
guérit  certains  troubles  moteurs  :  convulsions  (Gaucher),  épilepsie 
(Fournier*  Hutinel,  Tinel),  hémiplégie  infantile  (Audry,  Babinski,  Mar- 
fan,  Sorel),  maladie  de  Little  (Fournier  et  Gilles  de  la  Tourette,  Gallois 
et  Springer).  L'opothérapie  contribue  à  atténuer  les  troubles  intellec- 
tuels. En  cas  de  syndrome  mixte,  à  la  fois  intellectuel  et  moteur,  on 
associera  les  deux  traitements:  médication   spécifique   et  opothérapic. 

A  la  psychothérapie,  découverte  par  Séguin,  perfectionnée  par  Bour- 
neville,  et  cpii,  s'inspirant  des  recherches  effectuées  par  les  Ecoles  belge 
et  suisse,  utilisera  des  méthodes  différentes,  selon  que  le  patient  est  un 
visuel  ou  un  auditif. 

Quant  aux  trépanations,  pratiquées  par  Lannelongue  en  cas  de  micro- 
céphalie,  elles  n'ont  abouti  qu'à  des  échecs.  Rien  de  plus  simple  à  com- 
prendre. Avec  Virchow,  cet  auteur  croyait  que,  si  le  cerveau  ne  se 
développe  pas,  en  cas  de  microcéphalie,  c'était  parce  qu'il  en  était 
empêché  par  la  s\mostose  prématurée  des  membranes.  Or,  cette  synos- 
tose  n'est  nullement  la  cause  de  la  microcéphalie  :  elle  n'en  est  que 
l'effet.  Si  bien  qu'agir  sur  celle-là  n'améliore  en  rien  celle-ci.  Mêmes 
réflexions  au  sujet  des  craniectomies  larges  et  tardives  recommandées, 
en  1915,  par  W.  Sharpe  et  B.  P.  Farrell. 

Dans  la  plupart  des  cas,  traitement  préventif  et  euratif  ne  sont  plus 
de  mise  cpiand  le  malade  vous  est  conduit,  et  vous  devrez  vous  contenter 
d'un  traitement  sym]>tomatique,  sans  vous  faire  trop  d'illusion  sur  sa 
valeur.  Multiples  sont  ses  indications  : 

Empêcher  le  développement  des  infections  par  une  hygiène  bien 
entendue;  assurer  une  alimentation  sulïisante,  et  veillera  ce  qu'elle  soit 
prise  dans  les  meilleures  conditions; 

Ecarter  du  malade  toute  cause  d'excitation,  en  vous  rappelant  que 
rien  n'aggrave  son  état  comme  la  masturbation  et  les  excès  alcooliques 
( Beurne ville)  ; 

Lui  administrer,  en  cas  d'urgence,  quelques  calmants,  dont  le  type 
est  fourni  par  le  bromure  de  potassium  ; 

Le  mettre  hors  d'état  de  se  nuire  et  de  nuire  aux   autres; 

Lorsque  les  contractures  sont  très  marquées,  on  s'abstiendra  de  tout 
traitement  irritant:  bains  salés,  douches  froides,  électricité,  massages 
violents,  mouvements  passifs  d'amplitude  exagérée,  redressements  for- 
cés SOUS  anesthésie  générale,  et  l'on  combinera  les  trois  méthodes  sui- 
vantes : 


LES  EXCÉPHALOPATHIES  INFANTILES  257 

Physiothérapie,  sous  forme  de  mobilisation  passive,  très  douce,  et  de 
mobilisation  active,  de  rééducation  systématique,  très  précieuse,  mais 
qu'il  faut  réserver  à  ceux  chez  lesquels  existe  encore  quelque  lueur  d'in- 
telligence, d'extension  continue  prudente,  de  redressements  pro- 
gressifs ; 

Opérations  pouvant  porter  sur  les  tendons  et  sur  les  muscles  :  téno- 
tomies,  ou  mieux  dédoublements  tendineux,  exceptionnellement  myo- 
tomies;  sur  les  os  :  arthrodèses,  surtout  indiquées  dans  les  déviations 
latérales  du  pied,  et  qui  ne  doivent  être  effectuées  que  chez  des  adoles- 
cents ;  sur  le  système  nerveux:  section  des  racines  postérieures  (Fors - 
ter,  1908),  opération  dangereuse,  de  résultats  éloignés  souvent  médio- 
cres, et  qu'il  faut  réserver  aux  sujets  d'un  certain  âge,  d'intelligence 
suffisante,  et  présentant  des  contractures  d'une  intensité  extrême;  sec- 
tion de  certains  nerfs  ou  injections  d'alcool  dans  ces  mêmes  nerfs,  préa- 
lablement mis  à  nu,  surtout  en  cas  d'athétose; 

Port  d'appareits  orthopédiques,  après  tout  traitement  opératoire, 
d'abord  inamovibles,  puis,  aussitôt  que  possible,  amovibles. 

Telles  sont  les  principales  indications  du  traitement  symptomatique. 
C'est  à  les  remplir  exactement  que  vous  devrez  vous  efforcer.  Tâche 
pénible,  tâche  ingrate,  mais  à  laquelle  vous  saurez  vous  astreindre, 
mettant  en  pratique  la  devise  chère  à  toute  àme  bien  née  :  v<  Aux  plus 
«  déshérités,  le  plus  d'amour  !  » 


CONFIER.    NEUKOL.  17 


NEUVIEME  CONFÉRENCE 


M.  le  Dr  ANDRE  LERI 

professeur  agrégé   à  la  Faculté  de  médecine,  médecin  de   l'hôpital    Cochin. 

LES    ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES 

Messieurs, 

\yous  savez  le  rôle  considérable  que  joue  la  syphilis  dans  l'étiologie 
des  maladies  du  système  nerveux  en  général,  et  dans  celles  de  la 
moelle  en  particulier.  Certains  esprits  malicieux  affirment  même  avec 
quelque  ironie,  tant  ce  rôle  paraît  capital,  que  le  traitement  antisy- 
philitique est  la  seule  ressource  thérapeutique  du  neurologiste.  Assu- 
rément ils  exagèrent  beaucoup.  Il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que 
la  notion  de  la  syphilis  dans  l'étiologie  des  maladies  nerveuses  a  été 
l'acquisition  la  plus  féconde  pour  la  thérapeutique  de  ces  affec- 
tions. 

Cette  notion  n'a  pas  été  admise  d'emblée,  tant  s'en  faut  ;  elle  ne  s'est 
imposée  que  petit  à  petit  et  lentement.  Les  maladies  de  la  moelle  ont 
été  d'abord  décrites  comme  des  entités  anatomo-cliniques:  elles  recon- 
naissaient une  symptomatologie  relativement  fixe,  elles  étaient  basées 
sur  des  lésions  anatomiques  systématiques,  c'est-à-dire  occupant  essen- 
tiellement tel  ou  tel  «  système  »  défibres  ou  de  cellules.  Ce  n'est  que 
beaucoup  plus  tard  que,  pour  chacune  d'elles,  on  a  songé,  si  l'on  peut 
dire,  à  «  penser  étiologiquement  ». 

Ainsi  le  tabès  fut  d'abord  décrit  par  Duchenne  de  Boulogne  en  1858 
comme  une  sclérose  systématique  des  cordons  postérieurs.  En  1876 
seulement,  dix-huit  ans  plus  tard,  Fournier  commença  à  enseigner  la 
nature  syphilitique  du  tabès  ;  cette  conception  essentiellement  fran- 
çaise fut  définitivement  admise  plus  tard  encore,  quand  elle  nous 
revint  d'Allemagne  avec  les  publications  d'Erb  qui  datent  de  1879  et 
1881. 

Bien  longtemps  après,  en   1892,  la  plus   commune   des  paraplégies 


1 


i  mu; i    i  i  ni 


spasmodiques   lut  décrite  par  Erb  comme  une  affection  syphilitique. 

L'histoire  des  amyotrophies  progressives  ;i  subi  la  même  évolution, 
i't  c'est  plus  tardivement  encore  qu'elles  ont  été  reconnues  comme 
des  affections  généralement  spécifiques. 

Les  atrophies  musculaires  progressives  ont  été  décrites  par  l)u- 
chenne  de  Boulogne  en  1849;  Aran,  l'année  suivante,  confirma  cette  des- 
cription ;  il  en  apportait  onze  observations  :  ces  auteurs  considé- 
raient ces  amyotrophies  comme  des  lésions  primitivement  musculaires. 
Cruveilhier  en  1853  remarqua  les  altérations  des  racines  antérieures,  et 
Luys  en  1860  lit  connaître  l'atrophie  des  cellules  des  cornes  antérieures. 
Prévost  et  David  en  18(H)  localisèrent  même  la  lésion  de  l'amyotropbie 
Ducbenne-Aran  au  niveau  des  cellules  antérieures  des  VIIe  et  VIIIe 
segments  cervicaux,  c'est-à-dire  au  niveau  des  segments  médullaires  qui 
fournissent  surtout  l'innervation  aux  petits  muscles  delà  main.  Dès  lors, 
il  fut  admis  sans  conteste  qu'il  s'agissait  d'une  lésion  primitive  et  systé- 
matique des  cellules  radiculaires  des  cornes  antérieures,  d'une  polio- 
myélite antérieure  chronique  ;  et  Duchenne  de  Boulogne  lui-même 
adopta  nettement  cette  conception  en  1872. 

Elle  ne  varia  plus  jusqu'en  1893.  Entre  temps  certains  auteurs 
avaient  bien  signalé  la  syphilis  dans  les  antécédents  de  certains  amyo- 
tropbiques,  mais  sans  y  attacher  aucune  importance  :  pour  presque  tous 
il  n'y  avait  là  qu'une  coïncidence  ;  seuls  Hammond,  Niepce  et  Four- 
nier  '  indiquèrent  une  relation  possible  de  causalité  entre  la  syphilis  et 
l'amyotropbie. 

Cette  relation  de  causalité  fut  établie  par  le  professeur  Raymond  -  eu 
1893  :  il  signala  quelques  cas  d'atrophie  musculaire  à  marche  progres- 
sive «  chez  des  syphilitiques  »  et  parla  prudemment  des  relations 
«  éventuelles  »  de  la  syphilis  avec  l'évolution  de  la  maladie.  Ces  rela- 
tions étaient  appuyées  sur  des  constatations  anatomiques  de  première 
importance  :  Raymond  avait  vu  (pie  la  lésion  ne  consistait  pas  en  une 
atrophie  simple  et  essentielle  des  cellules  des  cornes  antérieures,  mais 
bien  en  unv  méninyo-myélile  diffuse  à  point  de  départ  vasculaire  ;  les 
altérations  vasculaires  étaient  occasionnellement  systématisées  au\  cornes 
antérieures  et  déterminaient  secondairement  l'atrophie  de  leurs  éléments 
cellulaires. 

Raymond  ne  considérait  ces  amyotrophies  syphilitiques   que  comme 

1.  Hammond  Traité  des  maladies  »lu  système  nerveux,  1879.—  Nibpcb.  Atrophie  mus- 
culaire progressive  chez  un  syphilitique.  Union  médicale,  1853,  Fournies.  Affections 
parasyphili  tiques. 

2    Raymond.  Soc.  médie.  dethàpit.,  1893. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  261 

t 
des  cas  exceptionnels  ;  la  conception  de  la  poliomyélite  primitive   n'en 
conservait  pas  moins  toute  son  importance. 

Cette  importante  publication  de  Raymond  n'eut  pas  grande  répercus- 
sion. Dans  les  années  qui  suivirent  on  continua  à  signaler  un  certain 
nombre  de  cas  où  la  syphilis  existait  dans  les  antécédents  d'amyotro- 
phicpies  et  était  peut-être  enjeu  dans  la  pathogénie  de  l'affection  ;  cer- 
tains, comme  Lannois  et  Lévy,  parlèrent  d'une  atrophie  musculaire 
syphilitique  «  simulant  »  l'amyotrophie  Aran-Duchenne.  Entre  temps, 
l'idée  même  d'une  entité  morbide  consistant  en  une  poliomyélite  anté- 
rieure chronique  primitive,  défendue  par  Dejerine  l  et  par  Jean  Char- 
cot  2,  avait  été  mise  en  doute  par  Pierre  Marie  en  1897  3. 

En  1903*,  nous  avons  pu  observer  en  un  temps  relativement  res- 
treint six  sujets  atteints  d'amyotrophies  progressives  de  type  spinal  : 
tous  les  six  étaient  des  syphilitiques.  Deux  autopsies  nous  montrèrent 
toutes  deux  des  lésions  de  méningo-myélite  vasculaire  diffuse  analogues 
à  celles  observées  par  Raymond. 

Une  recherche  rapide  dans  la  littérature  nous  révéla  immédiatement 
35  cas  où  la  s\rphilis  existait  pertinemment  dans  les  antécédents 
d'amyotrophiques.  Dans  une  trentaine  d'autres  cas,  des  amyotrophies 
exactement  analogues  s'étaient  produites  au  cours  de  deux  affections 
aujourd'hui  dûment  reconnues  syphilitiques,  le  tabès  et  la  paralysie 
générale.  Dans  quelques  cas,  le  traitement  antisyphilitique  avait  pro- 
duit un  résultat  favorable.  Enfin,  dans  nombre  d'autopsies  les  auteurs 
avaient  observé  non  pas  seulement  des  lésions  systématiques  des 
cellules  radiculaires  antérieures,  mais  bien  des  altérations  vasculaires 
très  manifestes  et  des  lésions  diffuses  de  la  moelle  ;  ces  lésions  occu- 
paient, outre  la  substance  grise,  des  parties  variables  et  plus  ou  moins 
étendues  des  cordons  blancs. 

Cet  ensemble  de  faits  nous  fit  admettre  que  les  amyotrophies  progres- 
sives sont  d'origine  syphilitique  non  pas  exceptionnellement,  mais  ordi- 
nairement ;  autrement  dit,  la  syphilis  est  la  cause  de  beaucoup  la  plus 
fréquente  des  lésions  spinales  qui  déterminent  les  amyotrophies  pro- 
gressives. 

Cette  conception  a  été  généralement  adoptée,  car  depuis  lors  de  très 
nombreux  exemples  d'amyotrophies  syphilitiques  ont  été  signalés  dans 

1.  De.h-.iune.  Soc.  de  Biologie.  1895. 

2.  J.  Charcot.    Thèse  de  Paris.  1893. 

3.  Pierre  Marie.  Revue  Xeurol.,  1897. 

4.  André  Léri.  Atrophies  musculaires  progressives   spinales  et  syphilis.  Congrès  des 
aliénisteset  neurologistes,   Bruxelles,  1903. 


262  I  \ /'/.'/    i  i  ni 


tous  les  pays.  En  1913,  nous  avons  relevé  avec  Lerougc  '  plus  de 
Si»  observations  d'amyotrophies  progressives  pures  d'origine  spéci- 
fique, plus  de  180  cas  si  nous  y  joignons  ceux  où  l'amyolrophie  était 
associée  à  an  tabès  ou  à  une  paralysie  générale.  D'autres  cas  ont  été 
rapportés  depuis  cette  date,  niais  actuellement  la  notion  est  devenue 
banale,  on  ne  publie  plus  les  observations  d'ainyotropbies  syphili- 
tiques, qui  sont  courantes. 

Les  chiffres  que  nous  venons  de  donner  n'auraient  par  eux-mêmes 
aucune  valeur,  si  on  ne  les  comparait  à  ceux  où  la  syphilis  a  été  sérieu- 
sement recherchée  et  n'a  pas  été  retrouvée  dans  les  antécédents  ou 
l'examen  des  amyotropbiques  :  or  le  nombre  de  ces  cas  est  infime.  De 
sorte  que  nous  pouvons  affirmer  aujourd'hui  (pie  Vamyolrophie  progres- 
sive spinale  de  l'adulte  est  une  maladie  syphilitique  presque  au  même  titre 
que  le  labes.  Il  y  a  bien  des  exemples  de  tabès  authentiques  où  la  re- 
cherche de  la  syphilis  s'est  montrée  négative,  tant  par  l'étude  des  anté- 
cédents et  l'examen  objectif  des  maladesque  par  les  recherches  de  labo- 
ratoire :  ce  n'est  pas  une  raison  pour  ne  pas  admettre  que  le  tabès 
est  une  affection  syphilitique.  lien  est  à  peu  prés  de  même  pour  l'amyo- 
trophie progressive  spinale. 


Voyons  maintenant,  Messieurs,  sous  quelles  formes  cliniques  se 
présentent  ces  amyotrophies  progressives  syphilitiques. 

Les  cas  les  plus  typiques  répondent  à  la  description  de  Duchenne  : 
c'est  la  main  dite  a"  A r an- Duché une  qui  les  caractérise.  Vous  savez  com- 
ment se  présente  cette  main  classique:  on  constate  d'abord  an  apla- 
tissement et  un  effacement  des  éminences  thénars  et  hypothénars  ;  il 
existe  un  méplat  à  la  base  du  pouce,  et  celui-ci  tend  à  se  porter  en 
arrière  et  à  se  mettre  sur  le  même  plan  que  les  autres  doigts  :  c'est  ce 
qu'on  appelle  la  «  main  de  singe  »  (fig.  3).  L'atrophie  de  l'hypothénar 
se  voit  sur  la  face  palmaire,  et  mieux  encore  quand  on  regarde  la  main 
par  sa  face  dorsale  :  au  lieu  d'être  saillant,  le  bord  cubital  devient 
concave. 

L'atrophie  des  interosseux  détermine  des  dépressions  verticales  entre 
les  métacarpiens  ;  la  dépression  est   particulièrement  accentuée    au  ni- 


1.  ANDRÉ  Lkhi  et  LerouqE.  Les  atrophies  musculaires  progressives  syphilitiques  1  H 
«  myélite  syphilitique  amyotrophique  ».  Gaz.  dit  hop.,  17  mai  1913.  —  Linon. i.  Thèse 
Paris,  1913. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES 


263 


veau  du  premier  interosseux,  entre  le  pouce  et 
l'index.  Les  doigts  se  fléchissent  à  angle  droit  clans 
leur  deuxième  phalange  et,  à  un  moindre  degré, 
dans  la  troisième,  alors  que  la  première  phalange 
reste  étendue  sur  le  métacarpe  :  c'est  la  «  main  en 
griffe  »  (fig.  1). 

Plus  tard,  par  suite  des  progrès  de  l'atrophie, 
tous  les  os  apparaissent  extrêmement  saillants  ; 
par  le  fait  de  l'atrophie  des  fléchisseurs  des  doigts 
ceux-ci  se  redressent  ;  par  suite  de  l'atrophie  des 
extenseurs  de  la  main  et  des  doigts  la  main 
devient  tombante  et  ballante  :  c'est  la  «.  main  de 
squelette  ». 

A  ce  moment,  l'affection  a  gagné  les  muscles  de   ^^w-Wfiï^.ï 

l'avant  bras    (fi°\    2),         Duchenne    de    Boulogne). 

les  masses  épicondy- 

liennes  et  épitrochléennes  sont  rempla- 
cées par  des  méplats.  Puis  les  muscles 
de  l'épaule,  le  deltoïde,  les  sus  et  sous- 
épineux,  les  pectoraux  sont  pris  à  leur 
tour  et  parfois,  plus  tardivement,  les  mus- 
cles du  bras,  triceps,  biceps  et  brachial 
antérieur.  Dans  certains  cas  seulement 
on  constate  l'atteinte  tardive  des  muscles 
des  membres  inférieurs. 

Toutes  ces  amyotrophies  présentent 
deux  des  caractères  essentiels  des  amyo- 
trophies spinales  :  les  contractions  fibril- 
laires  sur  les  muscles  en  voie  de  dépé- 
rissement et  la  réaction  électrique  de 
dégénérescence. 

Mais,  en  fait,  la  main  d'Aran-Duchenne 
est  bien  loin  d'être  spéciale  aux  amyotro- 
phies syphilitiques  ;  elle  ne  constitue 
qu'un  syndrome,  commun  à  toute  une  série 
d'affections  et  dénotant  simplement  une 
Fig.  2.  —  Atrophie  musculaire  progrès-   ] é s î o n   des   cornes  antérieures   au  niveau 

tive  par  méningo-mvélite  syphilitique.  »T»i  ttttt  •  Cil 

Mains  d'Aran-Duchenne,  atrophie   des    des  \  I  Ie  et    \  IIIe  Segments  CCrVICaUX.  tAlC 
avant  bras  ;  atteinte  tardive  des  mem-  ,.  ,  ,-    .  ,  1_„_      1_ 

bres  inférieurs.  est    particu  1  lèrement    Ircqueute    dans     la 

syringomyélie  et  surtout  dans  la  sclérose 


264 


i  \  mu:  LÉRl 


latérale  amyotrophique  :  le  malade  que  je  vous  présente  comme  un 
t\|>r  de  main  d'Aran-Duchenne  est,  en  réalité,  atteint  de  sclérose 
latérale  amyotrophique.  Les  sujets  chez  qui  ce  type  de  main  s'observe 
pur,  par  amyotrophie  progressive,  indépendamment  des  troubles 
spasmodiques  de  la  sclérose  latérale  ou  sensilifs  de  la  syringomyélie, 
ne  sont  pas  exceptionnels;  ils  sont  pourtant  relativement  raies. 

Les}  cas  que  l'on  pourrait  dire  atypiques,  en  ce  sens  qu'ils  ne  pré- 


Fig.  3.  —  Mains  du  même  malade.  Atrophie  des  éminences  thenars  et 
hypothénars,  surtout  à  gauche.  Tendance  au  «  pouce  de  singe  ».  Dépres- 
sion des  espaces  interosseu*. 


sentent  pas  la  main  classique  d'Aran-Duchenne,  sont  presque  la  régie 
dans  les  amyotrophies    syphilitiques.    Celles-ci    offrent    une    grande 

variabilité   dans    leur  localisation  :    les  deux  malades  que   j'ai    amenés 
devant  vous  en  sont  des  exemples. 

L'un  est  un  homme  de  60 ans,  qui  présente  une  Forme  d'amyotrophie 
que  l'on  peut  appeler  type  radial  (fig.  4),  par  opposition  à  la  main 
d'Aran-Duchenne  qui  mériterait  plutôt  la  dénomination  de  tijpe  cubital  ; 
cette  forme  paraît  particulièrement  fréquente,  si  l'on  consulte  les  rela- 
tions des  auteurs.  Comme  vous  le  constate/,  il  y  a  bien  chez  ce  malade 
une  atrophie  évidente  des  éminences  thénaret  hypolhénar  et  (les  inter- 
OSSeux,  atrophie  plus  prononcée  à  la  main  droite  (fig.  5]  ;  l'écartement 
et  le  rapprochement  des  doigts  se  l'ont  sans  grande  force,  mais  les 
doigts  ne  sont  pas  en  griffe.  Ce  n'est  pourtant  pas  par  les  petits  muselés 
de  la   main  que  l'amyotrophie  a  débuté  :  avant    tout    autre    signe,  il  y   a 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  265 


Fig.  4  —  Amyotrophie  syphilitique  à  «  type  radial  ».  Mains  pendantes,  le  malade  est 
incapable  de  les  relever.  Atrophie  des  avant-bras,  spécialement  du  coté  des  extenseurs. 
Cette  atrophie  simule,  à  première  vue,  une  double  paralysie  radiale. 


Fig.  5.  —  Mains  du  même  malade    Mains  plates,  demi-succulentes.  Atrophie  des  émincnces 
thénars,  surtout  à  droite.  Pas  de  déformation    en  griffe. 


266  »  \i>ni:  i  ÉR1 


deux  ans,  progressivement,  mais  rapidement,  il  a  vu  ses  mains  tomber, 
à  droite  d'abord,  plus  tard  à  gauche, el  il  a  été  incapable  de  les  relever; 
en  même  temps  l'abduction  du  pouce  est  devenue  impossible  ;  il  a 
pris  l'attitude  d'un  bomme  atteint   d'une   paralysie    radiale  bilatérale- 

Ces  mains  tombantes  sont,  en  outre,  plates,  molles,  demi- succulentes, 
les  doigts  sont  allongés,  en  fuseaux  ;  non  seulement  l'extension  des 
doigts  est  impossible  quand  on  relève  le  poignet,  mais  leur  flexion  est 
très  réduite,  surtout  pour  l'index  et  le  médius.  En  somme,  mise  à  part 
l'attitude  tombante  de  la  main  radiale,  chaque  main  de  ce  malade  rap- 
pelle l'aspect  de  celles,  dont  nous  avons  vu  tant  d  exemples  pendant  la 
guerre,  qui  dénotent  une  blessure  simultanée  du  médian  et  du  cubi- 
tal. 

L'amyotrophie  remonte  maintenant  tout  le  long  des  membres  supé- 
rieurs. Elle  envahit  les  avant-bras  qui  sont  atrophiés  en  masse,  autant 
du  côté  des  muscles  épieondyliens  extenseurs  que  des  épitrochléens 
fléchisseurs  ;  le  long  supinateur  est  remarquablement  conservé  et  forme 
une  corde  d'autant  plus  saillante  que  la  musculature  avoisinante  est  plus 
déprimée  et  plus  inerte.  Les  bras  sont  atrophiés  dans  leurs  muscles 
antérieurs,  et  la  flexion  de  lavant-bras  se  fait  sans  force,  surtout  à 
droite  ;  l'extension  de  l'avant- bras  résiste  assez  bien  aux  efforts  de 
flexion  passive,  mais  on  voit  sans  peine  que  le  triceps  est  pourtant  for- 
tement diminué  de  volume.  Le  deltoïde  apparaît  nettement  atrophié, 
ainsi  que  le  grand  pectoral  droit.  Les  sus  et  sous-épineux,  les  trapèzes 
et    sterno-cléido-mastoïdiens    paraissent  à  première  vue  normaux. 

Des  contractions  librillaires  s'observent  surtout  sur  certains  muscles 
modérément  ou  peu  atrophiés,  comme  le  deltoïde  ou  le  sous  épineux 
droit.  Tous  les  réflexes  tendineux  des  membres  supérieurs  (radial, 
cubito  pronateur.  olécranien,  radio-fléebiseur  des  doigts)  font  com- 
plètement défaut. 

L'autre  malade  est  un  bomme  de  53  ans  ;  il  présente  une  localisation 
de  l'amyotrophie  que  l'on  peut  appeler  type  brachial  (fig.  6  et  7).  Les 
mains  sont,  en  effet,  à  peu  près  indemnes  :  c'est  à  peine  si  l'on  constate 
une  dépression  peu  sensible  de  l'éminence  tliénar  à  gauche  et  si,  à 
droite,  l'écartement  et  le  rapprochement  des  doigts  se  font  avec  quel- 
que faiblesse.  L'extension  cl  la  flexion  de  la  main  s'exécutent  assez,  bien, 
sauf  pourtant  en  Ce  qui  concerne  l'extension  du  médius  droit  :  ce  doigt 
reste  à  demi  pendant,  de  sorte  cpie  le  malade  (t  fait  les  cornes  »,  non  pas 
à  la  façon  d'un  saturnin  avec  le  2e  et  le  5°  doigt,  mais  avec-  le  '2  et  le  4*". 
Les  avant-bras  présentent  une  atrophie  modérée  qui  porte  mil-  les 
épitrochléens  et,  à  droite,  sur  les  épieondyliens. 


LES'  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES 


267 


Fig.  6    et  7.  —    Amyotrophie   syphilitique  à  «    type  brachial  « .    Les  mains  sont  presque  indemnes,  les 
avant-bras  sont  peu  touchés.   les  bras  et  les  muscles  de    la  ceinture  scapulaire    sont    très    atrophiés. 
II  y  a,  à  première    vue.  une  certaine  ressemblance  avec    la  myopathie  à  type  scapulo-huméral,  mais 
la   lésion  est  indiscutablement  spinale  et  non  myopathique. 


268        •  l  \hi;i    I  l ■■/;/ 


Mais  ce  qui  domine  surtout  chez  ce  sujet,  c'est  l'atrophie  considé- 
rable tics  bras,  tout  à  fait  disproportionnée  avec  le  volume  des  segments 
distaux  :  les  bras  ont  l'air  de  manches  à  balai  auxquels  sont  appendus 
des  avant-bras  relativement  indemnes  et  des  mains  intactes. 

A  gauche,  l'atrophie  du  bras  est  à  peu  près  totale  ;  elle  porte  sur  le 
biceps  et  le  brachial  antérieur,  le  long  supinateur  y  participe,  et  le 
malade  est  tout  à  l'ait  incapable  de  fléchir  son  bras  ;  elle  porte  aussi  sur 
le  triceps,  et  seule  la  conservation  d'une  partie  du  vaste  interne  permet 
au  malade  d'étendre  lavant-bras.  La  tète  numérale  fortement  saillante 
roule  sous  la  peau  par  suite  de  la  disparition  du  deltoïde.  Les  fosses 
sus  et  sous-épineuses  sont  fortement  creusées.  L'atrophie  du  trapèze 
détermine  en  haut  un  méplat  de  la  nuque  à  gauche  de  la  ligne  mé- 
diane, en  bas  un  écartement  de  l'omoplate  que  le  malade  ne  peut  rap- 
procher de  sa  colonne  vertébrale. 

A  droite,  l'atrophie  est  différemment  localisée,  et  vous  voyez  là  un 
exemple  remarquable  d'un  des  caractères  fréquents  des  amyotrophies 
syphilitiques,  à  savoir  une  grande  inégalité  d'un  côté  à  l'autre  et  une 
grande  irrégularité  de  distribution.  L'atrophie  est  moindre  à  droite  qu'à 
gauche  sur  le  biceps  et  surtout  sur  le  long  supinateur,  de  telle  sorte  que 
le  malade  peut  légèrement  fléchir  son  avant-bras  ;  elle  est  moindre  sur 
le  deltoïde,  qui  matelasse  légèrement  la  tète  numérale  ;  elle  est  moindre 
sur  le  grand  dentelé,  de  sorte  que  le  bord  interne  de  l'omoplate  n'est 
pas  décollé  à  droite  comme  à  gauche.  Au  contraire,  elle  est  plus  accen- 
tuée à  droite  sur  le  triceps  brachial,  au  point  que  le  malade  est  tout  à 
fait  incapable  de  faire  la  moindre  extension  de  l'avant-bras  droit  ;  elle 
est  plus  marquée  sur  les  pectoraux,  et  le  creux  sus-claviculaire  est  pro- 
fondément déprimé. 

Des  contractions  fibrillaires  continues  et  très  intenses  dessinent 
sous  la  peau  une  ondulation  permanente,  un  remous  de  vagues,  notam- 
ment sur  le  deltoïde  droit,  sur  le  grand  pectoral  ou  le  triceps  gauche,  et 
le  malade  a  en  partie  conscience  de  ces  frétillements  sous-cutanés.  Les 
réflexes  tendineux  sont  tous  abolis  aux  membres  supérieurs,  à  l'excep- 
tion pourtant  du  radial  droit. 

Les  deux  malades  avouent  leur  syphilis  :  chez  l'un,  elle  date  de 
10  ans,  l'amyotrophie  a  commencé  il  y  a  2  ans,  c'est-à-dire  huit  ans 
après  ;  chez  l'autre,  elle  remonte  à  .">;>  ans,  l'amyotrophie  semble  avoir 
débuté,  malgré  quelques  réponses  divergentes,  il  y  a  environ  8  ans, 
c'est-à-dire  25  ans  après  le  chancre.  Ce  sont  des  termes  nor- 
maux ;  l'amyotrophie  des  syphilitiques  survient  en  gênerai  de  /  à 
15  OU  20  ans  après  l'accident  initial.  Liant  donné    ce    que    nous  savons 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  269 

actuellement  des  rapports  de  la  syphilis  et  des  amyotrophies  progres- 
sives, il  n'y  a  aucune  difficulté  à  établir  une  relation  de  causalité  qui 
aujourd'hui  s'impose. 

Mais,  si  ces  sujets  ne  reconnaissaient  pas  leur  syphilis,  sur  quels 
signes  pourrions-nous  nous  baser  pour  dire  que  leur  amyotrophie  est 
d'origine  spécifique  ? 

Raymond,  qui  croyait  l'amyotrophie  syphilitique  l'exception  et  la 
non-syphilitique  la  règle,  avait  donné  trois  signes  qui  devaient  per- 
mettre de  penser  à  une  origine  spécifique  :  c'étaient  la  parésie  précé- 
dant l'atrophie,  l'existence  de  douleurs,  l'évolution  subaiguë. 

Pour  ce  qui  est  de  la  parésie  précédant  l  atrophie,  c'est  là  un  signe 
tout  théorique  ;  ce  dont  le  malade  s'aperçoit  d'abord  dans  l'immense 
majorité  des  cas,  ce  n'est  ni  d'une  parésie  ni  d'une  atrophie,  c'est  d'une 
gène  fonctionnelle  ;  c'est  pour  écrire,  pour  boutonner  ses  vête- 
ments, pour  cueillir  une  fleur  qu'il  se  sent  gêné  ;  il  serait  bien  inca- 
pable de  dire  si,  à  ce  moment,  il  y  a  ou  non  un  léger  méplat  de  ses  émi- 
nences  ou  une  dépression  de  ses  interosseux.  J'ai  conservé  le  souve- 
nir d'un  malade,  employé  aux  écritures,  homme  dune  intelligence  au- 
dessus  de  la  moyenne,  qui  présentait  une  atrophie  extrêmement 
accentuée  de  ses  mains,  presque  des  mains  de  squelette/ et  qui  fut  fort 
étonné  quand  nous  le  lui  fîmes  remarquerai  nes'en  était  jamais  douté  ! 
Tout  ce  qu'il  avait  vu,  c'est  qu  il  ne  pouvait  presque  plus  se  servir  de 
ses  mains. 

Des  douleurs  se  montrent  au  cours  de  beaucoup  de  cas  d'amyotro- 
phies  syphilitiques  ;  il  serait,  en  effet,  naturel  qu'elles  existent  au  cours 
d'une  myélite  vasculaire  diffuse,  surtout  quand  la  méninge  est 
atteinte,  plutôt  que  dans  des  lésions  systématiques  des  cornes  anté- 
rieures, au  cas  où  semblables  lésions  existeraient.  En  fait,  les  amyo- 
trophies par  méningo-myélite  syphilitique  les  plus  avérées  évoluent 
souvent  de  façon  absolument  indolore  ;  de  nos  deux  malades  présents, 
le  premier  a  eu  des  douleurs  dans  l'épaule  et  le  bras  droit,  le  second 
n'a  jamais  eu  la  moindre  douleur. 

Une  évolution  subaiguë  ou  relativement  rapide  de  l'amyotrophie 
s'observe  quelquefois  à  la  suite  de  la  syphilis,  mais  non  pas  toujours, 
tant  s'en  faut.  Chez  le  premier  de  nos  deux  malades  l'atrophie  aurait 
débuté  il  y  a  deux  ans  seulement,  mais  chez  le  second  elle  date  de 
8  ans  et  a  progressé  très  lentement.  Un  de  nos  anciens  sujets  est  mort 
16  ans  après  le  début  de  l'affection,  un  autre  était  encore  parfaitement 
bien  portant,  l'atrophie  mise  à  part,  18  ans  après. 

Nous  n'accordons    donc  guère  de  valeur  aux    trois  signes    signalés 


270  i  \hi;i    LÉR1 


par  Raymond,  basés  sur  l'évolution  de  l'atrophie,  et  nous  croyons 
«pu-  dans  cette  évolution  même  aucun  signe  ne  nous  permet  dé  dis- 
tinguer  avec  quelque  probabilité  une  atrophie  spécifique  d'une  amyo. 
trophie  non  spécifique. 

En  revanche,  un  certain  nombre  de  signes  commencent  à  être 
aujourd'hui  bien  connus,  dont  les  uns  permettent  de  reconnaître  que 
le  sujet  est  syphilitique,  les  autres  que  la  syphilis  a  touché  son 
système   nerveux  central. 

Ainsi  on  peut  observer  chez  le  malade  la  coexistence  d'accidents  net- 
tement spécifiques,  comme  des  gommes  par  exemple  (dans  le  cas  de 
Lannois  et  Lévy),  ou  des  signes  d'hérédo-syphilis  comme  une  kératite 
interstitielle. 

Mais,  quand  nous  nous  trouvons  en  présence  d'accidents  présumés 
syphilitiques  tardifs,  comme  une  amyotrophie,  c'est  de  trois  côtés  sur- 
tout qu'il  faut  toujours,  de  parti  pris,  porter  notre  investigntion  :  du 
côté  de  la  langue,  du  côté  de  l'aorte,  du  côté  des  pupilles.  L  aortite, 
chez  un  malade  qui  n'a  pas  atteint  l'âge  de  l'athérome,  constituera  une 
grande  présomption  de  syphilis.  La  lencoplasie  buccale,  et  surtout 
linguale,  quand  elle  sera  nettement  accentuée,  en  sera  un  signe 
presque  certain  L'examen  des  pupilles  nous  fournira  un  élément 
d'appréciation  de  plus  ;  il  nous  permettra  souvent  d'affirmer  non  seule- 
ment que  le  malade  est  syphilitique,  mais  encore  que  la  syphilis  a 
touché  son  système  nerveux  central.  MM.  Babinski  et  Charpentier, 
ont,  en  effet,  montré  que  le  signe  dWrgijlt-liobertson,  c'est-à-dire 
l'abolition  du  réflexe  pupillaire  à  la  lumière  avec  conservation  du 
réllexe  à  la  distance,  n'est  pas,  comme  on  le  croyait,  un  symp- 
tôme de  tabès,  mais  seulement  un  signe  de  syphilis  du  système 
nerveux  central,  signe  souvent  précoce  et  cliniquement  unique, 
accompagné  d'ailleurs  de  lymphocytose  du  liquide  céphalo-rachi- 
dien. 

Pour  en  revenir  à  nos  deux  malades,  l'un  d'eux  seulement,  le  malade 
à  l'amyotrophie  type  brachial,  présente  simultanément  une  leucoplasie 
très  marquée  et  une  grosse  inégalité  pupillaire  avec  signe  d'Argyll  : 
ce  serait  plus  qu'il  n'en  faut  pour  affirmer  que  son  système  nerveux 
est  touché  par  la  syphilis  et  que,  malgré  1  absence  absolue  de  douleurs, 
malgré  la  lente  évolution  de  son  amyotrophie,  celle-ci  est  presque  Cer- 
tainement d'origine   syphilitique. 

Mais  nous  sommes  aujourd'hui  en  possession  d'épreuves  de  labora- 
toire qui  nous  permettent  souvent,  elles  aussi,  de  reconnaître  soit  que 
le  sujet  est  simplement  syphilitique,   soit  qu'il   l'est  dans  son  système 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  271 

nerveux  central  :  nous  voulons  parler  de  la  réaction  de  Wassermann 
et  de  la  lymphocytose  céphalo-rachidienne. 

La  réaction  de  Wassermann  est  positive  dans  le  sérum  sanguin  de 
notre  premier  malade  ;  elle  est  négative  chez  le  second,  dont  l'infection 
date  de  beaucoup  plus  longtemps  ;  mais  on  sait  qu'une  réaction  néga- 
tive n'a  pas  de  valeur  contre  la  présomption  de  syphilis,  et  c'est 
précisément  chez  ce  second  malade  que  nous  avons  constaté  deux 
signes  cliniques,  leucoplasie  et  signe  d  Argyll,  dont  la  concomitance, 
même  en  l'absence  de  tout  antécédent  reconnu,  nous  permettrait  d'af- 
firmer  la  syphilis. 

D'ailleurs,  chez  l'un  et  l'autre  de  nos  malades,  nous  avons  constaté 
une  abondante  lymphocytose  céphalo-rachidienne.  Assurément  la 
lymphocytose  n'a  pas  la  valeur  d'un  signe  certain  de  syphilis  ner- 
veuse, mais,  en  dehors  de  la  syphilis,  on  ne  l'observe  guère  que  dans 
certaines  affections  d'évolution  toute  différente,  comme  la  méningite 
tuberculeuse  ou  comme  quelques  tumeurs  cérébrales.  Elle  prend  une 
valeur  que  l'on  peut  dire  absolue  quand,  en  même  temps,  la  réaction 
de  Wassermann  est  positive  dans  le  liquide  cérébro-spinal  :  or,  c'est 
précisément  ce  qui  se  produit  chez  nos  deux  malades,  même  chez  celui 
dont  la  réaction  est  négative  dans  le  sérum  sanguin. 

Je  dois  ajouter  que,  si  la  lymphocytose  céphalo-rachidienne  est  la 
règle  au  cours  delà  myélite  ou  de  la  méningo-myélite  vasculaire  diffuse 
de  la  syphilis  productrice  des  amyotrophies  progressives,  elle  n'est 
pourtant  pas  constante  ni  obligatoire  ;  il  y  a  des  amyotrophies  pro- 
gressives spinales  syphilitiques  sans  lymphocytose  ;  l'étude  anato- 
mique  nous  montrera  que  cette  apparente  anomalie  peut  tenir  soit 
à  l'existence  d'une  lésion  vasculaire  purement  intra-médullaire  et 
non  méningée,  soit  à  la  sclérose  tardive  d'une  méningite  à  caractère 
d'abord  inflammatoire. 

J'ai  jusqu'ici  négligé  l'un  des  signes  cliniques  qui  peut  permettre 
souvent  d'affirmer  qu'une  amyotrophie  progressive  est  d'origine  syphi- 
litique :  c'est  Yassociation  de  cette  amyotrophie  à  des  symptômes  de 
tabès  ou  de  paralysie  générale .  De  nombreuses  théories  ont  été  émises 
sur  l'origine  des  amyotrophies  dans  le  tabès  ;  en  fait,  ces  amyotro- 
phies, très  dissemblables  les  unes  des  autres,  semblent  bien  tenir  à 
des  causes  diverses.  Mais  on  observe  au  cours  du  tabès  certaines 
amyotrophies  progressives  qui  ne  diffèrent  en  rien  des  amyotrophies 
progressives  pures,  sans  signes  de  tabès  ;  il  n'y  a  pas  de  raison 
clinique  qui  permette  de  leur  attribuer  des  origines  différentes.  Or, 
anatomiquement,  ni    le    tabès    ni  l'amyotrophie    progressive    ne  sont 


l  VDRÉ  LÊRl 


aujourd'hui  considérés  comme  des  affections  étroitement  systéma- 
tiques des  cordons  postérieurs  OU  des  cornes  antérieures  ;  l'un  et 
l'autre  paraissent  être  des  localisations  occasionnellement  systéma- 
tisées d'une  méningo-myélite  plus  ou  moins  diffuse  et  d'ordre  plus  ou 
moins  purement  vasculaire  ;  l'un  et  l'autre  ont  pour  commune  étio- 
logie  la  syphilis.  11  semble  donc  légitime  de  considérer  leur  conco- 
mitance comme  résultant  de  la  localisation  simultanée  du  même 
processus  spécifique  sur  deux  régions  de  la  moelle,  celle  des  racines 
et  des  cordons  postérieurs  et  celle  des  cornes  et  des  racines  anté- 
rieures. 

Nos  deux  malades  ne  présentent  pas,  à  proprement  parler,  de  signes 
de  tabès  :  ils  n'ont  ni  douleurs  fulgurantes,  ni  crises  viscérales, 
ni  incoordination,  ni  même  les  petits  troubles  urinaires  minimes, 
gouttes  précoces  ou  retardataires  ou  mictions  retardées,  qui  sont  pres- 
que constants  dès  le  début  du  tabès.  Mais  l'un  et  l'autre  n'ont  plus 
aucun  réflexe  tendineux  aux  membres  inférieurs  ;  les  réflexes  rotuliens 
et  achilléens  sont  chez  tous  deux  complètement  absents.  Il  en  est 
d'ailleurs  de  même  chez  un  grand  nombre  de  sujets  atteints  d'amyo- 
trophie  syphilitique.  Est-ce  une  raison  suflisante  pour  admettre  que  ces 
amyotrophiques  sont  des  tabétiques,  qu'ils  présentent  un  tabès 
monosymptomatique,  réduit  au  signe  de  Westphal  ?  Nous  ne  le  croyons 
pas,  en  ce  sens  que  nous  ne  pensons  pas  qu'ils  soient  forcémentvoués 
à  l'évolution  progressive  plus  ou  moins  fatale  d'un  tabès  vulgaire. 
Mais  assurément  cette  aréflexie  nous  paraît  reconnaître  même  cause 
que  le  signe  de  Westphal,  à  savoir  la  méningite  postérieure  syphi- 
litique et  la  radiculite  qui  en  est  la  conséquence  Ce  sont,  si  l'on 
veut,  des  tabétiques  «  en  puissance  »,  mais  dont  l'affection,  surprise 
dès  ses  débuts  par  suite  même  de  la  concomitance  de  l'amyotrophie, 
peut  être  jugulée  et  rester  cliniquement  limitée  à  l'abolition  des 
réflexes. 

Nombre  de  ces  signes,  on  le  voit,  prouvent  que  le  système  nerveux 
est  touché  par  le  virus  syphilitique  et  indiquent  que  l'amyotrophie 
spinale  ne  survient  pas  seulement  «  chez  des  syphilitiques  »,  mais 
parle  fait  même  de  la  syphilis,  qu'elle  est  d'origine  syphilitique. 

Pas  un  seul  de  ces  signes  n'est  constant,  il  est  vrai,  tous  peuvent 
faire  défaut,  et  aucun  n'est  rigoureusement  pathognomonique  de  la 
syphilis  amyolrophique  ;  mais  presque  toujours  l'un  un  l'autre  de  ces  si- 
gnes  existe  dans  les  amyotrophies  à  évolution  progressive  :  il  suffît  de 
songer  à  le  rechercher  pour  le  découvrir. 

Et  c'est  précisément   parce  qu'il    est  exceptionnel    que,  par  l'examen 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  273 

soigneux  d'un  an^'otrophique  pratiqué  de  parti  pris,  on  ne  décèle 
pas  quelque  signe  de  syphilis  et  souvent  de  syphilis  nerveuse  centrale, 
et  aussi  parce  qu'aucun  signe  ne  distingue  dans  son  allure  et  son 
évolution  une  amyotrophie  syphilitique  d'une  amyotrophie  progressive 
soi-disant  primitive  et  de  cause  mystérieuse,  que  nous  croyons  l'a- 
myotrophie  progressive  spinale  une  affection  toujours  ou  presque 
toujours  syphilitique. 


Je  ne  vous  ai  parlé  jusqu'ici,  Messieurs,  que  des  atrophies  progres- 
sives localisées  aux  membres  supérieurs  ;  ce  sont  de  beaucoup  les 
plus  fréquentes.  Je  vous  ai  dit  pourtant  que  parfois,  tardivement, 
les  membres  inférieurs  sont  atteints  à  leur  tour.  Mais  il  n'en  est  pas 
toujours  ainsi,  et  dans  certaines  observations  c'est  précocement  que  les 
membres  inférieurs  sont  touchés.  Deux  cas  peuvent  se  présenter  dont 
nous  avons  vu   des  exemples. 

Parfois  les  membres  inférieurs  sont  atteints  dès  le  début,  les  membres 
supérieurs  le  sont  plus  tard.  Un  de  nos  malades,  par  exemple,  actuel- 
lement âgé  de  77  ans,  est  entré  dans  l'amyotrophie  il  y  a  douze  ans 
par  une  atteinte  progressive  de  la  musculature  des  membres  infé- 
rieurs, du  membre  inférieur  droit  principalement  ;  l'atrophie  a  frappé 
de  façon  intense  les  muscles  antéro-externes  de  la  jambe  et  ceux  du 
mollet,  et  plus  encore  le  quadriceps  crural  et  les  fessiers.  Ilyaôou 
6  ans  seulement,  les  membres  supérieurs  ont  été  touchés  à  leur  tour  ; 
l'atrophie  s'y  présente  surtout  sous  la  forme  du  «  type  radial  »  ;  les 
petits  muscles  des  mains  sont  peu  touchés,  il  y  a  seulement  une 
légère  atrophie  des  hypothénars  ;  mais  les  mains  sont  tombantes,  le 
sujet  ne  peut  qu'incomplètement  relever  ses  mains  et  ses  doigts,  et  des 
deux  côtés  il  «  fait  les  cornes  »  ;  l'atrophie  est  très  marquée  au  niveau 
des  avant-bras,  des  triceps  brachiaux  et  des  pectoraux.  Ce  malade  ne 
reconnaît  pas  la  syphilis,  et  nous  n'avons  trouvé  chez  lui  ni  réaction 
de  Wassermann  positive  ni  lymphocytose  céphalo-rachidienne.  La 
syphilis  nous  aurait  certainement  échappé  si,  en  l'examinant  de  parti 
pris,  nous  n'avions  trouvé  une  leucoplasie  linguale  prononcée  et  un 
signe  d'Argyll-Robertson,  association  de  symptômes  qui  ne  peut  guère 
laisser  de  doute  sur  l'étiologie  spécifique. 

D'autres  fois  les  membres  inférieurs  sont  atteints  seuls,  et  dans  ce 
cas  l'amyotrophie  rappelle  beaucoup  le  type  Charcot-Marie.  Un  soldat  de 
32  ans  (fig.8  ,  par  exemple,  nous  fut  adressé  pendant  la  guerre  au  Centre 

CONFÉR.    NEUROL.  18 


274 


i  \ />/,-/•  i.iîm 


neurologique  delà  IIe  armée  '  pour  une  amyotrophie  qui  avait  débuté 
progressivement,  environ   deux  ans  auparavant.  L'atrophie  était  très 

accentuée  au  membre  inférieur  droit; 
elle  occupait  à  la  fois  les  muscles 
antéro-externes  de  la  jambe  et  ceux 
du  mollet  ;  la  jambe  était  en  pilon, 
avec  mollet  de  coq,  le  pied  était 
fortement  cambré,  les  orteilsen  griffe, 
leurs  premières  phalanges  en  hyper- 
extension. 

Comme  le  malade  avait  reçu,  six 
mois  avant  le  début,  quelques  mottes 
de  terre  sur  le  cou-de-pied  droit  à 
l'occasion  d'une  explosion  d'obus, 
on  pensa  à  une  atrophie  réflexe, 
d'origine  traumatique.  Mais  le  trau- 
matisme avait  été  bien  léger,  de 
l'aveu  même  du  malade,  et  il  n'avait 
pas  interrompu  son  service.  De  plus, 
nous  nous  aperçûmes  que  le  membre 
inférieur  gauche  n'était  certainement 
pas  intact  :  la  jambe  était  atrophiée 
et  cylindrique,  le  pied  était  presque 
aussi  creux  et  en  griffe  que  du  côté 
droit  ;  l'atrophie  remontait  d'ailleurs 
des  deux  côtés,  légèrement,  sur  le 
quart  inférieur  de  la  cuisse,  un  peu 
à  la  façon  des  atrophies  «  en  jarre- 
-  Amyotrophie  syphilitique  à  «  type     tière  »  du  tvpe  Charcot-Marie.  Nous 

peromer  »     pouvant    simuler  I  amyotrophie  "  r 

Charcot Marie.  pensâmes  à   celle  variété  d'amyotro- 

phie,  mais  eette  idée  ne  cadrait  guère 
avec  le  début  tardif  et  la  progression  lente  de  l'altération  ;  le  malade 
ne  reconnaissait  d'ailleurs  aucun  antécédent  héréditaire  ou  familial 
similaire. 

Bien  qu'il  niât  la  syphilis  et  n'en  présentai  aucun  stigmate  clinique, 
nous  crûmes  devoir  faire  de  parti  pris  uu  examen  du  sang  et  du  liquide 
cérébro-spinal.  La  ponction    lombaire  nous   montra  une  lymphocytose 


1.    \\m;i    I.r.m.  Amyotrophie  syphilitique  a  type  péronier  simulant    l'amyotrophie 
Charcot-Marie.  Nouo.  Iconogr.  delà  Salpétr.,  1918. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  275 

considérable  (55,  4  lymphocytes  par  millimètre  cube)  et  le  Wassermann 
avec  le  sérum  sanguin  fut  complètement  positif.  Le  diagnostic  s'imposait 
donc  de  façon  presque  absolue.  Armé  d'arguments  nouveaux,  nous  re- 
prîmes l'interrogatoire  et  obtînmes  l'aveu  d'une  ulcération  de  la  verge 
survenue  dix  ans  auparavant  et  soignée  par  un  pharmacien,  aveu  que 
sans  doute  le  malade,  soi-disant  blessé  de  guerre,  avait  jugé  de  son 
intérêt  de    reculer  autant  que  possible  ! 

Ce  cas  n'est  sans  doute  pas  unique,  et,  dans  la  très  belle  thèse  que 
notre  collègue  et  ami  Sainton  a  consacrée  en  1899  à  l'amyotrophie 
Charcot-Marie,  nous  avons  trouvé  une  observation  où  cette  affection 
était  survenue  chez  un  adulte,  indemne  de  tout  antécédent  d'amyo- 
trophie  héréditaire  ou  familiale  ;  or,  ce  sujet  avait  eu  22  ans  aupara- 
vant un  chancre  et  il  mourut  hémiplégique  à  56  ans.  N'est-il  pas 
assez  vraisemblable  qu'il  s'agissait  moins  d'une  amyotrophie  Charcot- 
Marie  que  d'une  amyotrophie  syphilitique  qui  avait  pris  l'aspect  du 
type  Charcot-Marie  ? 

Il  nous  paraît  donc  avéré  que  dans  certains  cas,  peut-être  rares  il  est 
vrai,  l'amyotrophie  syphilitique  peut  frapper  les  membres  inférieurs  non 
pas  seulement   tardivement,  mais  de  façon  soit  précoce,  soit  exclusive. 


lue  processus  anatomo-pathologique,  quels  que  soient  le  mode  de  début 
et  l'évolution,  est  le  même  ;  comme  nous  l'avons  dit,  il  ne  s'agit  pas 
d'une  poliomyélite  antérieure  systématique,  mais  d'une  méningo- 
my  élite  vasculaire  diffuse. 

La  lésion  essentielle  des  cellules  des  cornes  antérieures  est  l'atrophie 
pigmentaire,  caractérisée  successivement  par  l'éiat  poussiéreux  des 
grains  chromatophiles,  l'excentration  du  noyau,  la  surcharge  pigmen- 
taire et  la  disparition  progressive  de  tous  les  éléments  normaux  de 
la  cellule.  D'autres  fois  il  y  a  atrophie  simple  ou  dégénération  avec 
tuméfaction  trouble.  Mais  on  trouve  toujours  côte  à  côte  les  diffé- 
rents degrés  évolutifs  de  cette  dégénérescence,  et  presque  toujours 
aussi,  même  dans  les  périodes  avancées  de  la  maladie,  on  voit,  à  côté 
de  débris  informes,  quelques  cellules  éparses  qui  ont  conservé  une 
structure  et  un  aspect  quasi  normaux.  Par  ce  seul  fait  déjà,  on 
pourrait  penser  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  altération  systématique  des 
cellules  radiculaires  antérieures. 

La  méninge    est    généralement  épaissie,   plus    ou   moins  louche  ou 


276 


ANDRÉ   l  I  1:1 


opaque,  bourrée  delymphocy tes,  qui  Forment  parfois,  surtout  au  niveau 
des  racines  antérieures,  de  véritables  nodules  ;  à  part  l'absence  de 
toute  dégénérescence,  ces  nodules  rappelleraient  parfois  de  véritables 
gommes  miliaires. 

Les  vaisseaux  qui  pénètrent  dans  la  moelle,  soit  directement  dans  les 


e%>    4'  >  , 


•o 


Fig.  9.  —  Méningo-myélite syphilitique  s'étant  manifestée  cliniquement  par  une  atrophie 
musculaire  progressive  type  Aran-Duchenne.  Durée  de  la  maladie  :  16  ans. 
Région  cervicale.  —  Enorme    épaississement    et    infiltration    lymphoeytique    des 
méninges  ;  manchons  lymphocytiques  très  nets  autour  des  vaisseaux.   Disparition 
presque  complète  des  cellules  des  cornes  antérieures.  Méthode  de  Nissl. 


cordons  antéro-latéraux  ou  postérieurs,  soit  par  la  voie  du  sillon 
médian  antérieur  dans  les  cornes  antérieures,  sont  entourés  de  gai- 
nes lymphoegtaires  ;  leur  paroi  interne  est  épaissie  et  leur  lumière 
rétrécie.  Vous  voyez  très  nettement  ees  lésions  d'endo  et  surtout  de 
périvascularite  à  caractère  inflammatoire  sur  figure  que  je  vous  pré- 
sente (fig.  9). 

A  une  période  plus  tardive,  les  vaisseaux  peuvent  se  scléroser,  ils 
apparaissent  sous  forme  de  nodules  fibreux,  à  lumière  étroite  et 
souvent  presque  obturée  ;  ils  sont  alors  dépourvus  de  gaines  lympho- 
cytaires.  II  en  est  de  même  pour  la  méninge,  qui    ne  Forme  plus  qu'un 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  277 

épais  manchon  fibreux  sans  lymphocytes.  On  comprend  ainsi  que, 
comme  nous  l'avons  dit,  il  puisse  parfois  n'y  avoir  pas  de  lympho- 
cytose  céphalo-rachidienne  dans  les  cas  les  plus  avérés  de  méningo- 
myélite  syphilitique. 


i  ■■■*:. 


m 


Fig.  10.  —  Même  cas  que  la  figure  précédente.  Région  dorsale.  Les  lésions  sont  beaucoup  plus  anciennes 
dans  cette  région  :  les  méninges  très  épaissies  sont  sclérosées,  les  lymphocytes  ont  disparu,  les  vais- 
seaux, plus  abondamment  prolifères  que  dans  la  région  cervicale,  ne  sont  plus  entourés  d'un  manchon 
lymphocytique  ;  les  cellules  radiculaires  antérieures,  quoique  très  frappées  par  le  processus,  restent 
cependant  en  plus  grand  nombre  ;  elles  présentent  des  degrés  divers  d'atrophie  et  de  dégéné- 
rescence 


Fait  d'ailleurs  intéressant,  les  deux  stades  du  processus  peuvent  se 
trouver  réunis  sur  la  même  pièce,  et  la  coupe  que  je  mets  sous  vos 
yeux  (fig.  10)  vous  représente  la  moelle  dorsale  du  même  sujet  dont  vous 
avez  vu  tout  à  l'heure  la  moelle  cervicale  :  sur  la  moelle  dorsale,  où  les 
lésions  sont  plus  anciennes,  méninges  et  vaisseaux  sont  épais  et 
fibreux,  et  dépourvus  de  tout  lymphocyte  ;  sur  la  moelle  cervicale,  la 
méninge  et  les  vaisseaux  étaient  infiltrés  d'innombrables  lympho- 
cytes. 

Il  y  a  donc  des  lésions  inflammatoires  évidentes  et  très  diffuses, 
mais  à  localisation  souvent  prédominante  sur  les    branches  de  l'artère 


ANDRÉ  II  RI 


ulco-com  raissiirale  <|iiî  se  rendent  aux  cornes  antérieures  :  elles 
caractérisent  ee  que  l'on  peut  appeler  la  «  myélite  syphilitique  amyo- 
trophique  ».  Il  n'y  a  pas,  assurément,  dans  cette  description  une 
seule  lésion  qui  soit  véritablement  et  sûrement  spécifique,  mais  il  y 
a  une  série  d'altérations  cpii  constituent,  comme  le  disent  Lannois 
et  Porot  ',  un  «  portrait  anatomique  »,  une  «  expression  morpholo- 
gique »,  qui  lait  reconnaître  la  syphilis  presque  d'emblée  à  un  œil 
tant  soit  peu  exercé. 

Les  lésions  dégénératives  sont  d'ailleurs  loin  d'être  limitées 
aux  cornes  antérieures,  et  l'on  observe  dans  la  plupart  des  cas 
des  altérations  scléreuses  des  cordons  blancs  très  diversement  locali- 
sées. 

Tantôt  elles  siègent  sur  les  cordons  postérieurs  et  sont  particulière- 
ment intenses  sur  les  cordons  de  Goll  :  on  comprend  ainsi  que  ces 
lésions,  qui  ont  tout  à  fait  l'aspect  et  très  certainement  la  pathogénie 
des  lésions  tabétiques,  puissent  déterminer  cliniquement  les  symptômes 
les  plus  variés  du  tabès.  Très  souvent,  elles  se  manifestent  seule- 
ment par  la  diminution  ou  l'abolition  des  réflexes  tendineux,  de 
ceux  des  membres  inférieurs  notamment  ;  cette  abolition  paraît 
être  le  premier  signe  de  la  méningite  lombaire  postérieure  ;  si  elle 
a  sans  doute  même  origine  que  le  signe  de  Westphal  des  tabétiques, 
du  moins  ne  semble-t-elle  pas  en  avoir  le  pronostic,  en  ce  sens  que 
les  symptômes  semblent  pouvoir  se  limiter  à  la  seule  aréflexie,  sans 
que  se  produisent  une  sclérose  accentuée  des  cordons  postérieurs  et 
tous    les  troubles  qui  en  résultent. 

Tantôt  on  trouve  de  la  sclérose  des  cordons  antéro-latéranx.  Cette 
sclérose  est  fréquemment  annulaire,  immédiatement  sous-jacente  à 
la  méninge  ;  parfois  elle  s'observe  surtout  autour  de  la  corne  anté- 
rieure, parfois  aussi  dans  une  petit  zone  intermédiaire  à  la  corne 
antérieure  et  à  la  périphérie  de  la  moelle,  dans  le  «  faisceau  supplé- 
mentaire »  décrit  par  Pierre  Marie  comme  formé  de  fibres  nées  des 
«    cellules  du  cordon  latéral  ». 

Cette  sclérose  peut  pénétrer  plus  ou  moins  profondément  et  atteindre 
le  faisceau  pyramidal  :  il  peut  en  résulter  une  paraplégie  à  tendance 
spasmodique.  Chez  certains  sujets,  sans  qu'il  y  ait  paraplégie  véri- 
table, il  peut  y  avoir  exagération  des  réflexes  tendineux,  ainsi  que 
l'avait   déjà  vu  Raymond,  ou  réflexe   des  orteils  en  extension,    comme 


1.  Lannois  et  Poitor.   Hevue  de  Médecine,   li)0(>. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES 

nous  l'avons  nous -même  signalé  '  et 
comme  plusieurs  auteurs,  Souques  et 
Vallery-Radot  entre  autres  -,  l'ont 
observé.  Dans  ces  différents  cas,  l'asso- 
ciation de  l'amyotrophie  et  des  symp- 
tômes pyramidaux  rappelle  plus  ou 
moins  le  tableau  de  la  sclérose  latérale 
amyotrophique  ;  mais  l'évolution  de  la 
maladie  est  lentement  progressive,  la 
spasmodicité  est  tardive,  et  il  est  assez 
vraisemblable  que  certains  cas  de  soi- 
disant  sclérose  latérale  amyotropbique 
de  durée  extraordinairement  prolongée, 
comme  ceux  qui  ont  été  signalés  dans 
la  thèse  de  Florand  3,  sont  en  réalité  des 
myélites  syphilitiques  amyotrophiques 
ayant  atteint  successivement  les  cornes 
antérieures  et  les  cordons  latéraux. 

Sur  la  lésion  des  muscles  eux-mêmes, 
nous  n'avons  rien  à  dire,  sinon  qu'elle 
consiste,  comme  pour  toutes  les  amyo- 
trophies,  non  dans  une  atrophie  primi- 
tive et  simple  des  fibres  musculaires, 
mais  en  une  véritable  myosite  à  carac- 
tère inflammatoire.  Le  premier  acte  est 
constitué,  en  effet,  par  une  prolifération 
des  noyaux  ;  il  est  bientôt  suivi  de  la 
multiplication  des  granulations  protéi- 
ques  de  la  substance  contractile,  qui 
l'orme  la  «  tuméfaction  trouble  » .  Plus 
tard  seulement  cette  substance  se  sub- 
divise en  revenant  à  l'état  indifférent, 
de  sorte  que  le  faisceau  musculaire  se 
trouve  être  composé  d'amas  de  noyaux 


1.  Andrk  Léri.  Article  Atrophie  musculaire 
progressive  spinale,  in  Traité  de  Médecine  Charcot- 
Bouchard,    tome   IX. 

2.  Socques  et  Pasteur  Vallery-Radot.  Soc.  de 
iVeuro/.,  mars    1913. 

3.  Florand.  Thèse  de  Paris.  1836-87. 


Fig.  11.  —  Atrophie  de  la  musculature  vis- 
cérale (André  Leri  . —  Portion  de  V intestin 
grêle. —  Hernies  multiplesde  la  muqueuse 
à  travers  la  musculeuse  complètement 
atrophiée.  Pour  rendre  aux  hernies  la 
forme  quelles  avaient  au  moment  de 
l'ouverture  de  l'abdomen,  cette  portion 
d'intestin  a  été  remplie  d'eau  et  liée  à  ses 
deux  extrémités  On  voit  les  hernies  qui 
font  saillie  tout  le  long  du  hord  adhérent, 
dédoublent  le  mésentère  et  repoussent  les 
portions  voisines  du  péritoine. 


WDRÉ  LfilU 

entourés  d'une  mince  lame  protoplas- 
mique.  C'est  une  véritable  régression 
cellulaire,  un  retour  du  tissu  muscu- 
laire à  l'étal  embryonnaire,  qui  suc- 
cède au  stade  inflammatoire. 

Une  lésion  intéressante,  qui  n'a  pas 
été  jusqu'ici  signalée  par  les  auteurs 
et  que  nous  avons  constatée  à  l'autopsie 
de  deux  cas  d'amyotrophie  syphiliti- 
que, est  Yamyolrophie  viscérale.  Elle 
se  manifestait  dans  nos  cas  sous 
forme  de  hernies  disséminées  au  nom- 
bre de  plusieurs  centaines  le  long  du 
bord  adhérent  de  l'intestin  (fig.  11);  ces 
hernies  étaient  dues  au  passage  de  la 
muqueuse  à  travers  la  musculeuse  ; 
comme  le  montre  la  figure  que  je  vous 
présente  (fig.  12\  la  muqueuse  restait 
intacte  avec  ses  valvules  conniventes 
jusqu'au  fond  de  chaque  hernie  où  elle 
s'appliquait  directement  à  la  séreuse. 
A  l'examen  histologique,  on  pouvait 
suivre  les  différents  stades  de  l'atro- 
phie musculaire  ;  sur  les  bords  de  la 
hernie  la  musculeuse  était  progressi- 
vement remplacée  par  des  amas  de 
cellules  rondes,  elle  faisait  tout  à  fait 
défaut  au  fond  de  l'invagination.  La 
vessie  présentait  quelques  hernies  tout 
à  fait  analogues  (fig.  13).  Il  en  existait 
enfin,  dans  l'un  de  nos  cas,  sur  le 
cœur  lui-même,  et  la  musculature  du 
viscère  était  si  amincie  que  l'on  aper- 
cevait extérieurement  les  colonnettes 
de  sa  surface  interne  à  travers  la 
paroi    de   l'oreillette  droite,    réduite  à 


Fig-.  12.  —  Intestin  vu  intérU'urfmenl.  — 
voit  les  orilices  des  hernies  rangées  en  lile 
est  très  variable,  en  rapport  avec  le  volume 
les  valvules  conniventes  jusque  dans  le  fond 
donc  nullement  à  l'atrophie.  (Amhu    I  i  RI 


L'intestin    a    été  ouvert   II  l<>»c;  de    son  bord  libre   ;    on 
le    long  du    bord  adhérent  :   la  dimension   de  Ml  Orificea 

des  herniei  dane  letquellei  ds  oonduiaent  ;    on   aperçoit 

de  certaines  de  CM    licïni.s,    l.i    muqueUM     ne    participe 

Repue  NeuroL,  15  mai  1902        Id  ,80    uillet  l'.UM  ï 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES 


281 


l'épaisseur    et    à  la    consistance   d'une    mince   lamelle   parcheminée. 
Il   est  probable   que    ces   amyotrophies  viscérales    ne  sont  pas    pour 


f 


' 


Fig.  13.  —  Atrophie  de  la  musculature  viscérale.  —  Vessie.  —  La  vessie  a  été  remplie  d'eau  après 
ligature  des  uretères  et  de  l'urètre.  Deux  grosses  hernies  font  saillie  sur  le  bord  gauche  et  la  face 
antérieure. 


rien  dans  quelques  symptômes  qui  accompagnent  parfois  les  amyotro- 
phies progressives,  comme  certaines  rétentions  ou  incontinences,  et 
notamment  dans  les  soi-disant  «  crises  bulbaires  »  qui  les  terminent 
fréquemment. 


ANDRÉ  LÉR1 


Nous  avons  parlé  jusqu'ici,  Messieurs,  des  amyotrophies  syphiliti- 
ques progressives  ;  il  existe  aussi  des  amyotrophies  spécifiques  non 
progressives,  qui  peuvent  rester  notamment  localisées  aux  petits  muscles 
de  la  main  et  qui  ont  été  décrites  avec  grand  soin  par  MM. Pierre  Marie 
et  Foix  !. 

Examinez,  par  exemple,  la  malade  que  je  vous  présente.  C'est  une 
femme  de  40  an  s  qui  est  venue  nous  consulter  parcequ'elle  avait  de  plus 
en  plus  de  difficultés  à  coudre,  à  écrire,  même  à  boutonner  ses  vête- 
ments. En  fait,  ses  doigts  s'appliquent  mal  les  uns  contre  les  autres  ; 
en  particulier,  l'opposition  du  pouce  est  très  défectueuse,  il  ne  peut 
s'étendre  contre  l'index  sans  que  sa  deuxième  phalange  se  fléchisse, et  la 
malade  ne  peut  tenir  solidement  un  journal  entre  son  pouce  et  son 
index  sans  fléchir  le  pouce  ;  il  existe  une  ébauche  du  signe  que  Fro- 
ment nous  a  appris  à  connaître  dans  les  paralysies  des  muscles  inner- 
vés par  le  cubital.  Les  doigts  peuvent  être  mis  au  contact  les  uns  des 
autres,  mais  sans  aucune  force,  la  moindre  traction  passive  les  écarte, 
surtout  l'auriculaire  droit. 

Mais  tous  ces  troubles  pourraient  être  considérés  comme  d'origine 
purement  fonctionnelle  si,  en  examinant  attentivement  les  mains,  on  ne 
constatait  un  certain  degré,  d'ailleurs  modéré,  d'atrophie  des  éminences 
thénars  et  des  premiers  espaces  interosseux,  atrophie  un  peu  plus 
accentuée  du  côté  gauche.  Il  y  a  donc  une  lésion  organique  indiscutable. 
Quelle  est  cette  lésion  ? 

Les  réflexes  tendineux  sont  sensiblement  normaux  et  égaux  des  deux 
côtés  ;  il  n'y  a  aucun  trouble  de  la  sensibilité  objective.  Mais,  quand  on 
examine  les  pupilles,  on  constate  un  signe  d'Argyll,  et  l'examen  du 
sérum  sanguin  donne  une  réaction  de  Wassermann  nettement  posi- 
tive. Le  liquide  céphalo-rachidien  présente  une  légère  augmentation  du 
nombre  des  lymphocytes  (6,4  par  millimètre  cube)  et  la  réaction  de 
Wassermann  s'y  montre  positive.  C'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  nous 
permettre  de  faire  le  diagnostic  d'amyotrophie  spécifique.  Mais,  par 
ce  que  nous  savons  à  la  suite  des  travaux  de  Pierre  Marie  et  Foix, 
nous  nous  garderons  d'en  conclure  qu'il  s'agit  du  début  d'une 
amyotrophie   progressive  ;    il    est  plus    probable  qu'il  s'agit,  au  con- 


1.  Pibrrb  Marie  et  Foix.  Nouv.  Iconogr.  de  la  Salpitr.,  1912. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES 


283 


traire,  d'une  atrophie  qui  restera  isolée  dans  les  petits  muscles  de  la 


Au  point  de  vueanatomique,  ces  atrophies  isolées  semhlent  répondre 
à  un  petit  ramollissement  complet  ou  plus  souvent  incomplet  d'une 
corne  antérieure  au  niveau  surtout  du  septième  ou  du  huitième  segment 
cervical,  avec  une  sorte  d'effondrement  uni  ou  bilatéral  de  cette  corne 
antérieure,  ainsi  que  vous  pouvez  le  constater  sur  la  figure  14.  Ce  ra- 
mollissement de  la  corne  grise,  cette  «  téphromalacie  »,  est  dû  à  une 
artérite  syphilitique. 


■ 


Fig.  14.  —  8e  segment  cervical  de  la  moelle  dans  un  cas  d'atrophie  syphilitique  isolée  des  petits 
muscles  de  la  main.  Ramollissement  et  effondrement  de  la  corne  antérieure  droite.  Ecrasement 
d'ensemble  de  ce  côté  de  la  moelle,  encoche  du  bord  antérieur. 

(Figure  empruntée  au  mémoire  de  Pierre  Marie   et  Foix.) 


Il  y  a  entre  les  lésions  de  l'amyotrophie  progressive  et  celles  de  l'a- 
trophie localisée  une  sorte  de  fonds  commun  qui  est  représenté  par  la 
méningo-myélite  syphilitique,  plus  ou  moins  diffuse,  mais  toujours 
d'origine  vasculaire.  Si  dans  le  second  cas  la  lésion  vasculaire  est  plus 
étroitement  localisée,  elle  ne  l'est  pourtant  pas  exclusivement,  et  l'on 
retrouve  sur  le  reste  de  la  moelle  des  lésions  méningées,  vasculaires  et 
scléreuses,  qui  rappellent  celles  que  nous  avons  constatées  dans  l'a- 
myotrophie spécifique  progressive. 

Ces  amyotrophies  syphilitiques  isolées  d'origine  médullaire  ne  sont 
pas  toujours  localisées  aux  petits  muscles  de  la  main  ;  et,  de  même  que 
nous  avons  vu  des  amyotrophies  progressives  coïncider  avec  le  tabès,  de 
même  on  connaît  dans  bien  des  cas  de  tabès  des  amyotrophies  locali- 
sées dont  l'origine  médullaire  est  aujourd'hui  bien  démontrée.  Nous 
citerons  simplement  les  hémiatrophies   de  la  langue,  à  l'autopsie  des- 


184 


l  \  nid.   LÊR1 


quelles  Pierre  Marie  et  Koch  *  ont  trouvé  des  lésions  des  noyaux  de 
l'hypoglosse.  Certaines  atrophies  des  masticateurs  ont  pu  être  rappor- 
tées également  à  des  lésions  des  noyaux  du  trijumeau.  De  même 
Raymond  et  Philippe  -  ont  établi  l'origine  nucléaire  de  certaines 
amyotrophies  des  membres  inférieurs. 


Il  n'est  pas  sans   doute   jusqu'à  certaines    amyotrophies   à    évolution 
aiguë  qui  ne  puissent  être  rapportées  à  la  syphilis.  C'est  ainsi  que  nous 


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Fi},'  15.  —  Poliomyélite  antérieure  à  début  aigu  chez  un  syphilitique  (cas  d'André  Léri  et  S.  A  k. 
Wilson).  -  5*  segment  lombaire.  Foyer»  symétriques  dans  les  deux  cornes  antérieurs,  ayant  1  aspect 
de  véritables  «  tious  °  dans  la  moelle  :  disposition  «  en  lorgnon  »  Au  cintre  de  l'un  d'eux,  on  voit 
nettement  le    vaisseau  dont  l'obturation  a  déterminé  la  lésion. 

avons  publié  autrefois  avec  S.  A.  K.  Wilson  :;  un  cas  de  poliomyélite 
antérieure  aiguë  de  l'adulte,  au  cours  de  laquelle  unv  aniyotrophie  mas- 
sive d'emhlée  avait  rapidement  succédée  une  paralysie  à  forme  ascen- 


1.  Koch  et  Piehue  Marii  .  Revue  de  Médecine,  1888. 

2.  Raymond  el  Philippe.  .Soc  de  Neurol,,  décembre  1902. 

■  Ki    l.i  m  el  S,  A.  K.  Wilson.  lconogr.de  la Salpitr.,  1904,  a*  8. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  285 

dante  et  quadriplégique.  A  l'autopsie,  faite  plusieurs  années  après,  nous 
avons  constaté  de  grosses  lésions  en  foyers  dans  les  cornes  antérieures 
lombaires  et  cervicales,  telles  qu'on  en  observe  à  la  suite  des  paralysies 
infantiles.  Ces  foyers,  à  caractères  infectieux,  avaient  déterminé  de 
véritables  «  trous  »  plus  ou  moins  symétriques,  en  lorgnon,  dans  les 
cornes  antérieures  des  renflements  lombaire  et  cervical  (fig.  15). 

Il  s'agissait  d'un  cas  jusque-là  tout  à  fait  exceptionnel,  et  seulement 
comparable  à  une  observation  antérieure  de  Van  Gehuchten  '.  Les 
constatations  qui  ont  été  faites  depuis  lors  chez  l'adulte  à  propos  des 
épidémies  de  poliomyélite  nous  empêchent  d'affirmer  que  la  syphilis 
était  en  jeu  dans  la  détermination  de  la  lésion  chez  notre  malade  ;  mais 
cette  relation  nous  parait  pourtant  bien  vraisemblable,  car  le  malade 
était  syphilitique,  il  fut  frappé  dans  la  cinquième  année  de  l'affection  et 
il  mourut  huit  ans  plus  tard  ;  or,  à  l'autopsie,  on  constata  des  lésions 
de  méningo-myélite  de  caractère  inflammatoire  et  d'origine  vasculaire, 
telles  que  nous  sommes  habitués  à  les  constater  à  une  période  aussi 
tardive  dans  les  affections  syphilitiques  et  non  à  la  suite  des  poliomyéli- 
tes aisuës. 


Nous  voyons  donc  qu'il  existe  toute  une  série  de  variétés  d'amyotro- 
phies  syphilitiques  d'origine  spinale,  les  unes  chroniques,  les  autres 
aiguës,  les  unes  progressives,  les  autres  localisées  :  toutes  sont  recon- 
naissables  par  certains  caractères  qui  permettent  de  localisera  la  moelle 
les  causes  de  l'amyotrophie,  distribution  de  l'atrophie  elle-même,  con- 
tractions fibrillaires,  réaction  de  dégénérescence,  etc.,  et  par  leur 
association  aux  symptômes  de  syphilis,  et  spécialement  de  syphilis  du 
système  nerveux  central,  sur  lesquels  nous  avons  insisté. 

Mais  là  ne  se  bornent  pas  encore  les  amyotrophies  spécifiques  ;  i7  en 
est  qui  ne  sont  pas  d'origine  médullaire.  Telles  sont  certaines  amyotro- 
phies d'origine  méningo-radiculaire  qui  touchent,  entre  autres,  de  façon 
dissociée  et  associée,  les  muscles  innervés  par  la  branche  externe  du 
spinal.  Telles  sont  encore  les  amyotrophies  névritiques  du  tabès  qui 
frappent  de  façon  diffuse  les  membres  inférieurs  et  qui  se  caractérisent 
par  le  «  pied  bot  tabétique  »  flasque  décrit  par  Joffroy.  Telles  sont  éga- 
lement certaines  amyotrophies  dues  à  une  lésion  osseuse  spécifique  de  la 
colonne  cervicale.  Ces  amyotrophies  n'ont  guère  été  signalées  jusqu'ici, 

1.  Vax  (ïkiiuciiten    Congrès  des  aliénisles  et  neurolog.    Bruxelles,  1903. 


286  i  VJDJ? Ê  LÉR1 


elles  sont  parfois  malaisées  à  distinguer  des   amyotrophies  spinales,  et 
seule  la  radiographie  nous  en  permet  le  diagnostic. 

Un  de  nos  malades, par  exemple,  examiné  en  1920,  a  eu  la  syphilis  en 
1878,  il  y  a  V2  ans.  Il  présente  depuis  un  an  et  demi  une  amyotrophie 
localisée  des  deux  côtés  aux  éminences  thénars  et  hypothénars  et  aux 
interosseux,  lui  même  temps  il  accuse  des  douleurs  le  long  du  bord 
cubital  des  deux  avant-bras.  Mais  nous  constatons  aussi  que  le  réflexe 
rotulien  droit  et  les  deux  achilléens  sont  complètement  absents,  sans 
qu'il  y  ait  d'ailleurs  aucun  autre  signe  de  tabès. 

Nous  pensons  donc  à  la  méningo-myélite  syphilitique,  mais  nous 
constatons  que  la  tète  est  projetée  en  avant  et  que  la  mobilité  active  et 
passive  du  cou  est  très  diminuée,  en  particulier  l'inclinaison  latérale 
qui  est  le  mouvement  essentiel  des  vertèbres  cervicales  inférieures. 
Une  radiographie,  faite  par  le  D'  Chabry,  nous  montre  une  ostéite 
spécilique  très  nette  des  5*'  et  G"  vertèbres  cervicales,  un  peu  à  droite 
de  la  ligne  médiane.  Le  siège  de  cette  lésion  correspond  à  la  distribu- 
tion de  l'amyotrophie  et  des  douleurs. 

Si  l'abolition  des  réflexes  des  membres  inférieurs  ne  nous  permet 
donc'pas  d'éliminer  l'idée  d'une  méningite  spécifique,  du  moins  pouvons- 
nous  dire  que  la  lésion  essentielle  dont  souffre  notre  malade  et  qui  a 
déterminé  son  amyotrophie  est  une  ostéite  cervicale  d'origine  syphi- 
litique. Le  fait  peut  être  d'importance,  car  les  ostéites  spécifiques  sont, 
parmi  les  lésions  tardives,  celles  qui  peut-être  rétrocèdent  le  plus  faci- 
lement sous  l'influence  du  traitement.  Et  qui  sait  si  l'application  du 
traitement  antisyphilitique,  destiné  avant  tout  à  cette  lésion  osseuse, 
ne  va  pas  arrêter  les  graves  conséquences  possibles  d'une  méningite 
chronique  qu'elle  aura  permis  de  déceler  précocement  ? 

Un  autre  malade  a  depuis  huit  mois  des  douleurs  accentuées  dans  la 
nuque,  la  partie  inférieure  du  cou  et  l'épaule,  surtout  à  droite,  avec 
irradiation  jusque  sur  le  côté  interne  du  bras  et  de  l'avant-bras.  Les 
espaces  interosseux  sont  profondément  atrophiés  aux  deux  mains, 
surtout  à  la  main  droite,  et  les  éminences  hypothénars  sont  légèrement 
déprimées.  En  outre,  les  membres  supérieurs  sont  quelque  peu 
parésiés  dans  leur  ensemble,  et  les  réflexes  tendineux  (cubito-pro- 
nateurs,  olécraniens,  radio-fléchisseurs  des  doigts)  y  font  défaut,  à 
I  exception  des  réflexes  radiaux.  Aux  membres  inférieurs  il  existe  un 
certain  degré  de  parésie  spnsmodiquc,  et  les  réllcxcs  tendineux  v  sont 
très  vifs. 

lin  même  temps,    on  constate  que  le  COU  est    immobilisé  dans  h-  sens 

de  l'inclinaison  latérale;;'!  la  nuque,  au   niveau  de  la  cinquième  cervi- 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  287 

cale,  on  peut  enfoncer  le  doigt  d'une  façon  excessive,  et  les  mouve- 
ments provoqués  de  flexion  et  d'extension  déterminent  des  craquements 
que  la  main  perçoit  nettement.  Une  radiographie,  faite  par  le  Dr  Mé- 
nard,  montre  une  lésion  nette  des  5e  et  6e  vertèbres  cervicales  avec 
écrasement  et  bascule  de  la  6e  sur  la  5e. 

La  nature  de  cette  lésion  osseuse  est  décelée  par  une  kératite  à  répé- 
tition dont  la  nature  syphilitique  apparaît  infiniment  probable  à 
l'ophtalmologiste  ;  et  le  malade,  qui  niait  tout  antécédent  spécifique 
et  dont  la  réaction  de  Wassermann  était  négative,  reconnaît  alors  avoir 
eu  il  y  a  un  an  1/2  une  ulcération  génitale  dont  il  n'avait  pas  voulu  par- 
ler, sous  le  prétexte  qu'un  pharmacien  consulté  lui  avait  affirmé  qu'il 
ne  s'agissait  pas  de  S3rphilis  II  subsistait  un  doute  :  l'action  rapidement 
favorable  du  traitement  antisypbilitique  sur  l'ensemble  des  symptômes, 
et  particulièrement  sur  l'amyotrophie,  apporta  au  diagnostic  la  confir- 
mation nécessaire. 

Les  lésions  vertébrales  spécifiques  peuvent  coïncider,  semble-t-il, 
plus  souvent  qu'on  ne  l'a  pensé  jusqu'ici, avec  des  lésions  méningo-mé- 
dullaires  de  même  nature,  et  le  diagnostic  causal  des  amyotrophies 
n'est  pas  toujours  simple.  Le  premier  des  deux  malades  dont  je  viens 
de.  vous  résumer  l'histoire  en  est  un  exemple.  Le  malade  que  je  vous  ai 
présenté  tout  à  l'heure  comme  atteint  d'amyotrophie  progressive  à  type 
surtout  radial  en  est  un  autre  :  on  a  constaté  en  effet  chez  lui,  peu  de 
temps  après  le  début  de  ses  troubles,  un  enfoncement  et  un  tassement 
rapide  du  cou,  et  une  radiographie  faite  par  le  Dr  Ménard  a  montré  un 
certain  degré  d'écrasement  des  vertèbres  C5  et  C°. 


En  résumé,  même  si  nous  mettons  à  part  les  amyotrophies  syphili- 
tiques d'origine  non  médullaire  que  nous  avons  tenu  à  citer  pour 
mémoire,  on  voit  combien  s  est  progressivement  et  considérablement 
étendu  le  domaine  des  atrophies  musculaires  dues  à  la  syphilis.  D'une 
façon  générale,  les  formes  cliniques  delà  syphilis  spinale  se  bornaient 
jusqu'ici  à  la  paraplégie,  symptomatique  de  la  lésion  des  cordons  laté- 
raux, et  au  tabès,  révélateur  de  la  sclérose  des  cordons  postérieurs.  A 
priori,  il  n'était  pas  logique,  avouons-le,  qu'une  affection  à  détermina- 
tion aussi  fréquemment  médullaire  (pie  la  syphilis  laissât  indemne  les 
cornes  antérieures  :  la  description  des  amyotrophies  spinales  syphili- 
tiques comble  cette  lacune. 

En  dehors  du  tabès  et  de  la  paraplégie  spàsmodique,  il  y  a  donc  une 


288  i  \ /)/.'/•:  I.lltl 


forme  amyotrophique  de  la  syphilis  spinale,  et  celle-ci  est  très  fréquente. 
Elle  se  révèle  comme  une  affection  progressive,  sous  la  dépendance 
d'une  «  myélite  syphilitique  amyotrophique  »,  d'origine  vasculaire  et 
de  distribution  diffuse,  avec  localisation  occasionnellement  et  partielle- 
ment élective  sur  les  cornes  antérieures.  Ou  bien,  elle  se  manifeste 
sous  l'aspect  d'une  affection  non  progressive,  localisée  soit  aux  petits 
muscles  de  la  main,  soit  à  tout  autre  groupe  musculaire.  Elle  est  alors 
encore  l'expression  d'une  lésion  syphilitique  vasculaire,  de  telle  sorte 
que  dans  l'ensemble  on  peut  considérer  que  l'amyotrophie,  progressive 
ou  non,  répond  à  un  véritable  syndrome  vasculaire  syphilitique  des  cornes 
antérieures  '.  Ce  syndrome  peut  d'ailleurs  être  associé  ou  non  au  syn- 
drome spécifique  des  cordons  postérieurs  ou  des  cordons  latéraux. 


La  notion  de  l'origine  étiologique  de  ces  amyotropbies  n'est  pas 
seulement  d'intérêt  théorique,  elle  a  une  importance  pratique  :  c'est 
elle  qui  doit  diriger  le  traitement. 

Le  traitement  antisyphilitique  des  amyotropbies  a  déjà  produit,  en 
effet,  des  résultats  particulièrement  favorables,  du  temps  même  où  la 
valeur  de  l'arsenic  n'était  pas  connue  et  où  le  mercure  et  l'iodure 
faisaient  seuls  les  frais  de  la  cure. 

Dans  certains  cas,  il  y  eut  arrêt  de  l'atrophie  :  nous  citerons  par 
exemple  les  malades  de  Graves,  de  Hammond,  de  Lannois  et  Lévy,  de 
Nonne  -. 

Dans  d'autres  cas,  il  y  eut  une  amélioration  appréciable.  Telle  l'auto- 
observation  d'un  médecin  signalée  par  Niepce  en  1853,  chez  qui  une 
cure  à  Allevard  détermina  une  véritable  réactivation  cutanée  d'une 
syphilis  ancienne  et  fut  un  trait  de  lumière  qui  lit  découvrir  la  cause  d'une 
amyotrophie  déjà  très  prononcée  des  membres  supérieurs,  du  tronc  et 
du  cou  ;  moins  d'un  an  après  l'amyotrophie  avait  déjà  diminué  de  plus 
de  moitié,  sous  l'influence  d'un  traitement  spécifique.  Semblable  rétro- 
cession d'une  atropine  musculaire  par  un  traitement  spécifique  a  été 
signalée  aussi  par  Scberb,  par  Lannois  et  Porot,  par  Fournier,  par 
Vix,  par  Raymond,  par  Hénoch,  par  Gardié  :l. 

1.  Andiu':  Léri.  Lesyndroinc  vasculaire  syphilitique  des  cornes  antérieures.  Congres 
de  Médecine,  Londres,  1913. 

2.  Guavks.  Clinictd  Lectures,  181)5.  —  Hammond.  /oc.  cit.  —  Lannois  et  Li'vv.  Echo 
médical  de  Lyon,  1900,   —  Nonne.  Syphilis  und  Nervensystem,   1909.. 

3.  Lannois  et  PoROT,  toc.  cit.  —  ScHBRB,    Hecttc   S'eurol.,   1S99.  —  FoORNIBR,  foc.  Ctf.  — 

Vix.  Archiu.  /'.  Psyçh.,  1910.  —  Gardié,  Thèa»  l'uris.  1899. 


LES  ATROPHIES  MUSCULAIRES  SYPHILITIQUES  289 

Enfin  le  résultat  fut  parfois  plus  favorable  encore  et  amena  une  gué- 
rison  totale  ou  presque  totale  :  il  en  fut  ainsi  pour  les  malades  observés 
par  Goldflamj  par  Rodet,  par  Seeligmuller,  par  Michell  Clarke  !. 
Nous  avons  vu  nous-mème  avec  Lerouge  une  amyotropbie  spécifique 
très  marquée  de  l'éminence  thénar  droite  et  des  extenseurs  de  l'avant- 
bras  disparaître  d'une  façon  presque  complète  en  quelques  mois  par  des 
injections  mercurielles. 

Vous  voyez  donc  l'intérêt  que  peut  avoir  ce  traitement,  et  pourquoi 
il  importe  absolument  que  vous  recherchiez  de  parti  pris,  dans  toute 
amyotrophie  dont  la  cause  n'est  pas  évidente,  si  la  syphilis  ne  peut  pas 
être  enjeu.  Il  conviendra  d'appliquer  longuement  le  traitement,  car  si 
dans  quelques  cas  favorables  l'amyotrophie  se  répare  avec  une  rapidité 
vraiment  surprenante,  il  faut  bien  savoir  que  souvent  la  régression  ne 
peut  être  que  très  lente.  Vous  aurez  en  tout  cas  la  conscience  de  n'être 
jamais  nuisibles,  car  c'est  seulement  quand  il  existe  des  symptômes  de 
spasmodicité  que  le  traitement  spécifique  semble  pouvoir  être  nocif,  et 
le  fait  est  rare,  hors  certains  cas  que  nous  avons  signalés,  au  cours  des 
amjrotrophies  spécifiques. 

Même  dans  les  cas  où  la  syphilis  sera  douteuse,  en  tenant  compte  de 
l'extrême  fréquence  de  l'étiologie  spécifique  des  amyotrophies,  il  con- 
viendra de  tenter  le  traitement  d'épreuve.  Rien  ne  vous  empêchera  de 
l'associer  au  traitement  classique  des  amyotrophies,  strychnine,  mas- 
sage, électrisation,  etc.,  et  vous  éviterez  ainsi  d  avoir  fait  perdre  à  votre 
malade  un  temps  peut  être  précieux.  Vous  obtiendrez  parfois  de  cette 
façon  les  résultats  les  plus  inespérés 

N'y  comptez  pas  toujours  pourtant  ;  certaines  anvyotrophies  syphili- 
tiques se  sont  montrées  rebelles  au  traitement,  par  exemple  chez  des 
malades  de  Raymond,  de  Rendu  -.  Mais  comme  la  thérapeutique  habi- 
tuelle des  amyotrophies  est  particulièrement  décevante,  vous  n'aurez 
pas  de  ressource   meilleure  et  plus  sûre  que  le  mercure  ou  l'arsenic. 

Aussi  je  tiens,  Messieurs,  à  ce  que  vous  reteniez  de  cette  leçon  que, 
en  présence  d'une  amyotrophie  dont  la  cause  vous  échappe,  il  faut  que 
vous  n'oubliez  pas  de  penser  tnijours  à  la  syphilis  :  vous  la  trouverez  sou- 
vent soit  par  un  interrogatoire  circonstancié,  soit  par  quelque  signe 
clinique  ou  quelque  examen  de  laboratoire  ;  même  si  vous  ne  la  décou- 
vrez pas,  c'est  parfois  le  traitement  d'épreuve  qui  vous  forcera  à  l'ad- 
mettre, et  vous  aurez  encore  rendu  service  à  vos  malades 

1.  Rodet.  Union  méd  ,  1859  -  Seeligmullek,  Maladies  de  la  moelle  et  du  cerveau, 
1887.  —  Goldfi.am,   Wiener  Klin.  medic,  1893    —  Clarke,   Lancet,  1894. 

2.  Raymond,  Rendu.  Soc  Méd.  des  hôp  ,  1893 

CONFKR.    NEUROL.  19 


DIXIÈME   CONFÉRENCE 

PAR 

Paul  SAINTON 

Médecin  de  l'Hôpital   Tenon. 

LE    GOITRE     EXOPHTALMIQUE 


Messieurs, 

Il  y  a  quelque  vingt  ans,  le  goitre  exophtalmique  était  considéré  par 
la  plupart  comme  un  type  de  névrose  ;  il  figurait  dans  les  traités 
de  pathologie  à  côté  de  l'hystérie,  delà  chorée,  de  la  paralysie  agitante. 
Ne  suffisait-il  pas,  d'ailleurs,  de  jeter  un  regard  sur  les  malades  qui 
en  étaient  atteints  pour  les  voir  toujours  agités,  toujours  frémissants 
et  trémulants,  mobiles  et  instables  pour  renforcer  cette  idée  dans  l'es- 
prit de  l'observateur,  à  une  époque  où  le  trouble  fonctionnel  suffisait  à 
expliquer  une  grande  partie  de  la  pathologie  nerveuse  ? 

Déjà,  cependant,  commencent  à  se  faire  jour  les  trois  notions  qui 
ont  contribué  à  modifier  la  conception  ancienne.  La  première  est  celle 
des  accidents  survenant  à  la  suite  de  l'ablation  de  la  glande  thyroïde  et 
constituant  le  myxoedème  et  de  leur  opposition  frappante  avec  les 
symptômes  du  goitre  exophtalmique  bien  vue  par  Mœbius.  La  seconde 
notion,  due  à  Pierre  Marie  et  Mœbius  est  la  possibilité  de  la  transfor- 
mation d'un  goitre  simple  en  goitre  exophtalmique.  La  troisième, 
encore  due  à  Pierre  Marie  et  Mœbius,  est  le  rôle  que  joue  l'infection 
dans  la  provocation  des  maladies  nerveuses  ou  considérées  comme 
telles. 

En  même  temps,  sous  l'influence  de  Brown-Séquard,  naissait  la 
notion  de  la  sécrétion  interne  et  de  son  rôle  :  actuellement  l'importance 
de  l'action  qu'exerce  le  corps  thyroïde  sur  la  morphogénèse,  sur  la  nu- 
trition, sur  la  circulation  et  sur  le  système  nerveux  n'est  plus  mise  en 
doute  par  personne.  Grâce  à  cette  évolution  des  idées,  le  goitre 
exophtalmique  fait  désormais  partie  de    la  pathologie  thyroïdienne. 


295 


P.   SA1  V  /o  \ 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE    EST   UIM    SYNDROME    PHYSIOLOGICO 

CLINIQUE 

Les  traits  classiques  du  goitre  exophtalmique  sont  connus  de  tous  : 
vous  n'avez  aucune  peine  à    les  évoquer  ;  vous   vous  les  rappelez,  ces 


rig.  1. 
Collection  île  M.   le  Piofes  eur  Pierre  Marie 

malades,  des  femmes,  habituellement,  aux  yeux  saillants,  au  Faciès  bos* 
tile  et  tragique,  à  l'éclat  singulier  du  regard  qui  s'allume  plus  vive- 
ment à  l'occasion  d'une  émotion.  Vous  avez  tous  le  souvenir  de  cette 
agitation,  de  cette  palpitation  musculaire  incessante  qui  s'objective 
dans  leurs  mouvements,  dans  leurs  gestes,  dans  leur  parole,  dans  leur 


LE   GOITRE   EXOPHTALMIQUE 


293 


écriture.  Leur  col  exagérément  remonté  cache  avec  soin  un  corps 
thyroïde  volumineux,  saillant,  qui  fait  paraître  le  cou  plus  long  etàcôté 
duquel  les  jugulaires  dessinent  leurs  sinuosités  frémissantes  ;  la  tête 
elle-même  est  secouée  à   chaque    systole  par  les  hattements  des  caro- 


Fig.  2. 
(Collection  de  M.  le    Professeur  Pierre  Marie) 


tides  (signe  de  Musset).  Prend-on  le  pouls  ?  il  hat  à  180-140,  exagéré 
encore  par  l'appréhension  de  l'examen.  La  région  précordiale  se  soulève 
avec  force  et  la  palpation  fait  percevoir  les  battements  forts  et  rapides, 
témoins  d'un  éréthisme  cardiaque.  Au  moral  ces  malades  sont  mélan- 
coliques, inégales,  désagréables  pour  leur  entourage.  Leur  aspect  est 


S "M  P.  SA1  \  l<>\ 


cachectique  ;  amaigries,  parfois  squelettiques,  elles  semblent  s'ache- 
miner vers  une  mort  prochaine. 

A  côté  de  celte  forme  où  le  goitre  exophtalmique  s'épanouit  au 
grand  complet,  combien  n'y  a-t-ilpas  de  formes  frustes  !  Tachycardie, 
goitre,  exophtalmie,  tremblement,  troubles  de  la  nutrition,  modifica- 
tions du  psychisme  caractéristiques  du  goitre  exophtalmique  s'y  mon- 
trent tour  à  tour  prédominants. 

Si  les  termes  de  l'expression  clinique  sont  précis,  existe-t-il  la  même 
certitude  lorsqu'on  examine  l'origine  de  la  maladie  ?  Y  a-t-il  une  ma- 
ladie de  Basedow  vraie  et,  à  coté  d'elle,  des  syndromes  basedowiformes, 
ou  le  goitre  exophtalmique  n'est-il  qu'un  vaste  syndrome,  comme  on 
en  rencontre  tant  d'exemples  en  pathologie?  Ne  pourrait- il  pas  en  quel- 
que sorte  être  comparé  au  diabète,  qui  parait  résulter  de  causes 
si  diverses  ? 

Roussy,  dans  son  très  remarquable  rapport  au  Congrès  des  aliénistes 
et  neurologistes  (Strasbourg  1920),  croit  avoir  trouvé  dans  l'anatomie 
pathologique  la  solution  de  la  question  et  défend  avec  un  grand  talent 
la  thèse  d'une  individualité  basedowienne  opposée  aux  syndromes  base- 
dowiformes. Pour  lui,  dans  le  goitre  exophtalmique  vrai,  il  y  a  des 
lésions  spécifiques  qu'il  décrit  ainsi  : 

1°  Des  lésions  d'hyperplasie  épithéliale  des  cellules  cylindriques  avec 
état  végétant  des  acini,  des  modifications  de  la  matière  colloïde.  Ces 
lésions  sont  comparables  à  celles  observées  chez  les  chiens  qui  ont  subi 
une  section  partielle  de  la  glande  et  dans  le  corps  thyroïde  desquels  on 
trouve  des  réactions  d'hypertrophie  compensatrice. 

2°  Des  lésions  d'atypic  cellulaire  banales  avec  présence  d'ilôts 
éosinophiles  qui  ne  se  rencontreraient  que  dans  la  vraie  maladie  de 
Basedow. 

3°  Des  lésions  de  néoformation  lymphoïde  dans  14  cas  sur  15,  avec 
reviviscence  du  thymus  et  adénite  cervicale. 

Ces  lésions  sont-elles  spécifiques  ?  Elles  nous  semblent  n'avoir 
qu'une  valeur  relative.  Ni  l'éosinophilie,  ni  les  lésions  d'hyperplasie 
épithéliale,  ni  les  réactions  lymphoïdes  ne  nous  paraissent  suffisantes 
pour  étayer  sur  elles  une  entité  anatomo-clinique.  Elles  constituent  un 
mode  de  réaction  dont  nous  essaierons  plus  loin  île  trouver  l'origine, 
et  qui  n'a  rien  de  vraiment  spécifique. 

Le  syndrome  de  Basedow  n'est  pas  un  syndrome  anatonio-elinique. 
c'est  un  syndrome  physiologico-clinique  dont  la  bise  est  l'hyperplasie 
thyroïdienne,  quelle  qu'en  soit  l'origine  ;  ainsi  conçu,  il  n'est  qu'une  anti- 
thèse du  myxoedème,  qui  peut  résulter  aussi  bien  d'un  acte  chirurgi- 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE  295 

cal  que  d'une  agénésie  congénitale  ou  de  lésions  scléreuses  acquises. 
C'est  un  syndrome  dont  la  base  est  l'hyperthyroïdisation  :  n'y  a-t-il 
qu'exagération  de  la  sécrétion  thyroïdienne  ?  Y  a-t-il  en  même  temps 
adultération  ?  La  question  est  difficile  à  trancher,  elle  est  d'autant  plus 
complexe  que  par  l'intermédiaire  du  milieu  sanguin,  le  corps  thyroïde 
fait  partie  d'un  système  et  a  des  connexions  physiologiques  avec  toutes 
les  autres  glandes  endocrines.  Quelle  est  la  note  que  donne  chacune 
d'elles  dans  le  syndrome  basedowien  ;  quelle  part  y  prennent  la 
surrénale,  le  thymus,  l'hypophyse,  l'ovaire,  les  parathyroïdes  qui  ont 
été  tour  à  tour  mises  en  causedans  sa  production  ?  Quel  est  aussi  le  rôle 
qu'il  ne  faut  point  méconnaître  du  système  sympathique  si  intimement 
intriqué  dans  le  système  endocrinien  ?  Ce  sont  des  problèmes  qui  sont 
longs  à  résoudre,  mais  qui  ne  doivent  point  faire  méconnaître  le  rôle 
capital  de  riiyperthyroïdation,  base  physiologique  du  syndrome. 

LES  CAUSES  DU  SYNDROME    BASEDOWIEN 

Sous  quelles  influences  se  produit  l'altération  de  la  sécrétion  thj'roï- 
dienne  ? 

On  eût  répliqué,  autrefois  sans  hésiter  :  sous  l'influence  d'une  émo- 
tion brusque  ou  d'émotions  répétées.  N'a-t-on  point  cité  des  cas,  où  un 
individu  tombé  subitement  à  l'eau  était  retiré  avec  tous  les  symptômes 
d'un  goitre  exophtalmique,  qu'il  n'avait  pas  auparavant?  Ces  faits  de- 
mandent revision  ;  d'ailleurs  Roussy  n'a-t-il  point  montré  la  rareté  du 
goitre  exophtalmique  après  une  guerre  qui  n'a  point  été  sans  soumettre 
à  des  émotions  multiples  un  grand  nombre  de  sujets?  L'émotivité  est 
un  effet,  sans  doute,  au  lieu  d'être  la  cause. 

Certains  individus  d'ailleurs  ont  une  prédisposition  congénitale  à 
l'hyperactivité  thyroïdienne,  ce  sont  ceux  qui  sont  atteints  de  basedo- 
wisme  congénital  et  chez  lesquels  une  émotion  minime  crée  temporai- 
rement, pour  quelques  minutes,  parfois  pour  quelques  secondes,  un 
état  basedowien  (saillie  des  globes  oculaires,  tachycardie,  tremble- 
ment) ;  l'autre  variété  de  prédisposition  tient  à  une  épine,  l'altération 
antérieure  du  corps  thyroïde,  universellement  connue  dans  les  régions 
go  i  tri  gènes 

Enfin  l'état  du  système  génital  a  une  grosse  influence  sur  le  dévelop- 
pement du  goitre  exophtalmique  :  d'après  une  série  de  recherches  faites 
avec  Gastaud  et  Delestre,  l'aplasie  génitale  a  été  à  tort  considérée 
comme  la  conséquence  de  la  maladie,  alors  qu'elle  lui  préexiste.  Chez 
les  basedowiennes  il  y  a  deux  variétés  bien  nettes  de  lésions  ovariennes  : 
1"  chez   les   jeunes  les    signes  d'hypoovarie  sont  manifestes  à  l'époque 


/'.  SA/A  TÇ  \ 

pubérale  et  continuent  au  delà,  le  corps  thyroïde  est  et  demeure  volu- 
mineux ;  2°  chez  les  femmes  plus  âgées,  les  lésions  utéro-annexielles 
sont  acquises  et  retentissent  sur  le  corps  thyroïde, surtout  si  la  malade 
avait  antérieurement  un  petit  goitre.  Survient  une  cause  provocatrice 
quelconque  :    le  goitre    exophtalmique  éclate. 

Parmi  les  agents  basedowigènes,  le  plus  puissant  est  l'infection  : 
toutes  les  maladies  infectieuses  peuvent  être  à  l'origine  d'un  goitre 
exophtalmique  en  provoquant  une  réaction  thyroïdienne  :  la  fièvre 
typhoïde,  la  grippe,  le  rhumatisme,  etc.,  ont  été  incriminés.  Garnier, 
sous  l'inspiration  de  Roger,  a  montré  les  réactions  qu'elles  amènent 
dans  la  glande.  Mais  parmi  les  grandes  infections,  deux  passent  au 
premier  plan,  la  tuberculose  et  la  syphilis.  De  même  que  la  tuberculose 
produit  sur  la  glande  surrénale  des  réactions  d'hypo-épinéphrie,  d'addi- 
sonisme,  de  même  elle  provoque  des  réactions  dans  un  sens  contraire 
dans  la  glande  thyroïde  en  produisant  l'hyperthyroïdisme,  si  fréquent 
chez  les  sujets  porteurs  de  lésions  bacillaires  plus  ou  moins  torpides, 
adénopathies  multiples,  tumeurs  blanches,  lésions  pleuro-pulmonaires. 
C'est  au  goitre  exophtalmique  tuberculeux  qu'il  faut  rapporter  les 
formes  fébriles  ;  c'est  à  l'infection  tuberculeuse  qu'il  faut  attribuer  les 
pleurésies  hémorrhagiques  qui  constituent  parfois  un  épisode  de  l'évo- 
lution de  la  maladie. 

Quant  à  la  syphilis,  comme  nous  l'avons  signalé  après  Abrahams, 
Penzoldt,  elle  joue  un  rôle  insoupçonné.  Schullmann  a  réuni  dans  sa 
thèse  la  plupart  des  observations:  il  suffit  de  jeter  un  regard  sur  le 
tableau  suivant  qui  lui  est  emprunté,  pour  voir  comment  voisinent  dans 
une  même  famille  les  accidents  basedowiens  et  nerveux  d'origine 
spécifique. 

TABLEAU  I 

(ïoitre  exophtalmique  familial  d'origine  syphilitique     Th.  de  Schulmann  . 
Famille  P...  11  knfants. 
1  et  2.  —  Morls  en  bas  âge. 

3.  —  Lucie.  Morte  à  12  ans  d'une  affection  de  la  moelle  épinière. 

4.  —  Léon.  Mort  à  49  ans,   à  Ivry.  Aveugle,  ataziqae  avec  ulcérations  ans  jambes. 

Exophtalmie  ? 

5.  —  Victor,  50  ans.Tabétique.  Ezophlalmie  1res  légère.  Tachycardie  (85 très  légère 

6.  —    Marthe,  46  ans.  Non  vue. 

7.  —  Louis,  3<S  ans.  Exophlalmie    l'as  de  goitre.  Légère  tachycardie  (90).  Tremble- 

ment léger,  niais  net    l.cucoplasie  buccale.   Réaction  de  Wasscrinann  positive. 

8.  —  Hélène,  36  ans.  Gros  goitre    Ëxophtalmie    Tachycardie  120.  Tremblement.  Ré- 

•    trognathisme.  Réaction  de  Wassermann  positive. 

9.  —  Louise,  33  ans.  l'as  de  goitre    Légère  exophtalmie    Léger  tremblement.  Tachj 

cardie  minime (100).  Nérvosisme.  Surdité  de  l'oreille   droite.  Grosse   hydai 
throse  idiopathique  bilatérale.  Réaction  de  Wassermann  positive. 


LE  GOITRE   EXOPHTALMIQUE  297 

10.  —  Marguerite,  31  ans.  Pas  de   goitre     Tachycardie   110     Exophtalmie.    Tremble- 

ment. Rhumatisme    chronique.    Rétrognathisme.    Grosses   déformations   den- 
taires. Réaction  de  Wassermann  positive. 

11.  — Fernande,  26  ans    Pas  de  goitre.  Exophtalmie.  Tachycardie    marquée.  Trem- 

blement (130).   Plaque  de  leucoplasie.   Rétrognathisme.  Réaction   de   Wasser- 
mann  positive. 

La  syphilis  en  effet  esta  la  base  des  goitres  exophtalmiques  familiaux, 
des  goitres  exophtalmiques  conjugaux  et  de  la  plupart  de  ces  syndromes 
associés  pour  lesquels  on  avait  si  grand'peine  autrefois  à  établir  un 
lien  entre  le  syndrome  thyroïdien  et  le  syndrome  nerveux  (épilepsie, 
myasthénie,  tabès,  sclérose  combinée,  etc.).  Ce  sont  sans  doute  des 
syphilitiques  héréditaires,  ces  basedowoïdes  de  Stern,  qui  ont  toutes 
les  tares  des  dégénérés,  ne  guérissent  jamais,  mais  n'arrivent  aussi 
jamais  au  syndrome  complet.  La  syphilis  héréditaire  ou  acquise  est 
un  des  grands  facteurs  basedowigènes  chez  l'homme,  chez  lequel  l'évo- 
lution de  la  maladie  est  souvent  si  grave  ;  elle  coïncide  souvent  d'ailleurs 
avec  une  lésion  aortique  Les  goitres  exophtalmiques  postsyphilitiques 
comprennent  deux  catégories:  les  syndromes  de  la  période  secondaire, 
facilement  réductibles,  et  les  syndromes  tertiaires,  plus  tenaces. 

Ce  rôle  si  longtemps  méconnu  de  la  syphilis  et  de  la  tuberculose  dans 
le  syndrome  de  Basedow  ne  demande-t-il  pas  à  être  médité  ?  Lorsqu'on 
le  rapproche  des  constatations  anatomiques  si  intéressantes  de  Roussy, 
n'est-on  point  tenté  de  conclure  que  les  réactions  lymphoïdes  et 
l'éosinophilie  qu'il  nous  décrit  sont  la  manifestation  d'une  action  de 
l'une  ou  l'autre  de  ces  infections  qui  ont  une  si  grande  affinité  pour  le 
tissu  lymphoïde. 

A  un  âge  plus  avancé,  une  troisième  infection,  le  cancer,  ne  doit 
point  être  méconnue  ;  il  est  souvent  la  cause  de  ces  goitres  exophtal- 
miques à  marche  rapide  que  n'enraye  aucun  traitement. 

LES  SYMPTOMES 

La  symptomatologie  du  goitre  exophtalmique  est  tellement  touffue 
qu'il  est  impossible  d'exposer  ici  toute  l'histoire  clinique  de  ce  syn- 
drome. Il  ne  sera  donc  question  dans  cette  conférence  que  de  points 
nouveaux  ou  contestés  qui  ne  sont  point  suffisamment  exposés  dans 
les  livres  classiques. 

Parmi  les  symptômes  circulatoires,  la  tachycardie  est  bien  connue; 
elle  est  des  plus  variables,  peut  aller  de  105  à  130  et  même  170  pulsa- 
tions à  la  minute.  Van  Hœsslin,  Gallavardin  ont  attribué  une  certaine 
valeur  à  la  fréquence  matutinale  du  pouls,  qui  serait  au-dessus  de  la 
fréquence  vespérale  ;  les  recherches  systématiques   faites   sur  un  cer- 


298  /'.   S  Al  \  TO  \ 

tain  nombre  de  mes  malades  sont  en  contradiction  avec  cette  opinion; 
le  pouls  pris  par  la  même  personne  est  plus  fréquent  le  matin  (pie  le 
soir  ;  j'ai  souvent  remarqué  que  la  visite  du  matin  était  pour  les  ma- 
lades une  cause  d'émotion  qui  pouvait  fausser  l'appréciation  et  qu'il  y 
avait  lieu  de  ne  pas  accepter  eette  accélération  matutinale  comme 
ayanl  une  valeur  diagnostique  quelconque.  Une  malade  de  mon  service 
avait,  au  moment  où  l'on  s'approchait  de  son  lit  le  matin,  une  exacer- 
bation  générale  des  symptômes,  exophtalmie,  tremblement  et  tachycar- 
die, qui  eessait  alors  que  s'éloignait  la  visite. 

En  même  temps  (pie  la  tachycardie,  existe  souvent  de  l'arythmie  ; 
celle-ci  a  des  caractères  particuliers,  elle  peut  évoluer  pendant  de 
longues  années  sans  s'accompagner  d'oedème,  les  malades  s'en  plaignent, 
mais  elle  ne  s'accompagne  pas  d'impotence  fonctionnelle,  la  période 
de  décompensation  ne  survient  pas  comme  dans  les  affections  cardia- 
ques. Elle  parait  dans  certains  cas  comparable  aux  symptômes 
d'asynergie  musculaire,  qui  sont  l'apanage  de  la"  maladie  de  Basedow  et 
reconnaît  une  origine  nerveuse  ;  il  y  a  lieu  de  se  demander  quelle  part 
y  prend  le  système  nerveux  intracardiaque  et  le  bulbe.  La  pression 
artérielle,  d'après  les  recherches  de  Liau,  est  en  général  supérieure  à 
la  normale  ;  elle  n'est  jamais  excessive. 

L'aorte  chez  les  basedowiens  est  souvent  un  peu  plus  volumineuse 
que  chez  des  sujets  de  même  âge  d'après  les  examens  radioscopiques 
les  plus  récents  que  nous  ayons  pratiqués,  il  est  bien  entendu  qu'il  ne 
saurait  s'agir  des  cas  où  il  y  aurait  une  aortite  concomitante. 

Comment  réagissent  dans  le  goitre  exophtalmique  les  nerfs  qui  ont 
sous  leur  dépendance  la  régulation  cardiaque?  La  tachycardie base- 
dowienne  fait  penser  que  les  réactions  sympathiques  l'emportent  sur 
l'action  vagotonique.  Les  premières  recherches  faites  pour  examiner  le 
mode  de  réaction  des  sujets  atteints  de  goitre  exophtalmique  sont  dues 
à  Falta,  Rûdinger  et  Hess.  Pour  cela  ils  avaient  recours  à  deuxépreuves, 
la  première  était  l'injection  de  solution  de  pilocarpine,  augmentant  le 
tonus  du  vague  et  manifestant  son  activité  par  île  la  salivation,  des 
sueurs,  de  la  rougeur  de  la  peau,  des  mouvements  péristaltiques  ; 
la  seconde  était  l'épreuve  inverse  :  injection  d'une  solution  d'a- 
drénaline au  millième  (épreuve  de  Gœtsch),  donnant  lieu  à  île  la 
polyurie,  de  la  tachycardie  et  de  la  glycosurie.  Le  résultat  de  ces 
épreuves  varie  suivant  les  sujets  ;  les  uns  sont  réfractaires  à  l'une  et 
sont  sensibles  à  l'autre,  d'autres  réagissent  aux  deux,  de  sorte  qu'il  y 
aurait  des  basedowiens  vagotoniques,  sympathicoloniques,  ou  neutres 

Une   épreuve  plus  simple,  moins    pénible    pour  les  malades   et    sulli- 


LE   GOITRE  EXOPHTALMIQUE 


299 


santé  dans  la  pratique,  est  celle  du  réflexe  oculo-cardiaque.  Si  l'on  com- 
prime les  globes  oculaires  et  que  l'on  compte  le  nombre  des  pulsations, 
trois  éventualités  peuvent  être  réalisées  :  1°  le  sujet  réagit  par  un  ralen- 
tissement du  pouls  supérieur  à  10  pulsations,  ce  qui  signifie  une  pré- 
dominance   du  système     vague,   il   y  a   hypervagotonie    provoquée  ; 


Fig.  3.  —  Exophta'.mie  bilatérale,  élargissement  de  la  lente  palpébrale. 


2°  le  sens  de  la  réaction  est  l'inverse  du  précédent,  il  y  a  sympathico- 
tonie  ;  3"  le  réflexe  est  absent,  soit  qu'il  y  ait  lésion  des  conducteurs, 
soit  que  l'action  frénatrice  du  vague  et  l'action  accélératrice  du  sym- 
pathique s'égalisent  ;  4°  enfin  il  peut  y  avoir  variation  du  sens  du 
réflexe  chez  le  même  sujet. 

Par  un  paradoxe  singulier,  les  résultats  de  cette  exploration  sont 
inattendus.  L'épreuve  de  Yhypervagotonie  provoquée  est  positive  clans 
60/100  des  cas,  il  y  a  inversion  du  réllexe,  par  conséquent  lujpersijm- 
pathicotonie  provoquée  dans  10/100  des  cas,  le   réflexe  est   normal  clans 


300 


P.  SAIN  TON 


30  100;  tes  chiffres  sont  très  voisins  de  ceux  publiés  par  le  Pr  Mara- 
non.  Enfin,  chez  plusieurs  sujets  à  réaction  hypervagotonique  habi- 
tuelle, il  y  a  au  moment  des  règles  une  accélération,  témoignage  dv 
l'instabilité  vagO-sympathique  ou  thyroïdienne  signalée  par  Léopold 
Lévi.  Le  syndrome  de  Basedow  est  un  de  ceux  où  le  rellexc  oculo-car- 
diaque  est   le    plus   marqué.    Il   peut  y  avoir  des  ralentissements  de 


Exophtalmie  uniialé 


52  pulsations  :  ce  ralentissement  s'accompagne  en  général  d'une  élé- 
vation de  l'indice  oscillométrique.1L&  pression  des  globes  oculaires  modi- 
fie non  seulement  la  tachycardie,  mais  encore  le  tremblement,  comme 
l'ont  montré  Achard  et  Binet. 

Les  signes  oculaires  sont  nombreux  ;  leur  étude  détaillée  serait 
très  longue,  mais  j'ai  pensé  qu'il  y  avait  lieu  de  les  grouper  dans  un 
tableau  d'ensemble  qui  les  résume  :  rappelons  que  leur  fréquence  est 
très  variable.  L'exophtalmie  se  rencontre  dans  71  100  des  cas,  elle  est 
plus  prononcée  du  coté  de  l'hypertrophie  thyroïdienne,  le  signe  de 
de   Graefe    dans  71/100   des  cas,    le    signe   de  Mubius    el    h'    signe    de 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE  301 

Stellwag  dans  17/100,  les  troubles  pupillaires  sont  rares,  même  lors- 
qu'on les  recherche  par  l'épreuve  de  la  mydriase  provoquée  de  Can- 
tonnet. 

TABLEAU  II 
SIGNES  OCULO-PALPÉBRAUX 

I.  Signes  oculaires  (globe  de  l'œil)  : 

Exophtalmie  uni  ou  bilatérale. 
Enoplitalmie  (exceptionnelle). 

II.  Signes  de  dyssynergie  motrice  oculo-palpébrale  ou  oculaire  : 

!   Absence    de    la  contraction    du    frontal    dans    le 
Signe  du  frontal regard  en  haut  (Joffroy).  Retard  de  cette  con- 

'        traction  (Sainton). 
ç.         ,     ,    r      f  (  Asynergie  des  mouvements  de  la  paupière  supé- 

I       rieure  et  du  globe  de  1  œil. 

t..  ,     „         ,      i  (  Tremblement  des   paupières   fermées.    Signe    du 

Signe  de  Rosenbach ]         ,.  r      r 

(       clignement. 

Signe  de  Mœbius Défaut  de  convergence  des  axes  oculaires. 

Secousses  nystagmiques (horizontales  ou  verticales). 


III.  Signes  de  déficit  musculaire  : 
Signe  de  Stellwag 


(,   Rareté  et  inachèvement  de  la  fermeture  involon- 


(       taire  des  paupières. 
Paralysies  oculaires  (rares).     .     .       vie,  me,  ive  paire. 

IV.  Signes  de  spasmodicité  : 

«■'•'        j    *-••.«    j  t  Rétraction    spasmodique    de    la   paupière   supé- 

Siqne  de  Gifford {.  l  n  lr 

f       rieure. 

Mydriase,  7  0/0. 
Myosis,  2  0/0 
Anisocorie.  4  0/0. 

Inégalité  pupillaire  à  bascule  (Sainton  et  Rathery  ' 

V.  Signes  pupillaires.     :     .     .     .  <         '        ,•  ,, 

exceptionnelle 

,    Contraction  par  à-coups  de  la 

Signe  de  Goivers  \     pupille  au  réflexe  moteur  con- 

'     sensuel. 

(  Névrite  optique 

VI.  Signes  de  lésion  du  nerf  optique.     .   (  Ambiopie  thyroïdienne. 

VII.  Signes  conjonctivaux  : 

i    (Vaso  dilatation  se  traduisant  par  4  stries  étoilées 

Signe  de  Topolanski ■'       ou  en   croix  et  par  congestion  de   deux  veines 

f       juxtacornéennes. 

VIII.  Signes    pigmentaires  palpébratjx  : 

Signe  de  Jellineck-Teillais.     .     .     .     Pigmentation  palpébrale  et  périorbitaire. 

En  regardant  ce  tableau,  on  est  frappé  de  l'importance  des  symptômes 
de  dyssynergie  :  le  signe  du  frontal,  le  signe  de  de  Graefe,  le  signe  de 
Mœbius,  les  secousses  nystagmiques,  le  signe  de  Rosenbach,  comme 


102  P.  SAINTOh 


d'ailleurs  le  tremblement,  ne  sont  que  des  troubles  syncinétiques.  En 
les  groupant  comme  nous  l'avons  fait,  il  est  une  réflexion  qui  s'impose  : 
c'esl  leur  similitude  avec  ceux  de  l'encéphalite  léthargique  ;  ils  sont 
parcellaires,  ils  sont  variables,  et  lorsqu'on  veut  mettre  en  cause  tel  ou 
tel  groupe  musculaire  on  est  embarrassé.  Ce  rapprochement  veut  dire 
simplement  (pie  le  poison  basedowien  a  une  action  élective  sur  le 
mésocéphale,  qu'il  a,  comme  le  virus  de  l'encéphalite  léthargique,  ten- 
dance à  s'y  fixer.  L'amblyopie  et  la  névrite  optique  ont  été  réalisées 
expérimentalement.  Quant  aux  paralysies  localisées,  qui  sont  d'ailleurs 
très  rares,  elles  doivent  être  rattachées  à  une  syphilis  nerveuse  con- 
comitante d'un  syndrome  basedowien  syphilitique. 

Le  troisième  symptôme,  le  goitre,  sera  étudié  au  point  de  vue  du  dia- 
gnostic thérapeutique  et  je  n'insiste  point,  sur  lui  non  plus  que  sur  le 
trem blement  à  rythme  moyen  étudié  dans  la  thèse  de  Pierre  Marie  et 
sur  lequel  aucune  notion  nouvelle  n'a  été  apportée. 

Après  la  tachycardie,  après  l'exophtalmie,  après  le  tremblement, 
après  le  goitre,  le  cinquième  symptôme,  le  plus  important,  est  le  trouble 
profond  du  métabolisme  qui  existe  chez  les  basedowiens. 

Le  métabolisme .  —  Un  des  sj'mptômes  qui  fait  partie  du  signale- 
ment des  basedowiens  est  leur  maigreur  C'est  qu'en  effet  l'amaigris- 
sement est  un  des  signes  initiaux  de  la  maladie  ;  il  en  précède  souvent 
de  longtemps  les  manifestations  évidentes.  11  fait  considérer  les  base- 
dowiens comme  des  tuberculeux,  des  dyspeptiques,  des  entéritiques, 
des  neurasthéniques,  jusqu'au  moment  où  l'augmentation  de  volume  du 
cou  ou  la  prorusion  du  globe  oculaire  fixent  l'attention. 

Parfois  l'amaigrissement  survient  par  crises  ;  en  quelques  semaines 
les  malades  perdent  5  à 6  kilos,  puis  la  crise  cesse,  l'état  général  s'amé- 
liore jusqu'à  ce  (pie  survienne  un  nouvel  accident.  Le  plus  souvent, 
l'amaigrissement  est  progressif,  il  évolue  parallèlement  avec  les  autres 
symptômes  de  la  maladie  et  s  accompagne  de  troubles  digestifs  et  de 
diarrhée  profuse  considérée  autrefois  comme  d  origine  nerveuse. 
Toutes  les  recherches  modernes  concordent  à  démontrer  que  ces 
troubles  nutritifs  sont  la  conséquence  d'une  intensité  anormale  des 
processus  oxydatifs.  Les  premières  recherches  faites  en  Allemagne  à 
l'aide  de  l'appareil  de  N'oit  Pettenkœffer  ont  montré  que  le  processus 
basedowien,  aussi  bien  d'ailleurs  que  le  thvroïdisme  alimentaire,  accé- 
lère les  échanges  nutritifs  dans  une  proportion  qui  peut  atteindre  jus- 
qu'à 80/100. 

Aux  Etats-Unis,  où   le  goitre  exophtalmique  est    plus  grave  et  plus 


LE   GOITRE   EXOPHTALMIQUE 


303 


fréquent  qu'en  France,  l'étude  du  métabolisme  basai  à  l'aide  de  l'appa- 
reil de  Benedickt  suivant  la  méthode  de  Dubois  est  employée  comme 
moyen  d'investigation  du  degré  de  l'intoxication  basedowienne.  Qu'il 
me  soit  permis  de  rappeler,  avant  d'aller  plus  loin,  la  définition  du 
métabolisme  basai,  mesuré  par  la    méthode  calorimétique  indirecte. 

TABLEAU   III 


I.  Repos. 


III.   Radiothérapie. 


IV.    Thyroïdectomie. 


II.   Repos 
B.    de  quinine. 

Diagramme  emprunté  à  Means  et  Aub  indiquant  l'effet  des  divers  traitements  sur  le  métabolisme. 
Les  colonnes  montrent  dans  quelles  proportions  le  métabolisme  avant  et  après  le  traitement  dépasse 
le  métabolisme  d  un  individu  normal  ;  les  bandes  noires  indiquent  que  le  sujet  est  au  repos  complet, 
les  bandes  mi-ombrées  indiquent  qu'il  est  au  lepos  partiel,  les  bandes  claires  qu'il  est  laissé  à  ses 
occupations. 


I"  Colonne.  Repos.  A1*  avant  le  traitement  ; 
B)   1  à  3  semaines  après. 

II'  Colonne.  Repos  -f-  Bromhydrate  de  quinine  ; 
A)  avant  le  traitement  ;  B)  1  à  3  semaines  après. 

III.  Radiothérapie.  A)  avant  le  traitement  ;  B)  4 
à  5  semaines  après  l'exposition  aux  rayons  et 
avec  1  à  3  séances  ;  C)  5  mois  après  et  avec 
1  à  5  séances;    D)    13    mois  après  et    avec  G  à 


7  séances  ;  E)  24  mois  après  et  avec  10  séances 
et  plus  ;  F)  2  à  3  ans. 
IV''.  Thyroïdectomie.  A)  avant  le  traitement  ; 
B)  1"  quinzaine  après  l'opération  :  C)  2'  quin- 
zaine après  l'opération  ;  D)  3  à  4  mois  après 
1  opération  ;  E)  4  à  5  mois  après  1  opération  ; 
F)  10  à  24  mois  après  l'opération  ;  G)  3  et 
4  ans. 


C'est  la  production  minima  de  chaleur  d'un  organisme  mesurée  12  ou 
18  heures  après  l'ingestion  d'aliments,  l'organisme  étant  au  repos 
musculaire  complet  '.  Cette  production  minima  de  chaleur  peut  être 
déterminée  directement  au  moyen  du  calorimètre  ou  indirectement  en 
calculant  hi  production  de  chaleur  d'après  l'analyse  des  produits 
terminaux  résultant  de  l'oxydation  de  l'organisme  ou  plus  spéciale- 
ment de  l'apport  d'oxygène  utilisé  et  du  chiffre  correspondant  d'acide 
carbonique  produit,    comparé  à    l'azote  total   éliminé  par  les    urines. 


1.  Voir  Waltheh  Bootiiley  et  [rêne  Sandiford  :  Laboratory  Manuel  of  the  techiiic  of 
basai  metabolic  rate  détermination.  Philadelphie  et  Londres,  1920. 


304  P.   SAI  \  I  0  \ 

Pour  les  auteurs  américains,  parmi  lesquels  nous  citerons  Means  et 
Aub,  Mac  Caskey,  Sistrunk,  Christie,  il  y  aurait  non  seulement  un 
moyen  pratique  de  reconnaître  l'intoxication  thyroïdienne,  mais 
encore  d'en  mesurer  le  degré  et  de  se  rendre  compte  de  l'efficacité 
tles  divers  traitements.  Je  ne  puis  mieux  faire  à  cet  égard  que  de 
reproduire  le  tableau,  emprunté  à  Means  et  Aub,  qui  montre 
l'efficacité  des  divers  traitements  employés  :  repos,  traitement 
quinique,  traitement  chirurgical.  En  le  lisant,  on  voit  comment  un 
métabolisme  basai  de  80  p  100  peut  être  réduit  sous  l'influence  du 
traitement  par  la  quinine,  du  traitement  radiothérapique  ou  du 
traitement  chirurgical. 

Si  l'on  admet  ces  théories,  le  basedowien  serait  un  prodigue  qui 
absorbe  et  dépense  sans  compter. 

On  doit  se  demander  si  le  problème  posé  n'est  pas  plus  complexe 
et  si,  non  content  de  dépenser,  le  basedowien  utilise  bien  ce  qu'il  apporte 
dans  son  organisme.  En  d'autres  termes,  chez  ces  malades  l'assimila- 
tion est-elle  troublée  ? 

Le  métabolisme  des  matières  azotées  est  modifié  ;  d'après  Lueders, 
il  y  aurait  dans  l'excrétion  urinaire  des  basedowiens  augmentation 
de  l'azote  total,  de  l'ammoniaque.  Il  y  a  désaccord  sur  l'élimination  de 
la  créatinine,  qui  serait  augmentée  pour  les  uns,  normale  pour  les 
autres.  Les  recherches  expérimentales  montrent  en  effet  que  l'admi- 
nistration d'extrait  thyroïdien  amène  chez  les  animaux  de  la  polyurie 
avec  azoturie  et  perte  de  poids.  On  peut  cependant  se  demander  si 
cette  action  de  l'extrait  thyroïdien  est  spécifique  ou  si  elle  n'est  pas 
la  conséquence  de  la  polyurie. 

De  même  l'assimilation  des  graisses  parait  troublée  :  il  en  est  de 
même  des  échanges  phosphores  d'après  Scholtz,  qui  signale  une  forte 
déperdition  phosphorée  par  le  tube  digestif,  manifestée  par  une  aug- 
mentation  de  la  proportion    du  phosphore    dans  les  selles. 

Quant  au  métabolisme  des  hydrates  de  carbone,  son  étude  mérite 
qu'on  s'y  arrête  longuement.  Depuis  longtemps  les  associations  du 
diabète  et  du  syndrome  de  Basedow  sont  connues  ;  d'après  la  thèse 
faite  par  le  D1  Gastaud,  sous  mon  inspiration  le  diabète  se  montre 
dans  environ  3  p.  100  des  cas  11  revêt  deux  formes  :  1°  le  type  de 
diabètegrave,  assez  rare;  2°  une  forme  légère  et  transitoire.  Pour  Marcel 
Labbé,  les  poussées  diabétiques  seraient  parallèles  aux  exacerba- 
lions  basedowiennes  et  coïncideraient  avec  des  crises  de  tachycardie, 

de  diarrhée,     de    fatigue    et  de    polyurie  :     le    coma    n'est    pas    excep- 
tionnel ;  l'acidose   est   constante  et   serait  d'ailleurs  indépendante  du 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE  305 

trouble  gluco-régùlateur.  Cette  association  avec  le  diabète  a  fait  penser 
que  l'hyperthyroïdisme  ou  le  basedowisme  jouait  un  rôle  dans  sa 
provocation  et  a  incité  à  faire  chez  les  basedowiens  l'épreuve  de  la 
glycosurie  alimentaire.  Or  celle-ci  est  très  inconstante  et  très  iné- 
gale. Dans  une  série  de  recherches  faites  avec  Schullmann  et 
Justin-Besançon,  nous  avons  étudié  la  glycémie  normale,  et  la  glycé- 
mie provoquée  par  l'injection  de  glucose,  par  l'injection  d'extraits  glan- 
dulaires, comme  l'extrait  hypophysaire,  l'extrait  thyroïdien,  et  enfin 
d'adrénaline  (épreuve  de  Gcetsch,  etc.).  Les  résultats  obtenus  avec  la 
méthode  de  Folin  et  Wuhien,  qui  utilise  les  procédés  colorimétriques, 
pour  le  dosage  du  sucre,  montrent  que  la  glycémie  n'est  jamais  très 
supérieure  à  la  normale,  que  l'intensité  de  la  glycémie  provoquée  n'est 
nullement  en  rapport  avec  le  degré  du  goitre  exophtalmique  et  que  le 
rôle  gluco-régulateur  de  la  glande  thyroïde  est  sous  la  dépendance 
d'autres  glandes.  On  peut  accuser  successivement  le  foie,  l'hypophyse, 
la  surrénale    et   les    parathyroïdes. 

Il  y  a  lieu  de  soulever  aussi  l'hypothèse  d'un  processus  étiologique 
unique,  agissant  sur  plusieurs  glandes  à  la  fois .  On  sait  le  rôle  de 
la  syphilis  dans  la  production  du  goitre  exophtalmique  :  Pinard  et 
Velluot  lui  attribuent  une  part  non  moins  importante  dans  la  pro- 
duction du  diabète,  si  bien  qu'il  y  a  lieu  de  poser  la  question  de 
l'existence  des  deuxsyndromessous  l'influence  d'un  agent  causal  unique 
qui  serait   le  tréponème. 

Les  troubles  nerveux    et  le  psychisme.  —  Ils  seront  très  briè 
veinent   signalés.  La   plupart  des    troubles  moteurs  signalés  chez  les 
basedowiens,  à  part  le   tremblement,  n'appartiennent  pas  en   propre 
au  syndrome  :  le  dérobement  des  jambes,  la  paraplégie,  l'hémiplégie, 
doivent  être  rapportés  à  la   syphilis. 

Dans  l'étude  du  psychisme  des  basedowiens,  il  y  a  lieu  de  distin- 
guer, avec  Laignel-Levastine,  un  fond  mental  et  des  psychoses  sura- 
joutées 4.  Qu'il  me  suffise  de  rappeler,  en  ce  qui  concerne  le  fond 
mental,  l'émotivité  des  sujets,  leur  angoisse,  leur  irritabilité,  leur  ins- 
tabilité, leur  activité  incessante,  désordonnée  comme  leurs  gestes,  la 
mobilité  de  leurs  idées  et  de  leurs  sentiments. 

Les  troubles  pigmentaires  cutanés  sont  fréquents  dans  le 
goitre   exophtalmique,    ils   sont   intéressants    à   étudier  aussi  bien    au 


1.  Voir  dans  ce  volume  la  conférence    de  M.    Laignel-Lavasline  sur    les    psychoses 
thyroïdiennes. 

CONFÉR.    NKUROL.  20 


/*.  SAIA  m\ 

point  de  vue  clinique  qu'au  point  de  vue  de  la  pathogénie.  A  côté 
du  signe  de  Jellineck  Teillais,  se  montrent  diverses  variétés  de  pigmen- 
tation  que  j'ai  étudiées  avec  Ghéronnet . 

Ce  sont  souvent  des  pigmentations  diffuses  des  organes  génitaux, 
du    mamelon,  des    plis    articulaires  et  des    replis    cutanéo-muqueux. 

Parfois  il  y  a  mélanoderinie  généralisée,  sans  pigmentation  des 
muqueuses  ;  enfin  il  y  a  des  cas  où  le  syndrome  addisonien  s'étale 
au  grand  complet,  avec  présence  de  plaques  pigmentaires  de  la 
bouche,  avec  asthénie,  hypotension,  ligne  blanche  de  Sergent  et 
frilosité.  Dans  un  cas  personnel,  la  mélanodermie  fit  place  au 
vitiligo. 

La  coexistence  chez  un  même  individu  d'un  syndrome  de  Basedow 
et  d'un  syndrome  d'Addison  va  tout  à  fait  à  l'encontre  des  théories 
de  l'école  de  Vienne,  qui  font  de  l'hyperadrénalémie  et  de  l'hyperé- 
pinéphrie  le  pivot  du  syndrome  de  Basedow  ;  il  y  aurait  stimulation 
du  système  chromaffine  se  traduisant  par  la  sécrétion  exagérée 
d'adrénaline  et  excitation  du  pancréas.  La  présence  d'adrénaline  en 
excès  dans  le  sang  est  plus  que  problématique  chez  les  basedowiens  ; 
car  la  clinique  nous  montre  l'hyperthyroïdie  voisinant  avec  l'in- 
suffisance surrénale.  Les  faits  sont  plus  faciles  à  expliquer  si  l'on 
met  en  cause  une  action  double  sur  la  glande  thyroïde  et  la  glande 
surrénale,  due  le  plus  souvent  à  la  tuberculose,  peut-être  parfois  à  la 
syphilis. 

Il  est  impossible  de  traiter  des  troubles  cutanés  sans  signaler  les 
œdèmes  :  ils  sont  variés  ;  parfois  l'œdème  est  aigu,  du  type  Quincke, 
avec  bajoues,  comme  Chauffard  en  a  cité  un  bel  exemple  ;  parfois  ils 
sont  d'origine  cardiaque.  Enfin  il  y  a  toute  la  catégorie  de  ces  œdèmes 
que  l'on  a  qualifiés  de  myxœdèmes  chez  les  basedowiens,  dont  quelques 
cas  relèvent  du  trophœdème  et  dont  les  ai  très  mériteraient  une 
longue  discussion.  La  sclérodermie,  l'alopécie,  la  chute  du  système 
pileux,  ont  été  signalés  dans  les  goitres  exophtalmiques  syphili- 
tiques. 

LE  DIAGNOSTIC    DU  GOITRE    EXOPHTALMIQUE    DANS  LES  FORMES 
FRUSTES,   LES  EXAMENS  DE  LABORATOIRE  ET  LES  TESTS 

Le  diagnostic  de  goitre  exophtalmique  s'impose  à  première  vue  chez 
un  grand  nombre  de  malades  ;  mais  à  côté  des  formes  à  symptomato- 
logie  tapageuse,  existe  toute  une  série  de  formes  frustes,  qui  vont  en 
s'estompant  jusqu'au  basedowisme,  au  cœur  goitreux  et  aux  thyréo- 
toxicoses  cardiaques  ;  aussi  depuis  longtemps,  médecins  et  chirurgiens 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE  307 

cherchent-ils  un  critérium  qui  permette  de  distinguer,  dans  les  cas 
incertains,  ceux  qui  doivent  être  considérés  comme  d'origine  base- 
dowienne.  La  clinique  étant  insuffisante,  on  s'est  adressé  au  labora- 
toire  et  aux  épreuves    physiologiques. 

Trois  méthodes  ont  été  préconisées  pour  éclairer  le  diagnostic  : 
examen  du  sang  et  du  sérum,  emploi  de  tests  biologiques  ou  chimiques, 
épreuves  du  métabolisme   basai. 

L'examen  du  sang,  an  point  de  vue  de  la  teneur  en  globules  blancs, 
a  été  considéré  pendant  quelque  temps  comme  un  guide  sûr.  Le  profes- 
seur Kocher  pensait  que  la  formule  caractéristique  consistait  dans  la 
leucanémie  avec  leucopénie  neutrophile,  lymphocytose  absolue  et 
relative.  Cette  formule  cadrait  ainsi  avec  l'hypertrophie  lym- 
phoïde. 

Ces  caractères  hématologiques  ont  été  retrouvés  par  un  certain 
nombre  d'observateurs  :  d'autres,  Giordano,  Roussy,  Folley  et  Leprat, 
et  nous-mêmes,  considèrent  qu'elle  est  loin  d'être  constante  :  il  semble 
que  la  lymphocytose  se  rencontre  de  préférence  dans  les  goitres 
exophtalmiques  infectieux,  surtout  dans  ceux  qui  ont  pour  origine 
la  tuberculose.  D'ailleurs  la  formule  leucocytaire  n'est  pas  fixe  chez 
un  même  sujet,  elle  subit  des  variations  très  notables  chez  les  base- 
dowiennes  an  moment  de  la  menstruation. 

L'examen  cytologique  ne  fournissant  point  des  renseignements 
suffisants,  quelques  observateurs  se  sont  adressés  à  l'étude  des  modifi- 
cations du  sérum. 

Lampué  et  Fuchs  ont  pratiqué  Yépreuve  de  la  dialyse  suivant  la 
méthode  d'Abderhalden  et  ont  obtenu  des  résultats  positifs  ;  il  ne 
faut  point  oublier  que  la  technique  en  est  difficile  et  sujette  à  erreur, 
en  raison  de  sa  grande  sensibilité. 

De  même  la  déviation  du  complément  (Roseo,  MarinescoetPapazoglu) 
a  été  employée  avec  succès,  en  se  servant  comme  antigène  de  glande  de 
basedowien. 

L'épreuve  de  Ihyperadréiudinémie,  qui  consiste  à  évaluer  la  teneur 
du  sérum  en  adrénaline,  a  été  effectuée  par  des  méthodes  physiolo- 
giques, soit  en  recherchant  l'action  du  sérum  sur  l'utérus  de  lapine 
(Franckel),  soit  en  étudiant  la  mydriase  provoquée  sur  l'œil  de  grenouille 
(épreuve  d'Ehrmann).  Elles  sont  toutes  deux  basées  sur  l'action  de 
l'adrénaline  sur  les  fibres  lisses  ;  elles  sont  d'une  application  peu 
pratique  :  rien  n'est  moins  démontré  que  la  constance  de  l'hyperadré- 
nalémie  dans  le  goitre  exophtalmique. 

Enfin  les  tests  préconisés   récemment  consistent  soit  en  l'absorption 


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de  substances  pharmaco-dynamiques,  soit  dans  l'injection  d'extraits 
glandulaires. 

Le  test  de  Bram  ou  test  an  bromhydrate  de  quinine  est  hase  sur  la 
tolérance,  que  cel  auteur  considère  comme  démontrée,  des  malades 
atteintes  de  goitre  exophtalmique, à  la  quinine  et  particulièrement  à  son 
sel,  le  bromhydrate,  soitqu'il  exerce  une  action  neutralisante  sur  la  toxine 
thyroïdienne,  soit  qu'il  augmente  le  métabolisme  basai,  soit  qu'il  agisse 
sur  l'instabilité  vaso-motrice.  Les  recherches  entreprises  par  nous  pour 
vérifier  ce  test  ont  été  négatives,  et  si  les  basedowiens  sont  réfractaires 
à  la  quinine,  il  s'agit  le  plus  souvent  de  sujets  exceptionnels. 

Le  test  hypophysaire  de  Claude,  qui  avec  ses  élèves  Baudouin  et 
Porack  a  étudié  l'action  des  tests  glandulaires,  mérite  d'être  employé 
pour  différencier  les  tachycardies  basedowiennes  ;  mais  il  est  néces- 
saire   (pie  l'on    ait  entre  les    mains  un   extrait  bien  préparé  et  actif. 

Si  l'on  injecte  1/2  ou  1  centimètre  cube  d'extrait  alcoolique  de 
lobe  postérieur  d'hypophyse  desséché,  on  obtiendrait  chez  les  base- 
dowiens une  bradycardie  marquée  qui  serait  due  à  l'absence  de 
réaction  des  accélérateurs  sympathiques  et  à  l'action  frénatrice  de  la 
dixième  paire. 

Quant  à  l'étude  du  métabolisme  basai,  on  sait  quels  sont  les  services 
qu'elle  peut  rendre  à  la   clinique. 

COMMENT    DOIT-ON  TRAITER  LES  GOITRES  EXOPHTALMIQUES  ? 

Cette  question  doit  être  posée,  puisqu'elle  est  le  corollaire  pratique 
de  cette  conférence. 

Alors  que  le  diagnostic  de  goitre  exophtalmique  est  certain  chez, 
un  malade,  le  point  essentiel,  avant  d'indiquer  un  traitement,  est  d'en 
préciser  la  variété.  Il  faut  palper  avec  soin  le  corps  thyroïde,  examen 
facile  en  apparence,  difficile  en  réalité.  Avant  d'admettre  l'existence 
d'un  kyste  thyroïdien,  par  exemple,  il  faut  examiner  le  malade  longue- 
ment, car  il  existe  souvent,  à  l'examen  digital,  de  fausses  sensations 
de  rénitence  ;  on  croit  sentir  un  kyste  qu'on  ne  retrouve  pas  à  un 
Second  examen    et  tpii  s'évanouit  lors  de  l'intervention. 

Ces  causes  d'erreur  évitées,  plusieurs   cas   peuvent  se    présenter' 

1°  Le  goitre  est  consistant,  cirrhotique,  lobule,  quelquefois  ficelé  J 
il  faut  penser  à  an  syndrome  d'origine  syphilitique  tertiaire  11  faut  alors 
rechercher  dans  les anamnestiques s'il  existe  une  infection  possible, exa* 
miner  l'aorte  à  la  percussion,  à  fauscultation  et  à  la  radioscopie,  inter- 
roger les  réflexes  tendineux,  pratiquer  une-  réaction  tic  Wassermann. 


LE  GOITRE  EXOPHTALMIQUE  309 

Il  ne  faut  point  négliger  le  traitement  d'épreuve,  injections  intra- 
veineuses de  cyanure  d'hydrargyre  ou  d'arsénobenzol  à  doses  mo- 
dérées. Il  sera  la  meilleure  démonstration  de  la  nature  de  la  malade. 
Le  traitement  par  l'iodure  de  potassium  peut  aussi  servir  de  pierre 
de  touche  ;  dans  quelques  cas  il  nous  a  donné  des  résultats  inat- 
tendus, alors  qu'il  était  appliqué  avec  une  certaine  prudence,  par 
crainte  d'une  aggravation  due  à  l'action  de  l'iode. Cette  variété  est  justi- 
ciable du  traitement  antisyphilitique  habituel. 

2°  Le  goitre  est-il  kystique?  Il  se  rencontre  alors  chez  des  originaires 
de  région  goitrigène  ;  la  tumeur  existe  depuis  longtemps,  elle  a  subi- 
tement grossi  ;  le  syndrome  basedowien  a  apparu  progressivement. 

Le  traitement  d'emblée  est  le  traitement  chirurgical,  le  kyste  cons- 
tituant  l'épine  irritative,  cause  du  syndrome. 

3°  Le  goitre  est-il  vasculaire  ?  Deux  cas  peuvent  se  présenter. 

A.  Le  goitre  est  peu  volumineux,  avec  des  battements  peu  marqués  à 
symptomatologie  discrète.  Son  origine  demande  à  être  précisée. 
Apparaît-il  au  voisinage  de  la  période  pubérale  ou  chez  une 
femme  jeune,  insuffisante  ovarienne  aux  règles  peu  abondantes, 
inégalement  espacées?  Il  faut  recourir  à  l'opothérapie  ovarienne 
longtemps  prolongée.  La  tumeur  thyroïdienne  survient-elle  à  la 
ménopause  ?  La  même  médication  peut  être  employée  ;  mais  ici  un 
examen  gynécologique  minutieux  s'impose  :  il  révélera  souvent  l'exis- 
tence d'une  tumeur  fibreuse,  d'une  salpingite,  d'une  lésion  utéro-ova- 
rienne  qui  doit  être  traitée  avec  soin.  Ces  formes  discrètes  peuvent 
s'observer  dans  les  périodes  peu  avancées  delà  syphilis  (basedowisme 
secondaire),  dans  la  tuberculose,  dans  les  syndromes  d'origine  infec- 
tieuse. 

Le  traitement  delà  cause  locale  ou  générale  est  indispensable.  Au 
point  de  vue  symptoma-tique,  l'hémato-éthyroïdine,  les  humeurs 
d'animaux  éthyroïdés  ont  une  influence  heureuse  ;  le  salicylate  de 
soude  compte  des  succès  à  son  actif.  Beaucoup  plus  inconstante  est 
l'action  de  la  quinine.  Si  ces  moyens  sont  insuffisants,  il  faut 
s'adresser    à  la    radiothérapie. 

B.  Le  goitre  est  volumineux,  vasculaire,  turgide  et  pulsatile  ;  il 
faut  avoir  recours  d'emblée  à  la  radiothérapie  (Béclère),  qui  constitue 
le  traitement  de  choix,  en  diminuant  l'activité  des  éléments  cellu- 
laires hvperplasiés.  Deux  méthodes  sont  en  présence,  celle  des  faibles 
intensités  fréquentes  et  répétées,  celle  des  intensités  fortes  et  plus 
rares  ;  il  ne  faudra  jamais  négliger  d'irradier  la  région  thymique  en 
même  temps  que  la  région  thyroïdienne. 


310  /'.  SA1  \  TO  \ 


Dans  les  cas  extrêmes,  la  chirurgie  peut  rendre  des  services,  soit  que 
l'on  pratique  la  ligature  des  artères  thyroïdiennes  ou  mieux  l'hémithy- 
roïdectomie.  Dans  les  goitres  plongeants  basedowifiés,  l'intervention 
doit  se  taire  d'urgence. 

4°  Le  goitre  est-il  petit,  aodulaire  ou  fibreux  ?  C'est  encore  au 
traitement  chirurgical  qu'il  faudra  recourir  pour  enlever  le  nodule 
adénomateux  ou  fibreux.  Mais  si  la  sclérose  thyroïdienne  est  diffuse, 
il  faut  éviter  et  l'intervention  et  le  traitement  radiothérapique,  qui 
peuvent  être  dans  ce  cas  particulier  suivis  de  myxœdème.  Les  trai- 
tements électrothérapiques,  galvano-faradisation,  sont  alors  indiqués 
et    donnent  de  bons  résultats. 

5°  Enfin  il  peut  y  avoir  cancer  thyroïdien.  Son  évolution  est  en 
général  très  rapide  :  la  radiothérapie  et  même  la  radium  thérapie  peu- 
vent donner  quelque  soulagement,  si  l'étendue  de  la  tumeur  contre- 
indique  toute    intervention. 

Quelle  que  soit  la  méthode  thérapeutique  à  laquelle  ils  soient  soumis, 
les  basedowiens  doivent  faire  une  cure  de  repos  et  de  calme.  Le 
séjour  dans  une  station  thermale  (Bourbon-Lancy,  Bourbonne,  Ussat, 
Salies-de-Béarn,  Néris,  Plombières)  est  indiqué  comme  complément 
de  la  convalescence. 

Les  considérations,  qui  viennent  d'être  exposées,  sont  bien  incom- 
plètes ;  elles  sont  suhisantes  cependant  pour  concevoir  l'évolution 
qui  s'est  faite  dans  la  conception  du  syndrome  basedowien.  Nombre 
de  données  classiques  jusqu'ici  demandent  à  être  revisées  ;  le  nombre 
des  problèmes  posé  par  l'étude  du  goitre  exophtalmique  est  considé- 
rable, le  rôle  du  corps  thyroïde  apparaissant  comme  de  plus  en  plus 
important,  aussi  bien  au  point  de  vue  du  métabolisme  en  général 
qu'au  point  de  vue  de  l'équilibre  endocrinien  et  des  connexions  qu'il 
peut  avoir  avec  le  sympathique.  Les  inconnues  de  ces  problèmes  sont 
tout  au  moins  posées  et  les  chercheurs  savent  dans  quelle  voie  ils 
doivent  se   diriger  pour  les    résoutire. 


ONZIÈME    CONFÉRENCE 


J.-A.   SICARD, 

Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris, 
médecin  de  l'hôpital  Necker. 


LES  ALGIES    ET    LEUR    TRAITEMENT 


Messieurs, 

Permettez-moi    de  remercier  tout  d'abord   M.  le   professeur  Pierre 
Marie,  de  la  confiance  qu'il  m'a    témoignée  en  me  demandant  de 
vous    entretenir   des  algies   et  de  leur    traitement. 

C'est  là  une  question  pratique  au  premier  chef..  Notre  devoir  n'est- 
il  pas,  à  nous  médecins,  de  nous  efforcer,  dans  la  mesure  du  pos- 
sible, d'adoucir,  d'apaiser,  de  guérir  la  souffrance,  la  douleur  phy- 
sique ? 

Je  ne  vous  parlerai  ni  de  la  douleur  au  sens  de  la  finalité  causale, 
delà  protection  de  l'individu  ou  de  l'avertissement  du  danger  suprême, 
celle-là  appartient  aux  philosophes  ;  ni  de  la  douleur  morale  qui 
est  du  domaine  des  poètes  ou  des    littérateurs  ; 

Souffre  et  abstiens-toi. 

Douleur,  tu  n'es  pas    un  mal,    a   dit   le  poète. 

Il  est  bien  vrai  cependant  que  toute  douleur  physique,  pour  peu 
qu'elle  soit  aiguë  et  durable,  impressionnera  tôt  ou  tard  l'état  moral, 
et  quand  je  vous  parlerai  de  ces  malheureux  névralgiques  de  la  face  dont 
les  crises  sont  d'une  acuité  extrême,  vous  les  verrez  vivant  dans  la 
crainte,    l'appréhension  et  l'angoisse  du  lendemain  douloureux. 

Il  est  bien  vrai  encore  qu'il  existe  des  algies  dites  psychiques,  dites 
mentales,  sous  la  dépendance  du  xoivos,  de  la  sensibilité  générale, 
telles  les  algies  des  cénestopathes.  Mais  ces  cénestalgies  ne  relèvent- 
elles  pas,  et  avec  quelque  raison,  de  la  psychiatrie  ?  Elles  s'associent 
toujours  à  un  état  mental  prédominant  d'anxiété,  d'idée  fixe,  d'obses- 
sion. Elles  sont  parfois  le  marchepied  des  états  paranoïaques.  Méfiez- 


J.-A.    Sli  ARD 


vous  de  ces  malades.  Us  peuvent  se  comporter  en  revendicateurs 
inconscients,  irresponsables.  Ce  sont  eux  qui  accusent  les  médecins 
île  n'avoir  pas  su  les  guérir.  Leurs  fausses  interprétations  arment 
leur  bras,  et  pour  ne  vous  rappeler  que  des  homicides  récents,  je  vous 
citerai    les  meurtres  de  Guinard  et  de  Pozzi. 

En  face  des  névralgiques  vrais,  se  dressent  donc  les  cenestalgi- 
ques.  Ne  confondez  pas  ces  deux  groupes  morbides  entre  eux.  Evolu- 
tion et  traitement  sont  différents  du  tout  au  tout. 

Je  voudrais  vous  dire  encore  un  mot  d'une  troisième  classe  d'algies, 
qui,  si  le  terme  était  plus  euphonique,  mériterait  la  dénomination  de 
«  sympalhicalgies  ».  L'algie  se  double  ici  d'un  appoint  sympathique 
indéniable,  et  la  participation  des  fibres  sympathiques  s'accuse 
surtout  sur  les  extrémités  du  corps,  tète  et  membres.  La  causalgie  de 
guerre  est  un  exemple  typique  de  ces  sympathalgies. 

Au  cours  de  cette  conférence,  je  m'efforcerai  de  dégager  les  carac- 
tères différentiels  des  algies  simples  et  des  sympathalgies.  Là  aussi, 
évolution  et  traitement   ne    doivent  pas  être  confondus. 


C'est  au  tissu  nerveux  qu'est  dévolue  la  fonction  de  sensibilité.  Sans 
fibres  sensitives,  pas  d'algies.  Dans  la  hiérarchie  des  êtres,  ce  sont  ceux 
qui  sont  le  plus  richement  dotés  en  fibres  sensitives  qui  possèdent  le 
triste  apanage   de  réagir  le  plus  facilement  à  la  douleur. 

Les  fibres  sensitives  s'éparpillent,  s'essaiment  sur  tout  notre  tégu- 
ment, sur  nos  muqueuses,  dans  l'intimité  de  nos  viscères,  fibres  sen- 
sitives simples  et  également  fibres  sensitives  sympathiques  qui  s'agrip- 
pent plus  particulièrement  à  nos  vaisseaux,  aux  troncs  vasculaires  et 
aux  troncs  nerveux. 

Au  niveau  de  certains  appareils  récepteurs  sont  enregistrées  les 
impressions  sensitives  des  téguments.  Je  ne  veux  pas  vous  rappeler 
ici  les  différentes  modalités  de  la  sensibilité  et  les  discussions  tou- 
jours ouvertes  à  leur  sujet.  Qu'il  me  suffise  de  vous  dire  que  les 
impressions  sont  transmises  de  la  périphérie  aux,  centres  par  les 
conducteurs  nerveux,  puis  transformées  par  le  cortex  cérébral  en  sen- 
sations, avec  répercussivité  motrice,  vaso-motrice,  trophique,  etc. 
Lorsque  sur  un  trajet  quelconque  des  libres  conductrices  îles  sensi 
bilités,  il  y  a  irritation,  lésion,  adultération,  la  douleur  est  créer,  cl 
la  sensation  anormale  douloureuse  aussitôt  élaborée  par  la  cortiealitc 
cérébrale. 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  313 


En  présence  d'une  algie  vraie  (qui  n'est  pas  une  cénestalgie),  la  solu- 
tion clinique  tient  dans   cette  double  formule  : 

1°   Diagnostic  du  siège  de  l'algie  : 

a)  Périphérique  ;  b)  central,  et  dans  ce  dernier  cas,  médullaire,  céré- 
bral ; 

2°  Diagnostic  de  la  cause. 

I.-    DIAGNOSTIC     DU     SIÈGE 

Quel  est  le  point  de  départ  de  l'algie  ?  Quel  est  le  segment  sensitif  lopo- 
graphiquement  responsable  ? 

Initialement,  faut-il  rendre  responsable  de  l'algie  le  nerf  périphé- 
rique, le  plexus,  la  racine,  la  moelle,  le  cerveau  ? 

Problème  souvent  très  complexe.  La  fixité  ou  la  prépondérance  de 
la  douleur  dans  une  région  n'est  pas  un  signe  suffisant  de  lésion  ner- 
veuse sous-jacente.  Toute  algie  à  point  de  départ  central,  médullaire  ou 
cérébral,  est  en  effet  reportée  faussement,  par  le  malade,  à  la  périphérie. 
Ne  sait-on  pas  que  le  tabétique  interprète  périphériquement  au  niveau 
de  son  membre  inférieur  ou  de  ses  orteils  l'algie  qui  prend  cependant 
naissance  dans  les  racines  sacrées?  Il  en  est  de  même  pour  le  zosté- 
rien  ou  l'amputé  de  membre.  Celui-ci  ne  localise-t-il  pas  les  réactions 
douloureuses  de  ses  renflements  névromateux  au  segment  distal  qu'il  a 
pourtant  perdu  ? 

Il  serait  également  d'un  puissant  intérêt  diagnostique  de  pouvoir  in- 
terroger, d'après  les  qualités  d'une  douleur,  d'après  sa  tonalité  pour 
ainsi  dire,  le  système  sensitif  qui  en  est  responsable,  etsurtoutles  seg- 
ments nerveux  tributaires,  originels  de  l'irritation  douloureuse.  Existe- 
t-il,  par  exemple,  une  qualité  dolorifique  différente  attribuable  à  l'irri- 
tation du  nerf  périphérique,  du  ganglion  rachidien,  de  la  racine  médul- 
laire, du  thalamus,  du  cortex  cérébral  ?  Malheureusement  la  réponse 
est  négative.  Il  n'est  pas  de  tonalité  douloureuse  propre  à  chacun  de 
ces  territoires,  mais  il  existe,  à  vrai  dire,  des  nuances  dont  il  faut  savoir 
tenir  compte  dans  l'ensemble  symptomatique.  De  fait,  les  douleurs 
du  sympathique  ont  des  caractères  spéciaux  d'hyperesthésie,  de  brû- 
lure, de  susceptibilité  hygrométrique  et  surtout  de  continuité  que  ne 
paraissent  pas  posséder  au  même  degré  les  nerfs  périphériques  propre- 
ment dits.  L'irritation  des  nerfs  cutanés  provoque  plus  volontiers  du 
prurit,  celle  du  nerf  périphérique  des  fourmillements.  La  réaction  dou- 
loureuse du  ganglion  ou  de  la  racine  s'accuse    sous    forme    d'élancé 


;i  i  J.-A.   SICAHD 

ments,  de  constrictions,  de  fulgurations.  Dans  le  syndrome  thalamique 
les  douleurs  sont  profondes,  continues  et  parfois  d'une  acuité  extrême 
(mésocéphalite  épidémique).  Elles  sont  plus  ouatées  avec  sensation  de 
distension  pénible,  et  perte  des  sensibilités  profondes,  dans  les  excita- 
tions du  cortex  cérébral.  Mais,  je  vous  le  répète,  ce  sont  là  dans  l'en- 
semble des  nuances  trop  variables,  pour  que  vous  puissiez  tabler  sur 
elles  et  escompter  un  diagnostic  de  certitude. 

Voici  résumées  quelques  données  topographiques  moins  incer- 
taines : 

Algies  du  nerf  périphérique  (névralgies).  —  La  douleur  est  vive, 
à  allure  paroxystique,  réveillée  par  certaines  attitudes  du  membre,  et 
surtout  partout  acte  moteur  intempestif.  Elle  est  calmée  dans  laposition 
de  relâchement  du  nerf  et  exacerbée,  au  contraire,  par  la  pression,  la 
palpation,  l'élongation,  le  tiraillement  du  tronc  nerveux  responsable. 
L'algie  se  superpose  au  trajet  périphérique  du  nerf.  Il  n'existe  ni  con- 
tracture paravertébrale,  ni  modification  du  liquide  céphalo-rachidien. 
Vous  verrez  tout  à  l'heure  pourquoi  je  mentionne  déjà  ici  la  contracture 
paravertébrale. 

Algies  du  plexus  (plexalgie).  —  Les  douleurs  s'irradient,  se  dif- 
fusent à  l'ensemble  du  membre.  Le  réveil  algique  est  facilement  provo- 
qué par  la  palpation  locale  du  plexus  (région  sus  et  sous-claviculaire 
pour  le  plexus  brachial,  région  abdominale,  toucher  rectal,  toucher 
vaginal  pour  le  plexus  lombo-sacré).  Il  peut  exister  un  certain  degré 
de  contracture  paravertébrale  à  cause  du  voisinage  rachidien  des 
plexus,  mais  cette  contracture  est  toujours  légère  et  le  liquide  céphalo- 
rachidien  reste  normal. 

Algies  du  funiculus  (funiculalgies  du  trou  de  conjugaison  ou  funi- 
culites).  —  La  contracture  paravertébrale  de  voisinage  est  ici  la  règle 
absolue.  Elle  immobilise  le  rachisen  attitude  antalgique  et  lui  imprime 
des  courbures  anormales  plus  ou  moins  persistantes  mais  non  défini- 
tives :  scoliose  alterne  ou  homologue. 

La  percussion  et  la  palpation  de  la  région  paravertébrale  incrimi- 
née est  douloureuse.  Le  liquide  céphalo-rachidien  présente  souvent 
une  légère  augmentation  du  taux  de  l'albumine.  La  radiographie  Ver- 
tébrale donne  des  renseignements  utiles. 

Ces  algies  du  «  funiculus  »  doivent  nous  arrêter  un  moment.  J'ai 
proposé  ce  ternie  de  «  funiculus  »  (petite  corde,  cordelette)  pour  dis- 
tinguer un  segment  de  fibres  nerveuses  qui    s'étend  du   ganglion  raehi- 


LES  ALGIES  ET  LEUR    TRAITEMENT 


315 


dien  au  plexus  et  qui  chemine  au  travers  du  trou  de  conjugaison  (voir 
schéma).  La  funiculite  vertébrale  est  l'inflammation  du  funiculus.  Elle 
se  décèle  par  des  réactions  douloureuses  associées  à  de  la  contracture 
musculaire  de  voisinage.   N'oublions  pas  qu'en   cette  région  du  rachis 


"  Névrite  des 

nelihi  branches. 

Fig.  1.  —  Les  différentes  étapes  des  conducteurs    nerveux  de  la  périphérie  à    la    moelle. 
(La  sciatique  ordinaire  est  une  luniculite  du  trou  de  conjugaison.) 

existe  un  véritable  carrefour  de  la  douleur.  Funiculus  ou  racine  de 
plexus,  trou  de  conjugaison,  ganglion  rachidien,  racine  postérieure  de 
la  moelle,  méninges  dures,  méninges  molles,  tout  cet  ensemble  con- 
court par  la  qualité  des  fibres  sensitives,  leur  groupement,  ou  la 
possibilité  plus  grande  de  leur  compression  ou  de  leur  tiraillement,  à 
la  réaction  douloureuse  facile  de  ce  carrefour. 

Ce  ne  sont  pas  là  des  considérations  d'ordre  simplement  spéculatif. 
Elles  ont  une  portée  pratique  considérable,  quand  il  s'agira,  par 
exemple,  pour  vous,  de  prendre  la  responsabilité  d'un   acte  opératoire 


816  ./.-A.  SIC  IRD 


et  de  guider  le  couteau  du  chirurgien.  L'opération  doit-elle  rester 
extraméningée  ?  La  section  de  la  dure-mère  est-elle  inévitable  ?  En  un 
mot  le  segment  intraméningé  ou  extra-méningé  est-il  responsable  de 
l'algie  ".' 

Anssi,  je  vous  demande  la  permission  d'insister  sur  ces  conceptions 
nouvelles  et  d'opposer  devant  vous  la  notion  des  funiculites  à  celle 
des  radiculites. 

A  considérer  les  nombreux  trous,  canaux  ou  échanerures  qui,  dans 
l'organisme,  défendent  les  conducteurs  nerveux  contre  les  injures 
extérieures  et  le  jeu  parfois  trop  brutal  des  mouvements  articulaires, 
on  se  demande  s'il  n'est  pas,  en  effet,  légitime  d'attribuer  à  ces  seg- 
ments du  système  nerveux  périphérique  une  certaine  indépendance 
anatomique  et  pathologique. 

Et  comme  le  long  de  la  colonne  vertébrale  il  existe  un  chapelet 
bilatéral  de  canaux  osseux  creusés  aux  dépens  des  pédicules  verté- 
braux, nous  avons  pensé  que  ces  trous  de  conjugaison  avaient  leur 
pathologie  spéciale  conditionnée  par  des  signes  cliniques  et  humo- 
raux. C'est  par  le  trou  de  conjugaison  que  s'échappe  le  cordonnet 
nerveux  (funiculus,  cordonnet)  intermédiaire  entre  la  racine  médul- 
laire et  le  plexus.  Le  funiculus  s'étend  du  confluent  radiculaire  jus- 
qu'à l'origine  du  plexus.  La  funiculite  est  la  réaction  du  funiculus, 
l'étranglement  du  funiculus  dans  le  trou  de  conjugaison  ou  à  sa  sortie 
immédiate.  La  funiculite  ressortit  au  groupe  des  névrodocites.  La  funi- 
culite   s'oppose  à   la  radiculite. 

La  radiculite  est  un  syndrome,  dit  Dejerine,  sensitif  ou  sensitivo- 
moleur  déterminé  par  une  inflammation  des  racines  rachidiennes  dans  leur 
trajet  intraméningé. 

La  funiculite  est  un  syndrome  algique  ou  sensitivo-moteur  déterminé 
par  une  réaction  des  cordonnets  nerveux  extraméningés  dans  leur  trajet 
ganglio-plexien. 

Le  segment  radiculaire,  englobé  dans  le  sac  sous-arachnoïdien,  est 
baigné  par  le  liquide  céphalo-rachidien.  Le  segment  funiculaire  est 
situé,  au  contraire,  en  dehors  de  tout  espace  liquide. 

A  part  le  tabès,  le  zona  et  certaines  séquelles  de  méningites  aiguës, 
les  radiculites,   génératrices  d'algies,  sont  l'exception. 

Les  arguments  qui  étayent  cette  fréquence  des  funiculites,  au  détri- 
ment des  radiculites,  sont  d'ordre  anatomique,  cliniqueet  humoral. 

Il  suffit  de  considérer  le  carrefour  spécial  où  le  tronc  radiculaire 
mixte  (origine  du  funiculus)  enserré  dans  h'  lion  de  conjugaison,  au 
voisinage     intime     des    articulations     apophvsaires,     est     expose     aux 


LES  ALGIES  ET  LEUR    TRAITEMENT 


317 


inflexions  vertébrales,  aux  réactions  rhumatismales  avoisinantes,  pour 
le  sentir  plus  vulnérable  que  la  racine  abritée  derrière  le  sac  méningé 
et  baignant  dans  son  liquide  protecteur. 

C'est,  du  reste,  au  niveau  des  trous  de  conjugaison  des  4e  et  5e  lom- 
baires, trous  de  conjugaison  qui  supportent  le  pivotement  du  rachis, 
que  les  algies  sont  les  plus  fréquentes  (névralgie  sciatique  banale). 


RfiOfihyse  êninease 


...  iï/io/ifiyôe  articulaire 


\>Troii5a<- 
conjuoaison 


Troujcte 

rach  ice/z/'èjeX"^ 

/ 


Fig.  2.  —  Les  trous  de  conjugaison   dans  leurs  rapports   ave:  les   apophyses 
articulaires,  transverses  et  épineuses. 


L'unilatéralité  de  l'algie  plaide  encore  en  faveur  de  cette  thèse.  On 
comprend  mal  (en  dehors  bien  entendu  du  zona,  affection  de  nature 
toxi-infectieuse  spécifique)  la  localisation  d'une  irritation  radiculaire 
intraméningée  de  nature  indéterminée  se  cantonnant  dans  le  liquide 
céphalo-rachidien  d'un  seul  côté  et  à  quelques  racines,  alors  que 
l'unilatéralité  algique  s'explique  plus  naturellement  dans  la  conception 
exlraménincjée  du  type  funiculaire. 

Deux  signes,  du  reste,  sont  caractéristiques  de  la  funiculite  verté- 
brale et  fixent  l'histoire  clinique  de  ce  syndrome,  apportant  des  argu- 
ments diagnostiques  entre  la  funiculite  et  la  radiculite.  C'est  d'abord  le 
syndrome  de  contracture  des   muscles  vertébraux  de    voisinage    avec  ou 


318  J.-A.   SIC  \m> 


sans  tendance  scoliotique.  C'est  ensuite,  mais  cependant  d'une  façon 
moins  constante,  l'aggravation  de  l'algie  (algie  potitique,  par  exemple) 
sous  l'influence  des  inflexions  rachidiennes. 

Dans  le  tabès  ou  dans  le  zona,  qui  sont  des  affections  typiques  des 
racines,  et  quelle  que  soit  l'intensité  des  douleurs  des  tabétiques  ou 
des  zostériens,  on  ne  note  pas  de  contracture  des  muscles  des  gout- 
tières et  l'on  sait  également  cjue  les  sujets  radiculaires  se  prêtent  fort 
bien  aux  divers  mouvements  de  la  colonne  vertébrale  sans  que  ces 
manœuvres  exercent  d'influence  sur  les  algies. 

La  contracture  de  voisinage  liée  aux  réactions  articulaires  des  trous 
de  conjugaison  obéit  à  la  loi  générale  qui  veut  que  toute  articulation 
douloureuse  s'immobilise  en  altitude  antalgique,  grâce  à  l  hypertonie  et  au 
blocage  des  muscles    tributaires. 

Les  pleurésies  à  localisation  prédominante  latéro-vertébrale  s'ac- 
compagnent de  contracture  des  muscles  vertébraux  (Ramond)  par 
réaction  des  funiculi  de  voisinage.  Dans  ces  conditions,  la  racine  ne 
peut  être  incriminée.  La  même  pathogénie  conditionne  la  contracture 
musculaire  lombaire  liée  à  certaines  formes  de  lithiase  rénale. 

Vous  verrez  plus  tard  que  la  sciatique  banale  avec  association  si 
fréquente  de  scolioses  homologue  ou  croisée  et  de  contractures 
dorso-lombaires  n'est  autre  qu'une  funiculite  des  trous  de  conjugaison 
(3e,  4e,  5e  lombaires  et  lre  sacrée)  d'origine  rhumatismale,  goutteuse  ou 
arthritique.  Le  lumbago  est  une  funiculite  rhumatismale  bilatérale  des 
2e,  3e  et  4e lombaires. 

La  syphilis  préfère  la  racine,  la  tuberculose  et  le  cancer  le  funi- 
culus. 

La  guerre  nous  a  montré  un  assez  grand  nombre  de  traumatismes 
vertébraux  avec  algies  vives  de  la  région  dorsale  ou  lombaire  s'accom- 
pagnant  de  plicature  antérieure  ou  latérale  avec  contracture  des  muscles 
vertébraux  et  qui  reconnaissent  une  origine  funiculaire  et  non  radieu- 
laire  (exception  faite  des  réactions  névropathiques). 

On  peut  nous  objeeler  que  les  méningites  aiguës  cérébro-spinales, 
dont  l'évolution  est  cependant  intraméningée,  s'accompagnent  de  con- 
tracture, mais  il  existe  là  un  élément  toxi  infectieux  global  exerçant 
son  action  irritative  sur  le  cerveau  et  la  moelle  et  provoquant  une 
excitation  du  faisceau  pyramidal.  Le  signe  de  Babinski  est  souvent 
présent.  D'ailleurs  après  l'orage  méningé,  les  séquelles  radiculaires 
laissées  par  les  germes  infectieux  méningococciques  ou  autres  obéis 
sent  à  la  même  règle  que  les  radiculites  du  zona  et  du  tabès  el  se  dif- 
férencient nettement  des  funiculites. 


LES  ALGIES   ET  LEUR    TRAITEMENT 


319 


A  côté  des  signes  cliniques  précédents  se  place  un  signe  humoral 
d'une  précision  diagnostique  également  rigoureuse  et  qui  s'appuie  sur 
l'examen  chimique  et  cytologique  du  liquide  céphalo-rachidien. 

A  la  radiculite  appartient  la  lymphocytose.  A  la  funiculite,  l'augmen- 
tation du  taux  de  l'albumine  sans  hypercytose,  c'est  la  dissociation 
albumino -cytologique    que   nous    avons    mise   en   évidence   avec    Foix. 

Or,  pour  ne  prendre  qu'un  exemple,  au  cours   des    sciatalgies,  l'ab- 


Fw. 


Trous  de  conjugaison  thoiaciques.  Echappée  des  funiculi  vertébro-intercostaux. 


sence  de  lymphocytose  est  la  règle,  la  présence  d'un  certain  degré 
d'hyperalbuminose  dosé  au  rachialbuminimètre,  suivant  la  technique 
que  nous  avons  préconisée  avec  Cantaloube,  est  par  contre  de  constata- 
tion habituelle.  Cette  hyperalbuminose  est  due  à  la  gène  apportée  dans 
la  circulation  veineuse  de  retour  par  la  réaction  compressive  du  trou 
de  conjugaison. 

De  tels  signes  cliniques  et  humoraux,  quelque  précis  soient-ils,  ne 
doivent  cependant  pas  faire  négliger  les  résultats  de  la  radiographie 
vertébrale  non  plus  que  la  recherche  des  troubles  objectifs  de  la  sensi- 
bilité à  topographie  évidemment  radiculaire,  puisque  le  segment  funi- 
culaire est  situé  en  deçà  du  plexus,  les  modifications  trophiques  et 
sympathiques  et  les  troubles  des  réflexes  tendineux.  La  radiculite 
abolit  la  réflectivité  tendineuse,  la  funiculite  a  tendance,  au  contraire, 
à  L'exalter  dans  certains  cas  (sciatiques  spasmodiques). 


J.-A    SICARD 


Cette  conception  clinique  tle  la  «  funiculite  vertébrale  »  opposée  à 
la  «  radiculite  médullaire  »  est  sanctionnée  par  la  thérapeutique  médi- 
cale et  chirurgicale,  comme  je  vous  le  montrerai  en  vous  parlant  du 
traitement. 

C'est  ainsi  que  les  radiculites  reconnaissent,  soit  un  traitement  mé- 
dical  d'ordre  général   ou  encore   local    par   les   injections  intra-raehi- 


Trous  de 


Fig.  4.  —  Traversée  dans   le   canal    de  conjugaison   du   luniculus  vertébral 
(Le  luniculus  s'étend  du  ganglion  racliidien  au  plexus.) 


diennes,   soit   un   acte    chirurgical  portant   sur  la    racine  ou    le  gan- 
glion. 

Les  funiculites,  au  contraire,  sont  justiciables  tantôt  du  procédé 
épi  durai  que  nous  avons  l'ait  connaître,  tantôt  de  l'injection  directe 
sédative  cocaïno-salicyclée  pratiquée  dans  les  muscles  contractures  ou 
de  l'acte  chirurgical  portant  sur  le  trou  de  conjugaison. 

Retenez,  Messieurs,  de  cette  longue  digression,  que  vous  pourrez 
diagnostiquer  à  coup  sûr  une  localisation  vertébrale  du  trou  de  conju 
gaison  ou  du  voisinage  du  trou  de  conjugaison  quand  vous  aurez  cons- 
taté  une  contracture  nette  d'un  segment  vertébral,  accompagnant  l'al- 
gie,  Ne  prononcez  pas  trop  facilement  h'  nom  de  radiculites.  Pour  ma 
part,  je  suis  persuadé  que  le  plus  grand  nombre  des  algies  dites  essen« 


LES  ALGIES  ET  LEUR    TRAITEMENT  321 

tielles  ou  spontanées  du  membre  supérieur  du  thorax,  du  membre  infé- 
rieur, ou  du  coccyx  (névralgies  brachiales,  intercostales  sciatiques, 
coccygodynie),  sont  des  funiculites.  Je  vous  développerai  plus  tard  cette 
notion  que  les  sciatiques  hautes  «  dites  arthritiques  ou  essentielles  » 
ne  sont  pas,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  des  radiculites  comme  on 
l'a  soutenu  jusqu'ici,  mais  des  funiculites. 

Algies  de  la  racine  médullaire  (radiculalgies,  rhizalgies,  radicu- 
lites). —  La  douleur  est  spontanée,  non  réveillée  par  la  palpation  ou 
la  percussion  vertébrale.  Parfois  la  secousse  de  toux  ou  d'éternuements 
provoque  un  retentissement  douloureux.  Mais  en  tout  cas,  un  signe 
négatif  de  grande  importance  est  l'absence  de  toute  contracture  para- 
vertébrale.  Le  liquide  céphalo-rachidien  est  souvent  modifié  dans  ses 
réactions  chimiques  ou  biologiques. 

Algies  du  parenchyme  médullaire  (médullalgie).  —  L'algie 
d'origine  médullaire,  dont  le  point  de  départ  serait  cordonal  postérieur 
et  probablement  aussi  corniculaire  postérieur,  est  une  hypothèse 
légitime    (zona,  tabès). 

Algies  mésocéphaliques.  —  Les  douleurs  sont  vives,  continues, 
s'accompagnent  de  troubles  de  la  sensibilité  profonde,  de  parésie  des 
membres  correspondants  et  souvent  de  mouvements  choréo-atéto- 
siques.  Ce  sont  là  les  signes  rencontrés  habituellement  au  cours  du 
syndrome  thalamique  et  de  certaines  modalités  d'encéphalite  épidé- 
mique  à  prédominance  thalamique. 

Algies  corticales  cérébrales.  —Elles  s'accompagnent  d'autres 
signes  localisateurs  :  hémiplégie,  troubles  aphasiques,  épilepsie 
jacksonienne,  etc. 

En  résumé,  le  diagnostic  de  la  localisation  algique  sera  conditionné  : 
par  le  contrôle  des  douleurs  à  la  palpation,  à  la  percussion  ou  à  l'élon- 
gation  du  tronc  nerveux  périphérique  ;  par  l'étude  de  la  sensibilité 
objective  et  des  modalités  de  dissociation  sensitive  ;  par  la  recherche 
de  la  contracture  paravertébrale  localisée  ou  de  la  raideur  rachidienne 
plus  ou  moins  généralisée  (diagnostic  différentiel  entre  les  radiculites 
et  les  funiculites)  ;  par  la  constatation  des  symptômes  additionnels 
d'ordre  central,  signes  d'excitation  du  faisceau  pyramidal,  tremblement 
choréo-atétosique,  etc.  ;  enfin  parla  radiographie,  l'examen  du  liquide 
céphalo-rachidien  et  l'étude  des  réactions  électriques. 

CONFÉB.    NEUHOL.  21 


./.-.t.     SIC. \lil> 


II.   —  DIAGNOSTIC  CAUSAL 

Toute  algie  reconnaît  évidemment  une  cause.  Il  peut  donc  sembler 
illogique  de  parler  d'algie  essentielle.  Et  cependant,  pour  la  clarté 
nosologique  et  surtout  pour  le  pronostic,  une  distinction  s'impose 
entre  l'algie  sine  maleria,  sans  cause  tangible,  et  l'algie  secondaire. 

La  névralgie  «  essentielle  »,  par  définition  même,  est  celle  qui  ne 
reconnaît  aucune  étiologie  précise. 

Les  termes  d'algie  rhumatismale,  goutteuse,  diathésique,  neuro- 
arthritique dont  on  qualifie  parfois  de  telles  algies  ne  servent  qu'à 
masquer  notre  ignorance  étiologique. 

L'algie  essentielle  a  des  caractères  principaux  négatifs,  tels  que  : 
l'absence  d'anesthésie  totale,  de  troubles  vaso-moteurs  ou  trophiques 
sévères,  d'extension  à  des  brandies  nerveuses  de  voisinage,  de  modi- 
fications radiographiques  et  de  perturbations  des  réactions  électriques. 
Son  pronostic  est  favorable. 

L'algie  secondaire  est  celle  qui  survient  d'une  façon  tangible  à  la 
suite,  par  exemple,  d'un  traumatisme,  d'une  blessure,  d'une  fracture 
ou  qui  reconnaît  une  cause  endogène  :  abcès,  tumeur,  anévrisme, 
kyste,  néoplasme,  production  tuberculeuse,  syphilitique,  etc.  Son 
pronostic  est  lié  au  facteur  causal. 

L'algie  secondaire  s'accompagne,  le  plus  souvent,  de  signes  posi- 
tifs :  empiétement,  diffusion,  extension  de  l'algie  à  des  branches  des 
plexus  voisins  ;  paralysie  motrice  ;  troubles  anesthésiques  ;  réactions 
anormales  de  l'examen  électrique.  11  existe  souvent  des  modifications 
radiographiques.  Le  liquide  céphalo-rachidien  dans  les  algies  secon- 
daires à  localisation  rachidienne  est  le   plus  souvent  pathologique. 

NÉVRALGIES     ET     NÉVRITES  ALGIQUES 

On  a  attribué,  sous  l'influence  de  Landouzy,  une  grande  importance 
au  diagnostic  différentiel  entre  la  névralgie  et  la  névrite.  Sans  doute 
la  névralgie  est  constituée  par  l'élément  douloureux  subjectif  isole, 
sans  signes  ou  avec  un  minimum  de  signes  objectifs  contrôlables.  La 
névrite,  au  contraire,  s'affirme  en  dehors  de  la  douleur,  par  l'abolition 
de  la  réflectivité  tendineuse,  l'anesthésie,  l'atrophie  musculaire,  les 
troubles  des  réactions  électriques,  les  modifications  radiographiques 
avec  ostéites  ou  poroses  osseuses,  etc. 

Mais  en  dernière  analyse,  et  tout  au  moins  à  la  première  étape  évo- 
lutive de  la  maladie  névralgique  ou  névritique,  —  étape  qui  peut  se 
maintenir  longtemps  prolongée,        le  diagnostic    différentiel    entre     la 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  323 


névralgie  et  la  névrite,  basé  sur  un  ou  plusieurs  des  caractères  cliniques 
que  nous  venons  d'analyser,    n'a  pas  un  grand  intérêt. 

Ainsi,  pour  ne  prendre  qu'un  exemple,  peu  nous  importera,  en 
matière  de  sciatique,  que  le  réflexe  tendineux  achilléen  soit  ou  ne  soit 
pas  aboli  ou  que  l'atrophie  musculaire  soit  plus  ou   moins    prononcée. 

Le  diagnostic  causal  et  de  localisation,  seul,  devra  nous  préoc- 
cuper. 

Messieurs, 

Il  n'est  pas  de  nerf  mixte  sensitivo-moteur  de  l'organisme  et  à  plus 
forte  raison  de  nerf  sensitif  qui  ne  soit  susceptible  de  réagir  doulou- 
reusement à  des  excitations  diverses.  Aussi  ne  pourrai-je,  dans  le 
temps  limité  de  cette  leçon,  vous  décrire  respectivement  chacune  des 
algies.  Je  me  contenterai  de  vous  parler  de  quatre  d'entre  elles  :  la  né- 
vralgie faciale,  la  névralgie  sciatique,  l'algie  post-zostérienne,  la  cau- 
salgie  de  guerre. 

Si  j'ai  choisi  ces  quatre  modalités  algiques,  c'est  que  chacune  dans 
son  genre,  illustre  d'une  façon  particulière  les  considérations  générales 
sur  lesquelles  je  viens  d'insister  et  que  chacune  d'elles  également  se 
prête  à  des  déductions  thérapeutiques  pratiques   d'ordre  différent. 

I 
Névralgie  faciale.    —  (Prosopalgie,   irposo/Tcov,  visage). 

A  tout  seigneur,  tout  honneur.  Lorsqu'elle  affecte  une  forme  paroxys- 
tique avec  crises  fréquemment  répétées,  la  névralgie  faciale  est  l'algie 
la  plus  atrocement  douloureuse  que  l'on  puisse  observer.  Elle  n'a  de 
comparable  que  l'algie  de  la  compression  vertébrale  cancéreuse,  et 
encore  celle-ci,  grâce  à  l'affaiblissement  de  l'état  général  et  à  la  ca- 
chexie rapide  due  à  la  néoplasie,  a-t-elle  une  évolution  plus  rapide,  les 
crises  pouvant  être  calmées,  du  reste,  sans  arrière-pensée,  par  la  mor- 
phine. 

Vous  connaissez  la  crise  de  névralgie  faciale  dite  «essentielle  ». 

Un  jour,  sans  cause  connue,  survient  un  élancement  douloureux, 
vif,  explosif,  au  niveau  de  la  lèvre  supérieure,  du  nez,  de  la  lèvre 
inférieure,  des  dents.  Souvent  l'origine  dentaire  est  incriminée,  à  tort 
du  reste,  et  c'est  inutilement  que  l'on  pratiquera  des  avulsions  suc- 
cessives, Chez  ces  malheureux  édentés,  l'algie  ne  fait  que  s'accroître, 
s'aggravant  jusqu'à  la  crise  paroxystique. 

C'est  alors  qu'à  l'occasion  d'un  acte  quelconque  de   déglutition,   de 


J.-A.  SICABD 


mastication,  de    parole,  à  la  plus  petite  secousse  de   toux  ou  d'éter- 
nuement,  au  plus  léger  attouchement   facial,  va  se  déchaîner  la  crise 

paroxystique . 

Soudain,  une  douleur  déchirante  se  fixe  en  un  point  déterminé  de 
l'hémi-face.  Rapidement  elle  s'accompagne  d'irradiations  fulgurantes. 
Le  patient  s'arrête  immobilisé,  angoissé  par  la  violence  de  l'algie.  Il 
porte  la  main  à  son  visage  et  cherche,  par  une  compression  éner- 
gique, à  atténuer  le  mal.  Mais  sa  tentative  est  vaine  et  bientôt  la 
crise,  restée  jusqu'ici  uniquement  sensitive,  se  double  d'un  élément 
moteur. 

Le  nerf  facial  jouera  le  second  acte.  Localement  se  dessinent  des 
frémissements,  des  trémulations  sur  certains  muscles  de  prédilection, 
comme  le  risorius,  l'élévateur  de  la  lèvre  supérieure,  le  mentonnier, 
puis  toute  l'hémiface,  participant  à  cette  agitation  musculaire,  sera 
secouée  d'une  véritable  grimace  clonique.  L'hyperesthésie  doulou- 
reuse sera  à  son  apogée.  C'est  bien  la  névralgie  épileptiforme,  «  le 
tic  douloureux»  de  Trousseau  (ou  mieux:  le  spasme  douloureux^. 
Mais  l'orage  se  calme.  En  deux,  trois  minutes,  la  détente  se  produit 
avec  l'entrée  en  scène  du  sympathique. 

C'est  le  troisième  et  dernier  acte.  Des  phénomènes  vaso-moteurs 
apparaissent,  le  tégument  facial  rougit,  se  congestionne,  l'œil  s'in- 
jecte, l'hvpercrinie  s'étend  aux  muqueuses  lacrymale,  nasale,  buccale. 
L'apaisement  est  bientôt  complet.  Le  calme  est  revenu.  Seule  subsiste 
l'angoisse  de  la  récidive,  de  la  crise  future  et  souvent  rapprochée  que 
le  malade  sait  inévitable. 

Ces  malheureux  névralgiques  usent  de  maints  subterfuges  pour  éloi- 
gner, atténuer  la  crise  paroxystique.  Certains  laissent  leur  visage  se 
recouvrir  d'une  épaisse  séborrhée.  Leur  incurie  est  volontaire.  Us 
craignent  le  plus  léger  attouchement  facial.  La  plupart  encerclent  leur 
tète  sous  des  voiles  protecteurs  et  marchent  lentement,  avec  un 
masque  facial  impassible,  dans  une  attitude  céphalique  soudée,  rigide, 
pour  éviter  tout  heurt.  Tel  de  ces  malades  ne  se  sert  que  de  semelles 
caoutchoutées  pour  amortir  le  choc  des  pas.  Tel  autre  s'est  imposé  un 
mutisme  absolu,  l'accalmie  entre  les  crises  ne  se  prolongeant  qu'au 
prix  d'un  repos  musculaire  facial  total.  Par  écrit  seulement,  il  répondra 
à  vos  questions. 

Ces  prosopalgiques  vivent  dans  la  crainte  perpétuelle  d'un  mouve- 
ment intempestif  de  déglutition,  île  mastication.  L'heure  îles  repas  est 
poureux    un    supplice.    Les   aliments    liquides   sont    seuls  acceptes,    et 

encore  avec  quel  luxe  de  précautions  ! 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  325 

Eh  bien,  ces  crises  prosopalgiques  essentielles  sont  toujours  guéries 
au  moins  pour  une  période  de  une  à  quelques  années  et  même  parfois 
définitivement,  par  les  injections  locales  d'alcool,  à  condition  que  le 
traitement  soit  méthodiquement  et  strictement  appliqué  et  que  le  dia- 
gnostic du  type  «  essentiel  »  soit  dûment  établi.  L'alcoolisation  locale 
ne  saurait  s'appliquer  qu'à  cette  forme  de  névralgie.  Trop  de  médecins 
ignorent  encore  cette  vérité.  Le  traitement  par  l'alcool  est  non  seule- 
ment inutile,  mais  peut  exacerber  les  douleurs,  s'il  est  pratiqué  au  cours 
des  névralgies  faciales  secondaires  (tumeurs,  zona,  etc.)  ou  du  névral- 
gisme  facial  à  élément  douloureux  continu. 

Aussi  voici  quelques  postulats  qui  vous  permettront  de  vous  guider 
dans  ce  diagnostic  différentiel  des  prosopalgies  essentielles  ou  secon- 
daires : 

Névralgie  faciale  essentielle.  —  Sera  qualifiée  d'essentielle  toute 
prosopalgie  qui  présentera  les  caractéristiques  suivantes  : 

a)  Son  début.  Jamais  en  deçà  de  la  vingtième  année,  avec  un  maximum 
de  fréquence  au  delà  de  la  cinquantième  année. 

b)  Son  unilaléralité.  Limitation  à  l'hémiface.  La  névralgie  faciale 
essentielle  bilatérale  est  l'extrême  exception. 

c)  Sa  localisation  initiale  à  une  ou  deux  branches  de  la  Ve  paire, 
voisines  entre  elles,  par  exemple  à  la  fois  à  l'ophtalmique  et  au  maxil- 
laire supérieur  — ou  maxillaire  supérieur  seul —  ou  concomitamment 
au  maxillaire  supérieur  et  au  mentonnier.  —  Toute  névralgie  faciale 
qui  d'emblée,  dès  ses  débuts,  intéresse  les  trois  branches  du  trijumeau 
n'est  pas  une  névralgie  faciale  essentielle. 

d)  Sa  discontinuité.  Toute  névralgie  faciale  dont  l'élément  douleur  se 
traduit  d'une  façon  continue,  sans  jamais  de  phase  d'accalmie  franche, 
n'est  pas  une  névralgie  faciale  «  essentielle  »  ; 

e)  Son  intégrité  de  sensibilité  objective.  Toute  névralgie  faciale  qui, 
non  déjà  traitée  chirurgicalement  ou  par  les  injections  locales,  s'ac- 
compagne d'anesthésie  cutanée  ou  muqueuse,  n'est  pas  une  névralgie 
faciale  «  essentielle  ».  L'hyperesthésie  est  la  règle  au  cours  de  l'algie 
faciale  essentielle  ; 

g)  Son  maintien  strict  au  nerf  trijumeau.  Toute  névralgie  faciale  qui, 
antérieurement  à  toute  intervention,  présente  des  signes  associés  d'ex- 
citation ou  de  paralysie  d'autres  nerfs  crâniens,  comme,  par  exemple, 
trismus,  diplopie,  paralysie  faciale,  hémiatrophie  linguale,  etc.,  n'est 
pas  une  névralgie  faciale  «essentielle  ». 

Névralgies  faciales  secondaires.—  Les  névralgies  faciales  secon- 


326  J.-A.    SIC  \i;i> 


daires  sont  celles  qui  reconnaissent  une  cause  définie  locale.  Suivant  que 
le  point  de  départ  de  l'algie  faciale  secondaire  siège  en  dehors  ou  en 
dedans  du  crâne,  l'algie  reconnaîtra  une  étiologie  exo  ou  endocraiiienne. 

Une  production  tuberculeuse,  syphilitique,  cancéreuse,  actinomy- 
cosique,  etc.,  delà  base  interne  cranio-cérébralè,  un  projectile  ayant 
lésé  ou  continuant  à  irriter  la  zone  pétro-mésocéphalique  trigémellaire, 
ce  sont  !à  autant  de  causes  endo  crâniennes. 

Les  types  exocraniens  peuvent  être  réalisés  par  des  néoplasies 
analogues,  mais  à  envahissement  des  espaces  pré  ou  postptérygoï- 
diens  ou  des  tissus  osseux  de  la  région  faciale.  Une  carie  dentaire,  un 
abcès  dentaire,  une  sinusite,  et  surtout,  en  temps  de  guerre,  les  pro- 
jectiles frappant,  fracturant  le  massif  osseux  de  la  face  peuvent  égale- 
ment créer  ce  type  exocranien. 

On  a  encore  classé  parmi  les  névralgies  faciales  du  type  secondaire 
certaines  algies  d'ordre  diathésique  survenant,  par  exemple,  dans  le 
diabète,  ou  d'ordre  toxi-infectieux,  se  révélant  au  cours  du  paludisme. 
Nous  n'avons  pas  eu  l'occasion  d'étudier  un  seul  de  ces  cas  parmi  le 
grand  nombre  de  nos  malades  paludéens  de  guerre  venus  de  Salonique. 
La  névralgie  faciale  paludéenne,  décrite  par  tous  les  auteurs,  me 
semble  bien  problématique. 

L'atteinte  endo  crânienne  du  trijumeau  par  une  tumeur,  ou  un  pro- 
cessus destructeur  quelconque,  peut  se  révéler  par  des  douleurs  trigé- 
mellaires  d'une  acuité  extrême,  ou  par  la  seule  anesthésie  indolore  cuta- 
née et  muqueuse  de  la  Ve  paire.  Cette  anesthésie  quasi  indolore  est,  à 
notre  avis,  un  signe  précieux  de  localisation  endocranienne.  Elle  permet 
de  situer  la  lésion  initiale  en  arrière  de  Iazonegassérienne,  au  niveau  de 
la  racine,  ou  mieux,  de  la  région  nucléo-radiculaire  du  trijumeau.  La 
réaction  du  ganglion  de  Gasser,  ou  de  ses  branches  efférentes  vis-à-vis 
d'un  processus  lent  de  destruction,  est  toujours  douloureuse.  La 
réaction  de  la  racine  bulbo-gassérienne  ou  du  noyau  de  la  Ve  paire  est 
le   plus  souvent  indolore. 

Névralgisme  facial.  —  En  dehors  de  ces  deux  groupes  :  algie 
faciale  «  essentielle  »  et  algies  faciales  secondaires,  il  est  nécessaire  de 
réserver  une  place  à  part  au  «névralgisme  facial  ».  Cette  dénomination 
comprend  les  douleurs  vagues,  diffuses,  souvent,  bilatérales  de  la  lace, 
du  type  des  «  douleurs  d'habitude  »  de  Brissaud,  se  rapprochant  parfois 
des  réactions  cénesthopatiques  de  Dupré. 

En  règle  générale,  de  tels  sujets  atteints  de  névralgisme  facial  SOnl 
très  prolixes.   Ils  abondent  en  détails  sur  le  siège,   la  nature,   les  varia- 


LES  ALGIES   ET  LEUR    TRAITEMENT  327 

tions  des  douleurs  ressenties  :  «J'ai  constamment,  dit  l'un  d'eux,  une 
sensation  de  froid  sur  une  joue,  mais  cela  bout  quand  même,  puis  me 
tire  l'œil,  passe  à  la  nuque  et  derrière  la  tète  »  (réaction  associée  de 
l'ophtalmique  et  du  nerf  occipital  d'Arnold). 

Un  autre  encore  :  «  Je  suis  tiraillé  tout  le  temps  de  derrière  la  tête 
jusqu'à  la  joue.  J'ai  delà  toile  amidonnée  que  l'on  me  presse  des  deux 
côtés  de  la  figure.  Je  suis  moins  tiraillé  quand  je  mastique,  et  surtout 
quand  je  bois  chaud,  ou  quand  je  bois  de  l'alcool.  »  On  reconnaît  bien 
à  ces  descriptions  les  réactions  paresthésiques,  diffuses,  continues,  du 
névralgisme,  très  différentes  des  douleurs  de  la  névralgie  essentielle  qui 
sont  explosives,  localisées,  intermittentes,  paroxystiques,  exacerbées 
par  les  attouchements  et  les  mouvements  faciaux. 

L'attitude  de  ces  sujets  est  souvent  spéciale,  leur  ton  est  geignard, 
leurs  gestes  toujours  les  mêmes,  la  description  des  sensations  éprouvées 
interminable,  sans  que  l'on  puisse  cependant  parler  de  simulation  ou 
même  d'exagération.  Rien  ne  peut  les  distraire  de  leurs  préoccupa- 
tions algiques,  ni  jeu,  ni  travail.  Ils  demandent  sans  cesse  à  être  réexa- 
minés par  les  spécialistes  des  nerfs,  des  yeux,  des  oreilles,  du  nez.  Les 
troubles  algiques  débordent  parfois  le  cadre  de  la  face  et  s'essaiment  à 
toute  la  tète,  au  cou,  à  l'épaule,  témoignant  de  la  parenté  que  pré- 
sentent ces  états  paresthésiques  avec  les  états  cénesthopathiques. 
L'idée  obsédante  peut  se  fixer.  Le  névralgisme  cède  la  place  à  la  cénes- 
thopathie.  Des  interventions  opératoires  sont  réclamées,  et  si  un  méde- 
cin, non  prévenu,  acquiesce  et  surtout  tente  une  médication  à  allure 
chirurgicale,  alcoolisation,  piqûres  locales,  pointes  de  feu,  vésîcation 
profonde,  il  sera  dès  lors  harcelé.  L'obsédé  deviendra  un  revendica- 
teur, parfois  agressif,  comme  je  vous  le  disais  au  début  de  cette 
leçon. 

Ainsi,  le  traitement  de  la  névralgie  faciale  ne  saurait  être  univoque. 
Quand  vous  serez  assurés  de  votre  diagnostic  étiologique,  et  pour  cela 
vous  aurez  été  parfois  obligés  de  contrôler  l'état  des  sinus,  des  yeux, 
des  oreilles,  du  rhino-pharynx,  de  la  cavité  buccale,  des  dents 
(contrôle  radiographique),  du  sang,  de  l'urine,  etc.,  alors  seulement 
vous  pourrez  à  juste  titre  orienter  votre  thérapeutique. 

Beaucoup  d'entre  vous  sont  déjà  au  courant  de  l'utilisation  des  injec- 
tions d'alcool.  Je  n'insisterai  pas  sur  leur  technique. 

Les  petites  seringues  en  verre  usuellement  maniées,  les  aiguilles  de 
platine  de  calibre  ordinaire,  mais  de  longueurs  variables  de  2à5  cen- 
timètres, sont  suffisantes.  Le  titre  de  l'alcool  à  employer  est  de  90°  à 
95°.  Le  principe  de  la  méthode  est  la   destruction  des   branches  ner- 


J.-A.    SK.Mil> 


veuses  responsables  de  l'algie  par  la  solution  alcoolique.  Il  est  donc  de 
toute  rigueur  de  porter  cette  substance  destructrice  au  sein  même  du 
tronc  nerveux.  Plus  la  destruction  est  profonde,  plus  longue  sera  la 
guérison.  Il  n'est  qu'un  seul  témoin  de  l'injection  bien  réussie,  c'est 
l'anesthésie  complète  dans  le  territoire  cutané  ou  muqueux  tributaire 
de  la  branche  nerveuse  alcoolisée. 

Il  faut  éviter  d'injecter  l'alcool  dans  un  vaisseau  sous  peine  de  voir 
apparaître  des  réactions  locales  sphacéliques  de  la  peau  et  même  des 
plans  sous-jacents  (ostéites)  du  palais,  du  maxillaire  supérieur,  chutes 
dentaires,  tous  incidents  qui  sont  du  reste  exceptionnels.  Il  peut  sur- 
venir également  des  paralysies  oculaires  d'une  durée  de  quelques 
semaines  ou  de  quelques  mois  après  injection  au  niveau  du  trou  grand 
rond  ou  ovale,  surtout  quand  les  précautions  topographiques  profondes 
ne  sont  pas  suffisamment  prises  ;  mais  ces  paralysies  restent  l'extrême 
rareté  (un  demi  pour  cent  dans  notre  statistique)  et  toujours  curables. 
L'érysipèle  consécutif  est  un  incident  également  des  plus  rares. 

Sans  doute,  l'alcool,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  ne  tue  les 
branches  nerveuses  que  pour  un  temps,  plusieurs  mois,  plusieurs 
années,  et  la  nécessité  d'une  reprise  thérapeutique  est  la  règle.  Cepen- 
dant, au  fur  et  à  mesure  de  la  répétition  des  cures,  les  accalmies  devien- 
nent plus  longues  et  il  n'est  pas  rare  d'observer  la  guérison  définitive 
après  la  cinquième  ou  sixième  cure  neuroly tique. 

Le  traitement  chirurgical  concernant  l'ablation  du  ganglion  de  Casser 
paraît  actuellement  délaissé,  à  cause  des  difficultés  d'extraction  gassé- 
rienne,  des  dangers  opératoires  et  des  troubles  trophiques  de  l'œil.  On 
a  tendance  à  lui  substituer  une  intervention  portant  sur  la  racine 
bulbo-gassérienne.  L'acte  opératoire  doit  ici  viser  la  découverte  de  la 
racine  immédiatement  en  arrière  du  ganglion.  Il  faut  éviter  l'arrache- 
ment radiculaire  susceptible  d'ébranler  les  noyaux  de  voisinage  bul- 
baire, et  s'adresser  à  la  section  radiculaire  (Cushing,  de  Bœck,  de 
Martel,  Robineau).  Cette  intervention  chirurgicale  de  radicotomie 
comporte  moins  d'aléas  que  la  gasserectomie.  Elle  met  souvent,  mais 
non  toujours  comme  nous  avons  pu  nous-mème  nous  en  rendre  compte, 
à  l'abri  des  ulcérations  trophiques  oculaires.  L'opération  chirurgicale 
peut  être  discutée  et  parfois  conseillée  chez  les  algies  jeunes  résistants. 
L'alcoolisation    locale  reste    la  règle  chez    les  sujets  âgés  ou  déprimés. 

IL  —  Névralgie  sciatique. 

Vous  vous  efforcerez  pour  les  sciatiques  de  résoudre  de  la  même 
façon  le  problème  diagnostique  entre  les  formes  essentielles  dites  encore 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  329 

rhumatismales,  arthritiques,  goutteuses  et  les  formes  secondaires.  Il 
n'est  pas  besoin  d'insister  sur  le  pronostic  favorable  de  la  sciatique 
banale,  commune,  qui  résume  à  elle  seule  toute  la  maladie  et  l'épi- 
sode sciatalgique  secondaire,  symptomatique  d'une  lésion  initiale  qui 
peut  être  d'une  extrême  gravité,  au  cas  de  compression  néoplasique 
par  exemple. 

Le  sciatique,  comme  tout  nerf  périphérique  des  membres,  est  formé 
défibres  sensitives,  motrices  et  sympathiques. 

Mais  tandis  qu'au  cours  des  blessures  de  guerre,  les  fibres  motrices 
paraissent  plus  vulnérables  que  les  fibres  sensitives,  par  contre  l'élé- 
ment sensitif  est  toujours  frappé  avec  plus  d'électivité  au  cours  de  la 
sciatique  banale  dite  médicale.  Il  en  est  de  même  de  l'atteinte  des 
fibres  sympathiques.  Les  troubles  vaso-moteurs,  œdémateux,  unguéaux 
appartiennent  aux  lésions  traumatiques  du  sciatique  beaucoup  plus 
qu'à  l'affection  sciatique  commune. 

La  sensibilité  douloureuse  conditionne  la  symptomatologie  de  la 
sciatique  médicale.  Or,  nous  avons  montré  que  le  point  de  départ  de 
ces  algies  (névrodocites)  pouvait  se  trouver  à  des  étages  différents  du 
cordon  nerveux  et  qu'il  était  nécessaire,  à  cet  égard,  de  diviser  les 
différents  types  de  sciatique  médicale  en  :  1°  sciatique  totale,  dans 
lequel  le  nerf  paraît  intéressé  dans  sa  totalité  ;  2°  sciatiques  hautes  : 
région  paravertébrale,  entre  le  trou  conjugué  et  le  plexus  ;  3°  scia- 
tiques  médianes  :  gouttière  ischio-trochantériennes  et  grande  échan- 
crure  ;  4°  sciatiques  basses  (creux  poplité  et  jambe). 

L'ensemble  symptomatique  de  la  sciatique  médicale  gravite  autour 
du  test  douleur.  Il  n'y  a  pas  de  sciatique  sans  algie,  du  moins  dans  la 
première  phase  de  la  maladie.  C'est  la  douleur  qui  conditionne  les 
différentes  attitudes  prises  par  le  malade,  attitudes  transitoires  ou 
permanentes  qui  méritent  le  nom  d'antalgiques.  C'est  sur  le  réveil  de 
la  douleur,  sur  la  provocation  douloureuse  à  la  pression,  à  l'étirement, 
à  l'élongation,  sur  la  vigilance  et  la  permanence  musculaires,  que  sont 
basées  les  principales  directives  du  diagnostic. 

Il  est  des  attitudes  ou  des  réactions  antalgiques  transitoires. 

Toutes  ont  pour  but  de  détendre  la  corde  de  l'arc,  de  mettre  le  tronc 
sciatique  dans  la  position  du  relâchement  (signe  de  Lasègue,  de  Bon- 
net, deNeri,  de  Roussy,  etc.):  ce  sont  là  des  attitudes  transitoires  de 
défense  contre  la  douleur  provoquée. 

Il  est  des  attitudes  antalgiques  fixées  pour  une  période  de  temps  plus 
ou  moins  longue,  et  dont  la  scoliose  est  son  corollaire  :  l'ascension,  la 
discordance  talonnière,  que  j'ai  étudiées,  en  sont  les  représentants  les 


J.-A.    SIC  IRD 


plus  nets.  Vous  me  permettrez  d'insister  sur   la  pathogénie  si  discutée 
de  cette  scoliose  et  de  vous  dire  ee  que  je  pense  à  sou  sujet. 

La  scoliose  de  la  sciatique.  —  Toute  sciatique  clans  sa  forme 
scoliotique  imprime  à  l'architecture  vertébrale  dorso-lombo-sacrée  une 
altitude  de  translation  latérale  telle  qu'elle  lui  est  tout  à  fait  spéciale. 
Cette  attitude  particulière  de  scoliose  ne  se  voit  pas  au  cours  des 
parasciatiques  (radiculites,  Pott,  néoplasies  rachidiennes).  Sous  l'in- 
fluence créée  par  une  réaction  défensive  spéciale  des  trous  de  conju- 
gaison, de  l'articulation  sacro-iliaque  ou  de  la  gouttière  ischio-trochan  - 
térienne,  certains  muscles  vont  s'immobiliser  dans  un  tonus  fixe,  impri- 
mant   à   la  statique  vcrtébro-coxale  des  attitudes  typiques. 

La  scoliose  est  homologue  ou  alterne.  Dans  l'un  ou  dans  l'autre  cas, 
elle  peut  s'accompagner  d'un  certain  degré  de  cyphose.  La  scoliose 
homologue  est  à  concavité  inclinée  du  côté  malade  el  à  épaule  homo- 
logue abaissée.  La  scoliose  est  dite  croisée  ou  alterne  quand  elle  est  à 
concavité,  penchée  vers  le  côté  sain  et  avec  épaule  croisée  abaissée.  La 
courbure  de  compensation  se  fait  classiquement  dans  la  région  rachi- 
dienne  plus  élevée. 

Mais  pourquoi  cette  vigilance  musculaire  s'exerce-t  elle  dans  des 
directions  opposées  ?  Pourquoi,  dans  tels  ou  tels  cas,  en  apparence 
semblables,  tant  au  point  de  vue  de  l'âge  du  sujet  que  de  la  durée  de 
la  maladie  et  de  l'intensité  de  l'algie,  note-t-on  ici  une  scoliose  homo- 
logue, là,  au  contraire,  une  scoliose  croisée  ?  Il  a  paru  difficile  de 
solutionner  ce  problème  clinique.  Il  nous  semble  cependant  que  la 
scoliose  homologue  a  surtout  pour  but  de  maintenir,  autant  que  pos- 
sible, dans  le  relâchement,  le  nerf  sciatique  et  son  plexus  (type  scia- 
tique tronculaire  prédominant).  Il  y  a  détente  de  la  corde  de  l'arc.  La 
scoliose  croisée  surviendrait,  au  contraire,  pour  ouvrir  le  trou  de 
conjugaison  et  relâcher  l'articulation  sacro-iliaque  quand  il  y  aurait 
arthrite  localisée  et  unilatéralisée  de  cette  articulation  et  des  trous  con- 
jugués (type  prédominant  de  sciatique  funiculaire).  L'hypertonie  de  la 
masse  sacro-lombaire  opposée  s'exercerait  alors  dans  un  but  défensil 
d'écartement des  trous  de  conjugaison  avec  immobilisation  pour  s'op- 
poser aux   heurts    douloureux    des    surfaces   articulaires  entre   elles. 

Dans  toute  sciatique  avec  scoliose  on  note  une  h\  pertonie  perma- 
nente de  la  masse-  sacro-lombaire  homologue  ou  croisée,  tandis  que  la 
niasse  musculaire  fessière  est  plutôt  en  hypotonie. 

L'affaissement  plantaire  (pied  plat)  ou  hypotonie  tendino-ligamen- 
teuse  n'est  pas  rare,  comme  je  l'ai  montré.  Chirac  a  décrit  le  «  signe  de 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  33t 

la  pointe  »,  c'est-à-dire  la  difficulté  pour  le  sciatalgique  de  se  tenir  sur 
la  pointe  du  pied  du  côté  algie.  Ce  signe  de  la  pointe  serait  en  rapport 
avec  la  parésie  des  muscles  soléaires,  jumeaux,  long  péronnier  latéral 
et  plantaire. 

L'exploration  du  réflexe  achilléen  est  importante  (Babinski).  Tantôt 
celui-ci  est  normal,  tantôt  diminué,  tantôt  au  contraire  aboli.  C'est 
du  5e  au  8e  jour  après  le  début  de  l'algie  sciatique  qu'il  commence  à 
diminuer  et  sa  disparition  est  dès  lors  rapide  (en  24  ou  48  heures). 
Après  la  guérison  de  l'algie,  le  réflexe  achilléen  peut  rester  aboli.  Nous 
avons  observé  un  certain  nombre  de  sujets  qui  avaient  conservé  l'abo- 
lition du  réflexe  achilléen,  douze  et  vingt  ans  après  la  guérison  de 
leur  sciatique,  alors  que  cette  guérison  s'était  maintenue  complète 
sans  la  moindre  ébauche  de  récidive  douloureuse.  Ces  laits  ont  leur 
intérêt.  Ils  peuvent,  pour  un  observateur  non  prévenu,  prêter  à  erreur. 
L'abolition  delà  réflectivité  tendineuse  achilléenne,  même  unilatérale, 
peut,  en  effet,  être  faussement  considérée  comme  le  témoin  d'une  réaction 
syphilitique,  d'un  épisode  par  exemple  de  la  série  tabétique,  alors  qu'une 
sciatique  banale  de  date  très  ancienne  sera  seule  responsable  de  cette 
perturbation  réflexe  persistante.  Il  ne  faudrait  pas  conclure,  non  plus, 
de  l'absence  persistante  du  réflexe  à  une  prolongation  évolutive  indé- 
finie de  la  sciatique. 

Il  existe  souvent  de  l'atrophie  globale  des  muscles  de  la  jambe  et 
du  pied,  notamment  du  muscle  pédieux  au  niveau  de  son  insertion 
astragalo-calcanéenne  (Barré).  Le  pédieux  conserve  cependant  au 
cours  de  la  sciatique  ordinaire  son  excitabilité  ordinaire.  Nous  n'avons 
jamais  constaté  d'œdème,  de  mal  perforant  plantaire  au  cours  des 
sciatiques  classiques.  La  recherche  des  réactions  électriques  montre 
assez  souvent  des  troubles  quantitatifs  d'hypo  ou  d'hyperexcitation, 
mais  il  n'existe  jamais  de  D.  R.  dans  la  sciatique  essentielle. 

Evolution.  —  Les  douleurs  vives  du  début  s'apaisent,  laissant  place 
en  l'espace  de  quelques  semaines  à  de  l'engourdissement,  à  de  la  pesan- 
teur du  membre  inférieur.  Puis,  peu  à  peu,  le  patient  se  risque  à  mobi- 
liser sa  jambe  en  dehors  de  la  position  horizontale.  Il  met  pied  à  terre, 
cherche  à  s'entraîner,  et  en  l'espace  de  six  semaines  à  deux  à  trois  mois, 
la  guérison  est  complète. 

Parfois,  cependant,  la  sédation  n'est  pas  franche.  Une  marche  un 
peu  longue,  un  faux  pas,  un  heurt  inopiné,  des  intempéries  de  saison, 
réveillent  la  douleur.  La  rechute  éclate  aussi  intense  que  la  crise  du 
début  ou  plus  atténuée  et  entrecoupée  de  périodes  d'accalmie.  Parlois 
encore,  après  une  guérison  de  plusieurs  mois  ou  de  plusieurs  années, 


.I.-A   SICARD 

il  y  a  récidive  et  la  crise  sciatalgique  réapparaît  sur  le  même  nerf 
avec  les  mêmes  caractères  que  son  aînée,  calquée  pour  ainsi  dire  sur 
celle-ci. 

Formes.  —  La  sciatique  essentielle  se  rencontre  le  plus  souvent 
sous  les  trois  modalités  suivantes  :  sciatiques  hautes,  médianes,  basses. 

Les  sciatiques  hautes  (trou  de  conjugaison  et  région  paravertébrale 
Funiculaire  entre  le  trou  conjugué  et  le  plexus)  ; 

Les  sciaticpies  médianes  (cuisse,  gouttière  ischio-trochantérienne, 
grande  échancrure)  ; 

Les  sciaticpies  basses  (creux  poplité  et  jambe). 

Aux  sciatiques  hautes  appartiennent  les  douleurs  lombo-sacrées, 
les  contractures  unilatérales  para  vertébrales,  les  scolioses  alternes 
et  l'ascension  talonnière.  Ces  réactions  sensitivo-motrices  s'associent 
souvent,  dans  les  sciaticpies  hautes,  aux  autres  signes  constatés  dans  les 
sciaticpies  du  type  médian. 

Les  sciatiques  médianes  sont  parmi  les  plus  fréquentes.  Elles  ont 
pourpoint  de  départ  la  grande  échancrure  sciatique  et  la  gouttière 
'schio-trochantérienne.  Leurs  symptômes  fréquents  sont  :  l'atrophie 
musculaire  globale  de  la  jambe,  le  signe  de  Lasègue,  le  réveil  très 
douloureux  à  la  palpation  de  la  région  ischio-trochantérienne  et  de 
l'échancrure,  le  clonusdu  muscle  fessier  sous  l'influence  du  choc  digital, 
la  présence  de  contractions  fibrillaires  des  muscles  du  mollet,  l'abolition 
du  réflexe  achilléen  et  la  scoliose  homologue. 

Les  sciatiques  basses  ont  pour  caractéristiques  :  une  algie  localisée 
aux  nerfs  sciatiques  poplités  interne  et  externe  (névrodocite  des  aponé- 
vroses poplitées  ou  de  la  face  externe  de  la  tète  du  péroné).  Elles  s'ac- 
compagnent de  réveil  douloureux  à  la  pression  des  régions  médio-plan- 
taire,  achilléenne  et  sus-achilléennes  ;  plus  rarement,  d'atrophie  muscu- 
laire ou  d'abolition  du  réflexe  tendineux  achilléen. 

Pronostic  des  sciatiques  primitives.  —  Jusqu'ici,  la  sciatique  névrite 
était  considérée  comme  la  forme  grave,  rebelle,  prolongée,  et  la 
sciatique  névralgique  comme  la  modalité  légère,  relativement  loi 
curable. 

A  notre  avis,  l'atrophie  musculaire  et  l'abolition  du  réflexe  achilléen 
sont  des  signes  bien  infidèles  dans  l'appréciation  d'un  pronostic.  Nous 
avons  vu  souvent  des  algies  sciaticpies  présenter  une  évolution  bénigne 
et  guérir  rapidement,  malgré  l'abolition  du  réflexe  achilléen  et  la  longue 
persistance  de  cette  abolition  après  guérison,  tandis  cpie,  au  contraire, 
la  maladie  et  les  douleurs  s'éternisaient  dans  des  formes  dites  névral- 
giques. 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  333 

Il  est  bien  difficile  de  se  prononcer  sur  le  diagnostic  des  sciatiques 
primitives  et  de  fixer  une  échéance  de  guérison  dès  le  début  de  l'algie. 
En  règle  générale,  cependant,,  la  constatation  de  contractures  lombaires 
avec  scoliose  homologue  ou  croisée  implique  une  forme  plus  sévère  et 
une  évolution  plus  longue. 

Sciatiques  secondaires.  —  Diagnostic  avec  la  scialique  essen- 
tielle.—  Les  sciatiques  secondaires  sont  celles  qui  reconnaissent  une  ori- 
gine concrète,  tangible,  décelable  par  la  palpation  directe,  l'exploration 
du  vagin,  du  rectum,  l'examen  du  liquide  céphalo-rachidien,  la  radio- 
graphie, etc.  Elles  reconnaissent  une  origine  rachidi»nne  (sacralisation, 
mega-apophysite  transverse  lombaire,  mal  de  Pott,  tuberculose,  cancer, 
etc.)  ou  un  point  de  départ  au  niveau  du  petit  bassin,  endopelvien 
(abcès  froid,  néoplasme,  etc.),  ou  exopelvien  (ostéosarcome  de  la  tête 
du  fémur,  ostéite  gommeuse,  syphilitique,  tuberculeuse,  etc.). 

Il  importe  donc  de  pouvoir  cliniquement  soupçonner  cette  origine 
secondaire  d'une  sciatique  avant  toute  apparition  de  lésion  grossière. 

Or,  à  ce  point  de  vue,  voici  quelques  règles  diagnostiques  que  vous 
pourrez  prendre  pour  guide,  comme  dans  la  névralgie  faciale  : 

1°  Toute  sciatique  qui  s'accompagne  d'irradiations  douloureuses  per- 
sistantes au  niveau  des  organes  génito-rectaux  ou  de  troubles  sphincté- 
riens  n'est  pas  une  sciatique  «  essentielle  »  ; 

2°  Toute  sciatique  qui  s'accompagne  d'irradiations  douloureuses  per- 
sistantes dans  la  région  abdominale  et  inguinale,  n'est  pas  une  sciatique 
«  essentielle  »  ; 

3"  Toute  sciatique  qui  s'accompagne  de  gros  troubles  vaso-moteurs, 
de  mal  perforant  plantaire  ou  d'œdème  de  la  jambe  (en  dehors  de 
varices  dûment  constatées,  d'applications  intempestives  médicamen- 
teuses ou  d'un  état  général  responsable),  n'est  pas  une  sciatique  essen- 
tielle ; 

4°  Toute  sciatique  qui  s'accompagne  de  paralysie  motrice  ou  même  de 
steppage,  n'est  pas  une  sciatique  essentielle  ; 

5°  Toute  sciatique  qui  s'accompagne  de  troubles  qualitatifs  électri- 
ques de  D.  R.  dans  les  muscles  tributaires,  n'est  pas  une  sciatique  essen- 
tielle ; 

6°  Toute  sciatique  qui  survient  chez  un  enfant  avant  l'âge  de  12  à 
15  ans,  n'est  pas  une  sciatique  essentielle; 

7°  La  sciatique  essentielle,  dans  son  type  scoliotique,  imprime  à  la 
masse  musculaire  lombo-sacrée  une  contracture  avec  attitude  consé- 
cutive du  corps  qui  lui  est  spéciale. 


J.-A.    SICARD 

8°  Tout  liquide  céphalo-rachidien  riche  en  albumine,  en  lympho- 
cytes, el  à  plus  forte  raison  avec  B.-W.  positif,  n'appartient  pas  à  la 
sciatique  essentielle.  Le  liquide  céphalo-rachidien  peut  présenter  un 
certain  excès  d'albumine  dans  les  sciatiqués  essentielles  hautes,  celles 
qui  dépendent  d'une  arthrite  du  trou  de  conjugaison,  mais  nous  n'avons 
jamais  note  de  lymphocytose  vraie. 

La  sciatique  vulgaire,  classique  essentielle,  n'est  pas  fonction  de 
syphilis.  Le  liquide  céphalo-rachidien  dans  la  sciatique  essentielle  ne 
présente  jamais  une  réaction  positive  de  Bordet-Wassermann. 

Traitement.  —  Les  sciatiqués  secondaires  reconnaissent  pour  cha- 
cune d'elles  une  thérapeutique  appropriée  (traitement  de  la  syphilis, 
du  diabète,  traitement  chirurgical  des  tumeurs  compressives,  etc.). 

Par  contre,  s'adresse-t-on  à  la  thérapeutique  de  la  sciatique  ordi- 
naire, il  faut  reconnaître  qu'il  n'est  pas  d'affection  ayant  suscité  un  aussi 
grand  luxe  de  médications.  Les  thérapeutiques  les  plus  diverses  ont 
été  proposées,  et  toutes  ont  eu  leurs  prosélytes  fervents. 

En  règle  générale,  le  repos  doit  être  conseillé.  La  marche,  les  mou- 
vements musculaires  exacerbent  le  mal.  On  donnera  les  cachets  usuels 
analgésiques,  à  la  base  d'antipyrine,  d'aspirine,  de  pjTramidon,  etc. 

Mais  la  crise  algique  se  prolonge.  Les  douleurs  ne  cessent  pas  ou 
reviennent  dès  que  le  malade  essaie  de  marcher  ou  s'assied  un  peu  lon- 
guement. Dans  ce  cas,  il  faut  avoir  recours  aux  moyens  plus  énergi- 
ques :  l'alcoolisation  locale  et  l'injection  épidurale. 

L'alcoolisation  locale  est  faite  en  dehors  du  nerf  sciatique,  dans  son 
voisinage,  à  quelques  centimètres  (3  à  6  centimètres  environ)  de  la 
grande  échancrure  ou  de  la  gouttière  de  passage.  Il  faut  se  garder  de 
l'alcoolisation  directe  du  nerf.  La  neurolyse  du  sciatique  par  l'alcool 
engendrerait  des  troubles  paralytiques.  On  pratique,  dans  une  même 
séance,  en  des  points  voisins,  l'encerclement  par  l'alcool  soit  de  la 
grande  échancrure  du  sciatique,  soit  de  la  gouttière  isehio-troehante- 
rienne.  On  abandonne,  en  ces  régions,  trois  à  quatre  injections  de  2  à 
.'i  centimètres  cubes  d'alcool  à  90°.  L'alccol  a  été  au  préalable  antipyriné 
à  20  centigrammes  d'antipyrine  par  centimètre  cube.  On  injectera  donc 
au  total  8  à  10  centimètres  cubes  d'alcool  à  90°  et  2  grammes  environ 
d'antipyrine.  L'injection  sera  répétée,  dans  les  mêmes  conditions,  tous 
les  deux  à  trois  jours  jusqu'à  guéri  son. 

L'alcool  n'a  aucune  vertu  spécifique  et  agit  simplement  à  titre-  de 
révulsif  profond,  comme  le  ferait  du  sérum  salé  hypertonique,  île 
l'eau  distillée,  une  solution  simple  d'antipyrine,  de  strychnine,  d'iodure 
ou  de  mercure,  etc.  Parmi  ces  substances,  nous  avons  donne  la   préfé- 


LES  ALGIES  ET  LEUR   TRAITEMENT  335 

rence  à  l'alcool,  liquide  qui  se  conserve  aseptique  et  jouit  d'une  grande 
puissance  de  révulsion.  L'alcool  intra-musculaire  agit  de  la  même  façon 
que  le  ferait  un  révulsif  vésicant  appliqué  dans  la  profondeur.  Il  est 
doué  d'un  pouvoir  réactionnel  intensif.  Déposé  à  une  certaine  distance 
du  tronc  nerveux,  il  aide  de  manière  efficace  à  sa  libération.  Il  le  dégage 
des  éléments  tissulaires  congestifs  qui  l'engainent,  le  compriment,  et 
sont  générateurs  des  douleurs. 

Si  l'alcoolisation  locale  est  insuffisante  pour  la  guérison,  on  aura 
recours  aux  séances  suivantes  à  l'injection  épidurale  que  j'ai  fait  con- 
naître. L'aiguille  est  enfoncée  dans  l'hiatus  sacro-coccygien,  après 
anesthésie  novocaïnique  successive  des  plans  de  pénétration,  et  l'on 
pousse  dans  l'espace  épidural  sacré  10  à  20  centimètres  cubes  d'eau 
chlorurée  isotonique,  additionnée  au  total  de  2  à  3  centigrammes  de 
novocaïne,  stovaïne,  ou  cocaïne.  L'injection  épidurale  est  d'une  techni- 
que délicate.  Souvent  est  commise  l'erreur  suivante,  qui  consiste  à 
injecter  le  liquide  non  dans  l'espace  épidural  sacré,  mais  simplement 
sur  la  face  postérieure  du  sacrum.  L'injection  épidurale  est  renouvelée 
en  moyenne  deux  fois  par  semaine. 

Les  petits  lavements  associés  (dans  les  jours  intercalaires  à  l'alcooli- 
sation ou  à  l'injection  épidurale)  sont  à  conseiller  avec  deux  cuillères  à 
soupe  d'eau  bouillie,  50  centigrammes  de  pyramidon  et  quelques 
gouttes  noires  anglaises. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  méthodes  physiothérapiques  qui  trou- 
vent à  certaines  périodes  évolutives  de  la  sciatique  leurs  indications 
spéciales  :  radiothérapie,  électrothérapie,  massage,  bains  chauds,  bains 
résineux,  bains  de  soleil,  air  chaud,  boites  chauffantes,  lumière  bleue, 
cures  thermales  d'Aix-les-Bains,  de  Dax.  de  Lamalou,  de  Bourbonne, 
etc. 

Il  y  a  plus.  Dans  les  sciatiques  hautes  irréductibles  s'accompagnant 
de  lumbarthrie,  entraînant,  par  la  quasi-immobilisation  qu'elles  provo- 
quent, à  peu  près  l'arrêt  de  toute  vie  sociale  et  professionnelle,  et  à 
évolution  de  vieille  date  (deux  trois  ans  environ),  nous  avons  proposé 
une  intervention  chirurgicale  bénigne,  la  laminectomie  décompressive, 
qui  a  pour  but  de  dégager  les  trous  de  conjugaison  et  d'assurer  de  nou- 
veau la   mobilité  de  la  colonne   vertébrale. 

L'opération  portera  sur  le  segment  lombaire,  de  la  12''  dorsale  à  la 
4e  vertèbre  lombaire  environ.  Dans  trois  cas  nous  avons,  avec  mon 
interne  Forestier,  obtenu,  grâce  à  celte  intervention  chirurgicale 
(Dr  Robineau),  un  succès  complet  et  durable. 


./.-.».    SICABD 


III.  —  L'Algie  zostérienne. 

Voici  une  troisième  modalité  d'algie  :  l'algie  zostérienne.  La  cause  ori- 
ginelle du  zona  nous  est  inconnue.  On  n'a  pas  su  isoler  encore  le  germe 
infectieux  qui  lui  donne  naissance,  mais  par  contre  le  mécanisme  patho- 
génique  du  zoster  a  été  nettement  précisé.  La  lésion  du  zona  est  loca- 
lisée à  cette  région  dont  je  vous  ai  entretenu  maintes  fois  déjà  au  cours 
de  cette  conférence,  à  la  région  sensitive  radiculo-ganglionnaire.  L'in- 
flammation zostérienne  déborde  même  souvent  cette  zone  nerveuse  et 
frappe  des  départements  du  voisinage,  le  cordon  postérieur,  la  corne 
postérieure,  et  le  système  sympathique  proche.  Ces  atteintes  variables  de 
segments  sensitifs  différents  accroissent  les  difficultés  diagnostiques 
d'une  localisation  lésionnelle  stricte  et  compliquent  singulièrement  la 
décision  chirurgicale  à  prendre  quand  il  y  a  lieu  de  discuter  celle-ci. 
Vous  verrez  pourquoi  dans  un  instant. 

L'algie  du  zona  est  fonction  en  général  de  l'intensité  de  l'éruption, 
de  sa  localisation  prédominante  sur  telle  ou  telle  région  du  névraxe 
(zona  du  trijumeau,  zona  intercostal,  zona  des  membres),  mais  surtout 
fonction  de  l'âge. 

Je  n'ai  pas  encore  observé  d'algie  résiduelle  zostérienne  chez  les  sujets 
jeunes,  avant  la  trentième  année.  Il  y  a  là  vraisemblablement  une  qua- 
lité histologique  du  tissu  vasculo-névroglique  ou  parenchymateux  qui 
est  au  seuil  de  la  réaction  algique  persistante  et  qui  ne  paraît  se  mani- 
fester que  chez  le  sujet  vieux  par  l'âge. 

La  douleur  de  zona  au  cours  de  la  période  de  début,  de  la  période 
aiguë,  évolue  assez  spontanément  vers  la  guérison.  Mais  lorsque  l'algie 
a  persisté  pendant  des  mois  il  est  bien  rare  qu'elle  ait  des  chances  de 
rétrocession. 

Après  plus  d'une  année  de  continuité  algique  on  peut  prévoir  la  chro- 
nicité de  la  douleur. 

L'algie  résiduelle  zostérienne  s'accompagne  de  douleurs  à  caractères 
quelque  peu  spéciaux:  douleurs  vives,  intenses,  paroxystiques,  mais  qui 
évoluent  sur  un  fond  continu  de  cuisson,  de  brûlure,  avec  sensation  de 
«  tégument  déchiré  »,  «  dénudé  ».  L'hyperesthésie  est  la  règle.  Tout  frô- 
lement, toute  irritation  légère  de  la  peau,  détermine  un  réveil  de  la  dou- 
leur. La  compression  large,  ample  et  profonde,  l'atténue  au  con- 
traire. 

Localement,  toutes  les  thérapeutiques  médicales  échouent  dans  de 
tels  cas,  que  l'on  s'adresse  aux  applications  dermatologiques  les  plus 
variées   OU     aux    moyens  physiques    (massage,    électricité,    rayons    \, 


LES  ALGIES  ET  LEUR    TRAITEMENT  337 


radium,  air  chaud,  bainsde  soleil,  bains  de  lumière  rouge,  violette, etc  ). 
Seuls  cependant  les  bains  de  lumière  rouge  ou  violette  et  les  douches 
locales  d'air  chaud  provoquent  un  bien-être  indéniable,  mais  passager. 

Nous  avons  essayé  sans  succès  les  injections  d'alcool,  d'antipyrine, 
de  salicylatede  soude  faites  soit  sur  le  trajet  douloureux  sous-cutané, 
soit,  en  cas  d'algie  zostérienne  intercostale,  dans  la  gouttière  osseuse 
à  l'émergence  du  nerf  vertébro-intercostal.  Ces  échecs  s'expliquent  aisé- 
ment, puisque  le  nerf  périphérique  n'est  pas  en  cause,  et  que  la  lésion  est 
haut  située,  au  voisinage  ou  dans  l'intimité  des  centres  nerveux. 

Pourtant  l'injection    sous-cutanée,  pratiquée   au    niveau   des  points 
douloureux,  d'une   solution   de  thiosinamine  cocaïnée  et  antipyrinée 
nous  a  donné  de  bons  résultats  sédatifs. 

Lorsque,  lassés  par  l'intensité  et  la  persistance  delà  douleur,  lesalgi- 
ques  zostériens  demandent  dans  quelle  mesure  l'acte  chirurgical  pourra 
leur  être  bienfaisant,  il  est  délicat  de  leur  donner  un  conseil  opéra- 
toire. Pour  ma  part,  j'ai  eu  recours  à  l'intervention  chirurgicale  dans 
huit  cas  de  zona.  Le  bilan  n'est  pas  très  brillant.  Pour  les  zona  inter- 
costaux trois  guérisons,  deux  insuccès,  deux   morts. 

Il  est  intéressant  de  se  demander  pourquoi,  après  une  même  opéra- 
tion comme  la  radicotomie,  la  section  des  racines  responsables  étant 
pratiquée  à  leur  issue  médullaire,  on  observe  tantôt  la  guérison  de 
l'algie,  tantôt  au  contraire  l'absence  de  toute  sédation  et  la  persistance 
des  douleurs.  La  réponse  me  paraît  être  la  suivante. 

L'inflammation  zostérienne  peut  frapper  les  quatre  segments  de  sensi- 
bilités dolorifiques  :  ganglion  rachidien,  racine  rachidienne;  cellules  de 
la  corne  postérieure  ;  ganglion  sympathique  et  système  sympathique 
de  voisinage  intra-médullaire  et  para-médullaire.  Or,  la  réaction  inflam- 
matoire et  sa  cicatrice  consécutive  peuvent  léser  ou  respecter,  avec  plus 
ou  moins  d  electivité,  un  ou  plusieurs  de  ces  segments.  Si  la  cellule  de  la 
corne,  ou  si  les  branches  sympathiques  participent,  en  première  place, 
au  processus  zostérien,  on  comprend  que  1  acte  opératoire,  qui  ne  peut 
efficacement  s'exercer  que  sur  le  ganglion  rachidien  ou  la  racine, 
demeure  insuffisant  et  inefficace  et  laisse  subsister  l'algie.  Dans  le  cas 
contraire,  le  succès  est  acquis  et  les  douleurs  cèdent.  Malheureusement 
il  n'est  pas  possible  actuellement  de  distinguer  la  part  de  la  responsa- 
bilité algique  des  différents  territoires  de  ce  carrefour  de  la  douleur. 

C'est  à  cette  dissociation  des  algies  d'origine  sympathique,  ganglio- 
radiculaire  ou  cellulaire  cornu-postérieure,  que  nos  efforts  cliniques 
Boivent  tendre,  afin  d'être  mieux  à  même  d'orienter  et  de  préciser  les 
indications  opératoires. 


CONFER      NlilHOI.. 


./.    l.    SICARD 


Peut-être  deux  signes  :  la  continuité  de  L'algie  sans  trêve  ni  repos, 
et  la  pigmentation  rapide  et  marquée  des  cicatrices  zostériennes,  sont- 
ils  en  faveur  d'une  prépondérance  localisât  riee  au  sympathique  et 
contre-indiquent-ils  l'opération,  puisque  le  chirurgien  ne  saurait 
atteindre  les  ganglions  sympathiques  pré-vertébraux. 


IV.  —  La  causalgie. 

Les  blessures  des  troncs  nerveux  peuvent  engendrer  certaines  dou- 
leurs que  les  blessés  comparent  à  des  brûlures  cuisantes,  et  que, 
depuis  Weir-Mitchel,  on  désigne  sous  le  nom  de  causalgie (causalgia, 
xaucTixoç,  mordant,  cuisant). 

La  douleur  peut  débuter  immédiatement  après  la  blessure  et  se  main- 
tenir avec  ses  caractères  d'acuité  extrême  presque  indéfiniment.  Le 
plus  souvent,  au  contraire,  elle  n'atteint  son  apogée  que  quelques  jours, 
une  ou  deux  semaines  après  le  traumatisme.  Ces  formes  à  début  non 
immédiat,  mais  retardé,  obéissent  le  plus  favorablement  au  traitement 
par  alcoolisation  locale. 

Ce  sont  les  nerfs  médian  (Pierre  Marie'  et  sciatique  qui  sont  surtout 
prédisposés  à  de  telles  réactions  douloureuses.  La  sensation  de  cuisson 
naît  dans  la  pulpe  des  doigts  et  la  paume  de  la  main,  mais  se  localise 
avec  une  intensité  extrême  au  niveau  du  pouce,  de  l'index  et  de  la  région 
palmaire. 

Les  causalgiqucs  du  sciatique  fixent  leurs  douleurs  au  niveau  de  la  ré- 
gion plantaire  et  des  orteils.  Les  blessés  comparent  ces  algies  à  des 
piqûres  profondes  d'épingles,  à  l'application  d'un  fer  rouge,  à  une  trans- 
fixion,  à  un  arrachement  des  chairs,  à  un  broiement.  Presque  toujours, 
ils  les  décrivent  comme  pulsatiles,  revenant  par  ondées  assez  fréquentes 
(Meige  et  A.  Benisty). 

La  douleur  souvent  s'exaspère  sous  des  influences  hygrométriques 
ou  des  réactions  psychiques.  C'est  ainsi  que  l'exposition  à  l'air,  au  soleil, 
à  la  chaleur  déterminent  le  paroxysme  ;  c'est  ainsi  encore  que  toute 
émotion,  crainte  d'une  chute,  les  bruits,  les  rires  de  voisinage  exaspè- 
rent la  douleur. 

Deux  éléments  sont  caractéristiques  de  la  causalgie  :  d'une  part,  la 
continuité  de  l'algie;  d'autre  part,  sa  tonalité  spéciale  faite  d'hyper* 
esthésie  exquise,  qui  rappelle  la  douleur  sympathique,  l'appoint  anxieux 
de  la  sympathalgie. 

it  que   la  causalgie  est  une  douleur  d'origine  sympathique.  Let 
ûbres   sympathiques    intrinsèques  du    tronc    nerveux,  pins  que  celles 


LES  ALGIES   ET  LEUR   TRAITEMENT  3391 

accolées  aux  parois  des  troncs  vaseulaires  (Leriche),  sont  vraisembla- 
blement responsables  de  cette  douleur  particulière  (Meige   et  Benisty). 

La  guérison  spontanée  est  exceptionnelle.  Quand  les  blessés  se  sont 
lassés  du  repos  prolongé  et  des  enveloppements  humides  qui  n'appor- 
tent qu'un  soulagement  passager,  l'opération  chirurgicale  est  réclamée. 
La  technique  opératoire  qui  nous  a  paru  donner  les  meilleurs  résultats 
sera,  sousanesthésie  générale,  la  toilette  du  tronc  nerveux  et  sa  libéra- 
tion de  la  gangue  scléreuse  qui  l'enserre.  Puis  on  procède  à  l'alcoolisa- 
tion du  nerf  à  4  à  5  centimètres  au  moins  au-dessus  du  siège  lésionnel 
tronculaire.  L'alcool  sera  poussé  directement  en  pleins  fascicules  ner- 
veux. Il  titrera  75°  environ  et  sera  injecté  à  dose  suffisante  pour  pro- 
voquer une  bonne  distension  du  nerf,  1  ou  2  centimètres  cubes  environ. 
C'est  à  cette  méthode  que  nous  avons  dû  le  plus  grand  nombre  de 
succès.  Elle  a  été  confirmée  par  les  nombreux  faits  cliniques  apportés 
par  MM.  Pitres  et  Marchand. 

Il  est  malheureusement  impossible  d'affirmer  que  l'alcoolisation 
locale  assurera  dans  tous  les  cas  la  guérison  définitive.  Certains  causal- 
giques  se  montrent  réfractaires  à  ce  procédé.  Si  l'amélioration  ne  sur- 
vient pas  après  l'alcoolisation  totale,  on  peut  prévoir  que  toute  la  série 
des  autres  moyens  proposés  restera  à  peu  près  sans  résultats.  C'est 
ainsi  que  nous  avons  toujours  vu  échouer,  dans  les  formes  rebelles,  le 
hersage,  l'engainement  du  nerf  dans  une  enveloppe  caoutchoutée,  aussi 
bien  que  la  ligature  au  catgut  (Lortat-Jacob),  et  la  dénudation  des 
artères  du  voisinage  ou  nourricières  de  la  région  causalgiée  (Leriche) 
dans  le  but  de  détruire  les  filets  sympathiques  péri-artériels. 

Une  autre  thérapeutique  peut  alors  être  proposée  :  la  section  du 
tronc  nerveux,  à  condition  que  la  lésion  nerveuse  soit  suffisamment 
grave  pour  que  l'on  ne  puisse  pas  escompter  la  régénération  spontanée 
du  tissu  nerveux.  La  section  ou  la  résection  du  nerf  est  le  plus  sou- 
vent efficace  lorsque  toutes  les  autres  thérapeutiques  ont  échoué.  Elle 
ne  permet  cependant  pas  d'assurer  avec  certitude  la  guérison.  L'algie 
peut  persister  à  peu  près  aussi  douloureuse  qu'auparavant.  Cet  échec 
partiel,  après  section,  montre  bien  que  la  lésion  des  fibres  nerveuses 
n'est  pas  seule  en  jeu,  et  que  les  fibres  sympathiques  ont  leur  grande 
part  de  responsabilité  dans  la  pathogénie  de  la  causalgie.  Les  fibres 
sympathiques  ne  se  groupent  pas  en  un  tronc  unique  comme  les  fibres 
sensitives  ou  motrices.  Elles  s'essaiment,  s'éparpillent,  ou  seulement 
dans  l'intimité  du  nerf,  mais  dans  les  gaines  des  vaisseaux  avoisinants. 
Elles  échappent,  par  conséquent,  en  grande  partie,  à  la  section  du  tronc 
nerveux.  C'est  leur  multiplicité  et  leur  dissémination  qui  leur  confèrent 


340 


./.-.».    SIC. Mil) 


ce  triste  privilège  d'assurer  la  perpétuité  de  l'algie,  en  leur  permettant 
de  se  dérober  à  l'acte  chirurgical. 

Lorsque  la  chirurgie  périphérique  est  impuissante,  une  dernière 
ressource  peut  être  envisagée,  la  radicotomie  postérieure.  Dans  deux 
cas  que  nous  avons  publiés  à  la  Société  de  Neurologie,  la  radicotomie 
postérieure  des  racines  tributaires  a  été  suivie  de  guérison  qui  parait 
définitive. 


TRAITEMENT 


Ainsi  ces  quatre  modalités  cliniques  d'algies  nous  ont  permis  de 
discuter  un  certain  nombre  d'applications  thérapeutiques  sédatives 
bien  différentes  entre  elles. 

a)  Dans  les  névralgies  faciales  :  neurolyse  par  alcoolisation  locale  ; 
traitements  physiques  divers  dont  la  radiothérapie;  opérations  de 
petite  chirurgie  ou  de  grande  chirurgie,   telle  que  la  radicotomie  gas- 


sérienne. 


b)Dans  les  sciatiqnes  :  injections  locales  à  titre  de  révulsion  profonde 
sans  neurolyse  ;  injections  d'air  ;  injections  épidurales  ;  traitements 
physiques  dont  la  radiothérapie  ;  interventions  opératoires  sur  la 
colonne  vertébrale  ou  les  racines  postérieures. 

c)  Dans  l  algie  zoslérienne  :  inutilité  de  l'alcoolisation  ;  inutilité  des 
injections  locales  ;  échec  des  traitements  physiques.  Radicotomie  à 
discuter  sans  que  l'on  puisse  certifier  la  guérison  post-opératoire. 

d)  Dans  la  cansalgie  :  alcoolisation  avec  neurolyse  ou  section  du  nert, 
ou  radicotomie. 

Un  dernier  mot  à  propos  de  l'acte  chirurgical  vertébro-médullaire. 
Lalaminectomie  simple  sans  ouverture  de  la  dure-mère  qui  a  pour  but 
la  décompression  médullaire  ou  la  décompression  des  trous  de  conju- 
gaison estime  opération  bénigne,  avec  un  minimum  de  risques.  Je  n  ai 
jamais  vu,  pour  ma  part,  sur  une  trentaine  de  laminectomies  simples 
que  j'ai  eu  l'occasion  de  faire  pratiquer,  notamment  par  Robineau,  un 
seul   accident    grave. 

La  radicotomie  postérieure,  c'est-à-dire  la  section  de  trois,  quatre  à 
cinq  racines  postérieures  superposées,  comporte  l'ouverture  de  la  dure- 
mère  et  l'issue  du  liquide  céphalo-rachidien.  11  s'agit  toujours  là  d'une 
opération  sérieuse,  et  dont  la  gravité  est  plus  ou  moins  grande,  sui- 
vantle  segment  en  jeu,  et  l'unilatéralilé  ou  la  bilatéralile  des  sections, 
La  radicotomie  pratiquéeàla  légion  cervicale  expose  toujours  à  cer- 
tains aléas  sévères,  à  cause  du  \oisinage  du  spinal  el  du  phremque. 


LES  ALGIES  ET  LEUR    TRAITEMENT  341 

La  radicotomie  faite  à  la  région  intercostale  est  relativement 
bénigne. 

La  radicotomie  de  la  région  lombo-sacrée  est  d'ordinaire  également 
bien  supportée. 

Mais  il  s'agit  là  de  sections  unilatérales  des  racines:  Par  contre, 
n'autorisez  jamais  une  radicotomie  bilatérale,  c'est-à-dire  une  section 
des  racines  pratiquée  symétriquement  de  chaque  côté  d'un  même  seg- 
ment médullaire,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de  la  région  intercostale. 
La  radicotomie  bilatérale  de  la  région  cervicale  est  presque  un  arrêt 
de  mort,  puisque  les  nerfs  spinaux  et  phréniques  sont  issus  du  segment 
cervical.  N'oubliez  pas  non  plus  que  la  section  bilatérale  des  racines 
lombo-sacrées  va  perturber  fatalement  le  jeu  vésico-rectal,  avec  ses 
corollaires  ordinaires,  la  nécessité  du  sondage  vésical,  l'infection 
urinaire,  l'escarre  sacrée,  etc. 

Méfiez-vous  enfin,  Messieurs,  de  toute  intervention  chez  les  cénesto- 
pathes.  Vous  aggraveriez  leurs  algies,  en  donnant  un  aliment  de  plus  à 
leur  mentalité  faussée  et  à  leurs  interprétations  délirantes. 


DOUZIÈME   CONFÉRENCE 


O.    CROUZON, 

Médecin  des  hôpitaux  de   Paris. 


LES  MALADIES    FAMILIALES   ATYPIQUES 
DU    SYSTÈME    NERVEUX 

Messieuhs, 

Le  but  que  je  me  propose  dans  cette  conférence  est  de  vous  faire 
connaître  les  maladies  familiales  atypiques  du  système  nerveux. 
Mais  il  m'a  paru  indispensable,  avant  de  vous  parler  de  ces  cas  qui 
sont,  somme  toute,  l'exception,  de  vous  montrer  d'abord  quelques 
exemples  de  maladies  familiales,  de  bien  définir  avec  vous  les  caractères 
des  maladies  familiales  et  de  dresser  le  bilan  des  maladies  familiales 
typiques.  Lorsque  nous  aurons  parcouru  successivement  ces  diffé- 
rentes étapes,  je  vous  montrerai  des  malades  atteints  d'affections  fami- 
liales atypiques,  nous  chercherons  à  les  comparer  aux  cas  classiques, 
et  à  en  faire  une  classification,  et  enfin  nous  chercherons  à  établir 
les  relations  qui  peuvent  exister  entre  les  cas  typiques  et  les  cas  atypi- 
ques. 


Je  vous  présenterai  tout  d'abord  deux  frères  atteints  d'une  affection 
familiale  des  plus  classiques,  je  n'irai  pas  jusqu'à  dire  qu'elle  est  la 
plus  classique,  mais  elle  est,  en  tout  cas,  une  des  plus  anciennement 
connues. 

Ces  deux  frères  sont  atteints  de  maladie  de  Friedreich  ;  ils  sont 
jumeaux  et  âgés  de  16  ans  ;  ils  ont  une  ressemblance  physique  remar- 
quable, à  tel  point  qu'on  les  prend  souvent  l'un  pour  l'autre,  et  vous 
verrez  qu'à  cette  ressemblance  physique  s'est  ajoutée  une  ressem- 
blance pathologique  aussi  marquée.  Ils  font  partie  d'une  famille  de 
sept  enfants  issus  de  parents  turcs  cousins  germains  ;  eux-mêmes 
sont  nés,  par  hasard,  à  l'île  de  la   Trinité  et  ont  été  élevés  en  France. 


:;i  i 


0.  CR01  Z0  \ 


Il  existait,  dans  la  famille,  dois  sœurs  et  quatre  frères.  Nos  deux 
malades,  vers  l'âge  de  «S  uns,  alors  qu'ils  allaient  à  l'école,  ont 
ressenti  des  troubles  des  jambes  et  leurs  camarades  se  moquaient 
d'eux,    en   raison  de  leur  maladresse  :  ils  avaient  également  (le  la  difli- 

eullé  de  la  parole,  et, 
vers  l'âge  de  10  ans, 
leurs  mains  sont  deve- 
nues malhabiles.  Vous 
voyez,  en  examinant  la 
démarche  de  l'un  et  de 
l'autre,  qu'ils  ont  une  in- 
coordination marquée  : 
il  s'agit  d'une  ataxie, 
constatation  qui  est  cor- 
roborée par  l'abolition 
des  réflexes  rotuliens. 
Nous  avons  donc  affaire 
à  une  ataxie  familiale. 

A  ces  premières  cons- 
tatations s'en  ajoutent 
deux  autres  :  d'abord, 
cette  ataxie  a  quelques 
caractères  qui  lui  don- 
nent une  allure  céré- 
belleuse et  il  existe  aussi 
des  mouvements  des 
membres  supérieurs  et 
de  la  tète  qui  révèlent 
une  instabilité  choréi- 
forme;  d'autre  part,  l'é- 
tude des  réflexes  cuta- 
nés nous  montre,  chez 
les  deux  hères,  mais  plus  spécialement  chez  l'un  d'eux,  du  côté 
gauche,  un  réflexe  plantaire  en  extension.  Il  ne  s'agit  donc  pas  d\\n 
tabès  banal,  mais  d'une  affection  caractérisée  non  seulement  par  des 
signes  de  tabcs  (e'est-à  dire  de  sclérose  des  cordons  postérieurs),  mais 
aussi  par  un  signe  de  Babinski,  indice  de  lésion  pyramidale  et  de 
sclérose  des  cordons   latéraux.    Il    s'agit   donc  d'une  sclérose  combinée 

familiale;  d'autre  part,  la  constatation    des  signes  cérébelleux  et  de 
l'instabilité  choréiforme  nous  amène  aussi  à  cette  conclusion  qu'il  s'agit 


Fig.  1.  —  Deux  frères  jumeaux  atteints  do  maladie  de  Friedreich. 
(Famille  Mén...)  :  Collection  de  M.  le  Professeur  Pierre  Marie 


MALADIES  FAMILIALES  AT  Y  P 101  ES 


345 


de  toute  autre  chose  que  d'un  tabès  vulgaire,  ce  qui  était  du  reste  en 
opposition  également  avec  l'âge  des  sujets.  Il  ne  peut  s'agir  alors  que 
de  deux  affections  ou  d'une  maladie  de  Friedreich,  ou  d'une  hérédo- 
ataxie  cérébelleuse  de  Pierre  Marie. 

Sans  m 'arrêter  sur  les  signes  différentiels  de  ces  deux  affections,  je 
retiendrai  simplement  que  l'abolition  des  réflexes  tendineux  et  le  début 
précoce  sont  en  faveur  de  la  maladie  de  Friedreich.  Il  s'agit  bien 
d'une  maladie  de  Friedreich  dont  les  lésions  sont  celles  de  la  sclérose 
combinée  que  j'ai  mentionnée 
plus  haut  et  que  vous  trouve- 
rez représentée  sur  les  plan- 
ches reproduites  plus  loin 
(fig.  16  et  17). 

Les  deux  frères  que  je  vous 
présente  et  qui  sont  atteints 
de  maladie  de  Friedreich  ne 
semblent  pas  avoir  été  les 
seuls  atteints  dans  leur  fa- 
mille, et  un  de  leurs  frères  a 
été  atteint,  vers  l'âge  de  14 
ans,  d'une  affection  à  peu  près 
semblable  à    eux,    disent  ils, 

et  est  mort  de  la  grippe.  Le  quatrième  fils  était  indemne  ;  quant  aux 
trois  sœurs,  elles  sont  indemnes,  deux  d'entre  elles  sont  mariées  et  leurs 
enfants  sont  bien  portants  Les  parents  étaient  absolument  indemnes 
d'après  les  dires  des  enfants  et,  somme  toute,  nous  ne  trouvons  dans 
la  famille  que  les  deux  frères  qui  soient  atteints  delà  maladie. 

Vous  venez  devoir,  Messieurs,  un  exemple  typique  chez  deux  frères 
jumeaux,  d'une  des  maladies  familiales  les  plus  caractéristiques,  la 
maladie  de  Friedreich. 

Il  me  paraît  indispensable,  avant  de  poursuivre  plus  loin  mes  con- 
sidérations sur  les  maladies  familiales  typiques,  de  vous  donner  la 
définition  des  maladies  familiales,  leur  place  dans  l'hérédité  morbide 
et  les  principaux  caractères  qu'elles  peuvent  présenter1. 

Les  maladies  familiales  et  leur  place  dans  l'hérédité  mor- 
bide. —  Tout  d'abord,  quelle  est  la  place  des  maladies  familiales  dans 


Kig. 


-    Tableau   généalogique  de  la  famille  Mon. 
atteinte  de  maladie  de  Friedreich. 


1.  Voir  à  ce  sujet:  Apert.  L'hérédité  morbide,  1919.  —  Apert,  Les  maladies  familiales 
et  comjénitales,  Paris,  1907. 


346  0.  CROl  ZO  \ 


V hérédité  morbide  ?  11  me  semble  nécessaire  de  définir  cette  situa- 
tion, car  on  est  quelquefois  tenté  de  confondre  maladie  familiale  et 
maladie  héréditaire. 

L'hérédité  morbide  comprend  un  grand  nombre  de  maladies  héré- 
ditaires qui  ne  sont  point  familiales.  En  effet,  l'hérédité  morbide 
est  un  trouble  de  la  santé  dont  l'origine  est  imputable  à  l'état  de 
maladie  d'un  ou  plusieurs  des  ascendants,  mais  ce  trouble  de  la  santé 
peut  se  manifester  de  deux  façons.  Il  peut  s'agir  d'une  hérédité 
morbide  dissemblable,  c'est-à-dire  différente  chez  les  ascendants  et 
chez  les  descendants,  ou  d'une  hérédité  morbide  similaire  ou 
ancestrale,  c'est-à-dire  semblable,  dans  sa  forme,  dans  toute  la  des- 
cendance. 

L'hérédité  morbide  dissemblable  ne  doit  pas  nous  retenir,  elle  com- 
prend un  grand  nombre  de  maladies  héréditaires  que  je  ne  ferai  que 
vous  énumérer,  qui  sont  rangées,  soit  sous  la  rubrique  d'hérédité 
arthritique  (goutte,  migraine,  etc.),  soit  sous  la  rubrique  d'hérédité 
nerveuse,  variable  dans  ses  manifestations  (névropathie,  aliénation 
mentale,  dégénérescence,  etc.)  ;  soit  sous  forme  d'autres  hérédités  qui 
revêtent  alors  plutôt  le  caractère  de  maladies  incidentes  venant  trou- 
bler l'hérédité  naturelle  :  je  veux  parler  des  hérédo-infections,  telles 
que  la  syphilis,  telles  que  la  tuberculose  qui  transmettent,  soit  le 
germe  microbien  de  l'ascendant  au  descendant,  soit  une  dystrophie 
causée  par  l'infection  de  l'ascendant  ;  telle  est  enfin  l'hérédité  des 
intoxications  (alcoolisme,  etc.),  qui,  de  l'ascendant,  influe  sur  le  des- 
cendant. 

Mais  à  côté  de  l'hérédité  morbide  dissemblable,  Vhêréditè  morbide 
similaire  est  beaucoup  plus  intéressante.  C'est  ce  groupe  qui  constitue,  à 
proprement  parler,  les  maladies  familiales,  et  en  passant,  je  vous 
fais  remarquer  que  ce  mot  de  «  familiales  »  doit  être  exclusivement 
réservé  et  ne  doit  pas  s'appliquer  à  certaines  maladies  de  famille, 
telles  que  les  maladies  de  famille  éruptives  et  épidémiques,  telles  que 
la   syphilis    quand    elle  frappe   une  famille  entière. 

Les  maladies  familiales  peuvent  se  manifester  sous  l'apparence  de 
malformations  familiales  ou  de  tempéraments  familiaux  (tels  que  la 
cholémie,  l'hémophilie),  mais  c'est  surtout  le  groupe  des  maladies 
familiales  du  système  nerveux  qui  nous  retiendra  ici,  non  seulement 
parce  qu'il  est  dans  le  cadre  de  ces  Conférences  de  Neurologie,  mais 
aussi  parce  qu'il  est  de  beaucoup  le  plus  important. 

Quels  sont  les  caractères  nécessaires  pour  affirmer  qu'on  se  trouve 
en  présence  d'une  maladie  familiale  ? 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  347 

Depuis  Charcot,  depuis  Pauly  et  Bonne,  on  admet  qu'une  maladie 
familiale  : 

1°  Frappe  de  nombreux  sujets  d'une  même  famille  de  la  même  géné- 
ration   et  dans  des  générations  successives  ; 

2°  Affecte  dans  cette  même  famille  une  forme  et  une  évolution  pres- 
que identiques  ; 

3°  Se  manifeste  comme  la  conséquence  d'une  tare  originelle  du 
germe  par  un  trouble  de  développement,  indépendamment  d'une 
affection  et  d'une  influence  extérieures,  d'une  maladie  acquise  ou  d'un 
accident  de  la  vie  intra-utérine. 

Dans  cette  définition,  vous  pouvez  remarquer  le  caractère  fonda- 
mental que  je  vous  indiquais  tout  à  l'heure  et  qui  consiste  dans  la 
forme  et  l'évolution  presque  identiques  de  la  maladie  dans  la  famille. 
Vous  voyez  que  cette  définition  élimine  également  les  hérédo-infections, 
les  influences  extérieures  ou  les  accidents  de  la  vie  intra-utérine  qui 
sont,  à  proprement  parler,  des  maladies  fœtales,  mais  non  originelles, 
alors  que  les  maladies  familiales  sont  essentiellement  originelles. 

Les  maladies  familiales,  comme  les  maladies  fœtales,  peuvent, 
l'une  et  l'autre,  exister  à  la  naissance  et  par  conséquent  être  congénitales, 
au  sens  chronologique  du  mot,  puisque  le  caractère  congénital  vise 
tout  ce  qui  dépend  de  l'organisation  de  l'individu,  telle  qu'elle  est  au 
moment  de  sa  naissance,  et,  en  cela,  les  maladies  congénitales  s'oppo- 
sent aux  maladies  acquises  ou  aux  maladies  tardives.  Mais  il  y  a  lieu 
de  ne  pas  confondre  les  maladies  familiales  et  les  maladies  congéni- 
tales, puisque  les  maladies  familiales  peuvent  survenir  tardivement, 
comme  vous  venez  d'en  voir  un  exemple  chez  les  deux  frères  jumeaux 
que  je  vous  ai  présentés 

Dans  quelques  cas,  la  maladie  familiale  est  caractérisée  dans  le 
deuxième  terme  de  sa  définition,  non  seulement  par  une  forme  et  une 
évolution  presque  identiques,  mais  quelquefois  aussi  par  le  caractère 
homochrone,  c'est-à-dire  qu'elle  apparaît  aux  mêmes  âges  chez  les  dif- 
férents sujets  de  la  même  famille.  C'est  le  cas  chez  nos  deux  frères 
jumeaux  atteints  de  la  maladie  de  Friedreich,  mais  ce  caractère  n'est 
pas  constant  dans  toutes  les  maladies  familiales. 

Les  maladies  familiales  peuvent  présenter  enfin  un  certain  nombre 
de  caractères  que  je  dois  vous  définir  aussi,  puisque  vous  les  entendrez 
souvent  énoncer,  que  vous  les  retrouverez  chez  certains  des  malades 
que  je  vais  vous  présenter,  ou  à  la  lecture  des  observations  auxquelles 
je  vous  renverrai. 

En  cela,  les  maladies   familiales  sont  soumises  aux  mêmes  règles  que 


0.  CR01  Z0  \ 

toutes  les  autres  variétés  d'hérédité  morbide  et  ses  définitions  s'appli- 
quenl  aussi  bien  à  l'hérédité  morbide  dissemblable  qu'à  l'hérédité 
morbide  similaire  qui,  comme  vous  venez  de  le  voir,  est  cependant  la 
tonne  la  plus  parfaite   de  l'hérédité  morbide. 

L'hérédité  directe  est  celle  qui  se  transmet  directement  des  ascen- 
dants aux  descendants  pendant  une  ou  plusieurs  générations,  mais  elle 
peut  être  continue  et  frapper  différentes  générations  sans  interruption  ; 
elle  peut  être,  au  contraire,  discontinue  et  sauter  une  ou  plusieurs  géné- 
rations :  on  la  dit  alors  discontinue  ou  atavique,  onde  retour,  ou  alter- 
nante. 

Au  contraire,  l'hérédité  peut  être  indirecte,  et  dans  ce  cas  elle  va, 
non  plus  du  père  au  fils,  par  exemple,  mais  frappe  la  famille  dans  ses 
collatéraux  ;  il  existe  même  dans  cette  hérédité  indirecte  ou  collatérale 
une  hérédité  qui  est  quelquefois  exclusivement  homosexuelle,  ne  frap- 
pant que  des  sujets  de  même  sexe,  frères  ou  cousins,  et  quelquefois 
même  par  des  conducteurs  hétérosexuels  qui  eux-mêmes  ne  sont 
pas  touchés  en  un  excellent  exemple  ;  telle  est  l'hérédité  matriarcale, 
dans  laquelle  la  maladie  est  transmise  uniquement  aux  mâles  par  les 
femmes  qui.  elles-mêmes,  ne  sont  pas  touchées:  une  telle  hérédité 
sobserve    dans    l'hémophilie. 

Enfin,  un  dernier  caractère  que  vous  pourrez  observer  dans  les 
maladies  familiales  est  le  caractère  dominant  ou  récessif  Ce  caractère 
dominant  a  été  établi  d'après  les  travaux  de  Mendel.  Gregor  Mendel 
était  un  moine  autrichien  dont  les  recherches  de  génétique  furent  faites, 
en  1865,  sur  les  végétaux  et  en  particulier  sur  les  pois  Ces  recherches, 
continuées  sur  les  animaux,  ont  révélé  que  les  caractères  normaux  ou 
certains  caractères  anormaux  se  reproduisaient,  suivant  certaines 
règles,  dans  les  croisements.  Far  le  croisement  de  sujets  anormaux  avec 
des  sujets  normaux,  on  peut,  dans  certaines  espèces,  retrouver  chez  les 
descendants  delà  première  génération  50  °/0  de  sujets  ayant  un  carac- 
tère morbide  et  50  °/0de  sujets  qui,  en  apparence,  sont  normaux,  mais 
qui,  en  réalité,  sont  des  hybrides  de  sujets  normaux  et  anormaux.  Les 
sujets  anormaux  de  la  première  génération  donneront  toujours  dis 
sujets  anormaux  ;  quant  aux  hybrides  (en  apparence  normaux)  de  la 
première  génération,  ils  fourniront  à  la  deuxième  génération  et,  dans 
les  générations  ultérieures,  un  certain  nombre  de  sujets  eux  aussi 
anormaux.  Aussi,  après  plusieurs  générations,  le  nombre  des  sujets 
anormaux  l'emportera  sur  le  nombre  des  sujets  normaux.  On  dira 
alors,  dans  ces  cas,  que  le  caractère  anormal  est  dominant,  Par  contre, 
quand  le  caractère  anormal   n'est  pas  prépondérant  sur  le   caractère 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  349 

normal,  il  deviendra    du   moins    fréquent  dans    les   générations    ulté- 
rieures et  on  dit   alors  qu'il  est  récessif. 

Ces  notions,  qui  sont  connues  également  sous  le  nom  de  lois  de 
Mendel,  comportent  un  grand  nombre  de  déductions  dont  l'exposé 
mériterait  plus  d'une  conférence.  J'ai  tenu  simplement  à  vous  les 
signaler  et  à  vous  montrer  l'importance  qu'elles  peuvent  avoir.  En 
particulier,  en  nous  plaçant  uniquement  au  point  de  vue  des  maladies 
familiales,  elles  pourraient  être  d'une  utilité  considérable  pour  la 
prophylaxie  et  pour  l'extinction  de  ces  maladies  ;  malheureuse- 
ment, si  les  règles  ont  été  établies  soigneusement  pour  les  végétaux, 
nous  sommes  loin  d'avoir  pour  les  caractères  morbides  chez  l'homme 
la  même  précision  ;  nous  ne  sommes  même  pas  en  mesure,  à  l'heure 
actuelle,  de  dresser  un  tableau  complet  et  précis  des  malades  ayant 
un  caractère  dominant  ;  tout  au  plus,  quelques-unes  présentent-elles 
ce  caractère  d'une  façon  incontestable,  telle  est  la  chorée  de  Huntint»'- 
ton1.  Il  est  nécessaire  en  effet  d'étudier  un  grand  nombre  de  cas  sur 
un  grand  nombre  de  générations  pour  poser  des  règles  précises. 
Peut-être,  dans  l'avenir,  cette  précision  sera-t-elle  possible  ?  Conten- 
tons-nous actuellement  de  mentionner  ces  caractères  de  dominance 
ou  de  récessivité  pour  les  rechercher  dans  les  maladies  familiales  qui 
pourraient  se   présenter  à    nous. 

Classification  des  maladies  familiales  typiques  du  système 
nerveux.  —  Puisque  nous  connaissons  maintenant  la  définition  et 
les  caractères  des  maladies  familiales,  je  vais  tenter  devant  vous  la 
classification  des  principales  maladies  familiales  typiques  du  système 
nerveux  et  vous  en  présenter  quelques  exemplaires,  tant  dans  les 
projections  photographiques  que  par  les  malades  que  je  vais  vous 
présenter  également. 

J'ai  établi,  d'une  façon  un  peu  schématique,  une  classification  qui 
vous  permettra  de  vous  retrouver  dans  le  groupe,  important  déjà,  des 
maladies  familiales  typiques  : 

1°  Maladies  familiales  dans  lesquelles  les  lésions  jusqu'ici  constatées  sont 
à   prédominance  encéphalique  :  maladies    mentales     familiales,    idiotie 


1.  Voir  CitorzoN.  Recherches  sur  l'application  des  principes  de  Mendel  dans  l'héré- 
dité de  certaines  maladies  humaines  et  en  particulier  dans  les  maladies  du  système 
nerveux.  Quatrième  conyrès  international  de  génétique,  Paris,     Masson,  1911. 


O.   Cltol  ZO  \ 


amaurotique  de  Tay-Sachs,  maladie  de  Wilson,  diplégies  cérébrales 
(type  Freud,  type  Pesker,  type  Cestan  et  Guillain),  atrophie  cérébel- 
leuse (type  Bonraeville-Crouzon),  hérédo-ataxie  cérébelleuse  de  Pierre 
Marie. 

2°  Maladies  familiales  dans  lesquelles  les  lésions  jusqu'ici  constatées  sont 
à  prédominance  spinale  :  maladie  de  Friedreich,  paraplégie  spasmo- 
dique  (Strumpell-Lorrain),  amyotrophie  Ghareot-Marie. 

3°  Névrites  hyperlrophiques  familiales  (type  Gombaut-Dejerine  et 
Sottas,  type  Pierre  Marie-Boveri). 

1"  Maladies  musculaires  :  myopathies,  maladies  de  Thomsen,myotonie 
atrophique,  paralysie  périodique  familiale. 

5°  Chorées  (Huntington),  tremblements,    myoclonies  (Unverricht). 

6°  Œdèmes  familiaux  (maladie  de  Quincke,  trophœdème  de  Meige). 

7°  Affections  oculaires  familiales  (paralysies  oculaires,  nystagmus, 
atrophie  optique,  atrophie  papillaire,  rétinite,    etc.). 

8°  Maladies  familiales  des  glandes  endocrines,  des  viscères  et  des  os 
ressortissant  au  système  nerveux  ou  retentissant  sur  lui  (dysostose  cléi- 
do-cranienne  de    Pierre  Marie  et  Sainton,  maladie  de  Basedow,  etc.). 

9°  Maladies  du  système  nerveux  exceptionnellement  familiales  (chorée 
de  Sydenham,    neurofibromatose,    épilepsie,    etc.). 

Je  ne  peux  pas  songer  aujourd'hui  à  vous  présenter  un  exemple 
de    chacune  de  ces  maladies  familiales  '. 

Je  me  contente  de  vous  présenter  une  famille  qui  a  bien  voulu  se 
mettre  à  notre  disposition,  dont  une  des  malades  est  actuellement 
hospitalisée  dans  le  service  de  M.  le  Professeur  Pierre  Marie,  dont  les 
autres  ont  été  observés  par  M.  Béhague  et  par  moi,  et  dont  l'obser- 
vation a  été  mentionnée  dans  les  Bulletins  et  Mémoires  de  la  Société 
médicale  des  hôpitaux  de  Paris  du  12  mars  1920.  Cette  famille  avait, 
du  reste,  déjà  été  étudiée  par  MM.  Ghaillous  et  Pagniez  dans  la 
Nouvelle  Iconographie  de  la  Salpêtrière  en  1905.  Nous  avons  com- 
plété son  histoire,  tant  au  point  de  vue  clinique  qu'au  point  de  vue 
anatomique.  Comme  vous  pouvez  le  voir  dans  le  tableau  généalogique 
de  cette  famille,  trois  générations  sont  atteintes  el  présentent  la 
même  affection  :  ophtalmoplégie  congénitale. 

Dans   les   trois  générations,   ['ophtalmoplégie   se    présente  avec  le 


1.  Voir  Croczon.  Les  maladies  familiales  du  système  nerveux,  în  Traité  êe  pathologie 
médicale  et  de  thérapeutique  appliquée  (Sbagent,  Ribaubau -Dumas,  Basokkeix), 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


351 


même  type.  Il  y  a  un  ptosis  très  accentué,  avec  attitude  renversée 
de  la  tête  en  arrière  ;  il  y  a  paralysie  du  droit  supérieur  dans  tous 
les  cas  ;  il  y  a  paralysie  du  droit  inférieur  également  chez  tous  les 
sujets  ;  le  releveur  de  la  paupière  est  paralysé  dans  tous  les  cas,  mais 
d'une  façon  inégale  ;  les  droits  internes  et  externes  sont  paralysés 
chez  la  grand'mère  et  respectés  ou  partiellement  touchés  dans  les 
autres  cas.  Quant  aux  obliques,  ils  ne  sont  que   peu    ou  pas  atteints, 


?|      ■  MADAME  L    ■       I  f  | 
rien     I     ^OPHTALMOP^     \0  i 


I MONSIEUR  Kl 
\0PHTALMOP\ 


$  RIEN    I 


[o  I  g    -<!  lOtôANSXl        I  «DECEDÎEJ         JooECEDÉel  IooÉCEOÉeI 

|y/?/c/v|  \oRl£fi\    WftaPHTrm    |o/?7f/v  I     PÂ/ë/v  \     Païen  \ 

Fig.  3.  —  Tableau  généalogique  de  la  famille  Forg...,  atteinte  d'ophtalmoplégie  congénitale  familiale. 


sauf  chez  la  grand'mère  ;  enfin  le  nystagmus  existe  dans  tous  les  cas. 
La  musculature  interne  est  intacte,  comme  il  est  de  règle  dans  les 
ophtalmoplégies  familiales.  Cette  affection  présente  donc  tous  les 
caractères  d'une  ophtalmoplégie  héréditaire  familiale  congénitale  et 
complexe. 

Dans  nos  recherches,  nous  avons  pu,  non  seulement  mettre  au  point 
l'histoire  clinique  de  cette  famille,  mais  nous  avons  pu  faire  l'autopsie 
d'un  malade  appartenant  à  la  deuxième  génération.  Cette  autopsie, 
publiée  par  nous,  a  été  étudiée  ensuite  avec  Trétiakow  et  les 
résultats  en  ont  été  publiés  clans  les  Bulletins  et  Mémoires  de  la 
Société  médicale  des  hôpitaux  de  Paris  (séances  du  25  juin  1920  et 
du  3  décembre  1920).  Nous  avons  constaté,  au  cours  de  cette  étude 
pathologique,  une  atrophie  des  deux  nerfs  oculo-moteurs  communs  : 
le  gauche  n'avait  plus  qu'un  tiers  de  son  épaisseur  normale,  tandis 
que  le  droit,  beaucoup  plus  mince  encore,  atteignait  à  peine  le  calibre 


1  ig     I  el  5.         Famille  Forg..  .  atteinte  d'ophtalmopléifie  familiale  :  m  uaul  l'aïeule 
en  baa    une  Bile  avec  ion  enfant, 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


353' 


d'un  nerf  pathétique  de  la  même  malade  sensiblement  normal.  L'examen 
histologique  montrait  un  enchevêtrement  des  fibres  et  un  état  pous- 
siéreux de   la  myéline.  Dans  le    noyau  de     la  troisième  paire,   nous 


Fig.     6  et  7.    —  Les  2  autres  enfants   atteints. 


Fig.  8.  —  Vingt  ans  après,  la  fillette  de  la  lig.  5. 


n'avons  trouvé  qu'une  diminution  du  nombre  des  cellules  nerveuses 
portant  seulement  sur  le  groupe  médian  :  dans  ces  cellules  du  groupe 
médian,  quelques-unes  étaient  en  état  de  chromatolyse  centrale, 
comme  on  l'observe  à  la  suite  de  l'arrachement  d'un  nerf  (réaction 
de  Nissl).  Enfin,  il  existait,  à  la  base  du  cerveau,  une  méningite 
fibreuse  ancienne,  un  défaut  de  développement  de  la  faux  du  cerveau 

23 


CONFÉR.    NEUROL. 


A 


0.  CBOl  /<>  V 


et  un  état  vermoulu  ilu  cerveau.  Il  nous  a  été  difficile  d'élucider  l'ori- 
gine «li-  l'atrophie  des  nerfs  oculo-moteurs  communs  :  nous  avons  pu 
cependant  émettre  l'hypothèse  que  la  méningite  chronique  de  la  base 
était  peut-être  la  lésion  essentielle  qui  déterminait  celle  des  nerfs 
oculo-moteurs  communs.  Pour  le  moment,  nous  devons  nous  contenter 
de  nos  constatations  anatomiques  sans  insister  sur  notre  hypothèse, 
qui  ne  pourra    être    vérifiée  (pie  par  l'étude    de   faits    nouveaux  et,  en 


17^H      I?    r.en    | 


\p    rien     |      |9  r|en    [ 


Fig   9. 


Tableau  généalogique  dune  deuxième  famille  atteinte  d  ophtalmoplégie  familiale, 
i,  Crouzon  et  lîéhague.) 


particulier,  d'une  constatation  anatomique  nouvelle  dans  cette  famille. 

Je  n'insisterai  pas  davantage  sur  l'histoire  des  ophtalmoplégies 
familiales  dont  nous  avons  pu  présenter  encore  un  nouvel  exemple 
avec  M.  Béhague  dans  les  Bulletins  et  Mémoires  de  la  Société 
médicale  des  hôpitaux  de  Paris  du  1(3  avril    1920. 

La  famille  de  notre  malade  répondait  au  tableau  généalogique  ci- 
dessus  (fig.    9). 


Pour  les  autres  maladies  familiales  typiques  dont  je  viens  devons 
montrer  la  classification,  je  me  contenterai  maintenant  d  illustrer  le 
tableau  que  je  vous  ai  présenté,  par  quelques  projections  qui  sont  em- 
pruntées à  La  collection  que  M.  le  Professeur  Pierre  Marie  a  réunie 
avec  tant  de  patience  dans  ses  services  de  Bicêtre  et  delà  Salpètrière et 
qu'il  met  toujours  si  libéralement  à  notre  disposition. 

Vous   saisirez    ainsi  quelques    exemples  typiques    :    une  îles  maladies 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


355 


de  la  thèse  de  Pesker  1  dans  la  diplégie  cérébrale  ;  quelques  photogra- 
phies de  maladies  de  Friedreich  :  voici  un  pied  bot,  qui  complète  la 
description  clinique  succincte  que  j'ai  essayé  de  vous  faire  sur  nos  ma- 
lades (fig.  10). 


Fig    10.  —     Le  pied  de  Friedreich    (dessin  de     Paul  Kichcr). 

Voici  des  exemples  d'hérédotaxie  cérébelleuse  de  Pierre  Marie  dans 
lesquels  vous  remarquez  la  démarche  si  spé- 
ciale avec  traînement  des  jambes  que  l'on 
rencontre  chez  ces  malades  comme  dans 
les  scléroses  combinées,  démarche  qui 
résulte  à  la  fois  d'une  paraplégie  et  d'une 
ataxie2(fïg.  11). 

Voici  des  exemples  curieux  d'amyotro- 
phie  des  extrémités  :  l'atrophie  des  jambes 
en  jarretière,  spéciale  à  l'amyotrophie  Char- 
■cot-Marie  ;  les  atrophies  multiples  de  la  né- 
vrite hypertrophique  familiale  du  type 
Pierre-Marie-Boveri  (amyotrophie  si  spé- 
ciale où  les  nerfs  sonttellementhypertrophiés 
qu'ils  peuvent  être  perçus  et  palpables  :  le 
cubital  au  niveau  du  coude,  le  plexus  cervical 
superficiel  dans  la  région   sus-claviculaire). 


Voici    des    exemples     très    curieux    de    la 


Fig.  11.  —  Hérédoataxie  cérébel- 
leuse. Démarche  avec  traîne- 
ment des  jambes  (Collection  de 
M.  le    Professeur  Pierre  Marie  ) 


1.  Pesker,  Thèse  de  Paris,  1900. 

2.  Pierre  Marie  et  Croczox,    Société  de  Neurologie,  5  mars  1903  :  Crouzon,   Thèse  de. 
Paris,  1904. 


356 


0.  CROl  ZO  \ 


myopathie  primitive  progressive,  exemples  recueillis  pour  la  plupart 
par  M.  Pierre  Marie,  à  L'hospice  de  Bicêtre,  dans  son  service  de 
Sibérie  (fig.  12). 


Fig.  12.  —  Myopathie  primitive  progressive  :  forme  atypique 
avec   ptosis   et  paralysie  des  masticateurs  (Pierre  Marie). 


Voici  un  exemple  de  la  maladie  de  Thomsen,  cette  affection  si 
curieuse  observée  par  Thomsen  sur  lui-même  et  dans  sa  famille,  et 
caractérisée  par  une  lenteur  de  la  décontraction  d'une  part,  et,  d'autre 
part,  par  une  hypertrophie  considérable  des  muscles.  Voici  enfin  un 
exemple  d'une  affection  curieuse  :  un  œdème  familial,  le  trophœdème 
familial  de  Meii^e. 


LES    MALADIES    FAMILIALES    ATYPIQUES 

Vous  êtes  maintenant  en  possession  de  notions  suffisantes  pour  com- 
prendre l'intérêt  de  la  famille  que  je  vais  vous  présenter. 

Cette  famille  a  été  étudiée  par  M.  Bouttier  et  par  moi  dans  le  service 
di-  M.  Pierre  Marie,  el  nous  avons  publié  sur  elle  un  mémoire  à  la 
Société  médicale  des  hôpitaux  de  Paris  (séance  du  19  novembre  1919  . 

Comme  vous  le  voyez,  sur  le  tableau  généalogique  île  cette  famille,  les 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


357 


trois  malades  que  je  vous  présente  sont  les  trois  sœurs  et  les  seuls  en- 
fants d'un  couple  que  nous  avons  examiné  et  que  nous  avons  trouvé 
absolument  normal.  Aucune  autre  personne  dans  la  famille  ne  paraît 
avoir  été  atteinte. 

Les  trois  sœurs  ont  respectivement,  à  l'heure  actuelle  :  Hélène, 
34  ans  ;  Sarah,  28  ans,  et  Anna,  26  ans.  Elles  sont  atteintes  d'une 
variété   singulière  et  complexe  de  maladie  familiale.  Le  début,  pour 


P       P 


9  9  P 


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Fig.    13.    —  Tableau    généalogique   de    la    famille  Ichs  ..  atteinte 
d'une  maladie  familiale  atypique.  (Crouzon  et  Bouttier.) 


l'aînée,  s'est  fait  à  l'âge  de  14  ans  par  des  troubles  des  jambes  ;  chez  la 
deuxième,  il  s'est  fait  à  22  ans  par  des  troubles  des  jambes  ;  chez  la 
troisième,  il  s'est  fait  à  l'âge  de  12  ans  par  des  troubles  de  la 
parole. 

Je  vous  exposerai,  d'après  notre  mémoire  de  la  Société  médicale  des 
hôpitaux  de  Paris  où  nous  avons  publié  nos  observations  in  extenso,  un 
résumé  de  l'histoire  de  chacune  de  nos  malades. 

1°  La  plus  typique  et  la  plus  complète  est  celle  d'Hélène. 

Les  symptômes  observés  chez  cette  malade  peuvent  être  classés  en 
trois  groupes  : 

a)  Les  premiers  présentent  un  caractère  encéphalique  :  ce  sont  les 
troubles  de  la  parole,  si  particuliers,  et  sur  lesquels  nous  reviendrons 
dans  la  discussion  du  diagnostic,  parole  spasmodique,  soufflée,  hale- 
tante, expiratoire,  qui  rend  l'articulation  des  mots  très  mauvaise  et  leur 
compréhension  très  difficile  pour  l'entourage.  La  modification  de 
tonicité  des  muscles  de  la  face,  la  déformation  ovalaire  de  la  cavité 
buccale  entrouverte,  le  tremblement  et  l'instabilité  ehoréiforme  sont 
évidemment  aussi  des  symptômes  d'ordre  central. 

b)  Le  deuxième  groupe  de  symptômes  peut  être  rangé  dans  la  caté- 
gorie amyotrophique  :  l'amyotrophie  scapulo-humérale,  l'atrophie  des 
muscles  sus-  et  sous-épineux,  du  grand  dentelé  avec  ébauche  descapuhv 


0.  CR01  ZQN 


alaise  rappellent  les  localisations  de  l'atrophie  musculaire  dans  la  myo- 
pathie. 

L'examen  de  la  force  musculaire  segmentaire  conduit  aux  mêmes 
conclusions  :  alors  que  les  troubles  moteurs  sont  nuls  ou  très  peu 
marqués  au  niveau  de  l'extrémité  distale  des  membres  supérieurs,  ils 
sont  très  accentués  au  niveau  de  leur  extrémité  proximale  et  de  la  cein- 
ture scapulaire.  Enfin  la  motilité  du  tronc  est  elle-même  très  affaiblie, 
surtout  en  ce  qui  concerne  le  mouvement  de  flexion  du  tronc. 


Fig.  14.   —  Ichs...  (HéJène),  atteinte  d'une  maladie  Familiale  atypique.  (Crouzon  et  Bouttier.) 


Le  caractère  un  opathique  de  ces  localisations  et  de  ce  déficit  moteur 
est  donc  révélé  par  le  simple  examen  clinique  :  il  est  confirmé  par 
l'étude  des  réactions  électriques  qui,  pratiquée  par  M.  le  Dr  Bourgui- 
gnon, a  montré  une  ébauche  de  réaction  myotoniqueau  niveau  du  tra- 
pèze cervical  gauche.  En  dehors  de  ces  troubles  à  caractère  myoto- 
nique,  les  réactions  électriques  au  niveau  des  membres  supérieurs  sont 
sensiblement  normales. 

c)  Le  troisième  groupé  de  symptômes  est  d'ordre  neurotique  ou  myé- 
lopathique  :  l'atrophie  musculaire,  dont  rend  compte  la  photographie, 
l'attitude  des   pieds,  la  prédominance  des  troubles  moteurs  au  niveau 

de  l'extrémité  distale   des  membres    inférieurs,    l'abolition  des  réllexes. 

tout  plaide  en  faveur  d'une  lésion  polynévritique.  Ici  encore,  cette  [m- 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


359 


pression  clinique  est  confirmée  par  les  résultats  de  l'examen  électrique  : 
l'électrodiagnostic  révèle  des  troubles  très  importants  du  type  péri- 
phérique, portant  en  particulier  sur  les  branches  terminales  du  nerf 
sciatique,  mais  intéressant  aussi  le  nerf  crural. 

2°  Dans  la  deuxième  observation  (Sarah),  on   retrouve,   à  un  degré 


Fig    15.    —  Iseh  (Hélène),  maladie  familiale  atypique  :   pieds 
tombants  du  type  névritique.  (Crouzon  et  Bouttier.) 

fruste,  les  mêmes  troubles  que  dans  la  première  de  nos  observations, 
mais  ils  sont  très  considérablement  atténués. 

a)  Les  symptômes  d'ordre  encéphalique  sont,  en  particulier,  moins 
marqués  :  la  parole  est  sensiblement  normale;  toutefois  on  note  quel- 
ques ébauches  de  spasme  au  niveau  des  muscles  de  la  face  et  un  trem- 
blement, d'ailleurs  fruste,  des  extrémités. 

6)  Les  symptômes  d'ordre  amyotrophique  se  retrouvent  chez  elle;  on 


360  0.  CROl  ZO  \ 


note  la  même  prédominance  des  troubles  moteurs  au  niveau  de  la  cein- 
ture scapulaire  du  muscle  grand  dentelé  et  des  muscles  du  tronc  ;  la 
Flexion  du  tronc  est,  de    même  que  chez,  sa  sœur,    plus  atteinte  que 

l'extension. 

11  existe  enfin,  comme  chez  sa  sœur,  des  troubles  moteurs  impor- 
tants au  niveau  des  membres  inférieurs  :  leur  topographie  est  un  peu 
différente  ;  en  effet,  les  muscles  de  l'extrémité  proximale  sont  touchés 
autant  et  peut-être  davantage  chez  elle  que  les  muscles  de  l'extrémité 
distale.  L'examen  électrique  révèle  enfin  une  réaction  myotonique  du 
biceps  gauche  fait  par  M.  le  Dr  Bourguignon. 

c)  Enfin,  il  existe  aussi  des  modifications  importantes,  compa- 
rables, mais  atténuées,   des  réflexes  tendineux. 

3°  La  troisième  observation,  celle  d'Anna,  met  en  évidence  des  trou- 
bles légers  sans  doute,  et  cependant  indiscutables. 

a)  On  y  retrouve  les  manifestations  d'origine  encéphalique: ce  sont  les 
modifications  de  la  parole  dont  les  caractères  et  le  rythme  se  rappro- 
chent beaucoup  de  ceux  que  nous  avons  signalés  dans  la  première  de  nos 
observations  (Hélène).  L'ouverture  de  la  cavité  buccale  est  manifeste- 
ment asymétrique,  sans  qu'il  existe  toutefois  de  paralysie  faciale.  La 
résistance  aux  pulsions  est  mauvaise,  surtout  en  arrière  et  latéralement. 

b)  Les  troubles  amyotrophiques  sont  beaucoup  moins  accusés  que  dans 
les  observations  précédentes  ;  néanmoins  la  malade  signale  spontané- 
ment la  gène  qu'elle  éprouve  à  gravir  les  marches  d'un  escalier  ou 
à  faire  avec  la  main  certains  mouvements  fins.  L'examen  de  la  force 
musculaire  segmentaire  montre  une  diminution  très  nette  de  la  flexion 
et  de  l'extension  des  doigts.  Par  contre,  on  ne  note  aucun  trouble  mo- 
teur au  niveau  de  l'extrémité  proximale  du  membre  supérieur. 

c)  L'examen  électrique  met  en  évidence  une  réaction  de  dégéné- 
rescence au  niveau  des  membres  inférieurs,  une  R.  D.  légère  dans  le 
facial  supérieur  des  deux  côtés,  enfin  une  réaction  myotonique  au 
niveau  du  trapèze  gauche,  sans  atteinte  du  biceps  des  deux  côtés. 

Il  s'agit  évidemment  d'une  maladie  familiale  :  les  caractères  de  la 
maladie  se  trouvent  au  complet  chez  Hélène  ;  les  deux  autres  observa- 
tions n'en  sont  que  des  formes   plus  ou  moins  atténuées. 

Ainsi  (pie  nous  venons  de  le  voir,  cette  maladie  familiale  est  carac- 
térisée : 

1°  Par  des  symptômes  d'ordre  encéphalique  troubles  de  la  parole 
et  modification  des  muscles  de  la  l'ace,  tremblement  et  instabilité- 
choréiforme]  ; 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  •  361 

2°  Par  des  symptômes  d'allure  amyotrophique (atrophie  musculaire 
et  troubles  moteurs  prédominant  au  niveau  de  la  ceinture  scapulaire 
avec  ébauche  de  réaction  myotonique)  ; 

3°  Par  des  symptômes  d'allure  polynévritique  ou  myélopathique 
(amyotrophie  des  membres  inférieurs,  abolition  des  réflexes  tendineux 
et  troubles  des  réactions  électriques  à  caractère  névritique). 


Il  est  important  maintenant  de  discuter  rapidement  la  valeur  séméio- 
logique  de  chacun  de  ces  symptômes  et  de  montrer  que  le  tableau  cli- 
nique offert  par  ces  trois  malades  est  différent  de  celui  que  l'on  a  cou- 
tume d'observer  dans  les  amyotrophies  familiales. 

Les  troubles  de  la  parole  se  rapprochent  de  ceux  qu'on  observe  dans 
l'hérédo-ataxie  cérébelleuse.  On  les  a  comparés  souvent  au  caractère 
explosif  de  la  parole  dans  la  sclérose  en  plaques  ;  en  réalité,  la  parole 
est  dans  nos  observations,  comme  dans  l'hérédo-ataxie  cérébelleuse,  plus 
hésitante,  plus  haletante,  plus  expiratoire,  plus  difficilement  percep- 
tible aussi  et  moins  scandée  que  dans  la  sclérose  en  plaques.  La  malade 
fait,  pour  articuler,  les  plus  grands  efforts  et  n'arrive  à  rendre  que  très 
difficilement  intelligible  l'articulation  des  mots  ;  aussi  s'aide-t-elle 
souvent  de  gestes  et  complète-t  elle  par  des  modifications  variées  de  sa 
mimique  l'insuffisance  de  son  mode  d'expression  verbale. 

L'instabilité  choréiforme  qui  se  rencontre  au  maximum  dans  notre 
observation  I  est  comparable  à  celle  qui  fait  partie  du  tableau  clinique 
de  la  maladie  de  Friedreich.  Notre  malade  a  les  mêmes  mouvements 
involontaires  de  la  tête  et  du  cou,  des  membres  supérieurs,  les  mêmes 
secousses  brusques  au  niveau  de  la  face  décrits  par  Soca  sous  le  nom  de 
«  nystagmus  de  la  face  ».  Enfin,  elle  a  un  constant  besoin  de  mobilité, 
et  son  visage,  très  expressif,  reflète  plus  souvent  une  expression  d'in- 
quiétude qu'il  ne  traduit  un  sentiment  de  joie  ou  même  de  satisfaction. 
La  langue  aussi  est  instable, animée  d'un  mouvement  antéro-postérieur 
et  non  atrophique.  Ainsi  est  complété,  chez  notre  malade,  le  caractère 
d'instabilité  choréiforme  commun  à  sa  maladie  et  à  la  maladie  de  Fried- 
reich classique. 

Ces  deux  symptômes,  troubles  de  la  parole  et  instabilité  choréi- 
forme, qui  rapprochent  nos  observations  de  l'hérédo-ataxie  cérébel- 
leuse et  de  la  maladie  de  Friedreich,  sont  donc  en  faveur  d'une  locali- 
sation haute  des  lésions  et  méritent,  à  ce  titre,  d'être  particulièrement 
soulignés. 

Bien  différents,  quant  à  l'interprétation,  sont  les  signes  d'aspect  myo- 


0.  CR01  Z0  S 

pathique  que  nous  avons  noies.  La  prédominance  des  troubles  moteurs 
et  de  l'atrophie  musculaire  au  niveau  de  la  ceinture  dorso-scapulaire  et 
même,  dans  deux  de  nos  observations,  au  niveau  de  la  ceinture  iliaque, 
l'ébauche  «le  réaction  myotonique  révélée  par  l'électrodiagnostic  rap- 
prochent évidemment  nos  observations  de  certains  cas  de  myopathie. 
Mais  le  mode  de  début,  l'évolution,  l'existence  surtout  d'autres  symp- 
tômes de  caractère  central  ou  au  contraire  neurotique,  séparent  net- 
tement ees  faits  de  la  myopathie  et  ne  permettent  pas  de  les  faire  ren- 
trer dans  ce  cadre  nosologique.  Il  est  d'autant  plus  intéressant  de 
constater  l'existence  de  quelques  caractères  communs  à  nos  observa- 
tions et  à  la  myopathie  familiale. 

Enfin,  l'atrophie  des  membres  inférieurs,  l'abolition  des  réflexes  ten- 
dineux, le  caractère  névritique  des  réactions  électriques  donnent  bien 
l'impression  d'une  localisation  myélopathique  ou  polynévritique.  Le 
tableau  clinique  est  si  différent  dans  les  deux  affections  que  nous  ne 
discuterons  pas  le  diagnostic  avec  l'amyotrophie  Charcot-Marie  où  la 
localisation  des  troubles  se  fait  exclusivement  au  niveau  des  extrémi- 
tés. Enfin  la  conservation  des  mouvements,  en  dépit  de  l'amyotrophie, 
s'oppose,  dans  le  type  Charcot-Marie,  à  l'impotence  absolue  que  nous 
constatons  chez  notre  première  malade  (Hélène). 

L'absence  d'hypertrophie  des  troncs  nerveux,  de  déviation  verté- 
brale et  de  troubles  sensitifs,  permet  d'éliminer  le  diagnostic  de 
névrite  hypertrophique  familiale. 

Nous  ferons  observer  que  les  troubles  des  membres  inférieurs  d'allure 
polynévritique  ne  peuvent  être  uniquement  imputés  à  la  station  cou- 
chée. Cette  hypothèse  pourrait  être  invoquée  seulement  chez  Hélène 
qui  est  grabataire.  Mais  ces  troubles  moteurs  existent  au  niveau  de  la 
racine  du  membre  aussi  bien  qu'à  ses  extrémités  distales  ;  ils  ont  été 
d'emblée  très  accentués,  et  surtout  des  troubles  de  même  ordre,  vérifiés 
par  l'examen  électrique,  ont  déjà  l'ait  une  apparition  très  nette  chez  Sara  h 
et  chez  Anna,  alors  que  ces  deux  derniers  malades  mènent  encore 
une  vie  normale. 

L'absence  de  signe  de  Babinski  dans  les  deux  cas  OÙ  la  réponse  du 
gros  orteil  peut  se  faire,  les  caractères  des  réactions  électriques,  la  topo- 
graphie surtout  des  troubles  moteurs  et  de  l'amyotrophie  au  niveau 
de  la  ceinture  dorso-scapulaire,  l'absence  de  déviation  vertébrale. 
l'absence  de  nystagmus,  séparent  nettement  ces  Faits  de  là  maladie  de 
Friedreich  et  de  l'hérédo-ataxie  cérébelleuse  classique. 

Il  est  évident  que  les  troubles  d'origine  centrale  et  d'aspect  myopa- 
thique  séparent  avec  non  moins  de   rigueur  ces  mêmes  observations 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  363 

du    cadre  des   affections    simplement    myélopathiques    ou   polynévri- 
tiques. 

On  ne  peut  donc  faire  aucune  superposition  des  cas  que  nous  rappor- 
tons aux  maladies  classiques  dont  nous  avons  rappelé  tout  à  l'heure 
les  principaux  caractères;  il  nous  semble  s'agir  là,  d'une  façon  indis- 
cutable, d'une  maladie  familiale  amyotrophique  nouvelle,  en  ce  sens 
qu'elle  emprunte  à  des  types  nosologiques  très  divers  les  principaux 
éléments  de  sa  propre  séméiologie.  L'affection  présentée  par  ces  trois 
soeurs  est  donc  une  maladie  familiale  atypique  du  système  nerveux. 

Enumération  des  maladies   familiales  atypiques. 

Nous  avons  recherché  dans  la  littérature  s'il  existait  des  maladies 
familiales  susceptibles  d'être  comparées  à  celles  que  nous  vous  présen- 
tons aujourd'hui  et  nous  avons  constaté  qu'il  existait  un  nombre  assez 
considérable  d'affections  qui  sont  considérées  comme  des  formes  de 
transition  entre  les  diverses  variétés  myopathiques,  spasmodiques  ou 
ataxiques  des  maladies  familiales  héréditaires,  c'est-à-dire  des  formes 
associées  ou  combinées  des  différents  types  cliniques,  ou  enfin  qu'il 
existe  des  formes  familiales  absolument  atypiques. 

Tout  d'abord,  Jendrassik,  dans  un  article  extrêmement  documenté 
du  Traité  de  Lewandowski,  a  rassemblé  24  exemples  de  formes  de 
transition  ne  rentrant  pas  dans  les  cadres  cliniques,  et  ces  24  formes 
de  transition  répondent  environ  à  40  cas  : 

1°  Paralysie  spinale  spastique  avec  troubles  de  la  vue  :  Jendrassik,  cas  2  el  3  de  la 
première  publication. 

2°  Paratysie  spinale  spastique  avec  troubles  de  la  parole,  faiblesse  des  muscles  des 
yeux.  n}Tstagmus  :  cas  de  Dreschfeld,  Peliza-us,  Hodemaker,  Bernhardt,  famille  2  de 
la  première  publication  de  Jendrassik,  Kollarits. 

3°  Paralysie  spinale  spastique  avec  tremblement  et  atrophie  des  nerfs  optiques  : 
Freud. 

4"  Paralysie  spinale  spastique  avec  idiotie   :  Homen,   Bouchard,  Pribram. 

5°  Paralysie  spinale  spastique  avec  incoordination:  Menzel,  Nonne,  Haushalter  (dans 
le  cas  de  ce  dernier,  il  y  avait  idiotie  et  atrophie  des  nerfs  optiques  ;  cas  premier  de 
la  deuxième  publication  de  Jendrassik. 

6°  Myoclonie  et  atrophie  optique   :   Unverrichl. 

7°  Maladie  de  Friedreich  et  idiotie  :  Pritzsche. 

8°  Maladie  de  Friedreich  avec  dysirophie  :  famille  15  de  la  troisième  publication  de 
Jendrassik    examen  auatomique  de  Kollarits  . 

Cette  combinaison  est  aussi  discutée  anatomiquement  dans  le  cas  de  Baûmlein. 

9°  Héi-édo-ataxie  spino-cérébelleuse  avec  dystrophie  (examen  anatomique   de    Bing). 

10°  Atrophie  musculaire  neurotique  avec  idiotie,  amaurose,  troubles  bulbaires  :  Ber- 
lolotli. 

11  Paralysie  spinale  spastique  avec  dysirophie  musculaire,  nystagmus  et  tremble- 
ment :  famille  2  de    la  troisième    publication    de   Jendrassik    (examen    anatomique   de 


;.,i  0.   CR01  /<>  \ 


Kollarils]  ;  cas  cliniques  plus   anciens  de    Maas,    Seeligmulier,     Hoffmann    (le    dernier 
avec  imbécillité^. 

12°  Dystrophie  avec  pseudo-nyslagmus  :  famille  G  de  la  troisième  publication  de 
Jendrassik. 

13°  Dystrophie  avec  hypertonie,  tremblement,  troubles  de  la  parole  et  faiblesse  de  la 
vision  :  famille  7  de  la  troisième  publication  de  JendrassiU. 

14°  Paralysie  oculaire  avec  perte  des  réflexes  rotuliens  :  famille  7  de  la  troisième 
publication  de  Jendrassîk. 

15'  N'ystagmus,  tremblement  intentionnel»  ataxie  cérébelleuse,  phénomènes  spas- 
tiques,  contracture,  artériosclérose  :  3  observations  de  Kollarits. 

16°  NystagtnUS,  ataxie,  bradylalie,  paralysie  spastique  des  extrémités  inférieures  : 
Merzbacber. 

17°  Atrophie  optique,  paralysie  oculaire,  perte  des  réflexes  oculaires  :  14  observa- 
tions de  Kollarits. 

18°  Microcéphalie,  Iroubles  de  l'intelligence,  scoliose,  perte  des  réflexes  oculaires  avec 
Babinski,  dystrophie  des  muscles    el  des  os  :  3  familles  par   Kollarits,  1"  publication. 

19°  Imbécillité,  achondroplasie,  scoliose  :  Kollarits,  2e  publication. 

20'  Paralysie  périodique  familiale  avec  dystrophie  :   Bernhardt. 

21°  Maladie  de  Friedreich  avec  chorée  de  Huntington  :  Kollarits. 

22"  Dystrophie,  idiotie,  paralysie  des  muscles  des  yeux,  atrophie  optique  :  Bac. 

23°  Idiotie,  atrophie  optique,  phénomènes  spastiques.  épilepsie  :  Pesker. 

24°  Atrophie  cérébelleuse  familiale  :  Bourneville  et  Crouzon,  décrite  d'autre  part 
par  Sterzner. 

Soit  40  cas  réunis  par  Jendrassik. 

D'autre  part,  Rheins  {Journal  ofnervous  and  mental  diseuses,  1916),  à 
côté  de  la  paraplégie  spasmodique  familiale  pure,  décrit  six  groupes  de 
paraplégies  familiales  associées  :  1°  à  des  troubles  mentaux  ;  2°  à  des 
troubles  cérébelleux  ;  3°  à  des  troubles  bulbaires  ;  4°  à  des  atrophies 
musculaires  ;  5°  à  des  signes  de  sclérose  en  plaques  ;  6°  à  des  troubles 
des  membres  supérieurs. 

En  outre,  il  existe  vin  certain  nombre  de  cas  épars  de  maladies 
familiales  combinées  ou  associées  ou  atypiques  dont  voici  rénumé- 
ration : 

Myotonie  progressive  avec  myoclonie  familiale  de  Purves-Stewart. 

Paraplégie  ataxique  amaurotiquc  familiale  de  Purves-Stewart  (Review 
ofNeurology  and  Psychiatry,  1912). 

Dysgénésie  pyramido-cérébelleuse  familiale  de  Paulian  (Revue  neuro- 
logique, 1919). 

Affection  bulbo-spinale  spasmodique  familiale  (Ballet  et  Rose,  Société 
de  Neurologie,  2  mars    1905). 

Paralysie  glosso-phurynyée  progressive  familiale  avec  ptosis  (Ta\lor, 
Journal  of  nervous  and  mental  diseases). 

Paralysie  bulbaire  progressive  infantile  cl  familiale  (Charcot,  Brissaml, 
Pierre  Marie  et  Londe). 

Paraplégie  familiale  transitoire  (Lenoble). 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  365 

Sclérose  diffuse  infantile  familiale  (Knud-Krabbe,  de  Copenhague  ; 
Rheins,  juin  1916). 

Enfin  M.  Bouttier  et  moi  nous  avons  étudié  dans  ees  derniers  temps 
une  curieuse  affection  familiale  caractérisée  par  une  rigidité  spasmo- 
dique  d'apparence  striée  ou  sous-striée,  accompagnée  de  signe  de  Ba- 
binski,  qui  succomba  avant  que  nous  puissions  la  présenter  à  la  Société 
de  Neurologie  et  chez  laquelle  nous  trouvons  à  l'heure  actuelle  des  lé- 
sions singulières  dont  l'étude  sera  particulièrement  intéressante  quand 
elle  sera  plus  avancée.  C'est  vous  dire  que  les  recherches  de  tous  les 
jours  peuvent  amener  à  trouver  des  maladies  familiales  nouvelles. 

Si  nous  revenons  maintenant  à  l'affection  familiale  dont  je  vous  ai 
présenté  trois  exemples  chez  les  trois  sœurs,  trouvons-nous  dans  les 
exemples  de  maladies  familiales  atypiques  mentionnés,  des  cas  qui 
puissent  lui  être  comparés  ? 

Nous  n'avons  trouvé  que  peu  de  cas  qui  puissent  se  rapprocher  dans 
une  certaine  mesure  de  cette  famille  que  nous  venons  de  décrire.  Dans 
les  cas  rassemblés  par  Jendrassik,  il  existe  un  cas  de  maladie  de  Frie- 
dreich  avec  symptômes  myopathiques,  étudié  anatomiquement  par 
Kollarits.  Cette  association  de  symptômes  se  retrouve  encore  dans  le 
cas  étudié  anatomiquement  par  Baùmlein.  Il  existe  aussi  un  cas  d'hé- 
rédo-ataxie  cérébelleuse  avec  signes  myopathiques,  étudié  anatomi- 
quement par  Bing.  Enfin,  nous  trouvons  aussi  dans  le  tableau  de  Jen- 
drassik un  cas,  qui  lui  est  personnel,  de  myopathie  avec  hypertonie, 
tremblement,  troubles  de  la  parole,  faiblesse  de  la  vue.  Nous  ne  pouvons 
pas  dire  cependant  qu'il  y  ait  analogie  entre  ce  cas  et  ceux  que  nous 
venons   de    vous   exposer. 

Signification  nosologique  des  maladies  familiales  atypi- 
ques. —  Comment  devons-nous  comprendre,  du  reste,  cet  immense 
groupe  de  maladies  familiales  atypiques  que  Jendrassik  considère 
comme  des  formes  de  transition  ?  Suivant  une  opinion  formulée  par 
Raymond,  on  peut  admettre  qu'il  existe  des  formes  variables,  frustes 
ou  hybrides  des  diverses  maladies  familiales,  formes  qui  sont  intermé- 
diaires entre  les  affections  familiales  myopathiques  et  les  affections 
myélopathiques.  Raymond  a  dit,  à  ce  propos,  que  le  fossé  était  comblé, 
qu'il  y  avait  un  trait  de  jonction  entre  les  affections  myopathiques  et 
les  affections  myélopathiques,  et  il  soutenait,  en  particulier,  que  l'amyo- 
trophie  Werdnig-Hoffmann  servait  de  transition  entre  les  deux  types. 
Raymond,  se   basant  aussi  sur   l'interprétation  de    certaines   observa- 


o.  CROl  ZO  \ 


lions  (Lenoble  et  Aubineau,  Menzel,  Ferrier  et  Chassin,  Bauer  et 
(i\  ),  admettait  également  un  rapport  étroit  entre  la  maladie  de  Frie- 
dreich  et  l'hérédo-ataxie  cérébelleuse,  dette  doctrine  uniciste  ou  uni- 
taire admettait  aussi  des  intermédiaires  entre  la  maladie  de  Frie- 
dreich  et  la  paraplégie  familiale,  et,  d'une  façon  générale,  entre  les 
maladies  héréditaires  d'origine  cérébelleuse  et  les  maladies  héré- 
ditaires   d'origine    médullaire.    Tous    ces    cas   de   maladies  familiales 


9«*     . 


/    A 


V 


Fig.    10.    —    Lésions     comparées    de    l'hérédoataxie  cérébelleuse    et    de    la    maladie    de    Friedreich 

(Foix    et    Trétiakoffi  : 
à  gauche    :   maladie    de    Friedreich  avec  sa  sclérose  à    droite    :    hérédoataxie    cérébelleuse 

antérolatérale    gowersienne  ;  avec  sa  sclérose  postérolalérale. 

seraient  reliés  par  des  intermédiaires  comme  les  anneaux  d'une 
même  chaîne,  suivant  l'expression  de  Raymond,  et  suivant  l'opinion 
du  même  auteur,  par  un  singulier  retour,  l'atrophie  musculaire  pro- 
gressive de  Duchenne  de  Boulogne,  qui  avait  été  démembrée  par  la 
description  des  maladies  familiales  diverses,  se  trouvait  reconstituée 
sur  une  base  nouvelle  qui  lui  semblait  inébranlable. 

Une  telle  opinion  ne  nous  parait  pas  devoir  être  adoptée.  Kt  c'est 
ainsi  qu'il  y  a  lieu, à  notre  avis,  de  distinguer  très  nettement  chaque  type 
nouveau  de  maladie  familiale  qui  joint  des  caractéristiques  anatomiquea 
à  des  caractéristiques  cliniques,  ('/est  ainsi  (pie  la  maladie  de  Frie- 
dreich  et  l'hérédo-ataxie  cérébelleuse  sont  deux  affections  distinctes. 
C'est  là  la  doctrine  dualiste  adoptée  par  Brissaud  et  Pierre  Marie, 
corroborée  par  les  recherches  analomiqnes  récentes  de  Foix  et  Tretia- 
kolï  *  dont  nous  reproduisons    les    schémas  si  démonstratifs  |  ligures  lt> 


1.  Foix  et  Trétiakoff,  30  juillet  1920,  Soc.  mid.  Hép.  de  Paria. 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES 


3G7 


et  17),  et,  suivant  l'opinion  de  Pierre  Marie,  nous  pouvons  dire  que 
les  deux  maladies  sont  peut-être  dues  à  un  même  processus  héréditaire 
frappant  dans  le  névraxe  des  systèmes  analogues,  mais  distincts. 


Fig.  17.  —  Schéma  montrant  les  lésions  comparées  de  l'hérédoataxie  cérébelleuse  (I),  de  la  maladie 
de  Friedreicli  (II)  et  de  la  paraplégie  spasmodique  familiale  (III),  d'après  Ch.  Foix  et  Trétiakoff. 

Comment  envisager  alors  ce  groupe  de  maladies  familiales  atypiques? 

Passons  en  revue,  si  vous  voulez  bien,  le  tableau  ci-dessus,  dans 
lequel  j'ai  fait  figurer,  non  seulement  les  cas  de  Jendrassik,  mais  aussi 
les  cas  divers  '. 

Vous  y  verrez  tout  d'abord  qu'il  n'y  a  peut-être  pas  lieu  de  consi- 
dérer comme  des  formes  de  transitions  distinctes  les  vingt-quatre 
groupes  énumérés  de  Jendrassik.  Il  y  a  déjà  environ  six  groupes  qui 
ont  trait  à  des  paraplégies  spinales  spastiques  familiales  qui  peu- 
vent être  rapprochés  des  groupes  étudiés  par  Rheins  et  énumérés  aussi 
plus  haut.  Et  il  nous  parait  excessif  de  faire  de  tous  ces  groupes  des 
maladies  spéciales. 

1.  Pages  363,  sqq. 


368  0.  CR01  Z0  V 

Un  même  travail  d'élimination  peut  être  fait  pour  certaines  autres 
maladies  qui  figurent  dans  ce  tableau  et  qui  présentent  d'autres  carac- 
tères anormaux.  Certaines  de  ces  maladies  familiales  atypiques  pourraient 
peut-être,  d'autre  part,  être  comparées  entre  elles  même  sur  une  hase 
exclusivement  clinique,  pour  être  confondues  dans  un  même  groupe. 

Toutefois  il  est  difficile  ou  imprudent  de  faire  un  travail  de  ce  genre, 
avec  quelque  précision,  à  la  simple  lecture  des  observations  dont  certai- 
nes sont  déjà  anciennes.  Il  est  déjà  quelquefois  difficile  d'obtenir  un 
accord  entre  neurologistes  en  présence  du  malade  lui-même.  A  fortiori 
peut-il  subsister  des  divergences  de  vue,  sans  examen  clinique. 

D'autres  cas  enfin  sont  des  maladies  familiales  atypiques  avec  un 
examen  anatomique  comme  la  forme  familiale  infantile  de  sclérose  fami- 
liale de  Knud-Krabbe.  Mais  les  exemples  n'en  sont  pas  nombreux,  et  il 
faut  attendre  la  publication  de  nouveaux  cas  pour  ériger  une  nouvelle 
maladie  familiale. 

Comme  vous  le  voyez  donc,  il  y  a  lieu  d'envisager,  dans  ce  véritable 
caput  mortuum,  trois  groupes  de  maladies  familiales  atypiques  : 

1°  Celles  qui  ne  diffèrent  d'un  type  clinique  que  par  une  particula- 
rité accessoire  et  qui  ne  doivent  pas  être  séparées  des  maladies  typi- 
ques ; 

2°  Celles  qui  sont  atypiques,  mais  qui  peuvent  être  comparées  entre 
elles  au  moins  cliniquement  et  forment,  si  vous  le  voulez  bien,  un 
groupe  d'attente  ; 

3°  Les  maladies  familiales  atypiques  possédant  un  substratum  anato- 
mique déterminé,  mais  dont  les  exemples  ne  sont  pas  encore  assez 
nombreux  pour  constituer   une  entité  morbide  définitivement  classée. 

Ainsi  que  vous  pouvez  le  comprendre,  une  maladie  familiale  est 
constituée    quand  elle   a  franchi  les  trois  stades  suivants  : 

1°  Stade  clinique  :  plusieurs  cas  similaires  sont  rapproches  clinique- 
ment les  uns  des  autres  ; 

2°  Stade  anatomique  .on  a  pu  trouver  des  lésions  anatomiques  sem- 
blables chez  des  malades  déjà  comparés  cliniquement  ; 

3°  Stade  :  constitution  définitive  de  la  maladie  familiale  :  îles  exemples 
anatomo-cliniques  répétés  permettent  d'en  faire  une  entité  morbide 
universellement  connue. 

L'histoire  des  maladies  familiales  vous  montrera  que  les  maladies 
familiales  les  plus  typiques  sont  quelquefois  sorties  de  ce  caput  mortuum 
«les  maladies  familiales  atypiques  et  qu'il  a  fallu  souvent  de  nombreuses 
années  pour  qu'elles  puissent  franchir  les  trois  stades  que  je  viens  de 
vous  indiquer.  Lest  ainsi   que   Friedreich  en  1861,  alors  professeur  de 


MALADIES  FAMILIALES  ATYPIQUES  369' 

clinique  à  Heidelberg,  a  publié,  au  Congrès  de  Spire,  six  cas  de  tabès 
héréditaire  dans  deux  familles.  Quinze  ans  se  sont  passés,  et  en  1876  il 
publia  cinq  observations  nouvelles  de  tabès  héréditaire  dont  il  fit  alors 
une  maladie  spéciale,  caractérisée  anatomiquement  par  une  sclérose 
combinée  de  la  moelle.  Mais  il  a  fallu  arriver  aux  leçons  de  Charcot  en 
1884,  à  la  thèse  de  Brousse  en  1884,  pour  que  cette  affection  soit  bien 
identifiée  sous  le  nom  de  maladie  de  Friedreich  ;  sa  mise  au  point  cli- 
nique n'a  été  définitive  qu'en  1888,  dans  la  thèse  de  Soca.  Il  a  bien  fallu 
23  à  27  ans  pour  arriver  à  établir  ce  type  morbide. 

Prenons  maintenant  la  maladie  de  Wilson  ou  dégénération  lenti- 
culaire progressive  familiale,  la  dernière  en  date.  Gowers  l'avait  entre- 
vue, en  1888,  sous  le  nom  de  chorée  athétoïde  :  et  c'est  en  1911  et  1912 
que  Wilson  en  a  repris  l'étude  et  en  a  fait  une  description  complète,  tant 
au  point  de  vue  clinique  qu'au  point  de  vue  anatomique.  Mais  il  a  fallu 
encore  plusieurs  années  pour  que  nous  arrivions  aujourd'hui,  en  1921  > 
en  présence  des  observations  répétées,  à  ce  qu'elle  soit  universellement 
connue  sous  le  nom  de  maladie  de  Wilson. 

Ainsi  donc,  cet  historique,  en  vous  montrant  l'élaboration  de  ces 
entités  morbides,  vous  permettra  de  ne  pas  rester  sur  une  impression 
décevante  devant  ce  groupe  un  peu  confus  des  maladies  familiales 
atypiques,  et  c'est  la  conclusion  que  je  vous  demande  de  retenir  de  cette 
leçon. 

J'espère  que  vous  ayant  montré,  à  côté  des  maladies  familiales  typi- 
ques classiques  et  indiscutées,  un  exemple  de  ces  maladies  familiales 
atypiques  qui  sont  assez  répandues,  comme  vous  le  montre  rémunéra- 
tion que  je  vous  en  ai  faite,  vous  ne  serez  pas  déconcertés  ni  découragés 
en  présence  de  faits  en  apparence  nouveaux. 

L'étude  de  ces  types  anormaux  et  leur  juxtaposition  à  des  formes 
atypiques  déjà  relatées  et  cataloguées  dans  les  formes  d'attente,  pourra 
apporter  une  contribution  qui,  dans  l'avenir,  enrichira  sans  doute  le 
chapitre  des  maladies  familiales  typiques,  c'est-à-dire  de  celles  qui 
sont  classées  rigoureusement  au  point  de  vue  clinique  comme  au  point 
de  vue  anatomique. 


COXI'liH.    NEUl'.OI 


24 


TREIZIÈME  CONFÉRENCE 


LE  D>  POULARD 

Ophtalmologiste  de  l'Hôpital  Necker  et  des  Enfants  Malades. 

LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE 

Messieurs, 

Les  mouvements  de  l'iris  sont  assurés  par  deux  ordres  de  filets  ner- 
veux : 

l°Des  filets  irido-constricteurs  qui  partent  des  noyaux  du  moteur 
oculaire  commun  et  viennent  à  l'iris  par  la  voie  du  M.  O.  C.  lui-même 
en  passant  par  le  ganglion  ophtalmique.  (Fig.  1.) 

2°  Des  filets  irido-dilatateurs  qui  partent  de  deux  centres  séparés  : 
a)  un  centre  bulbaire  dans  le  noyau  du  trijumeau  ;  b)  un  centre  spinal, 
dans  la  moelle  cervicale.  Les  fibres  d'origine  bulbaire  prennent  la  voie 
du  trijumeau  ;  les  fibres  d'origine  spinale  suivent  d'abord  la  voie  du 
sympathique  cervical,  mais  rejoignent  bientôt  le  ganglion  de  Gasser. 
Réunies  en  ce  point,  les  fibres  des  deux  centres  gagnent  ensemble  l'iris 
par  la  voie  de  l'ophtalmique,  branche  du  trijumeau. 

La  paralysie  de  l'appareil  nerveux  irido-constricteur  produit  l'irido- 
dilatation  (mydriase  paralytique),  son  excitation  provoque  l'irido-cons- 
triction  (myosis  spasmodique). 

La  paralysie  de  l'appareil  nerveux  irido-dilatateur  amène  l'irido- 
constriction  (myosis  paralytique)  son  excitation  donne  l'irido-dilatation 
(mydriase  spasmodique). 

La  dilatation  pupillaire  peut  donc  être  une  mydriase  paralytique 
(M.  O.  C)ou  une  mydriase  spasmodique  (sympathique)  ;  le  rétrécis- 
sement pupillaire  peut  donc  être  un  myosis  spasmodique  (M.  O.  C.)  ; 
ou  un  myosis  paralytique  (sympathique).  Il  est  possible  de  distinguer 
les  unes  des  autres  ces  différentes  formes  de  mydriase  et  de  myosis,  par 
le  seul  examen  de  la  pupille,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'utiliser  des 
troubles  nerveux  concomitants. 

Il  n'est  même  pas  utile,  en  pratique  clinique,   de  distinguer  toutes  les 


l'ul    I.Mlh 


formes,  spastiques  et  paralytiques,  de  la  mydriase.  On  peut  laisser  de 
côtelés  distinctions  entre  le myosis  spasmodique  et  le  myosis  paraly- 
tique, et  se  contenter  de  distinguer  la  mydriase  paralytique,  très  fré- 
quente et  très  importante  au  point  de  vue  séméîologique,  delà  mydriase 
spasmodique,  beaucoup  plus  rare  et  d'une  valeur  séméiologique  bien 
moindre.  Cette  distinction  peut  être  faite  par  la  simple  observation  du 
réflexe  pupillaire. 

Dans  la  mydriase  paralytique,  le  réflexe  constricteur  est  absent,  à  la 
convergence  comme  à  la  lumière. 

Dans  la  mydriase  spasmodique  le  réflexe  constricteur  existe,  à  la 
lumière  comme  à  la  convergence. 

Avec  ces  notions  simples,  on  est  capable  d'interpréter,  correctement 
et  avec  précision,  toutes  les  modifications  pupillaire  s  qu'on  rencontre 
dans  la  pratique  médicale. 

DILATATION  PUPILLAIRE 
(Mydriase). 

Symptômes.  —  La  mydriase  pathologique  est  ordinairement  unilaté- 
rale, du  moins  dans  les  premiers  temps  de  son  existence.  Quand  elle 
existe  aux  deux  yeux,  c'est,  presque  toujours,  d'une  manière  inégale  à 
droite  et  à  gauche.  Souvent,  presque  toujours  même,  les  réflexes  pupil- 
laires  sont  en  même  temps  modifiés  :  disparus  ou  affaiblis.  C'est  seule- 
ment dans  la  mydriase  spasmodique,  variété  rare,  que  les  réflexes  de- 
meurent intacts. 

La  pupille  présente  quelquefois  de  légères  déformations,  elle  n'est 
plus  parfaitement  ronde,  comme  à  l'étal  normal. 

Ce  sont  ces  signes  annexes  (modifications  réflexes,  déformations, 
unilatéralité)  qui  permettent  de  reconnaître  qu'une  mydriase  est  patho- 
logique. 

Il  faut  se  garder  de  croire  que  certains  sujets  aux  pupilles  dilatées, 
égales  et  mobiles,  sont  toujours  atteints  de  mydriase  pathologique. 
('.lie/  les  sujets  normaux  la  grandeur  des  pupilles  est  très  variable. 
Placés  dans  des  conditions  d'éclairage  identiques,  deux  personnes 
saines  peuvent  présenter  les  différences  notables,  et  même  considéra- 
bles, dans  les  dimensions  de  leurs  pupilles. 

Il  importe  donc,  avant  de  conclure  à  son  origine  pathologique,  de 
rechercher  les  signes  habituellement  annexés  à  la  mydriase  :  inégalité 
des  pupilles,  modification  des  réflexes,  altération  de  la  forme  circulaire. 
Il  est  rare,  d'ailleurs,  que  la  mydriase  pathologique  soit  isolée,  elle 
s'accompagne  souvent  d'autres  troubles  oculo-moteurs. 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE  373 

Très  souvent  l'accommodation  est  prise  en  même  temps, il  y  a  paraly- 
sie de  toute  la  musculature  intrinsèque  du  globe.  Le  M.  O.  C.  dont 
dépend  l'innervation  pupillaire  est  souvent  parésié  ou  paralysé,  en 
partie  ou  en  totalité,  donnant  lieu  à  de  la  diplopie,  du  strabisme  ou  du 
ptosis. 

La  dilatation  pupillaire  paralytique,  du  fait  qu'elle  persiste  à  la  lumière 
vive,  devient  une  cause  d'éblouissement  ;  elle  produit  une  gène  plus 
ou  moins  accentuée,  mais  réelle,  quand  il  faut  se  tenir  au  grand 
jour,  et,  surtout,  quand  on  passe  d'un  lieu  sombre  dans  un  endroit 
clair. 

C'est  là  le  seul  trouble  visuel  auquel  la  mydriase  donne  lieu  par 
elle-même.  Mais,  en  général,  la  vue  est  troublée  par  des  lésions  con- 
comitantes dues  à  la  paralysie  de  l'accommodation  ou  d'une  des  bran- 
ches oculo-motrices  extrinsèques. 

Causes  :  A  rencontre  de  ce  qui  a  lieu  pour  l'accommodation,  l'âge 
n'exerce  aucune  influence  sur  les  mouvements  de  la  pupille  ;  toute 
mydriase  doit  être  considérée  comme  pathologique,  chez  les  jeunes 
comme  chez  les  vieux. 

La  dilatation  pupillaire  peut  résulter  d'une  affection  du  globe  oculaire: 
un  traumatisme,  un  glaucome,  une  cécité  binoculaire.  Ces  causes  sont 
faciles  à  retrouver,  car,  en  ce  cas,  le  globe  oculaire  présente  des  lésions 
évidentes,  le  malade  accuse  un  trouble  visuel  concomitant,  et  donne 
des  renseignements  précis  sur  les  circonstances  dans  lesquelles  sur- 
vinrent les  lésions  de  l'œil. 

Chacun  sait  que  certaines  substances  chimiques  comme  l'atropine,  l'ho- 
matropine,  la  duboisine,  l'hyoscyamine,  la  scopolamine,  donnent  une 
dilatation  pupillaire  paralytique,  tandis  que  la  cocaïne  produit  une 
mydriase  spasmodique. 

Le  chloroforme  agit  sur  les  pupilles  d'une  façon  différente  aux  diver- 
ses périodes  de  l'anesthésie.  Au  début,  se  produit  une  mydriase  spas- 
modique avec  conservation  des  réflexes  ;  plus  tard  la  pupille  se  rétrécit 
en  myosis  paralytique  (paralysie  sympathique)  ;  enfin,  s'il  y  a  danger 
de  mort,  la  pupille  se  dilate  à  nouveau,  mais,  cette  fois,  il  s'agit  d'une 
mydriase  paralytique  (paralysie  du  M.  O.  C.)  avec  perte  du  réflexe 
pupillaire. 

Les  infections  générales  ou  intoxications  susceptibles  de  donner  une 
dilatation  pupillaire  ne  sont  pas  très  nombreuses.  La  syphilis  est  de 
beaucoup  la  cause  la  plus  fréquente  de  mydriase  paralytique.  On  la 
rencontre  souvent  seule,  mais  elle  peut,  souvent  aussi,  s'accompagner 
d'une  paralysie  de  l'accommodation    (paralysie  intrinsèque  totale),  ou 


374  l'Oit    \/;h 


d'une  paralysie  des  nerfs  oculo- moteurs  extrinsèques.  Au  contraire,  la 
diphtérie  touche  l'accommodation  sans  atteindre  l'iris,  c'ést-à-dire 
la  pupille  ;  l'accommodation  est  prise  des  deux  côtés  en  même 
temps,  mais  les  pupilles  restent  intactes  des  deux  côtés  et  conservent 
tous  leurs  mouvements  physiologiques.  Certaines  intoxications  alimen- 
taires (botulisme)  produisent  des  dilatations  paralytiques,  d'ordinaire 
associées  aune  paralysie  de  l'accommodation.  La  mydriase  paralytique 
se  rencontre  quelquefois  dans  l'encéphalite  épidémique  ou  névraxite. 
Elle  s'y  présente  avec  des  caractères  assez  particuliers.  Les  pupilles  ne 
sont  cpie  modérément  atteintes,  légèrement  paralysées.  On  n'y  voit 
pas,  comme  dans  la  syphilis,  une  pupille  large  et  immobile  ;  on  ne  s'a- 
perçoit de  la  parésie  que  par  une  légère  dilatation  et  une  dimi- 
nution des  réflexes.  D'autre  part,  les  deux  pupilles  sont  souvent 
touchées  en  même  temps,  d'une  manière  égale  ou  inégale.  Il  y  a  une 
parésie  pupillaire  bilatérale,  analogue  à  la  parésie  bilatérale  des 
paupières  qui  produit  ce  ptosis  incomplet  si  fréquent  dans  certaines 
formes  de  névraxite.  Ce  sont  là,  du  moins,  les  observations  qu'on  a  pu 
faire  dans  les  récentes  épidémies  ;  il  est  possible  que  ces  manifestations 
se  montrent  différentes  dans  d'autres  épidémies.  Dans  la  névraxite,  les 
modifications  pupillaires,  parce  qu'elles  sont  moins  fréquentes  ou 
moins  frappantes,  attirent  moins  l'attention  que  le  ptosis,  la  diplopie, 
ou  même  la  paralysie  de  l'accommodation,  mais  elles  n'en  existent  pas 
moins. 

La  paralysie  de  l'accommodation,  une  paralysie  ou  parésie  double, 
se  présente  avec  les  mêmes  caractères  que  dans  la  diphtérie,  un  peu 
moins  pure,  cependant,  car  il  existe  souvent  d'autres  troubles  moteurs 
(diplopie,  ptosis  ou  parésie  des  pupilles),  et  un  peu  moins  complète  que 
dans  la  diphtérie.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  (pie  ce  syndrome  (paraly- 
sie bilatérale  de  l'accommodation)  qui  ne  se  voyait  (pie  dans  la  diphtérie, 
peut,   maintenant,  se  trouver  aussi  dans  la  névraxite  épidémicpie. 

La  caractéristique  des  paralysies  de  l'encéphalite  épidémique.  c'est 
de  revêtir  le  type  bien  connu  des  paralysies  dissociées  d'origine  nu- 
cléaire. Ainsi  s'explique  leur  dissémination,  en  apparence  capricieuse, 
sur  les  diverses  fonctions  motrices  des  deux  yeux.  Les  lésions  attei- 
gnent non  pas  les  troncs  nerveux,  mais  les  noyaux  et  leurs  fonctions 
nucléaires. 

Beaucoup  d'affections  du  système  nerveux  sont  capables  d'atteindre  la 
pupille,  h' excitation  du  sympathique  cervical  (compression)  fait  appa- 
raître une  mydriase  spasmodique  souvent  accompagnée  d'autres 
symptômes  d'excitation  sympathique  :  élargissement  de  la  lente  palpe- 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE  375 


brale,  exophtalmie,  pâleur  et  refroidissement  de  la  moitié  correspon- 
dante de  la  face. 

La  paralysie  du  M.  O.  C.  produit,  au  contraire,  une  mj-driase  para- 
lytique. Cette  mydriase  peut  être  accompagnée  de  la  paralysie  de  tout 
ou  partie  du  M.  O.  C  (ptosis,  strabisme,  diplopie),  mais  elle  peut 
exister  seule,  localisée  à  la  portion  pupillaire  du  M.  O.  C. 

Un  grand  nombre  de  maladies  nerveuses  systématisées,  et  surtout  celles 
qui  viennent  de  la  syphilis,  comme  le  tabès  et  la  paralysie  générale,  pré- 
sentent souvent,  parmi  leurs  manifestations,  une  mydriase  paralytique. 

Une  mydriase  unilatérale  ou  inégale,  peut  se  voir  au  début  ou  au 
cours  des  méningites,  des  abcès  du  cerveau,  des  tumeurs  cérébrales. 

Une  mydriase  spasmodique  bilatérale  peut  être  observée  dans  un 
assez  grand  nombre  de  circonstances  :  dans  les  névroses,  l'hystérie, 
l'épilepsie,  particulièrement  au  moment  des  accès  ;  dans  certaines 
maladies  mentales  aux  périodes  d'excitation.  On  la  voit  aussi  dans 
l'urémie  convulsive,  certains  accès  de  d3Tspnée,  dans  les  efforts  violents 
de  vomissement  ;  dans  certaines  névralgies  de  la  tète,  dans  l'excitation 
pathologique  ou  expérimentale  des  nerfs  sensitifs  périphériques. 

Dans  la  pratique,  il  faut  suivre  les  règles  suivantes  : 

La  mydriase  paralytique  (qui  n'est  pas  due  à  une  aïïection  du  globe 
ou  à  1  instillation  d'une  substance  mydriatique)  permet  de  dire 
d'une  manière  ferme,  indiscutable,  qu'il  existe  une  lésion  sérieuse  du 
système  nerveux. 

L'existence  d'une  mydriase  paralytique  nous  oblige  à  rechercher 
immédiatement  d'autres  signes  d'une  lésion  organique  du  système  ner- 
veux. Habituellement,  on  trouvera  le  tabès,  la  paralysie  générale,  assez 
souvent  une  autre  lésion  de  l'encéphale  :  tumeur  ou  méningite.  Quel- 
quefois, souvent  même,  on  ne  trouve  aucune  affection  nerveuse  systé- 
matisée. Cela  ne  diminue  pas  la  valeur  séméiologique  de  la  mydriase 
paralytique,  car  elle  est  souvent  le  premier  symptôme  d'une  lésion 
nerveuse  qui  va  s'étendre  et  aboutir  au  tabès,  à  la  paralysie  générale 
ou  à  une  autre  forme  de  syphilis  cérébro-spinale. 

Par  suite  de  sa  fréquence  dans  la  syphilis,  la  m}rdriase  paralytique  ne 
constitue  pas  seulement  un  signe  certain  de  lésion  nerveuse,  mais  encore 
un  signe  presque  certain  de  syphilis. 

RÉTRÉCISSEMENT  PUPILLAIRE 
(Myosis). 

Symptômes.  —  Le  rétrécissement  des  pupilles  comme  leur  dilatation 
présente  à  l'état  normal  de  grandes   variations  ;   des  sujets  bien   por- 


376  POl  l    \l;i> 


tants  ont  les  pupilles  étroites  ou  des  pupilles  larges,  sans  qu'on  puisse 
trouver  à  ces  différences  une  raison  pathologique  valable. 

Le  rétrécissement  pupillaire  bilatéral  ne  permet  donc  pas,  à  lui  seul, 
d'affirmer  avec  certitude  la  nature  pathologique  du  myosis. 

Cependant,  si  le  rétrécissement  bilatéral  est  très  accentué,  si  les  pu- 
pilles rétrécies  ne  se  dilatent  pas  ou  se  dilatent  à  peine  dans  l'ombre,  on 
rsl  en   droit    de  considérer  le  myosis  comme  pathologique. 

Très  souvent,  le  myosis  n'est  pas  isolé;  il  présente  certaines  particu- 
larités surajoutées  ou  quelques  symptômes  associés  qui  dénotent  sa 
nature  pathologique. 

Il  peut  être  unilatéral  ou  inégal,  c'est-à-dire  plus  accentué  d'un  côté 
que  de  l'autre,  donnant  ainsi  une  inégalité  pupillaire. 

Le  myosis  d'un  côté  peut  être  associé  à  une  mydriase  de  l'autre  œil  ; 
il  en  résulte  encore  une  inégalité  pupillaire  marquée. 

Enfin,  il  est  fréquent  de  constater  en  même  temps  des  troubles 
réflexe  de  la  pupille,  par  exemple,  la  perte  du  réflexe  à  la  lumière 
|  signe  d'Argyll-Robertson). 

D'une  manière  générale,  quand  le  myosis  est  pathologique,  le  jeu  des 
réflexes  de  la  pupille  est  nul  ou  très  faible.  La  pupille,  petite  àla  lumière 
vive,  reste  petite  dans  l'ombre  ou  dans  l'obscurité.  Cette  fixité  de  la 
pupille,  qui  reste  en  myosis  aux  divers  éclairages,  démontre  la  nature 
pathologique  du  rétrécissement  pupillaire. 

Le  myosis  est  quelquefois  si  accentué  que  les  pupilles  sont  comme 
un  petit  point  noir  (punctiformes)  ;  malgré  cela,  le  trouble  visuel  qui 
en  résulte  n'est  guère  appréciable.  Il  est  certain  que  la  lumière  pénètre 
moins  facilement  dans  l'œil  et  que  les  objets  extérieurs  paraissent 
moins  lumineux,  mais,  d'une  manière  générale,  les  malades  ne  se  plai- 
gnent pas. 

Causes.  — Quelques  affections  duglobe  oculaire, Yiv'itis,  lessynéchies  ou 
adhérences  de  l'iris  à  la  faceantérieurc  du  cristallin  peuvent  mettre  la 
pupille  en  rétrécissement  ou  l'y  maintenir  (synéchies).  Mais,  il  est  tou- 
jours facile  de  voir  l'iritis  et  les  adhérences  iriennes  sur  le  pourtour 
pupillaire  (fig.  2). 

L'instillation  dans  l'œil  de  certaines  substances  chimiques,  comme  la 
pilocarpine et l'ésérine,  donnent  un  rétrécissement  pupillaire  ;  d'autres 
substances,  introduites  dans  L'organisme,  comme  la  nicotine  et  l'opium, 
produisent  aussi  du  myosis. 

Dans  le  sommeil  chloroformique,  de  même  que  dans  le  sommeil  nor- 
mal, les  pupilles  sont  rétrécies. 

Au  cours  ou  à  la  suite  de  certaines   infections  on   intoxications  gêné- 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE 


377 


raies,  il  peut  se  produire  un  myosis  bilatéral.  Cela  se  voit  dans  l'urémie, 
l'intoxication  par  le  tabac  ou  l'opium. 

La  syphilis  peut  aussi  donner  un  myosis  ;   c'est  ce   qu'avait  constaté 


A    ,oq 


w- — 


\ 


.  Voies  constrictives 

""""  *  "*~     Voies  irido-dilatatrices 
—  " *"" *     Voies  vaso-motrices 

Fig.  1.  —  Schéma  pour  expliquer  le  mécanisme  des  mouvements  pupillaires  :  A,  pédoncules  céré- 
braux ;  C,  protubérance  ;  B,  bulb»  :  M,  moelle  ;  GS,  ganglion  sympathique  cervical  ;  GG,  ganglion 
de  Gasser  et  origine  des  trois  branches  du  trijumeau  ;  S,  branche  ophtalmique  du  trijumeau  ;  M, 
moteur  oculaire  commun  ;  V,  carotide  ;  GO,  glanglion  ophtalmique  ;  I,  iris,  avec,  c,  le  constricteur 
et,  d,  le  dilatateur. 


Argyll-Robertson,  dont  le  signe  est  constitué  par  des  pupilles  rétrécies 
ne  réagissant  pas  à  la  lumière,  tandis  qu'elles  restent  mobiles  dans 
l'acte  de  l'accommodation. 

Dans  un  grand  nombre  d'affections  du  système  nerveux,  on  observe 
du  myosis. 

Le  syndrome  classique  de  la  paralysie  du  sympathique  cervical  est 
caractérisé  par  un  myosis  paralytique,  souvent  accompagné  de  rétré- 
cissement de  la  fente  palpébrale,  d'énopbialmie  modérée,  et  de  con-. 
gestion  de  la  moitié  correspondante  de  la  face. 

La  syphilis  cérébro-spinale  sous  ses  formes  diverses  (tabès,  para- 
lysie générale,  etc.),  est,  parmi  les  maladies  nerveuses,  la  cause  la  plus 
fréquente  du  myosis. 

INÉGALITÉ    PUPILLAIRE 

L'inégalité  pupillaire,  facile  à  constater  quand  elle  est  accentuée,  peut 
passer  inaperçue  si  elle  est  peu  accusée,  et  si  on  n'a  pas  soin  d'examiner 
les  pupilles  dans  des  conditions  d'éclairage  différentes  (lumière  du 
jour,  lumière  artificielle,  chambre  noire). 

Quand  les  pupilles  sont  immobilisées  en  mydriase  ou  en  myosis,  ces 
examens  à  divers  éclairages  n'ont  pas  d'utilité.  Mais,  si  les  deux  pu- 
pilles réagissent  à  la  lumière,  si  l'une  d'elles  réagit  tandis  que  l'autre 
reste  immobile,  ou  encore,  si,  mobiles  l'une  et  l'autre,  elles  réagissent 
inégalement,  la  différence  entre   les  deux  pupilles,    imperceptible  à  un 


378  POl  l    IRD 


éclairage  donné,  peut  devenir  appréciable  à  un  éclairage   moindre  ou 
plus  grand. 

Supposons,  par  exemple,  (pie  nous  examinions  un  malade  ayant 
l'œil  droit  sain  et  l'œil  gauche  en  mydriase  moyenne  et  fixe.  A  une 
lumière  faible  la  pupille  droite  moyennement  dilatée  devient  égale  à  la 
gauche  ;  à  un  vif  éclairage  elle  sera  plus  petite  et  donnera  une  inégalité 
pupillaire  évidente  ;  à  un  éclairage  nul,  à  l'ombre  de  la  chambre  noire, 
elle  sera  plus  grande,  d'où  une  nouvelle  inégalité  pupillaire  en  sens 
inverse  de  l'inégalité  produite  à  la  lumière  vive. 

Les  causes  de  l'inégalité  pupillaire  sont  les  mêmes  que  celles  de  la 
mydriase  et  du  myosis  lorsque  la  mydriase  et  lemyosis  se  montrent  sur 
un  seul  œil  ou  sur  les  deux  inégalement. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  a  eu  l'idée  d'explorer,  comparativement,  la 
motilité  des  pupilles  en  instillant  dans  les  deux  yeux  un  mydriatique  ou 
un  myotique.  C'est  une  idée  ingénieuse,  une  méthode  qui,  perfectionnée, 
servira,  peut-être,  un  jour.  Mais,  pour  le  moment,  il  convient  de  ne 
l'utiliser  qu'avec  réserve.  J'ai,  moi-même,  il  y  a  longtemps,  cherché  à 
tirer  parti  de  ce  procédé  d'exploration.  Mais  j'ai  dû  l'abandonner 
parce  que,  sur  les  sujets  normaux,  on  obtenait  des  dilatations  inégales 
en  rapidité  comme  en  dimension. 

Il  en  sera  sans  doute  autrement  le  jour  où  on  pourra  doser  exacte- 
ment la  substance  chimique  instillée  dans  les  yeux  et  en  assurer  l'ab- 
sorption simultanée  des  deux  côtés. 

IMMOBILITÉ   PUPILLAIRE 

(Fixité,    rigidité    des  pupilles.) 

On  rencontre  des  pupilles  complètement  immobilisées  à  des  degrés 
variables  de  dilatation,  plus  souvent  dans  un  état  de  dilatation 
moyenne.  La  pupille  s'est  pour  ainsi  dire  fixée,  figée,  dans  cette  posi- 
tion d'inertie.  Aucun  mouvement  ne  se  produit  sous  l'influence  de  la 
lumière  ou  de  l'accommodation,  ni  constriction  ni  dilatation.  Ces  pu- 
pilles sont  souvent  déformées  ;  le  bord  pupillaire  n'est  plus  parfai- 
tement circulaire,  il  est  un  peu  ovalaire  ou  polycyclique,  sans  pointes 
aiguës  comme  dans  les  synéehies  de  l'iritis.  Ces  déformations  de  la 
pupille  viennent  d'altérations  dans  la  structure  de  l'iris. 

Cette  immobilité  pupillaire  se  distingue  de  la  mydriase  paralytique. 
Celle-ci  résulte  d'une  paralysie  du  sphincter  de  l'iris;  la  pupille  est 
bien  immobile  à  toutes  les  excitations,  mais  elle  l'est  du  seul  fait  de  la 
paralysie  sphinctérienne,  l'iris  n'est  le  siège  d'aucune  altération  de 
structure,  il  est  intact   ;  et,  si  le    filet    nerveu\    irido-moteur    se    régé- 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE 


379 


nère,  la  motilité  pupillaire  revient,  complète.  D'ailleurs,  on  ne  voit 
jamais,  dans  la  simple  paralysie,  la  déformation  pupillaire  qui  est  habi- 
tuelle dans  l'immobilisation  pupillaire. 

L'immobilisation  pupillaire  s'accompagne  donc  d'altérations  de  la 
substance  même  de  l'iris  ;  et  l'on  comprend  que  la  fixité,  la  rigidité  qui 
en  résultent  soient  définitives  puisqu'elles  proviennent  d'un  change- 
ment dans  la  structure  même  de  l'iris. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  remarquer  la  grande  différence  qui  existe 
entre  le  signe  d'Argyll-Robertson  et  l'immobilisation  pupillaire. 

L'iris  qui  présente  le  signe  d'Argyll-Robertson  a  conservé  sa  sou- 
plesse et  son  élasticité,  puis- 
qu'il se  contracte  quand  l'œil 
regarde  de  près,  et  se  dilate 
quand  l'œil  regarde  au  loin.  Il 
estintactdansle  signe  d'Argyll- 
Robertson,  tandis  qu'il  présente 
des  lésions  indéniables  dans 
l'immobilisation  pupillaire  ;  le 
signe  d'Argyll-Robertson  est 
un  trouble  purement  nerveux 
siégeant  sur  l'arc  réflexe  photo- 
moteur. C'est  donc  une  erreur 
de  dire  qu'un  œil   présente   le 

Signe  d'Argyll-RobertSOn  quand  Fig.     2.    -    /Hn'.s-  (photographie).    La  pupille   est   irré- 

i                 .ii                        i   -i.     ,                    .  gulière,  déformée,  mal  limitée  sur  les  bords.  L  œil  est 

la   pupille,  immobilisée,  ne  rea-  d'ailleurs     rouge,    enflammé.    On    voit  autour    de  la 

tfît     ni     ô     In   lmniprp     ni      -i     l'nr-  cornée  un   anneau    de    vascularisation    perikératique, 

glt,   ni     a     la   lUllliere,   ni     a    I  ac  ainsi  que  des    vaisseaux  nombreux    cheminant  sur   la 

COmmodation  surface  blanche  du  globe  oculaire. 

Valeur  séméiologique.  —  Une 
immobilisation  pupillaire  complète  d'ailleurs  différente  de  celle  que  je 
viens  de  décrire,   peut  se  rencontrer  dans  certaines  affections  du  globe 
oculaire. 

Le  glaucome,  à  une  période  avancée  de  son  évolution,  donne  une  dila- 
tation pupillaire  avec  perte  de  tous  les  mouvements  de  l'iris  ;  souvent 
même,  il  existe  une  déformation  du  bord  pupillaire  qui  devient  régu- 
lièrement circulaire  ;  de  plus,  on  note  d'ordinaire,  en  même  temps,  un 
changement  d'aspect  de  l'iris  qui  témoigne  d'une  altération  dans  sa 
structure.  Il  existe  toujours,  en  ce  cas,  des  signes  de  glaucome  évidents, 
même  pour  le  médecin  non  spécialisé. 

Dans  Viritis (fig.  2),  le  bord  pupillaire  peut  présenter  dans  toute  ou 
presque  toute  son  étendue,  des  adhérences  au  cristallin  ;  la  pupille  se 


380 


POl   I    Mil' 


trouve  ainsi  fixée,  incapable  de  se  rétracter  ou  de  se  dilater.  Mais,  en  ce 
cas,  des  signes  particuliers  permettent  de  reconnaître  Facilement  que 
l'iris  est  simplement  retenu  par  des  adhérences  inllammatoires.il  existe 
ou  il  a  existé  peu  de  temps  auparavant  une  inflammation  du  globe  ;  les 
adhérences  du  bord  pùpillaire  se  voient  à  la  simple  inspection  ;  fré- 
quemment, le  champ  pùpillaire  est  le  siège  de  petites  taches,  exsudats 
de  l'iris  D'ailleurs,  il  est  souvent  facile  de  constater  que  l'iris  n'a  pas 
perdu  sa  mobilité  ;  si  on  fait  l'éclairage  de  l'œil,  le  bord  pùpillaire 
adhérent  reste  bien  immobile,  mais  l'iris  bouge,  on  voit  à  sa  surface 
apparaître  des  contractions  fibrillaires  au  moment  où  la  lumière  frappe 

l'œil.  Enfin,  si  on  soumet  l'œil 
à  l'épreuve  de  l'atropine,  on 
voit,  dans  l'immobilisation  d'o- 
rigine nerveuse,  la  pupille  se 
dilater,  tandis  qu'elle  reste 
étroite  dans  l'adhérence  par 
iritis.  Si  elle  se  dilate  dans 
l'iritis,  c'est  d'une  façon  irrégu- 
lière et  seulement  dans  les  en- 
droits où  le  bord  de  l'iris  n'est 
pas  attaché  au  cristallin  ;  la 
pupille  prend  alors  un  aspect 
_.     _         _,  ,  irrégulier  avec  des  pointes  ren- 

r'8-    o     —    Mydriase   traumatique   (photographiée     La  . 

pupille  est  dilatée  et  on  perçoit   sur  le  bord    pùpillaire     trailtcS  aillUVeaudeS  SVlléehieS 
de  petites  encoches  qui  sont  des  ruptures  de  l'iris.  /(.         ., , 

(fig-  !)• 

Une  immobilisation  pùpil- 
laire peut  encore  se  produire  à  la  suite  de  contusions  violentes  du  globe 
amenant  une  rupture  du  sphincter  (mydriase  traumatique)  ;  mais,  en 
ce  cas,  outre  les  commémoratifs  de  traumatisme,  il  existe  d'ordinaire 
de  petites  encoches  ou  incisures  sur  le  bord  pùpillaire,  marque  de 
rupture  (fig.  3). 

Il  suffit  d'être  prévenu  de  ces  immobilisations  pupillaires  dans  cer- 
taines affections  du  globe  oculaire  pour  les  distinguer  facilement  des 
immobilisations  pupillaires  d'origine  nerveuse  qui  sont  indépen- 
dantes de  toute  affection  du  globe  oculaire  lui  même. 

Une  immobilisation  pùpillaire  d'origine  nerveuse  signifie  qu'il  existe, 
à  coup  sûr,  une  lésion  organique  (\i\   système  nerveux   ;  je  crois  même 

qu'on  peut  ajouter  :  une  lésion  nerveuse  d'origine  syphilitique.  Elle   a 

une  valeur  égale  au  signe  d'Argyll-Kobertson  pour  diagnostiquer  une 
lésion    nerveuse  et  sa  nature    spécifique.  Il    est    rare    d'ailleurs     qu'elle 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE 


381 


existe  à  l'état  isolé  ;  presque  toujours  on  retrouve  facilement  d'autres 
signes  de  syphilis  cérébro-spinale  (abolition  ou  exagération  des  ré- 
flexes, signe  de  Romberg,  douleurs  fulgurantes  déjà  passées,  troubles 
mentaux). 

DÉFORMATION  PUPILLAIRE 

La  déformation  pupillaire  est  un  signe  assez  fréquent  de  lésion  ner- 
veuse de  l'œil  ;  elle  présente  d'ailleurs  des  caractères  assez  particu- 
liers. 

Elle  accompagne    presque   toujours    l'immobilisation  pupillaire.  La 


Fig.  4. 


Colabome   congénital  de  l'iris    (photographie).    La  pupille  en  forme  de  poire  conserve 
sa  mobilité  normale. 


pupille,  plus  ou  moins  dilatée,  d'ordinaire  en  dilatation  moyenne,  est 
inerte,  sans  réaction  aucune,  pas  plus  à  la  lumière  qu'à  l'accommoda- 
tion ;  elle  prend  une  forme  ovaïaire,  ou  polycyclique,  mais  ne  présente 
jamais  de  pointes  ou  d'angles  rentrants  aigus  comme  on  en  voit  dans 
les  déformations  pupillaires  à  la  suite  d'iritis  ;  la  courbe  qui  borde  ht 
pupille  présente  bien  quelques  ondulations,  mais  toujours  peu  accen- 
tuées  et  très  douces. 


roi  i. Min 


Cette  déformation  de  la  pupille,  jointe  à  son  immobilisation  (absence 
de  réflexe),  est  un  signe  de  lésion  nerveuse  syphilitique,  elle    s'accom- 


Fig  5.  —  Leucome  adhèrent  (photographie)  L'œil  a  été  perfora  dans  le  point  où  l'on  voit  une 
tache  blanche  (cicatrice),  un  leucome.  L'humeur  aqueuse  s'est  échappée  entraînant  l'iris  dont  le 
bord  est  venu  adhérera  l'orilice  de    perforation.  De  là  une  déformation  particulière    de    la  pupille. 

pagne  presque  toujours  de  troubles   plus  ou  moins   accentués  dans  le 
reste  du  système  nerveux. 

Des  déformations  pupillaires  se  rencontrent  dans  plusieurs  affections 
du  globe  oculaire,  mais,  le  plus  souvent,  la  motilité  pupillaire  est  con- 


Fig     6.         Désinsertion  </<•    l'irip  ou  irldoiialgse  (photographie).  A  la  suite  d'une  contusion  du  g'obe 
oculaire  I  iris   s'est  déùnséré  à  s:i  périphérie    Dans  la  partie  correspondante  «   celte  dés  nserlion,  le 

bord  pupillaire    a     glissé     vers     le    centre  île    la    pupille,  donnant     ainsi     une     déformation     tiesp.uti 
culière  de  la  pupille. 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE  383 

servée  (déformations  congénitales,  fig.  4;  enclavements  de  l'iris,  fig.  5  ; 
synéehies  à  la  suite  d'iritis,  fig.  2  ;  glaucome  ;  traumatismes,  fig.  3  et 
fig.  6).  Cependant,  dans  certains  glaucomes  anciens,  la  pupille  peut  être 
complètement  immobile  ;  il  en  est  de  même  dans  quelques  iritis  avec 
adhérence  complète  du  bord  pupillaire  au  cristallin  ;  enfin,  de  fortes 
contusions  du  globe,  en  rompant  le  sphyncter  irien,  et  en  désinsérant 
l'iris  sur  un  point  de  son  pourtour  (iridodialyse),  peuvent  donner  une 
déformation  avec  immobilisation  complète  de  la  pupille  Mais,  toutes 
ces  déformations  à  la  suite  d'affections  du  globe  oculaire  peuvent  être  fa- 
cilement reconnues  et  diagnostiquées.  (V.  Immobilisation  pupillaire  ) 

TROUBLES    RÉFLEXES    DE    LA    PUPILLE 

Les  pupilles  normales  sont  en  mouvement  continuel  ;  leurs  dimen- 
sions varient  d'un  instant  à  l'autre,  elles  se  dilatent  et  se  contractent 
alternativement  sous  des  influences  diverses  :  la  lumière,  l'obscurité, 
l'accommodation,  la  convergence,  une  sensation  cutanée  agréable  ou 
pénible,  une  émotion,  une  pensée. 

Tous  ces  mouvements  se  font  sans  l'intervention  de  la  volonté,  par  le 
mécanisme  inconscient  du  réflexe. 

Le  jeu  normal  de  ces  réflexes  est  souvent  altéré  sous  des  influences 
pathologiques  variées,  et,  particulièrement,  dans  un  grand  nombre  de 
maladies  touchant  le  S37stème  nerveux.  On  conçoit  toute  l'importance 
séméiologique  de  ces  modifications  dans  les  mouvements  pupillaires, 
non  seulement  à  cause  de  leur  fréquence,  mais  encore  en  raison  de 
leur  précision  et  de  la  facilité  avec  laquelle  on  peut  les  mettre  .en  évi- 
dence. Parmi  ces  réflexes,  il  en  est  dont  la  valeur  séméiologique  est 
moindre  ;  je  les  laisse  de  côté,  pour  limiter  mon  sujet  à  l'étude  du 
réflexe  à  la  lumière  et  du  réflexe  à  l'accommodation. 

Réflexe  à  la  lumière.  • 

Chaque  fois  que  la  lumière  est  projetée  dans  1  œil  normal,  la  pupille 
se  rétrécît  ;  elle  se  dilate  à  nouveau  quand  l'éclairage  de  l'œil  cesse 
et  que  l'œil  se  retrouve  dans  l'ombre.  C'est  là  le  réflexe  à  la  lumière.  Il 
se  produit  en  même  temps  dans  les  deux  yeux,  même  si  la  lumière 
n'atteint  qu'un  seul  œil  ;  c'est  ce  qu'on  exprime  en  disant  que  le  réflexe 
est  consensuel. 

Signification.  —  La  perte  du  réflexe  lumineux  est,  presque  toujours,  la 
conséquence  d'une  lésion  du  système  nerveux.  Toutefois,  ainsi  que  nous 
t'avons  vu  à  propos  de  la  mydriaseet  du  myosis,  on  peut  observer  la 
perte  du  réflexe  lumineux  dans  certaines  affections    du  globe  oculaire 


184 


POl   I.AHl) 


même,  quand  l'iris  est  altéré  directeme  nt  (iritis,  glaucome  etc.)  ou   par 
suite  de  [action  de  certaines  substances  chimiques,  comme  l'atropine  qui 

met  la  pupille  en  my- 
driase  paralytique. Les 

lésions  nerveuses  qui 
modifient  le  réflexe 
lumineux  siègent  en 
un  point  variable  de 
l'are  réflexe  lumineux, 
dont  la  voie  centripète 
est  formée  par  la  ré- 
tine, le  nerf  optique, 
le  chiasma  et  les  ban- 
delettes, le  centre  ré- 
flexe par  les  noyaux 
du  mésocéphale,  et  la 
voie  centrifuge  par  le 
M.O.  C.  (Fig.  7.) 

L'étude  du  réflexe  à 
la  lumière,  en  se  ba- 
sant sur  ces  notions 
anatomiques  et  phy- 
siologiques, nous  four- 
nit des  renseignements 
précis  pour  localiser 
les  lésions  cérébrales. 

Si,  par  exemple,  il 
existe  une  cécité  com- 
plète, avec  persistance 
des  réflexes  pupillaires 
à  la  lumière,  on  doit 
admettre  que  la  cécité 
vient  d'une  lésion  des 
voies  optiques  en  ar- 
rière de  lare  réflexe. 
au  delà  des  noyaux 
réflexes    du    mésocé- 

rig.    7.  —    Schéma    des  voies    optiques  et  de  lare  réflexe.   N.   nerf 

optique;  R,  noyaux  réflexes  du  mésocéphale  ;  GO,  ganglion  ophtnl-  pltalc,   Cil  t  l'C  CCUX-C1   et 

inique.  En  trait  plein  :  voies  optiques  de  gauche.  1,  2,  :>,   l.  Fibres  .,  i       î 

d'association  entre  les  noyaux   réflexes  et  les  noyaux  d'origine  des  I  eCOrCe  Cérébrale. 
nerfs    oculo  moteurs.     5     et    G,    Fibres    oculo-motricei  ,    i,    iiis  ;  .  .  ■ 

c,  corps  ciliaire.  Quand,  au  contraire, 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE  385- 

l'aveugle  n'a  plus  de  réflexes,  on  en  conclut  que  la  lésion  siège  sur  l'arc 
réflexe,  sur  la  portion  centripète  de  cet  arc  (rétine,  nerf  optique, 
chiasma,  bandelettes). 

On  conçoit  que  l'examen  des  réflexes  puisse  encore  permettre  de 
distinguer  une  cécité  réelle  par  lésion  organique  des  voies  optiques 
pré-mésencéphaliques,  d'une  cécité  simulée  ou  d'une  amaurose  hysté- 
rique. 

Les  réflexes  pupillaires  manquent  dans  la  cécité  par  lésion  des  voies 
optiques  en  avant  des  noyaux  réflexes  du  mésocéphale  (rétine,  nerf 
optique,  chiasma,  bandelettes).  Les  réflexes  pupillaires  persistent  dans 
la  cécité  par  lésion  des  voies  optiques  en  arrière  du  mésocéphale 
(cécité  corticale),  affection  assez  rare,  venant  d'une  double  hémianop- 
sie  ;  ils  persistent  encore  dans  la  cécité  simulée  et  dans  l'amaurose 
hystérique. 

On  peut,  cependant,  sans  qu'il  existe  aucune  lésion  apparente  de  la 
voie  optique  centripète  (nerfs  optiques)  ou  centrifuge  (M.  O.  C),  cons- 
tater l'absence  isolée  du  réflexe  à  la  lumière,  sans  que  l'iris  cesse  de  se 
contracter  normalement  pour  toute  autre  excitation  (convergence,  accom- 
modation, irritation  cutanée).  La  voie  centripète  est  intacte,  puisque  le 
sujet  voit  normalement  ;  la  voie  centrifuge  paraît  l'êtreaussi,  puisque  la 
pupille,  toujours  mobile,  se  contracte  pour  toute  excitation  autre  que 
l'excitation  lumineuse. 

On  a  donné  de  ce  fait  des  explications  théoriques  sans  grande  valeur 
réelle.  Mais,  quoique  encore  inexpliquée,  cette  perte,  isolée  et  exclu- 
sive, du  réflexe  à  la  lumière,  constitue  un  signe  classique  important 
décrit  sous  le  nom  d'Argyll-Robertson. 

Signe  d'Argyll-Robertson. —  Malgré  ses  caractères  précis,  il  ne  semble 
pas  que  tous  les  médecins  aient  une  notion  exacte  du  signe  d'Argyll- 
Robertson.  Il  n'est  donc  pas  inutile  de  le  définir  une  ibis  de 
plus. 

Le  symptôme  décrit  par  Argyll-Robertson  était  caractérisé  par  une 
pupille  en  myosis,  mobile  à  1  accommodation  et  immobile  à  la  lumière. 
Le  myosis  faisait  partie  du  syndrome.  Avec  raison,  ce  syndrome  a  été 
étendu  à  tous  les  cas  où,  sans  myosis.  la  pupille,  mobile  à  l'accommo- 
dation, reste  immobile  à  la  lumière.  Le  signe  d'Argyll-Robertson  ainsi 
amplifié,  serait  donc  constitué  par  la  perte  du  réflexe  pupillaire  à  la 
lumière,  tandis  que  le  réflexe  à  l'accommodation  est  intégralement  con- 
servé 

Dans  le  signe  d'Argyll-Robertson,  la  pupille  n'est  donc  point  para- 
lysée, l'iris  conserve  toute  sa  souplesse  et  toute  sa   mobilité,    il    réagit 

CONFÉn.   NEUUOL.  2j 


186  POULARD 

(l'une  manière  normale  à  l'accommodation  et  aux  autres  excitations 
réflexes  ;  seule,  la  lumière  laisse  la  pupille  indifférente. 

Dans  la  mydriase paralytique,  et  dans  l'immobilisation  pupillaire,  la 
pupille  ne  réagit  pas  à  la  lumière,  mais  elle  ne  réagit  pas  non  plus  à 
l'accommodation,  elle  ne  bouge  sous  aucune  influence;  ce  n'est  donc 
pas  un  signe  d'Argyll-Robertson. 

Beaucoup  d'erreurs  dans  les  discussions  et  dans  l'interprétation  des 
observations  viennent  de  ce  que  le  signe  d'Argyll-Robertson  est  mal 
compris  ou  mal  observé.  (L'est  au  point  (pie,  lorsqu'une  observation 
signale  le  signe  d'Argyll-Robertson  on  est  obligé  de  se  demander  ce 
cpie  l'observateur  entend  par  ce  signe  ;  quand  un  auteur  rapporte  un 
cas  de  guérison  du  signe  d'Argyll,  il  convient  de  rester  dans  le  doute, 
et  de  se  demander  si  l'observateur  a  bien  constaté  ce  signe  dans  son 
premier  examen.  Je  suis  d'ailleurs  fortement  porté  à  croire  qu'il  n'existe 
aucun  cas  de  guérison  du  signe  d'Argyll-Robertson,  et  que  les  cas  rap- 
portés sont  des  erreurs  d'observation. 

Quoi  qu  il  en  soit,  le  signe  d'Argyll  présente  une  valeur  séméiolo- 
gique  considérable,  il  est  une  des  manifestations  les  plus  précises  du 
tabès,  de  la  paralysie  générale,  et  autres  formes  de  syphilis  cérébro- 
spinale. C'est  un  signe  de  syphilis  nerveuse. 

Je  n'ai  jamais  rencontré  ce  signe  en  dehors  de  la  syphilis  nerveuse, 
mais  il  n'est  pas  impossible  que  d'autres  maladies  nerveuses  puissent  le 
produire.  Si  le  signe  d'Argyll  se  présente  en  dehors  de  la  syphilis 
nerveuse,  il  doit  subir  un  double  contrôle  :1e  premier  consiste  à  préci- 
ser les  caractères  du  signe  constaté,  à  ne  pas  se  contenter  dédire  «  Signe 
d'Argyll  »  ;  le  second  consiste  à  éliminer  entièrement  la  syphilis  par 
des  moyens  plus  valables  que  les  réactions  actuelles  du  sang  ou  du 
liquide  céphalo-rachidien.  Sans  ces  deux  garanties  on  ne  peut  tenir 
compte  de  l'observation. 

Réflexe  à  la  vision  proche. 

(Réflexe  à  l'accommodation.) 

Chaque  fois  que  les  yeux  passent  de  la  vision  lointaine  à  la  vision 
proche,  les  pupilles  se  contractent  ;  l'inverse  se  produit  quand  le  regard 
passe  de  la  vision  proche  à  la  vision  lointaine  :  la  pupille  se  dilate. 
On  donne  encore  à  ce  réflexe  le  nom  de  réflexe  à  l'accommo- 
dation OU  réflexe  à  la  convergence.  Pour  le  mettre  en  évidence, 
on  demande  d'abord  au  malade  de  regarder  au  loin,  puis  on  l'in- 
vite à  porter  rapidement  son  regard  sur  un  objet  rapproché  (30  ou 
10  cm.),  par  exemple  le  ne/.  OU  le  menton  de  l'obseï  \  atcur.  On  voit  alors 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  PUPILLE  387 

les  pupilles  se  rétrécir  ;  elles  se  dilatent  à  nouveau  quand  les  yeux  ces- 
sent de  fixer  le  nez  de  l'observateur  pour  regarder  au  loin. 

Ce  réflexe  fait  défaut  dans  tous  les  cas  de  «  mydriase  paralytique  »  et 
dans  tous  les  cas  «  d'immobilisation  pupillaire  ».  Il  peut  exister  dans 
certains  cas  où  la  pupille  ne  régit  plus  à  la  lumière.  C'est  cette  disso- 
ciation qui  constitue  le  signe  d'Argyll-Robertson. 

Il  est  possible  que  le  réflexe  à  la  vision  rapprochée  puisse  manquer 
sans  qu'il  y  ait  paralysie  complète  de  l'iris,  alors  que  l'iris  réagit 
encore  à  la  lumière,  constituant  une  dissociation  analogue  au  signe 
d'Argyll,  mais  en  sens  inverse 

Je  n'en  sais  rien  ;  je  n'ai  jamais  vu  semblable  manifestation,  et  je 
ne  crois  pas  qu'on  l'ait  jamais  rencontrée.  Mais  ce  que  je  sais 
bien,  c'est  que  ce  signe  que  l'on  donne  dans  les  traits  classiques, 
comme  une  caractéristique  de  la  diphtérie  nerveuse,  ne  s'y  voit 
jamais. 

La  rectification  d'une  pareille  erreur  vaut  la  peine  que  je  m'ex- 
plique. Chaque  fois  que  le  regard  passe  de  la  vision  lointaine  à  la 
vision  proche,  les  yeux  convergent  pour  se  diriger  vers  l'objet  fixé,  ils 
s'accommodent  pour  se  mettre  au  point  sur  ce  même  objet.  Dans  le  pas- 
sage à  la  vision  proche,  trois  phénomènes  se  produisent  en  même 
temps  dans  les  yeux  :  la  contraction  des  pupilles,  la  convergence  des 
yeux  et  l'accommodation,  c'est-à-dire  la  mise  au  point  de  l'appareil 
dioptrique  de  l'œil.  Cette  dernière  fonction,  l'accommodation,  n'a  aucun 
rapport  avec  l'iris  ;  elle  résulte  d'une  contraction  du  muscle  ciliaire  et 
d'une  augmentation  de  courbure  du  cristallin,  ce  quia  pour  effet  de 
mettre  au  point  l'appareil  dioptrique  de  l'œil. 

Bien  qu'ils  se  produisent  en  même  temps  dans  l'acte  de  vision 
proche,  ces  trois  phénomènes  restent  indépendants  les  uns  des  autres  ; 
ils  sont  d'ailleurs  produits  par  des  organes  contractiles  différents  et 
nettement  isolés  les  uns  des  autres  ;  la  contraction  des  pupilles  dépend 
du  sphincter  de  l'iris  ;  l'accommodation,  du  muscle  ciliaire  ;  et  la  con- 
vergence, des  muscles  adducteurs  des  globes.  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
que  ces  trois  fonctions  puissent  être  atteintes  séparément. 

La  convergence,  seule,  est  en  défaut  dans  un  grand  nombre  de  stra- 
bismes  divergents.  L'accommodation  est  atteinte,  isolément,  particuliè- 
rement dans  la  diphtérie.  La  contraction  des  pupilles  cesse  de  se  pro- 
duire dans  toutes  les  circonstances  qui  donnent  la  «  mydriase  paraly- 
tique »  «  ou  l'immobilisation  pupillaire». 

Si  j'insiste  sur  ces  faits,  et,  particulièrement,  sur  l'indépendance  de 
ces  phénomènes,   c'est  pour  en  arriver  à  détruire  une  erreur  classique, 


388  POU  LARD 

que  les  traités  reproduisent  sur  la  foi  les  uns  des  autres  et  que  les 
lecteurs  admettent  sans  discussion. 

Ne  dit-on  pas  que  la  diphtérie  donne  lieu  à  un  symptôme  qui  est 
l'inverse  du  signe  d'Argyll-Robertson  :  dans  le  signe  d'Argyll  la  pupille 
ne  se  contracte  pas  à  l'accommodation;  dans  la  diphtérie,  c'est  l'inverse  , 
la  pupille  se  rétrécit  à  la  lumière,  mais  ne  se  rétrécit  pas  à  l'accommoda- 
tion. C'est  faux  ;  jamais  ce  signe  n'a  existé  dans  la  diphtérie. 

Dans  la  diphtérie,  il  se  produit  une  paralysie  de  l'accommodation,  par 
atteinte  des  nerfs  et  des  musles  accommodateurs  (muscles  ciliaires)  ; 
mais  l'iris  est  intact,  il  se  contracte  à  tous  les  réflexes  et  même  à  celui 
de  la  vision  rapprochée,  qu'on  appelle  encore  réflexe  à  l'accommodation. 
L'accommodation  peut  être  complètement  paralysée,  le  réflexe  se  produit 
quand  même  ;  car,  ce  n'est  pas  la  mise  en  jeu  de  l'accommodation  qui 
déclanche  la  contraction  pupillaire. 

L'accommodation  est  paralysée  dans  la  diphtérie,  mais  rien  autre  n'est 
atteint  autour  d'elle  ;  l'iris  est  intact  et  tous  ces  mouvements  se  font 
admirablement.  Il  ne  saurait  donc  être  question  de  la  perte  du  réflexe 
pupillaire  à  l'accommodation,  ni  à  toute  autre  excitation  d'ailleurs.  Le 
trouble  de  l'accommodation,  si  caractéristique  dans  la  diphtérie,  n'a 
aucun  rapport  avec  l'iris,  ni  aucune  influence  sur  lui,  c'est  même  là  sa 
caractéristique  principale. 

La  diphtérie,  en  atteignant  l'accommodation,  ne  produit  donc  pas  des 
troubles  pupillaires  qui  seraient  «  l'inverse  du  signe  d'Argjll-Robert- 
son  »  ;  elle  donne  une  paralysie  de  l'accommodation,  et  cette  paralysie 
ne  se  manifeste  que  subjectivement,  par  un  trouble  de  la  vision  rappro- 
chée (lecture)  :  jamais  par  un  changement  dans  les  contractions  pupil- 
laires. 


QUATORZIÈME  CONFÉRENCE 

PAR 

Ch.  foix 

médecin   des  hôpitaux  de  Paris. 

L'AUTOMATISME    MÉDULLAIRE 


Messieurs, 

Je  ne  sais  si  vous  vous  rappelez,  de  vos  études  philosophiques,  l'hypo- 
thèse de  ce  philosophe  anglais,  Love,  je  crois,  qui  pensait  qu'à  côté 
du  moi  conscient,  il  existe  un  moi  inconscient,  sorte  de  frère  inférieur 
qui  accomplit  ses  actes  dans  le  silence  et  l'obscurité. 

Les  philosophes  sont  parfois  comme  nos  cérébelleux,  ils  ont  un  peu 
de  dysmétrie  cérébrale,  mais  si  leurs  théories  viennent  alors  à  s'élargir 
à  l'infini,  il  est  rare  qu'elles  ne  contiennent  pas  au  moins  une  part  de 
vérité. 

Il  en  est  ainsi  de  l'hypothèse  qui  nous  occupe  :  à  l'individualité  près, 
le  «  moi  inconscient  »  existe,  ou  plutôt  il  existe  une  foule  de  «  moi  », 
inconscients  ou  subconscients,  dont  les  actes  automatiques  se  super- 
posent et  se  marient  aux  actes  volontaires  commandés  par  le  cerveau 
conscient. 

C'est  ainsi  que,  pour  ne  parler  que  de  ce  que  nous  connaissons  déjà, 
il  existe  un  automatisme  médullaire  dont  nous  analyserons  aujour- 
d'hui les  effets,  un  automatisme  cérébelleux,  surtout  lié  à  l'équilibre  et 
à  la  coordination  des  mouvements,  un  automatisme  strio-thalamique, 
ou  mieux  strio-thalamo-sous-thalamique,  un  automatisme  sympa- 
thique,   etc. 

Si  nous  examinons  maintenant  chacun  de  ces  systèmes  du  point  de 
vue  de  son  action  sur  la  motilité,  nous  verrons  que  cette  action  se  traduit 
au  moins  par  trois  ordres  de  phénomènes  : 

Des  mouvements  réflexes  proprement  dits  ; 

Des  mouvements  associés  syncinétiques  ; 

Des  modifications  du  tonus. 

Prenons  comme  exemple  le  cervelet  :  nous  trouvons  dans   son  fonc- 


390  '.'//.  F01X 

tionnement  moteur  les  mouvements  réflexes  proprement  dits  :  les  divers 
réflexes  d'équilibration  par  exemple  ;  les  mouvements  associés  synci- 
nétiques  :  les  contractions  syncinétiques  qui   assurent  la  synergie   des 

mouvements  dans  l'équilibre  et  la  coordination  ;  les  modifications  du 
iiuius  qui  se  traduisent  pathologiquement  par  l'hypotonie  et  la  passivité 
cérébelleuse. 

Il  en  est  de  même  de  la  moelle  :  elle  présente  ses  réflexes  proprement 
dits,  ses  mouvements  associés  syncinétiques,  les  modifications  du 
tonus.  Tout  l'ensemble  est  en  rapport  avec  ses  grandes  synergies  pri- 
mordiales et  constitue  à  proprement  parler  l'automatisme  médul- 
laire. 

Que  cet  automatisme  vienne  à  s'exalter  dans  certaines  conditions 
pathologiques  aboutissant  à  une  libération  de  la  moelle,  et  nous  obser- 
verons des  réflexes,  des  syncinésies,  une  contracture  d'automatisme 
médullaire. 

Ils  constituent  la  division  naturelle  de  cette  leçon  et  nous  les  étu- 
dierons successivement. 

1°  Réflexes  d'automatisme  médullaire.  —  Ce  sont  essentielle- 
ment des  mouvements  coordonnés  complexes,  comportant  la  mise  en 
œuvre  de  groupes  musculaires  fonctionnellement  synergiques,  mais 
anatomiquement  distants  et  tendant  à  réaliser  les  mouvements  pri- 
mordiaux de  l'automatisme  médullaire. 

Ces  mouvements  comportant  non  seulement  la  contraction  de  cer- 
tains groupes  musculaires,  mais  encore  l'inhibition  de  leurs  antago- 
nistes. Ils  sont  caractéristiques  de  l'automatisme  de  la  moelle,  qu'il 
s'agisse  de  réflexes,  de  syncinésies,  de  contracture.  Ce  sont,  par  exemple, 
pour  le  membre  inférieur,  la  synergie  de  raccourcissement,  la  syner- 
gie d'allongement,  la  synergie  d'allongement  croisé. 

Tenons-nous-en  pour  le  moment  aux  mouvements  réflexes. 

Les  réflexes  d'automatisme,  latents  à  l'état  normal,  s'exaltent  et 
deviennent  apparents  dans  les  états  pathologiques,  hémiplégiques  ou 
paraplégiques,  qui  s'accompagnent  de  lésions  du  faisceau  pyramidal. 
On  les  observe  surtout  au  niveau  des  membres,  et  c'est  aux  membres 
inférieurs   qu'ils  sont  les  plus  fréquents  et  les  plus  marqués. 

Nous  retrouvons  à  ce  niveau  trois  phénomènes  correspondant  aux 
trois  grandes  synergies  primordiales  :  le  phénomène  des  raceourcis- 
seurs,  le  phénomène  des  allongeurs,  le  réflexe  d'allongement  croise.  Je 
vais  vous  les  démontrer  successivement. 

Voici  un  petit   malade  atteint  de  paraplégie,  paraplégie  grave  par 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE  391 

blessure  de  la  moelle  avec  section  incomplète.  Chez  lui  les  réflexes 
d'automatisme  sont  développés  à  un  point  tel  qu'ils  se  produisent  à 
propos  du  moindre  attouchement,  de  l'effleurement  des  couvertures, 
parfois  spontanément.  Pour  s'en  rendre  maître,  il  est  obligé  d'attacher 
ses  jambes  dans  son  lit  à  l'aide  d'un  système  de  bandages. 

Provoquons  chez  lui  le  phénomène  des  raccourcisseurs  par  la 
manœuvre  que  nous  avons  décrite  avec  notre  maître  M.  Pierre  Marie  : 
la  flexion  forcée  passive  des  orteils.  Vous  voyez  que  rien  n'est  plus 
facile  et  que  le  membre  est  ramené  avec  une  grande  force. 

Analysons  de  plus  près  le  phénomène.  Il  consiste  essentiellement  en 
un  mouvement  synergique  de  triple  retrait  :  du  pied  sur  la  jambe,  de  la 
jambe  sur  la  cuisse,  de  la  cuisse  sur  le  bassin.  Le  membre  passe  ainsi 
de  l'allongement  au  raccourcissement  complet  par  flexion  de  ses  trois 
segments  l'un  sur  l'autre. 

Le  phénomène  se  déclenche  souvent  d'un  seul  coup.  Quand  il  se  déve- 
loppe progressivement  il  se  propage  à  la  façon  d'une  onde,  commen- 
çant par  la  flexion  dorsale  du  pied  pour  se  continuer  par  la  flexion  de  la 
jambe  sur  la  cuisse  et  de  la  cuisse  sur  le  bassin.  Il  varie  quelque  peu 
dans  sa  forme,  suivant  le  malade  et  suivant  le  point  excité  ;  il  s'accom- 
pagne le  plus  souvent  d'extension  des  orteils.  Son  aspect  de  triple 
retrait  est  essentiel  et  caractéristique. 

Le  phénomène  des  raccourcisseurs  peut  être  provoqué  par  des  excita- 
tions superficielles  ou  profondes  :  le  pincement  pour  la  sensibilité 
superficielle,  la  flexion  forcée  passive  des  orteils  ou  la  pression  trans- 
versale du  tarse  pour  la  sensibilité  profonde.  Les  deux  méthodes 
doivent  être  employées,  car  leurs  résultats  ne  sont  pas  toujours  abso- 
lument identiques.  Nous  préférons  cependant  les  excitations  portant 
sur  la  sensibilité  profonde  parce  que,  aussi  longtemps  qu'on  les  pro- 
longe, le  réflexe  subsiste  semblable  à  lui-même  et  peut  être  ainsi  facile- 
ment distingué  des  mouvements  volontaires  de  retrait. 

La  zone  réflexogène  du  phénomène  des  raccourcisseurs  s'étend 
jusqu'au  1/3  supérieur  de  la  cuisse  en  avant,  jusqu'à  la  fesse  en 
arrière.  Au-dessus  on  arrive  dans  la  zone  réflexogène  du  phénomène  des 
allongeurs  Mais  tandis  qu'il  est  exceptionnel  de  provoquer  dans  la 
zone  inférieure  un  autre  phénomène  que  celui  des  raccourcisseurs,  on 
peut  voir  celui-ci  se  produire  pour  des  excitations  portées  beaucoup 
plus  haut.  Il  y  a  dans  ce  cas  superposition  des  deux  phénomènes  dans 
la  même  zone  et  une  même  excitation  provoque  tantôt  l'un,  tantôt 
l'autre,  pour  des  raisons  difficiles  à  préciser. 

Chez  ce  malade  on  observe  généralement  un   phénomène  des   allon- 


i  il.  FOIX 

geurs  1res  nel  pour  une  excitation  portant  sur  la  partie  inférieure  de 
l'abdomen  ou  la  partie  supérieure  delà  cuisse.  Je  reproduis  ce  mouve- 
ment devant  vous. 

Vous  voyez  qu'il  s'agit  encore  d'un  mouvement  coordonné  complexe 
portant  sur  les  trois  segments  du  membre.  Il  en  détermine  ici  rallonge- 
ment. 

Ce  phénomène  des  allongeurs  est  beaucoup  moins  fréquent  que  le 
phénomène  des  raceourcisseurs.  Il  se  produit  souvent  sans  grande 
force.  Aussi  son  intérêt  est-il  avant  tout  théorique. 

Il  en  est  de  même  du  réflexe  d'allongement  croisé,  réflexe  dont  la 
réalisation  complète  est  assez  rare,  bien  qu'il  soit  fréquemment  esquissé, 
et  dont  l'observation  est  souvent  délicate. 

Ce  réflexe  est  complet  et  net  chez  ce  malade.  Il  consiste  essentielle- 
ment en  ceci  :  L'excitation  d'un  des  membres  inférieurs  produit  non 
seulement  le  raccourcissement  du  membre  excité,  mais  encore  l'allon- 
gement du  membre  du  côté  opposé.  Il  en  résulte  un  mouvement  asymé- 
trique, mais  synergique  :  raccourcissement  du  côté  excité,  allongement 
du  côté  opposé,  attitude  du  pédalage  qui  se  retrouve  dans  la 
marche. 

Je  vous  ai  dit  que  si  le  réflexe  d'allongement  croisé  était  assez  rare- 
ment complètement  réalisé,  on  l'observait  assez  souvent  à  l'état  d'é- 
bauche. Il  faut  en  effet,  croyons-nous,  considérer  comme  une  esquisse 
de  ce  phénomène  les  cas  où  l'excitation  du  pied  d'un  côté,  soit  par  la 
recherche  du  réflexe  plantaire,  soit  par  la  flexion  forcée  passive  des 
orteils,  provoque  l'allongement  du  pied  du  côté  opposé,  ou  même  sim- 
plement la  flexion  contralatérale  des  orteils. 

Cette  flexion  contralatérale,  en  effet,  ne  s'observe  que  dans  les  cas 
pathologiques,  lorsque  l'excitation  directe  provoque  une  extension.  Elle 
correspond  donc  bien  à  l'allongement  croisé.  On  peut  l'observer  par- 
fois pour  des  excitations  éloignées  delà  plante  portant  sur  la  cuisse  par 
exemple  (Guillain)  ou  même  sur  l'abdomen. 

Tels  sont  les  trois  principaux  réflexes  d'automatisme  que  l'on  peut 
observer  au  membre  inférieur  On  peut  les  voir  se  modifier  quelque 
peu.  On  peut  observer  des  réflexes  analogues  au  membre  supérieur, 
MM.  Claude,  Oppenheim  les  ont  signalés  les  premiers.  Youssave/.  d'autre 
part  quelle  est  leur  valeur  séméiologique.  Mais  je  désire  anjourdhui 
m'en  tenir  strictement  à  ce  qui  en  eux  se  rapporte  à  l'automatisme 
médullaire,  et  je  passerai  doue  dès  l'abord  à  leur  signification  physiolo- 
gique. 

Vous  connaissez  tous,  Messieurs,  l'expérience  de  la  grenouille  décapi- 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE  393 

tée.  Cette  grenouille,  si  on  la  touche,  elle  saute  comme  une  grenouille 
normale  ;  si  on  irrite  sa  peau,  elle  porte  sa  patte  à  l'endroit  irrité  ;  si  on 
la  plonge  dans  l'eau,  elle  est  capable  de  nager.  Chez  cet  animal  inférieur 
l'automatisme  médullaire  apparaît  très  développé  et  les  réflexes  d'auto- 
matisme permettent  de  reproduire  la  plupart  des  mouvements  habi- 
tuels. 

Chez  les  animaux  supérieurs  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même,  et 
c'est  aux  travaux  du  physiologiste  anglais  Sherrington  cpie  nous  devons 
le  plus  grand  nombre  des  notions  que  nous  possédons  sur  la  ques- 
tion. 

Sur  l'animal  ayant  subi  une  transsection  haute  de  la  moelle,  sur  le 
chien  spinal,  l'excitation  de  la  patte  ou  de  la  cuisse  provoque  un  mouve- 
ment de  triple  retrait,  le  «  flexion  reflex  »  —  ;  l'excitation  de  l'abdomen 
ou  de  la  queue  provoque  un  triple  allongement,  «  l'extension  reflex  »  —  ; 
en  outre,  une  excitation  appropriée  provoque  à  la  fois  le  raccourcisse- 
mentde  la  patte  excitée  et  l'allongement  del'autre,  c'est-à-dire  le  ^crossed 
extension  reflex  ».  Faisons  un  pas  de  plus.  Sur  l'animal  convenable- 
ment suspendu  uneexcitation  appropriée  provoquera  non  seulement  le 
«  crossed  extension  reflex  »,  mais  toute  une  série  alternative  de  mouve- 
ments asymétriques  et  bilatéraux  d'allongement  et  de  flexion.  C'est  le 
<(  mark  time  reflex  »  qui  reproduit  tout  simplement  les  mouvements  de 
la  marche. 

Est-ce  à  dire  que  le  chien  spinal  sera  susceptible  de  marcher?  Non, 
car  il  s'effondrera  par  terre.  Pour  que  la  marche  devienne  possible,  il 
tant  une  section  plus  haute,  une  section  susmésocéphalique  ou  mieux 
sous  cérébrale  déterminant  ce  que  Sherrington  a  appelé  la  rigidité  décé- 
rébrée.  L'animal  alors  se  tient  debout («  standing  reflex»)  et  son  «mark 
time  reflex  »  se  trouve  transformé  en  «  stepping,  walking,  running 
reflex  »,  en  marche,  en  course  véritable. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce  qui  s'observe  chez  l'animal  spinal 
est  une  partie  de  ce  qui  s'observe  chez  l'animal  décérébré,  que  le 
«mark  time  reflex  »  est  essentiellement  un  mouvement  démarche,  et 
que  les  flexion,  extension,  et  «  crossed  extension  reflex  »  sont  eux- 
mêmes  des  ébauches  du  «  mark  time  reflex  »  et  doivent  être  rattachés 
au  même  mécanisme. 

Ce  sont  donc  essentiellement  des  réflexes  d'automatisme,  très  ana- 
logues au  fond  à  ceux  de  la  grenouille  décapitée,  et  tendant  à  réaliser 
lune  des  fonctions  à  l'exécution  automatique  de  laquelle  la  moelle  con- 
court le  plus  :  la  marche. 

Si  nous  rapprochons  maintenant  ces  réflexes  expérimentaux  de    nos 


.:•'!  Cil.    FOIX 

réflexes  pathologiques,  nous  voyons  que  la  flexion  a  reflex  »  est  l'équi- 
valent de  notre  phénomène  des  raccourcisseurs,  que  l'extension 
«  reflex  »  rst  l'équivalent  du  phénomène  des  allongeurs,  que  le  «  erossed 
extension  reflex  »  est  le  réflexe  d'allongement  croisé. 

Ainsi  donc  se  trouve  élucidée  la  signification  de  cet  ensemble  de 
phénomènes.  Ce  sont  les  mêmes  phénomènes  que  l'on  observe  chez  la 
grenouille  et  chez  le  chien,  ils  représentent  l'automatisme  de  la  moelle  et 
méritent  bien  le  nom  de  <<  réflexes  d'automatisme  ». 

On  a  fait  à  cette  manière  de  voir  deux  objections  principales.  La 
première  invoque  le  caractère  «  défensif  »  de  ces  mouvements.  Ce 
caractère  défensif  peut  être  invoqué  avec  quelque  apparence  de  raison 
quand  on  provoque  le  phénomène  des  raccourcisseurs  par  l'excitation 
du  pied,  mais  comment  expliquera-t-on  alors  que  le  même  mouvement 
puisse  être  provoqué  par  l'excitation  de  la  cuisse?  Comment  expliquera- 
t-on  l'allongement  du  membre  ?  Comment  expliquera-t-on  surtout  les 
réflexes  contralatéraux  et  le  réflexe  d'allongement  croisé  ? 

Chez  certains  malades  l'envie  d'uriner  provoque  ces  phénomènes  ; 
voilà  certes  une  singulière  défense.  Un  de  nos  malades  ayant  des  cal- 
culs de  la  vessie  présente  des  mouvements  alternatifs  de  marche  quand 
l'un  de  ces  calculs  s'engage  dans  son  urèthre,  etc. 

Nous  ne  multiplierons  pas  les  exemples  à  l'infini  ;  l'identité  des  phé- 
nomènes observés  chez  l'homme  et  chez  le  chien  impose  l'identité  de 
l'interprétation.  11  est  possible  que  l'automatisme  de  défense  entre  pour 
une  part  dans  la  pathogénie  de  ces  réflexes,  mais  pour  la  majeure  part, 
ils  se  rattachent  à  l'une  des  fonctions  essentielles  de  la  moelle,  c'est-à- 
dire  à  l'automatisme  de  marche. 

Il  existe  d'ailleurs,  chez  l'animal  tout  au  moins,  d'autres  réflexes  d'au- 
tomatisme ;  réflexes  de  nage  chez  la  grenouille,  de  vol  chez  le  pigeon, 
de  grattage  chez  le  chien,  des  réflexes  d'accouplement,  etc.  Le  terme  de 
réflexes  d'automatisme  est  donc  seul  suffisamment  eompréhensif  pour 
exprimer  l'ensemble  des  phénomènes. 

Cette  démonstration  est  complétée  par  l'existence  chez  l'homme  de 
réflexes  rythmiques  tout  à  l'ait  analogues  au  «  mark  time  reflex  ». 

Ces  réflexes  rythmiques  que  nous  avons  observés  et  étudiés  en 
collaboration  avec  M.  Strohl,  de  Strasbourg,  qui  a  publié  sur  l'ensemble 
de  la  question  des  réflexes  d'automatisme  une  thèse  extrêmement 
remarquable,  peuvent  être  obtenus  soit  du  côté  excité,  soit  du  côté 
opposé  (réflexe  rythmique  homolatéral,  réflexe  rythmique  contracte- 
rai). 

Leur  cadence  est  sensiblement  la  même  que  celle  d'un   homme  au 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE 


395 


pas  militaire  dit  «  cadencé  »  (60  doubles  pas  par  minute)  et   comporte, 
ainsi  que  le  montrent  les  tracés  ci-contre,  un  temps  de  repos   égal  à    la 


REFLEXES       RYTHMIQUES. 


1*  Réflexe   rythmique  homolatéral  (paraplégie  par  compression  médullaire) 
2°  Rétlexe  rythmique  contra-latéral    (diplégie    cérébrale  infantile)  . 


période  de  mouvement.  Il  en  est  de  même  dans  la  marche,  ainsi  que 
l'a  démontré  Marey. 

La  deuxième  objection  faite  à  notre  manière  de  voir  est  que  ces 
réflexes  d'automatisme  sont  supprimés  dans  les  sections  complètes  de 
'a  moelle  et  qu'on  ne  peut  donc  parler  de  «  réflexes  de  la  moelle  libé- 
rée ». 

Il  en  était  bien  ordinairement  ainsi  (avec  des  exceptions  d'ailleurs 
démonstratives),  dans  les  sections  complètes  d'avant-guerre  dues  à  de 
gros  traumatismes  déterminant  vraisemblablement  des  lésions  dif- 
fuses. 

Mais  il  n'en  a  pas  été  de  même  dans  les  sections  complètes  trop 
nombreuses  de  la  guerre.  Celles-ci  évoluent  comme  l'a  montré  M.  Lher- 
mitte,  dont  vous  connaissez  sur  ce  sujet  l'importante  monographie,  en 
deux  phases  :  phase  de  shock,  phase  d'automatisme.  Dans  cette 
deuxième  phase,  les  réflexes  d'automatisme  existent,  exaltés. 

Cette  dernière  objection  tombe  donc  d'elle-même,  et  il  reste  que  l'en- 
semble des  phénomènes  réflexes  dont  nous  venons  de  parler  expriment 
bien,  selon  l'opinion  jadis  émise  par  M.  Pierre  Marie  et  par  nous,  à  l'au- 
tomatisme delà  moelle  libérée.  Ils  tendent  à  reproduire  lesactes  d'habi- 
tude, devenus  automatiques  par  leur  incessante  répétition,  ceux  aux- 
quels la  voie  a  été  le  plus  souvent  frayée  et  dont  les  mouvements  de 
marche  constituent  chez  l'homme  le  type  le  plus  important. 

Il  me  resterait,  pour  être  complet,  à  vous  parler  des  rapports  du  signe 


Cil.   F01X 

de  Babinskiavec  les  réflexes  d'automatisme.  Il  en  constitue  pour  nous 
le  seuil  ou  mieux  l'ébauche.  Mais  c'est  là  une  question  dilîicile,  con- 
testée, encore  insuffisamment  élucidée.  Nous  ne  nous  y  attarderons 
pas. 

2°  Syncinésies  d'automatisme  médullaire.  —  J'aborde  mainte- 
nant le  second  des  points  que  je  désire  traiter  devant  vous,  c'est-à-dire 
la  question  des  syncinésies  d'automatisme. 

Dans  le  travail  que  nous  avons  consacré,  avec  Pierre  Marie,  aux 
syncinésies  des  hémiplégiques,  nous  avons  distingué  trois  grandes  va- 
riétés de  syncinésies  :1a  syncinésie  globale,  les  syncinésies  d'imitation, 
les  syncinésies  de  coordination. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'existe  pas  d'autres  variétés  de  syncinésies, 
mais  ce  sont  là,  croyons-nous,  les  trois  variétés  principales  auxquelles 
se  rattachent  la  grande  majorité  des  faits  observés. 

La  syncinésie  globale  n'est  autre  chose  que  le  renforcement  de  la 
contracture  qui  se  produit  à  l'occasion  d'un  effort.  Elle  renforce  l'atti- 
tude générale  déterminée  par  cette  contracture.  Son  développement  va 
de  pair  avec  cette  dernière  et  avec  l'exagération  des  réflexes  tendineux- 
Elle  est  surtout  marquée  dans  l'hémiplégie  banale,  pyramidale. 

La  syncinésie  d'imitation  est  fort  différente.  Comme  l'indique  son 
nom,  elle  reproduit,  elle  imite  les  mouvements  exécutés  par  le  côté 
sain. 

Voici  une  malade  atteinte  d'hémiplégie  banale.  Son  poing  est  à 
l'avance  fermé  à  demi  par  la  contracture.  Si  je  lui  dis  de  serrer  fort 
la  main  du  côté  sain,  elle  serre  aussi  la  main  du  côté  malade.  Il 
semble  y  avoir  imitation.  Mais  que  .je  lui  fasse  ouvrir  fortement  cette 
même  main  saine,  elle  serrera  encore  la  main  du  côté  malade.  Il  n'y  a 
en  réalité  que  syncinésie  globale,  renforcement  de  la  contracture. 

Voici  maintenant  une  seconde  malade,  bien  différente  delà  première. 
Vous  voyez  qu'elle  aussi  est  raide  d'un  côté,  mais  eette  railleur  est 
d'un  tout  autre  aspect.  Son  bras  est  allongé,  ses  doigts  sont  allonges  et 
non  fléchis  dans  la  paume,  sa  main  présente  de  temps  en  temps  des 
mouvements  irréguliers  de  l'ordre  de  la  ehoréo-athétose.  Cette  malade 
présente  une  hémiplégie  infantile  et  très  probablement  une  lésion  im- 
portante des  noyaux  gris  centraux  entraînant  l'altération  d'autres  \  oies 
(pie  la  voie  pyramidale  ici  relativement  indemne.  Eh  bien,  si  nous  com- 
mandons à  eette  malade  de  fermer  sa  main  saine,  elle  fermera  en  même 
temps  sa  main  malade  ;  si  nous  lui  commandons  d'ouvrir  sa  main 
saine,  elle  ouvrira  en  même  temps  sa  main   malade,  etc.  Son   côté   ma- 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE  397 

lade  imite  réellement  son  côté  sain.  Il  y  a  syrtcinésie  d'imitation  et  la 
syncinésie  d'imitation,  en  effet,  s'observe  surtout  dans  les  lésions  non 
pyramidales  ou  peu  pyramidales  du  cerveau,  dans  celles  en  particulier 
qui  frappent  les  noyaux  gris  centraux. 

Arrivons  maintenant  aux  syncinésies  de  coordination.  Ce  sont  elles 
qui  constituent  réellement  les  syncinésies  d'automatisme  médullaire. 

Elles  sont  essentiellement  caractérisées  par  ce  fait  que,  chez  les 
hémiplégiques  et  les  paraplégiques,  la  contraction  volontaire  de  certains, 
groupes  musculaires  entraîne  la  contraction  involontaire,  syncinétique, 
des  groupes  musculaires  fonctionnellement  synergiques. 

Les  syncinésies  de  coordination  deviennent  ainsi  des  mouvements 
coordonnés  complexes  tendant  à  reproduire  les  grandes  synergies  nor- 
males que  nous  avons  déjà  étudiées.  Elles  peuvent  s'observer  au  niveau 
du  membre  supérieur  comme  au  niveau  du  membre  inférieur  Etudions- 
les  au  niveau  du  membre  inférieur  où  nous  les  reconnaîtrons  plus 
aisément. 

Vous  vous  rappelez  que  nous  avions  distingué  au  niveau  du  membre 
inférieur  deux  grandes  synergies  principales  :  la  synergie  d'allonge- 
ment, la  synergie  de  raccourcissement,  auxquelles  se  rattachait  une 
synergie  bilatérale  et  asymétrique  plus  difficile  à  mettre  en  lumière 
chez  l'homme  :  la  synergie  d'allongement  croisé. 

Etudions  la  synergie  de  raccourcissement.  C'est  toujours  la  plus  facile 
à  mettre  en  lumière. 

Voici  un  malade,  un  hémiplégique.  Je  le  fais  étendre.  Je  lui  com- 
mande de  porter  le  pied  en  flexion  dorsale  sur  sa  jambe.  Il  ne  peut  pas. 
Il  a  pourtant  compris  mon  ordre,  puisqu'il  l'exécute  du  côté  sain.  Ce 
n'est  pas  la  contracture  qui  le  gène,  puisque  passivement  le  mouvement 
est  réalisé  sans  effort  de  ma  part.  Il  ne  peut  donc  pas  volontairement 
porter  son  pied  en  flexion  dorsale  sur  la  jambe. 

Maintenant  je  lui  donne  un  autre  ordre  :  pliez  le  genou.  Il  le  fait,  et 
en  même  temps  cette  flexion  dorsale  du  pied  sur  la  jambe,  qui  tout 
à  l'heure  était  impossible,  s'exécute  avec  une  grande  force,  et  vous 
voyez  saillir  la  corde  du  jambier  antérieur.  Même  si  je  m'oppose  à  la 
flexion  du  genou,  la  flexion  dorsale  du  pied  n'en  sera  pas  moins 
exécutée  (c'est  là  proprement  le  signe  de  Strumpell).  Tous  les 
mouvements  du  raccourcissement  sont  solidaires,  il  y  a  véritablement 
mouvement  conjugué,  selon  l'expression  de  MM.  Babinski  et  Jarkowski, 
et  le  mouvement  volontairement  impossible  est  involontairement  et 
syncinétiquement  effectué. 

Faisons  en  effet  la  contre-épreuve.  Ordonnons  au  malade  de  fléchir 


(II.  FOIX 

le  genou  ce  qui  entraîne  dans  sa  position  étendue  la  flexion  de  la 
hanche)  en  gardant  le  pied  allongé.  Quoiqu'il  comprenne  parfaite- 
ment mon  ordre,  il  est  incapable  de  l'effectuer.  Tous  les  mouvements 
de  la  synergie  sont  solidaires  et  il  y  a  par  conséquent  à  la  fois  :  1°  con- 
servation du  mouvement  automatique  alors  que  le  mouvement  volon- 
taire est  supprimé  ;  2°  impossibilité  de  dissocier  par  la  volonté  les 
éléments  de  la  synergie  d'ensemble. 

Le  phénomène  de  Strumpell,  le  signe  de  Neri  sont  des  variétés  de 
eette  syneinésie  de  raccourcissement,  ainsi  que  la  flexion  combinée  de 
la  cuisse  et  du  tronc  décrite  par  M.  Babinski. 

Une  démonstration  identique  pourrait  être  faite  en  ce  qui  concerne 
la  syneinésie  (rallongement,  la  syneinésie  d'allongement  croisée,  iden- 
tiques au  réflexe  d'allongement  et  aux  réflexes  d'allongement  croisé. 
Nous  n'y  insisterons  pas,  non  plus  que  sur  les  syncinésies  du  membre 
supérieur,  dont  la  plus  caractéristique  est  le  phénomène  des  doigts  de 
Souques. 

Nous  pensons  qu'il  faut  faire  également  rentrer  dans  ce  cadre  le 
phénomène  de  Hoover  ou  de  l'opposition  complémentaire,  le  phéno- 
mène de  Grasset  et  Gaussel  et  les  deux  phénomènes  de  Raimiste 
(abduction  et  adduction  associées). 

Mais  le  point  sur  lequel  je  désire  surtout  attirer  votre  attention,  c'est 
l'identité  des  synergies  que  réalisent  les  syncinésies  de  coordination 
et  les  réflexes  d'automatisme.  Nous  retrouvons  ici  le  raccourcissement, 
l'allongement,  l'allongement  croisé...  Or  ces  synergies,  nous  avons 
appris  à  les  reconnaître.  Ce  sont  les  synergies  primordiales  des  mem- 
bres inférieurs,  en  rapport  avec  le  fonctionnement  automatique  delà 
moelle  libérée.  Ce  sont  les  synergies  de  l'automatisme  médullaire,  et 
les  syncinésies  de  coordination  ne  sont  autre  chose  que  des  mouve- 
ments conjugués  d'automatisme,  des  syncinésies  d automatisme  médul- 
laire. 

Elles  existent  normalement,  et  se  marient  alors  harmonieusement  au 
mouvement  volontaire.  Ce  n'est  que  par  une  volonté  réfléchie  que  nous 
pouvons  les  empêcher  de  s'associer  au  mouvement  principal,  en  déter- 
minant un  mouvement  différent  de  la  synergie  essentielle. 

Elles  s'exaltent  pathologiquement  et  le  malade  devenant  alors  inca- 
pablede  les  empêcher  d'accompagner  chacun  des  mouvements  qui  fait 
partie  de  la  synergie  d'ensemble,  celle-ci  esi  exécutée  chaque  fois  en 
totalité. 

Ainsi  donc-,  même  normalement,  l'automatisme  îles  centres  inférieurs 
se  marie  harmonieusement  à  l'exercice  de  là  motilité  volontaire,  et  c'est 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE  399 

cette  activité  latente  que  met  en  lumière  et  qu'hypertrophie  la  libéra- 
ration  des  centres  inférieurs  par  les  lésions  de  la  voie  centrale  non 
seulement  dans  les  mouvements  purement  réflexes,  mais  dans  ce  qui 
reste  de  mouvements  volitionnels. 

.  Il  serait  intéressant  de  voir  les  rapports  de  ces  syncinésies  d'automa- 
tisme médullaire  avec  les  automatismes  plus  haut  placés  tels  que  ceux 
que  révèlent  les  mouvements  conjugués  de  la  tête  et  des  membres  (phé- 
nomène de  Magnus  et  de  Kleyn)  ;  intéressant  aussi  d'étudier  les  rap- 
ports de  l'automatisme  des  réservoirs  (Goltz,  M.  Souques)  avec  l'auto- 
matisme de  la  moelle. 

Mais  le  temps  presse,   avançons. 

3°  Contracture  d'automatisme  médullaire.  —  C'est  à  mon 
maître  Brissaud,  dont  la  mort  prématurée  fut  un  deuil  pour  la  neurologie 
française,  que  revient  l'honneur  d'avoir  étudié  le  premier  les  contrac- 
tures en  flexion  ;  mais  c  est  M.  Bahinski  qui  le  premier  en  a  établi  toute 
l'importance  en  montrant  qu'elles  avaient  une  séméiologie,  une  signifi- 
cation pathologique  complètement  différentes  des  contractures  en 
extension. 

C'est  en  effet  au  sujet  des  paraplégies  en  flexion  que  M.  Babinski  a 
établi  une  distinction  entre  les  contractures  tendinéo  et  cutanéo-réflexes 
qui  marque  une  date  dans  l'histoire  des  contractures. 

Nous  ne  chicanerons  pas  ici  M.  Babinski  sur  le  mot  plus  ou  moins 
heureusement  choisi  de  cutanéo-réflexe.  Il  est  évident  que  cette  con- 
tracture n'a  rien  de  cutané,  puisque  les  réflexes  qui  la  caractérisent 
peuvent  être  aussi  bien  provoqués  par  l'excitation  de  la  sensibilité  pro- 
fonde que  parcelle  de  la  sensibilité  superficielle.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  la  contracture  en  extension  est  avant  tout  caractérisée  par 
l'exagération  des  réflexes  tendineux  et  la  faible  intensité  des  réflexes 
d'automatisme  encore  appelés  de  défense.  Tandis  que  la  contracture 
en  flexion  est  caractérisée  non  seulement  par  l'exagération  considé- 
rable des  réflexes  d'automatisme,  mais  encore  par  la  diminution  ou 
l'abolition  des  réflexes   tendineux. 

A  cette  différence  de  séméiologie  répondent  des  différences  profondes 
d'étiologie,  de  pronostic,  de  signification  physiologique. 

Voici  une  malade  qui  présente  précisément  cette  contracture  en 
flexion.  Considérons-la  un  instant.  Nous  voyons  tout  d'abord  quelle  est 
son  attitude.  Ses  jambes  sont  ramassées  vers  elle.  Examinons-la  de 
plus  près.  C'est  une  attitude  de  raccourcissement.  Et  ce  raccourcisse- 
ment comporte  le  triple  retrait  seginentaire  que  nous  avons  déjà  deux  fois 


400  CH.  FOIX 

rencontré  :  flexion  du  pied  sur  la  jambe,  de  la  jambe  sur   la  cuisse,  de 

la   cuisse  sur  le  bassin. 

Poursuivons  plus  loin  notre  étude.  Les  réflexes  rotuliens  sont 
faibles,  il  n'y  a  pas  de  clonus  du  pied.  Par  contre,  ses  réflexes  d'automa- 
tisme sont  très  faciles  à  provoquer:  voici  le  phénomène  des  raccour- 
cisseurs,  une  ébauche  de  réflexe  d'allongement,  un  réflexe  partiel  d'al- 
longement croisé.  C'est  bien  la  dissociation  décrite  par  M.  Babinski. 

Comment  peut-on  interpréter  cette  séméiologie  d'abord,  cette  atti- 
tudc  ensuite  ? 

En  ce  qui  concerne  les  réflexes  d'automatisme,  leur  intensité  implique 
une  libération  de  la  moelle  inférieure.  C'est  là  un  fait  qui  n'est  pas  sans 
importance,  car  il  indique  en  général  des  lésions  plus  profondes  que 
celles  qui  s'accompagnent  de  contracture  en  extension.  On  voit  assez 
souvent  la  contracture  en  flexion  se  substituer  à  la  contracture  en 
extension.  Pendant  quelque  temps  alors  il  y  a  lutte  entre  les  deux  ten- 
dances et  les  deux  réflectivités.  Toujours  la  victoire  de  la  flexion  im- 
plique une  aggravation  de  l'état  du  malade. 

Y  a-t-il  seulement  libération  de  la  moelle  ?  N  y  a-t-il  pas  en  outre 
irritation,  exaltation  de  l'automatisme  médullaire?  C'est  une  chose  que, 
pour  ma  part,  je  crois,  mais  il  est  difficile  d'en  donner  la  preuve. 

La  diminution  des  réflexes  tendineux  peut  s'interpréter  de  plusieurs 
manières.  En  réalité,  il  est  probable  qu'elle  fait  partie  de  ces  phéno- 
mènes d'inhibition  dont  je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  vous  parler  au  dé- 
but. Quand  sur  un  malade  présentant  du  clonus  du  pied  ou  de  la 
rotule,  on  provoque  l'un  de  ces  clonus  et  qu'ensuite  on  excite  la  sensi- 
bilité superficielle  ou  profonde  de  façon  insuffisante  pour  provoquer  un 
réflexe  d'automatisme,  on  voit  cependant  s'arrêter  le  clonus.  Ainsi  donc 
le  premier  effet  de  l'excitation  de  l'automatisme  médullaire  est  l'inhi- 
bition de  la  réflectivité  tendineuse.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  devoir 
disparaître  cette  réflectivité  chez  des  malades  chez  qui  l'automatisme 
est  exulté  à  un  haut  degré.  Parfois  même  le  choc  du  marteau  sur  le 
tendon  rotûlien  provoque  non  la  contraction  du  quadriceps,  mais  le 
phénomène  des  raccourcisseurs.  Cette  interprétation  des  faits  n'est 
probablement  pas  à  elle  seule  suffisante,  elle  doit  à  peu  près  certaine- 
ment entrer  en  ligne  de  compte  dans  la  diminution  des  réflexes  tendi- 
neux. 

Quant  à  la  contracture  en  flexion  elle-même,  son  aspect  indique 
quelle  en  est  la  pathogénie.  Elle  n'est  autre  chose,  en  effet,  qu'un  phé- 
nomène des  raccourcisseurs  fixé. 

Il  est  donc  naturel  par  conséquent  de  lui  attribuer  la   même  patho- 


L'AUTOMATISME  MÉDULLAIRE  401 

génie.  Et  puisque  le  phénomène  des  raccourcisseurs  exprime  l'auto- 
matisme médullaire,  la  contracture  en  flexion  deviendra  ainsi  la  con- 
tracture d'automatisme. 

Tout  cadre  d'ailleurs  avec  cette  interprétation  des  faits  :  l'intensité 
des  réflexes  d'automatisme,  l'importance  en  général  des  lésions  qui 
déterminent  la  contracture  en  flexion,  le  fait  qu'il  s'agit  habituellement 
de  compressions  agissant  sur  l'ensemble  de  la  moelle  et  non  pas  sur 
tel  ou  tel  faisceau,  excitant  même  vraisemblablement  le  segment  mé- 
dullaire sous-jacent  à  la  lésion.  Enfin,  dans  quelques  cas  de  section 
complète,  M.  Lhermitte  a  vu  un  certain  tonus  réapparaître,  et  ce  tonus 
avait  une  tendance  à  réaliser  une  altitude  en  flexion. 

La  contracture  en  flexion  devient  ainsi  la  contracture  d'automatisme 
par  libération  et  peut-être  excitation  du  segment  inférieur  de  la  moelle. 
Elle  est  à  séparer  complètement  de  la  contracture  en  extension,  sans 
doute  plus  strictement  pyramidale,  puisqu'elle  est  réalisée  par  l'Hé- 
miplégie. 

Voici  sensiblement  terminé  cet  exposé  de  l'automatisme  médullaire. 
Vous  voyez  que,  comme  je  vous  l'avais  annoncé,  il  possède  ses  réflexes, 
ses  syncinésies,  sa  contracture.  Nul  doute  que  les  progrès  de  la 
physiologie  pathologique  ne  les  mettent  en  lumière  pour  chacun  des 
autres  automatismes. 

Permettez-moi  maintenant,  avant  de  m 'arrêter,  d'aborder  quelques 
derniers  points  relatifs  à  notre  sujet.  Je  désire  éviter,  en  effet,  toute 
confusion  dans  vos  esprits. 

Quelques  auteurs,  discutant  les  idées  que  je  viens  d'exposer  et  qui 
sont  celles  de  M.  Pierre  Marie  et  les  miennes,  nous  ont  involontaire- 
ment attribué  des  opinions  qui  ne  sont  pas  les  nôtres. 

C'est  ainsi  qu'on  nous  a  fait  dire  qu'il  existait  sans  doute  dans  la 
moelle  des  centres  fonctionnels  spécialisés,  et  notamment  un  centre  de 
la  marche.  Nous  ne  l'avons  jamais  pensé  Nous  ne  croyons  pas  à  l'exis- 
tence d'un  centre  médullaire  de  la  marche.  Ce  qui  est  médullaire,  c'est 
l'association  habituelle  d'un  ensemble  de  mouvements  réalisant  une 
partie  de  l'automatisme  de  marche.  A  cela  les  centres  connus  et  leurs 
relations  cordonales  suffisent. 

On  nous  a  fait  dire  encore  que  la  marche  est  une  fonction  exclusive- 
ment médullaire.  Nous  ne  le  pensons  pas  non  plus.  Nous  pensons 
même  le  contraire.  La  moelle  concourt  à  la  marche  en  réalisant  ses 
synergies  primordiales,  mais  elle  ne  suffit  pas  à  l'assurer,  tout  au  moins 
chez  les  vertébrés.  Ainsi  que  l'indiquent  les  expériences  physiolo- 
giques, il  y  faut  encore  de  façon  certaine   l'action   associée  du  cerve- 

CONPÉR.    NEUnOL.  26 


LOS  CH.   FOIX 

let,  du  mésocéphale,  des  noyaux  de  la  base,  (1  autres  encore  sans  doute. 
La  moelle  ne  fournit  ici  qu'un  canevas  sur  lequel  travaillent  les  autres 
automatismes. 

Ceci  dit,  réfléchissez,  Messieurs,  à  la  nécessité  de  ces  automatismes. 

Si  chacun  des  mouvements  de  notre  marche  devait  être  pensé,  marcher 
serait  une  œuvre  de  gymnaste  qu'on  réaliserait  à  30  ans,  et  une  pro- 
menade de  100  mètres,  un  effort  surhumain  d'adresse  et  de  volonté. 
Heureusement  les  automatismes  sont  là  que  le  cerveau  dirige  et  coor- 
donne un  peu  à  la  façon  d'un  maître  d'industrie. 

Réfléchissez  encore  à  l'infinie  complexité,  à  l'enchevêtrement  de  ces 
fonctions  automatiques.  Quand  vous  levez  un  doigt,  il  faut  que  votre 
cerveau  commande,  que  votre  cervelet  coordonne,  que  vos  noyaux  gris 
dirigent  le  tonus,  que  votre  moelle  actionne  ses  grandes  synergies... 
Le  moindre  déséquilibre  dans  un  ces  appareils  engendre  des  troubles 
considérables.  Bien  plus,  le  mouvement,  à  mesure  qu'il  se  crée,  engen- 
dre de  nouvelles  sensations,  déclanche  de  nouveaux  réflexes,  actionne 
de  nouveaux  automatismes  qui  réagiront  à  leur  tour  en  une  trame 
continue. .. 

Ainsi  s'avère  à  nous,  dans  sa  vivante  complexité,  l'infini  physiolo- 
gique, aussi  stupéfiant  que  l'infini  anatomique  et  probablement  comme 
lui  impénétrable  en  son  essence. 


QUINZIÈME  CONFÉRENCE 


M.    LAIGNEL-LAVASTINE 

professeur    agrégé  de  la    Faculté,  médecin   de  l'hôpital  Laennec. 

LES   PSYCHOSES  THYROÏDIENNES 

Messieurs, 

Puenant  comme  exergue  cette  phrase  de  Claude  Bernard,  dans  son 
discours  de  réception  à  l'Académie  française  :  «  Le  monde  psy- 
chique ne  se  passe  point  du  monde  physico-chimique  »,  j'emploierai 
dans  cette  vaste  étude  le  procédé  restrictif  si  de  mode  actuellement, 
analysant,  fragmentant,  individualisant  les  faits,  suivant  la  quatrième 
règle  indiquée  par  Descartes  dans  son  Discours  de  la  méthode  pour 
bien  conduire  son  esprit  et  trouver  la  vérité  dans  les  sciences,  et  qui  con- 
siste à  «  diviser  la  difficulté  en  autant  de  parcelles  qu'il  se  pourra 
pour  la  mieux  résoudre.  » 

Des  rapports  endocrino-nerveux  en  général,  et  des  rapports  thyroï- 
do-psychiques  en  particulier,  nous  envisagerons  : 

1°  des  rapports  de  coïncidence  ; 

2°  de  solidarité,  démonstration  de  l'existence  d'un  complexus  thy- 
roïdo-endocrinien  ; 

3°  de  causalité.  Dans  cette  troisième  partie  j'essaierai  de  démontrer 
l'existence  d'une  dgsthymie  thyroïdienne  (de  Suç,  difficile,  et  Oj;j.o-, 
cœur),  le  Oj;j.ô-  formant  la  trilogie  aristotélicienne,  avec  le  vouç,  et 
l'eici  Ouiua. 

I.    —    RAPPORTS     DE    COÏNCIDENCE 

On  peut  les  considérer  en  partant  de  deux  pôles,  le  pôle  psychique 
et  le  pôle  thyroïdien.  Je  vous  rappellerai  très  brièvement  cette  divi- 
sion, dont  je  m'étais  servi  dans  mon  rapport  au  Congrès  des  aliénistes 
et  neurologistes  de  1908,  à  Dijon  (Troubles  psychiques  par  perturba- 
tion des  glandes  à  sécrétion  interne  '). 

1.  Laignel-Lavastjne.  Un  vol.  in-8  de  188  p.,    Masson,  éd.,  1908. 


mi  LAIGNEL-LA]    iSTINl 

A.  —  Prenons  d'abord  le  pôle  psychique,  c'est-à-dire  les  troubles 
psychiques  dans  les  syndromes  thyroïdiens.  Nous  les  divisons  en  insuf- 
fisance et  excitation.  Dans  V insuffisance  thyroïdienne  ces  troubles  sont 
connus  depuis  longtemps.  Vous  savez  quelles  sont  les  caractéris- 
tiques de  l'état  mental  des  myxœdémateux  :  lenteur,  inactivité, 
inertie. 

Ces  troubles  psychiques  peuvent  s'expliquer  par  des  lésions  histo- 
chimiques,  qui  ont  été  mises  en  évidence  par  MM.  Pierre  Marie  et 
Trétiakoff,  dans  un  mémoire  sur  l'infiltration  par  des  sels  ferriques 
des  gaines  péri- vasculaires  de  l'encéphale  chez  les  myxœdémateux 
{L'Encéphale,  novembre  1920). 

Après  viennent  les  troubles  psychiques  des  syndromes  frustes 
d'hypothyroïdie,  série  décroissante  commençant  par  Y  infantilisme 
thyroïdien  avec  puérilisme.  Y  arriération  physique  et  mentale,  le  syndrome 
d'Hertoyhe  ou  hypothyroïdie  bénigne  chronique  (lenteur,  apathie,  som- 
nolence, difficulté  de  fixer  l'attention),  pour  se  terminer  par  le  tempé- 
rament hypothyroïdien  :  individus  bouffis,  somnolents,  au  nez  humide, 
aux  extrémités  froides,  aux  sourcils  rares,  etc.,  et  la  neurasthénie 
hypothyroïdienne,  caractérisée  par  la  céphalée,  la  lenteur  de  l'idéation, 
la  fatigue  matinale,    etc. 

Après  les  syndromes  d'insuffisance,  voyons  les  syndromes  d'excita- 
tion. Mais  il  semble  bien  que  dans  beaucoup  de  manifestations  d'exci- 
tation thyroïdienne  il  y  ait  plus  que  de  l'hyperthyroïdie,  et  qu'il 
existe  des  perturbations  de  la  glande,  de  la  dyslhyroïdie,  et  même  des 
modifications  d'autres  glandes  endocrines. 

Ce  sont  d'abord  les  troubles  psychiques  des  basedoiviens,  aujourd'hui 
classiques.  Inutile  d'y  insister.  Mais  on  doit  y  distinguer  deux  ordres 
de  manifestations  :  ou  bien  des  troubles  psychiques,  en  quelque 
sorte  nécessaires,  répondant  au  fond  mental  normal  du  basedowien, 
caractérisé  par  l'hyperémotivité,  l'instabilité,  l'irritabilité,  au  point 
que  Trousseau  disait  que  le  goitre  exophtalmique  était  un  état  de  colère 
perpétuelle. 

Le  plus  souvent  les  manifestations  psychiques  arrivent  à  s'indivi- 
dualiser assez  pour  constituer  un  syndrome  indépendant,  OÙ  existe 
un  véritable  état  de  manie  avec  agitation,  hyperactivité,  hvperémo- 
tivité  et  facilité  des  manifestations  coléreuses.  Ou  bien  éclatent  des 
psychoses  thyroïdo-toxiques,  où  l'on  voit  l'exagération  des  manifesta- 
lions  maniaques  ;  enfin  la  Fréquence  de  l'hystérie  est  depuis  long- 
temps notée. 

Il  faut  ensuite  passer  en  revue   1rs  troubles  psychiques  delà   série 


LES  PSYCHOSES  THYROÏDIENNES  405 

hyper  thyroïdienne  :  ceux  du  goitre  basedowifié  du  professeur  Pierre 
Marie,  ceux  des  manifestations  d'hyperthyroïdie  chronique  bénigne 
avec  yeux  brillants  et  saillants,  dyspnée,  tachycardie,  angine  de  poi- 
trine vaso-motrice,  instabilité  du  pouls,  palpitations,  instabilité  delà 
pression  artérielle,  troubles  gastriques  et  gastro-intestinaux,  constipa- 
tion ou  diarrhée  séreuse,  polyurie,  sueurs  profuses  ;  enfin  ceux  du 
tempérament  hyperthyroïdien,  correspondant  à  la  description  magis- 
trale donnée  par  le  professeur  Dupré  de  la  constitution  hyperémo- 
tive. 

En  troisième  lieu  il  convient  d'envisager  les  troubles  de  Y  instabilité 
thyroïdienne,  dont  la  première  description  est  due  à  MM.  Léopold 
Lévi  et  Henri  de  Rothschild  ]  (1911),  développement  de  leur  premier 
travail  sur  la  neurasthénie  thyroïdienne  (1907,  Congrès  des  aliénistes 
et   neurologistes  français,   Genève-Lausanne). 

Parmi  ces  manifestations  d'instabilité  Léopold  Lévi  et  H.  de 
Rothschild  ont  décrit  la  psycholepsie,  ou  chute  de  la  tension  psycho- 
logique, qui  paraît  liée  dans  certains  cas  à  la  colloïdoclasie,  cette 
modification  dans  l'équilibre  physique  des  humeurs,  capable  de  se 
déclancher  sous  l'influence  de  l'introduction  dans  le  milieu  intérieur 
d'albumines  hétérogènes,  ou  même  sous  l'influence  des  émo- 
tions. 

Il  est  intéressant  de  voir  comment,  dans  l'instabilité  thyroïdienne, 
des  états  de  psycholepsie  sont  des  manifestations  d'endocrinolepsie 
par  l'intermédiaire  de  la  colloïdoclasie. 

B.  — J'arrive  maintenant  au  pôle  thyroïdien  des  rapports  de  coïn- 
cidence. 

Un  fait  remarquable,  et  qui  n'est  en  somme  que  l'exagération  en 
psychiatrie  d'une  formule  clinique  de  Landouzy,  c'est  la  dualité  de 
la  pathologie  selon  les  sexes.  Les  services  de  psychiatrie  masculine  sont 
essentiellement  fournis  par  l'alcoolisme  et  la  syphilis.  Au  contraire, 
les  exemplaires  féminins  se  distinguent  par  la  variété,  la  multiplicité 
des  manifestations  morbides,  tenant  à  l'existence  d'un  organe,  l'ovaire, 
dont  les  modifications  périodiques  ont  un  retentissement  psychique 
tel   qu'il  illumine  véritablement  toute  la    psychologie  féminine. 

Les  débiles  mentales  ont  assez  souvent  des  manifestations  thyroï- 
diennes  (myxœdème). 

Les  délirantes  confudonnelles  présentent  quelquefois  des  goitres  ou 
des  symptômes  de  dys  ou  d'hyperthyroïdie. 

1.  Lkopold  Lévi  et  H.  de  Rothschild.  Endocrinologie.  Doin,  1911. 


106  LAI  GNEL-LAV ASTI  \i 

Très  souvent,  c'est  chez  des  remines,  qui  ont  simplement  des 
modifications  de  leur  ton  affectif,  qu'on  trouve  des  altérations  thyroï- 
diennes. 

Ainaldi,   en    1898,   avait  remarqué  la    très    grande  fréquence    des 

lésions    thyroïdiennes  chez  les  aliénées. 

Une  thèse  de  Lyon,  due  à  Moncry,  montrait,  en  1903,  l'augmen- 
tation considérable  de  la  teneur  en  iode  des  thyroïdes  chez  les  mania- 
ques. 

En  1904,  Latarget,  sous  l'inspiration  du  professeur  Poncet,  remar- 
quait la  fréquence  des  manifestations  goitreuses  chez  les  maniaques 
et  proposait  de  leur  faire  une  thyroïdectomie  partielle  pour  les 
améliorer. 

Chez  les  mélancoliques,  Biros,  en  décembre  1904,  insiste  sur  la 
fréquence  des  troubles  thyroïdiens.  Dide  et  Perrin  de  la  Touche 
avaient  remarqué  l'importance  des  lésions  thyroïdiennes  chez  les 
mélancoliques  et  les  maniaques  ;  de  sorte  que  je  me  croyais  autorisé, 
dès  1908,  dans  mon  rapport,  à  affirmer  que  «  les  troubles  psychiques 
basedowiens  apparaissent  surtout  dans  le  ton  maniaque  ou  mélan- 
colique. Ce  fait  peut  être  interprété  dans  certains  cas  comme  une 
confirmation  des  idées  de  Krœpelin  sur  l'unité  nosologique  de  la 
manie  et  de  la  mélancolie  constituant  la  psychose  maniaque  dépres- 
sive. 

On  peut  même  se  demander  avec  Parhon  et  Marbé  si  certains  cas 
de  cette  psychose  ne  relèvent  pas  d'une  perturbation  thyroïdienne. 
La  prédominance  de  la  mélancolie  d'involution  et  de  la  psychose 
maniaque  dépressive  chez  la  femme,  précisément  comme  le 
myxœdème  et  le  goitre  exophtalmique,  permettrait  peut-être  de  le 
penser  d  ». 

Ce  que  j'émettais  à  titre  d'hypothèse  en  1908  est  devenu  une  réalité 
dans  les  conclusions  du  rapport  du  professeur  Parhon-,  de  Bucarest, 
en  1910,  sur  les  troubles  glandulaires  chez  les  aliénés,  où  il  pose 
nettement  cet  axiome,  que  la  psychose  maniaque  dépressive  est  en 
rapport  avec   les  perturbations    du  corps   thyroïde. 

Comment  interpréter  ces  faits?  Ils  sont  de  trois  groupes,  au  point  de 
vue  thyroïdien  et  psychique  : 


1.  Laignei.-L.wastine.  Des  tr.  psychiques  par  perturbât.  îles  glandes  a  secret,  iut  , 
11)08.     Masson,  p.  148. 

'2.  C.  Parhon.  C.ercetari asupra  gîandelor  in  sécrétions  interna  in  raportul  lor  tu  pato- 
logiu  mentala.  Bucarest,  1910,  450  p. 


LES  PSYCHOSES  THYROÏDIENNES  407 

1°  Myxœdème,  dépression,  mélancolie  ; 

2°  Basedow,  excitation,  manie  ; 

3°  Instabilité  thyroïdienne,  inquiétude,  anxiété. 

On  peut  dire  qu'il  existe  des  rapports  neuro-thyroïdiens,  et  parti- 
culièrement psycho-thyroïdiens.  Les  uns  sont  fonction  de  lésion  orga- 
nique, soit  par  agénésie  (myxœdème),  soit  par  perturbation  du  méta- 
bolisme. Ou  bien  ce  sont  des  rapports  purement  fonctionnels,  physio- 
génétiques,  réactionnels  à  des  troubles  ovariens,  ou  psychogénétiques, 
secondaires   à    des  émotions1. 

II.  —  RAPPORT  DE  SOLIDARITÉ 

Cette  coïncidence  s'explique,  dans  la  plupart  des  cas,  par  un  rapport 
de  solidarité. 

Je  vais  me  limiter  aux  psychoses  thyroïdiennes  non  confusionnelles 
et  non  déficitaires,  sans  troubles  intellectuels,  caractérisées  par  des 
modifications  du  ton  de  l'humeur,  ce  qu'on  appelle  à  l'étranger  les 
psychoses  affectives.  Nous  passerons  en  revue  un  certain  nombre  de 
critères  :  critères  cliniques,  anatomo-palhologiqiies,  expérimentaux, 
thérapeutiques. 

1°  Critère  clinique.  —  Déjà  les  statistiques  d'asiles  montrent  un 
rapport  très  étroit  entre  les  deux  ordres  de  faits.  Phillipps  -,  en  1919, 
sur  200  cas  de  psychopathes,  relève  12  %  de  goitreux,  parmi  lesquels 
70  °/0  sont  atteints  de  psychose  maniaque  dépressive.  Pour  analyser 
les  faits  je  les  grouperai  en  trois  séries  :  la  série  morphologique  ;  la 
série  physiologique  (il  y  a  une  grande  ressemblance  entre  les  manifes- 
tations d'hyper  ou  de  dysthyroïdie)  ;  et  la  série  psychologique  :  mani- 
festations psychiatriques,  soit  maniaques,  soit  mélancoliques,  soit 
anxieuses. 

Appliquons  cette  méthode  à  quelques  malades. 

Voici  M1|e  R.,  âgée  de  28  ans.  En  1918  elle  a  commencé  par  être 
une  anxieuse  avec  dépression,  tristesse,  agitation,  désespoir  même, 
avec  idées  de  persécution  et  de  suicide.  Après  quelques  semaines, 
est  apparu  un  goitre.  Elle  présentait  du  tremblement,  une  tachycardie 
à  120,   la   tension  artérielle  à    19-12  au  Pachon.  Depuis  que  M.  Dujar- 

1.  Laignel-Lavastine.  Sécrétions  internes  et  système  nerveux.  Iïeuue  de  méd.,  août 
1914,  nov.  1915.  p.  602-655  et  776  789  ;  et  Nerv.  and  ment,  disease  monograph.  Séries 
n'  30,  New-York,  1919,  59  p. 

2.  Phillipps.  Goitre  et  psychoses.  Journal  of  mental  science,  1919,  n°  65,  p  235- 
248. 


408  LAI  GNEL-LAVASTINE 

rier  a  l'ait  l'ablation  de  son  kyste  thyroïdien,  elle  se  porte  bien. 
Tous  les  troubles  du  caractère  avaient  disparu  trois  mois  après  l'in- 
tervention. 

Il  y  a  ici  nettement  un  rapport  de  solidarité  entre  l'hyperthyroïdie 
t't  la  psychose. 

Voici  M"e  Georgette,  âgée  de  19  ans,  surnommée  dans  le  service 
«  la  Cruche  Cassée  »  en  souvenir  du  tableau  de  Greuze  aucpiel  elle 
ressemble.  Elle  présentait  un  corps  thyroïde  très  gros,  et  en  même 
temps  du  tremblement,  de  la  tachycardie,  de  la  tristesse  et  de  la 
dépression  avec  ennui,  pleurs  fréquents  non  motivés,  bouffées  de 
chaleurs,  anorexie  et  amaigrissement.  Cette  impression  d'ennui  cons- 
tant augmentait  régulièrement  dans  les  cinq  ou  six  jours  qui  précé- 
daient les  règles.  Nous  nous  sommes  contentés  ici  des  moyens  médi- 
caux, nous  avons  fait  la  radiothérapie  de  son  corps  thj'roïde,  qui  l'a 
beaucoup  améliorée  au  point  de  vue  physique  et  mental,  en  atténuant 
son  syndrome  de  Basedow  et  sa   mélancolie,  maintenant  disparue. 

Je  passe  à  un  cas  plus  complexe  :  Mme  Augustine  rentre  dans  la 
catégorie  des  persécutées  mélancoliques,  ou  mélancoliques  persé- 
cutées. 

Elle  a  un  goitre  depuis  l'année  dernière,  un  tremblement  léger  des 
mains,  et  de  la  tachycardie.  Au  point  de  vue  mental,  elle  s'aperçoit 
depuis  surtout  deux  ans  qu'on  la  persécute,  et  pour  échapper  à  ses 
ennemis  elle  a  songé  au  suicide.  «  Dans  ce  qui  m'arrive,  dit-elle,  il 
y  a  un  peu  de  ma  faute,  mais  il  y  a  beaucoup  plus  de  la  faute  des 
autres  :  je  suis  victime  un  peu  de  moi-même,  beaucoup  des  autres.  » 
Pourquoi  cette  association  de  deux  syndromes  ?  C'est  parce  que  cette 
malade  a  un  caractère  paranoïaque  '. 

Comme  l'a  dit  Falret,  il  faut,  chez  ces  malades,  considérer  d'une 
part  le  fond  et,  d'autre  part,  le  relief.  Ici  le  relief  l'emporte  sur  le 
fond.  Le  caractère  paranoïaque  dessine  le  délire  qu'a  préparé  la 
psychose  affective  liée   aux  troubles    thyroïdiens. 

Je  pourrais  multiplier  ces  exemples  de  syndromes  mélancoliques, 
hypomaniaques  ou  anxieux  liés  à  des  goitres. 

Un  autre  type  clinique,  mis  en  évidence  par  A.  Yigouroux,  est  la 
dépression  anxieuse  posl-mênopausique,  iwec  hypertension  et  glycosurie. 
C'est  là  un  type  psycho-physiologique  très  fréquent,  où  les  symptômes 
d'hyperthyroïdie  sont    de   règle. 


1.  Il  n'en   est   d'ailleurs   pas     toujours    ainsi,   comme    vient  de    le    montrer  Ceillier, 
Afin.  médicopsychoL,  juin-juill.  1921). 


LES  PSYCHOSES   THYROÏDIENNES 


4U'J 


Aux   inductions    tirées     des   séries  de     faits    précédents     on    peut 
objecter  : 

1°  Qu'il  s'agit  de  manifestations  fréquentes  en  pathologie  et  que 
cette  fréquence  des 
goitres  et  des  psycho- 
ses  affectives  explique 
qu'on  rencontre  sou- 
vent leur  coïncidence 
chez  le  même  sujet  ; 

2°  Que  pour  des 
troubles  thyroïdiens 
pareils  (augmentation 
de  volume),  on  voit 
des  manifestations  psy- 
chiques très  différen- 
tes ; 

3°  Qu'enfin,  on  peut 
avoir    des    manifesta- 


nts 


l-'ig.  1.  —  Femme  de  31  ans  :    Manie  délirante,  n"  886. 
tlOnS       thyroïdiennes  ,     Tnyroïde  :  Formol,   paraffine,  hématéine-éosine. 

sans     aucun      trouble   Zeiss.  oc.  H.  obj.8mm.  ,.•,,.,  j    .  „ 

On  remarque,  entre  des  vésicules  normales  pleines  de  coiloide  ehro- 

DSVChiaUe.  mophile  à  prédominance  basophile,  des  acini  avec  ou  sans  colloïde 

'     ^  .  bordés  de  cellules  épithéliales   cylindriques.     On    voit  même  dans 

Néanmoins,  nOUS  Sa-         une  vésicule  une  papille  épithéliale  qui  s'enfonce  dans   la  lumière. 

vons  que    pour   avoir 

des  manifestations  psychiques  il  faut  une  prédisposition  mentale. 
Donc,  on  peut  concevoir  que  les  gens  qui  n'ont  pas  eu  ces  réactions 
psychologiques  ont  une  résistance  cérébrale  supérieure.  Dès  (pie 
celle-ci  baisse,   ces  manifestations  apparaissent. 


2°  Critère  anatomo-pathologique.  —  Je  vais  vous  projeter  des 
coupes,  dues  à  mon  collègue  et  ami  M.  Roussy  et  sur  lesquelles  vous 
verrez  les  amas  lymphoïdes,  les  groupements  de  cellules  éosinophiles, 
la  prolifération  de  l'épithélium  des  vésicules  qui  devient  cubique  et 
forme  des  papilles  intravésiculaires,  modifications  typiques  des  acini 
basedowiens. 

Voici  maintenant  un  cas  de  manie  (n°  886  de  ma  collection)  où  l'as- 
pect de  la  thyroïde  est  analogue  aux  préparations  d'hyperthyroïdie 
obtenues  expérimentalement  par  ablation  thyroïdienne  partielle.  On 
voit  des  vésicules  petites,  àépithélium  proliféré  et  qui  tend  à  devenir 
cylindrique.   (Figure  1.) 

Voici  un  cas  de  mélancolie  délirante  (n°  885  de  ma  collection)  chez  une 


410 


I  Ah,\i:i.-I..\\    \sii\i; 


femme  atteinte  de  rétrécissement  niitral,  accompagné  d'une  sclérose 
thyroïdienne  telle  que  les  vésicules  ont  complètement  disparu  sous  la 
sclérose  et  qu'entre  les  anneaux  de  celle-ci  on  ne  voit  plus  que  quelques 


-  -  — -C 

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l'ig- 2.  —  Femme  de  54  ans.  Mélancolie  délirante  avec  asystolie  terminale  dune  maladie  mitrale. 

Thyroïde  :    formol,  paraffine,  hématéine-éosine. 

Zeiss.  oc     II.  obj.  4  mm. 

Sclérose  thyroïdienne  atrophique  intense.  On  remarque  la  disparition  des  vésicules  et  la  persistance  de 
quelques  acini  avec  ou  sans  colloïde  disséminés  dans  une  sclérose  conjonctive  adulte  considérable 
qui  a  transformé  l'organe  en  un  bloc  fibreux.  Au  centre  de  la  préparation,   lésion  d'artéritc. 


îlots  de  cellules  acineuses  limitant  encore  par  endroits  une  lumière  où 
persiste  une  petite  goutte  de  colloïde.  (Figure  2.) 

Voici  enfin  l'adénome  colloïde  enlevé  à  notre  première  malade.  On  y 
remarque  la  grandeur  des  vésicules  bordées  d'épithélium  cylindrique. 
(Figure  3.) 

Malgré  leur  diversité  ces  lésions  ont  un  lieu  commun  :  la  quasi-cons- 
tance de  la  cellule  épithéliale  cylindrique,  qui  parait  être  l'expression 
histologique  de  l'hyperthyroïdie. 

«î°  Critère   expérimental.  —  J'arrive  au  critère  expérimental. 

Déjà,  a  priori,  la  multiplicité  des  faits  expérimentaux  doit  mettre  en 
garde.  Il  en  est  ici  comme  en  thérapeutique.  Lorsqu'il  y  a  trop  de 
médicaments  il  est  probable  qu'aucun  n'a  de  valeur  sérieuse.  De 
même,  plus  les  tests  expérimentaux  sont  nombreux,  moins  il  y  en  a  de 
utilement  bons.  Je  me  contenterai  de  vous  enumérer  les  princi- 
paux. 

Lœvi  a  décrit  \amydriase  après  introduction  de  3 gouttes  d'une  solu- 
tion au   millième  d'adrénaline  dans   le  cul-de-sac  conjonctival.  Har- 


LES  PSYCHOSES  THYROÏDIENNES 


411 


rower  '  a  signalé  la  tachycardie  à  la  suite  de  l'administration  d'extrait 
thyroïdien  à  dose  progressive  pendant  3  jours  ;  Gœtsch,  la  formation 
d'une  aréole  blanche  cerclée  de  rose  et  plus  tard  lavande,  à  la  suite 
d'une  injection  sous-cutanée  d'une  solution  au  deux  millième  d'adré- 
naline.   L'aréole    lavande  persistant  4  heures   après  l'injection  serait 


Fig.  3.  —  Femme  de  25    ans.    Mélancolie  anxieuse  par  goitre    kystique. 
Thyroïde  :  formol,  paraffine. 
I.eitz  oc.  IV.  obj.  7. 
Kyste  colloïde  :  on  remarque  la    grandeur  des  vésicules  et   l'épithélium  cylindrique  qui    les   borde. 


caractéristique  d'hyperthyroïdie.  Tachaud,  en  1911,  a  étudié  l'hypergly- 
cémie alimentaire  après  administration  de  100  grammes  de  glycose. 
Bram,  de  Philadelphie,  a  fait  remarquer  que  les  hyperthyroïdiens  et  les 
individus  en  état  de  sympathicotonie  supportent  particulièrement  bien 
la  quinine. 

Baudouin  et  Porak  et  Claude  ont  montré  le  ralentissement  du  pouls 
à  la  suite  de  l'injection  d'extrait  hypophysaire  (test  du  corps  pitui- 
taire). 


1.  Harrowers  monographs  on  the  internai  sécrétions.  I.  Hyperthyroïdism,  janv.    1921, 
p.  59. 


i  r 


LAIG  VEL-LAVAST1  \ /. 


Des  expériences  faites  avec  mon  interne,  M  Coulaud,  n'ont  pas  chez 
le  lupin  confirmé  la  valeur  de  ce  dernier  test.  Les  injections  d'extraits 
hypophysaires  ont  entraîné  des  variations  du  poids  de  même  ordre, 
aussi  bien  chez  des  lapins  à  corps  thyroïde  longuement  irradié  par  les 
rayons  X  que  chez  des  lapins  neufs. 

De  tous  ces  tests  je  ne  retiendrai  qu'un  seul,  c'est  la  seconde  par- 
tie du  test  de  Gœtsch,  V épreuve  de  la  glycosurie  ad  rènali  nique.  Une  injec- 
tion   intra-musculaire    d'un  milligramme    d'adrénaline  détermine  sou- 


(,ec  ..  Acromégalie 

M.   Vis.  .        Goitre.    Manie 

<ioup...  Dépression   mélancolique 

Roh...  Dépression  mélancolique 

-M.  Viss...      Goitre  (après  irradiation  du  corpsthyroi'Je  10H). 

Vass...             Dépression  mélancolique  (corps  thyroïde  irradié 
15    H) 

Vass...            Dépression  mélancolique  (corps  thyroïde  irradié 
*    H).     . 

Vass...            Dépression  mélancolique  (corps  thyroïJe  irradié 
40   H) 


Fig.  4. 
On    remarque   que    les   quatre   premières   courbes,  prises  chez  des    malades,  où  la   clinique    reconnait 
l  hyperthyroïdie,   sont   caractérisées    par  l'hyperglycosurie,  tandis  que  les  quatre    dernières    courbes, 
prises  chez  la  même  malade  et  une  cliniquement    analogue,  traitées   toutes   deu\  par  la  radiothérapie 
du  corps    thyroïde,  sont   caractérisées  par  l  hypoglycosurie  relativement  au  taux    initial. 

vent  de  la  glycosurie.  On  admet  que  cette  glycosurie  se  produit  plus 
facilement  chez  les  individus  en  état  d'hyperthyroïdie  que  chez  les 
autres. 

J'ai  fait  cette  épreuve  chez  des  malades  soumis  à  un  régime  constant, 
très  riche  en  hydrates  de  carbone. 

Voici  les  résultats  obtenus,  représentés  sur  ces  courbes.  (Figure  4.)  La 
richesse  en  glucose  par  litre  est  inscrite  en  grammes;   Chei  un  acro- 


LES  PSYCHOSES  THYROÏDIENNES  413- 

mégalique  pris   comme    témoin,  on  trouve   2  grammes   à  l'origine  et 
5  gr.  45  après  6  heures. 

Chez  Coup..,  une  mélancolique  avec  tentatives  de  suicide,  syndrome 
de  mélancolie  intermittente,  hyperthyroïdie  manifestée  par  un  peu  de 
tremblement  et  l'augmentation  de  la  raie  vaso-motrice  de  Vulpian,  il  y 
avait   1  gr.  90  de  sucre    avant    l'épreuve,  et  après  6  heures,   4  gr.  20. 

Georgette  Vass..,  dite  la  «  Cruche  cassée  »,  après  avoir  été  soumise 
aux  irradiations  du  corps  thyroïde  par  les  rayons  X,  présente  une 
glycosurie  très  faible,  qui  commence  à  1  gr.  80  et  tombe  après  9  heures 
à  68  centigrammes. 

Viss..,  goitreuse  avec  manie,  passait,  avant  radiothérapie  d'1  gr.  0f) 
à  3  gr.  20  et  après  radiothérapie,  de  2  grammes  à  1  gr.  80,  c'est-à-dire 
avait  après  irradiation  thyroïdienne  une  courbe  inversée. 

Par  conséquent,  vous  voyez  que  l'épreuve  de  la  glycosurie  adréna- 
linique  montre  un  rapport  entre  l'élimination  exagérée  du  sucre  et 
l'hyperthyroïdie. 

L'hyperglycosurie  adrénalinique  nous  a  donc  permis  de  saisir  un  lien 
entre  l'hyperthyroïdie  et  certains  syndromes  affectifs,  maniaques  ou 
mélancoliques. 

Ces  dosages  ont  été  faits  avec  la  plus  grande  exactitude  par  mon 
interne  en  pharmacie,  M.  Louis  de  Saint-Rat  ',  qui  a  imaginé  un  pro- 
cédé très  délicat,  qui  est  une  modification  de  la  méthode  de  Gabriel 
Bertrand.  C'est  le  dosage  à  la  liqueur  de  Fehling  et  le  titrage  de 
l'oxydule  de  cuivre  par  le  permanganate  de  potasse,  après  défécation 
parle  réactif  de  Tanret  (nitrite  mercurique)  et  élimination  du  mercure 
par  la  poudre  de  zinc.  Dans  ce  dosage  des  corps  réducteurs  seul  l'acide 
glycuronique  peut  aussi  fournir  la  réaction.  Il  suffit  de  connaître  cette 
cause  d'erreur  pour  léviter. 

4°  Critère  thérapeutique.  —  J'arrive  au  quatrième  critère,  le 
critère  thérapeutique.  Voyons  d'abord  les  faits  chirurgicaux,  puis  les 
faits  radiothérapiques. 

Un  des  premiers  faits  chirurgicaux,  observé  par  Ballet  et  Delmas, 
concerne  une  femme  hospitalisée  à  Sainte-Anne,  qui  présentait  un 
syndrome  de  Basedow  avec  état  confusionnel.  Elle  eut  la  moitié  droite 
du  corps  thyroïde  enlevée  par  M.  Quénu.  Cette  intervention  fut  suivie 
d'une  amélioration  et  même  de  la  guérison  avec  disparition  des  mani- 
festations confusionnelles. 

1.  L.  de  Saint-Rat  et  J.  Roniaut.  Sur  le  dosage  de  petites  quantités  de  sucres 
réducteurs  dans  les  liquides  de  l'organisme,  Bull,  des  se.  pharnuicologiques,  n°  6, 
juin  1920. 


Ml  LAIG  VEL-LAVASTINE 

Un  cas  très  analogue  a  été  étudié  par  moi  avec  mon  interne  Conlaiid. 
C'est  cette  petite  anxieuse,  qui  avait  un  kyste  colloïde  du  lobe  gauche 
de  la  thyroïde,  et  qui,  une  fois  débarrassée  de  ce  kyste,  a  complète- 
ment guéri. 

Un  autre  cas  identique  a  été  publié  par  Murphy  (Surgical  clin,  de 
Philadelphie,  1916). 

Si  nous  envisageons  maintenant  les  faits  radiothérapiques,  nous 
voyons  qu'une  malade,  qui  présentait  de  l'hyperthyroïdie  avant  la  ra- 
diothérapie, est  maintenant  plutôt  en  état  d'hypothyroïdie,  présentant 
une  disparition  de  la  glycosurie  post-adrénalinique,  et  est  guérie  de 
sa  psychose. 

Je  crois  donc  qu'il  existe  un  rapport  de  solidarité  incontestable  entre 
la  thyroïde  et  certaines  psychoses.  En  somme,  nous  pouvons  dire 
qu'il  existe  un  complexe  thyroïdo-périodiqae,  caractérisé  par  quatre 
signes  constants,  et  trois  contingents.  Les  signes  constants  sont  l'inter- 
mittence, les  troubles  de  la  qualité  de  l'humeur,  l'absence  de  déficit  in- 
tellectuel et  le  changement  de  poids.  Les  contingents  sont  la  prédispo- 
sition féminine,  l'apparition  à  l'occasion  des  divers  incidents  de  la  vie 
génitale  (puberté,  menstruation,  grossesse,  accouchement,  aménorrhée, 
aménopause),  enfin  l'extraordinaire  fréquence  de  l'hérédité.  De  toutes 
les  psychoses,  les  psychoses  thyroïdiennes  sont  les  plus  héré- 
ditaires. Est-ce  bien  le  fait  d'une  hérédité  psychologique  ?  Il  semble 
plutôt  que  ce  soit  le  fait  d'une  hérédité  glandulaire.  C'est  par 
l'intermédiaire  de  l'hérédité  thyroïdienne  que  les  psychoses  affectives 
se  retrouvent  dans  toute  une  suite  de  générations  dans  les  mêmes 
familles. 

III.   —  DYSTHYMIES 

Parmi  les  psychoses  thyroïdiennes,  il  existe  des  dysthymies,  c'est-à- 
dire  des  troubles  de  l'humeur  d'origine  thyroïdienne.  Voyons  quels 
sont  les  caractères  qui  permettent  d'en  poser  le  diagnostic  et  le  trai- 
tement. Ce  qui  caractérise  ce  complexe  thyroïdo-périodique,  c  est 
d'être  l'expression  pathologique  d'une  solidurilé  physio-psycho- 
logique. 

Le  corps  thyroïde  peut  être  considéré,  avec  Léopold  Lévi,  comme  la 
glande  de  l'émotion. 

Un  point  intéressant,  mis  en  évidence  récemment  par  des  expé- 
riences faites  en  Espagne  et  en  Amérique,  c'est  la  dissociation  relati- 
vement fréquente  entre  le  syndrome  physiologique  de  l'émotion  elles 
manifestations  affectives. 


LES  PSYCHOSES   THYROÏDIENNES  415 

Maranon  1  et  Kieley  -  ont  constaté  que,  chez  les  hyperthyroïdiennes, 
une  injection  de  1  à  2  milligrammes  d'adrénaline  détermine  le  com- 
plexe physiologique  de  l'émotion,  avec  du  tremblement,  de  la  tachycar- 
die, des  yeux  plus  brillants,  des  troubles  vaso-moteurs.  Mais  l'individu 
expérimenté  dit  :  je  suis  comme  si  j'étais  ému,  mais  je  ne  le  suis  pas. 

Ceci  vient  à  l'encontre  de  la  théorie  de  William  James  et  de 
Lange,  d'après  laquelle  «  nous  sommes  tristes  parce  que  nous  pleu- 
rons, et  nous  ne  pleurons  pas  parce  que  nous  sommes  tristes  »,  ce  qui 
revenait  à  dire  qu'il  suffisait  de  déterminer  en  nous  les  modifications 
fonctionnelles  de  l'émotion  pour  que  nous  arrivions  à  la  ressentir. 

Déjà,  avant  les  expérience  des  Maranon,  Cannon  avait  montré  qu'il 
y  avait,  sous  l'influence  de  l'émotion,  des  modifications  extrêmement 
intenses  du  milieu  organique,  en  particulier  au  point  de  vue  de  la 
richesse  du  sang  en  adrénaline. 

Par  exemple,  chez  un  chien  qu'on  effrayait,  il  y  avait  de  l'hyperten- 
sion artérielle,  résultat  du  passage  rapide  de  l'adrénaline  dans  le  sang, 
en  raison  de  ce  fait  que  les  nerfs  régulateurs  des  surrénales  arrivent 
à  ces  glandes  sans  relais. 

Crile,  dans  son  livre  sur  les  psychonévroses,  a  longuement  insisté 
sur  leur  caractère  physiogénétique  par  perturbation  glandulaire. 

Ceci  montre  que,  s'il  y  a  des  nécessités  physiologiques  aux  expres- 
sions psychiques,  néanmoins  il  existe  une  très  grande  contingence  dans 
les  manifestations  de  celles-ci  par   rapport  à  leur  substratum. 

Par  conséquent,  dans  cette  analyse  psycho  physiologique,  l'esprit 
reprend  ses  droits. 

Nous  pouvons  donc,  avec  Bergson,  parler  d'une  contingence  spiri- 
tuelle. 

J'arrive  à  l'analyse  d'un  mécanisme  permettant  à  l'esprit  de  mieux 
comprendre  la  genèse  de  ces  états.  C'est  un  progrès  dû  au  professeur 
Widal,  qui  a  montré  que  dans  beaucoup  de  ces  cas  le  mécanisme  n'est 
pas,  comme  on  le  croyait,  un  mécanisme  chimique,  mais  que  très  sou- 
vent il  s'agit  d'un  mécanisme  physique,  et  que  ce  sont  les  modifi- 
cations colloïdales  qui  se  produisent  dans  les  humeurs,  soit  à  la  suite 
de  chocs,  soit  d'une  manière  ps}7cho-génétique.  C'est  ainsi  que  l'émotion 
détermine  des  modifications  non  seulement  nerveuses,  mais  humorales, 
qui  se  manifestent  par  des  changements  de  l'équilibre  colloïdal. 

1.  Maranon  G.  La  réaction  émotive  à  l'adrénaline,  Médical  Ibera,  1920, n°  145,  p.  353- 
357 . 

2.  Kieley.  La  théorie  des  émotions  de  James  en  relation  avec  les  glandes  surrénales. 
Jonrn.  lab.  and  clin.  méd.  St-Louis,  1920,  an.  in:  End   ocrinology,  mai  1921,  p.  328. 


in.  /    UG  VEL-LAVASTINE 

On  a  montré  qu'au  cours  des  grandes  émotions  il  y  avait  leucopénie, 
chute  de  la  pression  artérielle,  modifications  de  la  tension  superfi- 
cielle, etc.,  ce  qui  justifie  cette  expression  populaire  :  «  J'en  ai  eu,  les 
sangs  tournés  ». 

Ceci  montre,  d'autre  part,  (pie  le  rapport  très  judicieux  que  faisaient 
les  cliniciens  entre  les  migraines,  certaines  formes  d'épilepsie.  certaines 
urticaires,  et  les  modifications  de  l'humeur,  était  basé  sur  des  considé- 
rations très  justes. 

A  cet  égard  il  faut  faire  ressortir  l'importance  des  troubles 
thyroïdiens  dans  la  colloïdoclasie.  Comme,  dautre  part,  nous  voyons 
dans  un  grand  nombre  de  cas,  en  psychiatrie,  le  corps  thyroïde  jouer 
un  rôle,  et  que  la  colloïdoclasie  se  rencontre  dans  des  syndromes 
connexes  à  la  thyropathologie  et  la  psychiatrie,  je  me  crois  autorisé 
à  ouvrir  un  vaste  chapitre  de  psychiatrie  colloïdale,  dans  lequel  un 
certain  nombre  de  dysthymies  thyroïdiennes  doivent  rentrer. 

Vous  me  direz  :  les  modifications  thyroïdiennes  sont  multiples,  et 
souvent  il  n'y  a  pas  de  perturbations  psychiques.  Comment  l'expliquer  ? 

On  le  peut,  je  crois,  assez  facilement, 
par  ce  que  j'ai  appelé  le  schéma  du 
rectangle. 

Soit  un  rectangle  ABCD  partagé  par 
la  diagonale  BD  en  deux  triangles  rec- 
tangles (lig.  5). 

Le  triangle  rectangle  inférieur  repré- 
Fig. 5.  sente  la   résistance  cérébrale;  le  supé- 

rieur, l'action  thyroïdienne  Nous  aurons 
au  point  A  une  action  thyroïdienne  énorme  avec  résistance  cérébrale 
extrêmement  faible.  Il  sufïira  de  modifications  thyroïdiennes  très 
légères  pour  entraîner  des  modifications  psychologiques  considérables. 
Ce  sera  l'inverse  au  point  B. 

Ceci  montre  que  les  cas  s'enchaînent  et  qu'il  n'y  a  pas  d'hiatus  entre 
les  psychoses  acquises  et  constitutionnelles. 
Natura  non  facit  salins . 

Cette  représentation  graphique  peut  s'appliquer  mm  seulement  à  la 
psychiatrie,  mais  aussi  à  la  clinique  générale,  pour  expliquer  les  rap- 
ports existant  entre  le  terrain  et  les  actions  morbides,  quelles  qu'elles 
soient. 

Diagnostic.  — Il  faut  appliquer  la  grille  diagnostique  psychiatrique. 
donc  faire  quatre  diagnostics,  celui  du  syndrome,  celui  de  [affection,  et 


LES  PSYCHOSES   THYROÏDIENNES  417 

celui  de  la  maladie,  comme  partout  ailleurs  et  de  plus  ce  cpie  j'appelle 
le  «  diagnostic  du  concierge  »  ou  diagnostic  pittoresque,  en  souvenir 
de  «  la  maison  de  fous  »  représentée  par  Goya  i 

Exemple  :  Voici  une  amoureuse  de  médecin,  variété  dangereuse.  Je 
trouve  chez  elle  des  manifestations  d'hyperthyroïdie,  avec  goitre,  ins- 
tabilité vaso-motrice,  tachycardie.  Un  examen  plus  complet  me  révèle 
une  insuffisance  mitrale.  Je  remonte  dans  ses  antécédents,  et  je  trouve 
qu'en  1918  elle  avait  eu  un  rhumatisme  articulaire  aigu.  J'énonce,  dia- 
gnostic pitlorescpie  :  amoureuse  de  médecin  ;  diagnostic  psychiatrique: 
hypomanie  ;  diagnostic  de  l'affection  :  hyperthyroïdie  ;  diagnostic  de  la 
maladie  :  rhumatisme  articulaire  aigu. 

Traitement. —  Le  premier  point,  c'est  de  décortiquer  la  malade.  Il 
s'agit  de  séparer  tout  ce  qui  est  contingent,  tout  ce  qui  résulte  de  l'ac- 
tion et  de  la  réaction  de  l'entourage  et  des  interprétations  multiples 
faites  parla  malade. 

Donc,  le  premier  traitement  est  le  traitement  psychique,  la 
psychothérapie.  Il  faudra  gagner  la  confiance,  essayer  d'obtenir  le  calme 
le  plus  complet. 

Puis,  le  traitement  hygiénique,  l'hydrothérapie  tiède,  le  séjour  dans 
un  climat  sédatif,  en  face  d'horizons  lointains,  ce  qui  réussit  en  général 
à  amener  une  détente. 

Vous  y  joindrez  la  prescription  d'un  régime  diététique  à  prédomi- 
nance végétarienne,  la  viande  étant  un  excitant  qu'il  convient  ici  de 
réduire  le  plus  possible. 

De  la  thérapeutique  médicamenteuse  vous  ferez  le  moins  possible. 
Néanmoins,  au  point  de  vue  du  traitement  de  la  cause  (rhumatisme,  etc.) 
le  salicylate  de  soude  quelquefois  donne  d'excellents  résultats,  comme 
l'a  montré  mon  maître  Babinski.  La  quinine  diminue  l'excitabilité  du 
système  sympathique,  ainsi  que  Lancereaux  l'avait  vu  le  premier.  Le 
corps  thyroïde  et  l'hémato-éthyroïdine  répondent  à  l'indication  fonc- 
tionnelle Puis  viennent  les  rayons  X,  qu'il  faudra  manier  avec  une 
main  légère,  car  ils  peuvent  entraîner  un  déficit  sans  retour.  Enfin  le 
traitement  chirurgical,  plus  brutal,  mais  plus  exactement  limité,  et 
mieux  connu. 

Ainsi,  je  crois  vous  avoir  montré  qu'il  existe  bien,  parmi  les 
psychoses  thyroïdiennes,  une  variété  organogénétique  qu'on  peut 
appeler  les  dyslhymies  thyroïdiennes. 

1.  L.AIGNEL- LàVASTINE.  Le  diagnostic  en  psychiatrie,  l'rcssc  méd.,  3  juillet  1920. 

CONFÉR.    NEl'ROL.  27 


I  [8  /      /    t/G  w  7  -/    M    in/7  W. 

De  cette  leçon  je  déduirai  une  double  conclusion,  théorique  et  pratique. 

Au  point  de  vue  théorique,  rappelez-vous  le  schéma  du  rectangle,  les 
idées  nouvelles  sur  la  psychiatrie  colloïdale,  le  principe  de  la  réversi- 
bilité psychothyroïdienne,  les  manifestations  thyroïdiennes  secondaires 
au  choc  émotif. 

Au  point  de  vue  pratique,  les  grandes  lois  générales  de  la  pathologie 
s'appliquent  en  psychiatrie.  Il  faut  donc  établir  la  forme  morbide,  sa 
nature  et  sa  cause,  en  remontant  du  diagnostic  pittoresque  et  du  syn- 
drome psychiatrique  à  l'affection  et  à  la  maladie.  En  second  lieu  il  faut 
aboutir  aux  déductions  thérapeutiques  :  psychiques,  hygiéniques,  dié- 
tétiques, médicamenteuses,  chirurgicales  ou  radiothérapiques.  Vous 
voyez  dans  cette  leçon  la  place  que  j'ai  donnée  à  l'équilibre  colloïdal  et 
aux  rayons  X,  l'un  et  l'autre  du  domaine  delà  physique, si  bien  qu'il  me 
sera  permis,  pour  terminer,  de  reprendre  cette  phrase  de  Claude  Ber- 
nard que  je  citais  au  début,  mais  en  la  modifiant  légèrement,  et  de  dire 
que,  si  le  monde  psychique  ne  peut  se  passer  du  monde  physico  chi- 
mique, les  dyslhymies  thyroïdiennes  dépendent  encore  plus  du  monde 
physique  que  du  monde  chimique. 


SEIZIEME   CONFÉRENCE 


Cl.    VURPAS, 

Médecin  aliéniste  de  l'Hospice  de  Bicêtre. 

PETITS  SYNDROMES  MENTAUX.   —  L'ÉTAT  MENTAL 
DES    OBSÉDÉS 


Messieurs, 

La  crainte  que  des  individus  soient  retenus  sans  raison  suffisante 
dans  des  asiles  d'aliénés  est  une  préoccupation  pour  les  pouvoirs 
publics  et  la  magistrature  et  multiples  sont  les  précautions  prises 
pour  éviter  les  séquestrations  arbitraires. 

Cependant  le  nombre  des  sujets  atteints  de  troubles  mentaux  vivant 
de  la  vie  commune  est  sans  contredit  bien  plus  élevé  que  celui  des 
malades  placés  dans  les  asiles .  Il  n'y  a  rien  d'étonnant  qu'il  en  soit 
ainsi  ;  car  ce  sont  des  motifs  d'utilité  pratique  qui  décident  du  place- 
ment des  malades. 

Un  aliéné  est  avant  tout,  en  raison  de  ses  troubles  mentaux,  un  dan- 
ger pour  les  autres  et  pour  lui-même,  et  ce  danger  explique  qu'il  soit 
mis  hors  d'état  de  nuire.  Lorsqu'il  ne  fait  courir  aucun  risque,  il  n'y 
a  pas  lieu  qu'il  soit  interné.  Ce  n'est  donc  pas  le  trouble  mental  lui- 
même  qui  conditionne  le  placement  du\malade  à  l'asile,  mais  les  réac- 
tions qu'il  peut  provoquer. 

Les  différents  troubles  de  l'esprit  qu'on  observe  chez  les  malades 
susceptibles  de  vivre  au  dehors  constituent  l'ensemble  des  petits  syn- 
dromes mentaux,  c'est-à-dire  la  gamme  des  états  intermédiaires  entre 
le  psychisme  normal  et  l'aliénation  mentale.  Ils  peuvent,  d'une  façon 
générale,  être  divisés  en  deux  catégories,  selonjque  le  malade  est  ou  non 
conscient  de  son  trouble  pathologique. 


Chez  les  sujets  non  conscients,  on  rencontrera  tantôt  des  états  de  petite 


120  Cl     V\  RPAS 

confusion,    tantôt   des  modifications   de  l'humeur  dans  un  sens    soit 
d'exaltation,  soit  de  dépression. 

Les  états  de  petite  confusion  sont  fréquents  dans  les  toxi-infections 
et  1rs  diverses  pyrexies  ; — c'est  même  un  trouble  mental  qui  a  servi 
;i  désigner  la  lièvre  typhoïde.  —  L'esprit  s'assoupit,  réalisant  tantôt  le 
type  du  sommeil  simple,  tantôt  celui  du  sommeil  avec  rêves,  les  rêves 
étant  à  vrai  dire  les  hallucinations  physiologiques  du  dormeur. 

Dans  le  premier  cas,  on  assiste  à  l'évolution  de  délires  doux,  tran- 
quilles, dans  lesquels  le  malade  est  absorbé,  distrait,  absent,  pour  ainsi 
dire,  de  son  milieu  ;  il  cause  à  voix  hasse.  tient  des  propos  insignifiants, 
reproduit  les  menus  gestes  de  ses  occupations  courantes  :  on  le  voit 
ainsi  rouler  une  cigarette  inexistante,  tirer  une  aiguille  imaginaire,  boire 
à  une  tasse  absente,  olî'rir  du  geste  un  siège  fictif  à  un  visiteur  invisi- 
ble, etc. 

Dans  d'autres  cas  s'ajoutent  des  hallucinations,  tantôt  intenses,  s'ac- 
compagnant  de  délire  violent  et  sortant  parla  même  du  cadre  de  notre 
sujet,  tantôt  peu  accusées,  fugaces,  sans  réactions  dangereuses. 

Un  enfant  atteint  de  tuberculose  pulmonaire  touche  à  sa  fin.  Il  est 
heureux,  car  il  entend  des  belles  musiques  :  ce  sont  les  anges  qui 
viennent  le  chercher. 

Une  femme  de  46  ans  fait  une  crise  de  rhumatisme  avec  fièvre  légère. 
Elle  voit,  au  milieu  de  la  nuit,  l'image  d'un  mannequin  de  bois  qui, 
placé  à  la  devanture  d'un  magasin  de  confections,  avait  attiré  son 
attention  quelques  jours  auparavant.  Il  lui  apparaît  habillé  de  rouge. 
Elle  reconnaît  les  personnes  placées  auprès  d'elle,  leur  cause,  mais  voit 
toujours  la  vision  grimaçante  qui  se  cache  sous  son  lit,  prête  à  s'élan- 
cer sur  elle.  Vingt-quatre  heures  plus  tard,  l'hallucination  s'était  éva- 
nouie et  ne  devait  plus  reparaître. 

D'autres  fois  encore,  l'hallucination  fait  place  à  la  simple  illusion  et 
le  malade  ébauche  quelques  conceptions  délirantes.  Un  jeune  homme 
fatigué  par  la  préparation  d'examens  difficiles  fait  une  promenade  de 
trente  kilomètres  au  soleil.  Il  présente  la  nuit  suivante  des  maux  de 
tète,  de  l'insomnie,  des  cauchemars  :  le  milieu  qui  l'entoure  devient 
brumeux  :  il  a  des  illusions,  prend  son  frère  pour  l'empereur  d'Allema- 
gne, le  frappe  et  ne  retrouve  sa  lucidité  que  huit  jours   plus  tard. 

De  tels  malades  peuvent  guérir  chez,  eux  ou  à  l'hôpital  et  ne  doivent 
pas  être  internés. 

Les  modifications  de  l'humeur  se  manifestent  soit  par  de  l'exaltation 
intellectuelle,  soit  par  de  la  dépression  mentale. 

L'c\altatioii    intellectuelle    se  traduit  par    une   exubérance  générale  : 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  421 

exubérance  des  sentiments  :  euphorie,  satisfaction  ;  exubérance  des 
pensées  :  conceptions  grandioses,  audacieuses  ;  exubérance  de  langage  : 
loquacité,  bavardage,  inconvenance  des  propos  ;  exubérance  des  actes, 
entreprises  téméraires,  spéculations  aventureuses,  achats  inconsidérés, 
écarts  de  conduite,  etc. 

Si  de  tels  sujets  ne  doivent  pas  encore  être  internés,  il  y  a  lieu  de  les 
surveiller  attentivement  et  d'être  prêt  à  signer  leur  internement,  car 
l'audace  de  leurs  propos  ou  l'indélicatesse  de  leurs  actes  peuvent  les 
conduire  devant  les  tribunaux,  de  même  que  leurs  projets  hasardeux  et 
leurs  dépenses  excessives  pourraient  amener  leur  ruine  et  celle  de  leur 
famille. 

La  dépression  mentale  offre  le  tableau  inverse  de  l'exaltation  :1e  sujet, 
inerte,  triste,  découragé,  pense  avec  difficulté,  s'exprime  avec  peine, 
n'ose  rien  entreprendre,  présente  le  type  de  l'aboulie  ;  il  se  croit  sou- 
vent incapable,  indigne  :  dans  ces  conditions  le  meilleur  remède  à  sa 
situation  lui  semble  être  la  mort  ;  un  tel  sujet  ne  doit  donc  pas  être 
perdu  de  vue,  la  famille  doit  être  avertie  qu'il  y  a  lieu  d'exercer  à  son 
égard  une  surveillance  attentive,  et  qu'à  la  moindre  tentative  ce  malade 
doit  être  interné,  seule  mesure  efficace  pour  éviter  le  suicide. 


Les  sujets  conscients  de  leur  état  pathologique  viennent  d'eux-mêmes 
consulter  le  médecin.  Leurs  troubles  sont  constitués  principalement  par 
les  obsessions  et  les  impulsions. 

Le  premier  de  ces  troubles  nous  occupera  seul  ici  :  nous  nous  conten- 
terons d'en  ébaucher  rapidement  la  description  et  nous  en  analyserons 
plus  minutieusement  le  fond,  c'est-à-dire  l'état  mental  des  obsédés. 

Voici  d'abord  quelques  exemples  de  phobies  et  d'obsessions.  Une  per- 
sonne —  une  femme  le  plus  souvent  —  s'occupe  à  nettoyer  son  apparte- 
ment, à  épousseter  ses  meubles  ou  est  assise  un  livre  à  la  main.  Sur- 
vient une  souris  ;  immédiatement,  elle  abandonne  ses  occupations  et 
monte  sur  une  chaise  ou  sur  une  table  en  appelant  au  secours  —  ou 
bien  elle  gagne  rapidement  la  porte  et  s'enfuit  à  toutes  jambes  —  ou  en- 
core reste  pétrifiée  surplace,  la  bouche  grande  ouverte,  complètement 
aphone  C'est  une  phobie  constitutionnelle.  Nous  disons  constitution- 
nelle, parce  que  cette  femme  a  eu  de  tout  temps  pour  les  rats  et  les 
souris  une  peur  inexpliquée  qui  s'est  toujours  traduite  par  des  réactions 
excessives. 

L'an  dernier,  une  femme  de  45  ans  vient  à  la  consultation,  se  préten- 


122  CL.    \  i  RPAS 

danl  atteinte  d'un  début  de  paralysie.  Habituellement  elle  allait  et  venait 
comme  auparavant,  vaquait  à  ses  occupations  ordinaires  sans  présenter 

aucun  trouble.  Mais'au  moment  de  traverser  une  place,  elle  restait  figée, 
si-s  jambes  refusaient  d'avancer,  elle  était  prise  alors  d'oppression,  de 
palpitations,  éprouvait  un  sentiment  de  malaise  indescriptible  allant 
jusqu'à  l'angoisse  :  il  lui  semblait  qu'un  malheur  la  menaçait,  que  si 
elle  traversait  une  place  elle  allait  tomber  foudroyée  ou  se  faire  écra- 
ser, etc.  Elle  n'avait  pas  toujours  été  ainsi.  Jusqu'à  l'hiver  de  1918,  elle 
n'avait  jamais  rien  éprouvé  de  semblable  :  à  ce  moment,  Paris  étant 
bombardé  par  les  Gothas  et  les  Berthas,  elle  devait,  pour  aller  de 
son  domicile  à  la  station  du  Métropolitain  où  elle  était  employée,  se 
mettre  à  l'abri  et  raser  les  murs.  Quatre  mois  plus  tard,  elle  présentait 
le  trouble  (pie  nous  venons  de  décrire,  et  qui  ne  s'est  pas  modifié  de- 
puis trois  ans.  Cette  femme  n'est  nullement,  comme  bien  l'on  pense, 
atteinte  de  paralysie  ;  ce  qu'elle  présente  est  l'agoraphobie.  Voilà  une 
phobie  accidentelle  —  accidentelle  parce  qu'elle  est  apparue  au  cours 
de  l'existence,  sous  l'influence,  semble-t-il,  d'une  cause  extérieure. 

Lorsque  cette  personne  rentre  chez  elle,  elle  se  livre  à  ses  occupa- 
tions habituelles,  vérifie  ses  comptes  ou  commence  une  lecture.  A  ce 
moment,  l'idée  qu'elle  aura,  le  lendemain,  à  traverser  de  nouveau  une 
place  revient  à  son  esprit  et  s'impose  à  elle,  provoquant  les  mêmes 
troubles,  le  même  malaise,  la  même  anxiété  que  si  elle  se  trouvait  en 
présence  de  la  place  à  franchir.  Ce  trouble  n'est  plus  une  phobie,  mais 
une  obsession. 

L'obsession  est  ainsi  à  la  phobie  ce  qu'est  l'idée  à  la  perception. 

Une  jeune  femme  va  rendre  visite  à  l'une  de  ses  amies.  C'est  la  mode 
des  larges  chapeaux  maintenus  par  de  longues  épingles  dont  l'extrémité 
acérée  devait,  en  vertu  d'une  ordonnance  de  police,  être  munie  d'un 
protège-pointe.  Cette  dame  avait  oublié  son  protège-pointe.  La 
visite  se  passe  normalement  et  l'on  se  quitte  en  s'embrassant.  A 
peine  de  retour  chez  elle,  cette  personne  se  demande  si  elle  n'aurait  pas 
crevé  un  œil  à  son  amie  :  cette  idée  lui  parait  d'abord  absurde,  mais 
revient  néanmoins  à  sa  pensée.  Elle  se  dit  (pie  cet  accident  est  impos- 
sible ;  elle  a  toujours  été  assise  à  un  mètre  au  moins  de  son  amie  ; 
elle  se  souvient  cependant  (pie  cette  dernière  s'est  approchée  d'elle  pour 
voir  de  plus  près  la  broche  qu'elle  portait,  et  à  ce  moment,  son  épingle 
a  pu  lui  piquer  l'œil  ;  s'il  en  était  ainsi,  elle  aurait  crié,  manifeste  sa 
douleur;  elle  se  souvient  alors  (pie  certaines  personnes  sont  anesthesi- 
ques  :  son  amie  est  peut-être  atteinte  de  ce  I rouble.  Mais  elle  le  saurait, 
elle  en  aurait  entendu   parler.    Il  est  vrai  que  le  propre    de    l'anesthesu- 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  423 

est  d'être  ignoré  par  celui  qui  en  est  atteint.  —  Peut-être  son  amie  est- 
elle  dans  ce  cas.  — -  Oui,  mais  la  piqûre  de  l'œil  se  serait  traduite  par 
une  manifestation  quelconque,  aurait  provoqué  une  égratignure  dont 
quelqu'un  se  serait  aperçu.  —  Peut-être,  en  l'embrassant  au  moment  de 
la  quitter,  lui  a-t-elle  piqué  l'œil,  et  comme  la  porte  s'est  à  ce  moment 
refermée  sur  elle,  rien  ne  lui  aurait  traduit  cet  accident.  — Notre  malade 
retourne  ses  idées,  les  discute,  reconstruit  la  scène,  se  donne  des  expli- 
cations et  des  arguments  pour  ou  contre  la  possibilité  de  ce  fait  pen- 
dant plusieurs  heures,  et  jusqu'à  la  fin  de  la  soirée  elle  a  l'esprit 
tourmenté  par  l'inquiétude  et  la  crainte.  Elle  a  envie,  à  un  moment, 
d'aller  sonner  à  la  porte  de  son  amie  pour  se  rendre  compte  si  rien  de 
fâcheux  n'est  arrivé  pendant  sa  visite,  mais  elle  voit  tout  le  ridicule  de 
cette  démarche  à  laquelle  elle  n'ose  se  résoudre.  Voilà  un  exemple 
d'obsession  avec  idée  de  doute  . 

Remarquons  en  passant  le  rôle  de  l'activité  mentale  dans  l'élaboration 
de  ces  obsessions  ;  notre  malade  reconstruit  la  scène  dans  ses  détails 
les  plus  minutieux, se  souvient  que  son  amie  s'est  approchée  d'elle  pour 
examinersa  broche,  pour  l'embrasser,  etc.  Elle  fait  appel  à  ses  souvenirs, 
évoque  tout  ce  qu'elle  peut  savoir,  comme  la  connaissance  de  l'anesthé- 
sie,  fait  en  un  mot,  si  l'on  veut,  une  sorte  de  travail  de  Pénélope  modifié 
en  ce  sens  qu'elle  construit  inconsciemment  ce  qu'elle  essaye  de  défaire 
volontairement. 

Si  nous  essayons  maintenant  d'analyser  la  constitution  de  l'obsession, 
nous  voyons  qu'elle  se  compose  essentiellement  de  trois  éléments  : 

a)  Un  élément  émotif,  —  l'anxiété,  —  qui  se  traduit  par  des  réactions 
exagérées  ; 

b)  Un  élément  intellectuel  dont  le  caractère  est  d'être:  1°  involontaire 
(la  pensée  obsédante  apparaissant  spontanément  et  en  dehors  de  la 
volonté  des  sujets);  2° impérieux  et  irrésistible(l'obsession  s'impose  mal- 
gré la  volonté);  3°  persistant  (le  malade  est  impuissant  à  chasser  cette 
idée  qui  revient  sans  cesse  à  l'esprit  et  dure  parfois  plusieurs  heures, 
parfois  plusieurs  jours  et  même  davantage);  4°  parasite  (c'est  un  vérita- 
ble corps  étranger  de  la  pensée,  qui  rompt  le  cours  normal  des  idées 
jusqu'à  dissocier  la  personnalité  ou  arrêter  l'acte  dans  son  exécution)  ; 

c)  Un  élément  de  conscience  :  le  sujet  se  rend  compte  de  son  trouble 
et  en  reconnaît  la  nature  pathologique. 


L'obsession  doit  être  distinguée  des  idées  fixes,   des  états  mélancoli- 
ques ou  délirants  et  des  manifestations  mentales  automatiques. 


i-i  CL.   1  i  RPAS 

Les  idées  fixes  sont  normales  ou  pathologiques. 

Les  idées  fixes  normales,  comme  celles  du  chercheur,  de  l'artiste,  du 
savant,  le  doute  scientifique,  font  essentiellement  corps  avec  le  sujet  et 
lui  appartiennent  en  propre.  Elles  n'arrêtent  pas  le  cours  régulier  des 
idées,  comme  chez  les  obsédés,  mais  l'excitent.  Elles  n'entravent  pas 
la  production  de  l'œuvre,  mais  l'exaltent.  Elles  ne  désagrègent  pas  la 
personnalité,  mais  la  synthétisent.  Elles  ne  sont  pas  un  endettement  de 
la  pensée,  mais,  au  contraire,  sa  plus  haute  expression. 

Les  idées  fixes  provoquées,  telles  que  les  passions,  le  remords,  sont 
bien  parasites  et  rompent  le  cours  régulierdela  pensée,  mais  l'intensité 
de  leur  cause  les  justifie. 

Il  en  est  de  même  des  idées  fixes  des  délires  systématisés  ;  malgré 
leur  intensité,  elles  font  essentiellement  corps  avec  la  personnalité  du 
sujet  qui,  en  aucun  cas,  n'en  reconnaît  l'état  morbide  ;  malgré  leur 
nature  pathologique,  elles  s'élaborent  selon  un  processus  analogue  à 
celui  des  idées  normales.  Ainsi  en  est-il,  en  particulier,  des  idées  fixes 
hypocondriaques,  des  idées  d 'autoaccusation  des  délires  mélanco- 
liques, si  voisins  de  l'obsession  :  le  mélancolique,  1  hypocondriaque, 
est  convaincu  du  bien  fondé  de  ses  idées,  alors  que  c'est  précisément 
l'incertitude  et  le  doute  qui  caractérisent  l'obsession  véritable. 

Dans  les  états  mélancoliques,  dont  l'anxiété  est  le  symptôme  fonda- 
mental, il  n'y  a  pas  davantage  doute  ou  indécision  ;  l'idée  pathologique 
fait  essentiellement  corps  avec  l'état  mental  du  sujet  qui  croit  de  toutes 
ses  forces  à  sa  réalité. 

D'autre  part,  les  idées  fixes  post-oniriques  et  hystériques  sont  comme 
des  souvenirs  réellement  vécus,  qui  persistent  dans  la  personnalité, 
sans  pour  cela  en  troubler  l'unité. 

Chez  les  épilepliques,  les  idées  persistantes,  impulsives  et  confuses 
comme  les  phénomènes  ordinaires  de  la  névrose,  sont  insuffisantes  pour 
éveiller  l'anxiété  de  l'obsession. 

Dans  les  états  d'obtnsion  ou  d'affaiblissement  intellectuel,  en  rais. m 
de  la  pauvreté  du  fond  mental,  ce  sont  toujours  les  mêmes  idées  et 
images  qui  reviennent  automatiquement  :  tels,  le  rabâchage  de  l'ivrogne 
on  du  confus,  on  les  récits  stéréotypés  des  débiles  et  des  déments. 


Le  nombre  des  obsessions  est  infini  :  il  y  en  a  autant  qu'il  peut  y 
avoir  d'images,  de  représentations- ou  d'idées,  allant  depuis  la  simple 
image  motrice,  représentation  d'un  mouvement,  jusqu'à  la  pensée 
abstraite  traduisant  un  concept  métaphysique  ou  moral  compliqué. 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  425 

Certaine  école  avait  tenté  naguère  de  décrire  à  part  chaque  obsession 
ou  phobie  d'après  son  contenu  représentatif,  mais  n'avait  abouti  qu'à 
individualiser  sans  intérêt  une  multiplicité  de  formes  morbides  et  à 
créer  une  longue  litanie  d'appellations  tirées  de  mots  grecs  et  se  termi- 
nant par  «  manie  »  ou  «  phobie  ».  Ces  distinctions  sont  inutiles,  et,  quel 
que  soit  l'objet  de  l'obsession.  —  qu'il  s'agisse  de  phobie,  de  doute,  de 
scrupule,  ou  même  d'impulsion, —  c'est  toujours  la  même  maladie  ;  ce 
qu'il  importe  de  distinguer,  ce  n'est  pas  leur  contenu,  mais  le  cadre 
dans  lequel  elles  évoluent. 

Tantôt  l'obsession  constitue  à  elle  seule  toute  la  maladie,  tantôt  elle 
n'est  qu'un  épisode  au  cours  d'autres  affections  à  caractère  nettement 
défini. 

L'obsession  constitue  toute  la  maladie.  Nous  venons  de  donner  la  peur 
des  rats  et  des  souris  comme  exemple  de  phobie  constitutionnelle.  Ces 
phobies  sont,  pourrait-on  dire,  monnaie  courante.  Elles  ont  même  des 
noms;  ainsi  la  cynophobie  ou  peur  des  chiens,  la  galéphobie  ou  peur 
des  chats,  etc.  Certains  individus  ne  peuvent  pas  voir  des  fleurs,  des 
rubans,  d'autres  sentir  un  parfum,  sans  manifester  les  réactions  les 
plus  violentes.  Des  grands  hommes  eurent  de  ces  petites  défectuosités 
mentales,  et  ce  n'est  pas  trahir  un  secret  médical  de  rappeler  que  la  vue 
d'un  ânon  faisait  perdre  connaissance  au  duc  d'Epernon,  amiral  de 
France.  Wladislas,  roi  de  Pologne,  se  troublait  et  prenait  la  fuite  quand 
il  voyait  des  pommes;  le  savant  philologue  Scaliger,  néà  Padoue,  frémis- 
sait en  voyant  du  cresson  ;  l'astronome  suédois  Tycho  Brahé  sentait  ses 
jambes  défaillir  à  la  rencontre  d'un  lièvre.  Henri  III,  le  vainqueur  de 
Jarnac  et  de  Moncontour,  le  maréchal  de  Schomberg,  Wellington, 
Napoléon  Ier,  Meyerbeer.  ne  pouvaient  supporter  la  vue  des  chats  '. 
D'ailleurs,  depuis  bien  longtemps,  on  pouvait  lire  dans  Montaigne  : 
«  J'ai  vu  des  gens  fuir  la  senteurdes  pommes  plus  que  les  arquebusades, 
d'autres  s'effrayer  pour  une  souris,  d'autres  rendre  gorge  à  voir  de  la 
crème,  etc.  J  » 

Si  ces  manifestations  mentales  peuvent  se  rencontrer  chez  des  hom- 
mes dont  la  situation  ou  les  travaux  témoignent  de  dispositions  intellec- 
tuelles supérieures,  comme  corollaire  on  les  voit  s'atténuera  mesure 
que  l'on  descend  les  degrés  de  l'échelle  intellectuelle  :  rares  chez  les 
débiles,  elles  disparaissent  chez  les  imbéciles  et  les  idiots. 

Les  obsessions  peuvent  se  montrer  à  l'état  pour  ainsi  dire  isolé.  Une 


1.  Gélineau.    Des   peurs  maladives  ou  phobies.   Paris,  1894. 

2.  In  Pitres  et   Régis.  Les  obsessions  et  les  impulsions.    Paris,  Doin,  1902. 


126  CL.   VURPAS 


idée  s'imposera  à  l'esprit  sous  un  motif  quelconque,  appelé  par  associa- 
tion directe  Ou  par  contraste,  et  durera  un  temps  plus  ou  moins  long;  elle 
sera  une  gêne,  mais  permettra  néanmoins  les  occupations  habituelles. 

D'autres  ibis,  les  obsessions  revêtiront  un  caractère  subintranl,  se 
succéderont  sans  discontinuité,  se  systématiseront  dans  une  certaine 
mesure,  et    alors  on    assistera    à    une  véritable  crise  d'obsession. 

En  voici  trois  types:  le  premier  a  trait  à  une  femme  qui,  impression- 
nable et  inquiète  à  l'excès,  s'est  toujours  l'ait,  d'après  sa  propre  expres- 
sion, «  des  montagnes  d'un  rien  »,  voyant  le  côté  fàcbeuxde  toute  chose, 
et  vivant  dans  un  pessimisme  constant.  A  la  suite  d'une  grippe,  elle 
présente  des  accidents  neurasthéniques  avec  crises  d'obsession.  Elle  a 
un  sentiment  de  vide  cérébral  avec  impossibilité  de  réunir  ses  idées,  de 
fixer  son  attention,  est  inapte  à  tout  travail;  tout  mouvement  lui  est 
pénible.  Elle  se  ligure  être  atteinte  detoutesles  maladies  qu'elle  connaît, 
désespère  de  guérir,  et  redoute  une  mort  prochaine.  A  certains  mo- 
ments, elle  se  sent  poussée  malgré  elle  à  se  donner  la  mort.  La  vue 
d'un  couteau  éveille  chez  elle  l'envie  de  s'en  frapper,  celle  d'une  corde 
l'idée  de  se  pendre,  etc.,  et  chaque  fois  elle  doit  lutter  pour  ne  pas  don- 
ner suite  à  son  désir.  Cet  état  dura  environ  trois  mois  et  notre  malade 
redevint  ce  qu'elle  était  auparavant,  inquiète  et  scrupuleuse.  Depuis 
lors,  à  quatre  reprises,  elle  contracta  des  infections  grippales  qui  chaque 
fois  furent  suivies  des  mêmes  manifestations  d'une  durée  à  peu  près 
égale. 

Ces  crises  d'obsession  semblent  liées  à  une  infection  et  sous  sa  dépen- 
dance. 

Le  deuxième  type  concerne  un  sujet  qui  a  toujours  été  phobique  et 
obsédé  :  il  se  fatiguait  vite,  était  sujet  à  des  maux  de  tête  et  se  plaignait 
le  matin  de  lassitude.  Enfant,  il  redoutait  de  monter  en  voiture,  crai- 
gnant toujours  quelque  accident,  n'osait  communier  par  crainte  de  con- 
fessions imparfaites.  Il  fait  sa  médecine  et  craint  alors  d'être  incapable 
d'achever  ses  études  et  de  passer  sa  thèse,  bien  que  le  succès  couronne 
tous  ses  efforts.  La  guerre  arrive  :  on  lui  donne  un  service  d'hôpital.  Peu 
;i|)iès,  il  a  des  douleurs  de  tête,  avec  constriction  en  casque,  une  sensation 
de  vide  cérébral,  et  surtout  des  crises  d'anxiété  avec  gémissements 
continuels  et  impossibilité  de  rester  en  place.  Ces  troubles  sont  plus 
accentués  dans  la  seconde  partie  de  la  nuit  et  clans  la  matinée  La  domi- 
nante de  cet  état  est  l'existence  d'obsessions  :  notre  sujet  craint  d'être. 
accusé  de  désertion,  de  trahison  même  :  il  se  voit  déjà  traduit  en  conseil 
de  guerre  et  condamné.  La  crise  d'obsession  s'est  ici  développée  sans 
émise  bien  caractérisée.  —  C'est  le  cas  le    plus  fréquent, 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  427 

Dans  le  troisième  exemple,  il  est  question  d'une  femme  de  trente 
ans  qui  a  toujours  été,  elle  aussi,  phobique  et  scrupuleuse,  s'accusant  de 
faire  mal  ce  dont  elle  était  chargée.  A  l'époque  de  sa  première  commu- 
nion, elle  fut  tourmentée  par  la  crainte  d'avoir  toujours  oublié  quelque 
péché  en  se  confessant.  Plus  tard  elle  se  marie.  A  28  ans,  elle  eut  une 
fièvre  typhoïde  grave,  accompagnée  d'un  délire  dont  elle  ne  conserva 
aucun  souvenir.  Un  an  plus  tard,  grossesse,  normale  jusqu'au  cin- 
quième mois.  A  ce  moment,  céphalalgie,  impression  de  vide  cérébral, 
pesanteur  et  faiblesse  des  jambes,  constriction  céphalique  en  casque. 
Quelques  mois  après  l'accouchement,  à  ces  sensations  s'ajoutèrent  de 
l'anxiété  avec  gène  respiratoire,  angoisse  précordiale,  malaise  indéfi- 
nissable, dégoût  insurmontable  de  la  vie,  apathie. 

La  malade  aurait  désiré  être  morte,  mais  ne  se  sentait  pas  poussée  à 
se  tuer.  Quelques  semaines  plus  tard  apparurent  des  accès  d'obsessions 
et  impulsions  au  suicide.  Bien  qu'étant  parfaitement  heureuse  en  tous 
points,  elle  se  sentait  poussée  malgré  elle  et  sans  raison  à  se  tuer,  en 
même  temps  que  s'accroissait  l'anxiété.  Ces  obsessions  n'étaient  d'ail- 
leurs pas  les  seules.  Se  trouvant  un  jour  avec  son  jeune  enfant  sur  les 
genoux,  elle  avait  aperçu  un  couteau  de  cuisine.  Cette  vue  avait  éveillé  en 
elle  l'idée  d'enfoncer  le  couteau  dans  la  poitrine  de  l'enfant,  et  ce  désir 
était  devenu  si  impérieux  qu'elle  avait  dû  quitter  l'appartement.  Elle 
eut  alors  la  représentation  mentale  vive  de  l'acte  accompli,  qui  lui  fit 
horreur  et  provoqua  en  même  temps  une  détente.  Une  autre  fois,  au 
moment  de  se  coucher,  elle  éprouva  l'irrésistible  besoin  de  s'exhiber 
en  chemise  dans  la  rue.  Elle  se  dirigea  vers  la  porte  pour  satisfaire  ce 
désir,  mais  la  vue  de  ses  enfants  arrêta  cette  tentative.  Elle  présentait 
également  des  impulsions  :  un  jour,  elle  faillit  succomber  à  la  tentation 
de  lancer  sans  motif  un  bol  à  la  tète  de  son  mari  pendant  le  déjeuner. 
Mais  l'obsession  dominante  était  celle  de  suicide,  et  revenait  environ 
deux  fois  par  mois,  par  périodes  de  huit  à  dix  jours.  Ces  accès  étaient 
coupés  par  des  phases  d'exaltation  dans  lesquelles  la  mentalité  se  trans- 
formait. A  la  tristesse  succédait  une  gaîté  exagérée,  également  sans 
motif.  La  malade  se  reprochait  d'avoir  voulu  se  tuer  et  se  promettait 
de  n'avoir  plus  semblable  pensée  :  elle  se  sentait  forte.,  heureuse  de 
vivre,  s'occupait  avec  activité  de  son  ménage,  de  ses  enfants,  voyait 
l'avenir  en  rose,  voulait  sortir,  aller  au  bal,  au  théâtre  :  elle  chantait 
la  plus  grande  partie  de  la  journée.  Cette  période  d'excitation  était 
d'une  durée  à  peu  près  égale  à  celle  des  phases  de  dépression  avec 
obsessions. 

Ces  différents  cas  sont  distincts  les  unsdesautres.  Dansle  premier,  les 


128  CL.   VURPAS 


crises  d'obsessions  sont  provoquées  par  une  maladie  infectieuse;  dans 
le  deuxième,  elles  ne  paraissent  amenées  par  aucune  cause  bien  déter- 
minée; dans  le  troisième,  au  lieu  d'être  continues,  elles  revêtent  le  type 
périodique  OU  circulaire,  caractérisé  par  l'alternance  de  périodes  d'exal- 
tation et  de  dépression  avec  obsessions  '. 


Jusqu'ici  nous  avons  vu  que  les  obsessions  présentaient  un  carac- 
tère intermittent.  L'obsession  isolée  revient  de  temps  à  autre,  mais  ne 
persiste  pas  de  façon  continue.  Les  crises  d'obsession  n'apparaissent 
qu'à  certaines  périodes.  Existe-t-il  un  état  mental  continu  plus  profond, 
qui  conditionnerait  l'éclosion  de  ces  troubles,  ceux-ci  n'en  étant,  pour 
ainsi  dire,  que  l'exagération  ?  en  un  mot,  les  obsédés  ont-ils  un  état 
mental  particulier? 

Les  dispositions  mentales  relevées  chez  eux  pourraient  être  rappor- 
tées, les  unes  à  Y émotivité ,  les  autres  à  V intelligence,  d'autres  enfin  à 
l'activité. 

Le  caractère  principal  du  trouble  émotif  est  l'exagération  qui  se  tra- 
duit par  de  la  timidité,  de  Y  inquiétude,  un  état  de  crainte  générale,  un 
sentiment  de  dissalisfaction,  d'incomplétnde. 

Le  sujet  est  timide  devant  les  gens,  devant  les  événements,  les  affaires, 
devant  la  vie.  Cette  timidité  envers  les  personnes  le  rend  gêné,  lui  fait 
perdre  contenance,  le  prive  de  ses  moyens  :  les  impressions  défavora- 
bles qu'il  éprouve  de  ce  fait  lui  font  attribuera  autrui  des  sentiments  en 
rapport  avec  ces  impressions  :  c'est  ainsi  que  les  gens  avec  lesquels  il 
entre  en  contact  lui  semblent  désagréables  et  hostiles  :  «  ce  sont  des 
poseurs,  des  arrogants»,  etc.;  il  en  résulte  qu'il  restreint  déplus  en 
plus  le  cercle  de  ses  relations.  Timide  devant  les  événements  et  les 
affaires,  il  n'ose  rien  entreprendre,  redoute  toujours  un  malheur,  une 
catastrophe;  il  diminue  son  activité,  réduit  au  minimum  ses  affaires  et 
circonscrit  autant  qu'il  le  peut  le  champ  de  ses  entreprises.  Il  en  est 
de  même  pour  toutes  les  autres  choses  de  la  vie  :  il  est  rebelle  à  toute 
initiative,  à  tout  ce  qui  sort  de  ses  habitudes,  de  sa  routine. 

Il  est  inquiet  pour  lui,  pour  sa  santé,  pour  sa  vie,  pour  sa  famille  et 
son  entourage,  pour  ses   affaires.  Il    vit  dans    un    état  de  crainte  conti- 


1.  La  conception  de  l'obsession,  manifestation  dans  certains  cas  de  la  psychose  ma- 
niaque dépressive,  a  été  soutenue  par  MM.  Drny  et  René  Charpentier  au  Congrès  de 
Nantes  (août  1909)  et  dans  V Encéphale  (octobre  1909  ,  «  Obsessions  et  psychose  mania- 
que dépressive  ». 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  429 

miellé,  soit  pour  le  présent,  soit  pour  l'avenir,  soit  même  pour  le  passé. 
Dans  le  présent,  il  est  tourmenté  par  la  peur  de  ne  pouvoir  arriver  à  la 
fin  de  ce  qu'il  entreprend  :  il  s'imagine  qu'il  ne  pourra  jamais  faire  face 
à  la  tâche  qui  lui  incombe  :  L'avenir  lui  apparaît  plein  de  surprises 
inquiétantes  et  fâcheuses,  il  voit  tout  en  noir  et  ne  pense  qu'aux  catas- 
trophes possibles,  aux  malheurs  imprévus.  Le  passé  lui-même  le  préoc- 
cupe :  il  lui  est  une  source  à  la  fois  de  regret  et  d'inquiétude  :  il  regrette 
ce  qu'il  a  fait,  ce  qu'il  n'a  pas  fait,  les  occasions  dont  il  n'a  pas  profité, 
celles  dont  —  à  tort  peut-être  —  il  a  pu  bénéficier,  le  sens  dans  lequel 
il  s'est  dirigé,  etc. 

Toujours  mécontent  de  lui-même  et  des  autres,  il  ne  trouve  rien  de 
bien  :  son  lit  est  mal  fait,  sa  table  mal  mise,  ses  comptes  sont  mal  tenus. 
Il  veut  toujours  refaire  son  ouvrage  ou  le  faire  recommencer.  Ce  sen- 
timent d'incomplé Inde  domine  d'ailleurs  toute  sa  vie  :  il  éprouve  le  besoin 
continuel  de  parachever,  de  perfectionner  ce  qu'il  voit  et  qui  lui  sem- 
ble avant  tout  incomplet,  aussi  tous  ses  efforts,  toutes  ses  aspirations 
sont  d'avance  paralysés  par  ces  sentiments. 

Du  côté  de  Inintelligence,  la  note  dominante  est  le  doute. 
Le  sujet  n'est  jamais  sûr  de  ses  sensations  :  il  doute  de  lui  et  des 
autres. Il  n'est  pas  certain  d'avoirbien  compris  cequ'ila  entendu,  ce  qu'il 
a  vu,  ce  qu'il  a  lu,  etc.  Il  lui  faut  des  vérifications  continuelles.  Il  redoute 
tout  de  lui-même  et  des  événements  :  il  attend  les  pires  conséquences 
d'incidents  simples  en  eux-mêmes.  Un  parent  va-t-il  en  voyage  ?  il 
voit  le  train  qui  remporte  déraillant,  la  voiture  versant  ou  tombant  dans 
un  précipice,  le  bateau  coulant  à  pic.  Un  orage  éclate-t-il  ?  c'est  sur  sa 
maison  que  la  foudre  va  tomber  :  le  vent  va  arracher  la  toiture  qui  ira 
tuer  ou  blesser  un  passant  ;  celui-ci  lui  deviendra  une  charge,  puisqu'il 
devra  lui  fournir  une  pension,  etc.,  etc. 

Accompagné  de  ce  pessimisme  constant,  le  doute  perpétuel,  sur  sa 
conduite  devient  le  scrupule.  Le  sujet  a  peur  de  mal  s'acquitter  de  sa 
tâche,  de  n'avoir  pas  fait  tout  ce  qui  était  son  devoir.  Il  se  reproche  des 
négligences  qui  ont  peut-être  compromis  les  intérêts,  la  sécurité  ou  la 
viedautrui.il  revient  sur  son  passé  pour  en  voiries  lacunes  ouïes 
défauts.  Il  en  arrive  ainsi  à  ressassertoujours  les  mêmesidées  (véritable 
rumination  intellectuelle),  et  se  confine  dans  un  cercle  presque  inva- 
riable de  pensées  (piétinement  mental). 

Pour  sortir  de  cet  état,  une  intervention  étrangère  est  souvent  néces- 
saire, et  ce  secours  d'autrui  lui  est  parfois  apporté  par  simple   affirma- 
tion, sans  qu'il  soit  besoin  de  raisonnement  ou    Été  démonstration. 
Uactwité  est  essentiellement  hésitante.  L'obsédé  est  un  indécis.  Il  ne 


130  CL,   \  i  m'As 


peut  se  résoudre  à  aucun  parti,  recule  perpétuellement  devant  toute 
initiative,  même  anodine. 

Il  résulte  de  tout  cela  que  ces  sujets,  rompant  leurs  relations,  restrei- 
gnant leurs  affaires,  limitant  leur  activité,  s'isolant  de  plus  en  plus  du 
monde,  diminuent  leur  expansion,  creusent  un  fossé  entre  eux  et  la 
société,  se  recroquevillent  sur  eux-mêmes,  et,  comme  on  dit  vulgaire- 
ment, «  rentrent  dans  leur  coquille  ». 

Cet  état,  en  lui-même,  constitue  une  véritable  maladie,  moins  appa- 
rente cpie  l'obsession  elle-même,  qui  en  est  l'exagération  momentanée, 
véritable  feu  de  paille  flambant  par  intervalles.  Ses  conséquences  n'en 
sont  pas  moins  néfastes  pour  l'individu,  soit  dans  sa  mentalité,  soit  dans 
sa  condition  sociale. 


Les  diverses  particularités  mentales  (pie  nous  venons  de  voir  à 
l'état  permanent  chez  les  obsédés  forment,  ainsi  envisagées,  des  com- 
plexes peut-être  un  peu  vagues   et  imprécis. 

11  semble  (pie  l'on  puisse  trouver  des  signes  à  la  fois  plus  nets,  plus 
précis  et  plus  objectifs  en  s'adressant  aux  manifestations  les  plus  sim- 
ples des  fonctions  soit  réceptrices,  soit  motrices,  et  qui  seraient  la  traduc- 
tion extérieure  de  cet  état  mental  '. 

Du  côté  moteur,  notons  d'abord  qu'on  ne  relève  aucune  altération 
des  organes  musculaires  ou  nerveux.  Le  trouble  apparaît  dans  l'exécu- 
tion de  certains  mouvements.  La  première  modification  nous  a  semblé 
l'exagération.  Un  sujet  a  un  ruisseletà  franchir  :  il  fait  un  bond  d'une 
ampleur  excessive.  Un  autre,  ayant  à  transporter  d'un  buffet  sur  une 
table  une  tasse  fragile,  la  saisira  avec  beaucoup  de  délicatesse,  l'élè- 
vera   très  haut  pour    être    sur   de  ne    pouvoir  rien  rencontrer  sur  son 

1.  Une  double  remarque  s'impose  pour  ce  qui  va  suivie  : 

l°On  pourrait  objecter  que  ces  manifestations,  considérées  comme  caractéristiques 
du  fond  mental,  sont  elles-mêmes  en  réalité  des  phobies  et  des  obsessions.  Sans  doute, 
peut-on  répondre,  on  trouvera  toujours  à  la  hase,  des  altérations  relevant  du  même 
état  mental,  puisque  l'obsession  n'est  que  l'exagération  morbide  de  cet  état.  Mais, 
par  définition,  ces  troubles  ne  sont  pas  des  obsessions,  au  sens  propre  du  mot,  puis- 
qu'ils ne  s'accompagnent  pas  d'anxiété,  et  que  le  malade  ignore  leur  nature  patholo- 
gique. C'est  en  effet  le  plus  soin  eut  le  médecin  qui  les  lui  révèle  ail  cours  de  I  exa- 
men 

21  Le  médecin  consulté  doit  compter,  pour  les  établir,  plus  sur  l'interrogatoire  du 
malade  que  sur  son  observation  directe.  Cette  dernière  n'est  en  effet  possihle  que 
lorsqu'il  peut  voir  vivre  le  malade  un  certain  temps,  le  suivie  dans  ses  évolutions, 
comme  cela  est  possible  à  l'hôpital.  On  ne  peut  pas,  en  effet,  déelancher  à  volonté 
l'apparition  de  ces  signes,  comme  on  obtient  la  production  d'un  réflexe,  et  il  faut  les 
voir  quand  ils  se  présentent. 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  431 

passage,  et  la  déposera  avec  d'infinies  précautions.  Partout  il  dépasse 
l'effort  nécessaire. 

Une  autre  altération  porte  sur  la  mise  en  train  du  mouvement.  C'est 

I  hésitation  du  début.  Tel  est  le  sujet  qui,  au  moment  d'écrire,  ou  de 
donner  simplement  sa  signature,  laissera  quelques  secondes,  sa  plume 
immobile  ou  à  peine  animée  d'un  léger  mouvement,  avant  de  tracer  les 
traits  qui,  une  fois  commencés,  se  poursuivront  normalement. 

Une  autre  particularité  s'observe  également  à  la  fin  du  mouvement, 
que  le  sujet  prolonge  sans  nécessité.  C'est  la  continuation  après  achève- 
ment. Ferme-t-ilune  porte  à  clef?  Il  continuera  à  tourner  la  clef  dans  la 
serrure,  bien  que  cependant  la  fermeture  soit  complètement  réalisée. 
Doit-il  éteindre  une  lartq^e  électrique  ?  Il  continue  la  pression  sur  l'in- 
terrupteur, alors  que  la  lumière  a  déjà  disparu.  Timbre-t-il  une  lettre? 

II  continue  d'appuyer  le  doigt  sur  le  timbre  bien  plus  longtemps  qu'il 
n'est  nécessaire  pour  en  assurer  l'adhérence. 

Mais  de  tous  les  troubles  moteurs,  le  plus  intéressant  et  le  plus  fré- 
quent est  la  répétition  du  mouvement.  Regardons  un  de  ces  sujets  faire 
une  malle  ou  ranger  un  placard.  Il  place  les  objets  une  première  fois, 
les  ressort,  les  pose  à  un  autre  endroit,  les  reprend  pour  les  mettre 
ailleurs,  les  retourne,  ne  les  trouve  jamais  bien  placés  et  les  met  dans 
divers  sens  ayant  de  les  laisser  définitivement.  Dépose-t-il  un  objet  sur 
une  table?  Il  le  déplace,  le  dérange  à  plusieurs  reprises,  le  tourne,  le 
retourne,  avant  d'être  satisfait  de  sa  position.  Au  moment  de  mettre 
une  lettre  à  la  poste,  ces  sujets  vérifient  à  plusieurs  reprises  l'adresse, 
s'assurent  que  l'enveloppe  est  bien  cachetée  et  s'y  reprennent  à  plu- 
sieurs fois  avant  de  la  glisser  à  la  boîte.  Ferment-ils  leur  porte?  Ils  la 
poussent  à  plusieurs  reprises  pour  s'assurer  qu'elle  est  bien  fermée. 

Dans  le  domaine  sensitivo-sensoriel,  nous  retrouvons  des  modifica- 
tions exactement  superposables  à  celles  observées  dans  le  domaine  moteur; 
on  ne  relève  pas  de  troubles  organiques  proprement  dits  :  les  sensa- 
tions et  perceptions  sont  normales,  mais  dans  le  domaine  de  la  repré- 
sentation et  de  l'imagination,  on  note  principalement,  là  encore, 
ï exagération,  la  persistance  et  la  répétition. 

\J  exagération  s'observe  dans  l'exaltation  des  représentations  men- 
tales et  dans  celle  de  l'imagination  évocatrice.  A  la  vue  d'une  souffrance 
ressentie  par  une  tierce  personne,  l'individu  en  éprouve  de  la  douleur 
dans  la  même  région.  A  un  degré  plus  accentué,  la  lecture  ou  la  des- 
cription provoque  les  mêmes  phénomènes.  A  la  lecture  d'un  roman,  à 
la  vue  d'une  pièce  de  théâtre,  le  sujet  oublie  sa  propre  personnalité 
pour  prendre  celle  des  personnages  du  livre  ou  de  la  pièce*  Il  lui  sein- 


132  CL.   VI  m'As 


hic  (|u  il  s'agit  de  lui,  car  il  s'identifie  avec-  les  héros  qui  lui  sont  repré- 
sentés. 

La  persistance  des  représentations  mentales  s'ajoute  à  cette  exalta- 
tion. K...  Léon,  musicien,  assiste,  dans  un  cirque,  à  la  chute  d'un  équi- 
libriste  qui  s'est  simplement  blessé.  L'impression  de  cette  scène  va  en 
s'amplifiant,  et  pendant  plusieurs  jours,  il  ne  peut  chasser  cette  vision 
de  son    esprit. 

Enfin,  c'est  la  répétition  des  représentations  et  des  idées.  De  telles 
personnes  reviennent  constamment  sur  les  mêmes  faits.  Assistent-elles 
à  une  discussion  ou  à  un  accident? Pendant  plusieurs  jours  elles  n'entre- 
tiennent leur  entourage  que  de  cet  événement.  Il  n'est  pas  nécessaire 
qu'une  scène  impressionnante  les  ait  frappées.  Mais  un  incident  banal 
qui  a  fixé  leur  attention  revient  constamment  à  leur  esprit.  Elles  répè- 
tent toujours  les  mêmes  choses  et  racontent  les  mêmes  histoires. 

11  convient  d'ailleurs  de  ne  pas  confondre  cet  état,  qui  relève  d'un 
fond  émotif,  avec  le  rabâchage  du  débile  ou  du  dément  chez  qui  l'indi- 
gence intellectuelle  et  la  pénurie  des  images  ramènent  toujours  les 
mêmes  à  l'esprit. 

11  ne  faut  pas  davantage,  dans  l'ordre  moteur,  confondre  avec  ces 
caractères  d'exagération,  de  persistance,  de  répétition,  traduisant  l'état 
mental  des  obsédés,  les  stéréotypies des  déments,  —  déments  précoces  en 
particulier,  —  ainsi  que  les  gestes  ou  attitudes  voulues  de  certains  déli- 
rants sous  la  dépendance  même  de  leurs  idées  délirantes.  Il  y  a  donc 
lieude  ne  pas  isoler,  chez  les  obsédés,  les  modifications  de  l'état  moteur, 
des    manifestations    des  représentations  mentales    et  de  l'imagination. 

La  lecture  est  assurément  le  plus  facile  à  examiner  de  tous  les  actes 
dans  lesquels  se  trouvent  à  la  fois  réunies  des  impressions  sensitivo- 
sensorielles.  des  incitations  motrices,  des  opérations  intellectuelles 
multiples,  telles  que  représentation,  mémoire,  imagination,  etc.  Cet 
examen  sera  particulièrement  intéressant  chez  l'obsédé,  soit  qu'on  le 
fasse  lire  devant  soi,  soit  surtout  qu'on  l'interroge  sur  ses  diverses 
réactions  à  la  lecture.  Tout  d'abord,  au  lieu  délire  d'un  trait,  avec  une 
certaine  vitesse,  il  s'arrête  à  chaque  mot,  voulant  en  avoir  la  significa- 
tion et  la  représentation  complètes,  ce  qui  coupe  la  phrase  et  rend  la 
compréhension  plus  difficile.  Il  revient  alors  sur  les  mots  déjà  lus, 
décompose  la  phrase  et  arrive  à  perdre  le  fil  du  récit  en  voulant  trop 
le  scruter  et  le  comprendre.  Ce  qu'il  lait  pour  les  mots,  il  k-  refait  poin- 
tes phrases,  qu'il  recommence  à  plusieurs  reprises,  afin  d'en  mieux 
pénétrer  h-  sens,  et  parune  trop  grande  minutie  Au  détail  il  n'arrive 
qu'à  obscurcir  et  embrouiller  le  sens  gênerai  (lu  texte,  ce  qui   l'oblige  à 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  433 

recommencer.  Il  en  résulte  une  lenteur  désespérante  de  la  lecture  qui, 
au  lieu  d'un  plaisir,  devient  une  fatigue  et  même  un  acte  pénible. 

Les  mêmes  lenteurs,  dues  aux  mêmes  hésitations  et  répétitions,  se  repro- 
duisent dans  les  divers  actes  de  la  vie  courante. 

En  somme,  ces  sujets  ne  manquent  en  général  ni  de  vivacité  ni 
d'adresse,  mais  ce  qui  ralentit  leurs  actes,  c'est  la  multiplicité  des  mouve- 
ments inutiles. 

L'imagination  des  obsédés  esten  général  d'une  richesse  remarquable, 
et  dans  certains  cas  elle  les  dessert  en  assombrissant  les  moindres 
événements  auxquels  elle  attache  toujours  quelques  complications 
fâcheuses.  Dans  d'antres  cas,  par  contre,  elle  devient  un  point  d'appui 
pour  le  sujet  et  lui  fournit  parfois  un  moyen  de  lutter  contre  son  obses- 
sion, témoin  cette  observation  rapportée  par  Truelle  et  Eissen  !.  Un 
obsédé  délirant,  voulant  essayer  de  guérir  sa  peur  de  l'obsession  par 
une  peur  encore  plusviolente,  imagine,  —  après  lecture  d'une  histoire 
analogue,  rapportée  par  un  fait  divers,  —  qu'il  était  médecin  à  bord 
d'un  bateau.  Ce  bateau  transportait  des  cobras  dans  une  caisse.  La 
caisse  s'était  ouverte  et  tous  les  serpents  se  répandaient  à  travers  le 
navire.  Pendant  quinze  jours,  il  vécut  ce  rêve  volontaire,  ne  voyant 
rien  de  ce  qui  se  passait  autour  de  lui,  faisant  abstraction  du  milieu 
réel,  et  conformant  sa  conduite  à  la  scène  imaginée. 


Nous  avons  vu  que  les  particularités  observées  dans  l'état  moteur, 
se  manifestent  surtout  dans  les  menus  faits  de  la  vie  courante.  Comment 
se  comportent  les  sujets  dont  la  vie  ordinaire  se  compose  surtout  de 
menus  faits  ? 

Un  teneur  de  livres  vérifiait  à  tout  instant  ses  comptes  et  sa  caisse  ; 
un  receveur  d'omnibus  et  un  garçon  de  café  recomptaient  constam- 
ment leur  monnaie,  craignant  toujours  de  s'être  trompés  ou  de  n'avoir 
pas  fait  payer  un  client.  Une  ménagère  recommençait  plusieurs  fois  de 
suite  ses  nettoyages.  En  somme,  tous  étaient  gênés  dans  leurs  occupa- 
tions, que    certains    durent    même   interrompre   pour    ce    motif. 

Or,  qu'exigent  ces  professions  ?  C'est  avant  tout  un  bon  automa- 
tisme. Pour  qu'un  comptable  exerce  sa  profession  facilement  et  sans 
fatigue,  il  faut  qu'il  puisse  faire  ses  comptes  et  sa  caisse   au  milieu    i\u 


1.  Truelle  et  Eissen,    Pseudo-délire  par    aulo-suggestion  chez    un  obsédé,  in  Annales 
médico-psychologiques,  mai  HlliS. 

CONFÉR.    NEUROL.  '28 


i:;i  CL.   VURPAS 


bruit  du  magasin  el  des  conversations  des  clients.  De  même,  pour  le 
receveur  d'omnibus  qui,  tout  en  faisant  payer  ses  voyageurs,  peut 
donner  des  renseignements  et  soutenir  la  conversation  avec  d'autres 
personnes.  De  même  le  garçon  de  café  qui,  tout  en  recevant  sa  mon- 
naie, parle,  plaisante  même  avec  les  consommateurs.  Toutes  ces 
occupations  doivent  être  en  quelque  sorte  tout  automatiques.  La 
gène  que  l'on  observera  dans  ces  cas,  traduira  donc  une  défectuosité  de 
l'automatisme,  et  il  semble  qu'en  effet,  ces  troubles  de  l'automatisme 
sont  précisément  ceux  qui  forment  le  fond  mental  des  phobiques  et  des 
obsédés  '. 


Quelle  est  maintenant  l'évolution  de  ces  troubles  ?  La  crise  d'obses- 
sion guérit  habituellement,  quitte  à  se  reproduire  après  un  temps  plus 
ou  moins  long,  mais  dans  l'intervalle  persistent  toujours  des  obses- 
sions isolées  ou  des  idées  obsédantes  qui  ne  sont  que  l'exagération  du 
fond  mental  même,  et  l'on  doit  parler,  dans  ces  cas,  de  rémissions 
plutôt  que  de  véritable  guérison. 

Il  y  a  lieu  de  mentionner  toutefois,  qu'avec  l'âge,  les  obsessions 
peuvent  augmenter  d'intensité,  aller  en  s'aggravant,  les  paroxysmes 
devenir  plus  longs,  en  même  temps  que  les  intervalles  qui  les  séparent 
se  raccourcissent  jusqu'à  passer  à  l'état  presque  continu,  se  rappro- 
chant, par  certains  côtés,  dans  ces  cas,  des  phénomènes  délirants. 

Les  relations  des  obsessions  avec  les  délires  peuvent  affecter  plu- 
sieurs types  : 

1°  L'obsession  est  masquée  par  l'apparition  d'un  délire:  confusion 
mentale,  délire  onirique,   par  exemple. 

2°  L'obsession  existe  à  côté  des  idées  délirantes:  un  obsédé  fait  un 
délire  et  conserve  sa  tournure   d'esprit    habituelle. 

3°  L'idée  délirante  prend  un  caractère  obsédant. 

4°  C'est  une  hallucination  qui  prend  ce  caractère  obsédant,  et  à  ce 
sujet    nous    devons    rappeler  les    cas    d'hallucinations  obsédantes    et 


1.  Sans  doule,  l'exercice  des  professions  intellectuelles  peut  être  également  gêné  par 
les  obsessions  et  les  phobies,  témoin  le  médecin  on  le  prêtre,  obligés  d'interrompre 
leur  service,  l'un  s'accusant  de  la  mort  de  ses  malades,  l'autre  d'un  état  de  conscience 
incompatible  avec  son  ministère.  Mais  là  encore,  la  l'onction  intéressée,  quelle 
qu'elle  soit,  est  L'équivalent,  à  un  degré  supérieur,  de  celle  que  nous  venons  de  saisir 
dans  le  mécanisme  le  plus  simple  de  la  vie  courante  matérielle,  les  troubles  moteurs 
que  nous  avons  signalés  on  étant  l'expression  apparente. 


ÉTAT  MENTAL  DES  OBSÉDÉS  435 

d'obsessions  hallucinatoires  que  M.  Séglas  '  a  si   bien  mis  en  lumière. 

5°  Le  sujet  prend  son  obsession  comme  point  de  départ  d'un  délire 
qu'échafauderont  une  activité  mentale  mal  orientée  et  un  besoin  débor- 
dant d'analyse.  Par  ce  mécanisme  pourront  éclore  des  délires  par  ana- 
lyse ou,  si  l'on  vent,  par  introspection,  qui  prendront  des  tournures 
différentes,  suivant  le  sens  dans  lequel  se  dirigeront  les  investigations 
délirantes  des  sujets  2. 

6°  Il  peut  arriver,  dans  des  cas  très  rares,  chez  les  obsédés  délirants, 
que  le  délire  provoque  la  disparition  des  obsessions,  réalisant,  pour  le 
malade,  un  véritable  «  truc  »  mental.  L...  Clémence,  56  ans,  a  toujours 
été  une  phobique,  une  douteuse,  une  obsédée.  Elle  doutait  de  la  plu- 
part de  ses  actes,  s'accusait  de  fautes  imaginaires,  ne  trouvait  rien  de 
bien  dans  ce  qu'elle  faisait,  et  aurait  toujours  désiré  mieux.  Survient 
le  décès  de  son  père  qu'elle  avait  soigné  avec  beaucoup  de  dévoue- 
ment. La  veille  de  cette  mort,  l'idée  que.  pour  lui,  ce  serait  une  déli- 
vrance, lui  avait  traversé  l'esprit.  Le  lendemain,  elle  s'imagina  qu'elle 
avait  désiré  sa  mort  ;  huit  jours  plus  tard,  elle  s'accusait  de  l'avoir  tué 
par  ces  trois  paroles.  Elle  fait  alors  un  délire  d'auto-accusation,  disant 
qu'elle  est  une  misérable,  qu'elle  a  causé  la  mort  de  son  père,  qu'elle 
est  damnée  et  qu'elle  est  morte.  Mille  démons  cruels,  dit-elle,  lui  ont 
arraché  le  cœur.  Quelques  mois  plus  tard,  elle  conservait  l'idée  qu'elle 
était  morte  et  damnée.  Ses  obsessions  et  ses  doutes  ont  disparu,  une 
morte  ne  saurait  avoir  des  obsessions  ;  et  depuis  lors,  elle  vit  avec  son 
délire,  complètement  débarrassée  de  ses  obsessions.  Depuis  plus  de 
vingt  ans,  ces  troubles  ne  se  sont  pas  modifiés  :  la  malade  vit  calme 
et  tranquille,  n'a  aucune  des  réactions  du  délire  de  négation  ordinaire 
auquel  se  rapporteraient  ces  troubles  mentaux,  et  l'affection  n'évolue 
pas  vers  la  démence.  Il  semble  qu'il  s'agisse  là  d'un  véritable  moyen  de 
défense  qui,  une  fois  révélé  au  malade,  lui  sert  à  l'avenir  pour  se  sous- 
traire à  ses  obsessions. 


1.  Séglas,  Annales  médico-psychologiques,  1892,  et  Leçons  de  la  Salpêtrière,  1894.  — 
Nous  rappelons  à  ce  sujet  les  descriptions  remarquables  et  demeurées  classiques  que 
M.  Séglas  a  données  de  l'obsession  etles  pages  importantes  que  M.  Chaslin  a  consacrées 
à  ce  sujet  dans  sou  intéressant  ouvrage  :  Eléments  de  sémiologie  et  clinique  mentales, 
Paris,  1912  ;  et  nous  regrettons  que  la  place  limitée  dont  nous  disposons  ne  nous  per- 
mette pas  de  mentionner  les  principaux  auteurs  qui  ont  traité  de  la  question  des  obses- 
sions, tels  que  Magnan,  Pitres  et  Régis,  Raymond  et  Pierre  Janet,  etc.,  etc.,  pour  ne 
parler  que  des  modernes. 

2.  Vurpas,  Contribution  à  l'étude  des  délires  systématisés,  Thèse  inaugurale,  Paris, 
1902. 

Vaschiut.  et  Vurpas,     La  logique  morbide,  l'analyse  mentale,  Paris,  1903. 


I  36  CL.   VURPAS 


Nous  sommes  ainsi  amenés  à  considérer  l'obsession  au  cours  d  autres 
états  morbides.  Cest  ainsi  que  l'on  voit  des  obsessions  dans  des  états 
neurasthéniques,  symptomatiques  de  diverses  affections,  et  même 
jusque  dans  les  troubles  neurasthéniques  du  début  de  certaines  para- 
lysies générales.  Les  obsessions  que  l'on  observe  dans  ces  cas  se  rap- 
portent habituellement  à  l'objet  de  la  maladie,  et  fréquemment  à  la 
crainte  de-  la  syphilis  et  de  ses  conséquences.  Ces  obsessions  ne  sont 
ordinairement  pas  très  tenaces,  et  s'atténuent  assez  vite  à  mesure  que 
l'affection  marche  vers  l'affaiblissement  intellectuel.  S'il  arrive  que 
1  on  en  observe  dans  des  périodes  plus  avancées,  elles  sont  beaucoup 
plus  rares,  et  marquées  elles  mêmes  du  caractère  profondément 
démentiel  de  celte  maladie. 

Au  cours  d'autres  affections  empreintes  également  d'affaiblissement 
intellectuel,  on  peut  voir  apparaître  des  obsessions.  Ainsi  en  est-il,  dans 
certains  ramollissements  cérébraux,  à  la  suitede  traumatismes  crâniens 
violents,  dans  l'artério  sclérose,  ou  dans  la  sénilité. 

Dans  tous  ces  états,  les  obsessions  ne  présentent  pas  de  caractères 
très  particuliers  et  tirent  surtout  leur  physionomie  des  troubles  sur 
lesquels  elles  évoluent. 

Un  fait  parait  digne  d'attirer  l'attention  :  c'est  l'existence,  chez  des 
artério-scléreux,  de  phénomènes  de  dépression  avec  crises  d'obsessions 
précédant  d'un  an  ou  deux  l'apparition  d'une  hémorragie  cérébrale. 

Un  certain  nombre  d'obsessions  et  de  phobies  peuvent  également 
s'observer  dans  l'hystérie  et  l'épilepsie.  Il  y  a  lieu  de  les  distinguer  des 
idées  fixes,  plus  fréquentes  dans  ces  deux  névroses,  —où  elles  n'ont, 
d'ailleurs,  pas  de  caractère  bien  particulier. 

Une  place  spéciale  doit  être  faite  aux  obsessions  que  l'on  observe 
dans  la  période  prodromique  de  la  démence  précoce  et  qui  sont  remar- 
quables surtout  par  l'intensité  de  leurs  manifestations,  -  extérieures  du 
moins,  —  car  d  une  façon  générale,  1  émotivite  semble  toujours  dimi- 
nuée  dans   ces   états     Un  second    caractère     serait    constitué    par    leur 

précocité. 

Des  obsessions  etdes  phobies  s  observent  également,  —  quoique  plus 

mobiles  et  plus  fugaces,  -  dans  le  cours  de  la  démenée  précoce. 
Toutes  ces  obsessions  ne  sont  en  somme  que  des  symptômes  dalïee- 
tioris   déterminées,    dont    l'évolution    seule    importe. 


Si  nous  faisons  abstraction  de  cette  seconde    catégorie   d'obsessions 


> 


ÉTAT  M  EXT  AL  DES  OBSÉDÉS  437 

pour  n'envisager  que  celles  de  la  première  qui  ne  peuvent  être  ratta- 
chées à  aucune  affection  précise,  et  qui  constituent  à  elles  seules  toute 
la  maladie,  nous  pourrons  dire  que,  d'une  façon  générale,  l'obsession  ne 
conduit  pas  à  V aliénation  mentale.  Les  obsédés  ne  doivent  donc  pas  être 
internés. 

D'autre  part,  remarquons  que  l'on  observe  les  obsessions  surtout 
dans  la  période  prodromique  des  affections  au  cours  desquelles  elles 
évoluent,  lorsque  le  malade  n'est  pas  encore  un  aliéné  au  sens  propre 
du  mot,  ou  lorsque  l'intelligence  est  encore  relativement  conservée.  Il 
semble  qu'alors  il  y  ait  rupture  d'équilibre  entre  les  éléments  intellec- 
tuels et  automatiques,  plutôt  que  véritable  déficit  intellectuel. 

Si  nous  rapprochons  ce  fait  de  ceux  que  nous  avons  observés  dans  les 
obsessions  constituant  à  elles  seules  tout  le  trouble  mental,  nous  arri- 
vons à  une  constatation  analogue.  Tous  les  faits  traduisant  l'état  de 
l'intelligence  chez  les  obsédés  montrent,  en  effet,  que  ce  ne  sont  pas  les 
fonctions  supérieures  proprement  dites  qui  sont  intéressées,  et  nous 
sommes  ainsi  amenés  à  nous  demander  si  l'obsession  n'est  pas  simple- 
ment/a réaction  de  l'intelligence  à  la  défectuosité  de  l'automatisme. 


DIX-SEPTIÈME  CONFÉRENCE 


GEORGES    BOURGUIGNON 

Chef  du  laboratoire  dElectro-Radiothérapie  de  la  Salpêtrière. 

LA    CHRONAXIE 


Messieurs, 

Permettez-moi  d'abord  de  remercier  bien  sincèrement  M.  le  Profes- 
seur Pierre  Marie  de  m'avoir  fait  l'honneur  de  me  confier  cette 
leçon  sur  la  «  Chronaxie  ».  Je  vais  essayer  de  vous  démontrer  ce  qu'est 
la  chronaxie  et  de  vous  exposer  son  rôle  en  électrophysiologie  et  en 
électrodiagnostic,  tel  que  l'ont  établi  les  recherches  de  M.  le  Pr  La- 
picque    et  mes  recherches  personnelles. 

L'électrodiagnostic  passe  actuellement,  si  je  puis  dire,  par  une  crise. 
Tous  les  électrothérapeutes  savent  que  la  loi  de  Dubois-Reymond, 
qui  est  la  base  des  mesures  classiques  en  électrodiagnostic,  est  erro- 
née, et  cependant  ils  continuent  à  s'en  servir  :  c'est  qu'on  ne  change 
pas  du  jour  au  lendemain  ses  habitudes  d'esprit  ni  son  instrumen- 
tation. 

Depuis  1894,  les  recherches  d'Hoorweg,  médecin  électrothérapeute  à 
Utrecht,ontdémontré  définitivement,  grâce  à  l'emploi  des  décharges  de 
condensateurs,  que  la  loi  de  Dubois-Reymond  est  fausse.  Le  professeur 
Weiss,  actuellement  professeur  de  physique  médicale  et  doyen  de  la 
Facultéde  médecine  de  Strasbourg,  a  donné,  en  1901,1a  loi  d'excitation 
qui  porte  son  nom.  Partant  des  recherches  de  Weiss,  le  professeur 
Lapicque,  actuellement  professeur  de  physiologie  à  la  Faculté  des 
sciences  de  Paris,  a  établi  une  mesure  de  l'excitabilité  par  un  para- 
mètre qu'il  a  appelée  «  Chronaxie  »  (1905).  Mes  recherches  person- 
nelles, commencées  en  1911,  ont  eu  pour  but  et  pour  résultat,  après 
quelques  tentatives  de  Doumer  et  de  Cluzet,  d'introduire  cette  mesure 
de  l'excitabilité  en  électrodiagnostic  et  de  mettre  d'accord  l'électro- 
diagnostic et  l'électrophysiologie  actuelle.  Ce  faisant,  j'ai  de  plus  décou- 
vert des  lois  d'électrophysiologie  générale  normale  et  pathologique. 

Qu'est-ce  donc  que  la  «  Chronaxie  »  ? 


I  iu  G.  BOURGUU,  SOIS 


Pour  le  comprendre,  il  est  nécessaire  de  repasser  rapidement  en 
revue  les  notions  anciennes  d'électrophysiologie,  établies  par  Dubois- 
Revmond. 

I.   Les  ondes  électriques  employées  en  électrophysiologie. 

—  Considérons  d'abord  l'action  sur  les  nerfs  et  les  muselés  du  cou>- 
rant  électrique  le  plus  simple,  le  courant  continu  d'intensité  constante, 
fourni  A  par  une  batterie  de  piles  ou  d'accumulateurs,  établi  ou  coupé 
brusquement  au  moyen  d'une  pédale,  c'est-à-dire  dans  les  conditions 
dans  lesquelles  opérait  Dubois-Reymond  . 

Au  moment  où  l'on  ferme  le  circuit,  si  ce  circuit  ne  renferme  aucune 
bobine,  c'est  à-dire  aucune  self,  le  courant  s'établit  instantanément  et 
l'intensité  passe  instantanément  de  0  à  sa  valeur  déterminée  par  la  loi 

V 

d'Ohm  I  =    —    dans  laquelle  I    représente  l'intensité  en  ampères,  V  la 
ri 

différence  de  potentiel,  en  volts,  à  l'origine  du  circuit,  et  R  la  résis- 
tance, en  ohms,  supposée  invariable,  du  circuit 

Une  fois  cette  valeur  atteinte,  le  courant  passe  avec  la  même  inten- 
sité jusqu'à  ce  qu'on  ouvre  le  circuit.  A  ce  moment  le  courant  cesse 
brusquement  de  passer,  et  instantanément,  son    intensité  tombe   de  la 

V 

valeur  I    ==    —   à  0.    Le  temps   qui  s'est  écoulé  entre  la  fermeture    et 
R 

l'ouverture  du  circuit'est  le  temps  de  passage  du  courant. 

Une  portion  de  courant,  comprise  ainsi  entre  une  fermeture  et  une 

ouverture,  est  ce  qu'on  appelle  une  onde  électrique.  Si    nous    faisons  le 

graphique  de  l'onde  que  nous  considérons  en  portant    en  abscisses  les 

temps  et  en  ordonnées  les  intensités,  nous  voyons  que  cette  onde  a  une 

forme  rectangulaire.  La  longueur  totale  de  l'abscisse  comprise  entre  le 

moment  de  la  fermeture  du   circuit  et  celui   de  l'ouverture,   mesure  le 

temps  de  passage  du  courant  ou  durée  de  l'onde  électrique.    L'intensité 

étant  constante,  toutes  les  ordonnées  d'intensité   sont  égales.   La    ligne 

qui  réunit  les  points  est  donc  une  droite  parallèle  à  l'axe  des  abscisses. 

La  hauteur  de  cette  ordonnée  mesure  l'intensité  du  courant  :  cette  onde 

a  donc  une  forme  rectangulaire  ;  on  l'appelle  une  «  onde  rectangulaire  », 

La  surface  du  rectangle  déterminée  par  la  ligne  parallèle  à    l'a\c   des 

abscisses,    par    cet    axe   et  par   les    deux   ordonnées  d'intensité   égales 

entre  elles  correspondant  au  moment  de  la  fermeture  et  de  l'ouverture 

du  circuit  (voir  lig.  1  i,  c'est-à-dire  de    rétablissement  et  de    la    rupture 

brusques    du    courant,  mesure   la   quantité    d'électricité  qui  a  passé  : 

c'est  dire  que,  pour  un  courant  constant,  la  quantité  d'électricité  est 


LA  CHRONAXIE 


441 


égale  au  produit  de  l'intensité  du    courant  par  le  temps  de  son  pas- 
sage : 

q  =  il. 

C'est  exactement  la  même  chose  que  pour  calculer  la  quantité  d'eau 


7êmps    en    secooc/és 


Fig.  1. 


Onde    rectangulaire.  (F.a  surface    hachée   du  rectangle   mesure  la 
quantité  d'électricité  :  q  =  it.) 


fournie  par  un  robinet  de  débit  constant  ;  il  suffit  de  multiplier  le  débit 
(nombre  de  litres  à  l'heure)  par  le  temps  pendant  lequel  le  robinet  a 
coulé. 

Si,  outre  l'intensité,  nous  connaissons  le  voltage  V,  sous  lequel  le 
courant  a  passé,  nous  pouvons  connaître,  par  un  calcul  très  simple, 
l'énergie  fournie  par  cette  onde  rectangulaire  :  l'énergie  qu'on  désigne 
parla  lettre  West  égale,  pour  un  courant  constant,  au  produit  de  la 
quantité  d'électricité  multipliée  par  le  voltage  :  W  =  qV.  On  écrit 
aussi  cette  relation  d'une  autre  manière,  en  remplaçant*/  par  sa  valeur 
1/  et  V  par  sa  valeur  tirée  de  la  loi  d'Ohm  V  =  RI.  On  obtient  donc  : 

W  =  RI  X  IT  =  RI-T.  C'est  la  forme  sous  laquelle  on  exprime 
le  plus  souvent  l'énergie  ;  c'est  sous  cette  forme  qu'on  calcule  la  quantité 
de  chaleur  dégagée  par  un  courant  circulant  dans  un  circuit  métal- 
lique dans  lequel  il  ne  se  passe  aucun  phénomène  autre  que  réchauffe- 
ment, toute  l'énergie  électrique  étant  alors  transformée  en  chaleur. 

Quand  nous  connaissons  l'intensité  d'une  onde  rectangulaire,  son 
voltage,  et  sa  durée,  nous  avons  donc    tout  ce  qu'il  faut  pour  la  définir 


142 


G.  Bol  in.i  IG  \n\ 


et  connaître  la  quantité  d'électricité  et   la  quantité  d'énergie  qu'elle  a 
fournies. 

Si  maintenant  nous  considérons  une  onde  de  forme  plus  complexe, 
dont  l'intensité  n'est  pas  constante,  mais  varie  à  chaque  instant,  telle 
qu'une  onde  induite  par  exemple  (voir  fig.  2)  ou  l'onde  de  décharge  d'un 
condensateur  (voir  fig.  5),  nous  aurons  toujours  à  considérer  la  quan- 
tité d'électricité,  représentée  sur  le  graphique  par  la    surface  délimitée 


Inducteur 


Induit 


v : 

Temps 

Fig.  2.  —  Courant  inducteur  et  ondes  induites  de  fermeture  et  ouvertuie.  Cet  oscillojïramnie 
a  été  pris  dans  le  Laboratoire  de  M.  Blondel  avec  la  collaboration  de  MM.  Camille  Uapp 
et  Villemin. 


par  la  ligne  qui  représente  la  variation  d'intensité  entre  le  moment  où 
l'onde  s'établit  et  celui  où  elle  disparait  et  le  temps  de  passage  ou  durée 
de  l'onde,  représentée  par  la  longueur  d'abscisse  comprise  entre  le 
moment  d'établissement  de  l'onde  et  le  moment  de  sa  disparition; 
mais  la  surface  ainsi  délimitée  est  complexe  ;  sa  forme  varie  à  l'infini 
avec  toutes  les  ondes  qu'on  peut  obtenir,  et  le  calcul  de  cette  surface 
n'est  plus  un  calcul  simple  comme  celui  que  l'on  a  à  faire  dans  le  cas 
de  l'onde  rectangulaire  Je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  de  ces  calculs 
dans  lesquels  il  faut  faire  intervenir  le  calcul  intégral  et  le  calcul  diffé- 
rentiel. 

Nous  retiendrons  seulement  les  notions  générales  suivantes  :  une 
onde  électrique  est  caractérisée  quand  on  en  connaît  la  durée,  Informe 
et  les  quantités  a  électricité  et  d'énergie 

On  peut  donc  étudier  l'excitation  électrique  des  nerfs  et  des  muscles 
avec  des  ondes  de  n'importe  quelle  forme,  pourvu  qu'on  en  connaisse 
tous  les  éléments. 

Pratiquement,  pour  exciter  un  nerf  ou  un  muscle  avec  une  onde 
électrique  isolée,  nous  employons  les  ondes  suivantes  (je  laisse  de 
côté  l'excitation  par  les    ondes  répétées,     les    séries   il  ondes  :    il     laul 


LA  CHHOAAXIE  443 


alors  faire  intervenir  la  période  ou  le  rythme  de  ces  ondes  dites  pério- 
diques) : 

1°  L'onde  rectangulaire,  de  beaucoup  la  plus  simple  et  la  plus  facile 
à  connaître  dans  tous  ses  éléments  (voir  fig.  1;. 

2°  Des  ondes  de  forme  logarithmique,  représentées  par  l'onde  d'ou- 
verture du  chariot  d'induction,  et  par  les  ondes  de  décharges  de  con- 
densateurs dans  un  circuit  sans  self  (voir  fig.  2  et  fig.  5). 

3°  Des  ondes  d'intensité  constante,  mais  à  établissement  ou  rupture 
progressifs,  qui  ont  donc  une  période  d  intensité  constante,  précédée 
ou  suivie  d'une  période  d'intensité  variable  :  On  les  réalise  de  diffé- 
rentes manières,  avec  des  rhéostats,  avec  des  selfs  introduites  en  série 
dans  le  circuit,  avec  des  condensateurs  en  dérivation.  Un  exemple  de 
courant  à  établissement  progressif  est  donné  par  la  forme  du  courant 
inducteur  qui  s'établit  progressivement  à  cause  de  la  self  de  la  bobine 
primaire  (voir  fig.  2). 

Dans  le  cas  des  selfs  en  série  et  des  condensateurs  en  dérivation,  des 
formules  mathématiques  permettent  de  calculer  le  temps  de  la  phase 
variable  du  courant.  On  peut  aussi  réaliser  de  telles  ondes  avec  les 
appareils  connus  en  électrothérapie  sous  le  nom  d'onduleurs. 

II.  Loi  de  Dubois-Reymond.  —  Dubois-Reymond,  dans  les 
expériences  qu'il  a  faites  pour  établir  sa  loi,  s'est  servi  des  ondes  rec- 
tangulaires et  des  ondes  d  intensité  constante  établies  ou  rompues 
progressivement.  Il  s'est  servi  des  ondes  induites  dans  certaines 
recherches,  puisqu'il  a  construit  le  chariot  qui  porte  son  nom  et  dont 
nos  chariots  actuels  ne  sont  que  des  modifications,  mais  il  ne  s'en  est 
pas  servi  pour  l'étude  de  la  loi  d'excitation. 

Avec  sa  technique,  Dubois-Reymond  pouvait  faire  varier  l'intensité 
de  l'onde  rectangulaire  par  fractions  de  milliampère  depuis  0  jusqu'à 
un  nombre  de  milliampères  suffisant  pour  détruire  les  tissus  parélectro- 
lyse  ;  mais  le  temps  pendant  lequel  il  pouvait  faire  passer  le  courant 
ne  pouvait  pas  être  inférieur  au  temps  le  plus  court  dans  lequel  on  peut 
exécuter  le  double  mouvement  d'appuyer  sur  la  clef  pour  fermer  le 
circuit  et  de  la  lâcher  pour  l'ouvrir:  or  l'expérience  a  montré  que  le 
temps  de  passage  de  courant  le  plus  court  que  l'on  puisse  ainsi  réaliser 

est  d  environ  de  seconde. 

1000 


Dubois-Reymond  n'a  donc  pu  étudier  que  les  durées  [de   passage    du 
mrant   comprises   entre  - 
temps  avec  un  métronome. 


courant   comprises   entre  — ■ de    seconde    et   l'infini.   Il    mesurait  le 

1  1000 


1 1 1 


a.  notin.i  n;  \o,\ 


Ses  expériences  ont  porté  sur  un  seul  muscle,  le  gastrocnémien  de 
la  grenouille,  excité  directement  ou  par  le   n.erf  sciatique. 

Les  expériences  de  Dubois-Reymond  peuvent  se  résumer  de  la  façon 
suivante  : 

1  L'excitation  ne  se  produit  qu'à  la  fermeture età  l'ouverture  du  cou- 
rant, pourvu  que  l'intensité  soit  suffisante.  Pendant  le  passage  du  cou- 
rant d'intensité  constante,  il  ne  se  produit  aucune  excitation. 

2°  Si,   pendant  qu'un  courant  constant    passe,    on  en    augmente    ou 


Courant  a  ëta6//ssemen(  ôrusçue 


Fig.  3  —   Efficacité    décroissante  des    ondes    établies    progressivement  :    1  intensité  est  celle 
du  seuil.  —  A  la  pente  limite,  aucune  intensité  n  est  efficace. 

diminue  brusquement  l'intensité,  ces  variations  brusques  d'intensité, 
agissent  respectivement  comme  une  fermeture  ou  une  ouverture  de 
courant  et  déterminent  l'excitation. 

3°  Si  on  établit  ou  rompt  un  courant  progressivement,  il  faut  employer 
une  intensité  d'autant  plus  grande  que  la  variation  d'intensité  est  plus 
lente.  Avec  un  établissement  progressif  du  courant  suffisamment  lent, 
l'excitation  ne  se  produit  plus,  quelle  que  soit  l'intensité  atteinte  :  il  y  a 
donc  une  pente  limite  d'établissement  du  courant,  au-dessous  de 
laquelle  aucune  intensité  n'est  efficace  (voir  lig.  3), 

De  eette  première  série  d'expériences  Dubois-Reymond  conclut  que 
ce  n'est  pas  la  valeur  de  l'intensité  du  courant  qui  est  le  facteur  de 
l'excitation,  mais  simplement  la  variation  d'intensité,  et  l'efficacité  de 
la  variation  d'intensité  est  d'autant  plus  grande  qu'elleest  plus  brusque  : 
l'intensité  la  plus  petite  capable  de  donner  la  plus  petite  contraction 
visible  ou  seuil,  est  l'intensité  du  courant  établi  ou  rompu  brusque- 
ment. 


LA  CHRONAXIE  445 


Dubois-Reymond  a  complété  ces  expériences  en  cherchant  si  le  temps 
de  passage  du  courant  jouait  ou  non  un  rôle  dans  l'excitation. 

Avec  les  durées  de  passage  du  courant  qu'il  pouvait  faire,  Dubois- 
Reymond  a  trouvé,  cpie  l'intensité  donnant  le  seuil  pour  une  fermeture 
brusque  du  courant  était  la  même,  quel  que  soit  le  temps  de  passage 
du  courant.  Le  temps  n'intervient  donc  pas. 

Ce  qu'on  appelle  «  Loi  de  Dubois-Reymond  »  est  simplement  un 
symbole  mathématique  que  Dubois-Reymond  a  donné  et  qui  exprime 
l'ensemble  de  ces  faits.  On  peut  traduire  ce  symbole  et  résumer  ces 
faits  en  disant  :  1°  L'excitation  est  produite  exclusivement  par  la 
variation  d'intensité  en  plus  ou  en  moins  et  non  par  la  valeur  absolue 
de  l'intensité.  2°  La  variation  d'intensité  est  d'autant  plus  efficace 
qu'elle  est  plus  rapide  ;  l'efficacité  maxima  est  réalisée  par  la  ferme- 
ture ou  l'ouverture  instantanées  d'un  courant  constant.  3°  Le  temps  de 
passage  du  courant,  et  par  suite  la  quantité  d'électricité  et  d'énergie, 
n'ont  aucun  rôle  dans  le  processus  de  l'excitation. 

La  mesure  d'excitabilité  par  l'intensité  qui  donne  le  seuil  avec  le 
courant  galvanique  n'est  que  l'application  à  l'électrodiagnostic  de  la  loi 
de  Dubois-Reymond  . 

III.  Découvertes  en  contradiction  avec  la  loi  de  Dubois- 
Reymond.  —  Quelques  années  après  les  travaux  de  Dubois-Reymond, 
qui  datent  de  1845  à  1849,  dès  1864,  Fick  essaya  de  vérifier  la  loi 
de  Dubois-Reymond  sur  des  muscles  autres  que  les  muscles  striés  des 
vertébrés.  Les  muscles  striés  des  vertébrés  ont  une  contraction  de 
durée  courte  ;  ils  ont  ce  qu'on  appelle  une  contraction  vive,  ou  mieux 
une  contraction  rapide.  Ils  ont  reçu  le  nom  de  muscles  rapides.  D'autres 
muscles,  tels  que  les  muscles  lisses  des  vertébrés,  ou  les  muscles 
volontaires  de  certains  invertébrés,  tels  que  les  mollusques  ou  les 
crustacés,  ont  au  contraire  des  contractions  de  longue  durée,  ils 
ont  ce  qu'on  appelle  des  contractions  lentes.  Ces  muscles  sont  appe- 
lés «  muscles  lents  ». 

En  répétant  sur  des  muscles  lents  et  en  particulier  sur  l'adducteur 
des  valves  de  l'anodonte,  les  expériences  de  Dubois-Reymond,  Fick 
trouva  des  résultats  contradictoires.  S'il  confirma  le  rôle  de  la  variation 
d'intensité,  il  vit  que  l'établissement  ou  la  rupture  progressive  pou- 
vaient être  faits,  sans'cesser  d'être  efficaces,  beaucoup  plus  lente- 
ment sur  les  muscles  lents  (pie  sur  les  muscles  rapides. 

Dans  l'étude  de  l'influence  du  temps  de  passage  du  courant,  il  vit 
que  pour  les  temps   supérieurs  aune    certaine  valeur,  l'intensité    don- 


I  II. 


G.    Itni  H  CI   IG  VOA 


iKint  le  seuil  avec  une  Fermeture  brusque  ae  variait  pas,  c'est-à-dire 
qu'il  retrouvait  la  loi  de  DuboisiReymond  ;  au  contraire  pour  les 
temps  plus  courts,  il  fallait  augmenter  l'intensité  pour  obtenir  le   seuil 


/ 

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Il              i       ' 

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Fi(î.  4  —  Expérience  de  Fick  sur  un  muscle  lent.  —  Croissance  de  l'intensité 
donnant  le  seuil  pour  les  temps  de  plus  en  plus  courts  inférieurs  à  une  certaine 
valeur  (0"5  dans  le  cas  particulier). 

au  fur  et  à  mesure  qu'on  diminuait  la  durée  de  passage  du  courant 
(voir  fig.  4)  :  l'intensité  donnant  le  seuil  dépendait  donc  du  temps  de  pas- 
sage du  courant.  La  loi  de  Dubois-Reymond  ne  s'appliquait  plus,  et  il 
fallait  faire  jouer  un  rôle  dans  l'excitation,  non  seulement  à  l'intensité, 
mais  encore  à   la  quantité  d'électricité. 

Fick  chercha  alors  à  étudier  les  muscles  rapides  avec  des  durées  de 
passage  du  courant  plus  petites  que  celles  que  Dubois-Reymond  avait 
réalisées,  en  substituant  aux  fermetures  et  ouvertures  du  circuit  pro- 
duites par  une  clef,  des  fermetures  et  ouvertures  produites  par  un 
appareil  permettant  des  durées  plus  courtes  que  celles  que  la  main  peut 
réaliser.  Il  retrouva  sur  les  muscles  rapides  les  mêmes  phénomènes 
que  sur  les  muscles  lents,  mais  le  temps  limite  à  partir  duquel  la  loi  de 
Dubois-Reymond  est  exacte  était  beaucoup  plus  petit  sur  les  muselés 
rapides  que  sur  les  muscles  lents. 

Les  résultats  de  Fick  furent  contestés  en  ce  qui  concerne  les  muscles 
striés,  en  raison  d'objections  techniques  faites  à  son  appareil.  La  loi  de 
Dubois-Reymond  continua  donc  à  régner,  malgré  les  expériences  île 
Fick,  confirmées  par  d'autres  auteurs,  en  particulier  par  Ilelmholtz  et 
par  Engelmann  (1870). 

Il  faut  arriver  jusqu'en  1894,  aux  expériences  de  Hoorweg  ',  pour  voir 
ébranler  la  loi  de  Dubois-Reymond. 


1.  Hoorweo,  Archives  de  physiologie,  1897,  page  269.  Heaume*  dea  travaux  antérieurs 
publiés  on  allemand. 


LA  CHRONAXIE 


447 


MM 

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V 

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2€. 


Hoorweg  fit  ses  expériences  sur  l'homme,  dans  les  conditions  de 
l'électrodiagnostic,  à  l'aide  des  décharges  de  condensateurs  que  les 
travaux  de  Chauveau,  d'Arsonval,  etc.,  venaient  d'introduire  dans  la 
pratique  de  l'électrophysiologie. 

Si  on  charge  un  condensateur,  en  réunissant  ses  armatures  aux  deux 
pôles  d'une  source  de  voltage  connu,  une  batterie  de  piles  ou  d'accu- 
mulateurs par  exemple,  le  condensateur  se  charge  au  môme  voltage  V 
que  la  source,  et  l'arma- 
ture reliée  au  pôle  positif 
se  charge  positivement  et 
vice  versa.  Il  se  charge 
d'une  quantité  d'électri- 
cité qui  est  proportion- 
nelle à  la  capacité  G  du 
condensateur,  et  au  vol- 
tage, c'est-à-dire  que  la 
quantité  d'électricité  se 
mesure  par  le  produit  de 

la  nmritp  nir  1p  vnltïirfp.  •  Fi#-  5"  ~  °,ndes  de  décharge  dans  un  circuit  de  même  résis- 
ta CapaCltt  pai    le  -\OJtage.  tance   de  deux    condensateurs  de   capacité  C   et  2  C,  chargés 

q  =  CV.  Si,  le  condensa-  au  même  vol,aSe- 
teur  étant  chargé,  on  cou- 
pe la  communication  avec  la  source,  il  reste  chargé.  Si  alors  on  réunit 
l'une  à  l'autre  les  deux  armatures  par  un  circuit  sans  self  de  résistance 
R,  le  condensateur  se  décharge  d'une  manière  continue,  suivant  une 
loi  bien  définie.  Le  sens  de  l'onde  de  décharge  est  tel  que  l'électricité 
chemine  dans  le  circuit  extérieur  de  l'armature  chargée  positivement  à 
l'armature  chargée  négativement.  Dès  que  le  circuit  de  décharge  est 
fermé,  l'onde  s'établit  instantanément  avec  une  intensité  initiale  mesu- 

V 

rée  par  la  loi  d'Ohm,   c'est-à-dire  égale  à    —    ;  mais,   pendant  toute  la 

ri 

durée  de  la  décharge,  le  voltage,  et  par  suite  l'intensité,  diminuent 
jusqu'à  devenir  nulles.  Cettechute  d'intensité^se  fait  suivant  une  courbe 
(voirfig.  5)    qui  a  une  formulelogarithmique. 

La  durée  de  l'onde  de  décharge  dépend  de  deux  facteurs,  la  capacité 
du  condensateur  et  la  résistance  du  circuit,  et  est  proportionnelle  à  ces 
deux  facteurs,  c'est-à-dire  à  leur  produit.  La  durée  de  la  décharge 
dépend  donc  du  produit  RG  de  la  résistance  par  la  capacité.  Ce 
produit  RC  est  ce  qu'on  appelle  la  constante  de  temps  du  conden- 
sateur. Il  est  facile  de  comprendre  que,  avec  le  môme  voltage  de  charge, 
des  condensateurs  de  capacités  différentes   se  chargeant    de   quantités 


1 18  G.  uni  lit.i  a,  \<>\ 


d'électricité  proportionnelles  à  leur  capacité,  il  faudra  plus  de  temps 
pour  faire  écouler,  sous  le  môme  voltage,  une  grande  quantité  d'élec- 
tricité qu'une  petite.  De  même,  avec  des  condensateurs  chargés  de  la 
même  quantité  d'électricité,  il  faudra  plus  de  temps  pour  les  déchar- 
ger à  travers  une  grande  résistance  qu'à  travers  une  petite. 

Si  donc  nous  déchargeons  à  travers  des  circuits  de  résistance  égale 
des  condensateurs  de  capacités  différentes,  chargés  au  même  voltage, 
la  durée  de  la  décharge  sera  proportionnelle  à  la  capacité  (voir  lig.  5). 

11  était  donc  facile  de  vérifier  la  loi  de  Dubois- Reymond  avec  les 
condensateurs.  La  résistance  du  circuit  étant  considérée  comme  cons- 
tante, il  suffisait  d'étudier  l'efficacité  de  condensateurs  de  capacité 
différente  chargés  au  même  voltage.  La  résistance  étant  la  même,  l'in- 
tensité initiale  était  la  même.  Les  ondes  fournies  par  ces  différents 
condensateurs  ne  di lieraient  donc  entre  elles  que  par  la  durée  de  la 
variation  d'intensité.  D'après  la  loi  de  Dubois-Reymond,  la  rapidité  seule 
de  la  variation  d'intensité  étant  enjeu,  le  condensateur  de  la  plus  petite 
capacité  devait,  pour  un  voltage  déterminé,  être  plus  efficace  que  les 
condensateurs  de  capacité  plus  grande.  Si  on  avait  le  seuil  avec  un 
condensateur  de  0mf01  par  exemple,  un  condensateur  de  0  m'  05  ou 
plus  ne  devait  donner  aucune  contraction.  C'est  l'expérience  que  fit 
Hoorweg  :  elle  lui  donna  le  résultat  opposé  à  celui  que  faisait  prévoir 
la  loi  de  Dubois-Reymond.  Donc  la  loi  de  Dubois-Reymond  est  fausse, 
et  c'est  Fick et  Engelmann  qui  ont  raison. 

IV.  Loi  de  Weiss  —  En  1901,  le  professeur  Weiss  !,  avec  le 
courant  continu,  a  réalisé  des  ondes  rectangulaires  de  très  courte 
durée,  au  moyen  d'un  pistolet  dont  la  balle,  de  vitesse  connue,  coupe 
successivement  deux  fils  :  la  coupure  du  premier  fil  placé  en  dériva- 
tion sur  le  circuit  d'utilisation,  établit  le  courant  ;  la  coupure  du  2S  fil, 
placé  en  série  avec  le  sujet  d'expériences,  rompt  le  courant  ;  le  2e  fil 
peut  être  placé  plus  ou  moins  loin  du  1er  (voir  lig.  11).  La  durci'  du 
courant  dépend  de  la  distance  des  lils  et  de  la  vitesse  de  la  balle.  A  vil- 
le pistolet  dont  je  me  sers  à  la  Salpèlrière,  dont  la  vitesse  de  halle  est 
de  227  mètres  à  la  seconde,  le  temps  de  passage  du  courant  est  de 
0  ,00(1011  pour  un  centimètre  d'écart  des  lils,  et  de  O0088  pour 
2  mètres  ;  on  peut  doue  étudier  avec  cet  appareil  faction  des  courants 
de  durées  comprises  entre  ces    deux  limites 

Weiss  a    étudié  le  gastroenémien  de  la    grenouille.  11  place  de    grOS- 

1.  Weiss,  Archives  italiennes  de  Biologie,  1901. 


LA  CHRONAXIE 


4491 


ses  résistances  sans  self  (100.000  u  au  moins)  en  série,  de  sorte  que 
les  variations  de  résistance  des  tissus  sont  négligeables,  et  qu'on  peut 
substituer  à  la  lecture  des  intensités,  rendue  impossible  pour  ces 
courtes  durées  de  passage  du  courant,  celle  des  voltages,  toujours 
possible.  La  résistance  étant  constante,  l'intensité  est  toujours  propor- 
tionnelle au  voltage. 

Dans  ces  conditions,  Weiss  a  confirmé  les  expériences  de  Fick  et 
Engelmann  et  montré  que  l'intensité  qui  donne  le  seuil  diminue  quand 
on  augmente  la  durée  du  passage  du  courant,  jusqu'à  une  intensité 
minima  qui  reste  la  même,  bien  qu'on  continue  à  augmenter  la  durée 
de  passage  du  courant. 

En  portant  les  temps  en  abscisses  et  les  intensités  donnant  le  seuil 
en  ordonnées,  Weiss  a 
établi  une  courbe  qui  est 
de  forme  hyperbolique  ; 
à  partir  dune  certaine 
durée  de  passage  du 
courant,  l'intensité  ne 
varie  plus  ;  l'hyberbole 
se  continue  donc  par 
une  droite  :  c'est  cette 
partie  rectiligne  de  la  loi 
que  Dubois -Reymond 
avait  trouvée.  A  cette 
hyperbole  d'intensité 
correspond  une  droite 
de  quantité,  lorsqu'on  Figl 
porte  en  ordonnées  les 
quantités    d  '  électricité 

qui  ont  donné  le  seuil,  au  lieu  des  intensités.  Ces  relations  de  1  inten- 
sité et  de  la  quantité  d'électricité  avec  le  temps  de  passage  du  courant, 
constituent  la  loi  de  Weiss,  qui  est  générale.  La  droite  de  quantité  et 
l'hyperbole  d'intensité  s'expriment  par  les  équations  suivantes  : 

it  =  a  -\-   bt 


25456769   OMI 

/emps     °n    '/roooo   &e  seconde 


Loi  de  Weiss   Homme.  —  Biceps  droit  (Point  moteur). 

a  =^  0,0035  b  =  39'   t  =   °  =  000009 
b 


dans  lesquelles  /  représente  le  temps  pendant  [lequel  le  courant  a 
passé,  i  l'intensité  quia  donné  le  seuil  pour  le  courant  de  durée  /,  et  a 
et  b  deux  constantes,  dont  l'une,  a,  est    une  constante  de  quantité,  et 

29 


CONFliR.    NFX'ROL. 


C.   liol  n i,i   n;  \i>\ 


l'autre,  6,  une  constante  d'intensité  :  a  est  l'ordonnée  à  l'origine  de   la 

droite,/)    est   l'intensité   minium  à  partir  du  moment   où  le  temps   n'in- 


2     5    4  'a     6     7     S    S    t'a,  II    12    IS  14    15    16    17    I»    19 

à  ^       K  à        Temps     .£/?     1/taaûû  de  seconde 

F»g-  7.  —  Loi  de  Weiss.  —  Homme.  Extenseur  commun  des  doigts   gauche  (Point  moteur). 

a  =  0.0185  b  -  39-  t  =  £  =  0S00047. 

(Nota  :   les   points  les  plus   voisins  de  l'origine    s'infléchissent  vers   l'origine   et  n'appartiennent    pas 
à  la  droite    Ce  fait  a  été  démontré  par  Lapicque.) 


tervient  plus,  c'est  le  seuil  tic  Dubois-Reymond,  c'est  le  seuil  galvanique 

classique.  (Voir  fig.  6  et  7  ) 

Ce  que  je  viens  de  vous  dire  vous  montre  qu'on  ne  peut  caractériser 
l'excitabilité  parla  connaissance  du  seul  seuil  galvanique. 

Dès  ses  premiers  travaux,  le  professeur  Weiss  avait  dit  que  la  valeur 
des  constantes  a  et  «6  de  la  loi  d'excitation  dépend  non  seulement  de  l'exci- 
tabilité du  tissu  étudié,  mais  aussi  des  conditions  expérimentales  telles 
que  la  distance  des  électrodes,  leur  surface,  leur  pression,  etc.  M;iis. 
si,  en  variant  ces  conditions  expérimentales,  les  valeurs  a  et  /'  trouvées 


LA  CHRONAXIE 


451 


pour  un  même  nerf  ou  un  même  muscle  varient,  le  rapport  —  des  deux 
constantes  est  invariable  etne  dépend  quede  l'excitabilité  ;le  professeur 
Weiss  avaitsuggéré  que  c'était  dans  la  mesure  de    ce    rapport  —  qu'on 


*■ 

• 

IM  100 

y 

80  âfl 

t 

: 

1 

84CLM 

Y 

Vo/taçes 

H 

1 

^;io  10 
i       ^> 

i     *, 

y 

Capacités     en    microfarads 

Fig.  8.  —  Loi  de  Hoorrwpg.  — 
a  =  1  microcoulomb  b. 


-  Homme.  Long   supinateur  gauche  (Point  moteur). 
37-5  -  =  0«"026  t  =  0""026  X  0,004  =  0-00010. 


devrait   chercher  la   caractéristique  de  l'excitabilité    des    nerfs  et   des 
muscles  sains  ou  malades 

Hoorweg,  dès  1894,  avait  montré,  avec  les  condensateurs,  sur 
l'homme,  que  le  voltage  nécessaire  pour  obtenir  le  seuil  diminue  au  fur 
et  à  mesure  qu'on  emploie  des  capacités  plus  grandes  jusqu'à  une 
valeur    minima  qui  reste    la  même,  quelle   que    soit    la    capacité    em- 


452  G.  lioi  m,i  IGNOb 


ployée.  Cette  variation  du  voltage  en  fonction  de  la  capacité  a  sensi- 
blement une  forme  hyperbolique,  comme  la  variation  de  l'intensité  en 
fonction  du  temps  de  passage  du  courant  dans  la  loi  de  Weiss.  De 
même,  en  portant  en  ordonnées  les  quantités  d'électricité  (<j  =  CV)  on 

obtient  sensiblement  Une  droite.  (Voir  fig.  8.) 

Cette  loi,  applicable  seulement  aux  condensateurs,  appelée  «  loi 
d'Hoorweg  »,  s'exprime  par  les  équations  suivantes  : 

V  =    — h  b  :  c'est  la  loi  des  voltages 
CV  —  a   -f-  bc  :   c'est  la  loi  des  quantités. 

Dans  ces  formules  V  représente  le  voltage  qui  a  donné  le  seuil,  C  la 
capacité  employée  et  a  et  b  les  deux  constantes  de  la  loi. 

La  constante  a  est  la  constante  de  quantité,  comme  dans  la  loi  de 
Weiss. 

La  constante  b  est  la  constante  de  voltage  et  correspond  à  la  cons  - 
tante  d'intensité  b  de  la  loi  de  Weiss.  Les  deux  lois  sont  donc  superpo- 
sables,  mais  la  loi  d'Hoorweg  est  moins  exacte  que  celle  de  Weiss  et 
n'est  pas  générale,  tandis  que  celle  de  Weiss  est  générale.  Le  rapport 

y  ,  en  condensateurs,  est  donc  une  capacité  au  lieu  d'un  t  emps  ;  mais 

nous  avons  vu  que  lorsque  la  résistance  est  constante,  le  temps  de  la 
décharge  du  condensateur  est  proportionnel  à  sa  capacité. 

V.   La  chronaxie.    —   Partant  de  ces  données,  le   professeur   La- 

...  .  a   .     .    , 

picque  ',  par  une  étude  svstematique,  a  montre  que  le  rapport    —  était  le 

b 

seul  élément  constant  pour  un  muscle  ou  un  nerf  déterminés.  Lorsqu'on 
fait  une  série  de  déterminations  sur  un  même  muscle  ou  un  même 
nerf  en  changeant  les  conditions  expérimentales,  on  trouve  autant 
d'hyperboles  d'intensité  et  autant  de  droites  de  quantités  qu'on  a  em- 
ployé de  dispositions  expérimentales  différentes  (surface  des  élec- 
trodes, distance  des  électrodes,  etc.)  ;  mais  toutes  les  hyperboles  sont 
parallèles,  et  toutes  les  droites  convergent   en  un    même    point    (voir 


1.  On  trouvera  les  travaux  du  Pr  Lapicque  et  de  M",e  Lapicquesur  l'excitabilité  dans 
les  publications  suivantes  : 

k)  lievue  générale  des  sciences,  15  février  1910. 

b)  Mm°  Lapicqi  e.  Thèse  de  la  Faculté  des  sciences,  1905. 

c)  Journal  de  l'hysiologie  cl  de  Pathologie    générales,  domptes  rendus    de  l'Académie 
des  sciences.  Société  de  Biologie    1906  à  191-1  . 


LA  CHRONAXIE 


453 


fig.  9)  :  elles  se  rencontrent  au  point  où  elles  coupentl'axe  des  abscisses 
du  côté  négatif  lorsqu'on  les  prolonge.  Il  y  a  donc  une  longueur  d'abs- 
cisse, c'est-à-dire  un  temps  de  passage  du  courant,  constants  pour  un 


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J  io*oa 


_r-   O  "*  ooo/2_ 
-    7     -,     -       y 


Fig.  9.  —  Deux  lois  de  Weiss   obtenues  sur   le  même   muscle  pour  deux  situations  diffé- 
rentes de  l'électrode  active.  —  Hcmme.  Long  supinateur  gauche. 


organe  donné  :  c'est  ce  temps  qui  en  caractérise  l'excitabilité,  c'est  lui 
([ue  Lapicque  appelle  «  chronaxie  ».  Or  ce  point  de  convergence  des 
droites  est  celui  où  q  =  o.  Le  calcul  montre   que  précisément  lorsque 

q  =  o,  t    =  —  —  .    Si  nous    cherchons,    du    côté  positif,    quelle   est 
b 

l'intensité  qui    donne    le    seuil,     lorsque    le    temps    de  passage   du 

courant  est  égal  à-  ,  c'est-à-dire  à  la  chronaxie,  il   est  facile  devoir 
b 

que  c'est  lorsque  l'intensité  est  égale  à  2  b.  En  effet,  si,  dans  la  formule 

de  Weiss,  nous  prenons  : 


454  G.   BOURGUIG  \<>\ 


t  —  t,  la  formule  i  =      +  b 
b  t 

-  -        ab  =  /> 

devient  :  i  =  h  4-  b.  Or  a  =  - 

l  b         ° 

donc  i==b-\-b  =  2b. 

Le  professeur  Lapicque  donne  à  la  constante  b  (seuil  galvanique)  le 
nom  de  «Rhéobase  »  ou  «  seuil  fondamental  ». 

Dès  lors,  on  peut  donner,  comme  l'a  fait  le  professeur  Lapicque,  une 
définition  empirique  de  la  rhéobase  et  de  la  chronaxie  indépendante  de 
toute  considération  théorique  sur  la  loi  d'excitation  : 

La  «  Rhéobase  »  est  l'intensité  nécessaire  pour  obtenir  le  seuil  de  la  con- 
traction avec  une  fermeture  de  courant  prolongé  (seuil  galvanique  clas- 
sique) 

La  «  Chronaxie  »  est  le  temps  de  passage  du  courant  nécessaire  pour 
obtenir  le  seuil  de  la  contraction  avec  une  intensité  double  de  la  Rhéo- 
base. 

Pour  connaître  la  chronaxie,  il  suffît  donc  de  chercher  le  seuil  de 
fermeture  galvanique  avec  une  clef,  puis  de  doubler  le  voltage  corres- 
pondant, et  de  chercher  le  temps  de  passage  du  courant  nécessaire  pour 
obtenir  le  seuil  avec  le  voltage  double  de  celui  de  la  rhéobase.  {\o\v 
lig.  6,  7,  et  9.) 

Pour  mesurer  le  temps  de  passage  du  courant  on  peut  employer  un 
appareil  donnant  des  ondes  rectangulaires  de  durée  connue,  comme 
le  pistolet  de  Weiss  1 . 

Mais  on  peut  aussi  employer  les  décharges  de  condensateurs.  Pour 
cela,  il  suffit,  comme  l'a  fait  Lapicque,  de  constituer  un  circuit  de 
telle  manière  que  la  résistance  du  circuit  soit  indépendante  de  celle  du 
tissu  ou  du  sujet  en  expérience.  On  réalise  un  tel  circuit  en  mettant  une 
résistance  en  série  avec  le  sujet,  une  résistance  en  dérivation  sur  ce 
système  et  une  résistance  en  série  avant  la  bifurcation  du  circuit. 

En  physiologie  animale,  dans  les  expériences  sur  les  nerfs  et  les 
muscles  isolés  de  l'organisme,  Lapicque  met  7.000  u  en  série  dans  le 
circuit  général,  3.000  <■»  en  dérivation,  et  10.000  t»  en  série  clans  la 
branche  de  bifurcation  dans  laquelle  se  trouve  le  tissu  en  expé- 
rience. 


1.  Depuis  cette  leçon,  le  professeur  agrégé  Strtihl  a  présenté  un  appareil  appelé 
«  égersimétre  ».  qui  remplace  avantageusement  le  pistolet  »l«'  Weiss  parce  qu'il  sst  d  uai 
manœuvre  plus  rapide. 


LA   CHRONAXIE  455 


Ce  circuit  a  une  résistance  constante  à  --  près  de  10.000  «    quelle 

que  soit  la  résistance  du  tissu  mis  dans  le  circuit.  Le  temps  de  la  dé- 
charge est  donc  proportionnel  exclusivement  à  la  capacité.  On  cherche 
donc  la  capacité  qui  donne  le  seuil  avec  le  voltage  double  de  celui  qui 
a  donné  le  seuil  avec  le  courant  galvanique.  Cette  capacité  correspond 
à  la  chronaxie,  que  Lapicque  désigne  dans  les  formules  par  la  lettre  x  : 
je  l'appelle  donc  C~.  On  peut  donc,  si  on  connaît  préalablement  la 
chronaxie  mesurée  en  temps  avec  le  pistolet  de  Weiss,  poser  : 

-  =  RCt       K,  K  étant  une  constante. 

Lapicque  a  trouvé  cette  constante  égale  à  0,37.  On  peut  donc  calculer 
la  chronaxie  par  la  formule  : 

-  =  RCt  X  0,37. 

En  étudiant  la  chronaxie  dans  la  série  animale,  soit  avec  les  conden- 
sateurs, soit  avec  le  pistolet  de  Weiss  ou  d'autres  appareils  basés  sur 
le  même  principe,  Lapicque  a  donné  une  série  de  lois  de  physiologie 
générale  qu'on  peut  résumer  ainsi  : 

1"  La  chronaxie  caractérise  l'excitabilité  et  ne  varie  pas  avec  les 
conditions  expérimentales,  sauf  la  température. 

2°  Un  muscle  et  son  nerf  moteur  ont  la  même  chronaxie  :  c'est  la  loi 
de  Yisochronisme  du  nerf  moteur  et  du  muscle. 

3°  Lorsque  la  chronaxie  de  l'un  des  deux  organes  varie  seule,  il  y  a 
inexcitabilité  par  le  nerf  lorsque  le  rapport  des  chronaxies  du  nerf  et 
du  muscle  dépasse  2. 

Ainsi  le  curare  modifie  la  chronaxie  du  muscle  sans  changer  celle  du 
nerf  :  la  curarisation  est  complète,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  inexci- 
tabilité par  le  nerf  lorsque  la  chronaxie  du  muscle  a  doublé.  Au 
contraire,  la  strychnine  fait  varier  la  chronaxie  du  nerf  sans 
modifier  celle  du  muscle.  Sous  l'influence  de  la  strychnine,  la 
chronaxie  du  nerf  diminue:  il  y  a  inexcitabilité  par  le  nerf  lorsque  la 
chronaxie  du  nerf  est  arrivée  à  la  moitié  de  sa  valeur  L'excitation  du 
muscle  par  le  nerf  exige,  en  quelque  sorte,  la  résonance  des  deux 
organes,  hlsochronisme  est  la  condition  de  leur  fonctionnement,  qui 
n'est  compatible  qu'avec  un  hétérochronisme  ou  une  discordance, 
légers. 

Cette  découverte  est  capitale  Elle  nous  montre  qu'il  faut  distinguer, 
en  pathologie,  deux  sortes  d'inexcitabilité  parle  nerf:  1°  l'inexcitabi- 
lité  réelle,  qui  correspond  à  la  mort  du  cylindraxe,  comme  il  arrive 
après  section  au  bout  de  quelques  jours  ;  2°  l'inexcitabilité  apparente 
du  nerf,  qui  traduit  seulement  l'hétérocbronisme  du  nerf  et  du  muscle. 


156  G.  BOUnr,UIG.M)\ 


Le  seul  procédé  (|iii  permettrait  de  distinguer  ces  deux  inexcitabi- 
lités du  iierl  serait  la  recherche  de  la  variation  négative  du  nerf:  le 
nerf  réellement  inexcitable  ne  donne  plus  de  variation  négative,  tandis 
que  dans  l'inexcitabilité  par  hétérochronisme  la  variation  négative 
persiste.  Malheureusement  nous  n'avons  encore  aucun  moyen  pratique 
défaire  cette  recherche  sur  un  sujet  entier.  Aussi  je  m'abstiens  toujours 
de  dire  :  «  Le  nerf  est  inexcitable  »,  mais  je  dis  :  «  Le  muscle  est  inexcitable 
par  l'intermédiaire  du  nerf» .  Espérons  que  les  progrès  de  la  science 
nous  permettront  un  jour  d'aller  plus  loin. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  faits  doivent  nous  mettre  en  garde  contre  des 
jugements  hâtifs  et  nous  ne  devons  tirer  de  conclusions  diagnostiques 
et  pronostiques  de  l'inexcitabilité  du  muscle  par  le  nerf  qu'avec  la  plus 
grande  réserve  et  en  tenant  compte  de  toutes  les  conditions  cliniques 
et  autres  dans  lesquelles  cette  inexcitabilité  par  le    nerf  est  observée. 

4°  La  chronaxie  classe  les   muscles   des    divers  animaux  comme    les  . 
classe  la  durée  de  leur  contraction,  mais  avec  beaucoup  plus  de  préci- 
sion. 

Voici  quelques  exemples  de  la  classification  des  muscles  par  la 
chronaxie  et,  pour  quelques-uns,  par  la  durée  de  la  contraction,  en 
physiologie  comparée,  d'après  Lapicque  :  ce  tableau  nous  montre 
l'étendue  de  l'échelle  des  variations  de  la  chronaxie  dans  la  série  animale. 

MUSCLES  (IirtOXAXIE  OCRÉE    DE    LA    CONTRACTION 

Gastrocnémien  de  grenouille  vulgaire.     .     .  0"0003  ()s15  à  0S3 

-  crapaud  —       .     .     .  0-0009 

Muscle  du  pied  de  l'escargot 0S0048 

Cœur  de  tortue 0»0082 

Pince  du  crabe 0S03  3S 

Estomac  de  grenouille ls  153  à  20~ 

ô"  Non  seulement  la  chronaxie  varie  avec  la  durée  de  la  contraction, 
mais  elle  varie  dans  le  même  sens  que  le  temps  perdu  et  en  sens  inverse 
du  rythme  du  tétanos.  C'est  dire  que  la  chronaxie  exprime  toutes  les 
propriétés  fonctionnelles  du  nerf  et  du  muscle. 

VI.    La  chronaxie  en  physiologie  et  pathologie  humaines. 

1°  Technique. 

M'appuyant  sur  les  travaux  et  les  beaux  résultats  de  Lapicque, 
confirmés  par  les  travaux  de  Keith  Lucas,  j'ai  cherché  à  introduire 
en  médecine  la  mesure  de  l'excitabilité  par  la  chronaxie,  en  utilisant 
les     décharges   de    condensateurs,    dont    la    manœuvre    est     beaucoup 

plus  facile  et  plus  rapide  que  celle  des  appareils  utilisables  avec   le 
courant    galvanique,  tels   que    le  pistolet    de   Weiss,  appareils  qu'on 


LA   CHRONAXIE 


457 


désigne  du  nom  de  «  Rhéotomes  balistiques  ».  Quelques  tentatives 
avaient  été  faites  par  Doumer  et  Cluzet  avec  les  condensateurs,  mais 
n'avaient  pas  donné  de  résultats  incontestables.  Rien  de  nouveau 
n'était  sorti  de  ces  premières  recherches. 

Dès  le  début  de  mes  recherches,  il  m'apparut  que  les  conditions  dans 
lesquelles  se  plaçaient  Doumer  et  Cluzet,  comme  Hoorweg  d'ailleurs, 
c'est-à-dire  les  conditions  ordinaires  de  l'électrodiagnostic,  étaient  mau- 
vaises à  cause  des  variations  de  résistance  du  sujet,  déterminées  à    la 


A  Condensateur  a      mF       mf\ 

capacité  variaùle(0,0Jë50 


110OOu 
ou 

6000UJ         Sujet  et 
E Lee t rode  s 

Fig.  10.  —  Schéma  de  montage  pour  la  mesure  de  la  chronaxie  avec  les  décharges  de 
coudensateurs  chez  l'hotnme.  —  Commutateur  à  deux  directions  :  Position  A  de  la  fiche 
(représentée  sur  la  figure)  ;  fermeture  et  ouverture  du  courant  continu.  Position  B  :  charge 
et  décharge  des  condensateurs 

fois  par  la  valeur  de  l'intensité  et  parle  temps  du  passage  du  courant. 
J'ai  donc  commencé  par  chercher  à  étudier  la  résistance  du  sujet,  et 
j'ai  vu  que  toutes  lesjmesures  de  résistance  à  l'aide  du  courant  galva- 
nique étaient  illusoires  et  ne  pouvaient  servir  pour  les  ondes  brèves  ' . 
Aussi  je  suis  arrivé  à  rechercher,  non  la  manière  de  connaître  cette 
chose  insaisissable  qu'on  appelle  d'un  très  mauvais  mot,  la  résistance 
du  sujet,  mais  la  manière  de  l'éliminer. 

J'ai  employé  le  montage  de  Lapicque,    en  modifiant    simplement  la 
valeur  des    résistances.    Je    constitue    un    circuit  dérivé    en   mettant 


1.  G.  Bourguignon,  Soc.  de  Biologie   avec  la  collaboration  de  Barré).  17  octobre  1914. 
Journal  de  Radiologie  et  Electrologie,  mai  1915.  Acad.  des  sciences,  14  février  1910. 


158  G.   BOX  Iti.l  K,  VO  \ 


H).(HH)  w  dans  l'une  des  branches  de  la  dérivation,  le  sujet  et  1  l.(KK)  <-)  en 
série  avec  lui  dans  l'autre  branche  de  la  dérivation,  et  4.000  w  en  série 
dans  le  circuit  général  (voir  6g.  10.)  '  avant  la  bifurcation.  La  résis- 
tance en  série  avec  le  sujet  peut  être  abaissée  à  0  000  W  quand  le  seuil 
galvanique  est  trop  élevé  ;  mais  c'est  la  valeur  minima  compatible 
avec  une  précision  suffi  santé. 

Le  circuit  ainsi  constitué  a  une  résistance  sensiblement  constante, 
quels  (pie  soit  le  sujet  ou  la  région  examinés  :  sa  valeur  moyenne  est  de 
10.500  m.  Le  voltage  dont  il  faut  disposer  est  plus  élevé  que  dans  les 
procédés  classiques.  Il  faut  au  moins  disposer  d'une  source  de  200  v. 
Je  me  sers  d'électrodes  impolarisables2. 

La  mesure  de  la  chronaxie  est  des  plus  simples.  On  cherche  le  seuil 
galvanique,  en  volts  :  on  a  ainsi  la  rhéobase.  On  double  le  voltage 
rhéobasique  et  on  cherche  la  capacité  qui  donne  le  seuil  avec  le  voltage 
rhéobasique  doublé.  On  connaît  ainsi  la  capacité  C"  qui  correspond  à 
la  chronaxie. 

Pour  calculer  la  chronaxie  en  fraction  de  secondes,  on  peut  employer 
une  formule  plus  simple  que  celle  de  Lapicque.  En  effet,  la  résistance 
R  étant  constante,  on  peut  se  contenter  de  multiplier  la  capacité  chro- 
naxique  par  un  coefficient  bien  choisi.  En  exprimant  la  capacité  en 
microfarads  au  lieu  de  l'exprimer  en  farads,  on  voit,  en  appliquant  la 
formule  de  Lapicque,  que  1  microfarad  correspond  à  une  chronaxie  de 
0*004. 

:    =    RC:    X     0,37 

t  =   l<«f  x  10500  >■>  X  0,37  =  0*004 

On  peut  donc  simplifier  la  formule  de  Lapicque  et  écrire  : 

-  =  C-       0*004 

Si  le  seuil  galvanique  est  trop  élevé,  dans  certains  cas  pathologiques, 
pour  qu'on  puisse  doubler  le  voltage,  on  cherche  la  capacité  qui  donne 
le  seuil  avec  le  voltage  maximum  dont  on  dispose,  soit  200  v,  et  on  cal- 
cule la  capacité  chronaxique  par  la  loi  d'Hoorweg. 


En  effet,  Ct 


II 

b 

De  CY    —   a  -|-  bc  on  tire 

a  =  CV     -  bC  =  C  (V  - 

.,    .    a         C  (V  -  />) 

(1  OU      .      =              j '- 

b                    b 

b) 


I 

1.   (i.  BoORGDIGNOM,  Soc    Bioloyic,  90  avril   1921. 

-.  ti.  Bourguignon,  Soc.  d'Electnthirapw,  juin  1913   R$vat  N«urologiqa»,  juin  1913. 


LA  CHBOXAXIE 


45£ 


Ayant  établi  cette  technique  de  mesure  de  la  chronaxie  avec  les 
condensateurs  chez  l'homme,  j'en  ai  vérifié  l'exactitude  en  collaboration 
avec  H.  Laugier  '  au  moyen  du  pistolet  de  Weiss. 

Nous  avons  employé  le  montage  de  Weiss,  mais   en  ne  mettant  que 
des    résistances    de     10.000    to 
(voir  fig.    11)  au  lieu    de  plu- 
sieurs centaines  de  mille  ohms. 


2oov 


WWW 


Nous  avons  trouvé  avec  le 
pistolet  exactement  les  mêmes 
chronaxies  pour  les  muscles 
normaux  que  celles  que  j  avais 
trouvées  avec  les  condensateurs 
en  employant  la  formule  -  = 
Ox  0  004.  Nous  avons  donc 
vérifié,  non  seulement  les  ré- 
sultats que  j'avais  obtenus, 
mais  encore  l'exactitude  du 
coefficient. 

2°  Physiologie  normale. 

En  étudiant  la  chronaxie  des 
muscles  normaux  de  l'homme, 
au  point  moteur,  par  le  nerf,  et 
par  excitation  longitudinale  j'ai 
trouvé  qu'elle  est  la  même  pour 
un  muscle  donné,  au  point 
moteur,  par  le  nerf  et  par  exci- 
tation longitudinale,  Ce  qui  est  Fig.  11.  —  Schéma  du  montage  pour  l'application  du. 
d»  l  i        î     •      j        i»,  pistolet  de  Weiss  à  l'homme: 

accord  avec   la   loi    de  1  iso-      ab:  v  fil  coupé  par  la  i«iie. 
chronisme    du    nerf  moteur  et      £D  .  2-  m  coupé  par  la  balle. 

AL    et    Dr  :    conducteurs    le    long  desquels  on  peut 

du  muscle  de  Lapicque.  déplacer  le  2-  fil. 

Non  seulement  j'ai  ainsi  éta- 
bli  des    valeurs    étalons    qui  servent  de  comparaison  pour  juger  des 
variations  pathologiques,   mais  encore  j'ai  découvert  que  la  chronaxie 
classe  les  muscles  normaux  suivant  leurs  fonctions. 

Au  membre  supérieur,  les  lois  de  la  distribution  de  la  chronaxie  sont 
les  suivantes  : 

1°  Dans  un  même  segment,  la  chronaxie  est  la  même    pour   tous  les 
muscles  synergiques  d'une  même  fonction. 


— Vvaj~~nA/\A-- 


1.  G.  Bourguignon  et  H.  Laugier.  Soc.  Biologie,  5  mars  1921. 


160  G.  BOl  i;i,i  n.  \<»\ 


2°  Les  fléchisseurs  ont  une  chronaxie  plus  petite  que  les  extenseurs 
dans  le  rapport  tle  1  à  2. 

'A°  Dans  une  même  fonction,  les  muselés  du  segment  proximal  ont 
une  chronaxie  plus  petite  que  ceux  du  segment  distal  dans  le  rapport 
de  1  à  2,  5. 

4"  Les  muscles  extenseurs  doivent  être  divisés  en  deux  groupes  -a  les 
extenseurs  proprement  dits,  qui  ont  une  chronaxie  double  des  fléchis- 
seurs ;  b)  les  synergiques  de  la  flexion  qui  ont  la  même  chronaxie  que  les 
fléchisseurs. 

C'est  par  l'étude  du  triceps  brachial  et  des  radiaux  que  j'ai  découvert 
cette  dernière  loi. 

Dans  le  triceps,  le  vaste  interne  a  la  même  chronaxie  que  le  biceps, 
tandis  que  le  vaste  externe  et  la  longue  portion  ont  une  chronaxie 
double. 

A  l'avant-bras,  les  radiaux  ont  la  même  chronaxie  que  le  médian  et 
le  cubital,  tandis  que  les  extenseurs  ont  une  chronaxie  double. 

Or  la  contraction  des  radiaux  fixant  le  poignet  est  nécessaire  pour 
fléchir  les  doigts.  De  même  on  constate  facilement  sur  soi-même  que, 
dans  une  flexion  légère  de  l'avant-bras,  seul  le  vaste  interne  se  con- 
tracte. C'est  le  rôle  attribué  aux  antagonistes  par  Duchenne  de  Bou- 
logne. C'est  par  cette  hypothèse  que  j'ai  expliqué  l'égalité  de  chronaxie 
de  quelques  faisceaux  extenseurs  et  des  fléchisseurs. 

Dans  mes  premières  publications,  ayant  laissé  de  côté  le  triceps  et 
les  radiaux,  j'avais  cru  que  la  chronaxie  classait  les  muscles  suivant 
leurs  origines  radiculaires  '.  L'étude  du  tricepsetdes  radiaux2m'a  mon- 
tré que  cette  distribution  de  la  chronaxie  suivant  les  origines  radicu- 
laires n'était  que  contingente,  et  qu'en  réalité  la  distribution  de  la 
chronaxie  est  fonctionnelle. 

La  distribution  analomique  est  contingente. 
La  distribution  fonctionnelle  est  nécessaire. 

La  preuve,  c'est  qu'il  va  des  variations  individuelles  dans  la  distri- 
bution radiculaire  ;  il  n'y  a  pas  de  variations  individuelles  dans  la  distri- 
bution de  la  chronaxie. 

Les  mêmes  lois  se  retrouvent  au  membre  inférieur3, à  condition  de  ne 
pas  parler  de  flexion  et  extension,  mais  de  plan  antérieur  et  postérieur, 
à  cause  de  l'orientation  inverse  du  pli  de  flexion  du  genou  et  du  coude. 
Tous  ces  faits  ressortant  des  deux  tableaux  suivants, 

1.  G.  Bourguignon,  Acad.  >/<■*    sciences,  17  juillet  1916.  Soc.  Biologie,  l,r  juillet  lillt» 

2.  G.  Bourguignon,  Acad.  i/*j.s  sciences, 29 janvier  1917,  Revue  Neurologique,  juillet  1917, 
;î.  G.  Bourguignon,  Aoad.  des  sciences,  29  mai  1917. 


CLASSIFICATION   RADICULAIRE  ET  FONCTIONNELLE 
DES  MUSCLES  PAR  LA  CHRONAXIE 


CHRONAXIES  NORMALES  DES  MUSCLES  DU  MEMBRE   SUPERIEUR  DE  L'HOMME 


ORIGINES 
RADICULAIRES 


C5,C6 


C6,  C  7 


C8,  D  1 


l  Deltoïde  3  port. 
Biceps. 


{  Long    supinateur, 

I 
Vaste    interne . 

Vaste   externe  . 
Long  triceps.   . 

Radiaux  .     .     . 

Grand  palmaire.   . 
Fléch.    superf. 
Eminence  thén.     . 
Cubital    antér. 
Fléchiss.    prof. 
V  Interosseux  . 

Extens.  comm. 
Long    ext.   pouce, 
Court    ext     pouce 
Cubital  post. 


CHRONAXIE 
MOYENNE 


SECONDES 


GROUPEMENT    PAR    LA    CHRONAXIE 


0,00015 
0.00011  J 
0,00011  f 

0,00011  1 

y 

0,00020  ! 
0,00022  } 

0,00023  ' 

0,00027   I 
0,00027   f 
0  00029 
0,00027 
0  00024 
0,00029 


0  00062 
0,00070   / 
0,00063   i     N° 

o.ooooo  y 


N»  1 


N»  2 


N"  3 


CHRONAXIE 

MOYENNE 

DU    GROUPE  ; 

EN     SECONDES 


0,00012 


0,00021 


0,00027 


0,00055 


FONCTION 


Flexion 

et 

antagonistes 


Extension 


Flexion 

et 

antagonistes 


Extension 


II.  -  CHRONAXIES  NORMALES  DES  MUSCLES  DU  MEMBRE  INFERIEUR  DE  L'HOMME 


ORIGINES 
RADICULAIRES 


L2,  L3,  L4 


Grand  fessier  . 
Grand  adduct  . 
Couturier.  . 
Droit  interne.  . 
Vaste  interne.  . 
Droit  antér. 
Vaste  externe.  . 
Moyen  adduct. 

Jambier  antér. 


\  Long  péron.  lat. 
L  4,  L  5,  S  \)  Extens.  comm. 
;  Pédieux.  . 


L  5,  S  1,  S  2 


CHRONAXIE 
MOYENNE 

EN- 
SECONDES 


Biceps  crural.   . 
Demi-membran.    , 
Jumeau  interne. 
Jumeau  externe.  , 
Fléch.  comm.  . 
Adduct. gros  orteil 


0,00010 
0.00011 
0.00014 
0,00014 
0,00012 
0,00010 
0,00017 
0  00018 

0,00025 

0,00027 
0,00033 
0,00037 

0,00055 
0,00050 
0,00060 

0.00055 
0,00060 
0,00066 


GROUPEMENT  PAR  LA  CHRONAXIE 


CHRONAXIE 

GROUPE 

MOYENNE 
DU    GROUPE 
EN    SECONDES 

FONCTION 

Mouvements 

d  arrière 

N°    1 

0.00014 

>       en  avant  : 
Cuisse  -f-  1  ant. 

Jambe 
j             Pied 

N°  2 

0,00035 

Mouvement 
d'arrière   en    avl 
1             Pied 

J     Mouvements 

N»  3 

0,00058 

d  av'   en    arrière 

Cuisse 
1           Jambe 
j            Pied 

ic-j  c.  iun  iii.i  a,  \o\ 


Récemment,  avec  la  collaboration  deG.  Banu  ei  de  H.  Laugier  ',  j'ai 
étudié  la  chronaxie  des  points  moteurs  chez  les  nouveau-nés.  Nous 
avons  constaté  que,  à  la  naissance,  la  chronaxie  est  plus  grande  que 
chez  l'adulte  pour  tous  les  muscles.  Celait  est  d'accord  avec  les  recher- 
ches de  Westphal,  F.  Meyer,  Soltman,  (1.  Weiss,  etc.,  qui  ont  montré 
que  la  contraction  a  une  durée  plus  longue  chez  le  nouveau-né  que 
chez  l'adulte.  A  Westphal  avait  de  plus  trouvé  de  l'hypo-excitahilité 
faradique  chez  le  nouveau-né  ;  mais,  la  mesure  de  l'excitabilité  parle 
courant faradique  n'est  ni  assez  précise  ni  assez  sensible,  pour  suivre 
l'évolution,  comme  j'ai  pu  le  faire  ensuite  avec  G.  Banu. 

A  la  naissance,  les  muscles  qui  seront  les  plus  différenciés  chez 
l'adulte  le  sont  le  moins,  de  sorte  que  les  plus  grandes  chronaxies  se 
trouvent  justement  dans  les  muscles  qui  ont,  chez  l'adulte,  les  chronaxies 
les  plus  petites.  En  voici  quelques  exemples  : 

MUSCLES  NOUVEAU-NÉ  ADULTE 

1"  Membre  supérieur. 
Deltoïde O00110.     .     .     . 


Biceps.    .     .  0,00110.     .     !     !     !  !  0*00008  à  0*00016 

Vaste  externe  du  triceps 0  00100      ....  0,00020  à  0,00025 

Fléchisseur  profond    des  doigts.     .     .     .             0,00030 0.00020  à  0,00035 

Extenseur   commun  des    doigts.     .     .     .             0,00070 0,00043  à  0,00065 

2°  Membre   inférieur. 

Vaste  interne  du  quadriceps  crural.     .     .  0*00150 04)0010  à  000016 

Jumeau  interne 0,00400 0,00050  à  0.00070 

Long  péronier  latéral 0.00070 0,00028  à  0,00035 

En  suivant  l'évolution  de  la  chronaxie  des  nerfs  et  des  muscles  du 
membre  supérieur  -,  nous  avons  vu  que  les  muscles  du  segment 
proximal,  qui  ont  à  la  naissance  des  chronaxies  plus  grandes  que 
celles  des  muscles  du  segment  distal,  contrairement  à  ce  qui 
existe  chez  l'adulte,  évoluent  plus  longtemps  que  ceux  des  muscles 
.du  segment  distal.  La  figure  ci-jointe  (voir  lig.  12)  montre  cette 
évolution  :  la  courbe  d'un  extenseur  et  celle  d'un  fléchisseur  au  même 
segment  ne  se  rencontrent  jamais  ;  mais  les  courbes  du  segment 
proximal  coupent  les  courbes  du  segment  distal  entre  le  4e  et  le 
7e  mois.  Les  muscles  du  segment  distal  ont  acquis  les  chronaxies  tic 
l'adulte  entre  le  5e  et  le  7°  mois,  tandis  que  ce  n'est  que  vers  le  16*  mois 
que  ceux  du  segment  proximal  ont  terminé  leur  évolution. 

Par  contre,  les  nerfs  évoluent  beaucoup  plus  vile  et  ont  les  chronaxies 

1   (•.  Banc,  (1.  Bourguignon  et  H.  Lauqxrr.  -Soc.  Mologie,  11  juin  1921, 
2.  (i.  Banu  et  (i.  Bourguigmon,  SoC.  deBiologi»,  16  juillet  1921. 


LA  CHBOXAXIE 


463 


de  l'adulte  dès  le  2e  mois,  Ce  fait  est  encore  en  accord  avec  les  recher- 
ches histologiques  de  A.  Westphal  '  quia  montré  que  la  myélinisation 
des  nerfs  est  sensiblement  complète  entre  la  6e  et  la  8U  semaine. 

Là  encore,  chez  le  nouveau-né,  nous  vérifions  la  loi  du  rapport  de  la 
chronaxie  avec  la  durée  de  la  contraction   et  avec  la  valeur  fonction- 


-g   0,0008  ..,_ 


R  0,0007 


*  Q0005 
■S?  0,0004 
t;   0,0003 


G 


1 

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•— 

| 

Extenseurs 
des  doigts 


Fléchisseurs 
des  doigts 

Vaste  externe 
Biceps 


MOIS:   0       1 


10     11      12     13     14     15     16     17     18     19    20 


B 


-s 

0 

u 
1) 

«a 

t 

0,0007 
0,0006 
0,0005 

.a 

il 

0,0004 
0,0003 

5 

0,0002 

<0  0,0001 

0 

^ 

V 

X L. 

N> 

"•—«■—4— _._.... — _._,, 

K,m 


|      Nerf  Rjdiel 

(Seuil  des  Extenseurs 
à  l'avant -liras  ) 


Nerr  Médian 


MOIS:0      1      2      3      4      5      6      7      8      9      10     11      12     13     14    15    16 

Fig.  12.  —  Evolution  de  la  chronaxie  des  nouveau  nés. 

A.  Chionaxies  des  points  moteurs  des  muscles. 

B.  Chronaiies  des  nerfs  Médian  et  Radial. 

nelle  des  nerfs  et  des  muscles.  Le  nouveau-né  remue  beaucoup  plus  les 
doigts  et  la  main  que  l'avant-bras  et  le  bras,  et  c'est  au  moment  où  les 
chronaxies  atteignent  les  valeurs  de  l'adulte  que  l'enfant  fait  ses  pre- 
miers essais  de  se  mettre  debout  et  de  marcher. 

5°  Quand  on  étudie  1  attitude  que  prend  le   membre  supérieur    aban- 
donné à  lui-même,  au  repos,  on  voit  une  demi  flexion  des  doigts  sur  la 


1.  A,  Westphal,  Archiv.  fin-  Psychiatrie  und  Neroenkrankenheiten,  XXVI  Band.  1894. 


464  G.   liOUnGUIGNON 


main,  de  la  main  sur  l'avant-bras,  de  l'avant-bras  sur  l'épaule.  Cette 
attitude  est  due  à  la  prédominance  du  tonus  des  muscles  fléchisseurs 
sur  celui  des  muscles  extenseurs.  Or  les  muscles  antérieurs  ont  une 
chronaxie  plus  petite  que  les  muscles  postérieurs,  c'est-à-dire  qu'ils 
sont  plus  excitables.  11  y  a  donc  un  rapport  entre  le  tonus  des  muscles 
normaux  et  la  valeur  de  la  chronaxie.  Je  ne  veux  pas  dire  que  la  chro- 
naxie donne  toute  l'explication  du  lonus,  mais  il  me  semble  qu'elle  en 
est  un  des  facteurs  :  cette  hypothèse  reçoit  d'ailleurs  une  confirmation 
de  l'étude  des  muscles  hypertoniques  dans  certains  états  pathologiques, 
comme  nous  allons  le  voir. 

Telles  sont  les  lois  de  physiologie  générale  du  système  nerveux  que 
l'étude  de  la  chronaxie  normale  de  l'homme  m'a  permis  de  découvrir. 

3°  Physiologie  pathologique. 

L'étude  des  variations  de  la  chronaxie  en  pathologie  se  montre  aussi 
féconde  que  celle  de  la  chronaxie  normale.  Cette  étude  est  en  cours; 
mais  de  ce  que  j'ai  étudié  actuellement,  je  puis  tirer  quelques  lois  gé- 
nérales, précieuses  pour  nous  guider  au  milieu  de  l'infinie  variété  des 
processus  pathologiques. 

Avant  tout,  l'étude  de  la  chronaxie  doit  nous  faire  rectifier  la  manière 
déconsidérer  les  résultats  fournis  par  l'électrodiagnostic.  Les  auteurs 
classiques,  depuis  Erb,  ont  cherché  à  établir  un  rapport  entre  1  état 
anatomique  des  nerfs  et  des  muscles  et  les  réactions  électriques.  Ce  point 
de  vue  doit  être  radicalement  abandonné.  L'excitabilité,  aussi  bien  que 
la  forme  de  la  contraction,  sont  des  propriétés  exclusivement  physiolo- 
giques. Une  faut  donc  tirer  des  réactions  électriques  cpie  des  conclusions 
physiologiques.  Ce  n'est  que  secondairement,  en  faisant  entrer  en  ligne 
décompte  les  circonstances  dans  lesquelles  on  a  observé  les  modifi- 
cations des  réactions  électriques,  l'étiologie,  l'évolution,  en  un  mot 
toutes  les  données  fournies  par  la  clinique,  que  l'on  pourra  remonter 
delà  physiologie  pathologique  à  l'anatomie  pathologique. 

En  électro-neurologie,  comme  dans  toutes  les  branches  de  la  méde- 
cine d'ailleurs,  mais  à  un  plus  haut  degré  peut-être,  il  devient  nécessaire 
de  substituer  à  la  pensée  anatomique  la  pensée  physiologique. 

Comment  et  sous  quelles  influences  se  modifie  donc  la  chronaxie  en 
pathologie  nerveuse  ? 

Vous  savez,  que  tous  les  troubles  de  la  motilité  se  divisent  eu  deux 
grands  groupes,  suivant  que  la  lésion  causale  siège  sur  le  neurone 
moteur  périphérique,  y  compris  le  muscle,  ou  en  dehors  de-  ce  neurone 
moteur  périphérique,  dans  les  voies  motrices  centrales,  cérébrales, 
cérébelleuses  ou  extrapyramidales  (corps  opto-striés) 


LA  CHRONAXIE  465 


En  règle  générale,  mais  ce  n'estpas  absolu,  les  écarts  entre  la  chro- 
naxie  pathologique  et  la  chronaxie  normale  sont  beaucoup  plus  grands 
dans  les  lésions  du  neurone  moteur  périphériqne  que  dans  les  lésions 
centrales. 

1°  Lésions  du   neurone  moteur  périphérique  et  des  muscles. 

Au  point  de  vue  anatomo-pathologique,  on  distingue  la  dégénérescence 
wallérienne,  dans  laquelle  les  lésions  musculaires  sont  secondaires  à 
une  lésion  du  neurone  moteur  périphérique  (cellule  motrice  de  la  corne 
antérieure  de  la  moelle,  racine  antérieure,  plexus,  trajet  des  nerfs  péri- 
phériques) et  les  lésions  musculaires  primitives,  sans  lésion  du  sys- 
tème nerveux  qu'on  rencontre  dans  les  myopathies  et  la  maladie  de 
Thomsen. 

Déjà,  en  découvrant  que  les  myopathies  présentent  toujours  soit  la 
réaction  myotonique,  comme  les  thomséniens,  soit  la  contraction 
galvanotonique,  comme  la  dégénérescence  .wallérienne,  j'avais  montré 
que  les  modifications  de  la  forme  de  la  contraction  sont  les  mêmes  dans 
toutes  ces  affections  et  qu'elles  traduisent  un  même  complexus  ana- 
tomo-physiologique  '. 

La  chronaxie  confirme  d'une  manière  tellement  éclatante  cette  syn- 
thèse de  la  pathologie  musculaire,  qu'il  est  impossible  d'étudier  les 
modifications  de  la  chronaxie .dans  l'une  de  ces  affections  sans  le  faire 
en  même  temps  dans  les  autres. 

En  même  temps,  la  pathologie  nous  apporte,  comme  l'étude  de  la 
chronaxie  normale  de  l'adulte,  comme  celle  de  la  chronaxie  des  nou- 
veau-nés, une  confirmation  de  la  loi  du  rapport  de  la  chronaxie  avec 
la  durée  de  la  contraction  d'une  part,  avec  la  fonction  d'autre  part. 

Lorsque  la  fibre  musculaire  s'altère,  elle  s'altère  toujours  d'une 
manière  très  uniforme.  La  striation  transversale  s'atténue,  puis  dis- 
paraît ;  les  noyaux  et  le  sarcoplasma  se  multiplient. 

Parallè  lement,  la  forme  et  la  durée  de  la  contraction  se  modifient. 
(Voir  fig.  13.)  Au  degré  le  plus  léger,  on  constate  simplement  un  léger 
ralentissement  de  la  décontraction  (fig.  13,  IIJ.  A  un  degré  plus  accen- 
tué, on  voit  apparaître  une  contraction  tonique  du  muscle  pendant  le 
passage  du  courant,  mais  la  mise  en  contraction  reste  rapide  ;  c'est  à 
cette  contraction  tonique  que  j'ai  proposé  de  donner  le  nom  de  contrac- 
tion galvanotonique   ou  de   galvanotonus  2   (fig.    13,  III),  en  reprenant 


1.  G.  Bourguignon.  Archives  d'électricité  médicale  et  de  physiothérapie,  10  juillet  1910. 

2.  Id.     La    contraction    galvanotonique   dans    la    réaction  de  dégénérescence.  Soc. 
d'Electrothérapie,  juin  1913. 

CONFÉR.    NEUROL.  30 


166 


G.   Uni  BGl   IG  VO  S 


uni'  vieille  expression  de  Remak,  à 
la  place  du  terme  extrêmement  mau- 
vais de  «  tétanos  galvanique  »  sous 
lequel  on  désignait  ce  phénomène, 
Il  ne  peut  être  en  effet  question  de 
tétanos,  puisque  le  tétanos  est  pro- 
duit par  une  série  d'excitations  fu- 
sionnées, et  quici  il  s  agit  dune  ex- 
citation unique  prolongée. 

Ce  degré,  le  galvanotonus,  se 
trouve  à  la  fois  dans  la  dégénéres- 
cence, la  myopathie  et  le  Thomsen  ', 
ainsi  que  je  l'ai  démontré  en  colla- 
boration avec   E.   Huet. 

Ensuite,  on  voit  se  ralentir  la 
mise  en  contraction  :  c'est  alors  la 
contraction  lente,  accompagnée  ou 
non  de  galvanotonus  (fig.  13,  IV  et 
V).  Quand  la  contraction  lente  se 
prolonge  longtemps  après  le  pas- 
sage du  courant,  elle  prend  le  nom 
de  contraction  myotonique  (fig.  13, 
VI)  :  on  la  rencontre  avec  son  maxi- 
mum de  développement  dans  la  ma- 
ladie de  Thomsen  ;  maison  la  trouve 
aussi,  d'une  manière  à  peu  prèseons- 
tante,  dans  la  myopathie,  et  même 
dans  la  dégénérescence. 

Ces  altérations  des  fibres  muscu- 
laires peuvent  être  étendues  à  toutes 
lesfihres  composant  un  mus- 
cle, ou  à  une  partie  seule- 
ment de  ses  fibres.  Le  pre- 
mier cas  ne  se  réalise  que 
dans  une  seule  condition  '■  la 


1.  E.  Huet  et  G.  Bourguignon, 
Congrèt  international  de  médecine 
de  Londres,  S)  août  1913, et  (i-  Bour- 
guignon, Archives  à" Electricité  mé- 
dicale, 25  septembre  1916. 


I.     Secousse   normale. 


III.  Galvanotonus  à  début  brusque. 


Y   Siiiiusse  tante. 

Fig.  13.  —  Lu  mvsum  loiiMis  ii 


LA  CHRONAXIE 


467 


II.  Secousse  avec  ralentissement  de  la  décontraction. 


IV.   Galvanotonns  à  début  lent. 


VI    Contraction  myotonique. 

CONTRACTION  NORMALE     ET    PATHOLOGIQUE 


lésion  globale  de 
tous  les  cylindraxes 
innervant  un  mus- 
cle, car  à  chaque 
cylindraxe  corres- 
pond une  seule  fibre 
musculaire.  Ce  cas 
n'existe  donc  que 
dans  ce  qu'on  ap- 
pelle la  «  dégéné- 
rescence totale  ». 

Dans  tous  les  au- 
tres Cas,  une  partie 
seulement  des  fi- 
bres du  muscle  ma- 
lade est  atteinte. 
C'est  le  cas  de  la 
«  dégénérescence 
partielle  ».  de  là 
myopathie  et  du 
Thomsen  Or,  dans 
ces  cas-là,  les  fibres 
saines  restent  exci- 
tables par  le  nerf, 
tandis  que  les  fibres 
malades  ne  le  sont 
plus.  En  excitant  le 
point  moteur,  nous 
exciterons,  suivant 
les  cas,  les  fibres 
saines  ou  les  au- 
tres ;  mais  par  ex- 
citation longitudi- 
nale, nous  excite- 
rons toujours,  élec- 
tivement,  les  fibres 
musculaires  ;  et 
comme  le  seuil  gal- 
vanique des  fibres 
malades     est     tou- 


168  <:.    BOURGUIGNON 


jours  plus  petit  que  celui  des  fibres  saines  dans  l'excitation  longi- 
tudinale (hyperexcitabilité  longitudinale  des  classiques),  ce  sont  les 
libres  altérées  que  nous  exciterons  électivenient  par  ce  procédé.  C'est 
donc  par  excitation  longitudinale  que  nous  devons  étudier  la  cbronaxie 
des  libres  musculaires  altérées. 

Or,  dans  ces  conditions,  la  cbronaxie  n'établit  aucune  différence 
entre  la  dégénérescence  wallèrienne,  la  myopathie  et  la  maladie  de 
Thomsen  ',  mais  se  montre  liée  exclusivement  à  la  forme  de  la  contrac- 
tion. Ce  que  nous  trouvons,  ce  n'est  donc  pas  la  cbronaxie  de  la  dégé- 
nérescence, de  la  myopatbie  ou  du  Thomsen',  mais  la  cbronaxie  du 
ralentissement  de  la  décontraction,  du  gai vanotonus  à  début  brusque, 
de  la  contraction  lente  avec  galvanotonus  ou  sans  galvanotonus,  delà 
contraction  myotonique,  et  le  degré  de  l'altération  sera  exactement 
mesuré  par  la  cbronaxie,  de  sorte  que  la  cbronaxie  permettra  de  voir 
des  différences  entre  deux  faisceaux  ayant  la  même  forme  de  contrac- 
tion. 

Voici  les  limites  de  la  variation  de  chronaxie  en  fonction  de  la  forme 
de  la  contraction  : 

FORME  DE  Là  CONTRACTION.  CHRONAXIE. 

Contraction  restée  vive  dans  tous  ses  éléments.     .  De  la  normale  à  10  fois  la  normale 

Ralentissement  de  la  décontraction 10  à  15  fois   la  chronaxie  normale. 

Galvanotonus  à  début  brusque De  15  fois  la  normale  à  0S009. 

Contraction  lente  avec  galvanotonus 0S009  à  0S0'2. 

Contraction  lente  sans  galvanotonus  et  contraction 

myotonique 0»01  à  0*07. 

Dans  les  lésions  légères,  on  ne  peut  exprimer  la  variation  de  la 
chronaxie  qu'en  fonction  de  la  valeur  normale.  Une  chronaxie  de 
0  s.  0003  est  une  cbronaxie  pathologique  pourun  biceps  et  une  chronaxie 
normale  pour  un  fléchisseur  des  doigts.  Au  fur  et  à  mesure  que  les 
lésions  sont  plus  graves,  et  les  cbronaxies  plus  éloignées  de  la  nor- 
male, les  différences  entre  les  différents  muselés  s  effacent  :  la  patho- 
logie fait  disparaître  les  différenciations  musculaires  qu'on  trouve  en 
physiologie,  de  sorte  que  les  plus  grandes  valeurs  de  la  chronaxie 
sont  les  mêmes  sur  tous  les  muselés,  quelle  que  soit  leur  chronaxie 
normale.  C'est  pour  cette  raison  que  j'exprime  les  ebronaxies  patholo- 
giques, par  leur  rapport  avec  la  normale,  pour  les  lésions  les  plus 
légères,  et  par  une  valeur  absolue,  sans  rapport  avec  la  valeur  normale 
de  la  chronaxie  des  différents  muscles  pourles  Usions  plus  graves. 


1.  (i.    Bourguignon.    Académie  des  Sciences,  50  mai  1931 .   ReotU  nturologîqae,  avril 

1920.  Soc.  d'Electrothérapie,  juin  1921. 


LA  CHRONAXIE  469 


Au  niveau  des  nerfs,  ce  n'est  qu'exceptionnellement  que  la  chronaxie 
s'écarte  beaucoup  de  la  normale  :  pour  le  nerf,  de  deux  choses  Tune  :  ou 
il  y  a  encore  des  fibres  musculaires  excitables  par  le  nerf,  et  la  chro- 
naxie ne  dépasse  guère  5à6  fois  la  normale,  ou  il  n'y  a  plus  de  fibres 
musculaires  excitables  par  le  nerf,  et  l'excitation  du  nerf  est  inef- 
ficace. 

Au  point  moteur,  les  phénomènes  sont  très  complexes,  et,  en  général, 
on  n'excite  pas  les  mêmes  fibres  avec  le  courant  prolongé  qu'avec  les 
ondes  brèves,  de  sorte  que  la  chronaxie  du  point  moteur  n'est  pas  une 
vraie  chronaxie,  mais  une  sorte  de  moyenne  entre  les  chronaxies  les 
plus  petites  et  les  plus  grandes  :  suivant  qu'il  y  a  plus  ou  moins  de 
fibres  encore  saines  ou  de  fibres  malades,  la  chronaxie  du  point  moteur 
se  rapproche  plus  de  celle  du  nerf  ou  de  celle  de  l'excitation  longitu- 
dinale. 

Nous  pouvons  donc  dire  que  le  muscle  sain  est  homogène  et  qu'il 
n'a  qu'une  chronaxie,  qui  est  la  même  sur  le  nerf,  le  point  moteur  et 
l'excitation  longitudinale,  tandis  que  le  muscle  pathologique  est  hété- 
rogène et  présente  au  moins  deux  chronaxies,  une  petite  qu'on  trouve 
par  l'excitation  du  nerf  et  une  grande  qu'on  trouve  par  excitation 
longitudinale. 

Un  seul  cas  pathologique  ramène  l'homogénéité  :  c'est  celui  de  la 
dégénérescence  totale,  mais  c'est  le  cas  le  plus  rare.  Encore  toutes  les 
fibres  sont-elles  rarement  exactement  au  même  degré  de  dégénérescence 
en  même  temps,  de  sorte  que,  même  dans  ce  cas,  on  trouve  des 
chronaxies  différentes  en  modifiant  le  mode  d'exploration  :  seulement 
les  différences  sont  moindres  que  dans  tous  les  autres  cas. 

La  chronaxie  nous  permet  donc  de  dire  : 

1°  La  synthèse  des  lésions  musculaires  (dégénérescence,  myopathie, 
Thomsen)  que  j'avais  tentée  par  l'étude  de  la  seule  forme  de  la  contrac- 
tion, est  confirmée  parla  chronaxie. 

2°  Le  terme  de  dégénérescence  partielle  doit  s'entendre  dans  le  sens 
de  répartition  du  processus  pathologique  à  une  partie  seulement  des 
fibres  musculaires  et  non  dans  celui  de  degré  de  la  dégénérescence.  La 
chronaxie  donne  raison  à  Vernicke  et  tort  à  Erb.  Le  degré  de  la  dégé- 
nérescence est  révélé  seulement  par  la  valeur  de  la  chronaxie. 

3°  A  Y  homogénéité  du  muscle  normal,  la  pathologie  substitue  V  hété- 
rogénéité. On  pourrait  d'ailleurs  en  dire  autant  de  la  pathologie  de  tous 
les  organes  ;  mais  le  muscle  est  l'organe  sur  lequel  l'exploration  directe 
met  le  plus  facilement  ce  fait  en  évidence. 

4°  L'évolution  delà  chronaxie  nous  permet  de  suivre  de  très  près  celle 


170 


(,.  uni  m;ri<;.\<>.x 


des  processus  pathologiques  et  d'en  construire  la  courbe,  comme  nous 
avons  pu  construire  celle  du  développement  neuro-musculaire  chez  le 
nouveau-né.  Je  n'ai  pas  eu,  jusqu'à  présent,  l'occasion  de  suivre  l'évo- 
lution (rime  dégénérescence,  d'une  myopathie  ou  d'un  Thomsen  ;  mais 
j'ai  pu  suivre  la  régénération  d'un  nerf  médian  sectionné  complètement 


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Fig    14.   —  Evolution  de    !a  chronaxie  pendant   la  régénération  d'un  nerf  médian  suturé  au  poignet. 

et  suturé  au  poignet,  pendant  15  mois  :  cette  observation  a  été  publiée 
en  détail  à  la  Société  de  neurologie  *,  je  vous  présente  ici  la  courbe  de 
l'évolution  de  la  chronaxie  au  point  moteur,  sur  le  nerf  et  par  exci- 
tation longitudinale,  avec  l'indication  du  moment  OU  sont  apparus 
d'obord  les  fourmillements,  puis  les  mouvements  volontaires  (voir 
fig.  14).  Vous  y  voyez  (pie  dès  le  premier  mois  après  l'opération,  alors 
qu'on  est  encore  en  pleine  dégénérescence  totale,  avec  inexcitabilité 
parle  nerf,  la  chronaxie  commence  à  diminuer,  ce  qui    ma     permis   de 


(î.  Bourguignon  et  Ch.  Drium  u.  Revue  neurologiqut,  janvier  1921. 


LA   CHRONAXIE  471 


porter  un  pronostic  favorable  très  précoce,  pronostic  que  les  événe- 
ments ont  confirmé,  puisqu'au  moment  où  j'ai  cessé  de  pouvoir  suivre 
le  malade,  la  restauration  clinique  motrice  et  sensitive  était  complète, 
et  les  chronaxies  très  voisines  de  la  normale. 

Très  précieuse  au  point  de  vue  du  diagnostic,  la  chronaxie  l'est  peut- 
être  encore  plus  au  point  de  vue  du  pi'onostic  et  des  indications  thé- 
rapeutiques. 

2°  Variations  de  la  chronaxie,  sans  lésion  des  muscles  ni  du  neurone 
moteur  périphérique. 

Dans  cette  classe  d'altération  de  la  chronaxie,  les  variations  sont 
beaucoup  plus  légères,  sauf  quelques  cas  exceptionnels.  Si,  dans 
l'étude  de  la  dégénérescence,  la  chronaxie  a  surtout  apporté  des  pré- 
cisions à  des  faits  connus  déjà,  au  moins  en  partie,  ici,  tout  ce  que  la 
chronaxie  me  donne  est  nouveau. 

En  effet,  ces  variations  légères  d'excitabilité  échappent  complète- 
ment aux  procédés  classiques  d'investigation  :  le  seuil  galvanique  ne 
donne  rien,  et  le  seuil  faradique  varie  avec  tant  de  facteurs  étrangers 
à  l'excitabilité  qu'on  ne  peut  tenir  compte  que  des  variations  énormes, 
comme  celles  que  l'on  constate  dans  la  dégénérescence. 

Les  premiers  faits  de  cet  ordre  que  j'ai  découverts  sont  les  réper- 
cussions des  blessures  d'un  nerf  d'un  côté  sur  la  chronaxie  des  points 
moteurs  du  côté  opposé.  Ces  variations  sont  légères  et  se  font  tantôt  en 
plus  et  tantôt  en  moins.  La  loi  générale,  c'est  que  la  réaction  se  montre 
toujours  d'abord  dans  les  muscles  innervés  par  des  nerfs  de  même 
chronaxie  que  le  nerf  blessé.  Cette  réaction  ne  fait  jamais  défaut.  Elle 
peut  s'accompagner  de  variations  de  la  chronaxie  des  antagonistes  des 
muscles  innervés  par  le  nerf  blessé,  mais  le  fait  n'est  pas  constant. 

Les  cas  dans  lesquels  on  a  décrit,  exceptionnellement,  de  la  réaction 
de  dégénérescence  classique  dans  les  nerfs  et  muscles  symétriques  du 
côté  opposé  au  côté  blessé  ne  sont  qu'un  cas  extrême  et  rare  de  la  loi 
générale  que  la  chronaxie  m'a  permis  de  découvrir  K 

Les  atrophies  réflexes  s'accompagnent  aussi  de  variation  de  la  chro- 
naxie de  même  ordre. 

Les  altérations  de  la  chronaxie  dans  ces  deux  ordres  de  fait,  sont 
dues  certainement  au  même  mécanisme  et  il  faut  étendre  le  sens  du 
terme  «  troubles  réflexes  ». 

En  dehors  de  ces  faits  de  réaction  de  la  lésion  d'un  nerf  mixte  sur  le 
côté  opposé,  et  de  la  lésion  d'une  articulation  (j'y  ajouterais  aussi  d'un 


1.  (j.  Bourguignon.  Académie  des  sciences,  29  août  1921. 


I    l  G.  BOURGUIGNON 


os)  sur  la  chronaxie  des  nerfs  et  muscles  correspondants,  j'ai  vu  qu'il  y 
a  des  altérations  de  la  chronaxie  du  nerf  moteur  et  du  muscle  dans 
tous  les  cas  où  une  lésion  siège  sur  un  neurone  central  en  rapport 
fonctionnel  avec  le  neurone  moteur  périphérique. 

La  seule  catégorie  de  faits  de  cet  ordre  (pie  j'aie  pu  étudier  complè- 
tement jusqu'ici  concerne  les  syndromes  parkinsoniens,  dans  la  maladie 
de  Parkinson  classique  et  dans  les  syndromes  porkinsoniens  post- 
encéphalitiques  '  ;  mais  ce  que  j'ai  vu  dans  quelques  cas  de  lésions  du 
faisceau  pyramidal,  soit  dans  la  moelle,  soit  dans  l'encéphale,  me 
permet  de  poser  les  lois  générales  suivantes  : 

1°  Toute  lésion  d'un  neurone  en  rapport  fonctionnel  avec  le  neurone 
moteur  périphérique  retentit  sur  la  chronaxie  du  point  moteur  du 
muscle,  et  souvent  du  nerf  lui-même. 

2°  Tout  muscle  hypertonique  ou  contracture  a  une  chronaxie  plus 
petite  que  la  normale.  Tout  muscle  hypotonique  a  une  chronaxie  plus 
grande  que  la  normale.  L'attitude  des  divers  segments  des  membres 
dépend  du  rapport  de  la  chronaxie  des  muscles  antérieurs  et  posté- 
rieurs. 

3°  La  chronaxie  du  nerf  varie,  en  général,  en  sens  inverse  de  celle  du 
point  moteur  ;  mais  souvent  elle  reste  normale. 

Je  ne  puis  m'étendre  davantage  sur  ce  sujet,  qui  est  encore  à  l'étude. 
J'ai  tenu  cependant  à  vous  montrer  où  j'étais  arrivé  actuellement. 

J'espère  que,  de  cette  leçon,  dans  laquelle  je  m'excuse  d'avoir  dû 
parler  un  langage  encore  peu  familier,  vous  tirerez  cependant  les 
enseignements  suivants  : 

Il  n'y  a  qu'une  mesure  réelle  de  l'excitabilité,  c'est  la  chronaxie. 

La  chronaxie  a  permis  de  mettre  en  lumière  des  lois  importantes  de 
physiologie  normale  et  pathologique  qui  éclairent  le  fonctionnement  du 
s\Tstème  nerveux,  expliquent  les  attitudes,  normales  et  pathologiques 
des  divers  segments  des  membres  au  repos  révèlent  et  précisent  les 
relations  fonctionnelles  entre  les  divers  muscles  et  groupes  de  muscles 
et  nous  font  entrevoir  la  possibilité  d'un  rapport  entre  le  tonus  et 
l'excitabilité. 

Au  point  de  vue  pratique,  la  chronaxie  nous  donne  une  mesure 
précise  de  la  valeur  fonctionnelle  des  nerfs  et  des  muscles. 

Elle  nous  permet  de  suivre  de  très  près  l'évolution  des  processus 
pathologiques.  Elle  nous  permet  de  juger  de  l'eflicucité  d'une   thérapeu- 

1.  H.  Claude  et  G.  Boukguiunon.  Revue  neurologique.  juin  ici  L921,  G.  BoUROUIONOS 
et  Laignel-Lavastine.  Réunion  neurologique  annuelle,  juin  1921.  G.  BOURGUIGNON, 
Réunion  neurologique  annuelle,  juin  1921. 


LA  CHRONAXIE  473 


tique.  Si  elle  ajoute  relativement  peu  de  chose  au  diagnostic,  elle  est 
indispensable  à  connaître  pour  porter  un  pronostic,  juger  d'une  évo- 
lution, poser  avec  précision  les  indications  thérapeutiques. 

Voilà,  Mesdames  et  Messieurs,  ce  qu'est  la  «  chronaxie  »  que  nous 
ont  donnée  les  recherches  de  G.  Weiss  et  de  Lapicque.  Voilà  ce  que 
j'ai  essayé  d'en  tirerau  point  de  vue  de  la  physiologie,  de  la  pathologie 
et  de  la  thérapeutique  du  système  nerveux  de  l'homme. 


DIX-HUITIÈME  CONFÉRENCE 


M.   le  D'  P.   BEHAGUE 

Chef  de  clinique  adjoint  à  la  Faculté   de  Médecine  de  Paris. 

CARACTÉRISTIQUES    ET    TRAITEMENT    DE    L'ÉPILEPSIE 

TRAUMATIQUE 


Messieurs, 

L'épilepsie  traumatique  constitue  un  sujet  d'étude  tellement  vaste, 
qu'il  m'est  impossible  de  le  traiter  complètement  en  un  temps  aussi 
bref  que  celui  dont  je  dispose.  Je  m'en  excuse  ;  mais  je  crois  plus  utile 
d'essayer  de  tirer  de  l'étude  des  caractéristiques  de  l'Epilepsie  trauma- 
tique les  indications  de  la  variété  de  traitement  à  instituer  dans  chacun 
des  cas  particuliers  que  vous  pouvez  rencontrer. 

C'est  qu'en  effet,  sous  le  nom  d'Epilepsie  traumatique,  se  groupent 
une  foule  de  phénomènes  qui  n'ont  de  commun  que  la  crise  convulsive. 

Celle-ci  éclate  tantôt  immédiatement,  tantôt  très  tardivement  après 
le  traumatisme,  les  accès  en  sont  très  rapprochés,  souvent  même 
existe  un  véritable  état  de  mal  :  ces  faits  caractérisent  l'Epilepsie  aiguë 
correspondant  à  une  irritation  de  l'Encéphale  par  un  processus  en 
évolution. 

D'autres  fois  le  premier  accès  n'éclate  qu'après  un  certain  temps  de 
latence,  l'évolution  et  la  marche  des  accès  sont  semblables  à  celles  du 
mal  comitial  :  il  s'agit  alors  d'Epilepsie  durable  relevant  de  cicatrices 
méningées  ou  cérébrales  chroniques.  C  est  l'étude  de  cette  variété  que 
nous  allons  entreprendre  en  commençant  par  ses  causes. 

Lésions  causales.  —  Les  traumatismes  qui  engendrent  l'Epilepsie 
durable  sont  de  toute  nature  et  de  toute  intensité  :  depuis  la  transfixion 
du  crâne  et  dé  son  contenu,  jusqu'à  la  simple  commotion  par  éclate- 
ment d'obus  dans  le   voisinage. 

Les  lésions  encéphaliques  causées  par  les  traumatismes  ne  sont  cepen- 
dant pas  comparables.  D'une  part,  il  n'y  a  pas  atteinte  directe  de  l'encé- 
phale, qui  reste  toujours  séparé  des  plaies  visibles  par  l'intégrité  de  la 


476  P-  BÉHAi.l  /. 


table  interne  du  crâne.  Nous  réunissons  ces  blessures  sous   le  nom  de 
traumatismes  non  pénétrants,  y  comprenant  les  commotions  à  distance, 
les  contusions  du  cuir  chevelu,  et  même  les    embarrures  osseuses  de  la 
table  externe  du  crâne.  Depuis  les  travaux   de  Logre  et  de  Bouttier,   il 
faut  en  effet  considérer    contusionnés  et  commotionnés  comme  atteints 
des  mêmes  troubles  encéphaliques   relevant  du   même  mécanisme.    Ces 
lésions,  nous    les    connaissons   du   reste  :  MM.  Mairet,  Durante   et    de- 
nombreux  auteurs  ne  nous    ont-ils   pas  montré  les  petites  hémorragies 
fines,  disséminées  dans  tout  le  système  nerveux  de  chiens  sacrifiés  après 
commotions?  Ces  désordres  anatomiquessont  en  tout  point  comparables 
à  ceux  décrits   par   MM.  Pierre  Marie  et  Couvelaire  chez  les  nouveau- 
nés  dont  le  cerveau  avait  été  pressuré  lors  de  l'accouchement.    Ces  au- 
teurs pensaient  que  lorsque  l'enfant  résistait,  il  devenait  épileptique,  et 
nous  avons  souvent  entendu  notre  Maître,  dansdes  cours  sur  l'épilepsie, 
recommander  de  chercher  la  cause  du  mal  comitial  dans    les  circons- 
tances pathologiques  de  l'accouchement.  Rien  d'étonnant  alors  à  ce  que 
des  manifestations  comparables  au  «  morbus  sacer  »  éclatent  après   les 
contusions  ou  les  commotions  du  crâne  ;  à  une  seule  condition  toutefois, 
c'est  que  ces  dernières  soient  véritables,  et  l'on  sait  combien,  pendant 
la  iïuerre,  furent  confondus  commotionnés  et  émotionnés. 

Les  traumatismes  de  l'encéphale  sont  souvent  bien  plus  grossiers, 
mais  aussi  plus  localisés,  car  sans  cela  le  blessé  n'y  survivrait  pas. 
Leurs  traces  restent  marquées  dans  l'encéphale  par  la  persistance  de 
cicatrices  macroscopiques  :  ce  sont  les  traumatismes  pénétrants  ayant 
fracturé  la  table  interne  du  crâne.  Parmi  eux,  nous  citerons  les  cals 
osseux,  bombant  à  l'intérieur  du  crâne,  et  toutes  les  plaies  des  méninges 
et  de  l'encéphale  laissant  en  séquelles  des  cicatrices  volumineuses.  Les 
manœuvres  chirurgicales,  telles  que  la  réduction  d'une  hernie  céré 
brale,  une  mauvaise  plastic  après  trépanation,  entrent  dans  cette  caté- 
gorie, car  en  irritant  la  corticalité  cérébrale  et  en  réduisant  le  volume 
de  la   boîte  crânienne,  elles  entraînent  l'épilepsie. 

Traumatismes  non  pénétrants  et  traumatismes  pénétrants  ne  sont 
pas  cependant,  Messieurs,  toujours  aussi  distincts  que  je  viens  de  vous 
l'exposer.  En  effet,  la  cicatrice  méningo-encéphalique  grossière  con- 
sécutive aux  seconds,  s'accompagne  toujours  de  lésions  fines,  piquetant 
tout  l'encéphale,  comparables  aux  désordres  dus  aux  traumatismes 
non  pénétrants.  Peut-être  est-ce  l'importance  de  ces  différentes 
Usions  les  unes  par  rapport  aux  autres  qui  entraine  de  l'épilepsie 
généralisée  ou  jacksonienne?Mais  ceci  est  du  domaine  de  l'hypothèse 
et  nous  n'y  pénétrerons  pas. 


L'ÉPILEPSIE  TBAUMATIQUE  477 

Fréquence.  —  Bien  plus  certaine,  hélas,  est  la  fréquence  de  l'épi  - 
lepsie  consécutive  aux  traumatismes  de  tout  ordre  ;  plus  de  douze  pour 
cent  des  blessés  de  tête  en  sont  atteints  '. 

Causes  favorisant  son  éclosion.  —  Lorsque  les  traumatismes 
réunissent  certaines  conditions,  les  risques  d'épilepsie  sont  bien  plus 
considérables.  Le  siège  de  la  lésion  encéphalique,  les  caractères  du 
corps  vulnérant,  les  antécédents  pathologiques  du  blessé  ont  grande 
importance. 

Situation  de  la  plaie.  —  Les  plaies  pariétales  sont  responsables  de  1/2 
des  cas  d'épilepsie  constatés,  alors  que  des  plaies  frontales,  occipitales 
et  temporales  ne  dépendent  respectivement  que  de  1/4.  1/8  et  1/16  des 
observations  que  nous  avons  recueillies  2. 

Les  plaies  du  cervelet  ne  semblent  pas  épileptogènes.  Sans  doute, 
avons- nous  pu  constater  des  phénomènes  épileptiques  chez  des  blessés 
cérébelleux  ;  mais  toujours  existaient  chez  eux  des  signes  évidents  de 
l'atteinte  d'une  autre  partie  de  l'encéphale,  et  il  ne  nous  a  pas  été  donné 
d'observer  l'épilépsie  à  la  suite  de  l'atteinte  isolée  du  cervelet.  Par 
contre,  les  blessures  des  lobes  temporo-occipitaux  et  orbitaires  sont 
certainement  épileptogènes,  et  nombreux  sont  les  cas  d'épilepsie  con- 
sécutive aux  fractures  de  la  base  du  crâne,  qui  les  irritent. 

Caractères  du  corps  vulnérant.  —  Quelle  que  soit  la  situation  de  la 
plaie  cérébrale,  plus  la  cicatrice  qui  la  suit  est  volumineuse,  plus  les 
risques  d'épilepsie  sont  considérables.  Les  grandes  dimensions  du 
projectile,  sa  moindre  vitesse,  son  plus  long  parcours,  la  suppuration 
consécutive,   sont    causes    aggravantes. 

C'est  pourquoi  l'éclat  d'obus,  volumineux,  lent,  arrachant  et  dila- 
cérant  l'encéphale  sur  une  large  surface,  souvent  chargé  de  terre  ou  de 
débris  de  coiffures,  occasionne  des  plaies  plus  souvent  épileptogènes 
que  celles  dues  aux  balles  de  fusil,  petites,  rapides,  perforantes, 
beaucoup  moins  septiques. 

C'est  pourquoi  encore,  les  transfixions  du  crâne  et  les  projectiles 
intra-cérébraux  entraînent  si  fréquemment   l'épilépsie. 

Pour  ces  derniers,  il  est  juste  de  dire  que  les  dégâts  encéphaliques 
sont  souvent  notablement  augmentés  par  les  tentatives  d'extraction  qui 

1.  Exactement  :  12,11  pour  100. 

2.  Sur  100  épileptiques  par  traumatismes  pénétrants  du  crâne  : 

55,20  sont  blessés  dans  la  région  pariétale,  soit  sensiblement  1|2 
25,93  —  frontale  —  1|4 

10,53  occipitale  1|8 

8,33  temporale  —  1|16 


478  P.   BÊHAGUE 

d'ordinaire  ont  été  pratiquées,  quelquefois  même  à  plusieurs  reprises. 
Sans  doute,  dans  les  mois  suivant  l'opération,  1  épilepsie  disparaissait, 
et  l'on  pouvait  crier  victoire  !  Mais  la  cicatrice  lentement  se  créait, 
d'autant  plus  longue  à  se  constituer  qu'elle  était  plus  volumineuse  ;  et 
un  an,  un  an  et  demi  après  l'intervention  chirurgicale,  les  crises  re- 
paraissaient plus  intenses  et  plus  Fréquentes  encore  qu'auparavant.  Vers 
la  fin  de  la  guerre,  M.  le  professeur  Lecène  avait  systématiquement 
renoncé  à  extraire  les  corps  étrangers  encéphaliques  bien  tolérés.  Il 
abaissa  ainsi  très  notablement  parmi  les  blessés  de  cet  ordre  le  pour- 
centage d'épileptiques  qui  de  2«i  0,0  passa  à  10  0  0. 

Antécédents  du  blessé.  —  Le  terrain  pbysio-patbologique  du  blesse 
influe  notablement  sur  l'éclosion  consécutive  de  phénomènes  épilep- 
tiques.  La  syphilis  et  l'alcoolisme  sont  causes  aggravantes,  et  nous 
avons  pu  remarquer  combien  l'épilepsie  traumatique  était  plus  fré- 
quente chez  les  coloniaux  de  carrière,  souvent  porteurs  de  ces 
tares.  Il  est  classique  de  citer  ce  mineur  du  Nord  devenu  épileptique 
après  un  coup  de  pic  sur  le  crâne  et  qui  n'avait  de  crises  que  le  jour 
suivant  ceux  consacrés  au  culte  excessif  de  Gambrinus.  Enfin,  plu- 
sieursfois,  en  soignant  activement  la  syphilis,  nous  avons  pu  améliorer 
et  même  fait  disparaître  l'épilepsie. 

L'intensité  des  troubles  subjectifs  que  M.  Pierre  Marie  a  décrits  chez 
les  trépanés,  la  plus  ou  moins  grande  durée  de  la  perte  de  connais- 
sance après  le  traumatisme,  ne  semblent  nullement  influer  sur  les 
crises  consécutives, 

Par  contre,  le  mal  comitial  fruste,  préexistant  au  traumatisme, est 
toujours  très  aggravé  par  lui.  Nombreux  sont  les  jeunes  gens  qui 
n'avaient  de  temps  à  autre  que  quelques  vertiges  passagers,  si  légers 
qu'ils  avaient  été  incorporés,  et  qui,  après  une  plaie  de  tète  parfois 
minime,  eurent  plusieurs  crises  convulsives  par  semaine!  C'est  pour- 
quoi il  est  toujours  dangereux  de  trépaner  un  malade  épileptique  sans 
qu'il  y  ait  de  formelles  indications  à  le  faire.  Lue  trépanation  cons- 
titue non  seulement  un  traumatisme  perforant,  mais  encore  par  les 
vibrations,  les  chocs,  les  heurts  qu'elle  nécessite,  elle  entraîne  une 
violente  commotion  de  l'encéphale  qui,  déjà  lèse,  n'en  est  que  plus 
grièvement  atteint. 

Mais  nous  voici  loin  de  l'épilepsie  purement  traumatique.  Reve- 
nons y. 

Temps  de  latence.  —  Nous  avons  vu  (pie  le  premier  accès  d'épi- 
lepsie  durable  ni'  survenait  que  lorsqu'un  certain  temps  de  latence 
s'est  écoulé,  d'ordinaire  entre  trois  et  dix  mois.  Mais  cette  «  incubation  » 


L'ÉPILEPSIE  TRAUMATIQUE  479 

est  très  variable,  et  nombreux  sont  les  cas  où  le  temps  de  latence  est 
inférieur  à  trois  mois  ou  supérieur  à  dix  mois.  Cependant,  moins  de 
quatre  pour  mille  blessés  de  tête  n'ont  leur  premier  accès  d'épilepsie 
qu'un  an  1/2  ou  plus  après  la  blessure.  On  peut  donc  dire  pratique- 
ment qu'un  blessé  qui  n'a  pas  eu  de  manifestations  épileptiques  un  an 
et  demi  après  sa  blessure  n'en  aura  vraisemblablement  pas. 

Causes.  —  Quelles  sont  les  causes  de  plus  ou  moins  grande  longueur 
du  temps  de  latence  ?  C'est  la  durée  de  la  cicatrisation  et  la  situation 
de  la  plaie  encéphalique.  Toutes  les  raisons  de  retard  de  la  cicatri- 
sation (profondeur,  étendue,  suppuration)  sont  facteurs  d'allongement 
du  temps  de  latence.  De  même  l'éclosion  des  accès  est  d'autant  plus 
retardée  que  la  plaie  est  plus  éloignée  des  zones  de  projection  du 
cerveau. 

Conséquences.  —  La  durée  du  temps  de  latence  influe-t-elle  sur  la 
marche  de  l'Epilepsie  consécutive?  Il  ne  le  semble  pas.  Cependant 
l'incubation  paraît  être  plus  courte  pour  les  phénomènes  jacksoniens 
que  pour  les  phénomènes  généraux. 

Qualité  de  l'Epilepsie.  —  L'Epilepsie  traumatique,  en  effet,  n'est 
pas,  comme  on  l'a  cru  longtemps,  synonyme  d'Epilepsie  jacksonienne. 
Bien  au  contraire,  les  accès  généralisés  sont,  chez  elle,  plus  fréquents 
que  les  phénomènes  localisés  et  l'on  compte  2/3  des  premiers  pour  1/3 
des  seconds. 

Dans  ces  derniers  sont  cependant  compris  tous  les  équivalents 
sensoriels  ou  moteurs  localisés  (cécité  brusque,  paralysie  partielle 
transitoire),  alors  que  nous  avons  compté  parmi  les  phénomènes 
généraux  les  vertiges  et  les  céphalées. 

Causes.  — De  quelles  causes  dépend  donc  la  qualité  de  l'épilepsie 
engendrée  par  une  plaie  cérébrale  ?  Plus  les  cicatrices  sont  volumi- 
neuses, ou  fines  mais  parsemant  tout  le  cerveau,  plus  il  est  vraisem- 
blable que  l'épilepsie  engendrée  sera  généralisée.  II  en  sera  de  même 
lorsque  la  plaie  siège  dans  une  zone  neutre  du  cerveau,  alors  que  les. 
lésions  des  zones  de  projection  sont  suivies  le  plus  souvent  de  phé- 
nomènes jacksoniens  '. 

1.  Sur  100  épilep.  par  plaie  pariétale  :  49  0/0  accès  jacksoniens  ;  51  0/0   généralisés. 

Sur       100       —  —         occipitale  :  30.22  69,77 

Sur      100       —  —         temporale  :  27.27  —  72,72 

Sur       100       —  —  frontale  :  14,14  —  85.84 

Sur    ~m      —  —        du  crâne  :  120.65  ~279,83 

1  2       ,  , 

Soit  sensiblement  :  —    d'accès  jacksoniens,    —  généralises. 
3  ■» 


180  P.   m'illAGUE 


Ces  causes  de  la  qualité  de  l'épilepsie  engendrée  sont  comparables 
à  celles  île  la  durée  du  temps  de  latence.  On  peut  les  réunir  en  une 
sorte  de  schéma  :  Aux  plaies  multiples  cl  profondes  des  zones  neutres  du 
cerveau,  entraînant  d'ordinaire  de  l'Epilepsie  généralisée  après  un  long 
temps  de  latence,  s'oppose  la  plaie  unique,  corticale,  d'une  zone  de  pro- 
jection, suivie  d'Epilepsie  jacksonienne  après  un  temps  de  latence  géné- 
ralement plus  bref. 

Phénomènes  propres  à  l'Epilepsie  traumatique.  —  Il  est 
convenu,  Messieurs,  que  je  ne  vous  parlerai  que  des  caractères  de  la 
seule  épilepsie  traumatique.  Aussi,  ne  vous  dirai-je  rien  de  l'aura, 
des  accès,  des  équivalences,  des  phénomènes  d'épuisement  post-paro- 
xystique, qui  sont  en  tout  point  comparables  à  leurs  homologues  du 
mal  comitial. 

Les  Equivalents  localisés.  —  Je  vous  signale  toutefois,  a  propos  des 
équivalents,  la  fréquence  toute  particulière  avec  laquelle  on  rencontre 
dans  l'Epilepsie  traumatique  des  phénomènes  d'inhibition  ou  d'exci- 
tation d'une  ou  de  plusieurs  fonctions  cérébrales  ne  durant  que  quel- 
ques instants.  C'est  ainsi  qu'on  relève  fréquemment  les  hyperesthésies 
ou  au  contraire  les  anesthésies  transitoires  consécutives  aux  blessures 
du  lobe  pariétal  ;  les  scotomes  scintillants  ou  les  cécités  temporaires 
-après  lésions  occipitales  ;  les  perceptions  musicales  ou  les  surdités 
passagères  après  atteinte  du  lobe  temporal  ;  les  troubles  du  langage 
de  type  dysarthrique  ou  dysphasique  suivant  la  situation  de  la  plaie 
encéphalique  dans  l'une  ou  l'autre  des  zones  décrites  par  M.  le  profes- 
seur Pierre  Marie.  Quant  aux  parésies  localisées  brusques  et  transi- 
toires, elles  constituent  des  équivalents  au  même  titre  qu'une  crise 
convulsive  localisée  après  blessure  de  la  frontale  ascendante  et  sont 
suivies  des  mêmes  phénomènes  d'épuisement  post-paroxystique.  Ceux- 
ci,  du  reste,  que  la  crise  soit  généralisée  ou  localisée,  sont  toujours 
plus  prononcés  d'un  côté,  ce  qui  prouve  bien  qu'entre  ces  deux  mani- 
festations épileptiques,  il  n'existe  pas  une  différence  aussi  nette  qu'on 
a  bien  voulu  le  dire. 

Les  Prodromes.  —  Vous  ave/,  dû  remarquer,  Messieurs,  que  lorsque 
j'énumérais  la  série  des  phénomènes  épileptiques  communs  au  mal 
comitial  et  à  l'épilepsie  traumatique,  les  prodromes  de  la  crise  n  y 
figuraient  pas.  Cet  oubli  était  volontaire  :  c'est  que  certains  des  signes 
précurseurs  de  l'accès  ont  été  décrits  à  propos  des  crises  consécutives 
aux  plaies  de  tète. 

Si  tous  les  prodromes  subjectifs  de  la  crise  comitiale  ont  pu  être 
relevés  dans  l'Epilepsie  traiiiuatique,    certains    signes    précurseurs  oh- 


VÉPILEPSIE  TBAUMATIQUE  48 ï 

jectifs  appartiennent  en  propre  à  cette  dernière.  Je  veux   parler  de    la 
tension  anormale  de  la  cicatrice  et  de  l'inégalité  pnpillaire  temporaire. 

Un  temps  variable  avant  l'accès  :  de  un  jour  et  demi  à  un  quart 
d'heure,  le  blessé  ressent  autour  de  sa  brèche  crânienne  de  légers 
chatouillements,  qui  bientôt  font  place  à  un  agacement  comparable  à 
celui  d'une  mouche  courant  autour  de  la  plaie.  Puis,  lorsque  cette 
sensation  est  devenue  plus  douloureuse,  et  pour  peu  que  l'épicrâne 
fût  assez  souple,  on  peut  constater  la  disparition  de  l'impulsion  et  du 
battement  delà  cicatrice.  Bientôt  celle-ci  se  tend,  et  de  creuse  quelle 
était  devient  au  contraire  bombée  et  saillante  au  dehors.  Vient-on  à 
soustraire  du  liquide  céphalo-rachidien  par  la  ponction  lombaire  ?  la 
surélévation  cicatricielle  persiste,  ce  qui  prouve  bien  qu'il  s'agit  d'une 
véritable  dilatation  du  cerveau.  Tension  et  douleurs  augmentent  ;  le 
blessé,  en  proie  à  de  violents  maux  de  tête,  reste  prostré  ;  et  c'est 
lorsque  cette  hernie  cérébrale  est  tendue  au  maximum  que  la  crise 
éclate  brusquement. 

Beaucoup  plus  rare  est  l'inégalité  pupillaire  temporaire,  qui  appa- 
raît, elle  aussi,  un  temps  très  variable  avant  le  début  de  la  crise. 
Tantôt  la  pupille  la  plus  grande  est  homolatérale  à  la  plaie  cérébrale, 
tantôt  au  contraire  elle  est  située  du  côté  opposé,  sans  que  nous  ayons 
pu  trouver  de  règle  fixe  à  cet  égard. 

La  constatation  de  ces  prodromes  objectifs  a  la  plus  grande  valeur 
et  nous  verrons  tout  l'intérêt  qu'elle  présente  au  point  de  vue  du  trai- 
tement. De  toute  manière,  il  est  toujours  utile  d'attirer  sur  eux  l'atten- 
tion du  blessé,  qui  sera  averti  de  l'imminence  de  l'accès.  L'un  d'eux, 
dans  ce  but,  ne  palpait-il  pas  tous  les  matins  sa  cicatrice  qu'il  appe- 
lait son  «  baromètre  à  crises  »?  C'est  qu'en  effet,  lorsque  les  prodromes 
existent,  ils  apparaissent  avant  chaque  accès  ;  bien  plus,  leur  modalité 
indique  souvent  la  violence  de  la  crise  qui  se  prépare.  Nous  avons 
connu  des  blessés  qui  partaient  en  promenade  alors  que  certains 
prodromes  les  avertissaient  qu'un  équivalent  épileptique  allait  se 
dérouler  ;  ces  mêmes  blessés  restaient  au  lit  lorsque  d'autres  prodromes 
annonçaient  l'imminence  d'une  crise  convulsive. 

Traitement  des  Epilepsies  traumatiques.  —  Voici,  Messieurs,  les 
principales  caractéristiques  de  l'Epilepsie  traumatique,  tout  au  moins 
celles  qui  donnent  des  indications  sur  la  modalité  du  traitement  à 
appliquer. 

Epilepsie  aiguë.  —  A  ce  point  de  vue,  reprenons,  si  vous  le  voulez 
bien,  les  causes  les  plus  fréquentes  de  I'Epilepsie  aiguë. 

Traitement  chirurgical.    —    Qu'il     s'agisse    d'hématome     péridural, 

COSFÉR.    NEUUOL.  31 


182  P.   BÉHAGUE 

d'abcès  méningé  ou  cérébral,  d'esquille  ou  de  corps  étranger  irritant  la 
COrticalité  :  toutes  ces  causes  sont  localisées  ci  évacuables  ;  c'est  dire 
que  le  traitement  chirurgical  est  le  seul  indiqué  quand  bien  même  par 
la  suite  il  entraînerait  des  cicatrices  méningO- encéphaliques  devant 
entraîner  plus  tard  de  l'Epilepsie  durable. 

Traitement  médical.  —  L'épilepsie  aiguë  peut  encore  relever  d'irri- 
tations encéphaliques  diffuses  ou  profondes  :  l'hémorragie  intra-ventri- 
culaire,  les  méningites  diffuses,  l'encéphalite  aiguë  non  suppurée.  Ces 
lésions  ne  sont  pas  accessibles  chirurgicalement,  c'est  dire  que  le 
traitement  médical  s'impose.  Autant  que  possible,  celui  ci  doit  être 
causal,  et  négliger  le  symptôme  épilepsie  pour  atteindre  sa  source. 

Epilepsie  durable.  -  Ces  remarques  peuvent  s'appliquer  au  trai- 
tement de  TEpilepsie  durable.  Seules,  les  crises  relevant  de  trau- 
matismes  pénétrants,  n'ayant  pas  lésé  la  dure-mère,  doivent  être 
soignées  chirurgicalement. 

Traitement  chirurgical.  —  Autrement  dit,  il  n'y  aura  indication  opé- 
ratoire que  lorsque  la  radiographie  du  crâne  aura  décelé  d'une  manière 
précise  l'existence  d'un  cal  exubérant  de  la  table  interne  du  crâne  (par- 
fois dû  à  une  mauvaise  plastie),  ou  un  corps  étranger  compris  entre  l'os 
et  la  dure-mère  intacte. 

Traitements  médicaux.  —  Il  est  compréhensible  que  toutes  les  autres 
causes  de  l'Epilepsie  durable  étant  des  cicatrices  méningées  ou  encépha- 
liques indestructibles  chirurgicalement,  indiquent  la  nécessité  d'un  trai- 
tement uniquement  médical,  malheureusement  encore  sgmptomatique . 
On  améliorera  l'Epilepsie,  on  cherchera  à  diminuer  le  nombre  des 
accès  ou  la  violence  des  crises,  mais  on  ne  pourra  lutter  directement, 
contre  ses  causes,  qui,  nous  le  répétons,  sont,  non  point  les  plaies 
méningo-encéphaliques,mais  les  cicatrices  qui  les  comblent. 

Tous  les  traitements  médicaux  appliqués  au  mal  comitial  ont  été 
mis  en  œuvre  pour  lutter  contre  l'Epilepsie  traumatique. 

Pratiquement  on  peut  réunir  les  médications  les  plus  usitées  en 
trois  groupes  ;  celui  des  bromures,  celui  des  composés  bores  et  celui 
des  Uréides. 

Les  Bromures.  —  Vous  connaissez  certainement,  Messieurs,  la  poso- 
logie des  Bromures,  réunis  entre  eux  ou  isolés,  administrés  ou  non 
suivant  la  méthode  de  Toulouse  et  Ricliet.  Aussi  me  bornerai-je  à 
vous  rappeler  les  inconvénients  de  Cette  médication  :  bromides  si  elle 
est  trop  prolongée,  affaissement  intellectuel  constant  particulièrement 
pénible  pour  les  blessés  épileptiques  condamnés  à  un  emploi  de 
bureau. 


VÉPILEPS1E   TRAUMATIQUE  483 

Le  Bore.  —  La  Médication  borée,  outre  l'acide  borique  peu  usagé, 
compte  deux  principaux  représentants.  Le  biborate  de  soude  (alias  : 
borate,  borax,  orthoborate)  est  d'un  usage  ancien.  Nous  avons  pu  le 
prescrire  en  cachets,  mieux  supportés  (pie  les  solutions  où  l'adjonction 
de  glycérine  est  obligatoire.  Le  tartrate  borico-potassique  vient  d'être 
récemment  révélé  comme  anti-épileptique  par  mes  Maîtres  :  MM.  Pierre 
Marie  et  Crouzon,  et  mon  collègue  et  ami  Bouttier  qui  vous  en  don- 
nera tout  à  l'heure  les  caractéristiques  bien  mieux  que  je  ne  saurais  le 
faire"  moi-même.  La  médication  borée  a  l'avantage  de  n'avoir  aucune 
action  déprimante  sur  les  fonctions  psychiques  de  l'individu  ;  en  outre, 
elle  est  d'un  emploi  pratique  et  n'expose  àaucuneintoxication.  Malheu- 
reusement, ses  représentants  ont  une  action  inconstante  dans  l'Epi - 
lepsie  traumatique,  et  nous  verrons  combien  sont  raines  les  cas  où  ils 
peuvent  être  utilisés. 

Les  Uréides.  —  La  médication  par  les  Uréides  est  assez  récente.  Ses 
représentants  dérivent  des  somnifères  connus  ivéronal  et  dial  (diethyl- 
et  diallyl  —  malonylurée).  Vient-on  à  remplacer  l'un  des  radicaux 
«  éthyl  »  du  véronal  par  un  radical  «  phényl  »  ?  ou  bien  adjoint-on  au 
dial  un  radical  «  phényl  »  ?  on  obtient  deux  puissants  anli-épileptiques 
peu  somnifères  :  le  luminal  (ou  Gardénal)  et  la  dialacétine.  Ces  deux 
produits  donnent  les  meilleurs  résultats  dans  le  traitement  de  l'épi— 
lepsie  traumatique.  Ne  déprimant  pas  le  psychisme  du  blessé,  ne  lésant 
pas  le  rein  même  après  un  emploi  prolongé,  on  ne  peut  reprocher  aux 
Uréides  que  l'obligation  de  les  employer  continuellement.  Dès  que 
l'on  cesse  d'en  administrer,  les  crises  en  effet  reparaissent  plus  nom- 
breuses que  jamais. 

Voici,  Messieurs,  les  principales  médications  anti-épileptiques  les 
plus  communément  prescrites  à  l'heure  actuelle.  Lesquelles  emploie- 
rons-nous dans  l'Epilepsie  traumatique  durable?  Reprenons  encore 
une  fois  ses  causes  et  ses  lésions. 

Choix  du  médicament.  — I.  S'agit-il  de  petites  lésions  fines,  disséminées, 
occasionnées  par  un  traumaslisme  non  pénétrant  ?  Comme  dans  l'Epi- 
lepsie maladie,  la  médication  borée  donne  de  bons  résultats.  Prescrivez 
3  à  A  grammes  de  tartrate  borico-potassique,  à  prendre  quotidiennement, 
en  plusieurs  prises,  et  vous  verrez  disparaître  les  manifestations  épi- 
leptiques  dans  la  proportion  de  3  sur  4.  Si,  cependant,  celles-ci  sont 
encore  trop  fréquentes,  donnez,  outre  le  tartrate,  dix  ou  vingt  centi- 
grammes de  gardénal.  Grâce  à  cette  association,  vous  supprimerez 
environ  dix  crises  sur  onze. 

IL  Par  contre,  il  est  inutile  de  prescrire  le  tartrate  borico-potassique 


i-i  /'.  béuac.i •/•: 


lorsqu'il  s'agit  il'Epilepsie  relevant  d'une  volumineuse  cicatrice  méningée 
ou  encéphalique.  Donnez  du  gardénal,  d'abord  trente  centigrammes 
quotidiennement,  puis  diminuez  peu  à  peu  cette  dose  jusqu'à  l'obtention 
d'un  seuil  au-dessous  duquel  les  crises  réapparaissent.  De  temps  à 
autre,  cessez  cette  ration  quotidienne,  mais  avec  les  pins  grandes 
précautions.  Parfois,  rarement  il  est  vrai,  vous  aurez  l'heureuse  sur- 
prise de  constater  la  disparition  des  crises.  Mais  ne  vous  hâtez  jamais 
de  parler  de  guérison  ;  souvent  il  ne  s'agit  que  de  longues  rémissions  et, 
s'il  survient  un  paroxysme,  il  peut  avoir  des  conséquences  d'autant 
plus  terribles  qu'il  est  plus  inattendu. 

III.  Car  vous  n'userez  de  ces  médications  continues  que  lorsque  les 
accès  ne  sont  pas  annoncés  par  des  prodromes.  Si  ces  signes  précurseurs 
existent  d'une  manière  nette,  vous  tenterez  d'employer  un  autre  mode 
de  traitement.  Celui-ci  consiste  adonner  journellement  une  médication 
continue  à  très  (et  même  trop)  faibles  doses  ;  exemple:  un  gramme  de 
bromure,  ou  un  gramme  de  tartrate  borico-potassique,  ou  encore  dix 
centigrammes  de  gardénal.  Mais  le  blessé  sera  toujours  porteur  de  5 
grammes  de  bromure  dissous  dans  15  centimètres  cubes  d'eau,  ou 
encore  de  5  cachets  de  un  gramme  de  biborate  de  soude,  ou  bien  encore 
de  trente  centigrammes  de  gardénal.  Dès  l'apparition  des  prodromes 
il  avalera  cette  forte  médication  anti-épileptique  et  son  accès  avortera 
sept  fois  sur  huit  environ.  Parfois  vous  pourrez  ne  pas  donnerai!  blessé 
de  traitement  quotidien,  le  simple  fait  d'avaler  sa  provision  portative 
arrêtera  l'évolution  des  accès. 

Cette  méthode  a  l'avantage  de  ne  pas  soumettre  le  rein  à  une  fatigue 
continuelle,  qui,  si  minime  soit-elle,  a  tout  de  même  des  inconvénients. 

Voici,    Messieurs,  les   principales  caractéristiques  et  les  causes   de 
l'Epilepsie  traumatique.  En  regard  des  lésions,  vous  trouverez  dans   le 
tableau  ci-contre  l'indication  du    traitement   à  opposer  à    leurs   consé- 
quences. 

Ces  règles,  vous  les  appliquerez,  hélas  !  trop  souvent,  étant  donné  le 
nombre  si  important  des  blesses  de  tête  laisses  par  la  guérie  et  celui 
toujours  croissant  relevant  de  la  trépidante  vie  moderne.  Mais  n'ou- 
bliez jamais,  Messieurs,  que  lorsqu'il  s'agit  de  soigner  des  epileptiques, 
quels  qu'ils  fussent, à  côté  du  traitement  médicamenteux,  vous  deves 
toujours  instituer  une  véritable  cure  morale.  Un  îles  devoirs  primor- 
diaux du  médecin,  dansée  cas,  est  de  rassurer  les  pauvres  blesses,  el 
de  les  soutenir  dans  leur  vie  tout  entière  dominée  par  la   perpétuelle 

anxiété  de  la  survenue  d'une  crise. 


UÉPILEPSIE  TRAUMATIQUE  485 

CAUSES   :  LÉSIONS  :  TRAITEMENT  : 

Corps   étrangers  superficiels.^ 

Hématome  méningé.  '    Localisées   )  n 

D-u   .    v    «i    .        .    .   „.      °  >      ..       ,|       t  Chirurgical. 

ebnt    1  Abcès  méninge.  »  extirpables.  ) 

très  Ahpps   pprértral 


W  très      .    Abcès  cérébral. 

3 


S  l  [    Méningite    aseptique    diffuse. x. 

<    I  \  Méningite  aiguë  diffuse.  1 

]  f      Dffuses 

m  (  [    Hémorragie  tardive  intraven-  ou  '  Médical  de  l'affection  causale. 

ÏP    ]  l        triculaire.  \  profondes.    ; 

y   I  1  Encéphalite    aiguë    non   sup- 

«J   I    Début   '       purée 
S  F       très     ( 
m  '    tardif,     j  Hémorragie       tardive     péi  i-N 

durale.  '    Localisées   )    r 

Abcès  méningé  tardif.  >  superficielles .]   ^H1RURGICAL- 

Abcès  cérébral  tardif. 


-,    /  '  Corps     étranger     extra-encé-  ', 

CQ  I  \  Cal    exubérant    de    la     table        ,•       11        !    Chirurgical  après  radiographie. 


<         Plaie     l       interne.  V  «t.rpables.  j 

*   1    péné-        Mauvaise  plastie. 


trante. 


Cicatrice  méningée.  "i     Luminal     \ 

Cicatrice  encéphalique.  au 

Corps  et  ranger  de  l  encéphale.  Profondes^       MÉDICAL      )     Bromure.        Siprodr  ornes 
'  ,-  I  \        instituer 


CL, 

W   I     pl;„     /  r .:„_  i   symptomati- 


(  Commotion.  /       ™«-       S   S1M1"UMA""    )T    ,     ,    ,        i      traiteme 

.     )  Plaie  du  cuir  chevelu.  \      Pables'  QLE"  / Tartrale  b  M        spécial 

£j  \     péné-    )  Embarrure  table    externe  du  !  l     ,    "°     , 


non 

péné- 

[  trante. 


DIX-NEUVIÈME  CONFÉRENCE 

PAR 

M.  le  D'  Henri  BOUTTIER 

chef  de  clinique  à  la  Faculté  de    médecine  de  Paris. 

L'ÉTAT    DE    MAL    ÉPILEPTIQUE 


Messieurs, 

L'épilepsie  dite  essentielle  a  suscité  et  suscite  chaque  jour  tant  de 
travaux  qu'on  aborde  avec  timidité  un  si  vaste  sujet  et  si  plein  de 
mystère  encore  ...  Les  auteurs  les  plus  importants  ont  attaché  leur  nom 
à  l'étude  du  mal  comitial.  Aussi  la  bibliographie  même  élémentaire 
de  la  question  suffirait-elle  à  occuper  le  temps  qui  nous  est 
aujourd'hui  réservé. 

Nous  nous  excusons  donc  par  avance  de  ne  faire  délibérément  aucune 
place  aux  indications  bibliographiques  ;  notre  intention  est  en  effet 
tout  autre. 

Nous  avons  eu  depuis  deux  années,  sous  la  direction  immédiate  de 
notre  Maître  Monsieur  le  Professeur  Pierre  Marie  et  suivant  ses  con- 
seils, le  privilège  d'examiner  un  grand  nombre  de  malades  épileptiques 
aussi  bien  dans  le  service  de  Clinique  des  Maladies  du  Système  Ner- 
veux qu'à  la  Consultation  externe  de  la  Salpêtrière.  Aussi  nous  a-t-il 
paru  intéressant  de  vous  apporter  ici  le  résultat  de  quelques-unes  de 
nos  recherches  cliniques,  biologiques  et  thérapeutiques. 

Certaines  d'entre  elles  ont  abouti  déjà  à  des  conclusions  positives  ; 
les  autres  ont  la  valeur  de  documents  d'attente.  Ces  documents  peu- 
vent en  tout  cas  servir  à  des  travaux  ultérieurs,  et  c'est  à  ce  titre  que 
nous  croyons  utile  de  vous  les  communiquer  avec  quelques  détails, 
en  dépit  de   leurs  caractères  parfois  négatifs. 

Nous  nous  appuierons  donc  d'une  façon  exclusive  sur  des  observa- 
tions personnelles  et  le  plus  souvent  inédites. 

Dans  les  manifestations  diverses  du   mal    comitial  la  simple  obser- 


188  Hi:.\l<l  BOUTTJER 


vation    des    faits,    tojours    si   délicate  en    médecine,  est    particulière- 
ment difficile. 

Cela  tient  avant  tout  à  la  fugacité  des  symptômes  et  à  la  brusquerie 
de  leur  apparition.  Au  lieu  d'être  fixés  pendant  quelques  jours  ou  quel- 
ques mois  dans  une  immobilité  propice  à  l'étude,  ils  apparaissent  en 
quelques  secondes  et  disparaissent  souvent  en  quelques  minutes  ;  or 
c'est  cette  évolution  dont  il  faut  saisir  les  phases,  si  l'on  veut  faire  une 
étude  exacte  des  phénomènes  cliniques. 

D'ailleurs  chaque  épileptique  réagit,  pour  des  raisons  encore  incon- 
nues, suivant  un  mode  qui  lui  est  propre  ;  il  n'y  a  pas,  suivant  un  mot 
classique,  deux  épileptiques  qui  se  ressemblent.  Et  tout  l'intérêt  du 
problème  consiste  à  dissocier,  dans  le  fond  commun  à  toute  l'épilepsic, 
les  caractères  morbides  propres  à  chaque  épileptique.  Cette  étude  n'a 
pas  seulement  un  intérêt  théorique,  elle  peut  conduire  aussi  à  des  con- 
clusions d'une  portée  plus  générale,  relatives  en  particulier  au  traite- 
ment. 

L'objet  principal,  sinon  exclusif,  de  cette  leçon  sera  l'état  de  mal  épi- 
leptique. La  raison  de  ce  choix  est  la  suivante  :  dans  l'état  de  mal,  les 
manifestations  cliniques  de  l'épilepsic  sont  en  quelque  sorte  portées  à 
leur  plus  haut  degré  :  si  des  investigations  d'ordre  humoral  ont  quelque 
chance  de  donner  des  résultats  positifs,  c'est  bien,  semble-t-il,  dans  cet 
état  paroxystique  où  les  troubles  nerveux  et  viscéraux  ont  une  intensité 
et  une  durée  beaucoup  plus  grandes  que  dans  la  crise  isolée.  Si,  au  con- 
traire, la  plupart  des  recherches  biologiques  sont  ici  négatives,  cette 
constatation  n'en  sera  que  plus   intéressante. 

Ainsi  l'état  de  mal  épileptique,  par  les  conditions  d'étude  qu'il 
offre,  nous  semble  digne  de  retenir  d'une  façon  toute  particulière  l'at- 
tention des  cliniciens  et  des  biologistes. 

Il  ne  semble  pas  d'ailleurs  qu'il  ait  été  décrit  parles  anciens. 

C'est  Calmeil  qui,  en  1824,  écrivit  :  «  il  y  a  des  cas  où.  un  accès  à 
peine  fini,  un  autre  recommence  et  successivement,  coup  sur  coup,  si 
bien  qu'on  peut  compter  40,  60  accès  sans  interruption  ;  c'est  ce  que 
les  malades  appellent  entre  eux  l'Etat  de  mal.  » 

Herpin  donnait  à  ces  accidents  le  nom  de  «  paroxysmes  »  et  en 
connaissait  la  gravité  pronostique. 

Mais  c'est  surtout  depuis  les  travaux  de  Bourneville  en  particulier 
(pie  l'état    de   mal  est  mieux  connu. 

Il  faut  d'ailleurs  remarquer  que  nos  malades  diffèrent  sensiblement 
des  malades  d'asile  dont  l'histoire  a  servi  à  faire  létude  clinique  île 
l'état  de  mal.  Il  n'y  a  donc  pas    lieu   de  s'étonner    des  quelques   diver- 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉP1LEPTIQUE  489 

gences  qu'il  peut  y  avoir  entre  nos  observations  et  celles  des  auteurs 
classiques. 

L'état  de  mal  épileptique  est  caractérisé  essentiellement  parle  fait  sui- 
vant :  le  malade  a  des  crises  convulsives  fréquentes,  parfois  même  sub- 
intrantes  :  leur  nombre  peut  atteindre  et  même  dépasser  cent  en  vingt- 
quatre  heures. 

Entre  les  crises,  et  c'est  là  un  fait  beaucoup  plus  important  que  le 
nombre  même  des  crises,  le  malade  ne  reprend  pas  connaissance,  ou 
tout  au  moins  son  état  mental  ne  lui  permet  pas  de  participer  à  la  vie 
extérieure.  Il  y  a  donc  un  trouble  grave  des  fonctions  de  conscience  le 
plus  souvent  abolies,  toujours  très  diminuées. 

L'état  général  du  malade  est  sérieux  et  l'évolution  se  fait  assez  sou- 
vent vers  la  mort  avec  hyperthermie  terminale. 

Tels  sont  les  principaux  éléments  symptomatiques  qui  nous  permet- 
tront de  faire  le  diagnostic  positif  de  l'état  de  mal  épileptique. 

h'étiologie  de  l'état  de  mal  comporte  des  conclusions  pratiques,  et 
c'est  pourquoi  nous  nous  y  arrêterons   un   peu. 

La  question  d'âge  ne  nous  a  pas  paru  très  importante  :  dans  nos 
observations  nous  trouvons  aussi  bien  des  individus  jeunes  (22  ans)  que 
des  individus  âgés  de  50  ou  même  de  60  ans. 

Toutefois  l'enquête  étiologique  relative  à  la  cause  de  l'épilepsie  devra 
être  faite,  vous  le  verrez,  avec  d'autant  plus  de  soin  qu'on  sera  en  pré- 
sence d'une  épilepsie  tardive  ou  d'une  épilepsie  sénile.  Vous  savez,  en 
effet,  l'importance  que  le  Professeur  Pierre  Marie  attache  en  clinique 
à  la  notion  de  l'âge  auquel  surviennent  les  maladies. 

L'absence  de  médication  ou  la  suspension  du  traitement  semblent  avoir 
une  influence  incontestable  sur  l'apparition  des  accidents  :  une  de  nos 
malades  entre  en  état  de  mal  le  8  décembre  1919  :  elle  a  des  crises 
convulsives  nombreuses  presque  subintrantes  jusqu'au  12  décembre. 
Finalement  elle  guérit  et  n'a  plus  de  crises:  elle  demande  à  aller  en 
congé  dans  sa  famille.  En  dépit  de  toutes  les  recommandations,  elle 
ne  suit  pas,  ou  mal,  son  traitement.  Le  3  mars  1920,  elle  a  9  crises  en 
24  heures,  tombe  à  nouveau  en  état  de  mal  et  elle  meurt  le  9  mars  1920. 

Une  autre  malade  a  15  crises  dans  la  nuit  du  14  au  15  septembre  1920 
avec  état  de  mal  ;  elle  ne  se  soigne  pas.  malgré  ce  grave  avertisse- 
ment, et  le  13  octobre  1920  elle  a,  dans  la  journée,  des  crises  subin- 
trantes incomptables,  avec  état  de  mal  typique. 

Dans  un  autre  cas  il  s'agissait  d'une  malade  qui  n'avait  pas  de  crises 
depuis  fort  longtemps  :  le  29  janvier  1921  elle  entre  en  état  de  mal  et  y 
reste  pendant  plusieurs  mois. 


■l'.tti  HENRI   nui   TTIER 


Vous  voyez  que  la  suspension  du  traitement  paraît  avoir  une 
influence  sur  l'apparition  des  accidents  graves  de  l'épilepsie.  Est-ce  à 
dire  que  la  mauvaise  application  du  traitement  suffît  à  expliquer  réclu- 
sion de  ces  accidents  ?  Nous  ne  le  pensons  pas. 

Au  cours  de  nos  recherches  sur  la  médication  borée  dans  l'épilepsie 
laites  en  collaboration  avec  MM.  Pierre  Marie  et  Crouzon,  nous  avons 
été  amenés  à  étudier  l'effet  de  la  suspension  du  traitement  chez  quelques 
épileptiques.  Nous  avons  vu  que  la  suspension  du  traitement  était  en 
général  suivie  d'une  recrudescence  du  nombre  des  crises  et  dés  vertiges  > 
puisque  telle  malade,  qui  n'avait  eu  aucun  accident  le  mois  précédent, 
lorsqu'elle  était  soumise  au  traitement,  avait  10  à  20  crises  par  jour  dès 
qu'on  supprimait  la  médication.  Mais  aucune  de  ces  malades,  choisies 
pourtant  parmi  nos  épileptiques  les  plus  atteintes,  n'a  réagi  suivant  le 
mode  de  l'état  de  mal    à  la  suspension  de  la  médication. 

On  a  beaucoup  plutôt  l'impression,  quand  on  interroge  les  malades, 
que  certains  d'entre  eux  ont  en  quelque  sorte  l'habitude  de  faire  des 
états  de  mal  :  il  semble  que  ce  soit  là  leur  mode  de  réaction,  tandis 
que  d'autres  épileptiques  passeront  leur  vie,  fort  gênés  par  des  crises 
fréquentes,  mais  sans  quecelles-ci  prennent  jamais  un  caractère  subin- 
trant.  Plusieurs  de  nos  observations  sont  à  cet  égard  très  caractéris- 
tiques. Que  l'état  de  mal  dure  5  heures,  4  jours  ou  plusieurs  semaines, 
le  tableau  clinique  est  très  comparable:  ce  sont  des  sujets  qui  font  plus 
ou  moins  brusquement  une  décharge  de  crises  subintrantes  avec  sup- 
pression totale  des  fonctions  de  conscience  ;  s'ils  guérissent,  ils  peu- 
vent rester  longtemps  sans  avoir  même  une  crise  et  mènent  alors  une 
vie  sensiblement  normale. 

Enfin  la  période  menstruelle  joue  souvent,  vous  le  savez,  Messieurs, 
un  rôle  dans  l'apparition  des  crises  d'épilepsie.  C'est  là  une  notion 
classique  importante  à  connaître,  que  nous  avons  eu  mainte  fois  l'occa- 
sion de  vérifier.  La  même  remarque  s'applique  à  l'état  de  mal.  Qu  il 
s'agisse  du  début  des  accidents  ou  de  leur  recrudescence,  lorsqu'ils 
durent  pendant  plusieurs  mois,  il  n'est  pas  douteux  que  la  menstruation 
a  sur  l'augmentation  du  nombre  des  crises  et  des  vertiges  au  cours  de 
l'état  demal  une  influence  incontestable. 

Vous  pouvez,  d'ailleurs,  vous  en  convaincre  en  jetant  les  yeux  sur  la 
courbe  n°  9. 

Nous  laissons  de  côté  l'état  de  mal  syniptoniatique  d'un  traumatisme 
ou  d'une  tumeur  cérébrale  par  exemple,  car  l'étiologie  et  le  traitement 
en   sont  absolument  différents. 

De  ces  remarques  on  peut  conclure  dès  maintenant  qu'il  o'ya  pasde 


Fig.  1.  —  Cas  Pic. .  Etat  de  mal  épileptique.  Mode 
de  début   des  crises. 


Fig   3.     -  Cas   H...  Etat  de   mal  épileptique. 
Mode  de  début. 


?\a.  2.  —  Cas  Aug.  Etat  de  mal  épileptique. 
Mode  de  début  des  crises  et  des  vertiges. 
Les  crises  sont  représentées  en  trait  plein. 
Les  vertiges  sont  représentés  en  traits 
pointillés. 


Fig   4    —Cas  H...   Etat  de  mal   épileptique. 


192  II lî.Xlil   liOlTTlER 


rapport  entre  le  nombre  de  crises  qu'a  eues  le  malade  clans  le  mois 
précédent  et  l'apparition  chez  lui  d'un  état  de  mal.  Il  va  des  malades 
plus  prédisposés  que  d'autres  à  réagir  suivant  le  mode  de  l'état  de  mal, 
tel  est  le  fait  d'observation.  Pour  quelle  raison?  Je  ne  saurais  vous  le 
dire.  Jusqu'à  présent  les  recherches  biologiques  ne  semblentpas  appor- 
ter d'éclaircissement  à  ce  problème  dont  l'importance  est  grande  au 
point  de  vue  de  la  pathologie  générale. 

Le  l'ait  n'en  est  pas  moins  intéressant  :  il  montre  que  même  dans  les  pé- 
riodes de  calme  absolu  il  faut  toujours  réserver  le  pronostic  chezun  ma- 
lade qui  a  déjà  présenté  une  ou  plusieurs  fois  les  symptômes  de  l'étatde 
mal. 

C  est  surtout  au  moment  des  règles  que  chez  les  épileptiques  femmes 
vous  redoublerez  de  vigilance  thérapeutique,  en  raison  de  l'influence 
fâcheuse  qu'exerce  la  menstruation  sur  l'apparition  des  accidents  graves. 

Le  mode  de  début  de  l'état  de  mal,  d'après  notre  expérience,  est  en 
général  assez  brusque  :  c'est  d'ailleurs  un  fait  paradoxal  que  la  période 
antérieure  à  l'état  de  mal  soit  souvent  calme  et  que  les  convulsions 
subintrantes  apparaissent  soudainement. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'y  ait  pas  des  nuances  dans  le  mode  de 
début  des  accidents. 

C'est  parfois  à  la  suite  d'une  phase  un  peu  agitée  qu'on  les  voit  sur- 
venir, ainsi  qu'en  témoigne  le  graphique  Aug.,  fig.  1.  D'autres  fois,  le 
début  est  un  peu  plus  brusque.  Ainsi  que  vous  pouvez  le  voir  d'après 
les  graphiques  2  et  3. 

Voici    encore   un   cas    qui    répond  sensiblement  au  même  type  :  le 

29  janvier,  à  20  heures,  cette  malade,  qui  n'avait  eu  aucun  accident  comi- 
tial  depuis  14  mois,  pousse  un  cri  :  «Je  suis  perdue  »  ;  la  surveillante 
ouvre  la  porte,  et  elle  trouve  la  malade  debout,  les  yeux  fixes,  complète- 
ment égarée  ;  on  la  reconduit  dans  la  salle,  on  la  fait  recoucher.  Dans 
la  nuit  du  29  au  30,  la  malade  a  deux  crises  consécutives,  huit  crises  du 

30  au  31.  Elle  entre  alors  dans  un  état  confusionnel  :  les  crises  et  les 
vertiges  vont  en  augmentant  ;  elle  perd  complètement  conscience  ;  elle 
est  alors  en  état  de  mal,  bien  que  le  nombre  des  crises  ne  dépasse  pas 
25  dans  la  période  de  24  heures. 

En  opposition  avec  ces  cas  où  le  début  se  fait  en  un  laps  de  temps 
variant  entre  24  et  48  heures,  il  faut  mettre  ceux  où  le  débuta  un  carac- 
tère en  quelque  sorte  foudroyant.  (Voyez  le  graphique  4.) 

Une  de  nos  malades  n'avait  eu  aucun  accident  comitial  dans  les 
jours  précédents  :  elle  se  portait  fort  bien  le  matin  en  si-  réveillant  et 
personne    n'avait   rien    remarqué    de    suspect  dans    sou    attitude.    A 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  493 

10  heures  45  du  matin,  elle  tombe  en  crise  :  d'emblée  ces  crises  devien- 
nent subintrantes,  la  malade  ne  reprend  pas  conscience,  l'état  général 
est  très  grave,  la  température  dépasse  41°  en  quelques  heures.  Tel  est  le 
mode  de  début  foudroyant    de  l'état  de  mal  épileptique. 

Vous  voyez  quels  renseignements  précieux  peut  vous  fournir  l'étude 
du  mode  de  début  de  l'état  de  mal  sur  lequel  nous  avons  cru  utile  d'in- 
sister avant  d'aborder  l'analyse  des  principaux  symptômes  cliniques 
que  vous  observerez  au  cours  de  ces  accidents.  Les  plus  importants 
d'entre  eux  sont  représentés  par 

L'ÉTAT  MENTAL 

Le  plus  souvent,  le  malade  est  plongé  dans  un  état  d'inconscience 
absolue,  ne  fait  aucune  réponse  aux  questions,  les  yeux  sont  mi-clos  et 
ne  suivent  pas  l'interlocuteur.  Vient-on  à  pincer  fortement  les  téguments. 
on  entend  parfois  une  plainte  ou  un  soupir  qui  témoignent  seuls  de 
l'impression  douloureuse  mal  perçue,  mal  localisée,  le  malade  faisant 
seulement  un  retrait  global  des  membres  inférieurs  si  l'excitation  a 
porté  sur  les  téguments  des  jambes  par  exemple.  Il  y  a  enfin  des  malades 
qui  ne  réagissent  à  aucun  mode  d'excitation  sensitive  périphérique. 

D'ailleurs  il  ne  faudrait  pas  croire  que  l'état  mental  reste  absolument 
le  même  pendant  toute  la  durée  de  l'état  de  mal. 

Dans  un  premier  groupe  de  faits,  vous  observerez  le  coma  complet 
avec  inconscience  absolue  et  absence  de  réaction  aux  excitations  dou- 
loureuses périphériques.  Ces  faits  correspondent  parfois,  mais  non  tou- 
jours, au  cas  où  les  crises  ont  un  caractère  subintrant. 

Dans  un  deuxième  groupe,  on  peut  ranger  les  cas  où  le  malade  est 
manifestement  plus  atteint  dans  l'ordre  mental  à  la  suite  de  chaque 
crise  convulsive  que  dans  l'intervalle  de  deux  crises.  Dans  les  minutes 
ou  le  quart  d'heure  qui  suivent  la  crise,  c'est  le  coma  complet  avec 
inconscience  absolue  ;  puis  lorsque  les  crises  s'espacent,  de  petites 
améliorations  de  l'état  psychique  peuvent  être  notées  ;  le  malade 
suit  parfois  des  yeux  l'interlocuteur  lorsque  celui-ci  se  déplace  autour 
du  lit.  et  bien  qu'il  ne  puisse  répondre  à  aucune  question,  on  a  l'im- 
pression, d'après  l'aspect  du  visage,  que  la  conscience  élémentaire  est 
moins  complètement  abolie  que  dans  le  cas  précédent.  Puis  le  malade 
a  une  nouvelle  crise  convulsive  et  retombe    dans  le  coma  complet. 

Vous  pourrez  observer  enfin,  et  c'est  un  troisième  groupe  de  faits, 
des  cas  où  les  malades  sont  simplement  obnubilés,  incapables  de 
prendre  part  aux  actes  de  la  vie  extérieure,  de  répondre   aux  questions 


104  HENRI  BOUTTIEIi 


autrement  que  par  des  gestes  de  la  tète  ou  de  la  main.  Leur  visage 
exprime  souvent  une  très  grande  fatigue  ;  mais  lorsqu'on  arrive  à  un 
moment  favorable  et  qu'on  leur  pose  des  questions  simples  et  souvent 
répétées,  on  peut  parfois    se  faire  comprendre  d'eux. 

Ces  modifications  de  l'état  mental  que  nous  vous  exposons  ici  d'une 
façon  très  sommaire  et  sans  aucune  prétention  à  l'analyse  psychologi- 
que fine,  ont  une  grande  importance  clinique  :  en  effet,  l'état  psychique 
se  modifie  profondément  au  cours  de  l'épilepsie  grave,  non  pas  seule- 
ment dans  l'espace  d'une  même  journée,  mais  encore  d'un  jour  à  l'autre  ; 
et  lorsque  vous  verrez  l'état  mental  s'aggraver  progressivement  et  abou- 
tir au  coma  complet,  vous  aurez  soin  de  réserver  votre  pronostic.  Au 
contraire  l'amélioration  des  troubles  psychiques  est  un  symptôme  favo- 
rable et  de  grande  valeur.  Vous  assisterez  alors  à  une  reprise  des 
fonctions  de  conscience,  entrecoupée  encore  par  des  phases  confusion- 
nelles  de  plus  ou  moins  longue  durée. 

Ainsi  l'étude  minutieuse  et  quotidienne  de  l'état  mental  fournit,  vous 
le  voyez,  au  cours  de  l'état  de  mal  des  éléments  très  fins  d'informa- 
tion. 

Les  crises  convulsiues  sont,  par  leur  fréquence  même,  un  des  symptô- 
mes primordiaux  de  l'état  de  mal  épileptique.  Mais  cette  fréquence  est 
elle-même  variable.  Elles  sont  parfois  subintrantes,  séparées  à  peine 
par  un  intervalle  de  quelques  minutes. 

La  malade  est  alors  secouée  par  des  convulsions  cloniques  ou  toniques 
à  peu  près  incessantes  ;  d'autres  fois  le  nombre  des  crises  est  moins 
grand,  il  est  de  25  à  30  dans  les  24  heures  par  exemple  ;  mais  cependant 
entre  les  crises,  les  malades  restent  dans  un  état  d'obnubilation  intel- 
lectuelle très  accentuée. 

Nous  n'insisterons  pas  ici  sur  les  caractères  cliniques  de  la  crise 
convulsive  comitiale  ;  ils  sont  classiques  et  vous  les  connaissez.  Néan- 
moins il  importe  de  préciser  le  caractère  de  ces  crises  pour  chaque 
malade  en  particulier.  C'est  en  effet  une  chose  digne  de  remarque  que 
même  dans  l'épilepsie  généralisée,  chaque  malade  ait  très  souvent  sa 
crise  exactement  de  la  même  façon.  Dans  un  de  nos  cas,  notre 
malade  tournait  toujours  la  tête  d'abord  vers  la  gauche  avec")  ou  ()  se- 
cousses COnVulsives,  puis  la  tète  était  tournée  vers  la  droite  pendant 
la  plus  grande  partie  de  la  crise  ;  à  la  lin,  la  tète  était  toujours  sur  la 
ligne  médiane.  De  même  il  est  fréquent  d'observer  dans  l'Epi- 
lepsie  essentielle,  le  début  des  phénomènes  eonvulsifs  toujours  par  le 
même  membre,  la  généralisation  des  convulsions  ne  si-  faisant  que 
secondairement. 


VÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  495 

Ces  faits  se  comprennent  très  bien,  lorsqu'il  s'agit  d'Epilepsie 
Jacksonienne.  Ils  sont  déjà  d'une  interprétation  plus  difficile  dans  la 
crise  isolée  d'Epilepsie  dite  essentielle,  ils  deviennent  très  difficiles  à 
expliquer  dans  l'état  de  mal  épileptique,  où,  en  dépit  du  caractère 
subintrant  des  crises,  le  rythme  de  chacune  d'elles  semble  rester 
absolument  fixe  ;  cette  remarque  clinique  pose  des  problèmes  fort 
intéressants  d'ordre  physiologique  sur  lesquels  malheureusement  nous 
ne  pouvons  vous  apporter  de  documents  plus  complets. 

Uintensité  des  crises  est  loin  d'être  toujours  la  même  :  on  a  d'ailleurs 
souvent  l'impression  que  l'amplitude  des  secousses  convulsives  est 
heureusement  modifiée  par  les  agents  thérapeutiques.  Il  est  très  fré- 
quent d'observer  deux  ou  trois  cri  ses  relativement  plus  faibles  mais  qui 
sont  suivies,  au  bout  d'un  temps  variable,  d'une  crise  plus  forte,  plus 
longue  et  qui  laisse  à  sa  suite  la  malade  plus  fatiguée.  Cette  notion  a 
une  importance  pronostique,  et  la  qualité  des  crises  dans  l'observation 
journalière  d'un  Epileptique  en  état  de  mal  doit  être  notée  avec  autant 
de  soin  que  leur  quantité,  si  l'on  veut  modifier  d'une  façon  opportune, 
suivant  les  moments,  les  méthodes  de  traitement. 

A  la  suite  de  chaque  crise,  en  dehors  des  troubles  circulatoires  et  res- 
piratoires sur  lesquels  nous  reviendrons,  on  observe  généralement  des 
phénomènes  sympathiques  qui  ne  sont  pas  toujours  aussi  généralisés 
qu'on  pourrait  le  supposer.  Sans  doute  la  vaso-dilatation  est  toujours 
très  marquée,  la  sudation  est  abondante,  mais  il  arrive  qu'on  observe, 
par  exemple,  comme  dans  l'un  de  nos  cas,-  un  larmoiement  localisé  à 
un  seul  œil  :  ce  fait  était  constant  et  a  été  noté  souvent  chez  cette 
malade  par  M.  le  Professeur  Pierre  Marie  et  par  nous-même.  Il  nous 
est  impossible  actuellement  d'en  préciser  la  signification,  mais  l'étude 
méthodique  de  ces  troubles  sympathiques  objectifs  (nous  reviendrons 
plus  loin  sur  les  phénomènes  sympathiques  provoqués)  doit  toujours 
être  faite  avec  grand  soin. 

A  la  suite  de  la  crise  convulsive,  la  malade  retombe  dans  un  état  de 
torpeur  dont  l'intensité  varie,  comme  nous  l'avons  vu,  selon  les  cas  et 
suivant  la  période  de  révolution  de  la  maladie. 

D'ailleurs  dans  l'état  de  mal  on  ne  note  pas  seulement  des  crises 
convulsives.  Vous  observerez  aussi  des  absences. 

Quand  on  examine  une  épileptique  en  état  de  mal  et  qu'on  reste 
auprès  d'elle  pendant  quelque  temps  pour  préciser  l'allure  clinique  des 
accidents,  on  remarque  que,  même  pendant  la  période  de  torpeur,  il  y 
a  des  degrésthms  l'intensité  des  troubles  de  conscience  et  on  peut  numé- 
rer,  non  seulement  les    crises   convulsives,  mais   encore   les   absences. 


196  HENRI   ni >l   TTIER 


Une  de  nos  malades  était  à  cet  égard  très  caractéristique,  et   les   acci- 
dents qu'elle  présentait  et  qui  ont  duré  pendant  plusieurs  mois,  avaient 

toujours  très  exactement  le  même  aspect  clinique. 

Les  phénomènes  débutaient  par  des  troubles  vaso-moteurs  (pâleur 
delà  face),  l'expression  du  visage  devenait  hagarde,  les  globes  oculaires 
se  déviaient  en  haut  et  à  gauche,  puis  en  haut  et  adroite,  pour  revenir 
lentement,  enfin,  à  la  position  normale  ;  la  respiration  était  très  superfi- 
cielle, on  entendait  un  léger  grincement  de  dents,  quelques  plaintes 
suivies  de  petits  mouvements  automatiques  de  déglutition  ;  puis  la 
face  devenait  rouge,  l'inspiration  profonde,  la  respiration  de  plus  en 
plus  rapide  et  plus  ample,  on  ne  notait  pas  de  convulsions  générali- 
sées et  la  malade  retombait  progressivement  dans  l'état  de  torpeur 
où  elle  resta  pendant  plusieurs  mois. 

Ainsi,  vous  observerez  chez  vos  malades  ou  bien  seulement  des  crises 
convulsives,  ou  des  crises  entrecoupées  d'absences  sans  convulsions 
avec  prédominance   des  phénomènes  sympathiques. 

LES    RÉFLEXES    TENDINEUX    ET    CUTANÉS 

Leur  étude  est  très  importante  :  ils  ont  dans  l'état  de  mal  un  carac- 
tère fondamental,  c'est  leur  variabilité  d'un  moment  à  l'autre,  et  aussi 
selon  la  phase  de  l'évolution  delà  maladie. 

Ceux  qu'on  recherche  le  plus  souvent  sont  évidemment  les  réflexes 
rotuliens  et  les  réflexes  acbilléens.  Or  un  exemple  montre  bien  la  varia- 
bilité dont  nous  parlons  : 

Une  de  nos  malades  en  état  de  mal  à  10  heures  1/2  du  matin,  a  une 
abolition  des  réflexes rotulien  etachilléen,  incontestable;  à  10  h. 45,  nous 
revoyons  la  malade,  toujours  avec  M.  Pierre  Marie  :  les  réflexes  rotulien 
etachilléen  ont  réapparu  très  nettement.  Il  faut  noter  que  ces  modifica- 
tions des  réflexes  n'étaient  pas  liées  à  un  état  pathologique  de  la  toni- 
cité musculaire,  qui  était  restée  sensiblement  la  même  d'un  moment  à 
l'autre. 

D'une  façon  générale,  aussitôt  après  la  crise,  les  réflexes  tendineux 
sont  vifs. 

Quant  au  réflexe  radial,  il  nous  a  paru  particulièrement  fragile  au 
cours  de  l'état  de  mal  épileptique  ;  il  est  souvent  impossible  de  l'ob- 
tenir, alors  que  les  réflexes  rotulien  et  achilléen  existent  très  nette- 
ment ;  même  lorsque  ce  réflexe  radial  est  vif  nous  ne  l'avons  jamais  vu 
subsister  dans  la  supination,  contrairement  à  ce  qu'on  observe  sou« 

vent  lorsqu'il  s'agit  de  troubles  réflectifs  d'ordre  pyramidal. 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  497 

Une  de  nos  observations  montre  bien  la  variabilité  des  réflexes  ten- 
dineux à  la  suite  de  la  crise  d'Epilepsie. 

Aussitôt  après  les  phénomènes  convulsifs,  les  réflexes  rotulien  et 
aeliilléen  sont  très  vifs  :  une  minute  après,  on  ne  les  obtient  qu'avec 
les  plus  grandes  difficultés,  et  très  faibles  ;  deux  minutes  plus  tard 
(trois  minutes  par  conséquent  après  la  fin  de  la  crise)  on  les  obtient  très 
facilement.  Il  semble  donc  qu'il  y  ait  bien  eu  dans  ce  cas  un  phéno- 
mène d'épuisement  passager  qui  s'est  produit  au  moment  optimum, 
c'est-à-dire  une  minute  environ  après  la  fin  des  phénomènes  convul- 
sifs. 

Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  eu  en  vue  que  des  troubles  passagers 
de  la  réflectivité  tendineuse.  Lorsque  ces  troubles  deviennent  perma- 
nents, nous  pensons  qu'il  y  a  lieu  de  réserver  beaucoup  le    pronostic. 

Que  les  crises  deviennent  ou  non  subintrantes,  on  observe  en  effet  à 
la  période  terminale  de  l'état  de  mal  une  abolition  complète  ou  une 
extrême  faiblesse  des  réflexes  tendineux  ;  ce  symptôme,  qui  précède 
quelquefois  de  24  heures  l'issue  fatale,  paraît  donc  avoir  une  significa- 
tion pronostique  des  plus  fâcheuses  et  traduit  un  état  d'épuisement 
complet  des  centres  nerveux. 

LES    RÉFLEXES   CUTANÉS 

Le  plus  important  et  le  plus  fréquemment  recherché  est  le  réflexe 
eulané  plantaire  :  nos  conclusions  confirment  celles  de  M.  Crouzon 
qui  avait  montré  la  fréquence  avec  laquelle  on  observe  l'extension 
plantaire  immédiatement  après  la  crise  d'Epilepsie.  Ces  conclusions 
s'appliquent  aussi  à  l'état  de  mal.  Toutefois,  dans  ce  cas  particulier, 
un  fait  nous  a  beaucoup  frappé  :  c'est  l'extrême  variabilité  du  réflexe 
cutané  plantaire  suivant  le  moment.  Un  de  nos  malades,  vu  avec 
M.  Pierre  Marie,  présente  une  flexion  plantaire  très  nette  le  vendredi  ; 
le  lendemain  samedi,  l'extension  plantaire  bilatérale  est  indiscutable, 
alors  qu'aucun  symptôme  de  localisation  n'est  apparu  depuis  le  jour 
précédent.  Le  dimanche,  l'excitation  cutanée  plantaire  ne  produit 
aucune  réponse,  les  réflexes  tendineux  sont  d'ailleurs  abolis  et  le 
malade  meurt  à  1  heure  de  l'après-midi. 

Ce  qu'on  observe  fréquemment  aussi  à  la  suite  de  la  crise  convulsive, 
c'est,  lorsqu'on  excite  la  plante  du  pied,  uni'  réponse  très  vive  dans  le 
tenseur  .du  fascia  lata  et  un  mouvement  de  retrait  en  niasse  du  membre 
inférieur.  Nous  n'avons  pas  observé  en  général  de  clonus  du  pied, 
mais  la  flexion  forcée  des  orteils  produisait  fréquemment  le  phénomène 
des  raccourcisseurs  de  Pierre  Marie  et  Foix. 

CONFÉH.    Mil  IROL.  32 


198 


///   \l!l   BOUT!  1ER 


On  voit  par  là,  l'intérêt  qui  s'attache  à  l' examen  méthodique  des 
réflexes  tendineux  et  cutanés  au  cours  de  l'évolution  de  l'état  de  mal 
épileptique  et  les  précieux  renseignements  que  l'on  peut  tirer  de  leur 
étude. 


LES    SIGNES    GÉNÉRAUX 


L'étude  de  la  courbe  thermique  a   dans   l'état  de  mal  une  grande 
valeur  pronostique  : 

Le  plus  souvent,  au  début,  la  température  est  intermédiaire  à  37   et  à 


'  /)_.        M< 

irs  1920 

4 

5    6    7 

Temp.    1 

■ 

| 

41° 

x 

40° 

i 

39°    ± 

38°    dp 

/ 

5i 

37° 

Heures 

7 

11.50 

12 

\2X 

520 

16 

17 

Tempèr. 
41° 

40° 

39° 

38° 

37° 

'             I          ! 

i 

/ 

/ 

| 

/ 

/ 

Fig.  5.  —  Etat  de  mal  épilep- 
tique, courbe  thermique. 
Evolution  vers  la  mort. 


Eig.  6.  —  Cas  R.  —  Etat  de  mal  épilep- 
tique, courbe  thermique 


38  degrés  :  si  l'état  de  mal  dure,  elle  peut  rester  pendant  quelques  jours 
entre  .'58°  et  39°5  ;  quand  l'état  général  s'aggrave,  l'hyperthermie 
augmente  et  certains  de  nos  malades  ont  atteint  40°5,  41°,  41"3.  Il  con- 
vient d'ailleurs  de  remarquer  que  cette  hyperthermie  ne  s'accompagne 
pas  toujours  d'une  augmentation  parallèle  des  crises  convulsives. 
(Courbe  5  ) 

D'autres  fois  l'hyperthermie  est  d'emblée  considérable  :  il  suffit  de  se 
reporter  à  la  courbe  6  pour  constater  que  la  température  a,  chei 
cette  malade,  atteint  en  4  heures  4 1  ' «S .  Et  cependant  le  lendemain  l'étal 
de  mal  avait  pris  lin  et  la  malade  avait  37°5. 

Enfin  dans  le  troisième  groupe  de  laits  on  peut  ranger  les  cas  où  la 
température  ne  dépasse  jamais  38°,  en  dépit  de  la  persistance  de  l'état  de 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIOUE 


499 


mal,   lequel,  dans  l'une  de   nos  observations,    s'est  prolongé  pendant 
5  mois  (courbe  7). 

Nous  conclurons  donc  que  la  température  a  une  importance  considé- 
rable au  point  de  vue  du  pronostic  :  lorsque,  en  dépit  du  traitement,  elle 
s'élève  progressivement  et  atteint  au  bout  de  quelques  jours  ou  dépasse 
40°,  il  faut  faire|de  sérieuses  réserves  en  ce  qui  concerne  le  pronostic 
vital.  Celui-ci  nous  a  paru  au  contraire  moins  grave  lorsque  la  tempé- 
rature monte  d'emblée  à  un  chiffre  considérable,  et  la  constatation  d'une 


Temp 
41° 

40° 

39° 

38° 

37° 

36° 


4     5    6    7    8 


^iiii^i^ïgiiip^i^gi 


Fi<,'.  7.  —  Cas.  P.   —  Courbe    thermique.  —  Etat  de   mal  épileptjque 
Forme  prolongée.  —  La  température  n'a  jamais  dépassé  38°. 


température  de  40  ou  41°,  survenant  brusquement,  ne  comporte  pas, 
d'après  notre  expérience,  et  contrairement  à  ce  qu'on  pourrait  penser, 
un  pronostic  fatal. 

Enfin,  quand  la  température  ne  dépasse  jamais  38°,  quels  que 
soient  le  nombre  et  l'intensité  des  crises,  nous  avons  l'impression 
qu'en  général  le  pronostic  est  favorable.  C'est  là  un  point  sur  lequel 
je  tiens  à  insister  devant  vous,  sur  les  conseils  de  M.  Pierre 
Marie  lui-même. 


TROUBLES  CARDIO-VASCULAIRES 

Ils  ont- été  très  étudiés  au  cours  de  l'Epilepsie  ;  et  dans  un  article 
récent  M.  Hartenberg est  revenu  sur  ce  sujet  en  apportant  "ses  consta- 
tations personnelles. 

D'après  notre  expérience,  nous  avons  constaté  ;iu  cours  de  l'état  de 
mal  une    tendance    très   nette  à    l'hypotension    artérielle    :    cela  a  une 


500 


HE  Mil   BOl  TTIER 


grosse  importance,  en  ce  qui  concerne  en  particulier  le  diagnostic  avec 
les   convulsions  urémiques. 

Autant  qu'on  peut  le  dire  en  raison  des  difficultés  techniques,  nous 
avons  l'impression  qu'il  y  a  avant  la  crise  comitiale  une  hypertension 
passagère  dont  une  de  nos  courbes  rend  très  bien  compte. 


Fig.  8    —  Cas.  P.  —  Elut  de  mal  êpileptique. 
Ktude  comparée  de  tension  niaxima  et  minima  et  de  la    fréquence  du 
pouls   Après    une  injection  de  1  milligr    d'adrénaline. 
La  courbe  supérieure  —  en  plein  —   représente  la   tension  msxima. 
la  courbe  intérieure  —  en  plein  —  représente  la  tension  minima. 
La  courbe  en  pointillé  représente  le  nombre  des  pulsations. 


Pour  mettre  ce  phénomène  en  évidence,  nous  avons  dans  un  de  nos 
cas  avec  M.  René  Mathieu,  fait  à  la  malade  une  injection  d'un  milli- 
gramme d'adrénaline.  Or,  la  crise  êpileptique  se  produisit  (H)  minutes 
après  l'injection  :  la  pression  svslolique  passa  de  1.*}  à  14°;  au  bout  de 
50  minutes  elle  était  à  15° et  juste  avant  la  crise  êpileptique  elle  était  à 
18  pour  retomber  10  minutes  après  à  13.    Quant    à    la  pression    diasto- 

lique  elle  était  passée  aussitôt  avant  la  crise  de  10  à  12,  pour  retomber, 

aussitôt  après,  à  10    (Voir  courbe  figure  8. 1 

On    voit    donc  que   dans    ce   cas,    où    peut-être  d  ailleurs    l'injection 

d'adrénaline  a  permis  de  mieux  mettre  en  évidence  les  phénomènes,  la 


VÉTAT  DE  MAL  ÉP1LEPTI0UE  501 


crise  convulsive  a  été  précédée  d'une  hypertension  artérielle  très 
notable. 

Cette  hypertension,  dans  la  plupart  des  cas,  parait  tout  à  fait  passa- 
gère :  le  malade  étant,  comme  nous  l'avons  vu,  plutôt  hypotendu  dans 
l'intervalle  des  crises. 

Nous  voulons  insister  surtout  sur  l'intérêt  cpii  s'attache  à  l'étude  des 
phénomènes  oscillométriques  au  cours  de  l'état  de  mal. 

OSCILLOMÉTRIE 

On  sait  les  renseignements  que  peut  donner  un  examen  méthodique 
de  la  courbe  oscillométrique.  Les  travaux  de  Delaunay,  de  Barré,  de 
Billard,  de  Jeanneney  en  particulier  ont  montré  les  renseignements 
qu'on  peut  tirer  de  son  étude  en  ce  qui  concerne  l'état  vaso-tonique  de 
la  paroi  artérielle.  Nous-mème,  en  collaboration  avec  notre  Maître 
M.  le  Professeur  Lecène  et  notre  ami  Logre,  avons  appliqué  ces 
méthodes  à  l'étude  des  troubles  vasculaires  dans  leurs  rapports  avec 
les  traumatismes  crâniens.  C'est  un  sujet  que  nous  ne  pouvons  donc 
développer  ici.  Nous  voulons  simplement  présenter  4  courbes  qui 
montrent  bien,  à  notre  avis,  le  rapport  qui  peut  exister  entre  les  phéno- 
mènes convulsifs  de  l'état  de  mal  et  l'état  oscillométrique  des  vais- 
seaux périphériques  (voir  courbe  Huet). 

La  courbe  n°  1  vous  représente  un  graphique  oscillométrique  pris 
aussitôt  après  une  crise  convulsive  :vous  y  noterez  l'amplitude  considé- 
rable des  oscillations,  qui  atteint  presque  5,  et  la  persistance  jusqu'au  0 
des  oscillations  infra-minimales. 

Voyez  maintenant  la  courbe  n°  2  :  c'est  un  graphique  oscillomé- 
trique pris  sur  la  même  malade  10  minutes  après  la  crise  convulsive  et 
5  minutes  après  la  ponction  lombaire.  Vous  noterez  que  la  tension 
artérielle  n'est  que  faiblement  modifiée  par  rapport  à  la  courbe  précé- 
dente: au  contraire,  l'amplitude  oscillométrique  est  beaucoup  moindre. 
Il  n'y  a  plus  d'oscillation  infra-minimale  et  la  forme  des  deux  courbes 
est  aussi  différente  que  possible. 

Il  semble  vraiment  difficile  de  ne  pas  établir  un  rapport  entre  les 
troubles  convulsifs  d'une  part  et  les  modifications  de  la  courbe  oscillo- 
métrique et  delà  ponction  lombaire  d'autre  part. 

Toutefois,  pour  éliminer  l'influence  de  la  ponction  lombaire  sur 
l'allure  de  la  courbe,  nous  avons  répété  une  deuxième  fois  l'expérience 
sur  la  même  malade.  La  courbe  n°  «J  a  été  prise  aussitôt  après  une 
crise  convulsive;  elle  vous  montre,  encore  une  fois,  la  grande  amplitude 


502 


HENRI    BOX    TTIER 


Cas    11. 

Courbe*   oscillométriques 


Courbe  I. 

Aussitôt  après  une  crise 
convulsive 
Noter  l'amplitude  des  oscil- 
lations fa  persistance  jus- 
qu'au 0  des  oscillations 
infra-minimales. 


Courbe  II. 

10  minutes  après  la  crise 
convulsive  et  5  minutes 
après  la  ponction  lom- 
baire. 
Noter  :  l'amplitude  des  oscil- 
lations a  beaucoup  dimi- 
nué Les  oscillations  infra- 
minimales  disparaissent 
beaucoup  plus  vite. 


Courbe  III. 

Aussitôt  après  une  2  crise 
convulsive. 
Noter  :  l'amplitude  des  oscil- 
lations la  persistance  dos 
oscillations  infra-minima- 
les jusqu'au  0. 


CoubelV. 

10  minutes  après  la  2 
crise  convulsive. 
Noter  :  la  forme  de  la 
courbe  est  très  différente 
des  oscillations  infra-mini 
maies  qui  ne  persistent 
plus   jusqu'au  0. 


des  oscillations,  l'hypotension  artérielle  et  la   persistance  jusqu'au  0 
des  oscillations  infra-minimales. 

Voici,  au  contraire,    lé   graphique   q°4,  pris  10  minutes   après   la 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉP1LEPTIQUE  503 

i 

crise  :  vous  voyez  combien  la  forme  en  est  différente  et  surtout  com- 
bien les  oscillations  infra-minimales  sont  vite  supprimées,  au  lieu  de 
persister  jusqu'au  0. 

Nous  ne  voulons  pas  dire  qu'il  soit  fréquent  d'observer  les  phéno- 
mènes d'une  façon  aussi  schématique  que  dans  ce  cas-là.  Celui-ci  ne 
nous  en  paraît  que  plus  intéressant,  il  montre  à  quel  point  le  système 
vasculaire  peut  réagir  aux  influences  nerveuses  d'origine  centrale. 
Alors  que  les  modifications  de  la  tension  artérielle  ont  souvent  une 
importance  secondaire,  au  contraire  l'oscillométrie  peut  donner  des 
renseignements  précis  C'est  une  question  que  nous  avons  développée 
longuement  ailleurs  à  propos  de  traumatismes  cérébraux,  en  insistant 
sur  la  nécessité  d'une  méthode  très  rigoureuse  basée  sur  l'étude  compa- 
rée des  graphiques  oseillométriques  chez  un  même  sujet,  suivant  les 
phases  de  sa  maladie.  Il  y  a  des  modifications  objectives,  dont,  en 
dehors  de  toute  idée  théorique,  il  est  légitime  de  tenir  compte  En 
particulier,  la  persistance  des  oscillations  infra-minimales  jusqu'au  0 
mesure  surtout,  sans  doute,  les  modifications  du  tonus  de  la  paroi  arté- 
rielle, et  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  puisse  être  particulièrement  atteint, 
après  la  crise  convulsive,  au  cours  de  l'état  de  mal  épileptique. 

Le  rythme  du  pouls  est  naturellement  très  modifié  par  la  crise 
comitiale  ;  c'est  là  un  fait  bien  connu.  Le  graphique  Pic  montre 
que  le  nombre  des  pulsations  à  la  minute  peut  atteindre  presque 
130  au  moment  de  la  crise  comitiale,  pour  tomber  à  70  dix  minutes 
après,  et  subir  dans  les  minutes  suivantes  une  nouvelle  ascension 
jusqu'à  110.  S'agit-il  là  encore  d'une  sorte  de  phénomène  d'épuise- 
ment comparable  à  ceux  que  l'on  observe  pour  les  troubles  réflectifs 
à  la  suite  de  crises  convulsives  graves  et  prolongées  ?  C'est  très 
possible. 

Ces  remarques  sur  les  modifications  du  pouls  au  cours  de  l'état  de 
mal  montrent  une  fois  de  plus  que  le  système  vasculaire  participe  là 
encore  au  phénomène  de  variabilité  qui  domine  toute  la  question  de 
l'Epilepsie. 

Cette  remarque  s'applique  aussi  à  .'étude  des  réflexes  oculo-cardiaque 
et  oculo-vaso-moteur. 

Des  recherches  que  nous  avons  faites  à  ce  propos  sur  un  grand 
nombre  de  malades,  nous  ne  pouvons  pas  tirer  de  loi  fixe.  Ce  réflexe 
oculo-cardiaque  nous  a  paru  souvent  très  vif  au  cours  de  l'état  de 
mal.  Il  passait  chez  un  de  nos  malades  de  56  à  26  pulsations  à  la 
demi  minute;  mais  cette  recherche  ne  nous  a  pas  paru  apporter  d  élé- 
ment   décisif   au   diagnostic    ni  surtout  au  pronostic    Tout  récemment , 


,04  HENRI   BOUTTIER 


M  Roubinovitch  vient  de  signaler,  chez  les  épileptiques,  la  persistance 
de  la  bradycardie  après  la  cessation  de  la  compression  oculaire  :  c'est 
là  1111  fait  intéressant,  mais  que  nous  n'avons  pas  eu  encore  le  temps 
d'étudier  chez,  nos  malades. 

Le  système  respiratoire  participe  aux  perturbations  générales  dans  l'état 
de  mal.  En  dehors  des  modifications  bien  connues  cpii  suivent  la  crise 
convulsive,  nous  voulons  signaler  qu'on  observe  souvent  un  rythme  très 
irrégulier,  rappelant  d'assez  près  le  rythme  de  Cheyne-Stokes,  et  dans 
un  cas  où  nous  avons  observé  très  souvent  le  phénomène  chez  la  même 
malade,  avec  M.  le  Professeur  Pierre  Marie,  révolution  s'est  laite  néan- 
moins vers  la  guérison.  Ajoutons  d'ailleurs  qu'il  n'y  avait  pas  d'hypera- 
zotémie  et  que  le  trouble  respiratoire  avait  par  conséquent,  malgré  ses 
analogies  avec  le  rythme  de  Cheyne-Stokes,  une  pathogénie  sans  doute 
fort  différente.  Cette  constatation  pose  d'ailleurs  des  problèmes  de 
physiologie  pathologique  d'un  certain  intérêt  et  montre  aussi  que  la  cons- 
tatation d'un  trouble  du  rythme  respiratoire  qui  rappelle  le  rythme  de 
Cheyne-Stokes,  ne  doit  pas  suffire  à  faire  porter,  dans  l'état  de  mal,  un 
pronostic  vital  très  grave. 

En  présence  de  troubles  aussi  importants  de  l'état  général  et  des 
diverses  fonctions  organiques,  on  est  amené  à  penser  qu'il  existe  aussi 
des  perturbations  d'ordre  humoral  susceptibles  d'apporter  au  diagnostic 
et  au  pronostic  des  éléments  très   sérieux  d'information. 

Vous  savez  qu'un  grand  nombre  d'auteurs  ont  déjà  poursuivi  des 
recherches  dans  ce  sens.  Vous  en  trouverez  l'indication  dans  un  livre 
récent  et  très  documenté  de  M.  Barbé  ;  nous  avons  cru  néanmoins  utile  de 
les  reprendre,  à  propos  de  nos  malades,  pour  compléter  leurs  observa- 
tions cliniques,  et  aussi  parce  que  les  progrès  des  techniques  modernes 
ont  mis  parfois  à  notre  disposition  des  procédés  d'investigation  — 
chimiques  en  particulier — plus  délicats  (pie  ceux  dont  on  se  servait 
il  y  a  encore  quelques  années.  C'est  le  résultat  de  ces  recherches  per- 
sonnelles que  nous  voulons  maintenant  résumer brièvementdevant vous. 

LIQUIDE  CÉPHALO-RACHIDIEN.   EXAMEN  CYTO-CHIMIQUE 

Le  plus  souvent  on  n'observe  aucune-  altération  cyto-ehimique  du 
liquide  céphalo-rachidien  dans  l'état  de*mal  comitial.  C'est  ainsi  que 
chez  une  de  nos  malades,  nous  notons  les  chiffres  de Ogr.  31  en  pleine 
période  de  crises  subintrantes,  de  0  gr.  27  cinq  jours  après  lu  fin  de  Pétai 
de  mal.  On  ne  peut  vraiment  pasétablir  un  rapport  entre  une  aussi  petite 
différence   et   l'allure  tout   à    lait  opposée   du    tableau    clinique  dans 

les  deux  cas.  Trois  moisplus  lard  la  malade  retombe  en  état  de  mal  et  le 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIOLE  505 

dosage  de  l'albumine  céphalo-rachidienne  n'indique  que  0  gr.  36  centi- 
grammes ! 

Chez  un  autre  de  nos  malades  où  la  ponction  lombaire  est  faite  en 
pleines  crises  subintrantes  il  n'y  avait  que  0  gr.  20 d'albumine. 

C'est  encore  le  même  résultat  que  nous  avons  obtenu  dans  un  autre  cas 
d'état  de  mal  confirmé  où  la  ponction  lombaire  fut  faite  aussitôt  après 
une  crise  convulsive,  le  7  février  1921.  L'examen  cyto-chimique  complet 
que  nous  devons  à  l'obligeance  du  D1  Mestrezat  a  donné  les  résultats 
suivants  : 

Albumine  normale. 

Chlorure  de  sodium  :  normal  (7  gr.  33). 

Légère  hyperglycosie. 

Acétone,  o. 

L'augmentation  du  taux  du  sucre  est  également  notée  dans  une  autre 
de  nos  observations  où  le  chiffre  du  sucre  s'élève  à  1  gramme  40,  ce  qui 
est  très  supérieur   au  taux  normal. 

Dans  un  autre  cas  d'état  de  mal,  0  heures  avant  la  mort,  le  taux  de 
l'albumine  n'était  encore  que  de  0  gr.  30. 

Voici  encore  un  dosage  que  nous  devons  à  l'amabilité  de  M.  le  Dr  Mes- 
trezat. Il  porte  sur  un  liquide  céphalo-rachidien  prélevé,  aussitôt  uprès 
la  crise  convulsive,  chez  une  de  nos  épileptiques  en  état  de  mal  : 

4  mars  192  /    — Liquide  céphalo  rachidien   : 
Urée 

Hypobromite 0  gr.   16 

Méthode  de  Fosse 0  gr.   15 

Chlorures 6  gr.  59 

Albumine 0  gr.   14 

Sucre 0  gi.  80 

Acétone 0  00 

Vous  voyez  que  ces  chiffres,  si  on  en  excepte  unv  légère  hypergly- 
cosie, sont  normaux. 

Ce  fait  montre  qu'au  cours  de  l'état  de  mal,  l'examen  cyto-chimique  du 
liquide  céphalo-rachidien  donne  les  mêmes  résultats  qu'à  la  suite  delà 
crise  d'épilepsic  isolée  :  voici  en  effet,  à  titre  documentaire,  les  chiffres 
que  nous  avons  obtenus  dans  six  cas  où  le  liquide  a  été  prélevé  aussitôt 
après  la  crise  d  épilepsie  isolée  : 

Aud 0  gr.  IN 

Heid 0  gr.  31 

Goub 0  gr.  17 

Tred 0  gr.  33 

Sal 0  gr.    1S 

Barb 0  gr    28 


506  m   N  /;/    n("   TTIER 


Ces  chiffres  vous  montrent  que  l'état  de  mal  n'a  pas  plus  d'influence 
sur  le  liquide'  céphalo-rachidien  que  la  crise  d'épilepsie  vulgaire  et 
isolée.  Ils  concordent  (railleurs  avec  les  chiffres  indiqués  par  les  auteurs 
qui  se  sont  également  occupés  de  la  question.  Ou  en  trouvera  une 
bibliographie  assez  complète  dans  un  article  récent  d'Hartênberg. 

En  opposition  avec  les  résultats  négatifs  que  donnent  les  recherches 
cyto-chimiques  clans  l'Épilepsie  dite  essentielle,  il  faut  mettre  les 
résultats  positifs  obtenus  lorsque  l'état  de  mal  est  symptomatique 
d'une  affection  diffuse  des  centres  m  en  ingo-ericéphaliques.  Une  de  nos 
malades,  quia  présenté  un  état  de  mal,  avait  une  réaction  méningée  très 
forte  (0  gr.  90  d'albumine,  25  lymphocytes  par  centimètre  cube  à  la  cellule 
de  Nageotte,  et  la  réaction  de  Wassermann  était  positive  dans  le  liquide 
céphalo-rachidien).  Il  s'agissait  évidemment  d'une  Epilepsie  symp- 
tomatique d'une  syphilis  cérébrale.  Or  rien  ne  permettait  eliniquement 
de  faire,  en  dehors  de  la  ponction  lombaire,  ce  diagnostic  étiologique.  Il 
ne  semble  d'ailleurs  pas  que  la  formule  eyto-chimique  ait  pour  le 
traitement  même  de  l'état  de  mal  une  importance  décisive  :  en  effet,  cette 
malade  a  guéri  de  son  état  de  mal  en  quelques  heures,  avant  qu'on  ait  pu 
savoir  les  résultats  de  l'examen  du  liquide  céphalo-rachidien,  et  instituer 
par  conséquent  le  traitement  spécifique.  Par  contre,  cette  constatation 
a  eu  une  valeur  considérable  pour  l'établissement  du  traitement  ulté- 
rieur. 

LES     VARIATIONS     DU      TAUX     DE     L'URÉE 
DANS    L'ETAT   DE  MAL   ÉPILEPTIQUE 

Au  cours  des  recherches  (pie  nous  avons  faites  en  collaboration  avec 
le  Dr  Rodrigue/,  (de  Barcelone)  sur  les  variations  du  taux  de  l'urée  dans 
l'Épilepsie,  nous  avons  été  amené  a  étudier  comment  se  comporte  le  taux 
de  ï'azotémie  dans  l'état  de  mal  épileptique. 

L'étude  des  variations  biologiques  de  l'urée  envisagée  dans  ses  rapports 
avec  les  crises  d'Épilepsie,  a  fait  l'objet  denombreux  travaux  Nous  cite- 
rons surtout  le  mémoire  de  Krainsky,  ceux  d'Allers  et  Rohde,  et  surtout 
un  important  travail  d'Ohregia  et  l'iechia.  Depuis  lors,  MM  Dufour  et 
Semelaigne  ont  étudié,  dans  une  intéressante  observation  clinique,  l'n/.o- 
témie  qui  précéda  chez  une  de  leurs  malades  la  crise  épileptique.  M.Sicard 
n'a  pasobservéune  augmentation  t\u  taux  de  l'a/otemie dans  lesjOUTSOU 
les  heures  qui  précèdentl'éclosiondela  crise  convulsive,  Signalons  encore 
que  pour  MM.  Laurès  etGascard  la  rétention  de  I  urée  dans  le  liquide 
céphalo-rachidien  serait  un  élément  de  diagnostic  entre  l'Epilepsie  et 

TU  vstéric. 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  507 

Les  conclusions  de  nos  recherches  avec  M.  Rodriguez  ne  nous  per- 
mettent pas  de  confirmer  cette  manière  de  voir,  et  à  cet  égard  il  est  inté- 
ressant de  comparer  les  résultats  obtenus  à  la  suite  de  la  crise  d'Épilepsie 
banale  ou  dans  l'état  de  mal  épileptique  . 

Pour  permettre  de  comparer  les  faits,  nous  empruntons  au  mémoire 
précité  le  tableau  des  pages  508  et  509. 

Voici  maintenant  les  résultats  de  nos  recherches  dans  un  cas  d'état  de 
mal  épileptique  avant  évolué  une  fois  vers  la  guérison  et  la  seconde  fois 
vers  la  mort. 

Les  conclusions  que  nous  avions  adoptées  avec  le  Dr  Belarmino 
Rodriguez  sont  résumées  dans  le  tableau   de  la  page  510. 

La  première  ponction  lombaire  a  été  faite  alors  que  la  malade  avait 
depuis  24  heures  des  crises  subintrantes  ;  nous  avons  observé  alors  une 
rétention  très  notable  de  produits  azotés  dans  le  sang  avec  une  dissociation 
évidente  entre  les  résultats  par  les  deux  méthodes  de  dosage  (1  gr.  31, 
0  gr.  52). 

Dans  le  liquide  céphalo-rachidien,  la  rétention  a  été  moins  marquée,  et 
la  différence  beaucoup  plus  faible  entre  les  produits  azotés  d'une  part  et 
l'urée  d'autre  part. 

En  même  temps,  l'élimination  uréique  urinaire  était  importante. 
Lorsque  cette  malade  évolua  vers  la  guérison,  nous  avons  vu  diminuer 
progressivement  le  taux  des  corps  azotés  dans  le  liquide  céphalo-rachi- 
dien, et  lors  de  la  troisième  ponction  le  chiffre  en  était  normal. 

Par  contre,  dans  le  sérum  sanguin,  la  rétention  azotée  a  persisté  plus 
longtemps,  et  même  lors  du  dernier  examen  la  prédominance  du  taux  des 
corps  azotés  sur  celui  de  l'urée  existait  toujours  dans  des  proportions 
anormales  (0  gr.  43). 

Ces  études  en  série  montrent  que  dans  l'état  de  mal  étudié  par  nous 
la  formule  de  la  rétention  uréique  est  différente  de  celle  que  nous  avons 
observée  dans  l'épilepsie  vulgaire,  puisqu'il  y  a,  dans  notre  cas  d'état 
de  mal,  rétention  de  produits  azotés  dans  divers  liquides  de  l'organisme. 

D'autre  part,  il  y  a  prédominance  de  la  rétention  dans  le  sérum  sanguin 
et  non  pas  dans  le  liquide  céphalo-rachidien. 

Lorsque  l'évolution  se  fait  vers  l'atténuation  des  signes  cliniques,  la 
disparition  de  l'azotémie  céphalo-rachidienne  estassez  rapide,  tandis  que 
persiste  uneazotémie  sanguine  notable  avec  dissociation  entre  le  taux  de 
l'urée  et  des  produits  azotés  non  uréiques. 

Il  est  évident  que  ces  faits  s  Opposent  à  tout  ce  que  nous  a  révélé,  au 
point  de  vue  de  la  rétention  azotée,  l'étude  des  crises  d'épilepsie  vulgaires 
et  espacées. 


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VÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIOUE 


511 


Il  nous  reste  à  signaler  les  résultats  des  examens  en  série  pratiqués 
chez  la  même  malade  (cas  Hu.)  quand  l'évolution  s'est  faite  vers  la  mort. 
Malheureusement,  en  raison  des  difficultés  techniques,  nos  analyses 
ne  sont  pas  aussi  nombreuses  ni  aussi  complètes  que  dans  la  série  pré- 
cédente. 

Toutefois,  il  est  intéressant  de  constater  que  lors  du  premier  examen, 
la  malade  étant  en  état  de  mal,  le  chiffre  des  produits  azotés  fut  légère- 
ment supérieur  à  la  normale. 

Lorsque  1  état  s'est  aggravé,  la  rétention  azotée  a  augmenté  dans  le 
sérum  sanguin  sans  toutefois  atteindre  un  taux  considérable. 

Par  contre,  la  rétention  azotée  dans  le  liquide  céphalo-rachidien  a 
atteint  un  chiffre  plus  élevé  (pie  lors  de  tous  les  examens  précédents  :  il 
y  a  donc  eu,  dans  ce  cas  terminal,  une  prédominance  très  nette  de 
la  rétention  azotée  dans  le  liquide  céphalo-rachidien  au  détriment  de  la 
rétention  des  mêmes  produits  dans  le  sérum  sanguin. 

L'opposition  est  évidente  avec  les  chiffres  obtenus  chez  la  même 
malade  quand  révolution  s'est  faite  vers  la  guérison. 

A  la  rétention  azotée  maxima  dans  le  liquide  céphalo-rachidien  a 
correspondu  l'évolution  fatale  :  ce  fait  est  à  rapprocher  de  l'autre  cas 
d'état  de  mal  rapporté  plus  haut. 

Dans  un  autre  cas  observé  avec  M.  Mestrezat  le  résultat  des  dosages 
de  l'urée  nous  a  donné  les  résultats  que  voici  : 


Dosage  des  produits  azotés  dans    un  cas  d'état  de  mal  épileptique. 


Urée  du  C.  R.  (Hypobr.) 

Urée  du  sérum  (Hypobr.) 

Différence  du  sérum  et  C.  R. 
Différence  :    Hypob.  et  Fosse  (C.  R  ). 
Différence  :  Hypob.  et  Fosse  (sérum). 


13  octobre 

14  octobre 

21  octobre 

Grande 

Période 

Etat 

de  mal 

amélioration 

intercalaire 

0,33 

1,04 

0,29 

0,44 

1,42 

0,20 

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0,11 

+ 

0,38 

+ 

0,0 

+ 

0.10 

+ 

0,25 

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+ 

0,12 

+ 

0,32 

+ 

0,16 

Nos  conclusions  ont  été  les  suivantes  :  pendant  la  phase  aiguë  de 
l'état  de  mal,  le  taux  de  l'urée  dans  le  liquide  céphalo-rachidien  et  dans 
le  sang  n'a  pas  atteint 0  gr.  50  centigrammes.  On  ne  peut  donc  pas  dire 
qu'il  y  ait  eu  alors hyperazotémie. 

Le  lendemain,  alors  que  les  crises  convulsives  avaient  cesséet  (pie 
l'amélioration  était  considérable  (0  =  37°tS),  l'hyperazolémie  était  par 


512  m   \/''/   BOVTTIER 


contre1  liés  notable,  plus  marquée  dans  le  sérum  sanguin  que  dans  Le  li 
quide  céphalo-rachidien,  avec-  une  notable  différence  entre  1rs  dosages 
par  l'hypobromite  et  par  le  procédé  de  Fosse,  ce  dernier  ne  dosant  que 
l'urée  à  l'exclusion  des  corps  azotés  non  uréiques.  Sept  jours  plus 
tard,  en  l'absence  de  toute  crise  convulsive  pendant  la  période  inter- 
calaire, le  taux  de  l'urée  était  redevenu  normal  dans  les  humeurs,  égal 
dans  le  sang  et  dans  le  liquide  céphalo-rachidien, et  la  différence  plus 
faible  que  lors  du  dosage  précédent  entre  les  résultats  fournis  par  la 
méthode  de  l'hypobromite  et  parla  technique  de  Fosse. 

Nous  n'avons  pas  l'impression  qu'il  faille  attacher  une  grande  impor- 
tance à  ces  azotémies  observées  parfois  dans  l'état  demal épileptique. 

D'abord,  ce  sont  des  azotémies  dont  létaux  n'est  jamais  bien  considé- 
rable: il'est'beaucoup  plus  faible  que  celui  qu'on  observe  au  cours  des 
accidents  épileptoïdes  des  néphrites  urémigènes,  par  exemple. 

D'autre  part,  pendant  l'état  de  mal  lui-même,  nous  avons  vu  (pie  le 
taux  de  l'urée  est  parfois  normal  dans  le  sérum  sanguin.  C'est  seule- 
ment le  lendemain  qu'il  augmente,  alors  (pie  les  accidents  convulsifs 
ont  pourtant  disparu. 

Ce  fait  montre  qu'il  faut  être  très  réservé  dans  l'appréciation  des  trou- 
bles du  métabolisme  azoté  au  cours  de  l'état  de  mal. 

Les  conditions  dynamiques  de  l'état  de  mal,  les  modifications  du 
régime  alimentaire,  la  déshydratation,  la  fatigue,  l'épuisement  muscu- 
laire lié  aux  crises  convulsives  subintrantes,  toutes  ces  causes  apportent 
sans  nul  doute  au  métabolisme  de  l'urée  de  telles  perturbations  qu'on 
est  plutôt  surpris  de  ne  pas  observer  un  taux  plus  élevé  de  l'azotémie 
à  la  suite  de  ces  accidents.  Et  nous  avons  plutôt,  avec  M.  Rodrigue/, 
avec  M.  Mestrezat,  l'impression  (pie  les  azotémies  passagères  rappor- 
tées plus  haut  sont  beaucoup  plutôt  /</  conséquence  (pie  la  cause  des 
signes  cliniques  de  l'état  de  mal  épileptique . 

Ces  recherches  n  en  conservent  pas  moins,  nous  le  verrons,  une 
haute  valeur  diagnostique. 

Vous  noterez  enfin  (pie,  dans  les  dosages  faits  par  M.  Mestrezat.  on  n'a 
pas  observé  non  plus  la  présence  de  l'acétone  dans  le  liquide  céphalo- 
rachidien 

TOXICITÉ   DU    LIQUIDE     CÉPHALO  RACHIDIEN 

Cette  question  a  été  l'objet  de  très  nombreux   travaux  el  les  résultats 

des  auteurs  sont  souvent  contradictoires. 

Certains  prétendent  que  le  liquide  céphalo-rachidien  des  cpileptiqucs 
est  toxique   lorsqu'il  a  été  prélevé   aussitôt  après  la  crise  ■  c'est  ce  qui 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  513 

nous  engage  à  relater  une  série  d'expériences  que  nous  avons  faites 
avec  mon  collègue  et  ami  René  Mathieu  sur  ce  sujet. 

Nous  avons  prélevé  immédiatement  après  une  crise  convulsive  du 
liquide  céphalo-rachidien  d'une  de  nos  épileptiques  en  état  de  mal,  et 
nous  lavons  injecté  aseptiquement  dans  le  cerveau  d'un  cobaye. 

Nous  avons  recommencé  1  expérience  à  plusieurs  reprises  sur  trois 
cobayes  différents  que  nous  vous  présentons  aujourd'hui  :  ils  n'ont  eu 
à  la  suite  de  cette  injection  aucun  accident  grave,  etenparticulier  ils 
n'ont  présenté  aucune  crise  convulsive  :  leur  état  est  aujourd  hui  nor- 
mal, et  cependant  l'injection  remonte  à  un  temps  variant  de  2  à  3  mois. 
Nous  avions  injecté  très  lentement  1  centimètre  cube  de  liquide  cépha- 
lo-rachidien dans  le  cerveau  des  cobayes.  Ce  fait  démontre  qu'il  peut  y 
avoir  état  de  malépileptique  sans  que  ce  liquide  céphalo-rachidien,  pré- 
levé aussitôt  après  une  crise,  soit  toxique  pour  le  cobaye,  quand  il  est 
introduit  directement  dans  le  cerveau.  : 

EXAMENS  HÊMATOLOGIQUES 

Vous  savez,  Messieurs,  quel  intérêt  les  travaux  récents  de  M.  Widol 
et  de  son  école,  relatifs  à  l'hémoclasie,  ont  donné  aux  recherches 
hématologiques.  Il  n'est  pas  étonnant  qu'on  ait  appliqué  à  l'épilepsie 
ces  méthodes  d'investigation.  Vous  trouverez  le  résumé  de  ces  travaux 
dans  un  article  récent  de  M.  Pagniez,  dans  un  rapport  de  M.Courot, 
dans  la  thèse  de  M.  Chwatt  et  dans  celle  de  M.  Brillet. 

Je  voudrais  seulement  vous  apporter,  à  titre  documentaire,  le  résul- 
tat des  examens  que  M.  René  Mathieu  a  pratiqués  chez  une  de  nos 
épileptiques  en  état  de  mal. 

Cas  Pic.  —   Elat  de  mal  épileptique. 
Hémoglobine,  95  0/0  valeur  globulaire. 
Globules  rouges,  4.000.000. 
Très  légère  anisocytose. 
Globules  blancs 18  200 

Pourcentage 

,       Polynucléaires  neulrophiles 56  % 

Polynucléaires  éosinophiles i"      1  % 

Formes  de  transition ,    •  1  % 

Lymphocytes.        )                                               .....  42  % 

Monos  Moyens.     ) '  ■ 

On  voit  qu'il  va  seulement  une  leucocytose  modérée  avec  prédomi- 
nance des  éléments  mononucléés,  mais  que  cette  formule,  dans  son 
ensemble,  n'a  rien  que  de  très  banal.  De  plus,  l'examen  du  sérum  san- 

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guin  de  cette  malade  a  montré  qu'il  se  comportait  d'une  façon  nor- 
male à  l'égard  de  globules  rouges  d'individus  normaux  et  de  sujets 
épileptiqucs.  Enfin  la  résistance  globulaire  chez  cette  malade  était  nor- 
male. 

La  malade  avait  eu  5  crises  dans  la  journée,  mais,  le  soir,  à  4  h.  15, 
elle  était  en  assez  bon  état,  et  consciente. 

A  4  h.  30,  elle  a  une  crise  très  violente  d'épilepsie  généralisée,  à 
4  h.  51,  une  nouvelle  crise,  à  5  heures,  une  grande  crise  avec  cyanose 
très  marquée  du  visage.  A  5  h.  09,  à  5  h.  20,  nouvelles  crises,  puis  les 
crises  se  succèdent  sans  interruption  ;  on  peut  en  compter  une  douzaine 
en  une  demi-heure. 

Pendant  2  heures,  l'observation  a  porté  sur  le  nombre  des  leucocytes 
dans  le  sang,  sur  la  tension  artérielle,  sur  le  nombre  des  pulsations, 
sur  la  température. 

Nombre  des  leucocytes  : 

Les  numérations  ont  été,  au  début,  pratiquées  de  5  en  5  minutes, 
pendant  les  crises  et  durant  leur  intervalle.  Puis,  les  numérations  ont 
été  faites,  en  cherchant  à  saisir  le  début  même  des  crises. 

Il  convient  de  remarquer  combien  sont  grandes  les  difficultés  tech- 
niques de  ces  examens  :  en  effet,  la  malade  a  des  crises  de  cyanose 
très  marquée,  il  est  donc  vraisemblable  que  le  nombre  des  globules 
rouges  et  blancs  doit  varier,  par  le  fait  même  de  cet  accès  passager, 
dans  tous  les  capillaires   périphériques. 

Dans  l'intervalle  des  crises,  la  respiration  est  superficielle,  la  ma- 
lade est  pâle  et  la  circulation  dans  les  capillaires  périphériques  subit 
des   modifications    inverses  de  celles  qui  accompagnent  l'état  de  crise. 

Cette  remarque  préalable  étant   faite,  voici  les  résultats  obtenus  : 

Au  début  de  la  période  initiale,  la  malade  étant  en  état  de  contrac- 
ture tonique,  avec  visage  cyanose. 

Nombre  de  globules    blancs  :  9.200. 

5  minutes  après,  malade  dans  la  phase  stertoreuse. 

Nombre  des   globules  blancs  :  10.600. 

5  minutes,   crise  terminée. 

Globules  blancs  :  10.200. 

5  minutes  après,  inconscience  absolue,  mais  pas  (Je  irises. 

Globules    blancs    :  7.200. 

4  h.  51.  On  fait  le  prélèvement  tout  à  fait  au  début  de  la  crise,  au 
moment  où  apparaissent  les  signes  précurseurs.  (Rotation  îles  yeux 
en   haut  et  à  droite.) 

Globules  blancs  :  0  200. 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  515 


5  h.  06.  Après  la    fin  d'une  crise. 

Globules  blancs  :  9000. 

5  h.  20.  Examen  pratiqué  tout  à  fait  au  début  d'une  grande  crise. 

Globules  blancs  :  11.000. 

L'examen  de  la  tension  artérielle,  fait  en  se  mettant  dans  les  con- 
ditions techniques  les  moins  défavorables,  montre  qu'au  cours  de  la 
crise  comitiale,  on  observe  une  augmentation  de  la  tension  qui  retombe 
bientôt  à  son  chiffre  normal  ;  dans  le  cas  particulier,  la  tension  était 
passée  de  15  à  21  et  était  retombée  à  15  après  la  fin  de  la  crise  convul- 
sive. 

Vous  retiendrez  de  ces  faits,  Messieurs,  que  dans  un  de  nos  cas 
d'état  de  mal  les  plus  longuement  étudiés,  les  modifications  héma- 
tologiques ont  été  minimes  ou  nulles. 

Ces  résultats  négatifs  n'ont  qu'une  valeur  documentaire,  c'est  à  ce 
titre  que  nous  avons  cru  utile  de  vous  les  signaler.  Bien  loin  de  nous 
la  pensée  d'en  tirer  des  conclusions   d'une  portée  générale. 

Il  est  seulement  intéressant  de  souligner  l'opposition  qui  existe, 
dans  l'état  de  mal,  entre  la  gravité  des  phénomènes  cliniques  et  le 
résultat  très  modeste  —  presque  nul  à  la  vérité  —  des  examens  bio- 
logiques. 

On  peut  donc  se  demander  si  les  phénomènes  sympathiques  dont 
l'étude  est  actuellement  à  l'ordre  du  jour  ne  jouent  pas  un  rôle  impor- 
tant dans  la  production  de  ces  accidents  graves.  Cette  question  mé- 
rite d'autant  plus  de  retenir  l'attention  que  la  notion  de  répercussi- 
vité  sympathique  a  été  introduite  récemment  par  M.  André  Thomas. 

PHÉNOMÈNES  SYMPATHIQUES 

Nous  avons  déjà  vu  plus  haut,  à  propos  des  troubles  vasculaires, 
l'intérêt  qui  s'attache  à  l'étude  des  courbes  oscillométriques.  Je  vous 
ai  signalé  aussi  la  variabilité  des  réflexes  oculo-cardiaque  et  oculo- 
vaso-moteur. 

Le  réflexe  pilo-moteur  nous  a  toujours  paru  vif  au  cours  de  l'état  de 
mal.  Les  injections  de  pilocarpine  que  nous  avons  souvent  pratiquées 
chez  ces  malades  ont  produit  en  général  une  sudation  et  une  salivation 
abondantes,  alors  qu'elles  avaient  une  action  peu  marquée  sur  l'oscillo- 
métrie  et  sur  le  réflexe  oculo-artériel  en  particulier. 

Dans  une  série  de  recherches  encore  inédites  faites  en  collaboration 
avec  M.  J.  Robert  Pierre,  Interne  du  service  de  la  clinique,  nous  nous 
sommes  demandés  s'il  n'était  pas  possible  de  modifier  les  vertiges  et  les 
absences  par  l'introduction  dans  l'économie  de  substances  vago  ou  svm- 


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pathicotoniques,  et  au  début,   pour  le   commodité    des  expériences, 
^ous  nous  sommes  servis  de pilocarpine  et  d'«.  rén»  ......  Nous  avons 

"Cpressiori  très  nétté  que  l'étude  du  labyrinthe  de,  ep.lept.ques  pourra 
nou  fournir  des  renseignements  très  intéressants  et  que  ce. -tain  ^mala- 
des réagissent  dWfeçôntoutàfeitanormaleà     acuonde  !..  puocn 
pLetderadrénaline  on    particulier.  Le  détail  de  ces  fats  sera  da.l- 
leurs  rapporté  ultérieurement  par  M.  S  .-Robert  Pierre. 


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L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE 


517 


Il  semble  donc  que  l'étude  provoquée  des  réactions  sympathiques 
puisse,  au  moins  chez  certains  épileptiques,  conduire  à  des  conclusions 
fort  intéressantes  au  point  de  vue  de  la  pathologie  générale  de  ce  syn- 
drome. 

ÉVOLUTION  CLINIQUE 

Le  résultat  négatif  de  la  plupart  des  recherches  biologiques  dans 
l'état  de  mal  rend  d'autant  plus  intéressante  l'étude  simplement  clinique 


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de  ce  grand  syndrome.  C'est  on  définitive  à  la  clinique,  comme  nous  le 
conseille  souvent  le  Professeur  Pierre  Marie,  qu'il  faut  vous  reporter 
pour  essayer  de  faire  le  pronostic  de  l'état  de  mal. 

Rien  n'est  curieux  à  cet  égard  comme  l'évolution  tout  à  fait  différente 
de  l'état  de  mal  suivant  les  cas.  On  pourrait  dire  qu'il  n'y  a  pas  en  cli- 
nique deux  états  de  mal  qui  se  ressemblent,  et  décrire  par  conséquent 
autant  de  formes  cliniques  qu'il  y  a  de  malades  :  ce  serait  faire  œuvre 
stérile. 

Nous  dirons  seulement  qu'il  y  a  des  formes  à  début  foudroyant,  telles 
(pie  le  malade  est  terrassé  en  quelques  minutes  par  des  crises  subin- 
trantes  ;  des  formes  abortives  telles  que,  peut-être  sous  l'influence  du 
traitement  ou  de  toute  autre  cause  que  nous  ignorons,  la  maladie  tourne 
court  au  bout  de  quelques  heures,  des  formes  hyperthermiques  dans  les- 
quelles la  température  s'élève  d'emblée  à  41°,  et  qui  ne  comportent  pas 
toujours  un  pronostic  grave;  des  formes  à  hyperthermie  progressive  et 
terminale  :  ce  sont  de  beaucoup  les  plus  sévères  :  il  s'agit  alors  de 
malades  chez  qui  la  température  monte  au  bout  de  quelques  jours  à 
39°-39°5  et  chez  lesquels,  en  dépit  du  traitement,  on  ne  peut  obtenir 
aucune  rémission,  même  si  le  nombre  des  crises  s'atténue. 

Au  contraire,  l'évolution  peut  se  faire  vers  la  guérison  :  d'ordinaire 
c'est  au  bout  de  3  ou  4  jours  que  les  crises  s'atténuent,  que  la 
conscience  revient  progressivement  et  que  la  malade,  très  asthénique 
d'ailleurs,  entre  en  convalescence. 

Elle  peut,  nous  l'avons  vu,  rester  pendant  plusieurs  semaines,  plu- 
sieurs mois  ou  même  plusieurs  années  sans  présenter  à  nouveau  de 
manifestations  aussi  graves. 

Mais  nous  voulons  insister  surtout  sur  une  forme  vraiment  très  spé- 
ciale :  c'est  lu  forme  prolongée  de  l'état  de  mal  épileptique.  Veuillez  jeter 
les  yeux  sur  le  tableau  des  crises  et  des  vertiges  qui  se  sont  succède  d'une 
façon  ininterrompue  pendant  5 mois  chez  une  de  nos  malades  (fig.  9). 
C'est  vraiment  un  des  phénomènes  les  plus  curieux  que  l'état  de  ces 
malades  plongés  pendant  plusieurs  mois  dans  une  inconscience  absolue 
ou  relative,  incapables  de  subvenir  à  leurs  besoins  ou  de  prendre  part 
aux  manifestations  élémentaires  de  la  vie  extérieure,  secoues  plusieurs 
lois  dans  la  journée  par  des  crises  convulsives  d'intensité  variée  et  chez 
lesquels  néanmoins  les  fonctions  de  la  vie  organique  se  font  d'une  façon 
sensiblement  normale. 

Pas  d'élévation  thermique  au-dessus  de  38°;  les  investigations  biolo- 
giques sont,  nous  l'avons  vu, dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  pra- 
tiquement négatives,  et  cependant  les  malades  restent  dans  le  même  état 


VÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  519 

et  soumises  pendant  plusieurs  mois  aux  mêmes  excitations  convulsives 
et  aux  vertiges. 

Puis  elles  reviennent  progressivement  à  elles,  fatiguées,  anémiées, 
voient  disparaître  peu  à  peu  les  crises  et  les  vertiges,  mais  la  conva- 
lescence dans  ces  cas  est  particulièrement  longue  et  difficile. 

C'est  là  une  des  modalités  cliniques  de  l'état  de  mal  qu'il  importe, 
vous   le  voyez,    de    bien  connaître. 

DIAGNOSTIC 

Vous  nous  permettrez  d'être  très  bref  à  cet  égard.  Lorsque  vous  savez 
qu'une  malade  est  atteinte  d'épilepsie  et  que  vous  êtes  appelé  auprès 
d'elle  pour  un  état  de  mal,  le  diagnostic  différentiel  ne  présente  aucune 
difficulté. 

Au  contraire,  lorsqu'on  voit  une  malade  pour  la  première  fois  il  faut 
éliminer  en  particulier  le  diagnostic  d'urémie  convulsive  qui  peut  dans 
certains  cas  se  poser. 

C'est  alors  qu'en  dehors  même  des  commémoratifs  toutes  les  recher- 
ches biologiques  prennent  une  grosse  importance. 

La  recherche  de  l'azotémie  sanguine  et  céphalo-rachidienne,  le  carac- 
tère normal  du  liquide  céphalo-rachidien,  l'absence  de  bruit  de  galop, 
l'hypotension  artérielle  sont  des  éléments  de  diagnostic  d'une  très 
haute  valeur  entre  ces  deux  états. 

Le  caractère  négatif  des  constatations  biologiques  sur  lesquelles  nous 
avons  insisté  longuement  permet  d'établir  le  diagnostic  d'épilepsie 
essentielle. 

Lorsque  vous  aurez  des  doutes  relativement  au  diagnostic  de 
l'état  de  mal,  vous  ferez  toujours  la  ponction  lombaire  :  d'abord  c'est 
un  bon  moyen  de  traitement,  et  surtout  l'examen  du  liquide  céphalo- 
rachidien  vous  permettra  d'éliminer  les  causes  si  nombreuses  de  con- 
vulsions généralisées,  que  vous  connaissez  bien.  Par  lui,  vous  saurez 
si  vous  avez  affaire  à  une  épilepsie  dite«  essentielle  »  on  an  contraire 
à  une  épilepsie  symptomatique  :  le  pronostic  et  le  traitement  diffèrent 
dans  l'un  et  l'autre  cas. 

A  cet  égard,  l'un  des  diagnostics  les  plus  importants  est  celui  de  ménin- 
gite chronique  syphilitique.  Nous  en  avons  observé  un  cas  dont  nous 
vous  avons  rapporté  l'histoire  plus  haut  :  rien  ne  permettait  cliniquement 
pendant  l'état  de  mal  de  faire  le  départ  entre  une  Épilepsie essentielle 
et  une  Épilepsie  symptomatiqued'une  syphilis  cérébrale  en  évolution. 
Mais  la  ponction  lombaire,  en    montrant  une  lymphocytose  abondante 


520  HKNM  BOUTTIEli 


avec  hvperalbuminose  et  réaction  de  Wassermann  positive,   a  permis 
de  lever  tous  les  doutes  et  d'instituer  ensuite  un   traitement  spécifique. 

Malheureusement,  dans  leeas  de  méningite  tuberculeuse,  le  diagnostic 
n'aura  pas  la  même  utilité  pratique. 

Nous  avons  observé,  en  effet,  avec  notre  collègue  M,  André-Pierre 
Marie,  Interne  du  service  de  la  clinique,  d'une  façon  tout  à  t'ait  termi- 
nale, un  état  de  mal  épileptique  lié  vraisemblablement  à  une  ménin- 
gite tuberculeuse  (les  coupes  histologiques  ne  sont  pas  encore  termi- 
nées) chez  un  malade  porteur  de  cavernes  pulmonaires  au  niveau  des 
sommets. 

Notons  d  ailleurs  que,  dans  ce  cas,  l'injection  du  liquide  céphalo- 
rachidien  faite  dans  le  cerveau  du  cobaye  a  provoqué  chez  celui-ci  des 
secousses  convulsives  et  une  mort  rapide. 

C'est  encore  la  ponction  lombaire  qui  permettra  de  faire  le  diagnostic 
étiologique  dans  le  cas  où  on  a  affaire  à  des  hémorrhagies  méningées 
d'intensité  variable,  symptomatiques  ou  essentielles,  et  qui  sont  capa- 
bles d'être  la  cause  ou  le  témoin  des  manifestations  convulsives  à  type 
d'état  de  mal. 

L'une  de  nos  malades  avait  une  formule  céphalo-rachidienne  dont 
l'interprétation   est  assez  délicate. 

Liquide  clair. 

Pas  de  bacilles  de  Koch. 

Pas  de  microbes  à  l'examen  direct. 

Réaction  cellulaire  notable,  14  éléments  par  millimètre  cube  à  la 
cellule  de  Nageotte. 

Pourcentage  :  polynucléaires...  75  % 
lymphocytes...       25  % 
Assez  nombreux  globules  rouges. 

Néanmoins  la  proportion  des  éléments  cellulaires  est  trop  considé- 
rable pour  qu'on  puisse  incriminer  seulement   la  présence  du  sang. 

Albumine 0  g.  20  centigr. 

Sucre 1  g.  40. 

Ensemencements  et  réaction  de  Wassermann  négatifs. 
On  voit  qu'il  s'agit  là  d  une  formule  très  particulière,  liée  vraisem- 
blablement à  une  petite  hémorrhagie  méningée  histologique,  avec  légère 
réaction  méningée  :  les  phénomènes  congestifs.  en  l'absence  d'hyperal- 
buminose  céphalo-rachidienne,  l'emportant  de  beaucoup  sur  les  trou- 
bles inflammatoires. 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  521 

Nous  n'avons  pu  dans  ce  cas  avoir  la  vérification  anatomique,  mais  il 
nous  paraissait  néanmoins  intéressant  de  vous  signaler  cette  formule 
céphalo-rachidienne  très  particulière  au  point  de  vue  étiologique, 
puisque  nous  ne  l'avons  pas  rencontrée  dans  les  autres  cas  d'état  de  mal 
dit  essentiel. 

Il  est  enfin  une  variété  étiologique  d'état  de  mal  fort  intéressante. 
C'est  celle  qui  est  en  rapport  avec  une  tumeur  cérébrale  susceptible, 
après  avoir  produit  des  manifestations  jacksoniennes,  de  déterminer 
tardivement  l'état  de  mal  épileptique. 

Ici,  1  examen  méthodique  du  malade,  la  recherche  des  symptômes 
jacksoniens,  les  modifications  persistantes  des  réflexes  d'un  côté  par 
rapport  à  l'autre,  les  parésies  localisées  consécutives  aux  crises 
jacksoniennes,  l'examen  du  fond  de  l'œil,  l'intensité  de  la  céphalée, 
parfois  les  vomissements  vous  permettront  de  faire  le  diagnostic. 

Il  ne  faut  négliger  aucun  de  ces  éléments,  car  les  chirurgiens  et  en 
particulier  M.  Lenormant  ont  récemment  encore  beaucoup  insisté  sur 
les  résultats  heureux  dans  ce  cas  de  la  trépanation  décompressive,  et 
nous-même  en  avons  observé  en  collaboration  avec  MM.  Roux-Berger 
et  Bollack  un  bel  exemple  dont  nous  avons  publié  l'histoire  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  de  Chirurgie. 

Tous  ces  faits  montrent,  et  c'est  cela  que  vous  devez  reteniravant  tout, 
qu'on  a  le  droit  de  faire  le  diagnostic  d'état  de  mal  en  rapport  avec 
une  Epilepsic  essentielle  seulement  lorsque  toutes  les  conditions  re- 
quises (antécédents,  âge,  histoire  clinique,  constatations  objectives) 
concordent  et  lorsque  toutes  les  investigations  biologiques  sont  prati- 
quement négatives. 

Le  problème  étiologique  constitue  à  notre  avis  le  point  le  .plus  inté- 
ressant du  diagnostic  de  l'état  de  mal  épileptique,  et  c'est  sur  lui 
qu'il  convient  de  faire  porter  tout  votre  effort. 

PRONOSTIC 

Vous  avez  pu  vous  convaincre  que  nous  n'avons  pas  actuellement 
de  procédés  biologiques  qui  nous  permettent  de  faire  le  pronostic  de 
l'état  de  mal.  Il  faut  donc  nous  en  tenir  aux  seules  données  de  la  cli- 
nique. D'après  notre  expérience,  ce  n'est  pas  tant  le  nombre  des  crises 
que  la  température  qui  a  une  signification  pronostique  de  premier 
ordre.  Nous  avons  vu  plus  haut  quelle  fâcheuse  signification  a  une 
température  qui  s'élève  en  dépit  de  l'atténuation  des  crises  convulsives, 
qu'il  s'agisse    ou  non    d'un  phénomène   d'épuisement.  Il   faut    encore 


522  HENRI  BOUTTIER 


attacher  une  signification  importante  à  L'état  clos  réflexes,  leur  abolition 
permanente  étant  toujours  d'un  mauvais  augure.  De  plus,  il  y  a  des  cas 
où  vous  aurez  l'impression  que  l'a  thérapeutique  agit  sur  tel  ou  tel 
symptôme,  sur  le  nombre  et  l'intensité  des  crises  en  particulier,  alors 
qu'elle  n'a  aucune  influence  sur  l'état  mental  ni  sur  les  phénomènes 
généraux  II  vous  faudra  tenir  compte  de  toutes  ces  nuances. 

Il  convient  donc,  dans  ce  syndrome  grave,  de  lutter  jusqu'au  bout  par 
tous  les  moyens  do  traitement  qu'il  nous  faut  maintenant  envisa- 
ger. 

TRAITEMENT 

Dans  tous  les  cas  il  doit  être  symptomatique  d'abord,  et  si  vous 
connaissez  la  cause  de  l'état  de  mal,  autant  que  possible,  étiolo- 
gique. 

En  présence  d'une  malade  en  état  de  mal,  nous  vous  conseillons 
d'abord  de  faire  une  saignée  :  elle  peut  être  d'emblée  assez  abondante 
(300-400  grammes);  d'autres  fois,  lorsque  l'état  de  la  malade  paraît  assez 
précaire,  nous  nous  sommes  trouvés  bien  de  faire  des  émissions  san- 
guines moins  abondantes  (100-150  grammes  répétées  au  besoin  tous  les 
deux  jours). 

La  ponction  lombaire  ne  nous  a  pas  paru  avoir  d'inconvénients,  à 
condition  bien  entendu  qu'elle  soit  faite  en  position  couchée  et  que 
l'on  retire  lentement  une  quantité  moyenne  de  liquide  céphalo-rachi- 
dien (10-12  centimètres  cubes  par  exemple).  Nous  avons  eu  l'impres- 
sion que  dans  quelques  cas  cette  petite  intervention  a  ete  suivie  d'une 
certaine  atténuation  des  crises  convulsives. 

Traitement  des  crises  convulsives.  —  Trois  médicaments  ont 
une  action  certaine  sur  l'élément  comitial,  l'un  est  très  anciennement 
connu  :  c'est  le  bromure.  Vous  connaissez  son  mode  d'administration 
et  les  travaux  classiques  de  Richet  et  Toulouse  sur  la  déchloruration 
associée  à  la  bromuration  ;  nous  n'y  reviendrons  pas.  Cette  méthode 
est  exposée  aussi  dans  une  thèse  récente  de  Lucchini  ;  les  deux  autres 
médicaments  sont  d'application  beaucoup  plus  récente  :  c'est  le 
Luminal  ou  le  Gavdcnal  et  enfin  le  tartraté  borico-polassique. 

En  raison  de  la  gravité  des  symptômes  et  surtout  de  l'intérêt  qui 
s'attache  à  les  atténuer  dans  le  plus  bref  délai,  nous  vous  conseillons 
une  médication  d'attaque  fort  énergique  et  comprise  par  exemple  de  la 
façon  suivante  : 

Dans  une  période  de 24  heures  donner 3 à  I  grammes  de  ta  solution 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIQUE  523 

des  3  bromures,  20  à  30  centigrammes  de  Luminal  et  6  à  8  grammes  de 
tartrate  borico-potassique. 

Il  est  évident  que  ces  médicaments  ne  doivent  pas  être  absorbés 
simultanément  ;  vous  espacerez  les  prises  dans  la  période  de 
24  heures.  Vous  vous  trouverez  bien,  après  avoir  fait  un  grand  lavage 
intestinal,  de  faire  donner  à  vos  malades  un  petit  lavement  de 
chloral.  Il  est  inutile  et  même  nuisible  de  purger  ces  malades.  M.  Si- 
card  recommande  aussi  une  injection  sous-cutanée  de  1  à  2  dixièmes 
de  milligramme  de  scopolamine  et  au  besoin  l'inhalation  sur  une  com- 
presse de  quelques  gouttes  de  chloroforme. 

Il  convient  d  ailleurs  de  surveiller  de  très  près  l'état  du  foie  et  du 
rein,  l'état  des  réflexes,  du  cœur,  delà  tension  artérielle  et  de  modifier 
les  doses  au  jour  le  jour,  suivant  le  résultat  thérapeutique  obtenu  et  la 
tolérance  de  l'organisme. 

Si  le  malade  réagit  bien  au  traitement  et  sort  assez  vite  de  l'état 
de  mal,  vous  vous  garderez  bien  néanmoins  d'interrompre  tout  de  suite 
la  médication  anti-épileptique,  mais  vous  diminuerez  progressivement 
les  doses.  On  peut  ainsi  voir  à  quelle  médication  le  malade  réagit  de 
la  façon  la  plus  favorable  et  maintenir  celle-ci  d'une  manière  prédo- 
minante. 

Il  est  souhaitable  de  ne  pas  avoir  à  donner  longtemps  de  grosses 
doses  de  bromure,  en  raison  de  la  dépression  générale  causée  sou- 
vent par  ce  médicament.  Au  contraire,  le  tartrate  borico-potassique 
donné  à  la  dose  de  4  à  6  grammes  par  jour  et  dont  nous  avons  montré, 
dans  une  série  de  travaux  en  collaboration  avec  MM.  Pierre 
Marie  et  Crouzon,  toute  la  valeur  thérapeutique,  n'exerce  sur  l'état 
général  aucune  influence  défavorable  :  il  constitue  seul  ou  associé  à 
d'autres  produits,  du  gardénal  en  particulier  donné  à  la  dose  de  10  à 
20  centigrammes  par  jour,  une  excellente  médication  de  fond  de  l'épi- 
lepsie  dite  essentielle.  C'est  aussi  la  conclusion  de  la  thèse  récente  de 
M.  Bénard. 

Cette  remarque  a  d'autant  plus  d'importance  qu'une  phase  de 
dépression  générale  fait  souvent  suite  à  l'état  de  mal  et  qu'il  convient 
de  ne  pas  en  augmenter  les  effets  par  l'emploi  trop  prolongé  des  bro- 
mures. L'autohémothérapie,  l'hyposulfite  de  soude  dont  René  Ma- 
thieu a  montré  les  heureux  effets  dans  d'autres  affections,  ne  nous  ont 
pas  donné  ici  de  résultat  appréciable. 

Traitement  général   et    diététique.    —    I!    a    une    importance 

considérable.    Il     ne    faut    pas    oublier,    en     effet,   que    les    sujets    en 


,;i  HENRI   BOUTTJER 


état  de  mal  ont  un  métabolisme  profondément  trouble',  que  surtout 
ils  ne  peuvent  pas  s'alimenter  et  qu'ils  subissent  une  déshydrata- 
tion intense.  Pour  rétablir  l'équilibre  dans  un  organisme  dont  les 
conditions  d'existence  sont  à  ce  point  modifiées,  vous  alimenterez 
artificiellement  ces  malades,  vous  introduirez,  grâce  au  tube  de  Fau- 
cher, des  liquides  dans  l'estomac  et  vous  lutterez  ainsi  le  mieux 
possible  contre  la  déshydratation  aiguë  à  laquelle  vos  malades 
sont  soumis 

On  peut  taire  aussi  avec  avantage  des  injections  sous-cutanées  de 
sérum  glucose.  Dans  tous  les  cas  il  faut  surveiller  le  cœur  et  le  toni- 
fier, en  particulier  par  la  spartéine.  s'il  vient  à  faiblir  sous  l'influence 
des  crises  eonvulsives. 

Enfin,  qu'il  s'agisse  de  formes  prolongées  ou  de  malades  évoluant  vers 
la  guérison  d'une  façon  plus  rapide,  il  convient  de  soutenir  dès  qu'on  le 
peut  les  forces  du  sujet  en  le  soumettant  à  une  alimentation  légère  sans 
doute,  mais  aussi  normale  que  possible.  C'est  le  meilleur  moyen  de 
lutter  contre  l'asthénie  profonde  et  prolongée  qu'on  observe  si  souvent 
à  la  suite  de  l'état  de  mal. 

Je  vais  vous  dire  un  simple  mot  du  traitement  chirurgical  de  l'état 
de  mal.  C'est  une  question  fort  importante  à  laquelle  M.  Souques  a 
déjà,  en  1910,  consacré  une  partie  de  son  rapport  sur  le  «  Traitement 
des  épilepsies  symptomatiques  par  la  trépanation  crânienne  ».  Elle  a 
fait  récemment  encore  l'objet  de  nombreux  travaux  et  rapports  à  la 
Société  de  chirurgie.  Vous  devrez  discuter  l'indication  opératoire 
toutes  les  fois  où  vous  serez  en  présence  d'un  état  de  mal  sympto- 
matique  d'une  tumeur  ou  d'une  lésion  traumatique,  ancienne  ou 
récente,  de  l'encéphale.  C'est  donc  une  indication  qu'il  faut  pour 
l'instant  réserver  aux  cas  graves,  rebelles  et  qui  se  distinguent  par 
l'existence  de  symptômes  en  foyer.  Vous  pourrez  alors  rendre  à  vos 
malades  de  grands  services  sur  lesquels  M.  Lenormant,  M.  Robert 
Picqué,  M.  Roux  Berger, Bollack  et  nous-même  avons  insisté, en  appor- 
tant chacun  une  ou  plusieurs  observations  démonstratives.  Mais  vous 
n'oublierez  pas  (pie  si  l'épilepsie  est  un  syndrome  et  non  une  maladie, 
l'état  de  mal  épileptique  est  lui  aussi  un  syndrome  qui  Comprend 
des  laits  très  disparates.  Nous  nous  sommes  efforcé  de  vous  montrer 
comment  il  faut  les  dissocier,  si  l'on  veut  appliquer  à  chaque  cas  parti- 
culier, suivant  les  résultats  de  l'empiète  étiologique,  une  médication 
rationnelle. 

Enfin,  lorsque  votre  malade    sera    sortie  de  l'état  de  mal.  VOUS   aurez 

garde  de  ne  pas  l'abandonner  à  elle-même.  Vous  instituerez  un  traite- 


L'ÉTAT  DE  MAL  ÉPILEPTIOUE  525- 

ment  de  fond  de  l'épilepsie,  en  évitant,  grâce  à  l'emploi  du  tartrate 
borico-potassique,  du  luminal  en  particulier,  l'usage  prolongé  et 
exclusif  des  bromures. 

Vous  varierez  ces  médications,  selon  les  résultats  obtenus  ; 
d'autres  fois,  au  contraire,  vous  pourrez  laisser  vos  malades  au 
même  traitement  pendant  plusieurs  mois  de  suite,  lorsque  celui-ci 
sera  bien  efficace  et  toléré.  C'est  souvent  le  cas,  en  particulier,  pour  le 
tartrate  borico-potassique,  puisque  nous  avons,  avec  MM.  Pierre  Marie 
et  Crouzon,  des  malades  de  la  clinique  qui  suivent,  avec  avantage  et 
sans  intolérance,  ce  traitement  depuis  plus  de  18  mois,  Et  surtout  vous 
montrerez  à  vos  malades  l'importance  qu'il  y  a  à  ne  pas  suspendre  la 
médication,  à  ne  pas   en   modifier   les  doses,  sans  avis  préalable. 

Vous  pourrez  ainsi,  par  ce  traitement  préventif,  éviter  dans  beau- 
coup de  cas  l'apparition  des  accidents  de  l'état  de  mal  dont  vous  avez 
apprécié,  par  les  exemples  que  nous  vous  avons  donnés,  la  gravité 
clinique  et  souvent  pronostique. 


VINGTIÈME  CONFÉRENCE 


M.  le  Professeur  PIERRE  MARIE 

EXISTE-T-ILCHEZ   L'HOMME,  DES  CENTRES   PRÉFORMÉS 
OU  INNÉS  DU  LANGAGE  ? 

(Conférence  recueillie  par  M.  André-Pierre  Marie, 

Interne  des  Hôpitaux  . 

Messieurs, 

Dans  une  précédente  leçon  je  vous  ai  présenté,  en  série,  des  malades 
qui    offraient  un   tableau   très    net    de    différents     troubles    du 
langage  appartenant  à  l'Aphasie,  ou   considérés  comme-tels. 

Vous  vous  souvenez  que  nous  avons  pu  classer  ces  malades  en  trois 
catégories  parfaitement  distinctes  les  unes  des  autres. 

A.  —  Ceux  qui  parlent  sans  trouble  notable  de  l'articulation  et  sou- 
vent même  avec  une  certaine  abondance,  mais  avec  un  vocabulaire 
extrêmement  restreint,  et  en  employant  parfois  des  mots  impropres, 
incorrects  ou  incompréhensibles.  • 

—  Ils  comprennent  mal  et  exécutent  incomplètement  les  ordres  qui 
leur  sont  donnés  verbalement. 

—  Us  ne  peuvent  plus  lire. 

—  Ils  ne  peuvent  plus  écrire. 
Ce  sont  les  Aphasiques  typiques. 

B.  —  Ceux  qui  ne  parlent  qu'avec  une  difficulté  extrême  d'articu- 
lation, parfois  seulement  par  monosyllabes,  mais  qui  : 

—  Comprennent  et  exécutent  très  bien  les  ordres  donnés  verba- 
lement ; 

—  Exécutent  très  bien  les  ordres  qui  leur  sont  donnés  par  écrit. 

—  Ils  peuvent  écrire,  mais  de  la  main  gauche,  car  ils  sont  hémiplé- 
giques à  droite. 

Ce  ne  sont  pas  là  des  Aphasiques,  ce  sont  simplement  des  Auar- 
ihriques. 


PIERRE  MARIE 


C.  —  (-eux.  qui  : 

—  Ne  parlent  pas  OU  répètent  tout  au  plus  quelques  syllabes  sans 
signification  ; 

—  Ne  comprennent  pas  et  n'exécutent  pas  les  ordres  qui  leur  sont 
donnés  verbalement  ; 

—  Ne  peuvent  pas  lire  ; 

—  Ne  peuvent  pas  écrire,  même  de  la  main  gauche,  étant  donné 
qu'ils  sont  hémiplégiques  à  droite. 

Ce  sont  les  Aphasiques  de  Broca. 

Après  vous  avoir  présenté  ces  malades,  je  vous  ai  montré  sur  l'écran 
les  projections  photographiques  des  lésions  cérébrales  qui  donnent  lieu 
à  ces  différents  états  cliniques. 

Pour  la  catégorie  A  —  les  Aphasiques  typiques  : 

Lésion  :  du  pli  courbe  : 

du   pied  des  deux  premières   temporales 
et  parfois   aussi  du  gyrus   supramarginalis. 

Pour   la  catégorie  B  —  les  Anarthriques  : 

Lésion  dans  un  segment  du  cerveau  limité  en  avant  par  un  plan 
vertical  passant  au-devant  de  la  circonvolution  antérieure  de  l'insula 
et  en  arrière  par  un  plan  vertical  passant  derrière  la  circonvolution 
postérieure  de  l'insula.  —  La  3°-  circonvolution  frontale  étant  mainte- 
nue en  dehors  de  ce  segment  que  j'ai  appelé  «  quadrilatère  de  l'Anar- 
thrie ». 

Pour  la  catégorie  C  —  les  Aphasiques  de  Broca  : 

Lésion  des  mêmes  territoires  que  dans  l'Aphasie  typique,  c'est-à- 
dire  : 

Lésion  :  du  pli  courbe  ; 

du  pied   des  deux   premières  temporales, 
parfois  aussi  du  gyrussupramarginaiis. 

Et  en  outre,  lésion  du  même  territoire  que  dans  l'Anarthrie%  c'est-à- 
dire  : 

Lésion  dans  le  quadrilatère  de  l'Anarthrie. 

En  un  mot  l'Aphasie  de  Broca  n'est  autre  chose  qu'une  combinaison 
de  l'Aphasie  typique  avec  l'Anarthrie. 

Je  n'ignore  pas,  Messieurs,  que  celte  Doctrine  que  j'ai  établie  et 
développée  il  v  a  une  quinzaine  d'années  est  tout  l'opposé  de  la 
Doctrine  Classique,  mais  j'ai  tout  lieu  de  penser  qu'elle  est  beaucoup 
plus  près  de  la  vérité  que  cette  dernière.  Je  vais  chercher  à  vous 
démontrer,  dans  cette  Leçon,  combien  fragiles  sont  les  bases  sur  les- 
quelles  repose  la  Doctrine  Classique . 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE    529 

Vous  savez  tous,  Messieurs,  que  c'est  à  Paul  Broca  que  l'on  doit 
d'avoir,  en  18(51  pour  la  première  fois,  bien  étudié  et  décrit  l'Aphasie. 
Il  lui  assigna  comme  cause  une  lésion  de  la  IIIe  circonvolution  fron- 
tale. Son  œuvre  fut  toute  de  Clinique  et  d'Anatomie  Pathologique. 


Fig.  1.  —  Coup»  horizontale  de  l'hémisphère  gauche  du  cerveau.  Le  quadrilatère  compris  entre  les 
lignes  A  et  B  représente  le  quadrilatère  de  l'Anarthrie.  On  remarquera  que  la  III"  frontale  qui  est 
en  avant  de  la  ligne  A  se  trouve  tout  à  fait  en  dehors  de  ce  quadrilatère.  —  En  I  se  trouve  l'Isthme 
de  substance  blanche  qui  relie  le  quadrilatère  de  l'Anarthrie    avec  la  zone  de  Wernicke. 


Un  autre  élément  n'allait  pas  tarder  à  dominer  l'étude  de  l'Aphasie 
et  à  la  faire  dévier  de  laméthode  anatomo-clinique  d'Observation  pure  ; 
cet  élément  fut  l'Elément  Théorique.  Il  semble  bien  qu'une  fois  de  plus 
un  «  Pourquoi  »  prématuré  ait  nui  à  la  recherche  un  peu  plus  terre  à 
terre  mais  combien  plus  sûre  du  «  Comment  ». 

C'est  Wernicke,  l'un  des  meilleurs  neuro-psychiatres  allemands  de 
la  seconde  moitié  du  XIXe  siècle  qui  ouvrit  l'ère  des  théories,  et  il 
l'ouvrit  brillamment. 

En  effet,  en  1879,  Wernicke  montrait  qu'il  existe  une   autre    Aphasie 

CONFÉR,     NEDROL,  34 


530  PIERRE    VARIE 


que  l'Aphasie  de  Broca,  une  Aphasie  dans  laquelle  les  troubles 
«  moteurs  »  de  la  parole  faisaient  défaut.  Il  appela  cette  Aphasie  nou- 
velle Aphasie  sensorielle. 

Cette  dénomination  contenait  toute  une  théorie. 

Pour Wernicke et  bientôtaprès  pour  Kussmaul,  qui  développa  avec 
talent  les  mêmes  idées,  l'écorce  cérébrale  renferme,  en  certains  terri- 
toires, des  «  Centres  Sensoriels  »  servant  de  lieu  de  réception,  d'em- 
magasinement,  et  au  besoin  d'élaboration  aux  «  Images  »  recueillies  par 
les  appareils  des  sens  (appareils  sensoriels).  Donc,  pour  ce  qui  a  trait 
au  langage,  l'écorce  cérébrale  contiendrait  un  centre  d'images  auditives 
et  un  centre  d'images  visuelles  du  langage. 

Si,  par  une  lésion  quelconque,  ces  centres  viennent  à  être  détruits,  le 
malade  privé  de  ses  Images  auditives  devient  incapable  de  comprendre 
ce  qu'on  lui  dit  et  de  parler  de  façon  normale,  il  est  atteint  de  Surdité 
Verbale.  —  Est-il  privé,  par  une  autre  lésion,  de  ses  Images  visuelles, 
il  devient  incapable  de  lire  et  d'écrire,  il  est  atteint  de  Cécité  Verbale. 
Ce  sont  là  :  Surdité  Verbale  et  Cécité  Verbale,  les  deux  éléments 
constituants  de  l'Aphasie   Sensorielle  de  Wernicke. 

On  pensait  alors,  en  1874,  que  le  Centre  Visuel  siège  au  Pli  Courbe  ou 
dans  son  voisinage  ;  —  que  le  Centre  Auditif,  d'après  Meynert,  siège 
dans  la  région  postéro-moyenne  de  la  Pe  Circonvolution  Temporale. 

Or  c'est  précisément  au  niveau  du  Pli  Courbe  et  de  la  lie  Circonvo- 
lution Temporale  que  se  trouvaient  les  lésions,  chez  les  malades  atteints 
de  la  Nouvelle  forme  d'Aphasie  que  Wernicke  venait  de  faire  con- 
naître. 

Le  Psychiatre  allemand,  en  décrivant  ce  qu'il  croyait  être  une  nou- 
velle forme  d'Aphasie,  admettait  d'ailleurs,  sans  conteste, l'existence  et 
la  localisation  de  l'Aphasie  Classique  décrite  par  Broca,  mais  il  en 
donnait  une  interprétation  physio-pathologique  particulière.  —  Pour 
lui,  l'Aphasie  de  Broca  était  une  Aphasie  Matrice  et  non  pas  Sensorielle. 
Il  n'émettait  d'ailleurs  aucun  doute  sur  la  spécificité  de  la  lit  Frontale 
en  tant  que  centre  du  langage,  mais  c'était  là  un  «  Centre  Moteur»  du 
langage  tout  à  fait  différent  des  «  Centres  Sensoriels  »  constituant  la 
base  de  sa  doctrine,  et,  chez  les  Aphasiques  de  Broca,  c'était  la  lésion 
de  ce  Centre  Moteur  du  langage  qui  déterminait  les  troubles  méca- 
niques de  la  parole  et  l'Aphasie. 

La  théorie  de  Wernicke  était  extrêmement  séduisante,  et    au    moment 

où  elle  fut  émise,  tout  semblait  concorder  pour  en  démontrer  le  bien 
fondé.  Depuis  lors  les  choses  ont  beaucoup  changé. 

En  effet,  un  grand  nombre  d'auteurs  pensaient  en  1874  que  le  centre 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  531 


cortical  de  la  vision  siège  sur  la  face  convexe  de  l'hémisphère,  au  niveau 
du  Pli  Courbe.  Les  travaux  ultérieurs  ont  montré  qu'en  réalité  le  centre 
de  la  vision  siège  sur  la  l'ace  interne  de  l'hémisphère,  dans  les  circon- 
volutions juxta-calcarines.  —  Voilà  pour  le  soi-disant  Centre  Sensoriel 
Visuel  au  niveau  du  Pli  Courbe. 

Quant  au  Centre  Auditif,  si  tant  est  qu'il  existe  un  Centre  Cortical  de 
l'Audition,  son  siège  est  loin  d'être  connu  d'une  manière  certaine, 
malgré  de  nombreux  travaux,  y  compris  le  remarquable  volume  con- 
sacré récemment  à  ce  sujet  par  le  professeur  Henschen,  de  Stockholm. 
En  réalité,  nous  sommes  fondés  à  nous  demander  s'il  existe  dans  1  Ecorce 
Cérébrale  un  Centre  de  l'Audition.  —  Et  si  un  pareil  centre  existe,  rien 
encore  ne  nous  autorise  cliniquement  à  lui'assigner  un  siège  déterminé. 

Pour  la  IIIe  Circonvolution  Frontale  considérée  comme  centre  du 
langage  parlé,  nous  verrons  dans  le  cours  de  cette  Leçon  ce  qu'il  en 
faut  penser.  Qu'il  me  suffise  actuellement  de  rappeler  qu'un  certain 
nombre  de  cas  ont  été  publiés  dans  lesquels  une  lésion  manifeste  de  la 
IIIe  Frontale  ne  s'accompagnait  pas  d'Aphasie. 

Voilà  trois  catégories  d'arguments  qui  auraient  dû,  sans  doute,  faire 
réfléchir  les  adeptes  de  la  théorie  de  Wernicke. 

Mais  l'élan  était  donné,  de  toutes  parts  les  Neurologistes  se  précipi- 
taient pourdécrire  dans  ces  Centres  Sensoriels  quelques  centres  plus 
spéciaux,  par  exemple  ceux  des  lettres  de  l'alphabet,  ou  de  la  musique, 
etc.,  ou  encore  pour  établir  ^des  connexions  plus  ou  moins  compli- 
quéesentre  les  différents  Centres  sensoriels,  de  même  qu'entre  ceux-ci 
et  le  Centre  moteur  du  langage. 

On  pourrait,  en  toute  vérité,  donner  à  cette  époque  de  l'Histoire  de 
l'Aphasie  le  nom  de  Phase  Géométrique,  car  on  ne  tarda  pas  à  voir  les 
Neurologistes  travailler,  bien  moins  d'après  les  malades  eux-mêmes, 
que  d'après  des  Epures  de  leur  invention. 

Le  médecin  allemand  Lichtheim  semble  avoir  été  l'introducteur  du 
premier  schéma  sur  l'Aphasie,  et  on  sait  avec  quel  succès  ! 

Ce  fut  à  qui  inventerait  et  décrirait  à  l'avance  telle  ou  telle  forme 
d'Aphasie,  ou  même  prédirait  la  possibilité  de  l'observer  cliniquement 
suivant  que  tels  ou  tels  centres  seraient  isolément  ou  conjointement 
lésés,  ou  suivant  que  la  lésion  porterait  sur  telle  ou  telle  des  connexions 
par  lesquelles  ces  centres  étaient  réputés  reliés  entre  eux.  Et  on 
a  vu  surgir  des  Aphasies  Corticales,  Souscorticales,  Transcorti- 
cales, etc.,  etc. 

Mon  Maître  Charcot.  lui-même,  se  laissa  gagner  par  l'enthousiasme 
général.  Le  Professeur  Grasset,    de  Montpellier,    fut  et   demeura  l'un 


532 


PIERRE  MARIE 


des  plus  chauds  et  des  plus  brillants  partisans  de  la  Géométrie  Poly- 
gonale pour  l'étude  de  l'Aphasie,  comme  pour  celle  des  processus 
psychologiques  les  plus  délicats. 


Fig.  2. — Epure  représentant  d'après  Lichtheim-Kussmaul  les  connexions  des  différents  centres  du 
langage  et  leurs  voies  afférentes  et  effèrentes.  I.  centre  intellectuel.  A,  centre  auditif.  O.  centre  visuel. 
M,  centre  moteur  du  langage.  E,  centre  de  l'écriture. 

En  résumé,  pour  établir  la  Doctrine  Classique  de  l'Aphasie,  on  est 
parti  d'une  hypothèse  non  démontrée  et  on  a  érigé  sur  cette  hypothèse 
tout  un  édifice  qu'il  a  fallu  ensuite  démolir.  Je  m'y  suis  employé  de 
mon  mieux. 

Je  ne  crois  pas  qu'aucune  démonstration  vous  lasse  mieux  comprendre 
l'inanité  des  soi-disant  Centres  Sensoriels  du  langage  que  celle  qui 
ressort  de  l'étude  de   I'Evolution  du    langage  échit. 


C  est  une  bien  longue  histoire  que  celle  de  l'Ecriture,  je  dis  à  dessein 
«  écriture  »  et  non  pas  «  langage  écrit  »,  car  vous  allez  voir  que  ces 
deux  mots  sont  loin  d'être   synonymes. 

Il  semble  légitime  de  considérer  comme  une  l'orme  d'«  écriture  »  cer- 
tains documents  ethnographiques,  émanant  de  peuplades  sauvages, 
qui  donnent  une  représentation  réelle  et  directe  île  certains  objets  ou 
de  certains  faits  sur  lesquels  l'auteur  du  dessin  très  primitif  sans 
doute,  vent  appeler  l'attention  de  ses  compagnons  demeurés  loin  de  lui. 

Parfois  encore  ces  représentations  graphiques  ont  pour  but  de  fixer 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  533 

dans  la  mémoire  des  membres  de  la  tribu  le  souvenir  de  telle  ou  telle 
expédition,  de  tel  ou  tel  haut  fait.  Elles  rappellent,  par  des  sortes  de 
dessins  rétrospectifs  et  explicatifs,  comment  l'expédition  a  eu  lieu  dans 
le  temps  ou  dans  l'espace  ;  par  exemple  en  figurant  le  nombre  de 
bateaux  qui  out  pris  part  à  l'expédition,  le  nombre  de  jours  (images 
alternées  du  soleil,  de  la  lune),  pendant,  lesquels  il  a  fallu  marcher  ou 
naviguer  pour  joindre  l'ennemi,  etc.,  etc. 

C'est  là  l'Ecriture  Représentative.  Il  est  évident  qu'elle  n'a  rien  à  faire 
avec  le  langage  écrit,  bien  que,  comme  celui-ci,  elle  puisse  être  conser- 
vatrice de  souvenirs  etévocatrice  d'idées. 

Pour  constituer  le  «  Langage  Ecrit  »  il  faut  quelque  chose  de  plus,  il 
faut  qu'il  y  ait  traduction  graphique  du  langage  parlé,  il  faut  que  le 
«  mot  »  passe  sur  la  pierre  ou  sur  le  papier. 

Mais  ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  ce  soit  par  la  simple  mise  en 
œuvre  de  son  prétendu  centre  visuel  du  langage  que  l'homme  soit  arrivé 
à   ce  progrès  mémorable  de  la  matérialisation  de  la  parole. 

Les  faits  sont  tout  autres.  Il  a  fallu  des  milliers  d'années  et  d'innom- 
brables générations  successives  d'hommes  évoluant  dans  une  civilisa- 
tion déjà  assez  raffinée,  pour  parvenir  à  transformer  la  parole  en  signes 
écrits. 

Rien  n'est  plus  curieux  et  plus  suggestif  qu'un  coup  d'oeil  sur  la  suc- 
cession des  phases  si  diverses  qu'a  subies  la  conquête  du  langage  écrit. 
C'est  surtout  aux  travaux  des  Egyptologues  et  des  Sinologues  que  nous 
devons  de  les  connaître.  Parmi  ceux-ci  je  vous  signalerai  les  ouvrages 
de  M.  de  Rougé  et  de  M.  Berger  auxquels  sont  empruntés  les  éléments 
de  la  démonstration  que  je  désire  faire  devant  vous. 

La  vénérable  Egypte,  berceau  de  la  plupart  des  civilisations  méditer- 
ranéennes, va  nous  fournir  tous  les  documents  nécessaires. 

On  peut  distinguer  dans  l'évolution  de  l'Ecriture,  sur  les  monuments 
Egyptiens,  les  périodes  suivantes  : 

A.  —  Une  première  Période,  celle  des  Idéogrammes,  pendant  laquelle 
les  hiéroglyphes  sont  déjà  des  signes  nettement  conventionnels  mais 
dérivés  vraisemblablement  d'une  période  préhistorique  de  Représen- 
tations graphiques  directes,  telles  que  celles  dont  il  a  été  question  plus 
haut  dans  certaines  peuplades  sauvages. 

C'est-à-dire  que  ces  Idéogrammes  qui  ont,  de  par  une  convention 
déjà  plus  ou  moins  ancienne,  une  signification  précise  et  désignent  soit 
un  objet,  soit  une  idée  simple,  ne  sont  autre  chose  qu'un  vestige  parfois 
méconnaissable  et  tout  à  fait  schématique  de  la  représentation  même 
de  l'objet  qu'ils  désignent. 


■  :i 


PIERRE   MARIE 


C'est  une  Montagne,  une  Fleur,  un  Œil,  le  Ciel.  —  Tous  ces  signes 
sont  d'un  dessin  simplifié,  schématique,  conventionnel.  — Mais  ce  qui, 


Fig.  3.  —  Hiéroglyphe  de  l'eeî 


Fig.  4.  —  Hiéroglyphe  du  ciel. 


au  point  de  vue  de  l'évolution  de  l'Ecriture,  constitue  un  progrès  con- 
sidérable sur  les  Représentations  graphiques  pures  et  simples,  c'est  que 
plus  ces  hiéroglyphes  se  schématisent  linéairement,  plus  leur  signifi- 
cation et  les  idées  qu'elles  indiquent  se  multiplient  et  se  compliquent. 

Prenons  par  exemple  l'hiéroglyphe  du  Ciel  :  nous  le  voyons  acquérir 
l'équivalence  non  pas  seulement  de  «  plafond  »,  mais  de  toute  une 
série  d'idées  abstraites  qui,  dans  le  domaine  figuré,  sont  venues  se 
greffer  sur  l'idée  de  hauteur  du  Ciel,  par  exemple  l'idée  de  «  supério- 
rité »,  d'  «  élévation  ». 

A  un  point  de  vue  un  peu  moins  abstrait  et  plus  voisin  des  Repré- 
sentations Graphiques  simples,  une  Etoile  attachée  au  Ciel  (fig.  5)  indi- 


T 


Fig  5.  —  Hiéroglyphe  du  ciel  auquel  est  ap- 
pendue  une  étoile,  représentation  de  la  nuit, 
de  l'obscurité. 


Fig.  6  -  Hiéroglyphe  du  ciel  auquel  sont  ap- 
pendus  de  petits  tourbillons,  signifie  pluie, 
orages. 


quera  l'idée  de  «  Nuit  »,  d'  «  Obscurité  ».  —  Si  au  lieu  d'une  Etoile  ce 
sont  de  petits  tourbillons  qui  descendent  du  Ciel,  on  aura  l'idée  de 
«  Pluie  »,  de  «  Nuages  »,  d'Orage  »  (fig.  6). 

Ces  Idéogrammes  avaient  fini  par  se  prêter  même  à  la  représentation 
de  l'idée  de  «  Mouvement  »,  ainsi  qu'en  témoignent  les  deux  hiéroglyphes 
reproduits  ici  (fig.  7)  où  l'on  voit,  d'après  la  position  d'un  serpent 
dans  un  Enclos,  ou  une  Maison,  la  figuration  de  l'idée  d' «  entrer  » 
et  de  l'idée  de  «  sortir  ».  Quant  à  l'idée  de  «  Négation  »,  elle  était  tra- 
duite dune  façon  très  avisée  par  l'hiéroglyphe  représentant  deux  mains 


ig.    7  Deux  hiéroglyphes  indiquant    l'idée 

de    mouvement,  celui    de  gauc-Se   l:iele  d'en- 
trer,   celui    de    droite  l'acte    de    sortir. 


Fig.  8.   —  Hiéroglyphe    de   la   négation  :  ileux 
mains  tournées  en  sens  opposé. 


EX1STE-T-1L  DES  CENTRES  PBÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  535 

dirigées  en  sens  contraire,  comme  pour  rejeter  la  chose  en  question 
(fig.8). 

On  voit  que,  dans  cette  période,  l'Ecriture  Hiéroglyphique  n'est 
presque  plus  directement  représentative  d'objets,  elle  est  devenue 
surtout  indicatrice  et  évocatrice  d'idées,  même  d'idées  abstraites.  — 
Et  cependant  elle  n'a  encore  en  réalité,  avec  le  langage  parlé,  aucune 
connexion. 

B.  — Il  faut  arriver  à  une  deuxième  Période,  d'une  antiquité  beau- 
coup moins  reculée,  pour  voir  se  produire  l'un  des  plus  grands  progrès 
qu'ait  faits  l'Humanité  dans  son    perpétuel  «  devenir  ». 


0 


Fig.  9.  —  Hiéroglyphe  du  soleil  «  ra  »  qui  plus  Fig.  10.  —  Hiéroglyphe  du  pain  tf  ta  »  qui  plus 

tard    représenta    phonétiquement   la   syllabe  tard    représenta    phonétiquement    la    syllabe 

«  ra  ».  «  ta  »  puis  la  lettre  «  t  ». 

L'Ecriture  va  contracter  d'intimes  rapports  avec  le  Langage  Parlé  : 
elle  va  devenir  Phonétique.  Au  lieu  de  reproduire,  par  des  signes  sché- 
matiques, des  objets  ou  des  idées  liées  à  ces  objets,  l'Ecriture  repro- 
duira désormais  les  sons  mêmes  du  langage  parlé.  Voici  comment  : 

A  force  de  désigner,  de  générations  en  générations,  les  objets  et  les 
idées  par  leur  hiéroglyphe  figuratif,  les  Egyptiens  avaient  fini  par  relier 
si  intimement,  dans  leur  esprit,  le  nom  de  l'objet  et  son  hiéroglyphe 
que,  pour  les  noms  qui  étaient  monosyllabiques,  ils  en  arrivèrent  à 
identifier  la  syllabe  représentative  de  l'objet  et  son  hiéroglyphe.  C'est 
ainsi  que  le  nom  du  «  Soleil  »  étant  ra  (fig.  9),  l'hiéroglyphe  du 
«  Soleil  »  désigna  la  syllabe  ra.  —  Le  «  pain  »  se  disant  ta  (fig.  10), 
Thiérogljqjhe  du  «  pain  »  désigna  la  syllabe  ta.  —  La  «  Bouche  »  s'ap- 
pelant  rou  (fig.  ll),l'hiérogl3Tphe  delà  «  bouche  »  désigna  la  syllabe  rou. 


Fig.  11.  —  Hiéroglyphe  de  la  bouche  «  rou  »    qui  plus  tard  phonétiquement 
représenta  la  syllabe  «  rou  »,  puis  la  lettre  t  r  ». 

Peu  à  peu  l'habitude  fut  prise  également,  pour  certains  noms  poly- 
syllabiques d'objets,  de  désigner  par  l'hiéroglyphe  de  ces  objets  la 
première  syllabe  de  leur  nom.  —  C'est  ainsi  que  grâce  à  ces  différentes 
syllabes,  représentées  chacune  par  un  hiéroglyphe  particulier,  on 
arriva    à  constituer  une    Ecriture    Phonétique   Syllabique.   Dès  ce 


pi  eu  m:  m  au  ii-: 


moment  les   sons  étaient  fixés  et  reproduits  par  l'écriture,    la  base  du 
système  phonétique  actuel  était  acquise. 

Un  nouveau  progrès  restait  à  réaliser  ;  il  fallait,  pour  traduire  toutes 
les  linesses  de  la  parole,  que  l'Ecriture  ne  demeurât  pas  phonétique 
syllabique,  mais  put  traduire  par  une  série  de  lettres,  avec  leurs  com- 
binaisons multiples  presque  infinies,  tous  les  sons  différents  du  lan- 
gage parlé.  Il  fallait,  en  un  mot,  que  l'Ecriture  devint  une  Eckiture 
Phonétique  Alphabétique.  Cette  fois  encore  aucune  trouvaille  de  génie 
n'intervint,  c'est  le  flux  et  le  reflux  des  générations  successives  cpii,  par 
une  sorte  de  lente  érosion, détacha  les  lettres  d'avec  les  syllabes.  En  effet, 
peu  à  peu  le  son  par  lequel  commençait  une  syllabe  fut  isolé  et  consti- 
tua une  lettre  représentée  par  l'hiéroglyphe  même  de  la  syllabe,  c'est 
ainsi  que  l'hiéroglyphe  du  «  pain  »,  la  (fig.  7),  devint  la  lettre  /,  que 
l'hiéroglyphe  de  la  «  bouche  »  rou,  devint  la  lettre  r  (fig.  8),  et  ainsi 
de  suite.  —  L'Ecriture  Phonétique  Alphabétique  était  enfin  créée. 
On  sait  l'usage  qu'en  ont  fait  les  civilisations  ultérieures.  Cette  Ecri- 
ture est  le  merveilleux  instrument  qui  nous  permet  de  traduire,  avec 
toute  la  souplesse  phonétique  possible,  nos  pensées  et  notre  langage, 
et  qui  relie  d'une  façon  si  intime  et  si  féconde,  celui-ci  et  celles-là 

J'en  ai  fini,  Messieurs,  avec  cette  digression,  un  peu  longue  peut-être, 
sur  l'Evolution  du  Langage  écrit.  Nous  allons  chercher  maintenant  à 
tirer  quelques  conclusions  des  notions  que  je  viens  d'exposer  devant 
vous,  et  qui,  vous  vous  en  convaincrez  facilement  vous-mêmes,  sont 
loin  d'être  un  hors-d'œuvre  dans  l'étude  de  la  fonction  du  langage  et 
des    troubles  qu'elle  peut  présenter. 

La  première  Conclusion  qui  me  semble  s'imposer  est  la  suivante  : 
Dans  la  formation  du  langage  écrit,  il  faut  avouer  que  l'Homme,  en  tant 
qu'Unité  ou  parcelle  de  Société,  a  joué  un  rôle  bien  effacé.  On  pourrait, 
sans  paradoxe,  soutenir  que  ce  n'est  pas  l'Homme  qui  a  inventé  le  lan- 
gage écrit,  ce  n'est  pas  une  Idée  qui  a  déterminé  la  formation  de  celui- 
ci.  Le  grand,  l'admirable  Monument  s'est  élevé  sans  plan,  sans  archi- 
tecte, comme  au  hasard.  Seul  le  Temps,  ouvrier  lent  et  sûr,  s'est  chargé 
de  dégrossir  l'amas  informe,  et  il  l'a  poli,  comme  nos  grands  glaciers 
tant  de  fois  millénaires  savent  polir  le  roc  sur  lequel  leurs  vagues 
immobiles  glissent  inlassablement. 

Si  j'insiste  sur  le  rôle  effacé  de  l'homme  dans  la  formation  du  Langage 
Ecrit,  c'est  pour  en  tirer  un  argument  lorsque,  dans  la  suite  de  cette 
Leçon,  je  chercherai  à  vous  démontrer  l'inanité  de  l'opinion  classique 
qui  a  peuplé  de  centres  innés  du  langage  la  COrticalité  du  CCI  -veau 
humain. 


EX1STE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  537 

En  effet,  vous  pensez  bien,  Messieurs,  que  l'usage  de  tout  centre 
existant  dès  la  naissance  dans  le  cerveau  humain  correspond  à  une 
fonction  qui  s'exécute  aisément,  naturellement,  et  comme  d'elle-même. 
S'il  existait,  ainsi  qu'on  l'a  enseigné,  dans  le  cerveau  humain,  des  cen- 
tres innés  pour  l'écriture  et  pour  la  lecture,  soyez  assurés  que 
l'Homme  n'aurait  pas  attendu  tant  de  milliers  d'années  pour  être  en 
état  de  traduire  son  langage  oral  en  langage  écrit. 

Soit,  diront  les  partisans  des  centres  cérébraux  pour  la  lecture  et 
pour  l'écriture,  il  est  possible  qu'à  l'aube  de  ses  obscures  origines 
l'homme  primitif  n'ait  pas  eu  dans  son  cerveau  de  centres  spéciaux 
pour  le  langage  écrit,  mais  depuis  tant  de  siècles  qu'il  y  a  des  hommes, 
et  qui  lisent,  ces  centres  spéciaux  se  sont  peu  à  peu  formés  par  un  de 
ces  lents  processus  d'adaptation  dont  Darwin  et  ses  élèves  ont  cité  de 
si  curieux  exemples. 

Eh  bien,  Messieurs,  même  ainsi  modifiée,  la  doctrine  de  l'existence 
de  centres  du  langage  écrit,  se  transmettant  par  hérédité,  n'est  pas  sou- 
tenable.  Pour  s'en  convaincre  il  suffit  de  réfléchir  un  instant.  Comment 
une  pareille  transmission  héréditaire  aurait-elle  pu  se  produire  ?  Certes 
le  langage  écrit  phonétique  est  connu  depuis  au  moins  deux  ou  trois  mille 
ans,  mais  il  faut  noter  ce  fait  capital  qu'à  ce  langage  écrit  les  élites  seules 
ont  eu  part.  Pendant  tout  le  Moyen  Age  il  fut  surtout  l'apanage  des 
prêtres  et  des  moines  qui  le  transmettaient  à  leurs  élèves,  donc  aucun 
lien  de  parenté  n'existait  entre  ceux-ci  et  les  maîtres  ;  dans  ces  condi- 
tions aucune  influence  héréditaire  ne  saurait  être  invoquée.  Considérez 
maintenant  nos  Sociétés  actuelles,  combien  de  leurs  membres  trouve- 
riez-vous  pouvant  affirmer  que  le  père  de  leur  trisaïeul  savait  lire  ou 
écrire  ? 

N'oubliez  pas,  Messieurs,  que  par  une  loi  inéluctable  les  élites  dis- 
paraissent et  ne  laissent  guère  de  progéniture.  Incessamment  leurplace 
vide  est  prise  par  ce  que  l'on  a  appelé  si  justement  «  les  nouvelles 
couches  »  ;  or  les  ascendants  de  ces  nouveaux  venus  ne  savaient  ni  lire 
ni  écrire  et  n'ont  pu,  par  conséquent,  transmettre  à  leurs  descendants 
des  centres  pour  la  lecture  et  l'écriture,  puisqu'ils  en  étaient  eux-mêmes 
dépourvus.  Est-ce  donc  en  trois  ou  quatre  générations  que  de  tels 
centres  seraient  en  état  de  se  former  pour  être  ensuite  transmis 
héréditairement  ?   Qui  pourrait  le  penser    un    seul  instant  ? 


J'arrive  maintenant  au    Langage  Parlé.  —  Trocède-t-il   de  centres 
innés  ? —  Quels  seraient  ces   centres  ? 


PIERRE  MARIE 


Je  ne  vous  cacherai  pas,  Messieurs,  que  cette  partie  de  ma  tâche  sera 
de  beaucoup  la  plus  ardue,  non  pas  à  cause  des  faits,  objectivement  ils 
sont  patents,  lumineusement  évidents  ;  —  ce  qui  crée  la  difficulté  de  ma 
tâche,  c'est  qu'ici  je  vais  me  heurter  à  un  parti  pris  formel  de  croire 
quand  même  et  malgré  tous  les  arguments,  de  croire  pour  croire,  non 
seulement  parce  que  «  le  Maître  l'a  dit  »,  mais  parce  que  des  générations 
de  Maîtres  et  d'Elèves  l'ont  répété,  de  croire  en  un  mot  parce  qu'il  y  a, 
même  dans  le  domaine  scientifique,  des  dogmes  qu'il  n'est  pas  permis 
d'ébranler  et  dont  la  foule  ignorante,  mais  d'autant  plus  croyante,  prend 
instinctivement  la  défense. 

Ici  nous  sommes  en  présence  du  Dogme  de  la  IIIe  frontale,  et  je  sais 
ce  qu'il  en  coûte  de  s'y  attaquer. 

En  1906,  après  une  consciencieuse  étude  préalable  d'une  dizaine 
d'années,  j'avais  eu  l'imprudence  de  dire  ce  que  je  pensais,  sur  la  réalité 
des  fonctions  de  la  IIIe  frontale.  J'avais  exposé  mon  opinion  que  cette 
troisième  circonvolution  n'avait  rien  à  faire  avec  la  fonction  du  lan- 
gage. Hélas  !  le  ban  et  Tarrière-ban  desNeurologistesetdes  Psychiatres, 
surtout  à  l'étranger,  se  dressèrent  contre  moi,  et  les  anathèmes  de 
pleuvoir, je  passe  sur  les  injures. 

Je  dus  livrer  un  assez  dur  combat  pour  soutenir  mes  idées,  mais  je 
parvins  à  dire  ce  que  j'avais  à  dire.  C'était  tout  ce  que  je  demandais. 
Depuis  lors  je  me  suis  tu,  attendant  que  l'évolution  se  fasse,  elle  s'est 
faite  ou  plutôt  elle  est  en  train  de  se  faire,  mais  avec  quels  tâtonne- 
ments !  avec  quelles  hésitations!  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  la  IIIe  fron- 
tale !  —  Devant  ce  dogme  une  horreur  sacrée  s'empare  des  auteurs, 
même  les  mieux  intentionnés,  il  semble  que  la  crainte  d'un  sacrilège 
continue  à  les  hanter. 

J'aurais  volontiers  continué  à  garder  le  silence,  car  il  est  générale- 
ment assez  fastidieux  de  revenir  sur  un  sujet  qu'on  a  déjà  traité,  mais  il 
se  trouve  que  mes  idées  sur  la  fonction  du  langage  ont  un  peu  évolué, 
je  suis  actuellement  convaincu  que  dans  le  cerveau  humain  il  n'existe  pas 
pins  de  centres  innés  pour  le  langage  parlé  que  pour  le  langage  écrit.  Et 
c'est  là  la  thèse  que,  pour  la  première  fois,  j'ai  voulu  exposer  aujour- 
d'hui devant  vous. 

Après  ce  préambule  indispensable  pour  vous  prémunir  contre  tout 
réflexe  de  dogmatophilie  exagérée,  nous  allons  envisager  ce  qui  a  trait 
à  la  IIIe  frontale  et  au  Langage  Parlé. 

J'ai  eu  déjà  l'occasion  de  vous  dire,  au  début  de  cette  Conférence, 
qu'au  point  de  vue  anatomo-pathologiquc  les  arguments  les  plus  sérieux 
militent  contre  l'opinion  classique  qui  place  dans  la   IIP  Circonvolu- 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LAN  GA  GE    539 

tion  frontale  gauche  la  fonction  du  Langage  Articulé  :  cas  de  lésion 
de  la  IIIe  frontale  gauche  sans  Aphasie  —  et  d'autre  part  observations 
très  nombreuses  d'Aphasie  (dite  Motrice)  sans  lésion  de  la  IIIe  Fron- 
tale. —  Il  s'agit  là  dune  série  de  faits  dont  rénumération  ne  pourrait 
trouver  place  dans  une  Conférence  telle  que  celle-ci.  Ceux  d'entre  vous 
qui  désireraient  se  documenter  plus  amplement  sur  ces  faits  anato- 
miques  n'auront  qu'à  se  reporter  à  la  remarquable  Thèse  de  mon  ancien 
interne  M.  le  Dr  F.  Moutier1  qui  contient  une  véritable  mine  de  docu- 
ments sur  la  question  de  l'Aphasie.  Depuis  cette  thèse  d'autres  observa- 
tions ont  été  publiées,  notamment  celle  de  M.  René  Sand  (de  Bruxelles) 
dans  laquelle  une  lésion  incontestable  de  la  IIIe  frontale  gauche  exis- 
tait sans  Aphasie. 

Plus  récemment,  une  nouvelle  et  hélas  trop  nombreuse  série  de  dé- 
monstrations directes  s'est  offerte  à  nous  à  l'occasion  des  examens  que 
nous  avons  dû  faire  de  milliers  de  blessés  du  crâne  recueillis  dans  le 
gouvernement  militaire  de  Paris.  Nous  avons,  avec  mon  collègue 
M.  Ch.  Foix,  étudié  spécialement  les  troubles  du  langage  consécutifs  à 
ces  blessures  du  crâne  et  du  cerveau.  Pour  chacun  des  cas  la  topogra- 
phie de  la  blessure  a  été  soigneusement  relevée.  Nous  pouvons  affirmer 
que,  dans  aucun  cas,  nous  n'avons  constaté  l'Aphasie  par  blessure  loca- 
lisée à  la  région  de  la  IIIe  frontale,  et  qu'au  contraire  c'étaient  les  bles- 
sures de  la  région  temporo-pariétale  gauche  situées  en  arrière  du  sillon 
de  Rolandoqui  s'accompagnaient  d'Aphasie  bien  caractérisée. 

Mais  je  ne  veux  pas  insister  plus  longtemps  sur  ces  arguments  ana- 
tomo-pathologiques,  quelle  que  soit  leur  valeur  objective  incontestable, 
car  la  possibilité  vous  manquerait  d'en  faire  ici  la  critique  et  de  les 
discuter  à  un  un.  Vous  seriez  obligés  d'accepter  purement  et  simple- 
ment mes  affirmations,  et  c'est  justement  ce  que  je  tiens  à  éviter.  Mon 
désir  le  plus  vif  est  que  vous  vous  formiez  vous-mêmes  une  opinion, 
grâce  à  l'exposé  que  je  vais  vous  faire  de  l'historique  de  la  question,  et 
que  de  vous-mêmes,  par  un  travail  personnel  d'appréciation  et  de 
jugement,  vous  parveniez  à  une  notion  nette  de  l'inanité  du  dogme  de 
la  IIIe  frontale. 

L'Etude  de  l'évolution  Historique  du  langage  écrit  vient  de  nous 
montrer  qu'on  ne  saurait  logiquement  admettre  l'existence  de  centres 
innés  pour  le  Langage  Ecrit.  Je  suis  convaincu  que  l'étude  de  l'évolu- 
tion Historique  de  la   localisation  du  langage  articulé  dans  la  IIIe  fron- 


1.  François  Moutier.  —  L'Aphasie  de  Iiroca,  Thèse  de  Paris,  1908. 


540 


PIERRE  MARIR 


taie  vous  démontrera  non  inoins  nettement  que  rien  n'autorise  à 
admettre  l'existence  d'une  pareille  Localisation. 

J'utiliserai,  à  cet  effet,  quelques  passages  d'un  article  sur  l'Histo- 
rique de  l'Aphasie  (pie  j'ai  publié  en  1906  dans  la  Presse  Médicale. 

Quelle  curieuse  histoire  en  effet,  que  celle  de  la  localisation  du  Lan- 
gage dans  la  IIIe  Circonvolution  frontale  ! 


Fig.  12  Planche  C  de  l'Atlas  de  Gall.  Crâne  vu  par  sa  face  antérieure.  On  remarque  en  L,  au  niveau 
du  rebord  intérieur  de  l'orbite,  le  siège  de  la  «  bosse  du  langage  »  (d'où  yeux  proéminents,  yeux, 
pochetés  de  Gall).  —  Les  chiffres  romains  inscrits  sur  les  différentes  «  bosses  »  désignent  le  siège 
des  différentes  facultés  ou  «  des  penchants  de  l'âme  ». 


C'est  à  Gall  qu'il  faut  en  l'aire  remonter  sinon  la  paternité  réelle, 
tout  au  moins  la  plus  grande  part  de  responsabilité. 

Vous  savez,  Messieurs,  que  Gall,  dans  les  toutes  premières  années  du 
xixe  siècle,  ayant  quitté  le  pays  de  Bade,  dont  il  éhiit  originaire,  était 
venu  comme  tant  d'autres  chercher  fortune  à  Paris.  Maigri-  l'opposi- 
tion formelle  de  Laënnec  et  de  Cuvier,  deux  esprits  trop  grands  pour 
être  dupes,  il  y  avait  presque  réussi.  —  C'est  que,  malgré  la  chute  de  la 

Royauté,  malgré  le  Drame  Révolutionnaire  et  l'Epopée  Napoléonienne, 

Paris  était  resté  le  Paris  de  Mesmer  et  de   Cagliostro,    toujours    prêt  à 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  541 

accueillir   les  aventuriers     ou    les    songe-creux   quels   qu'ils  fussent, 
pourvu  qu'ils  eussent  un  nom  et  un  accent  étrangers. 

Sous  le  nom  de  Phrénologie  l,  Gall  professait  une  singulière  doctrine 
d'après  laquelle  chacune  des  facultés  et  même  chacun  des  «  penchants 
de  l'âme  »  doit  se  trouver  représenté  par  une  bosse  crânienne  spéciale, 
indice  d'un  développement  particulier  de  la  région  sous-jacente  du  cer- 
veau dans  laquelle  étaient  sensés  siéger  cette  faculté  ou  ce  penchant.  — 
Palper  le  crâne  d'un  homme  suffisait  donc  pour  connaître  à  fond  son, 
caractère. — Il  convient  de  remarquer,  que  ces  prétendus  sièges  de 
telle  ou  telle  faculté  étaient  déterminés  de  la  manière  la  plus  arbitraire 
et  ne  relevaient  que  de  l'imagination  de  l'auteur.  On  en  jugera  par  le 
passage  suivant  que  je  vous  cite  textuellement  d'après  le  texte  même  de 
Gall  dans  son  grand  ouvrage  sur  les  Fonctions  du  Cerveau  : 

«  De  chez  mon  oncle,  mon  jeune  camarade  et  moi  nous  allâmes  à 
Bade,  près  de  Rastadt.  Deux  de  mes  nouveaux  condisciples  surpas- 
saient même  mon  ancien  camarade  par  leur  facilité  à  apprendre  par 
cœur.  Comme  l'un  et  l'autre  avaient  de  très  grands  yeux  à  fleur  de  tête, 
nous  leur  donnâmes  le  sobriquet  «  yeux  de  bœuf  ».  —  Après  trois  ans, 
nous  allâmes  à  Bruchsal,  là  encore  quelques  écoliers  à  «  yeux  de  bœuf  » 
me  donnèrent  du  chagrin  lorsqu'il  était  question  d'apprendre  par  cœur. 
Deux  ans  plus  tard  j'allai  à  Strasbourg,  et  je  continuai  de  remarquer 
que  les  élèves  qui  apprenaient  par  cœur  avec  le  plus  de  facilité  étaient 
ceux  qui  avaient  de  grands  yeux  à  fleur  de  tête,  et  que  quelques- 
uns  d'entre  eux  n'étaient,  pour  tout  le  reste,  que  des  sujets  très  mé- 
diocres. 

«  Quoique  je  n'eusse  aucune  espèce  de  connaissances  préliminaires 
(Gall  était  alors  âgé  de  14  ans  !),  je  dus  tomber  sur  Vidée  que  des  yeux 
ainsi  conformés  sont  la  marque  d'une  excellente  mémoire.  Ce  ne  fut  que 
plus  tard  que  je  me  dis,  comme  je  l'ai  rapporté  dans  l'Introduction  du 
premier  volume  :  Si  la  Mémoire  se  manifeste  par  un  caractère  extérieur, 
pourquoi  les  autres  facultés  n'auraient-elles  pas  aussi  leur  caractère 
visible  au  dehors  ?■ —  Et  c'est  là  ce  qui  me  donna  la  première  impulsion 
pour  toutes  mes  recherches,  et  ce  qui  fut  l'occasion  de  toutes  mes  décou- 
vertes ». 

D'après  Gall  «  les  personnes  qui  ont  les  yeux  pochetés  possèdent  non 
seulement  une  mémoire  des  mots  excellente,  mais  elles  se  sentent  une 

1.  Il  convient  de  remarquer  que  la  Phrénologie  de  Gall  était,  jusqu'à  un  certain  point, 
la  continuation  de  la  Physiognomonie  de  Lavater.  Ce  dernier  appartenait  à  la  généra- 
tion précédente  et  ses  publications  avaient  déjà  mis  à  la  mode  ce  jeu  d'esprit  qui  con- 
siste à  découvrir  le  caractère  des  gens  par   l'examen  de  certains  traits  de  leur  visage. 


542 


l'iiiun:   \i\mi: 


disposition  particulière  pour  l'étude   des  langues,  pour  la  critique,  en 
généra]  pour  tout  ce  quia  trait  à  la  littérature  ». 

Ci-   fameux  rentre  du  langage  — avant  la  lettre  pourrait-on  dire,  —  où 
Gall  le  plaçait-il  donc  ? 


Fig.  13.  Planche  IV  de  l'Atlas  de  Gall.  Face  inférieure  du  cerveau.  On  voit  en  L  le  centre  du  langage 
daprès  Gall.  On  remarquera  que  c'est  sur  1  hémisphère  droit  que  (iall  a  désigné,  dans  cette  tigure. 
la  délimitation  du  centre   du  langage  entre  les  points  xv  et  39. 


La  nomenclature  des  circonvolutions  était  alors  très  peu  avancer, 
aussi  est-ce  surtout  aux  ligures  qui  accompagnent  l'Œuvre  île  (iall 
qu'il  faut  se  rapporter  pour  se  faire  une  idée  du  point  de  l'Ecorce 
Cérébrale  où  il  localise  la  faculté  du  langage.  Il  est  aise  tic  se  rendre 
compte  que  c'est  dans  la  région  de  la  face  inférieure  du  lobe  frontal,  an 
niveau  de  la  partie  postérieure  du  lobule  orbilaire.  dette  portion  tin  cer- 
veau étant,  d'après  lui,  1res  développée  chez  les  individus  qui  jouissent 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PBÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  543 


d'une  grande  mémoire  des  mots,  repousserait  en  avant  la  partie  posté- 
rieure de  l'orbite  et  déterminerait  la  saillie  des  yeux,  ces  «  yeux  de 
bœuf  »  qui  ont  si  fort  attiré  l'attention  de  Gall,  puisqu'il  en  a  fait  la  base 
de  son  «  Système  »- 


4 

Fig.  14.   Planche  XI  de  l'Atlas  de  Gall.  On  voit  en  L  le  centre  du  langage  d'après  cet  auteur. 


Il  fut  dès  lors  entendu,  pour  tous  les  adeptes  de  la  doctrine  de  Gall, 
et  ils  étaient  nombreux,  que  «  la  faculté  du  langage  siège  dans  les  ré- 
gions antérieures  du  cerveau  ». 

En  1825,  Bouillaud,  qui  avait  connu  Gall  (celui-ci  mourut  seulement 
en  1828  à  Paris),  publiait  un  Mémoire  pour  «  démontrer  que  la  perte 
de  la  parole  correspond  à  la  lésion  des  lobules  antérieurs  du  cerveau, 
et  confirmer  l'opinion  de  M.  Gall  sur  le  siège  de  l'organe  du  langage 
articulé  ». 

Chose  curieuse,  ni  Gall,  ni  Bouillaud  n'avaient  la  moindre  idée  que 
la  fonction  du  langage  fût  localisée  dans  l'hémisphère  gauche.  Broca 
lui-même,  en  1861  et  jusqu'en  1863,  après  une  communication  de  Dax 
fils,  ignorait  tout  de  cette  particularité. 

C'est  en  1861  que  Paul  Broca,  jeune  chirurgien  des  Hôpitaux,  qui 
venait  d'être  nommé  à  Bicètre,  entreprit,  grâce  aux  nombreuses  autop- 


544 


rii:i{RE  MARIE 


sus  qu'un  chef  de  service  a  l'occasion  de  faire  dans  cet  admirable 
centre  de  travail,  de  vérifier  si  la  doctrine  de  Gall  et  de  Bouillaud 
riait  fondée,  et  si  réellement  la  perte  de  la  faculté  du  langage  corres- 
pond à  une  lésion  des  lobes  antérieurs  du  cerveau. 

Le  premier  cas  d'Aphasie  dont  il  eut,  dans  son  service,  l'occasion  de 
Faire  l'autopsie,  au  point  de  vue  qui  le  préoccupait,  fut  le  cas  d'un 
nommé  Leborgne  cpii  cliniquement  offrait,  de  la  façon  la  plus  nette,  le 
type  d'Aphasie  qu'on  a  très  justement  depuis  appelé  «  Aphasie  de 
Broca  ».  Ce  malade  avait  été  apporté  dans  le  Service  de  Chirurgie,  pour 


Fig  15.  Schéma  des  lésions  de  l'hémisphère  gauche  du  cerveau  de  Leborgne,  autopsie  princeps  de  Broca. 
Ce  schéma  a  été  relevé  directement  sur  le  cerveau  de  Leborgne  conservé  au  Musée  Dupuytren.  On 
constatera  qu'en  outre  de  la  3e  frontale  la  plus  grande  partie  du  territoire  cortical  de  l'artère  syl- 
vienne,  y  compris  la  zone  de  Wernicke,  est  atteinte. 


un  phlegmon  diffus  du  membre  inférieur  dont  il  mourut  au  bout  de  six 
jours.  L'autopsie  faite  par  Broca  montra  un  ramollissement  étendu  à 
une  grande  partie  du  territoire  de  la  Sylvienne  gauche  avec  prédomi- 
nance au  niveau  de  la  portion  antérieure  de  la  Scissure  de  Sylvius,  et 
englobant  par  conséquent  le  pied  de  la  3e  frontale  et  aussi  la  moitié  an- 
térieure de  la  l'°  temporale.  En  réalité,  quand  on  examine  cette  pièce 
«  princeps  »  actuellement  encore  conservée  dans  un  bocal  d'alcool  an 
Musée  Dupuytren,  on  constate  qu'il  s'agit  d'un  Ramollissement  très  an- 
cien et  très  étendu  ayant  amené  une  rétraction  et  une  atrophie  asse/ 
prononcées  de  tout  l'hémisphère  gauche.  Le  Ramollissement  s'étend 
dans  tonte  l'étendue  antéro-postérieure  de  la  Sylvienne,  il  a  donc  dé- 
terminé, outre  la  destruction  de  F3  dans  sa  moitié  postérieure,  la  des- 
truction des  Circonvolutions  Uolandiqnes  dans    leur  moitié   Inférieure, 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  545 

la  destruction  de  T1  dans  la  plus  grande  partie  de  son  étendue,  la  des- 
truction d'une  notable  partie  du  Gyrus  Supramarginalis. 

Ici  les  faits  sont  patents,  il  suffit  d'examiner  le  cerveau  de  Leborgne 
pour  constater  l'étendue  des  lésions  et  la  multiplicité  des  circonvolu- 
tions détruites  par  le  ramollissement. 

Comment  d'une  lésion  aussi  étendue,  aussi  complexe,  Broca  a-t-il  pu 
conclure  à  la  localisation  de  la  faculté  du  langage  dans  le  pied  de  la 
3e  frontale  ?  La  réponse  à  cette  question  est  très  simple  :  —  En  1861  les 
connaissances  anatomo-pathologiques,  sur  le  système  nerveux,  étaient 
encore  extrêmement  rudimentaires.  A  cette  époque  on  croyait,  et 
Broca  le  croyait  comme  tout  le  monde,  que  le  ramollissement  cérébral 
est  une  sorte  de  lésion  inflammatoire  à  tendance  progressive,  débutant 
en  un  point  du  cerveau  et  s'étendant  de  là  aux  parties  voisines,  comme 
une  tache  d'huile,  comme  une  plaque  de  gangrène,  et  cela  pendant  des 
années  et  des  années,  «  le  mal  se  propageant,  dit  Broca,  de  proche  en 
proche,  à  d'autres  circonvolutions,  au  lobe  de  l'Insula,  etc..  »  —  Voici 
d'ailleurs,  en  propres  termes,  comment  Broca  explique  que,  dans  le  cas 
Leborgne,  malgré  la  présence  de  lésions  corticales  multiples,  il  ait 
attribué  à  l'altération  de  la  seule  3e  frontale  le  rôle  capital  dans  la  pro- 
duction de  l'Aphasie  : 

«  Sachant  qu'au  début  de  la  maladie,  et  pendant  une  longue  période 
de  10  ans,  le  malade  avait  perdu  uniquement  la  faculté  d'articuler  les 
mots...  j'ai  été  conduit  à  penser  que  la  perle  de  la  parole  avait  été  la  con- 
séquence dune  lésion  primitivement  assez  circonscrite,  et  que V organe  cen- 
tral du  langage  articulé  était  probablement  celui  dans  lequel  cette  lésion 
avait  débuté  ;  pour  découvrir  cet  organe  parmi  tous  ceux  qui  étaient 
lésés  au  moment  de  la  mort,  j'ai  chekché  quel  était  le   point  ou  l'al- 

TÉKATION  PARAISSAIT  LA  PLUS  ANCIENNE,  ET  j'Ai  TROUVÉ  QUE,  SELON  TOUTE 
PROBABILITÉ,  LA  TROISIÈME  CIRCONVOLUTION  FRONTALE,  PEUT-ÊTRE  AUSSI 
LA  SECONDE,  AVAIENT  DU  ÊTRE  LE  POINT  DE  DÉPART  DU  RAMOLLIS- 
SEMENT.  » 

En  résumé,  il  s'agissait  dune  oblitération  en  bloc  de  la  Sylvienne  ; 
toutes  les  circonvolutions  marginales  de  cette  artère  étaient  atteintes 
par  le  ramollissement,  aussi  bien  celles  de  la  Zone  de  Wernicke  ou 
Zone  de  l'Aphasie  proprement  dite  (Gyrus  Supramarginalis,  pli  courbe, 
lre  temporale)  que  la  3'  frontale.  Mais,  sous  l'influence  des  doctrines 
de  Gall,  les  esprits  étaient  prévenus,  la  seule  question  qui  intéressai 
Broca  et  Auburtin,  gendre  de  Bouillaud,  présent  à  l'autopsie,  était 
celle-ci  :  —  trouverons-nous  une  lésion  dans  le  «  lobe  antérieur  du  cer- 
veau »? —  Et  comme  il  existait  en  effet,  parmi  tant  d'autres,  une  lésion 

COKFÉR.    NEUROL.  35 


546  PIERRE    \l.\HIE 


de  la  .'>  frontale,  et  que  celte  circonvolution  fait  partie  du  lobe  frontal, 
ce  lut  la  seule  lésion  à  laquelle  Broca  attacha  de  l'importance. 

La  question  était  tranchée  :  la  perte  de  la  parole  correspondait  bien, 
comme  le  disait  Bouillaud,  à  la  lésion  des  lobes  antérieurs  du  cerveau. 
L'autopsie  fut  publiée,  (iall  triomphait.  Les  adeptes  de  ses  théories,  et 
j'ai  dit  qu'ils  étaient  nombreux,  s'emparèrent  de  cette  autopsie  de 
Broca  comme  d'un  argument  capital.  Le  dogme  de  la  3e  frontale  était 
désormais  établi sur  quelles  bases  erronées,  vous  venez  de  le  voir. 


Je  pense  vous  avoir  démontré,  Messieurs,  d'une  manière  irréfutable, 
au  début  de  cette  Leçon,  qu'on  ne  saurait  admettre  l'existence  de  centres 
innés  pour  le  langage  écrit  (lecture,  écriture).  Je  crois  vous  avoir  dé- 
montré également  que  la  3e  frontale  ne  peut  être  considérée  comme  le 
centre  du  langage  parlé.  Je  voudrais  examiner  maintenant  avec  vous  la 
question  suivante  : 

Existe-t-il  un  centre  inné  pour  le  langage  parlé  ?  C'est-à-dire,  existe- 
t-il,  dès  la  naissance,  en  un  point  quelconque  de  l'encéphale,  un  centre 
dont  la  fonction  propre  et  unique  soit  le  langage  parlé  (disons,  pour 
simplifier,  la  parole)  ? 

Force  m'est  de  vous  dire,  de  prime  abord,  que  je  ne  le  crois  pas. 
Ma  conviction  est  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  centre  inné,  préformé,  de  la 
parole,  qu'il  n'y  a  de  centre  inné  delà  lecture  ou  de  l'écriture. 

Je  vais,  Messieurs,  vous  donner  les  raisons  de  cette  manière  de  voir, 
les  arguments  sur  lesquels  elle  est  fondée. 

Tout  d'abord  un  argument  anatomique  qui,  sans  être  péremptoire, 
n'en  a  pas  moins  une  réelle  valeur  : 

Depuis  que  les  progrès  des  techniques  anatomo-pathologiques  ont 
permis  de  suivre  dans  l'Encéphale  des  dégénérations  secondaires  de 
faisceaux  de  libres,  on  s'est  ingénié  de  différents  côtés  à  découvrir  chez 
les  aphasiques  la  dégénération  d'un  faisceau  de  la  parole.  On  n'y  est  jamais 
parvenu.  Tous  les  faisceaux  de  la  parole  (pie  nous  verrez  ligures  dans 
vos  livres  tirent  uniquement  leur  origine  de  l'imagination  des  auteurs. 
—  On  n'a  jusqu'à  présent  jamais  constaté  objectivement,  que  je  s;iclu\ 
l'existence  d'un  faisceau  de  la  parole  qui, partant  d'un  centre  cortical, 
viendrait  dans  la  protubérance  et  le  bulbe  innerver  les  groupes  de  cel- 
lules nerveuses  tenant  sous  leur  dépendance  les  organes  d'exécution  de 

la  parole  :  langue,  lèvres,  palais,  etc.  Il  est  donc  évident  qu'il   n'existe 
pas   un  «  faisceau    de  libres  delà    parole  ».  —  Mais  comment    admettre 


EXISTE-T-ILDES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE    547 

que,  s'il  existait  un  centre  inné  de  la  parole,  ce  centre  soit  dépourvu 
d'une  voie  anatomique  d'exécution  ?  Les  circonvolutions  motrices  qui, 
elles,  sont  des  centres  innés,  ont  leur  voie  d'exécution  :  le  faisceau  pyra- 
midal.—  Pourquoi,  si  la  parole  avait  un  centre  inné,  serait-elle  dé- 
pourvue d'une  voie  de  ce  genre? 

D'ailleurs,  Flechsig,  il  y  a  bien  des  années  déjà,  par  ses  beaux  tra- 
vaux sur  l'Anatomie  générale  du  système  nerveux,  n'a-t-il  pas  montré 
que  toute  la  région  que  nous  considérons  actuellement  comme  la  région 
de  l'Aphasie  (Gyrus  Supramarginalis,  pli  courbe,  lres  temporales)  est 
purement  une  région  où  n'existent  que  des  fibres  d'association  sans 
fibres  de  projection.  Or  l'Aphasie  est  par  excellence  un  trouble  des 
Associations  Psychiques  et  des  phénomènes  de  la  Mémoire. 

Un  autre  argument  qui  doit  faire  douter  qu'il  y  ait  un  centre  inné  de 
la  parole  est  le  suivant  :  Les  centres  innés  que  nous  connaissons  (et  ils 
ne  sont  pas  nombreux)  sont  toujours  bilatéraux  et  môme  très  nettement 
symétriques.  Les  centres  moteurs  des  membres, — les  centres  de  la 
vision  ont  leur  siège  dans  chacun  des  2  hémisphères  et  dans  des  régions 
symétriques.  Pour  le  langage  parlé  il  en  est  tout  autrement,  puisque 
nous  savons  que  c'est  seulement  dans  l'hémisphère  gauche  qu'une 
lésion  delà  zone  de  Wernicke  donnera  l'Aphasie  ;  la  même  lésion  dans 
la  zone  symétrique  de  l'hémisphère  droit  ne  produira  aucun  trouble 
évident  du  langage  intérieur.  Comment  admettre  l'existence  d'un 
centre  inné   de    la  parole  qui  ne  serait  ni  bilatéral  *   ni   symétrique   ? 

Outre  ces  arguments  d'ordre  anatomique  et  physiologique,  il 
est,  au  point  de  vue  clinique,  certaines  considérations  qui,  elles  aussi, 
militent  fortement  contre  l'hypothèse  d'un  centre  inné  du  langage 
parlé. 

Observons  ce  qui  se  passe  pour  les  Sourds-Muets.  Us  ne  parlent  pas 
parce  qu'ils  sont  sourds,  tout  le  monde  est  d'accord  sur  ce  point.  On 
comprend  en  effet  que  les  mots  étant  en  somme  le  résultat  d'une  pure 
convention,  ces  malades,  que  leur  infirmité  ne  laisse  pas  participer  à 
cette  convention,  ne  sont  pas  en  état  de  parler  telle  ou  telle  langue 
usuelle. 

Mais  s'il  existait  un  centre  inné  de  la  parole,  les  Sourds-Muets  de- 
vraient, en  dehors  de  toute  rééducation,  être  capables  d'un  langage 
parlé,  incompréhensible  il  est  vrai,  puisqu'il  serait  en  dehors  des  lan- 

1.  On  remarquera  que  tout  ce  qui  est  dit  ici  vise  un  centre  psychique  (le  la  parole, 
mais,  pour  ce  qui  est  du  mécanisme  de  l'articulation,  on  doit  admettre  qu'il  peut 
être  troublé  par  une  lésion  siégeant  dans  l'un  ou  l'autre  hémisphère  au  niveau  de  la 
région  du  «  quadrilatère  ». 


,48  PIERRE-MARIE 


gages  conventionnels,  mais  un  langage  tout  de  même,  comportant  de 
véritables  paroles  ayant  «  forme  humaine  ». 

On  sait  qu'il  n'en  est  rien  et  que  ces  infortunés  n'émettent  spontané- 
ment qu'une  série  de  sons  discordants  et  informes  qui  n'ont  même  pas 
la  valeur  significative  des  grognements  si  variés  émis  par  nos  chiens  fami- 
liers pour  nous  faire  part  de  leurs  diverses  émotions.  Le  sourd-muet  peut 
apprendre  à  parler,  mais  il  faut  qu'il  soit  éduqué  de  toutes  pièces  à  la 
parole.  S  il  jouissait  d'un  centre  inné  de  la  parole,  on  n'aurait, pour  qu'il 
parlât,  qu'à  l'initier  à  la  valeur  conventionnelle  de  nos  paroles  :  dés 
qu'il  connaîtrait  cette  valeur  conventionnelle,  grâce  à  son  centre  inné 
de  la  parole  il  devrait  parler.  —  Les  choses  se  passent  tout  autrement, 
parce  qu'en  réalité  il  n'y  a  pas  de  centre  inné  delà  parole.  On  sait  à 
quel  long  apprentisssge  doit  être  soumis  ce  malheureux  sourd-muet, 
par  quels  détours  on  arrive  à  lui  faire  émettre  des  sons  qui  aient  quel- 
que apparence  humaine,  et  avec  quelle  difficulté  on  parvient  à  le  faire 
réellement  parler.  Ici  rien  d'inné  ne  se  manifeste,  tout  le  résultat 
obtenu  est  dû  à  la  seule  éducation,  à  un  véritable  dressage. 

Envisageons  maintenant,  un  autre  côté  de  la  question  et  regardons  ce 
qui  se  passe,  au  point  de  vue  du  langage,  pour  YEnfant  au  berceau. 

Son  incapacité  absolue  de  parler  avait  si  vivement  frappé  nos  ancê- 
tres latins  qu'ils  en  ont  fait  la  caractéristique  de  cet  âge,  et  de  cette 
caractéristique  ont  tiré  la  dénomination  d'infans,  o  celui  qui  ne  parle 
pas  ». 

Observez-le,  ce  petit  être  humain,  alors  qu'il  est  âgé  de  12  à  15  mois: 

—  il  se  tient  déjà  sur  ses  jambes,  il  commence  à  marcher,  il  sait  tendre 
les  bras  à  sa  mère,  et  de  ses  petites  mains  presser  le  sein  qui  l'a 
nourri,  il  peut  téter,  il  peut  crier  et  pleurer  ;  en  un  mot,  il  peut  déjà,  à 
cet  âge,  exercer  librement  toutes  les  fonctions  auxquelles  président  ses 
centres  réellement  innés...  — Mais  à  part  quelques  syllabes  redoublées 
péniblement  apprises  (papa,  maman,  lolo,  etc.),  il  ne  peut  pas  «  parler  »; 

—  il  est  toujours  Vin/ans,  et  cela  uniquement  parce  qu'il  ne  possède  pas 
de  centre  inné  pour  le  langage  parlé. 

Si.  quittant  le  terrain  de  l'Etat  Physiologique,  nous  nous  tournons 
maintenant  vers  celui  de  la  Pathologie  de  l'Enfant,  un  nouvel  argument 
va  nous  être  fourni  par  l'étude  de  l'Hémiplégie  Infantile. 

Tous  les  auteurs,  qu'ils  soient  neurologistes  ou  pédiatres,  sont  d'ac- 
cord sur  ce  fait  cpie  les  enfants  atteints  d'hémiplégie  droite  ne  présen- 
tent jamais  d'Aphasie,  à  la  condition  que  cette  hémiplégie  se  soit  pro- 
duite dans  les  toutes  premières  années  qui  suivent  la  naissance,  Ou 
a  proposé  pour  ce  fait   différentes  explications.  -     La  plus  naturelle,  la 


EXISTE-T-IL  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉS  DU  LANGAGE  549 

plus  légitime,  n'est-elle  pas  de  reconnaître  que,  puisqu'il  n'existe  pas  de 
centre  inné  du  langage,  celui-ci  n'a  pu  être  détruit  par  la  lésion  cérébrale 
cause  de  l'Hémiplégie  ?  Et  comme  cette  lésion  est  survenue  à  un  âge 
trop  tendre  pour  que  Tentant  ait  eu  le  temps  d'adapter  la  région  pariéto- 
temporale  de  son  hémisphère  gauche  à  la  fonction  de  la  parole,  il  s'en- 
suit que  cette  région  a  pu  être  détruite  par  la  lésion  sans  que, plus  tard, 
cet  enfant  ait  présenté  d'Aphasie,  il  lui  a  suffi  d'adapter,  dans  son  cer- 
veau, à  la  fonction  du  langage,  une  autre  région  voisine  restée  saine,  et 
d'en  faire  usage  pour  parler. 

Je  considère  cet  argunient,  basé  sur  un  fait  universellement  admis, 
comme  ayant  une  très  grande  importance. 

Telles  sont,  Messieurs,  les  raisons  pour  lesquelles  je  pense  que  nous 
ne  devons  plus  admettre  l'existence,  dans  le  cerveau  humain,  d'aucun 
centre  préformé,  d'aucun  centre  inné  du  langage,  qu'il  s'agisse  de 
langage  écrit  ou  de  langage  parlé. 

Mais,  me  dira-t-on,  vous  nous  avez  vous-même,  au  début  de  cette 
Leçon,  enseigné  qu'il  existe  au  niveau  du  gyrus,  du  pli  courbe,  et  des 
1res  temporales,  une  région  dont  la  lésion  détermine  l'Aphasie,  une 
Aphasie  complexe,  portant  aussi  bien  sur  le  langage  écrit  que  sur  le 
langage  entendu  et  parlé. 

En  effet,  le  fait  n'est  pas  niable,  il  existe  bien,  dans  l'hémisphère  gauche 
du  cerveau,  une  zone  dont  l'altération  entraîne  une  Aphasie  d'autant 
plus  marquée  que  cette  altération  est  plus  profonde  et  plus  étendue. 
Mais  cette  zone  ne  répond  pas  à  un  centre  préformé  dès  avant  la  nais- 
sance, et  c'est  là  la  notion  que,  par  des  arguments  de  tout  ordre,  j'ai 
cherché  à  établir  aujourd'hui  devant  vous.  —  Cette  zone  ne  constitue 
pas  un  centre  préformé,  mais  seulement  un  centre  adapté.  De  même 
les  différents  sports  (escrime,  boxe,  tennis,  etc.),  procèdent  de  «  centres 
adaptés  »  *  ;  de  même  le  jeu  des  différents  instruments  de  musique, 
l'usage  des  différentes  langues  procèdent  de  «  centres  adaptés  ».  Il 
semble,  d'après  ce  que  nous  avons  vu  dans  l'Hémiplégie  infantile,  que 
lorsque  la  zone  dans  laquelle  se  fait  généralement  cette  «  adaptation  » 
a  été  le  siège  d'une  lésion,  l'enfant,  dans  la  suite  de  son  développe- 
ment intellectuel,  soit  apte  à  utiliser  une  autre  région  de  son  cer- 
veau pour  y  «  adapter  »  son  centre  du  langage.  En  résumé,  loin  de  pos- 


1.  Le  mot  de  cenlre  n'est  employé  ici  que  pour  la  commodité  de  l'exposition,  car  il 
serait  impossible  de  supposer  qu'il  s'agisse  dans  ces  cas  de  véritables  centres  suivant 
l'ancienne  conception  de  ce  mot.  On  est  purement  et  simplement  en  présence  de  grou- 
pements associatifs  souvent  fort  éloignés  les  uns  des  autres  dans  l'axe  encéphalo- 
médullaire. 


PIERRE  MARIE 


séder,  en  naissant,  un  centre  de  la  parole,  chaque  individu  doit,  par 
son  effort  propre,  s'en  constituer  un  de  toutes  pièces,  et  c'est  dans  la 
zone  pariéto-teinporale  gauche  (pie  celui-ci  s'établit.  —  Pourquoi  ?  — 
Peut-être  simplement  parce  que,  les  éléments  nerveux  de  l'hémisphère 
gauche  se  développant  un  peu  avant  ceux  de  l'hémisphère  droit,  les 
premiers  processus  intellectuels  commencent  à  se  produire  dans  l'hé- 
misphère gauche  et  forment,  pour  ainsi  dire,  un  centre  de  cristallisation 
et  une  base  pour  les  associations  d'idées  qu'ils  provoquent.  Ainsi  s'éta- 
blirait dans  l'hémisphère  gauche  un  substratum  associatif  qui  se  spécia- 
liserait dans  une  certaine  mesure,  et  vers  lequel  notre  cerveau  aiguille- 
rait, de  lui-même,  une  très  importante  partie  de  son  activité  psy- 
chique. 

Il  faut  absolument  nous  dégager  des  anciennes  conceptions  qui  ten- 
daient à  admettre,  pour  certains  processus  psychiques,  notamment 
pour  ceux  du  langage,  des  centres  aussi  étroits  que  pour  les  fonctions 
motrices.  On  sait  que,  pour  ces  dernières,  le  point  de  départ  semble 
bien  être  dans  certains  groupes  cellulaires  d'où  naissent  des  fibres  de 
projection  qui  transmettront  aux  organes  moteurs  périphériques  les 
excitations  et  les  injonctions  nécessaires.  — Pour  les  processus  psy- 
chiques il  en  est  tout  autrement,  ceux-ci  prendraient  naissance  par  une 
sorte  de  vibration  des  éléments  nerveux,  et  ces  vibrations  se  propage- 
raient, par  une  série  de  réactions  élaboratrices,  à  un  très  grand  nom- 
bre de  cellules  qui  seraient  ainsi  mises  en  action  par  l'excitation  ini- 
tiale volontaire  ou  réflexe.  —  Ce  serait  notamment  une  erreur  de  penser, 
comme  on  l'a  fait  autrefois,  que  telle  ou  telle  cellule  ou  tel  ou  tel  groupe 
cellulaire  constitue  un  centre  pour  une  des  parties  du  discours  :  subs- 
tantifs, adjectifs,  verbes,  etc  ..,  ou  même  pour  la  syntaxe  qui  régit 
l'emploi  de  ces  différentes  parties. 

Tout  au  contraire,  de  même  que  dix  chiffres  suffisent  aux  mathémati- 
ciens pour  écrire  les  nombres  les  plus  énormes  et  pour  effectuer  les 
calculs  les  plus  compliqués,  de  même  les  différentes  cellules  des  régions 
du  cerveau,  dans  lesquelles  s'élaborent  les  processus  psychiques,  sont 
susceptibles  de  prendre  une  part  plus  ou  moins  grande  dans  les  diverses 
combinaisons  de  vibrations  dont  l'ensemble  constitue  ces  processus 
psychiques.  De  telle  sorte  qu'une  même  cellule  peut  être  sollicitée  par 
une  infinité  de  vibrations  différentes  et  participer  ainsi  à  un  grand  nom- 
bre de  processus  psychiques  différents. 

Mais  je  viens  de  me  laisser  entraîner  sur  un  terrain  bien  peu  sur. 
('(•pendant,  dans  cette  Leçon,  je  m'étais  proposé  tout  autre  chose  que 
de   développer  devant  vous  des    hypothèses  !  Mon  but  a  été  «le  vous 


EXISTE-T-1L  DES  CENTRES  PRÉFORMÉS  OU  INNÉSDU  LANGAGE  551 

démontrer,   par  des    arguments  que  je  crois  irréfutables,  la  fragilité, 
pour  ne  pas  dire  l'inanité  de  la  doctrine  des  Centres  innés  du  Langage. 
Puisse  ma  conviction,  Messieurs,   avoir  entraîné  la   vôtre.  C'est   là 
tout  mon  désir. 


Colliers.  —  Société  française  d'Imjiriuien 


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